analye thème nadja surrealisme

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analye thème nadja surrealisme
Nadja est-elle l'incarnation du surréalisme?
Fer de lance du mouvement littéraire surréaliste français, André Breton est le premier a tenter de
définir ce terme dans son Manifeste du Surréalisme en 1924, en affirmant qu'il s'agit d'un
«Automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit,
soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de
tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.». Il y a
chez Breton une envie de changer la façon de penser des hommes, les libérer des contraintes
économiques et sociales qui les aliènent. C'est assurément dans cette optique de réforme que
l’écrivain ornais va publier quatre ans plus tard une autre référence de la littérature surréaliste, à
savoir: Nadja.
Nadja raconte principalement la rencontre de l'auteur avec une femme éponyme qui le captivera
l'espace de quelques jours seulement, mais qui le modifiera à tout jamais. Cette jeune femme,
réellement connue sous le nom de Léona Delcourt, semble être (de par ses agissements, son
apparence et ses fantasmes) l'incarnation même du surréalisme. Toutefois, est-ce vraiment le cas?
Léona a t-elle vraiment été quelqu'un de surréaliste? Ne serait-ce pas plutôt la vision idéalisée de
Breton qui le pousse à nous livrer une copie faussée (appelée Nadja) de la jeune femme?
Pour pouvoir répondre à ces interrogations, nous allons en premier lieu examiner les
caractéristiques surréalistes de Nadja. Puis nous verrons ce qui peut amener le lecteur à douter du
statut occupé par la jeune lilloise. Et enfin, nous conclurons en vous donnant un avis personnel sur
la question.
Dès sa première rencontre avec Nadja, Breton l'a décrite comme une personnage intriguant et
fascinant, qui semble receler de nombreux mystères. En effet, on peut tout d'abord constater une
dualité et une approximation dans la représentation du personnage. Ainsi, Nadja est «pauvrement
vêtue» mais «va la tête haute», «un sourire imperceptible erre peut-être sur son visage», et elle
possède des yeux fascinants. Breton va par exemple dire qu'elle a des «yeux si noirs pour une
blonde», qu'il y a quelque chose d'«extraordinaire» dans ses yeux, où brille une lueur à la fois
«obscure» et «lumineuse» (p.51-53), ou encore qu'ils ressemblent à des fougères: «J'ai vu...se
fermer» (p.89).
De plus, on ne sais pas grand chose à propos de sa famille ou de son passé, en dehors du fait qu'elle
est originaire de Lille, que ses parents sont toujours vivants et que son meilleur ami s'appelle
«Grand ami» (p.59). Seul son nom, qui désigne «le commencement du mot espérance» en russe,
nous délivre une piste très vague sur ce qui pourrait être sa véritable nature. Le reste est couvert
d'un voile opaque, à tel point que l'écrivain lui-même en vient à lui demander qui elle est
réellement: «Qui êtes-vous?» «Je suis l'âme errante».
Nadja est également une héroïne en perpétuelle changement, ce qui la rend insaisissable. Par
exemple, elle parait subitement métamorphosée le jour de son deuxième rendez-vous avec celui-ci:
«Nadja, arrivée...plus la même» (p.58), elle se dit souffrante au début du récit, avant de se
contredire en affirmant: «Je ne suis pas malade.» (p.69).
La jeune femme semble échapper à toute raison humaine, elle se permet de briser le cycle de la
logique et aller à l'encontre des idées préétablies. Elle nous est d'ailleurs présentée à maintes
reprises comme une personne anticonformiste et marginale. Un «génie libre» s’aventurera même à
dire Breton, qui est alors complètement hypnotisé par celle-ci (de par son adéquation avec les
idéaux surréalistes). En d'autres termes, Nadja est une révolutionnaire qui refuse de se soumettre
aux règles et aux lois de la société. Dans le texte on peut en effet voir que Nadja marche vers
l'auteur à «sens inverse» (p.51) lors de leur première rencontre, qu'elle travaille comme passeuse de
drogue, ou encore qu'elle passe outre les règles vestimentaires de l'époque, notamment en sortant
fortement maquillée en pleine rue: «Est-ce à dire...dans l'autre» (p.53).
La rue et la ville sont également un autre thème qui apparait à plusieurs reprises dans le livre. Il faut
savoir que la ville, et surtout Paris (seule ville où Breton a «l'impression que peut [lui] arriver
quelque chose qui en vaut la peine») qui est vue par les surréalistes comme un échappatoire à
l'ennui que peut susciter une chambre sans vie. La ville est en effet un lieu de rencontres et de
coïncidences, elle permet une ouverture sur l'extérieur qui est souvent associée à la découverte
d'autrui. N'est-ce pas là que Breton a rencontré par «hasard» la jeune Nadja qui va profondément
changer sa vie? Le parcours de la jeune femme est intéressant à analyser, car il nous apprend que
c'est dans des lieux bondés, comme les cafés ou le métro, que la lilloise semble se complaire. Ceux
sont des lieux hermétiquement fermés, mais néanmoins ouverts sur le monde et qui laissent place à
l'imagination. On peut aussi noter que la ville est un enchevêtrement de ruelles étroites où la raison
et les sens se perdent parfois. Ainsi, lorsque Nadja et Breton essayent de se rendre vers un lieu
précis (île Saint-Louis), ils se retrouvent à l'exacte opposé de leur destination.
La ville est donc un lieu propice à la liberté et à l'égarement, où comme l'affirme Nadja, chaque pas
a un sens: «Les pas perdus? Mais il y en a pas.» (p.58).
A travers ses agissements et fantasmes, Nadja semble créer sa propre réalité, son propre monde
surréel où elle-seule fixe les règles. Cette nouvelle dimension est caractérisée par un amas de mots,
de phrases ou de dessins au sens mystique, parfois déroutant et souvent ténébreux. Ainsi, certaines
phrases de la jeune lilloise, entièrement dénuées de cohérence, résonnent encore dans la tête de
Breton, telles que: «La griffe du lion étreint le sein de la vigne», ou «Le rose est mieux que le noir,
mais les deux s'accordent» (p.94). Les dessins ne sont pas en reste non plus, puisqu'à plusieurs
reprises ils sortent totalement du cadre de la logique (Najda modèle son propre univers sans
s'inspirer de ce qui a déjà été fait), et possèdent tous une symbolique distincte. On peut par exemple
citer «le rêve du chat» (p.99), qui représente un «chat» sans visage attaché à une corde, et sur lequel
un poids est suspendu. Faut-il y voir une métaphore de l’enchaînement du genre humain par sa
propre raison? Et que dire du «salut du diable», où Nadja dépeint un diable souriant qui aurait pour
corps une chaussure (oui, j'ai bien dit une chaussure!) et avec en arrière plan une femme étrange
assortie d'un monumental point d’interrogation et d'un intriguant: «Qui est elle?» (p.101)? Dans
«l'âme du blé» la complexité du dessin ne laisse même pas place pour une quelconque ébauche
d'explication, le silence de l'auteur en est d'ailleurs la preuve.
La symbolique imaginaire de Nadja se retrouve aussi à travers diverses créatures mythologiques.
Effectivement, que se soit le Sphinx, la Sirène ou la Méduse, tous trois sont placés sous le signe du
mystère. Le Sphinx renvoie évidement à la créature ailée qui affectionnait les énigmes, la Sirène
attirait à l'aide d'un chant subtil et cabalistique les marins à s'échouer sur le rivage, et la Méduse
quant à elle devait à tout prix cacher son visage sous peine de pétrifier tous ceux qui s'aventuraient à
croiser son regard. Nadja est donc bel est bien un personnage mystérieux et ambiguë qui ne cesse de
se dérober au regard du commun mortel qui continue à vivre aveuglement en se fiant à sa
conscience. Elle parait donc être la véritable incarnation du surréalisme.
Pourtant, tout semble trop parfait, trop beau pour être vrai. Un être présentant un tel décalage avec
le monde réel (tel qu'un individu normal l’aperçoit) peut-il exister?
Considérée comme une muse et un guide spirituel par Breton, Nadja n'est pourtant peut-être pas
l'entité que l'auteur s'efforce de nous décrire. En effet, de nombreux points peuvent remettre en
doute le statut «d'heroïne surréaliste» de la jeune femme. Il semblerait effectivement que la jeune
femme possède plusieurs visages, et qu'elle s'adapte aux volontés de chacun.
Premièrement on peut s’apercevoir que Nadja attire les regards des autres passants, elle avoue avoir
une sorte d'attraction sur bon nombre de personnes, et elle n'est «aucunement surprise» par leurs
réactions: «Elle se connaît...lui parler» (p.80). On constate les même signes d'attirance avec celui
qu'elle appelle «Grand ami». Ayant perdu sa fille, le septuagénaire voit en Nadja la réincarnation de
cette dernière, et n'hésite pas à l'appeler par un autre nom. Nadja parait revêtir un caractère
universel. Un jour elle revêt le masque surréaliste si cher à Breton, le lendemain elle substitue une
jeune fille trop tôt disparue, et encore plus tard elle fait chavirer le cœur et la tête de jeunes garçons
de café. Elle ne semble donc pas être unique, mais propre à chaque personne qui y voit ce qu'elle a
envie d'y voir. D'ailleurs on ne connaît pas le vrai visage de la jeune femme, elle le cache en
permanence, comme c'est le cas sur une de ses cartes postales. Elle se rend aussi chez le coiffeur
pour changer de «tête», se maquille beaucoup, et se compare souvent à Mélusine, femme légendaire
issue du folklore moyenâgeux, dont le nom signifie «merveille» ou «brouillard de mer». Elle
semble donc posséder plusieurs identités différentes, ce qui en fait un personnage énigmatique.
Il est aussi intéressant de noter que Nadja a exercé le métier de prostituée. Elle est donc capable de
mentir, de se donner une autre apparence pour satisfaire les hommes.
Pour conclure, comme nous l'avons vu, Nadja est un personnage complexe et difficile à concevoir à
travers une lecture. Ses faits et gestes, tels que les décrits par Breton, entrent en totale adéquation
avec la pensée surréaliste de l'époque. Cependant sa réticence à se dévoiler pleinement cache peutêtre une femme aux multiples facettes, qui est vue de manière différente par chacun (héroïne
tragique, romantique...), et qui serait symbole «d'espoir» (Nadejda en Russe) et d'idéal.