Rapsodia satanica - Les Rencontres du cinéma italien
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Rapsodia satanica - Les Rencontres du cinéma italien
Rapsodia satanica ciné-concert Réalisation: Nino Oxilia Scénario: Alberto Fassini, d’après le poème de Fausto Maria Martini. Acteurs: Lyda Borelli (Alba), Andrea Habay (Tristano), Ugo Bazzini (Mefisto), Giovanni Cini (Sergio) Les Barbarins Fourchus : Isabel Oed (voix) / Delfino (voix, guitare) / Sergio Zamparo (clavier, sampler) / Touma Guittet (batterie) / Jean Guillaud (violon) / Jean Dutour (contrebasse) / Marc Zuber (voix, tuba, trompette) / Lino Cisilino (percussions) / Techniciens : Vincent Guyot - Lumières / Jean-Michel Herrera - Son / Julien Huraux Plateau, vidéo Rapsodia Satanica est un film en noir et blanc colorisé produit en 1915, chef d’œuvre du cinéma muet italien et première variation cinématographique sur le thème de Faust transposé au féminin. Alba d’Oltrevita est une vieille comtesse qui vit nostalgique de sa jeunesse dans son Château des Illusions. Un jour, elle reçoit la visite du diable qui propose de lui rendre ses vingt ans à condition de renoncer pour toujours à l’amour. Aveuglée par son désir puissant de jeunesse, Alba accepte le contrat diabolique. Redevenue une jeune femme, elle est courtisée par deux frères et cède à son sentiment amoureux. Le pacte est rompu et le diable réapparait... Le réalisateur : Né à Turin en 1889, Nino Oxilia n’a que vingt-deux ans lorsqu’il écrit une tragicomédie sur la vie de bohème des étudiants, Addio, giovinezza ! Un succès qui lui vaut d’être embauché par la société de production Savoia. Il y réalise une douzaine de films entre 1912 et 1913, puis, en 1914 Sang bleu, un mélodrame historique, avant de diriger Rhapsodie satanique 1915. Engagé volontaire, il meurt au combat en 1917 lors de la retraite de Caporetto. Le poète : Né à Rome en 1886, Fausto Maria Martini grandit artistiquement au sein d’un groupe de jeunes poètes dirigé par Sergio Corazzini et écrit ses premiers vers crépusculaires en 1906. Après un voyage aux Etats-Unis, il rentre au pays en 1909 et travaille comme critique théâtral pour La Tribuna. Blessé durant la grande guerre, il devient ensuite romancier (Verginità, 1920) et dramaturge jusqu’à sa mort en 1931. Les musiciens : Depuis 1992, Les Barbarins Fourchus, proposent au public leur regard sur le monde en croisant les expressions artistiques; ils colportent des histoires intemporelles sur des musiques inventives, jamais figées, portant des verbes irréguliers à la poésie farouche. Collectif artistique atypique regroupant une quinzaine d’artistes d’horizons divers, depuis 1992, ils proposent au public une parole singulière, un regard tendre et acide sur le monde au croisement des expressions artistiques : musique, théâtre, vidéo, nouveau cirque, arts plastiques... Revendiquant leur éclectisme à travers des héritages comme Vian, Ferré, Prévert ou Tati, Zavatta, Gréco ou Fellini, Mad Professor, Orson Welles, Fréhel, Talking Heads, Stravinsky ou les Clash, les Barbarins Fourchus s’ancrent depuis quelques années de manière plus affirmée dans la chanson rock teintée d’électro. Le ciné-concert Dans un film muet le spectateur voit une situation animée comme derrière une vitre qui le priverait des sons. Souvent la musique prend le relais de cette absence de son. Elle a de multiples rôles au cinéma en général et dans les films muets en particulier. Elle peut indiquer une ambiance, provoquer le suspens ou une émotion... Parfois un instrument est associé à un personnage ou à une action. Elle peut commenter l'action, donner un rythme, raconter un évènement. Un ciné-concert est un film (muet ou non) accompagné par une musique jouée en direct. L'accompagnement le plus classique et ancien est celui du piano. Le moins couteux aussi... Aujourd'hui s'inventent des nouvelles formes de ciné-concert : avec des orchestres, des groupes de musique d'univers et de genres musicaux très variés. En 1915 une musique fût composée par Pietro Mascagni (1863-1945) pour Rapsodia Satanica. Il s’agissait de la première partition écrite spécifiquement pour un film par un compositeur de renom, et non plus d'un simple accompagnement musical. C'est une partition de musique classique pour orchestre symphonique. En 2009, presque cent ans plus tard, le festival Les Rencontres du cinéma italien de Grenoble a demandé aux Barbarins Fourchus d'inventer un nouvel accompagnement musical pour ce film. Ils inventent, en descendants modernes du boulevard du crime et des fêtes populaires, un ciné-concert teinté d’humour qui va au-delà du simple accompagnement musical et traverse les frontières entre cinéma, musique et théâtre. Analyse du spectacle Rapsodia Satanica est la première variation au féminin du mythe de Faust dans le cinéma. Le pacte avec le diable. La signature du pacte avec une force surnaturelle maléfique, liée au désir de puissance ou à la volonté des humains d’échapper à leur destin ou à leur condition qu’ils estiment médiocre, sans intérêt. La façon d'évoquer l'omniprésence du diable. Choisit-il sa proie ? Le secret qui lie celui qui a signé le pacte et comment cela influe sur son comportement. Un secret lourd à porter et qui met en danger les autres et soi-même. Les éléments métaphoriques qui évoquent les forces obscures, le chat, le miroir, l’horloge, le bal masqué, les saisons .. Le désir d'éternelle jeunesse. Et le parallèle que l'on peut faire avec notre société. La chirurgie plastique, le fait de rejeter la vieillesse. Le texte de Marlowe utilisé dans le ciné-concert est un extrait de La tragédie du docteur Faust. C'est la formule magique en latin pour convoquer le diable. Une des particularités de ce ciné-concert sont les textes qu'on entend. La traduction en français des intertitres italiens n'est pas systématique, la compréhension du récit se fait aussi par d'autres textes. Des extraits du poème de Fausto Maria Martini qui est à l'origine du scénario, en italien ou traduits en français. Les Barbarins ont inventé les dialogues de certaines scènes comme un deuxième degré et ajouté des extraits de textes d'autres auteurs comme William Blake Le Mariage du Ciel et de l'Enfer ou Christopher Marlowe La Tragique Histoire du docteur Faust. Les textes écrits par Delfino, le chanteur des Barbarins dont, par exemple, une chanson qui figure maintenant sur leur dernier album «Méchant Amour». La grande variété des façons de faire entendre les mots accompagne l'éclectisme des musiques. Beaucoup sont parlés ou parléchantés et il y a bien sûr aussi des chants. Les textes sont portés en direct. Pour les dialogues, l'exercice est celui du doublage. Les morceaux composés par les Barbarins Fourchus suivent les images et l’histoire du film. Ils ont inventé une ambiance musicale qui est conduite par le film et ses tempos, mais aussi introduit des éléments d'aujourd'hui. Dans l'esprit musical des Barbarins Fourchus, les compositions du ciné-concert suivent un chemin musical éclectique. Le film permet cette fusion de différents styles car les ambiances y sont très expressives : mélancoliques, enjouées, tristes, comiques, menaçantes... tendues vers la résolution de l’histoire. Le spectacle s'ouvre avec un morceau sur lequel est dit un texte en direct et qui introduit le film avec un rappel historique, suivi d'un autre qu'on peut qualifier de classique contemporain. C'est une mélodie au violon qui se superpose à l'apparition du Diable. Commence alors un dub qui suit la tension de la signature du pacte, pour arriver à une sorte de tango, qui en a le caractère mais pas la rythmique et qui accompagne les images de fêtes, de farandole... Les sons, ils sont multiples: il y a ceux qui imitent les bruits du film, les bruitages (par exemple, un grincement de porte). Puis ceux qui deviennent de la musique (par exemple, le tic tac d'une horloge). Et surtout, il y a ceux qui évoquent des sons réels mais ne se superposent pas aux actions, ou ceux qui déforment le bruit véritable. Un décalage amené par petites touches ou avec un verre grossissant qui provoque un nouveau rapport aux images. L'écran du film est placé en biais dans l'espace et sur son côté se tient le groupe. Deux scènes sont alors visibles, celle des musiciens et comédiens et celle du film. La lumière de la scène interfère avec celle du film : L'éclairage de l'espace s'inspire du film, de ses couleurs (c'est un film noir et blanc colorisé !), de ses ambiances et des objets présents dans le film : par exemple les miroirs et leurs reflets chatoyants, comme ceux de l'eau des fontaines. Cette nouvelle lumière ouvre un espace plus grand que celui du film. Elle fait déborder l'espace du film sur la scène et entrer le film dans l'espace de représentation. Elle soutient alors un mouvement de l'un vers l'autre, de la scène vers le film et inversement. Les choses se déroulent en parallèle ou en prolongement. Ce rapport d'échange avec le film est présent dans tous les choix scéniques : La présence des musiciens et comédiens sur scène, le choix des costumes, des postures, des actions. La présence d'objets et de décors. Le premier âge d’or du cinéma italien. En Italie le cinéma arrive très tôt : dès 1886 des salles sont ouvertes et, à partir de 1903, se constituent des maisons de production. L'Italie est en effet le premier pays capable de mettre en place une véritable industrie du cinéma bien avant la France et les États-Unis. Les critiques expliquent cela par le besoin commun aux différentes classes sociales italiennes de créer, à travers le septième art, l'esprit d'une nation qui vient juste de s'unifier (1861). En particulier, la Cines, productrice de Rapsodia Satanica, est la promotrice d'une nouvelle forme cinématographique qui répond à cette exigence nationale. Etablie à Rome en 1905, elle investit dans la réalisation de films historiques, qui célèbrent, de façon directe ou par le biais de la métaphore de l'antiquité romaine, la naissance de la nation italienne. Ce genre de film marque aussi un tournant du point de vue technique. Les nécessités narratives ont une conséquence sur la durée du film : en Italie naissent ainsi le premiers longs métrages. Le genre historique favorise en ce sens le passage du "cinéma des attractions" au "cinéma narratif", où l'histoire l'emporte sur les aspects spectaculaires. L'apogé et le tournant de ce premier âge d'or du cinéma italien est représenté par le « kolossal » Cabiria, chef-d’œuvre incontesté de la cinématographique italienne des années 10. Ce film marque la transition entre la grandeur des visions (cinéma des attractions) et l’importance d’une trame complexe fondée sur l'histoire romaine (cinéma narratif). Dans Cabiria l’effort productif se perçoit surtout dans la qualité et les aspects novateurs du film sont multiples. Les didascalies sont confiées au principal poète italien de l’époque, Gabriele D’annunzio ; les scénographies sont fastueuses, les effets spéciaux innovants. Le réalisateur, Giovanni Pastrone, est aussi l’inventeur du chariot, instrument qui permet de passer du cadrage fixe aux mouvements de machine (travellings), qui dynamisent le déroulement des actions à l’intérieur de la même scène. Par ailleurs, la fragmentation des séquences narratives permet le développement du montage et de son langage spécifique au cinéma. Des expériences de ce genre avaient été déjà effectuées par Georges Méliès, mais la finalité était toujours la stupeur du public et le trucage : ici, pour la première fois, les nouvelles techniques sont mises également au service de la narration. Cabiria eut un énorme succès dans le monde : on trouve des références dans Metropolis de Fritz Lang et dans les films de David Griffith. En parallèle des films historiques, l'Italie voit aussi la naissance du « divisme ». Les actrices italiennes, s’inspirant des "Vamps" (femmesvampires scandinaves) et de la sensualité des courbes du style Liberty (autrement dit de l’Art Nouveau), interprètent des films hauts en couleurs, où les héroïnes vivent des drames amoureux plus ou moins morbides. Ce genre de film puise souvent son inspiration dans la littérature. Le « divisme » est un phénomène d’énorme importance par la suite, en particulier pour le succès de l’industrie cinématographique américaine des années 20. Rapsodia Satanica englobe certains des éléments cités ci-dessus. Du point de vue technique le mouvement de camera est absent et Oxilia reste sur la forme plus traditionnelle des plans fixes. Néanmoins, on peut repérer dans certaines scènes une force expressionniste qui a des liens incontestables avec les avant-gardes futuristes, dont le premier film vit le jour en 1916. La protagoniste est Lyda Borelli : inauguratrice de la saison du « divisme » en 1913, elle fut, avec Francesca Bertini, la plus importante actrice du cinéma italien. Comme pour Cabiria, le scénario et les didascalies s’inspirent de l'œuvre d'un poète, Fausto Maria Martini. La musique fut composée par Pietro Mascagni, un des musiciens les plus représentatifs de l'époque. Dans les années 10, on le sait bien, les films étaient en noir et blanc. Néanmoins, deux techniques existaient pour donner de la couleur aux films. La première est celle de la teinture : la pellicule entière est "imbibée" de produits chimiques, qui peuvent la colorier en jaune, rouge, vert, bleu... La deuxième technique est celle du coloriage proprement dit : des artisans spécialisés (souvent des femmes) posaient de la couleur directement sur la pellicule, en relevant des détails précis, parfois à l'aide de minuscules pochoirs. Ce travail minutieux, demandait beaucoup de temps et de soin : il faut tenir compte du fait que dans le cas de Rapsodia Satanica (qui contient 18 photogrammes par seconde au lieu de 24) une seule petite minute de film correspond en effet à 21 mètres de pellicule ! La version colorée de Rapsodia Satanica que nous avons le plaisir de vous présenter, est longue de plus de 800 mètres. Cette pellicule, cas assez rare, a fait l'objet de coloriages et de teintures en même temps, ce qui démontre l'effort créatif et technique de ses réalisateurs. Les magnifiques couleurs ont été restaurées récemment et ont rendu au film la force expressive et le charme précieux qu'on croyait désormais perdu. Le crépuscule de la raison Né à Rome en 1886, Fausto Maria Martini grandit artistiquement au sein d’un groupe de jeunes poètes dirigé par Sergio Corazzini, nommés "crépusculaires". Le mouvement crépusculaire peut être considéré comme un dérivé du plus grand mouvement européen de la "décadence". Si en français le terme indique un groupe d'œuvres et de poètes relativement circonscrit (le roman A rebours de Huysmans en est l'exemple le plus représentatif) en Italie il est souvent utilisé pour définir un esprit de fin de siècle caractérisé par l'écroulement des valeurs du positivisme et par le manque de confiance dans la raison et dans le progrès. En ce sens, le décadentisme embrasse donc différents courants littéraires qui se sont ème développés entre la fin du XIX siècle et le ème début du XX , dont le symbolisme et le crépuscularisme. Ce mouvement décadent puise en effet les mêmes racines dans le déclin de la raison mais il trouve des issues très différentes dans ses résultats poétiques. Le symbolisme, par exemple, laisse beaucoup de place à l'intuition et à la supériorité du poète par rapport aux autres. Le roman italien du début du XXe siècle (Italo Svevo, Luigi Pirandello), influencé par les nouvelles théories de Freud, se concentre plutôt sur les conséquences psychologiques de la décadence des valeurs, en créant des héros inadaptés à la vie. Mais les héros décadents peuvent aussi se pencher sur l'esthétisme le plus poussé : décadente est la figure du dandy. Le crépuscularisme, qui se développe dans les deux premières décennies du XXe siècle, repousse l'idée d'un poète supérieur aux autres ainsi que le style de vie débauché revendiqué par les esthètes. Les traits communs aux différents auteurs de ce groupe sont le sentiment de profonde tristesse, le besoin de consolation et le repli sur soi-même, qui se traduisent dans des vers en demi-teintes. A la rhétorique de l'emphase, ces poètes opposent celle de la simplicité, voire de la banalité. Dans leurs poèmes apparaissent le lexique et les objets de la quotidienneté : fleurs, rues, petites église, tout ce qui reste en marge du battement infernal d'une vie devenue désormais incompréhensible par la raison. Le résultat est une poésie profondément intime et mélancolique. Par rapport à ce que l'on a décrit jusqu'ici, Rapsodia Satanica apparait comme une exception dans l'œuvre de Fausto Maria Martini. Dans le poème qui a inspiré le film et ses didascalies, Martini décrit l'intimité d'Alba d’Oltrevita à travers des images très codées qui relèvent du symbolisme et du romanticisme : le miroir, Cupidon, le sang et, en général, les correspondances (par exemple entre les saisons et les sentiments). Alba, par sa cruauté envers les deux frères et par sa langueur oisive, renvoie plus à la figure du dandy, sans morale et voué aux plaisirs terrestres, qu’à celle du poète crépusculaire, si timide et soumis. Nous ne savons pas exactement pourquoi Martini décide de changer ainsi de son registre habituel, mais nous pouvons imaginer que l'écrivain s'est simplement adapté aux besoins d'un langage cinématographique (voir le cinéma italien muet des années 10) qui exige des histoires bien plus sombres et envoutantes que celles des poèmes crépusculaires. Après un voyage aux Etats-Unis, Martini rentre au pays en 1909 et travaille comme critique théâtral pour La Tribuna. Mutilé durant la grande guerre, il devient ensuite romancier (Verginità, 1920) et dramaturge jusqu’à sa mort en 1931.