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de cours d’appel commentés par D INTÉRIM 335-15 Devoir d’information de l’entreprise de travail temporaire CA Toulouse, 4e ch., sect. 1, 27 sept. 2012, n° 11/02 080 U ne entreprise de travail temporaire peut-elle être condamnée à relever et garantir une entreprise utilisatrice pour manquement à son devoir de conseil ? C’est à cette question essentielle que devait répondre la Cour d’appel de Toulouse. Affaire classique, au demeurant, d’un salarié mis à disposition qui sollicite la requalification de l’ensemble de ses contrats de mission en contrat à durée indéterminée avec l’entreprise utilisatrice pour avoir été affecté durablement à un emploi permanent de l’entreprise. Le Conseil de prud’hommes de Toulouse condamne l’entreprise utilisatrice et la cour d’appel confirme la sanction. Mais l’intérêt de l’arrêt est ailleurs. Les magistrats de la cour d’appel ont, en effet, fait droit à une demande de la société utilisatrice qui visait à mettre en cause la responsabilité de l’entreprise de travail temporaire sur le fondement de son obligation de conseil : elle aurait en effet dû informer sa cliente du caractère irrégulier de la prestation sollicitée et ce, d’au- tant plus fortement que l’entreprise utilisatrice était une entreprise de droit allemand et que le droit de l’intérim diffère sensiblement en France et en Allemagne. La cour condamne la société d’intérim à relever et garantir sa cliente de 50 % des condamnations prononcées en précisant « que cependant l’entreprise de travail temporaire doit répondre d’un manquement à son obligation de conseil à l’égard de l’entreprise utilisatrice lorsqu’elle ne pouvait ignorer le risque d’irrégularité affectant la mise à disposition d’un salarié », ajoutant que cette obligation de conseil est renforcée par le fait que sa cliente était une société de droit allemand. Cette décision est essentielle car s’il n’est pas nouveau qu’une entreprise utilisatrice tente de faire supporter les condamnations encourues à son prestataire pour manquement aux dispositions relatives aux cas de recours, il est rare que les juridictions suivent, refusant d’ériger les sociétés d’intérims en organe de surveillance des obligations de l’entreprise utilisatrice (CA Grenoble, 16 janv. 2006 n° 04/01 625 ; CA Paris, 5 mars 2009, n° 08/01841). Il est certain que la méconnaissance de la société utilisatrice, alors qu’en Allemagne il est possible de recourir à l’intérim pour pourvoir un emploi durable, n’a pas été sans incidence sur la solution retenue qui ne sera pas nécessairement étendue. Reste à savoir également si la Cour de cassation, qui n’a pas été saisie d’un pourvoi dans cette affaire, accepterait de confirmer une telle décision alors même qu’elle a jusqu’à présent refusé de sanctionner une entreprise de travail temporaire dès lors qu’elle n’avait pas manqué aux obligations spécifiquement mises à sa charge par le Code du travail (Cass. soc., 13, avr. 2005, n° 03-41.967). Elle est en revanche coresponsable des conditions d’exécution du travail de l’intérimaire (Cass. soc., 31 oct. 2012, n° 11-21.293). 9 Christine Aranda, avocat associé, Fromont Briens jurisprudence générale arrêts D AMIANTE 335-16 Reconnaissance et appréciation du préjudice d’anxiété CA Lyon, ch. soc., sect. C., 28 sept. 2012, série de 38 arrêts P ar 38 arrêts du 28 septembre 2012, la Cour d’appel de Lyon vient de prendre une position qui se distingue de celle adoptée par nombre de cours d’appel en matière de reconnaissance du préjudice d’anxiété des salariés exposés à l’amiante. Trente-huit anciens salariés d’une société inscrite sur la liste des établissements ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante et ayant opté pour ce dispositif ont saisi le Conseil de prud’hommes de Lyon. Leurs actions avaient pour fin d’obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice économique lié à leurs départs anticipés de l’entreprise, en réparation du bouleversement de leurs conditions d’existence et en réparation du préjudice d’anxiété lié au risque éventuel de contracter une maladie causée par l’amiante. Le juge départiteur ne faisant droit qu’à leurs demandes relatives au préjudice d’anxiété, il leur a attribué à tous une somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts. Saisie par l’employeur, la cour d’appel a confirmé tout d’abord la compétence du conseil de prud’hommes, les demandeurs n’ayant pas développé de maladie à la suite de leurs expositions à l’amiante. La cour d’appel a confirmé ensuite l’obligation de l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Après avoir constaté que la société ne versait aucune pièce justifiant du respect de cette obligation, elle a conclu au manquement de l’employeur et au droit à réparation des salariés. Les salariés exposés à l’amiante mais non malades doivent toutefois, selon la cour, rapporter la preuve de la réalité et de l’étendue des préjudices dont ils réclament l’indemnisation puisqu’ils sont hors du champ de la législation sur les risques professionnels. Dans un arrêt du 11 mai 2010, la Cour de cassation avait admis la caractérisation d’un préjudice spécifique d’anxiété par une situation d’inquiétude permanente face au risque de maladie liée à l’amiante, et par la soumission à des contrôles et examens réguliers propres à réactiver l’angoisse des salariés (Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241). La Cour d’appel de Lyon procède à une application stricte du droit commun de la réparation des préjudices, écartant de ce fait le principe d’une réparation automatique sans justification concrète du préjudice allégué. En l’absence de pièces attestant de leur état de santé, d’une éventuelle anxiété, d’un suivi médical et du bouleversement de leurs conditions d’existence, la cour d’appel a estimé que les salariés ne prouvaient pas que leurs expositions anciennes à l’amiante leur génèrent un sentiment d’anxiété. Elle a ainsi infirmé les jugements et débouté les salariés de leurs demandes. C’est en cela que ces arrêts se distinguent de ceux rendus en la matière par plusieurs autres cours d’appel. 9 Dominique Chapellon-Liedhart, avocat associé, Fromont Briens 3 Jurisprudence Sociale Lamy - 03 janvier 2013 - n° 335 27 Arrêts de cours d’appel commentés par le cabinet Fromont Briens D INAPTITUDE Articulation entre l’obligation de reclassement d’un salarié inapte et un plan de départs volontaires 335-17 CA Grenoble, ch. soc., 24 oct. 2012, n° 11/04016 U n ouvrier, victime d’un accident du travail, est déclaré le 18 février 2009, par le médecin du travail inapte physiquement à reprendre son poste ainsi qu’à tout poste exposant au bruit, sollicitant les deux membres supérieurs et à toute activité de manutention. Il pouvait être reclassé sur les postes de visite, de laboratoire et de régleur de buse. Licencié en mai 2010, le salarié conteste son licenciement pour non-respect de l’obligation de reclassement. Débouté par le conseil de prudhommes, il interjette appel. Rappelant les termes de l’obligation légale de recherche de reclassement en cas d’inaptitude professionnelle, la cour qualifie celle-ci d’obligation de moyen renforcée. L’employeur doit donc justifier devant elle avoir mis en œuvre « toutes les mesures à sa disposition telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail dans l’entreprise ou au sein du groupe ». En l’espèce, l’employeur dispose de quatre sites en Isère, sans livrer davantage d’informations sur le groupe et ses effectifs. Il prétend avoir recherché, sur ces quatre sites, un poste compatible avec les restrictions médicales mais n’avoir identifié qu’un seul poste, refusé par le médecin du travail. Il indique par ailleurs avoir mis en œuvre un plan de suppression d’emplois par le biais de départs volontaires sur l’un des sites isérois voulant sans doute justifier l’absence de poste disponible. Saisissant la balle au bond, la cour relève que, dans le cadre de ce plan de départs volontaires mis en œuvre fin 2009 avec un délai au 30 juin 2010 pour se porter candidat, une ouvrière de laboratoire s’était déclarée volontaire au départ dès le 27 novembre 2009 alors même qu’elle n’occupait pas un poste relevant des catégories d’emplois supprimées. Il lui était alors indiqué que sa candidature ne serait retenue « qu’à la condition que son départ permette le reclassement d’un salarié concerné par un projet de licenciement ». S’en tenant à la rédaction littérale (un projet de licenciement), sans qu’il soit fait référence à la nature d’un tel projet, la cour juge l’employeur défaillant, dès lors que le poste libéré au laboratoire, connu au moment du licenciement et compatible avec les restrictions médicales, aurait permis le reclassement du salarié inapte. Décision sévère, certes, mais il n’existe pas de hiérarchie entre l’obligation de reclassement du salarié menacé de licenciement économique et celle du salarié inapte. Cela nécessite donc de prendre des précautions rédactionnelles quant aux postes pouvant être impactés par des départs volontaires. 9 Marilyn Favier, avocat associé, Fromont Briens D TRANSFERT D’ENTREPRISE 335-18 Conditions d’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail CA Paris, pôle 6, 7e ch., 4 oct. 2012, n° 10/06368 U ne société reprend un marché de prestation de services (nettoyage). Suite à cette reprise, elle conclut un nouveau contrat de travail avec certains salariés. Un des salariés non embauché a saisi le conseil de prud’hommes considérant que les dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail étaient applicables et que son contrat en cours aurait dû être maintenu auprès de l’entreprise. Sur appel interjeté par le repreneur, la cour confirme le jugement du conseil de prud’hommes ayant fait droit à la demande du salarié. La société considérait qu’il n’y avait pas lieu de faire application des dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail arguant que le marché litigieux n’avait pas conservé son identité, les conditions matérielles, l’organisation du travail, et les techniques ayant changé. Elle plaidait que la seule similitude des activités ou la reprise de la majorité du personnel ne permet pas de caractériser 28 l’existence d’une entité économique autonome permettant le transfert automatique des contrats de travail. La cour d’appel ne suit pas ce raisonnement : elle considère que suite à la reprise du marché et à la réembauche de la majorité du personnel, l’employeur aurait dû faire application des dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail. À ce titre, la cour retient que si l’employeur a dû réembaucher l’essentiel des salariés, c’est précisément en raison de l’existence d’un transfert d’une activité organisée. Par ailleurs, l’activité soustraitée fonctionnait comme avant la reprise, de façon autonome, la seule introduction de matériels et de produits nouveaux ne permettant pas de caractériser l’absence de continuation de la même entreprise. La cour d’appel considère donc que le marché en cause était un marché autonome. De ce fait, même en cas de changement de prestataire, il aurait dû y avoir une poursuite des contrats de travail en cours au jour de la reprise. n° 335 - 03 janvier 2013 - Jurisprudence Sociale Lamy Le fait que la même activité se poursuive avec un autre employeur n’a pas pour effet d’entraîner le transfert des contrats de travail, sauf si cette activité constitue une activité économique autonome. Pour caractériser un transfert, il est nécessaire que le transfert des activités concernées s’accompagne dans le même temps d’un transfert des moyens d’exploitation permettant de conclure à la poursuite de l’entreprise. Néanmoins, prenant en considération la spécificité de l’activité, essentiellement composée de main-d’œuvre comportant peu de matériel, la cour considère que l’article L. 1224-1 du Code du travail s’applique dès lors que le repreneur poursuit l’activité dans des conditions similaires nécessitant l’embauche des anciens salariés. Il est à noter que le transfert des salariés est autant un indice qu’une conséquence de l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail. 9 Chloé Tronel, avocat, Fromont Briens