Le triomphe du - Pierre
Transcription
Le triomphe du - Pierre
RD e s i g n Jamais nos architectes d’intérieur n’ont été autant plébiscités. Caution chic inégalée, mélange d’épure et de culture, le style français s’impose plus que jamais à l’international. LE CHIC SENSUEL Le triomphe du French décor C onnaissez-vous les derniers it de la saison ? Avoir une paire de mocassins Céline à damier noir et blanc, une minaudière néosurréaliste d’Olympia Le-Tan et un appartement aménagé par un décorateur… français. Pardon, un French décorateur. La jet-set internationale s’arrache les services des architectes d’intérieur parisiens, nouvelle et ancienne générations confondues. Pierre-Yves Rochon, l’une des signatures des hôtels Four Seasons 190 ● 9/11/2011 et Sofitel, emploie 35 personnes dans son agence à Paris et 21 dans celle de Chicago, qu’il a ouverte en 2008. Jacques Grange passe en ce moment son temps entre Londres, Lima et New York, où il a dernièrement relifté le Mark Hotel, palace Art déco sur Madison Avenue. Le duo Gilles & Boissier sont les chouchous de Remo Ruffini (patron de Moncler, qui les a choisis pour ses boutiques et sa maison donnant sur le lac de Côme) et des restaurants Hakkasan, de Miami à Abu Dhabi. Sybille de Margerie vient, elle, de livrer le premier hôtel parisien de la chaîne hongkongaise Mandarin Oriental et NE LE SENS DE LA LIG ISTÉ LE CLASSIQUE TW YANNICK LABROUSSE - FABRICE RAMBERT - LUX PRODUCTIONS ateur de mettre la dernière touche à l’Old Cataract, palace mythique d’Assouan, en Egypte. Et, comme la plupart de ses confrères, ses clients sont à 80 % des étrangers. « Faire appel à un décorateur français représente encore un aesthetic symbol, une garantie de chic et d’élégance, observe le journaliste britannique Ian Phillips, auteur des Nouveaux Intérieurs parisiens (Taschen). La France est le pays qui possède la tradition des arts décoratifs la plus forte. La mondialisation a renforcé cette spécificité. » Le style français, avec son héritage de culture et de références, ravit ceux qui sont moins à la A g., espace créé par les architectes Buttazzoni & Associés pour l’exposition Le Style français, organisée par AD chez Artcurial, en 2010. Au centre, un bar de l’hôtel Old Cataract, à Assouan (Egypte), signé Sybille de Margerie. Ci-dessus, un appartement parisien décoré par Pierre Yovanovitch. recherche d’un total look que d’un esprit. « Du summum de Versailles à la période Art déco, les Français ont toujours dominé le monde de la décoration », affirme Christian Liaigre, qui réalise actuellement un palais moderne à New Delhi et plusieurs résidences privées au Japon et à Saint-Pétersbourg. La définition du style français de cet architecte d’intérieur, l’une des signatures les plus chics du milieu ? « Un style irrévérencieux, mais respectueux des traditions artisanales, comme celui que je développe, loin du design “look at me”. » Comprenez bling-bling. Aux Anglais, l’excentricité. Aux Italiens, ●●● 9/11/2011 ● 191 Le triomphe du French décorateur L’hôtel Distrito Capital, à Mexico, décoré par Joseph Dirand. la tradition. Aux Français, l’harmonie. Ces derniers excellent dans un subtil équilibre entre classicisme et modernité. Deux générations cohabitent ici sans se faire d’ombre. D’un côté, les seniors − Jacques Grange, François-Joseph Graf, Pierre-Yves Rochon, Jacques Garcia − cultivent un style historique, inspiré des grands décors et des ensembliers des XVIIIe et XIXe siècles. De l’autre, les quadras − une majorité d’hommes, très dandys, mais aussi quelques femmes − recherchent une sorte de « radicalisme sensuel », explique Marie Kalt, rédactrice en chef d’AD France, qui organisait, en 2010, pour les 10 ans du magazine, une grande exposition chez Artcurial sur le « style français ». L’occasion de se rendre compte qu’il n’existe ●●● « Le style français, ce n’est pas tant un décor qu’une passion du savoirfaire » Joseph Dirand pas une école française, mais une culture commune nourrie d’influences multiples. Même si l’Art déco et le modernisme (JeanMichel Frank, Pierre Chareau) continuent d’inspirer la plupart des créateurs, beaucoup cherchent à mixer les genres afin de sortir de l’éternel bon goût qui leur colle à la peau. Quelques-uns, comme India Mahdavi ou Laurent Buttazzoni, osent la couleur dans un esprit pop. D’autres cassent les lignes et les ensembles. « Tout ne doit pas être parfait dans un décor. Pour donner de l’esprit à un lieu, il faut qu’il y ait toujours quelque chose en dysharmonie. J’aime rompre les droites rigoureuses avec des plafonds arrondis ou des escaliers en ellipse », raconte Pierre Yovanovitch, ancien assistant de Pierre Cardin, reconnu pour ses décors épurés dans lesquels se mélangent design suédois en hêtre des années 1950 et pièces contemporaines de galerie. Les collectionneurs d’art, américains notamment, en raffolent. « Ces derniers ont longtemps voulu des décors spectaculaires, assez imposants ; aujourd’hui, ils ont une démarche plus subtile, plus intello », remarque-t-il. 192 ● 9/11/2011 E L’ESPRIT MODERN Une chose est sûre : la Grosse Pomme continue d’être l’un des lieux d’adoration du style français. « Les Américains avaient déjà été les premiers à faire confiance à Andrée Putman pour le concept des boutiqueshôtels au début des années 1980, notre expertise y reste inégalée », souligne Joseph Dirand, 37 ans. Ce dernier vient de signer la réouverture de la maison Balmain dans un hôtel particulier parisien et s’apprête à inaugurer la première boutique du styliste américain d’origine taïwanaise Alexander Wang, à Pékin. Dans le même temps, il pilote des projets de résidences privées au Caire, à Beyrouth, à Tel-Aviv, à Londres… Sa touche ? Son travail perfectionniste, au plus près des artisans, pour obtenir « une vérité absolue des choses ». Ses clients se régalent de sa passion du savoir-faire. Dans chacun de ses chantiers, ébénistes, doreurs, peintres, ferronniers, marbriers et brodeurs sont mis à contribution pour donner le meilleur. Tout est dessiné sur mesure, des crémones aux poignées de porte en passant par les interrupteurs. La plupart des meubles aussi. Seules sont tolérées quelques Le mix des influences, chez Artcurial par François-Joseph Graf. « Contrairement aux Italiens, les Français savent transgresser la tradition » RITAGE LA CULTURE EN HÉ pièces cultes comme l’ours polaire, le fameux canapé en demi-cercle dessiné dans les années 1940 par Jean Royère. Qu’ils soient remixés à la sauce chinoise ou mexicaine, les intérieurs de Joseph Dirand exhalent un parfum de made in Paris. Donc de haute couture et d’art de vivre. « Un lieu est réussi quand il y règne un soupçon de dysharmonie » Pierre Yovanovitch C’est l’un des leitmotivs de Sybille de Margerie, devenue en quelques années la spécialiste des hôtels de luxe. Elle porte en elle l’ADN du chic français et le raconte sans tabou : « Ma famille a longtemps été propriétaire d’un des plus beaux lieux de Paris, l’hôtel de Crillon. J’ai eu la chance de grandir dans l’atmosphère de ces endroits si particuliers où la qualité du service et le savoirfaire comptent tant. » L’architecte d’intérieur cherche aujourd’hui à transgresser la tradition en osant la couleur et des touches girly, qui ne sont pas du goût de tous. Reste que, pour ses clients étrangers, elle incarne l’archétype de la Parisienne, avec son sens inné de l’élégance. Les décorateurs exportent leurs talents, et avec eux le savoir-faire des plus grandes marque, qui n’hésitent pas à rappeler leurs (nobles) origines. « Paris n’a pas perdu son pouvoir de fascination ; au contraire, elle n’a jamais autant été perçue comme la Ville lumière », pointe Anne Schumacher, directrice de la communication de l’orfèvre Christofle, qui a ajouté, en 2007, le sous-titre « Paris » à sa signature… Comme un poinçon sur le poinçon. Un nouveau flagship de la marque s’apprête à ouvrir à New York. Avec, aux commandes, un French décorateur, of course ! Le cristallier Baccarat, autre référence internationale, prévoit en 2014, à l’occasion de ses 250 ans, l’ouverture d’un hôtel estampillé Baccarat. « Un vrai lieu, comprenant un restaurant, un bar, une boutique, pour permettre à nos clients de partager une vraie expérience de la marque, celle de l’art de vivre français, avec son sens du luxe discret », explique Markus Lampe, directeur général de la maison. Malgré la crise, celle-ci ne cesse de voir grossir son carnet de commandes spéciales. Dernières en date, plusieurs milliers de pièces d’art de la table personnalisées avec les armoiries d’une grande famille ; et un lustre de 300 kilos et de plus de 3 000 pièces de cristal pour l’ambassade de France, à Pékin. De quoi continuer à faire briller, encore quelques années, le French art de vivre. ● Marion Vignal ADRIEN DIRAND - YANNICK LABROUSSE - DR - LUX PRODUCTIONS Sybille de Margerie 9/11/2011 ● 193