Laurent Citti: l`homme flexible

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Laurent Citti: l`homme flexible
Laurent Citti: l’homme flexible
Physicien, universitaire, il a traversé le monde de la haute administration pour
passer dans l’entreprise où il a tenu successivement des fonctions de pilotage
de la recherche (centre de Marcoussis) puis de direction générale dans le
groupe Alcatel. Toujours impliqué dans le monde de la formation (Président
du CA de l’ENSTA, membre du CA de l’UTC), il entame aujourd’hui avec le
sourire d’un homme qui sait se faire plaisir, une carrière de scénariste. Après
quelques échanges, nous sommes partis de l’obligation impérieuse de
flexibilité:
• Un maître-mot: la flexibilité au sens large
C’est au départ un lieu commun que de dire qu’il y a aujourd’hui une
exigence nouvelle de flexibilité des entreprises vis-à-vis des ingénieurs (et
d’ailleurs des cadres en général).
Il s’agit, tout simplement si l’on peut dire, de la conséquence qu’il faut tirer de
l’existence d’un environnement en évolution de plus en plus rapide et parfois
même chaotique.
Mais le terme de flexibilité doit être replacé dans un vision plus large de
capacité effective d’adaptation
- à la variété des tâches proposées,
- à des contextes sociaux et humains divers,
- à une mobilité géographique.
Même s’il reste dans la même entreprise, l’ingénieur devra se préparer à un
parcours d’une grande variabilité, qui le conduira à exercer en fonction des
circonstances et naturellement des opportunités qui s’ouvriront à lui, des
tâches de conception, d’études et recherche, de développement, de
production, voire même de commercial ou de marketing.
Je vois ainsi fondamentalement l’ingénieur comme un homme flexible, apte
à exercer ses talents dans les contextes les plus variés.
Peut-on alors trouver une forme de logique dans cette mobilité, qui va se
renforcer?
L’avenir des ingénieurs à l’orée du troisième millénaire - 4 janvier, 2002 - page 56
• Une logique de cycle
Il me semble que le fil directeur qui peut guider l’évolution de carrière de
l’ingénieur est celui du produit. Je vois l’ingénieur de recherchedéveloppement passer à la production, puis se trouver en contact avec la
clientèle avant de s’interroger dans une équipe marketing sur le rapport
marché-produit. L’ingénieur doit être non seulement capable de concevoir et
de mettre en forme, mais également de saisir les besoins et leurs évolutions, au
point de pouvoir même anticiper et même le cas échéant créer le besoin par
une offre appropriée.
Je vois un énorme avantage à ce que l’ingénieur s’implique dans cette
démarche marketing, pour ensuite revenir vers l’amont et orienter son travail
de conception.
Je ressens très simplement le principe de flexibilité comme lié à la dynamique
de ce cycle.
• Un abonnement à vie à l’école
Faut-il parler de la formation des ingénieurs? Je dirais oui; alors même que
votre champ d’intérêt s’est placé sans ambiguïté dans le champ de la
carrière. L’effort de formation d’un jeune ingénieur diplômé n’est pas en effet
derrière lui mais devant lui.
Ce constat prend la dimension d’un véritable enjeu si l’on observe que le
jeune ingénieur est pratiquement laissé à lui-même pour prendre en main sa
formation, pour gérer en d’autres termes sa capacité à être flexible.
Les écoles ont à cet égard une réelle responsabilité.
Elles doivent convaincre leurs élèves de l’importance qu’aura pour eux, la
conduite de leur propre formation, en fonction plus des besoins à venir que
des besoins présents. Seul cet investissement permettra à chaque individu
d’assurer sa capacité à bien garder sa place.
• Un meneur d’équipe
Au-delà de cet effort sur les compétences, il faut évoquer l’aptitude à exercer
un leadership, à conduire une équipe. Celle-ci passe par des qualités de
persuasion, de clarté de communication et même de charisme, qui sont
indispensables pour tout ingénieur auquel est confiée une responsabilité.
Ce que je qualifierai de flexibilité sociale passe par un apprentissage, qui doit
débuter à l’Ecole et se poursuivre au sein de l’entreprise. Je ne suis pas
toujours certain que cela soit toujours le cas.....
L’avenir des ingénieurs à l’orée du troisième millénaire - 4 janvier, 2002 - page 57
Une autre approche peut être sur les plans précédents de la formation de
s’appuyer sur les associations d’anciens élèves.
• Une recommandation aux mouvements associatifs
On doit souhaiter que les associations d’anciens se sentent investies d’une
mission de sensibilisation, sinon d’aide pour rappeler à leurs membres tout ce
qui doit être fait pour améliorer la flexibilité.
• Une nouvelle conception du rôle de l’entreprise
Toutes ces réflexions doivent être mises en perspective par rapport à
l’évolution des entreprises. On perçoit en effet un mouvement, qui favorise
l’émergence d’entreprises- squelettes, où tout est sous-traité. Cette situation
de plus en plus courante, démontre qu’il est aujourd’hui possible, pour un
métier déterminé, d’éclater une activité en composantes séparées et d’ouvrir
la voie à une sous-traitance efficace, sans que soit révélée la stratégie sousjacente et les secrets du coeur de métier.
Cette modification radicale du concept d’entreprise pour le métier
d’ingénieur se traduira par la recherche d’individus ayant un profil particulier,
bien adapté à la maîtrise de ce type d’exercice. Ces «nouveaux» systémiers
devront être capables de disséquer les problèmes, de bien savoir choisir les
aspects susceptibles d’être sous-traités sans trop grand risque pour l’entreprise
et de savoir le moment venu réintégrer les éléments sous-traités.
Tout ce qui tourne autour de la sécurité des systèmes et de la mise en place
d’un contrôle de la sous-traitance prendra de ce fait une place de plus en
plus cruciale dans le métier d’ingénieur.
• Une nouvelle réalité industrielle
Si les sociétés de service se sont multipliées ces dernières années en
confirmant la force du phénomène de l’externalisation, il est difficile de les
considérer comme la perspective normale d’emploi du jeune ingénieur. Et si,
suivant le maître-mot de flexibilité, l’ingénieur se doit de devenir un individu
multi-compétences; sa mobilité (entreprises, domaines, cultures...) doit être
«entretenue» tout au long de sa vie.
Je doute que les sociétés de service prises par elles-mêmes répondent à cette
attente.
On peut par contre avancer une autre thèse, en observant la cohabitation
nouvelle entre des industriels et des sociétés qui fabriquent de l’image ou de
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«l’immatériel». Il est raisonnable de penser qu’il n’y aura probablement plus de
frontière demain entre ces deux types d’entreprises.
Les sociétés choisiront probablement de travailler par domaines d’action,
fournissant à la fois contenant et contenu, sur des marchés qui déborderont
totalement des frontières nationales et même des continents.
Parce qu’il constate qu’il peut se déjà connecter avec n’importe quelle
personne dans le monde selon ses centres d’intérêts professionnels et privés,
l’ingénieur, comme beaucoup d’autres individus, a pris conscience d’être
autant citoyen du monde que citoyen de sa région. L’ingénieur intériorisera
de plus en plus cette dimension et se fera ainsi à une autre forme de flexibilité
portant cette fois sur les lieux et sur les cultures, faisant éclater par là la notion
même de nation.
Mais cette flexibilité de l’ingénieur-citoyen, sera aussi celle des entreprises, qui
auront désormais à repenser leurs choix d’activité et d’accepter un lien
nouveau entre contenant lié à la technique et contenu relevant de la
création.
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