Le triomphe du - Pierre

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Le triomphe du - Pierre
RD e s i g n
Jamais nos architectes
d’intérieur n’ont été autant
plébiscités. Caution chic
inégalée, mélange d’épure
et de culture, le style français
s’impose plus que jamais
à l’international.
LE CHIC SENSUEL
Le triomphe du
French décor
C
onnaissez-vous les derniers it de la saison ?
Avoir une paire de mocassins Céline à damier
noir et blanc, une minaudière néosurréaliste
d’Olympia Le-Tan et un
appartement aménagé
par un décorateur… français. Pardon, un
French décorateur. La jet-set internationale
s’arrache les services des architectes d’intérieur parisiens, nouvelle et ancienne générations confondues. Pierre-Yves Rochon,
l’une des signatures des hôtels Four Seasons
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et Sofitel, emploie 35 personnes dans son
agence à Paris et 21 dans celle de Chicago,
qu’il a ouverte en 2008. Jacques Grange passe
en ce moment son temps entre Londres,
Lima et New York, où il a dernièrement
relifté le Mark Hotel, palace Art déco sur
Madison Avenue. Le duo Gilles & Boissier
sont les chouchous de Remo Ruffini (patron
de Moncler, qui les a choisis pour ses boutiques et sa maison donnant sur le lac de
Côme) et des restaurants Hakkasan, de
Miami à Abu Dhabi. Sybille de Margerie vient,
elle, de livrer le premier hôtel parisien de la
chaîne hongkongaise Mandarin Oriental et
NE
LE SENS DE LA LIG
ISTÉ
LE CLASSIQUE TW
YANNICK LABROUSSE - FABRICE RAMBERT - LUX PRODUCTIONS
ateur
de mettre la dernière touche à l’Old Cataract,
palace mythique d’Assouan, en Egypte. Et,
comme la plupart de ses confrères, ses clients
sont à 80 % des étrangers.
« Faire appel à un décorateur français
représente encore un aesthetic symbol, une
garantie de chic et d’élégance, observe le
journaliste britannique Ian Phillips, auteur
des Nouveaux Intérieurs parisiens (Taschen).
La France est le pays qui possède la tradition
des arts décoratifs la plus forte. La mondialisation a renforcé cette spécificité. » Le style
français, avec son héritage de culture et de
références, ravit ceux qui sont moins à la
A g., espace créé par les architectes
Buttazzoni & Associés pour l’exposition
Le Style français, organisée par AD
chez Artcurial, en 2010. Au centre, un
bar de l’hôtel Old Cataract, à Assouan
(Egypte), signé Sybille de Margerie.
Ci-dessus, un appartement parisien
décoré par Pierre Yovanovitch.
recherche d’un total look que d’un esprit.
« Du summum de Versailles à la période Art
déco, les Français ont toujours dominé le
monde de la décoration », affirme Christian
Liaigre, qui réalise actuellement un palais
moderne à New Delhi et plusieurs résidences
privées au Japon et à Saint-Pétersbourg. La
définition du style français de cet architecte
d’intérieur, l’une des signatures les plus chics
du milieu ? « Un style irrévérencieux, mais
respectueux des traditions artisanales,
comme celui que je développe, loin du
design “look at me”. » Comprenez bling-bling.
Aux Anglais, l’excentricité. Aux Italiens, ●●●
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Le triomphe du
French décorateur
L’hôtel Distrito Capital, à Mexico,
décoré par Joseph Dirand.
la tradition. Aux Français, l’harmonie. Ces
derniers excellent dans un subtil équilibre
entre classicisme et modernité. Deux générations cohabitent ici sans se faire d’ombre.
D’un côté, les seniors − Jacques Grange,
François-Joseph Graf, Pierre-Yves Rochon,
Jacques Garcia − cultivent un style historique,
inspiré des grands décors et des ensembliers
des XVIIIe et XIXe siècles. De l’autre, les quadras − une majorité d’hommes, très dandys,
mais aussi quelques femmes − recherchent
une sorte de « radicalisme sensuel »,
explique Marie Kalt, rédactrice en chef d’AD
France, qui organisait, en 2010, pour les
10 ans du magazine, une grande exposition
chez Artcurial sur le « style français ». L’occasion de se rendre compte qu’il n’existe
●●●
« Le style français,
ce n’est pas tant
un décor qu’une
passion du savoirfaire » Joseph Dirand
pas une école française, mais une culture
commune nourrie d’influences multiples.
Même si l’Art déco et le modernisme (JeanMichel Frank, Pierre Chareau) continuent
d’inspirer la plupart des créateurs, beaucoup
cherchent à mixer les genres afin de sortir
de l’éternel bon goût qui leur colle à la peau.
Quelques-uns, comme India Mahdavi ou
Laurent Buttazzoni, osent la couleur dans
un esprit pop. D’autres cassent les lignes
et les ensembles. « Tout ne doit pas être parfait dans un décor. Pour donner de l’esprit
à un lieu, il faut qu’il y ait toujours quelque
chose en dysharmonie. J’aime rompre les
droites rigoureuses avec des plafonds arrondis ou des escaliers en ellipse », raconte
Pierre Yovanovitch, ancien assistant de Pierre
Cardin, reconnu pour ses décors épurés
dans lesquels se mélangent design suédois
en hêtre des années 1950 et pièces contemporaines de galerie. Les collectionneurs
d’art, américains notamment, en raffolent.
« Ces derniers ont longtemps voulu des
décors spectaculaires, assez imposants ;
aujourd’hui, ils ont une démarche plus
subtile, plus intello », remarque-t-il.
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E
L’ESPRIT MODERN
Une chose est sûre : la Grosse Pomme continue d’être l’un des lieux d’adoration du style
français. « Les Américains avaient déjà été
les premiers à faire confiance à Andrée
Putman pour le concept des boutiqueshôtels au début des années 1980, notre
expertise y reste inégalée », souligne Joseph
Dirand, 37 ans. Ce dernier vient de signer
la réouverture de la maison Balmain dans
un hôtel particulier parisien et s’apprête à
inaugurer la première boutique du styliste
américain d’origine taïwanaise Alexander
Wang, à Pékin. Dans le même temps, il pilote des projets de résidences privées
au Caire, à Beyrouth, à Tel-Aviv, à Londres…
Sa touche ? Son travail perfectionniste, au
plus près des artisans, pour obtenir « une
vérité absolue des choses ». Ses clients se
régalent de sa passion du savoir-faire. Dans
chacun de ses chantiers, ébénistes, doreurs,
peintres, ferronniers, marbriers et brodeurs
sont mis à contribution pour donner le meilleur. Tout est dessiné sur mesure, des crémones aux poignées de porte en passant
par les interrupteurs. La plupart des meubles aussi. Seules sont tolérées quelques
Le mix des influences,
chez Artcurial par
François-Joseph Graf.
« Contrairement aux
Italiens, les Français
savent transgresser
la tradition »
RITAGE
LA CULTURE EN HÉ
pièces cultes comme l’ours polaire, le fameux
canapé en demi-cercle dessiné dans les
années 1940 par Jean Royère. Qu’ils soient
remixés à la sauce chinoise ou mexicaine,
les intérieurs de Joseph Dirand exhalent un
parfum de made in Paris. Donc de haute
couture et d’art de vivre.
« Un lieu est
réussi quand il y
règne un soupçon
de dysharmonie »
Pierre Yovanovitch
C’est l’un des leitmotivs de Sybille de
Margerie, devenue en quelques années la
spécialiste des hôtels de luxe. Elle porte en
elle l’ADN du chic français et le raconte sans
tabou : « Ma famille a longtemps été propriétaire d’un des plus beaux lieux de Paris,
l’hôtel de Crillon. J’ai eu la chance de grandir
dans l’atmosphère de ces endroits si particuliers où la qualité du service et le savoirfaire comptent tant. » L’architecte d’intérieur
cherche aujourd’hui à transgresser la tradition en osant la couleur et des touches
girly, qui ne sont pas du goût de tous. Reste
que, pour ses clients étrangers, elle incarne
l’archétype de la Parisienne, avec son sens
inné de l’élégance. Les décorateurs exportent leurs talents, et avec eux le savoir-faire
des plus grandes marque, qui n’hésitent pas
à rappeler leurs (nobles) origines.
« Paris n’a pas perdu son pouvoir de fascination ; au contraire, elle n’a jamais autant
été perçue comme la Ville lumière », pointe
Anne Schumacher, directrice de la communication de l’orfèvre Christofle, qui a
ajouté, en 2007, le sous-titre « Paris » à sa
signature… Comme un poinçon sur le
poinçon. Un nouveau flagship de la marque
s’apprête à ouvrir à New York. Avec, aux commandes, un French décorateur, of course !
Le cristallier Baccarat, autre référence internationale, prévoit en 2014, à l’occasion de
ses 250 ans, l’ouverture d’un hôtel estampillé Baccarat. « Un vrai lieu, comprenant
un restaurant, un bar, une boutique,
pour permettre à nos clients de
partager une vraie expérience
de la marque, celle de l’art de vivre français, avec son sens du
luxe discret », explique Markus
Lampe, directeur général de la
maison. Malgré la crise, celle-ci
ne cesse de voir grossir son carnet de commandes spéciales.
Dernières en date, plusieurs milliers de pièces d’art de la table
personnalisées avec les armoiries
d’une grande famille ; et un lustre de 300 kilos et de plus de 3 000 pièces de cristal pour
l’ambassade de France, à Pékin. De quoi
continuer à faire briller, encore quelques
années, le French art de vivre. ●
Marion Vignal
ADRIEN DIRAND - YANNICK LABROUSSE - DR - LUX PRODUCTIONS
Sybille de Margerie
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