texte Claude BRIAND - Exposition ESPE Vannes, 2015
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texte Claude BRIAND - Exposition ESPE Vannes, 2015
Claude BRIAND-PICARD UN PARCOURS La galerie de l'ESPE de Bretagne du site de Vannes est un lieu de rencontre avec les œuvres, mais aussi de compréhension de l'originalité de la pensée artistique. Chaque artiste est invité à présenter différents moments de sa démarche de création. Claude Briand-Picard a répondu favorablement à la proposition en exposant un parcours balisé par des œuvres des années 70 jusqu'aux plus récentes. Il nous offre ainsi la possibilité de décrypter une pensée plastique et artistique, située dans une époque. Nous découvrons en premier lieu un ensemble de pièces aux couleurs éclatantes, fluorescentes, commerciales parfois. Les œuvres s'imposent par la fermeté de leur part pris et dialoguent entre elles malgré leur grande diversité formelle : de la toile traditionnelle montée sur châssis (Sans titre, 1976) aux formes circulaires, concaves (Calice, 2004) ou en relief (Cadeau, 2015), de la géométrie d'un quadrilatère irrégulier (Abricot, 1992) à la matière informe d'un drapé majestueux (Manteau, 2010-2014). L'expérience sensorielle s'attache à la couleur dans toute sa richesse. Elle se révèle par son intensité, par le raffinement de sa transparence ou par les variations infinies de sa texture. L'expérience esthétique va plus loin, quand nous prenons conscience des relations avec l'histoire de la peinture. Les préoccupations de l'artiste sont celles de la peinture dite abstraite, celle du tableau dans sa matérialité et dans ses procédures d'engendrement. Une œuvre de 1976 confronte un aplat bleu persan à une étendue parcourue de traces gestuelles, d'un blanc laiteux et translucide. Le geste est là, mais il nous parle moins de l’artiste que des possibles de la peinture. Plus tard, en 1998, le triptyque L’île Tascon ne suggère plus une partition, mais la réalise concrètement par assemblage de châssis ; la transparence n'est plus imitée par les qualités de la couleur, mais elle existe littéralement grâce au recouvrement de matériaux translucides. Le peintre a abandonné les outils, les médiums, les supports et les procédures de la peinture traditionnelle pour explorer la couleur dans l'environnement quotidien. Son regard sur les objets en fait de potentiels matériaux de l'œuvre. Un houlà houp découpé, une éponge, un sac d’emballage découpé en lamelle, une fleur artificielle, des objets collectés battissent un espace vivant, qui se libère du mur pour construire des micro-mondes autonomes, qui semblent néanmoins nous parler de caractéristiques significatives de la réalité. L’artiste transmute le vil plastique en noble filament. Le sac plastique, matière synthétique qui sature notre paysage, s’avère être malléable et transformable à l’infini. Il a cette double propriété de rester dans un plan bidimensionnel et de se gonfler pour devenir un contenant. Objet non artistique a priori, il est regardé différemment quand il irrigue de couleur et dessine des réseaux de lignes qui guident le regard à travers l’infra-mince de la surface. Il conserve aussi la mémoire de la consommation. Chaque série est organisée selon un protocole1 avec un matériau et une règle d’agencement. Chaque œuvre résulte de cette règle qui, paradoxalement, autorise l’inattendu. L'artiste est trop joueur pour s’astreindre à une règle systématique, l’imprévisible surgit d’agencement de couleurs et de textures, lisses, filamenteuse, froissées, bosselée. De nouveaux protocoles surgissent et caractérisent une pensée plastique foisonnante. Dans les dernières œuvres, le modèle générateur semble organique. L’œuvre croit d’elle-même jusqu’à sa maturité, jusqu’à ce que l’artiste la lui reconnaisse. De grands disques se boursouflent, se gonfle, se fripent. Nous sommes saisis par cette peau, cette mue géante. Les protocoles rigoureux des débuts ont engendré semble-t-il une fable secrète que le spectateur réinvente. Des éléments disjoints sont réunis et forment par agrégation un véritable cosmos2 en mouvement. Nelson Goodman, philosophe de l’art, a ouvert le regard sur les productions artistiques, en renonçant à définir l’art, mais en revanche en posant la question : « quand y a-t-il art. ? » Il défend que la science et l’art font tous deux le monde : « Nos mondes ne sont pas plus hérités des scientifiques, biographes et historiens que des romanciers, dramaturges et peintres ». Claude Briand-Picard participe à notre construction du monde, qui se trouve transformée par l'expérience esthétique qu'il propose. André Scherb, 2015. Exposition du 5 novembre au 18 décembre 2015 GALERIE D'ART CONTEMPORAIN DE L'ESPE DE BRETAGNE 32 AVENUE ROOSEVELT – 56000 VANNES – 02 97 63 09 27 1 2 Scherb, A. La fable et le protocole, Paris, L'Harmattan, 2012. Du grec kosmos : ordre, bon ordre, parure².