L`expédition de Lewis et Clark - Académie Lorraine des Sciences

Transcription

L`expédition de Lewis et Clark - Académie Lorraine des Sciences
Conférence d’1 heure. 10 minutes de questions. 52 illustrations et cartes (58 pour la présentation).
Documentation :
L’expédition de Lewis et Clark :
Une aventure scientifique à
visages humains
Conférence présentée par :
• «Journal de Lewis et Clark, La piste de l'Ouest, Le grand
retour» - Commentaires : Michel Le Bris, Edition Phébus
• «Sacajawa» - Anna Lee Waldo, Edition Pygmalion
• «Aquarelles» - Karl Bodmer
Photos : Edward Curtis et Gino Tognolli (membre de la
Fondation Lewis et Clark du Montana, USA)
Gino Tognolli
Assistance technique : Ouarda
Boumaza
*Saint-Louis 14 mai 1804 à puis hivernage Fort Mandan (Dakota du Nord, au Nord de Bismark).
*Départ avril 1805 de Fort Mandan (après hivernage).
*Arrivée 8 décembre Fort Clatsop. Départ le 23 mars 1806.
*Retour Saint-Louis 23 septembre 1806)
Lewis : 1774-1809
Clark : 1770-1838
Photo1- Il était une fois...
Deux célèbres explorateurs américains…
Mesdames, Messieurs les Académiciens et Sociétaires,
Chers amis,
Merci d’avoir répondu à notre invitation.
Avant de vous entraîner sur la piste de Lewis et Clark, deux célèbres
explorateurs américains, permettez-moi de faire un bref raccourci historique.
Photo 2- Carte avec Louisiane
Il était une fois la France en Amérique……..
Le 18 mars 1803, Talleyrand, Ministre des Affaires
étrangères du Premier Consul Bonaparte, reçoit le
diplomate américain Robert Livingston.
Ce dernier est à peine assis que Talleyrand
l’interroge :
« Cher ami, combien donneriez-vous pour toute la
Louisiane ?»
Le diplomate est stupéfait : les Français lui
proposent, ni plus ni moins, de doubler la surface
du territoire américain ! L'équivalent de douze
États actuels.
En fait Bonaparte, en plus de l'opportunité de
pouvoir mettre ainsi du beurre dans les épinards de
2
ses guerres européennes, avait préféré, devant la
menace anglaise, se séparer des possessions
américaines impossibles à défendre depuis l'autre
coté de l'Atlantique.
En quelques semaines, les deux parties s'accordent
sur le prix de cette cession : quinze millions de
dollars. Une misère. Le traité est signé le 30 avril
1803 à Paris.
L’Amérique française cède désormais la place à
l’Amérique américaine : Fin du premier acte.
----------------Les choses ont été rondement menées. Et surtout
bien préparées par les Américains, depuis
longtemps intéressés par cette Terra Incognita. En
effet, en poste à Paris de 1784 à 1789, Jefferson
avait systématiquement étudié tous les écrits
Français et Anglais, publiés sur la Louisiane.... Le
troisième président américain ne tombait donc pas
des nues et avait une vision à long terme. Un grand
dessein.
Photo 3- Document Lewis et Clark
3
Il confia donc l'organisation d'une expédition
d'exploration, à deux hommes d’exception : Lewis
et Clark afin de trouver une voie fluviale de
communication entre l'Est et l'Ouest du territoire.
Embarqués
dans
l’aventure
:
Toussaint
Charbonneau, ironie, un trappeur d'origine
française et son épouse indienne de 16 ans. Un
choix déterminant.
Photo 4- Le Grand Dehors...
« Le Grand Dehors »
L'expédition durera deux ans et cinq mois ...
(1803/1806). 15.000 kilomètres seront parcourus
dans la souffrance, 1’émerveillement et la
découverte éblouie de ce que le naturaliste
Audubon, appellera « Le Grand Dehors »,
expression mystérieuse et mythique...
Imaginez, imaginez « Le Grand Dehors », nous
avons l'impression d'entendre le Canadien Gilles
Vigneaux avec son célèbre : « Mon pays c'est
l'hiver ». C'est la voie(x) des grands espaces...
4
Imaginez, vous êtes là-bas sur le continent
américain dans votre cabane ensevelie sous la neige
ou écrasée de soleil, ou même dans une de ces
cahutes en planches d'une petite bourgade boueuse
et crottée de la « Frontière », ce no man's land entre
le territoire des Blancs et celui des Indiens.
Et 1à, devant votre porte s' ouvre « Le Grand
Dehors » ... L'inconnu, un monde vierge, des bêtes
sauvages, des peuplades incertaines et étranges, des
climats terribles... .Le froid, la faim. La mort peutêtre...
L’esprit d’un Encyclopédiste
du Siècle des Lumières
Mais rarement expédition aura été si longuement
méditée. Il est vrai que les curiosités de Jefferson
étaient insatiables. Météorologue éminent, pionnier
de la phénologie (Science qui tentait d’établir le lien entre les variations climatiques et les
grands rythmes biologiques) , géographe reconnu, botaniste disciple
de Linné, passionné d’Histoire naturelle (il
correspondait avec Buffon), féru de paléontologie,
ethnographe amateur, fasciné par les Indiens dès
son plus jeune âge, Jefferson était un esprit digne
des Encyclopédistes français.
Pour mener à bien une telle aventure Jefferson
trouva en Meriwether Lewis, alors âgé de 29 ans,
5
son secrétaire particulier depuis 1801, le
prolongement de lui même en le soumettant à un
entraînement intellectuel sévère et intensif. Les plus
grands scientifiques américains
furent mis à
contribution. Jefferson lui même l’initia à la
paléontologie et ensemble ils élaborèrent les
questionnaires auxquels l’expédition devrait
répondre pour recueillir de façon ordonnée et
systématique le maximum d’informations. Leurs
réunions se tenaient toujours portes closes et un
code secret spécial fut mis au point pour toutes les
correspondances relatives à l’affaire. Dès le budget
voté secrètement en… février 1803 (!), Lewis
s’engagea à fond dans la préparation du voyage et
commanda le mois suivant, fusils, couteaux de
chasse et pipes tomahawks, aux arsenaux de
Harpers Ferry, en Virginie. On expérimenta même
un fusil à pompe. Le génie de Lewis fut de se
choisir un compagnon en la personne de William
Clark, de quatre ans son aîné et son ami, pour
partager à égalité de responsabilités cette
fantastique aventure.
Autant Lewis était, intellectuel, mince, rêveur,
introverti, avec une nette tendance à la mélancolie ;
autant Clark, était puissamment charpenté, homme
du peuple, peu instruit, pragmatique, pratique,
chaleureux au contact facile et au jugement sûr.
6
Clark apprit très vite et devait révéler un réel talent
d’ethnographe et de géographe. Cette direction
bicéphale aurait pu s’avérer risquée. Le tandem fit
merveille, tant les deux leaders étaient
complémentaires et s’appréciaient. Le 31 août 1803
à bord d’un bateau de 60 pieds (20 m) construit
spécialement, Lewis et un petit contingent levaient
l’ancre pour un voyage de 1.100 milles sur l’Ohio
jusqu’à Saint-Louis.
Photo 5- Les terribles sawyers, jaillissaient
soudainement Hors de l'eau pareils à des
monstres marins
Le 14 octobre Clark les rejoignaient en compagnie
de dix autres hommes de confiance, dont Georges
Drouillard, un « coureur de bois » de père français
et de mère Pawnee. Après trois mois de navigation
ils touchaient Saint-Louis, le 28 novembre. (Saint-Louis
appelée alors la Porte de l’Ouest. Pour les trappeurs et pionniers le centre de gravité et de départ des expéditions
et
s’installaient de l’autre coté du fleuve, à camp
Dubois face à l’embouchure du Missouri. Là ils
hivernèrent et Clark en profita pour faire des deux
bandes de têtes brûlées une troupe disciplinée.
se déplaça ensuite à Indépendance, sur le Missouri aussi, mais 400 kilomètres plus à l’Ouest)
7
A partir du 9 mars 1804, après que fut normalisé le
transfert de souveraineté de l’Espagne à la France
(traité secret de San Ildefonso d'octobre 1800) et de
la France aux Etats – Unis (1803), ils accélérèrent
les derniers préparatifs. Le 14 mai, après tant de
rêves, de calculs, d’efforts, l’expédition entame
alors la longue remontée du Missouri…
Photo 6- La petite flotte d'exploration :
un bateau à quilles et deux pirogues
Bric à brac
.... La petite flotte d'exploration est composée d'un
bateau à quille, et de deux pirogues, l'une de six et
l'autre de sept rangs de nage. Ils emportent avec eux
un bric à brac invraisemblable : plus de deux cents
articles, et surtout les cadeaux destinés aux Indiens
: 2.800 hameçons, près de 150 miroirs de poche, 22
rouleaux de toiles, 130 carottes de tabac, des
centaines de chapelets de perles, des boutons de
cuivre, des couteaux, des hachettes, des ciseaux,
500 broches et bracelets, 4.600 aiguilles, deux
8
moulins à moudre le maïs, des chemises de toile,
des dés à coudre, des allènes et de la peinture
vermillon.
(Premier drame, 20 août 1804 : le sergent Charles Floyd décède d’une crise d’appendicite, le 20 août 1804, près
Ils vont ainsi traverser ou longer ce
qui deviendra le Missouri, l'Illinois, le Kansas,
l'Iowa, le Nebraska, le Sud Dakota, le Nord Dakota,
de l’actuelle Thompsonville)
(…7 avril 1805, après l’hivernage chez les Mandans Lewis écrit : « Nous étions maintenant sur le point de
pénétrer dans un pays long de 3000 kilomètres où aucun homme civilisé n’avait jamais posé le pied. Ce qui nous
le Montana,
l'Idaho, l'Oregon et l'Etat de Washington. Jusqu'à
l'actuelle Astoria, au Sud de Seattle.
C'est cet itinéraire que je vous invite désormais à
emprunter. Car dès cette année, puis en 2004, 5 et
2006 vous serez en plein dans le mille du
bicentenaire de l'une des expéditions scientifiques
et humaines les plus importantes de l'histoire de
l'humanité. L'Amérique ne va désormais plus
parler que de cela. Sauf s’il y a la guerre en
Irak !
attendait, bonheurs ou malheurs, nous allions bientôt l’apprendre d’expérience !»)
9
Go West ! Rassurez-vous, je ne vais pas vous
infliger tout le trajet de Lewis et Clark, mais
simplement vous aider à plonger dans l’atmosphère
de l’Ouest américain et donner à rêver à l'aide de
quelques images chatoyantes rapportées des
régions traversées dans la partie centrale de
l'itinéraire. Certains de ces documents sont des
reproductions d'œuvres picturales de Karl Bodmer,
peintre suisse qui avait accompagné en 1833 le
prince allemand Maximilien en Amérique. Ces
tableaux, ces aquarelles, illustrent des lieux qui
n'ont quasiment pas changé, depuis Lewis et Clark,
notamment dans le Haut Missouri ; ce sont aussi
des portraits d'Indiens rencontrés. Des Indiens du
passé dont les descendants actuels vivent soit dans
des réserves ou en zones urbaines. Des Indiens qui
n'ont rien oublié....
Photo 7- La grande épopée des pistes d’exploration...
( ) Pour entrer dans le vif du sujet : jetons un œil
sur cette carte qui illustre la grande épopée des
pistes d'exploration. Celle qui nous concerne est
10
située au Nord. C’est la rouge bordée d'orange
(l'aller et le retour).
Photo 8-
(..) Pour votre curiosité celle-ci illustre la conquête
de l'Ouest par les pionniers, avec les principales
pistes (Oregon, Bozeman, Santa Fe. etc). Celles
des chariots bâchés.
Photo 9- Les hommes des bois, "Les voyageurs français"
(..) Au tout début, au Nord, ces espaces immenses
n'étaient fréquentés, en dehors des Indiens, que par
des trappeurs, des hommes des bois, « Les
voyageurs français », notamment. De rudes et
solides gaillards ! Ils vendent les peaux de castors
à. la Compagnie de la Baie d'Hudson et sont mariés
à des Indiennes.
11
Autour d'eux ce monde est hostile...
Photo 10- «Liver-Eating» («Mangeur-deFoie») Jérémiah Johnson avait, pour sa part,
une bien sinistre réputation. Après le meurtre
de son épouse flathead par des guerriers
Crows, on racontait qu’il avait traqué et tué
ses assassins, puis qu’il avait mangé leur foie.
(..) Du temps de Lewis et Clark ne se risquaient
dans ces parages que des individus au caractère
bien trempé, comme Jérémiah Johnson, mangeur
de foie (humain) immortalisé à l'écran par Robert
Redford. On prête en effet, à Johnson l'horreur
d'avoir dévoré le foie des assassins Crow de sa
femme indienne. Regardez cette gueule ! ! !
(..) Lewis et Clark tout au long de leur voyage
eurent des contacts approfondis avec les Indiens.
Ces relations furent globalement cordiales, c'était
aussi le vœu clairement exprimé par Jefferson.
C'est ainsi que, sans rentrer dans le détail, les
explorateurs hivernèrent avec les *Mandans
(Dakota du Nord), qui vivaient dans des huttes
recouvertes de terre ; ils échangèrent des cadeaux, ,
des informations, du gibier avec, les *Minnetaree,
12
les *Arikaras, les *Shoshones, les *Sioux, les
*Blackfeet, les *Nez Percés (Idaho. Etat de
Washington), (ici Chef Joseph d'après une photo de
Curtis beaucoup plus tardive), les *Chinooks de la
Columbia, etc.
Mandan
Sioux
Minnetaree
Arikaras
Blackfeet
Shoshone
Nez Percé
Photo 18- Les Chinooks sur la Columbia
En remontant le cours du Missouri vers les deux
Dakota et le Montana, (découvert par le chevalier La Vérendrye en 1742) des
paysages bucoliques, peu de montagnes, la vue
13
porte très loin, les ondulations herbeuses rappellent
qu' ici c'était jadis le royaume du bison.
( ) Ici Fort Union (à la frontière du Dakota et du
Montana),
Photo 19- Fort Union…
Photo 20- Fort Union, près de Buford. N. Dakota
(..) Petit crochet anachronique en guise de clin
d’oeil, au Sud, nous sommes à quelques centaines
de kilomètres du Mont Rushmore et ses quatre
présidents taillés pendant treize ans dans la falaise,
en 1927. Jefferson, celui par qui tout est arrivé est
le second à partir de la gauche.
Photo 21- Mont Rushmore, les quatre présidents
(..) Un peu plus au sud encore, Wounded Knee, qui
a sonné le glas de la résistance indienne en l890.
14
Photo 22-
(..) Voici la fosse commune du massacre et les
offrandes rituelles de tabac des Indiens du troisième
millénaire.
Photo 23- Fosse commune et offrandes
(.. ..) Véritable phare au milieu de la Prairie : Devill
Tower (Souvenez-vous de « Rencontre du troisième
type » de Spilberg). Notre Destivelle nationale y
vient faire ses gammes d'alpiniste...
Photo 24 et 25- Devill Tower
(..) Retour sur le Missouri :
15
Photo 26-
Au dessus de Fort Mackensie, près de Great Falls,
chez les Blackfeet, (les cosaques des Plaines du
Nord) on s'approche dès lors des montagnes
Rocheuses. Les chutes qui avaient tant
impressionné Lewis et Clark ont été domptées,
vous les voyez là en basse saison. (.. ..)
Photo 27-
Photo 28-
(.. .. ..) Avant de vous diriger vers l'Idaho de
Hemingway, les Pends d'Oreille et les Coeur
d'Alène, ces tribus aux noms français, gagnez le
Wyoming le Parc du Yellowstone, le conservatoire
de la nature, l'Arche de Noé des Amériques.
16
Photo 29 - Yellow Stone
Photo 30-
Photo 31-
(8.990 km2; plus grand que la Corse. Le plus grand parc des USA. / A 2.400 m
d'altitude. / 200 geysers, 3.000 sources chaudes. 10.000 wapitis, 3.000 élans ;
3.000 bisons ; 500 mouflons, 650 ours bruns ; 350 grizzlis. Grand circuit en
boucle de 280 km. Grand canyon 28km, 245 m de profondeur. Chutes de 33 m et
94 m (Lower Falls). « Le Vieux Fidèle » crache toutes les 65 mn/30. 35 à 52 m
de haut. Incendie de 1988 : trois mois, 10.000 pompiers mobilisés. Plus belle voie
d'accès en venant de Cody (Buffalo Bill) : très escarpée.
Empruntons ensuite la Rivière du Serpent (..) pour
gagner les Grands Tétons (.. ..). (1.256 Km2/80x23
km)
Photo 32-
Photo 33-
Ah ! les Grands Tétons ! Il fallait être trappeurs
français, sevrés de chairs laiteuses, opulentes et
européennes, pour donner ce nom à ces pics de
4.000 mètres !!!
17
Photo 34-
Reprenons maintenant la route du Nord et
pénétrons dans un autre sanctuaire de la nature :
Glacier National Park (4.l00 km2. Fondé en l9l0. Fusionné en 1932
avec, le W Park. 50 glaciers ; 200 lacs ; grizzlis ; ours noirs; élans ; mouflons et
et son prolongement
canadien Waterton Park (.. .. ..).
Oréame,
la
chèvre
d es
Rocheuses)
Photo 35-
Photo 36-
Nous ne saurions terminer cette saga de
l’expédition Lewis et Clark et tout son
environnement de paysages grandioses et de lieux
chargés d’histoire, sans assister à un Pow Wow, (..)
ces fêtes religieuses et profanes. (La culture indienne a
marqué d'un souffle sacré de nombreux endroits, le Crow Fair de Hardin
(Montana) ou celui de Browning, près de Glacier National Park, font partie de
ces lieux).
Chants, danses, beautés des costumes, défilé
18
des vétérans des guerres contemporaines, image
insolite...
Photo 37-
Photo 38-
Photo 39-
Les temps forts
Le décor a été ainsi planté, reste à rappeler les
temps forts.
1. C’est tout d’abord l’embauche à Fort Mandan,
en novembre 1804 de Charbonneau et de
Sacajawa « la Femme Oiseau », son épouse
enceinte, une adolescente qu’il a gagné aux
dés ! (On peut dire que l'expédition a réussi sur un coup de dés)
19
Photo 40- Fort Mandan près de Washburn. Dakota du Nord.
Toussaint Charbonneau, né à Montréal vers 1759
d’une mère Sioux et d’un père canadien français
est taillé à la serpe. Individualiste et frondeur
comme un Gaulois il faillit ne pas être de
l’aventure, en raison de ses exigences : pas de
tour de garde, pas de partage du gibier de sa
chasse. Les deux capitaines inflexibles refusèrent
dès lors sa candidature. Penaud, le cabochard se
confondant en excuses revint le lendemain et
s’engagea à satisfaire la discipline de
l’expédition.
En dépit du handicap de la future maman, Clark
eut le génie prémonitoire de voir en Sacajawa
celle qui allait leur permettre de traverser les
Rocheuses, grâce aux chevaux de son peuple.
Mais autant chercher une aiguille dans une botte
de foin ! Pourtant dix mois plus tard, le 17 août
1805, Sacajawa, qui depuis plusieurs jours avait
reconnu dans le paysage des lieux de son enfance,
20
retrouvait sa tribu dont le chef, miracle, n’était
autre que son propre frère.
2. Le Grand Portage, à partir du 20 juin 1805 (25
Km parcourus en 13 jours) est avec la Lolo
Trail, en septembre à plus de 2000 mètres
d’altitude, la Chanson de geste de l’Amérique.
Photo 41- Le grand portage comme dans
"Fitz Carraldo" de Werner Kerzog (1982)
Pour passer les chutes du Missouri par voie
terrestre dans le secteur de l’actuelle Great Falls
(Montana), ils montèrent sur roues leurs canoës,
en découpant des rondelles de bois dans de gros
arbres. Tirant, poussant sur les pierres acérées
leurs étranges véhicules, ils franchirent une
montagne et transportèrent ainsi tous leurs
bagages et matériels à travers une région infestée
de serpents et recouverte de figuiers de Barbarie.
21
Quasiment épuisés, les pieds en sang, rien ne
semblait pourtant les arrêter.
Photo 42- Lost Trail Pass. Montana/Idaho, 3 septembre 1805
Pas même la Lolo Trail dans l’Idaho sur la ligne
de crête du massif Bitteroot, qui sera pour eux un
enfer de 11 jours, en septembre 1805, dans la
neige et la boue, sans rien ou presque pour se
nourrir et où les chevaux hagards trébuchaient et
roulaient dans les ravins.
Cette double odyssée, dès qu’elle fut connue au
retour, prit des résonances mythiques au point
d’inspirer plus tard la théorie de la « Destinée
manifeste du Peuple Américain ». Après la déclaration
d'indépendance, c'est le vrai acte de naissance de l'Amérique. L'Amérique des
américains.
Des souffrances inouïes
Ils connurent toutes les souffrances qu’un être
humain ou une bête peut avoir en endurer. Froid,
faim, maladies…
22
Photo 43- Pris dans la ruée d'un troupeau de bizons
Ils furent tous très malades à un moment ou à un
autre. Sacajawa faillit mourir. Charbonneau qui
finalement était un bon bougre, voulut même la
ramener à Saint-Louis à …900 Km de là ! Le petit
Pomp, (qui n’avait que 55 jours au départ de Fort
Mandan) ne fut pas épargné.
Tous souffrirent de furoncles, de tumeurs externes,
de désordres gastriques graves, en raison de la
venaison avariée ; d’affections pulmonaires à cause
de l’humidité ; de troubles oculaires (la
réverbération du soleil sur l’eau et les vents chargés
de sable arraché aux berges).
Comme il fallait bien aussi que la chair exulte,
plusieurs membres de l’expédition écopèrent de
maladies vénériennes contractées avec les
Indiennes pas avares de tendresse.
Petite anecdote :
Ben York, le serviteur noir de Clark était d’ailleurs
la coqueluche de ces dames partout où il passait et
il plongea dans l’affliction la plus profonde les
23
Indiennes de Fort Mandan, quand un jour de froid
terrible un bout de son pénis gela !!!!!
L’expédition ne disposait pas de beaucoup de
médicaments : juste du laudanum, du mercure
(Calomel1) pour la syphilis, du vitriol pour
désinfecter et des décoctions de plantes. Clark
appliqua lui-même sur les parties génitales de
Sacajawa des cataplasmes d’écorces péruviennes,
alors qu’elle souffrait atrocement de problèmes
gynécologiques.
Mais ils continuèrent à marcher, à ramer, à pousser,
à tirer leurs canoës, se dépassant sans cesse.
Il y eut très peu d’actes d’indiscipline. Sanctionnés,
leurs auteurs furent fouettés ou renvoyés.
Très vite les équipes furent soudées et motivées.
Après le Grand Portage et la Lolo Trail, de grands
moments d’épreuves et de fraternité, ils comprirent
que quelque part ils étaient des Titans. Ils
comprirent qu’ils allaient gagner ce pari fou.
1
Calomel (Chlorure mercureux)
Autre médicament (atroce) : les pilules de Rushes. Composées de 10 grains de Calomel et de 10 de
Jalap (poudre laxative mexicaine), elles avaient sur les intestins un effet ravageur.
Les trappeurs français l'appelaient "la pastille troue le cul"!
24
Photo 44- Estuaire de la Columbia Astoria. Oregon
En dépit de la déception, en décembre 1805, de
ne pas trouver de bateaux à l’embouchure de la
Columbia côté pacifique qui auraient pu les
ramener sur la côte Est par voie maritime, ils
hivernèrent, construisirent un fort et se préparèrent
au chemin du retour.
Partis de Fort Clatsop le 23 mars 1806, Lewis et
Clark se séparèrent le 3 juillet, à la frontière de
l’Idaho et du Montana.
Photo 45- Fort Clatsop. Oregon
Lewis partit au Nord vers l’actuelle frontière
canadienne, pour explorer la Maria River (du
prénom de la dame de ses pensées).
25
Photo 46- Marias River. Montana. 4 juin 1805
Clark rejoignit la Yellowstone aux alentours de
Bozeman, au Sud du Montana, en évitant sans le
savoir la fabuleuse caldera de ce qui allait devenir
le Parc du Yellowstone.
C’est d’ailleurs à John Colter qui avait demandé de
quitter l’expédition sur le chemin du retour, que
revint le mérite de découvrir cette région et ses
merveilles géothermiques.
Le 12 août 1806 les deux capitaines tombaient
dans les bras l’un de l’autre à l’embouchure de la
Yellowstone et du Missouri.
Photo 47- Confluence de la Yellowstone, à gauche
avec le Missouri. Sud Ouest de Williston. N. Dakota.
26
Le 23 septembre ils touchaient Saint Louis… la
boucle était bouclée.
La suite fut une succession de fêtes dans un climat
d’adulation, car on les avait cru mort ! D’autant que
deux colonnes infernales avaient été envoyées à
leurs trousses par la Nouvelle Espagne. L’une au
départ de Fort Mandan, l’autre lorsqu’ils quittèrent
Fort Clatsop. Ils ne l’apprirent d’ailleurs qu’à leur
retour.
Photo 48-
Au delà de l’aventure proprement humaine de ces
destins parallèles et croisés, retenons surtout que
cette épopée fut avant toute chose une expédition
scientifique au cours de laquelle Lewis et Clark
découvrirent 170 plantes nouvelles et 122 espèces
ou sous espèces animales. L'expédition procéda à
des relevés astronomiques, des observations météo,
dressa des cartes, inventoria des vocabulaires et fut
27
une somme ethnographique. Les sept journaux de
l’expédition représentèrent 10. 000 pages de notes
et d’observations.
Le grand bateau et l’équipage qu’ils laissèrent
derrière eux après l’hivernage de Fort Mandan en
1805, ramenèrent à Jefferson un formidable butin
scientifique et de quoi remplir un musée.
28
Ce qu’ils devinrent
Lewis, l’introverti, fut nommé Gouverneur de la
Haute Louisiane. La gloire, les souffrances, le fait
de revenir dans un monde ordinaire eurent raison de
son équilibre psychologique. D’autant qu’il connut
pas mal d’avatars avec les femmes et qu’il s’attira
l’hostilité de pas mal de gens autour de lui par des
décisions
inopportunes.
Il
sombra
dans
l’alcoolisme, au grand désespoir de Jefferson qui le
considérait un peu comme son fils et de Clark,
atterré par la lente descente aux enfers de son ami.
Lewis se suicida d’un coup de pistolet dans une
taverne, en 1809, à l’âge de 35 ans.
A l’inverse la trajectoire du solide Clark
l’extraverti,
fut
plus
brillante.
Nommé
Superintendant des affaires indiennes en Haute
Louisiane, il fut respecté de tous et surtout des
Indiens qui l’adoraient. Comme il l’avait promis au
couple Charbonneau il prit sous son aile son filleul
Pomp (le petit Jean-Baptiste). On a trouvé trace des
écoles catholiques et protestantes que l’enfant
fréquenta. Le destin allait encore se manifester à lui
un peu plus tard. Remarqué en 1823 par le prince
allemand Paul de Würtemberg, le jeune homme de
18 ans voyagea en Europe et en Afrique. Protégé du
29
prince il apprit l’Allemand, l’Espagnol, le Français.
Puis il revint en Amérique et fut le guide de
plusieurs explorateurs. Chercheur d’or, alcade en
Californie, guide à la tête d’un bataillon Mormon, il
fut un homme complet, hélas fauché bêtement à
l’âge de 61 ans par une méchante pneumonie.
Sa mère et son père retournèrent chez les
Indiens sur la Knife River. On ne sait pas grand
chose d’eux ensuite, sinon que Charbonneau fut
présenté par Clark en 1833 à Maximilien, prince
de la région de Coblence et à Karl Bodmer qui le
représenta dans un tableau.
Photo 49- Sacajawa et son bébé
Mais nous ne nous séparerons pas sans évoquer la
personnalité fascinante de Sacajawa, « la Femme
O is e a u » , l a g u i d e i n d i e n n e .
F e m me , m è r e , e l l e a u n e r e la ti o n c o s mi q u e a v e c
la nature dont elle sait interpréter tous les signes.
E ll e i rr a d i e d e v e rt u s a p a is a n t e s : u n e f e m me e t
u n b é b é , d a n s u n e c o m p a g n i e d ' h o m me s c e l a
r as su r e. . .
30
S a c a j a w a , d a n s l ' O u e s t e s t p re s q u e s a n c t i fi é e
c o m me ja d i s n o t r e J e a n n e d ' A rc . L a c , m o n t a g n e ,
c o l , c h a în e h ô t e li è r e , e t c . p o r te n t s o n n o m .
Photo 50- Dollar Frappé à l'effigie de Sacajawa
Un dollar or est frappé à son effigie et les Filles
de la Révolution américaine, des suffragettes, en
o n t f a it l e u r h é ro ïn e .
F in a l e me n t , c e n ' e s t p e u t - ê t re p a s é to n n a n t q u e le
Wyoming, où elle serait enterrée, a été le premier
p a y s a u mo n d e à a v o i r a c c o rd é , e n 1 8 6 9 , l e d r o it
d e vo t e au x f em m es .. .
Il y a q u e lq u e s a n n é e s u n e é c r iv a i n e
a mé ri c a i n e a é c ri t u n e h i s t o i r e ro m a n c é e d e
l ’e x p é d i ti o n q u i t o u r n e a u to u r d e l a d e s t in é e
l u m in e u s e d e S a c a j a w a . B i e n q u ’ h i s t o ri q u e me n t
r ie n n e s e m b l e l ’a tt e s t e r e l le p r ê t e à C l a r k e t à l a
j e u n e S h o s h o n e u n e t e n d re , m a i s c h a s te
i n c li n a t io n . C o m me j e s u i s u n p e u f l e u r b le u e je
c ro is à c e t te b e ll e h is to i re . U n e f a ç o n t o u te
31
p e r s o n n e ll e d e c o n fi r me r l o i n d e la ri g u e u r
s c i e n t if iq u e d e n o tr e d o c t e a s s e m b l é e , l ’ e x tr ê me
h u m a n i té d e c e t t e s a g a a m é ri c a i n e .
M e r c i d e v o tr e a tt e n t io n .
U n g r a n d m e rc i à M a d e mo is e ll e O u a rd a
B o u ma z a , q u i m’ a a id é à i n té g r e r à m o n p r o p o s
t o u te l’ ic o n o g r a p h ie d e m a d o c u me n t a ti o n e t q u i
a p a r fa it e me n t ma ît r is é s o n é c ra n d e c o n tr ô l e .
Clinton avant de quitter la
présidence a nommé Ben
York (injustement oublié,
pas affranchi, pas de solde,
pas de terre) et Sacajawa
"soldats de l'Amérique"
Gino TOGNOLLI
Membre de la
Fondation Lewis et Clark
de Great Falls (Montana)
32
Autres photos
33

Documents pareils

Lewis et Clark, l`expédition

Lewis et Clark, l`expédition En cours de route, ils seront rejoints par deux personnes dont l’aide s’avérera essentielle : Toussaint Charbonneau, un trappeur français né à Montréal en 1767, devenu célèbre moins pour ses aptitu...

Plus en détail