Serial shoppeuses - Bongénie Grieder

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Serial shoppeuses - Bongénie Grieder
Serial shoppeuses
L’essayage
Le «store check»
Le shopping est leur job. Acheteuses pour G.point,
le concept store du Bongénie, Nadja et Gabi vivent à
100 à l’heure. Reportage à leurs trousses.Par Estelle
Lucien, photos Magali Girardin
Pas de mari, pas d’enfants, pas de plantes
vertes. «Tu ne peux même pas avoir un
cactus!» s’exclame Gabi. Mais pour rien
au monde cette jeune femme qui n’est
jamais chez elle ne changerait sa vie. Car
Gabi qui vit une valise soudée à la main,
a un job de rêve: acheteuse. Elle et sa collègue Nadja gagnent leur vie en faisant
du shopping. Elles écument les magasins, les show-rooms de Paris, New York,
Milan, Londres, Los Angeles, Berlin ou
Copenhague, pour le compte de Bongénie et de son G.point, ouvert il y a près
d’un an dans ses succursales de Genève
et de Zurich, et bientôt à Lausanne. Et ce
sont donc Gabi et Nadja qui déchiffrent
les tendances, dénichent les marques,
Reportage
espionnent la concurrence, observent la
rue, décryptent la presse et, in fine, décident de ce qui mérite de figurer dans les
rayons de G.point, ou pas. Pendant deux
jours, on les a suivies à Paris. Récit au pas
de course.
«Store check»
A peine sortie du TGV, Nadja saute dans
le taxi direction rue Beaumarchais, dans
le IIIe arrondissement de Paris, pour un
premier store check, chez Merci. Sous ce
nom sont rassemblés dans un grand loft à
étages les marques les plus en vue du moment. Nadja déambule dans les travées
l’œil aiguisé, la main baladeuse, retourne
les étiquettes, observe les agencements.
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«Je prends aussi des idées de présentation.» Lors de ces visites impromptues,
Nadja confronte ses choix à ceux de ces
concept stores réputés. Dans chaque ville
qu’elles visitent, les acheteuses procèdent
à ces vérifications. A Los Angeles, elles
se rendent chez Kitson. A Paris, Nadja
et Gabi nous traîneront encore au 66
Champs Elysées, «un bon benchmark»,
nous dit Nadja. Autrement dit, une référence en matière de trends. Car, si ellesmêmes sont passionnées de mode et hyperlookées, elles doivent faire la part des
choses. «T’achètes pas pour toi, mais il y
a de toi quand même», relève Gabi. Et ce
moi ne doit pas pendre le dessus. «J’avais
un doute pour deux nouvelles marques
edelweiss
Nadja va faire faire des blazers, Julien lui montre quelques exemples
L’hésitation
La réservation
de G.point, et je vois qu’ils les ont aussi,
je suis donc rassurée.» Ces séances permettent également de repérer des noms
émergents. «Nous lisons aussi la presse,
pour checker les brands», explique Nadja.
Magazines, blogs et news des stars sont
épluchées par les filles qui ne manquent
rien des changements de garde-robe
des people du moment. Imprégnées de
l’air du temps, les acheteuses espèrent
ainsi avoir les bons réflexes lorsqu’elles
sont vraiment dans l’achat à proprement
parler.
saison en saison, nos acheteuses doivent
à la fois anticiper et rattraper les modes,
et satisfaire les désirs et lubies de clientes
aux humeurs variables et impatientes.
Show-rooms
Contrairement à ce que l’on pourrait
croire, nos miss ne fréquentent pas les
défilés, mais uniquement les showrooms et les salons professionnels. C’est
ainsi qu’après la virée chez Merci on a filé
rue du Louvre, chez Fabre (show-room).
Des robes vaporeuses couleurs sorbets,
des paillettes… «Ce n’est pas le style de
G.point, nous murmure Gabi. Sauf… ça!»
Et l’acheteuse spécialisée dans l’acces-
Mars 2013
Nadja (à gauche) et Gabi
soire de pointer une paire d’espadrilles
avec un motif tête de mort en strass. La
visite est donc express mais utile, car ces
petites chaussures de toile sont appelées
à faire un malheur. Gabi le sent. «Parfois, on s’emballe et on flashe sur un truc,
mais il faut respecter les processus.»
En effet, jamais nos deux shoppeuses
ne signent in situ. «On voit beaucoup
de choses dans la journée, il faut laisser
reposer, mûrir.» Ce n’est que le soir, dans
leur chambre d’hôtel, qu’elles reviennent
sur les options qu’elles ont prises et
qu’elles valident ou non des commandes.
La phase d’achat proprement dite dure
deux mois environ et se fait six mois
avant la mise en boutique. Mais, là
comme ailleurs, tout s’accélère. «Le turn
over is faster», comme nous le confirme
en franglais Nadja. Autrement dit, là
où leurs prédécesseurs travaillaient de
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Achat «pronto»
Donc, après le store check et la visite au
show-room, Nadja file, et nous à ses
trousses, direction le Sentier, «pour
un achat pronto!» explique-t-elle. Les
G.point réclament des blazers bleu marine style collège, un must dont elle avait
sous-estimé la branchitude. «Dans ces
cas-là, on a des fournisseurs qui peuvent
nous préparer des modèles et nous les
livrer parfois une semaine après la commande.» Julien, chez Rebel Cashmere,
rue Montmartre, est de ceux-là. Pendant
une heure, les deux vont discuter de
style: «Là, je veux de l’oversize»; de qualité: «ça fait trop polyesterish»; de délais:
«Tu peux livrer avant Christmas?» La
discussion semble amicale, elle n’en demeure pas moins commerciale, chacun
défendant ses intérêts.
Reportage
L’acheteuse prend des clichés de blousons et décidera à la fin de la journée seulement de les commander ou non
Le goûter
Le répit
Le blog
La relation aux fournisseurs est,
pour Nadja comme pour Gabi, un stress
permanent. «C’est comme d’avoir des
enfants, il faut toujours les avoir à l’œil.»
Elles traitent avec une centaine de ces
professionnels de la confection. «Il faut
se faire respecter, insiste Nadja, qui ne
compte plus les retards de livraison, les
changements de tissus inopinés: «Ils
te mettent du polyester à la place de la
soie…» Elles-mêmes ne sont pas à l’abri
d’erreurs ou d’oublis, comme cette fois où
la commande n’ayant jamais été enregistrée, le fournisseur s’est retrouvé avec
250 paires de chaussures dont personne
ne voulait. «Parfois, on ne sait même plus
à qui est la faute. Et c’est bien aussi de
faire un geste, c’est bon pour la suite.»
Les shoppeuses sont de fines négociatrices qui savent établir la confiance
avec les marques. Elles nous en font la
démonstration lors de leur virée chez
Tranoï. Ce salon, qui se tient au palais
de la Bourse pendant les fashion weeks à
Paris, est réputé accueillir les designers
les plus pointus du moment. Nadja et
Gabi se fraient un chemin, assurent la
causette, essaient des blousons, photographient et se renseignent. «On
demande ce qui s’est bien vendu. Avec
qui ils travaillent, etc. ça nous dit si une
tendance se dessine.» Des tendances qui
vivent et meurent parfois en quelques
semaines.
porte-feuille de l’ordre de 1 à 1,5 million
de francs (par saison pour tout l’assortiment des G.point) et lui assurer rentabilité. Toutes les semaines, les acheteuses
étudient les courbes des ventes des
G.point. «Si un modèle se vend très bien
à Zurich et pas du tout à Genève, tu déplaces le stock et tu fais un «ville à ville»,
explique Nadja. Lorsqu’il y a une razzia
sur une marchandise, les filles peuvent
jouer la carte du pronto. En revanche,
elle ne sont pas à l’abri d’un flop. C’est
pourquoi, nos deux girls ont ajouté une
arme de plus pour assurer leur publicité:
le blog*. Chaque jour, ou presque, elles
postent des infos mode, annoncent les
nouveautés, publient de petites interviews. Non, décidément, après les avoir
suivies deux jours, on confirme: pas le
temps pour le cactus!
Reportage
Comme à la Bourse
Nadja et Gabi doivent faire avec cette
fugacité de la mode, qui n’est pas sans
rappeler la variabilité des cours. A les
voir évoluer entre les colonnes du palais
de la Bourse, on se dit qu’elles ont des
points communs avec les traders, maniant les chiffons aussi habilement que
les chiffres. Elles aussi doivent gérer un
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* www.myG.point.com
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