Lewis et Clark, l`expédition

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Lewis et Clark, l`expédition
Le 30 avril 1803 est une date essentielle dans l’histoire de la jeune nation des Etats-Unis : elle voit l’Amérique de Jefferson acheter à la
France de Napoléon l’immense territoire de la Louisiane (plus de deux
millions de km²) pour la somme modique, compte tenu de l’étendue - de 15 millions de
dollars.
C’est en 1682 que Robert Cavelier, sieur de La Salle,
avait pris possession au nom du Roi de France, d’un
territoire qu’il avait nommé " Louisiane " en l’honneur
de Louis XIV. Cédée à l’Espagne par le traité de Fontainebleau en 1762, la Louisiane réintègre le giron français
en 1800 après le traité de San Ildefonso. Dès 1802, des
tractations ont lieu entre le gouvernement français et
celui des Etats-Unis.
Le territoire de la Louisiane avait en effet une importance stratégique pour la nation américaine comme pour
l’empire français. D’une part, La Nouvelle-Orléans
contrôlait l’entrée du Mississipi, assurant sur le Golfe
du Mexique un débouché pour les produits agricoles du
centre des Etats-Unis ; d’autre part, le rêve d’un empire
colonial français qui aurait contrebalancé la domination
anglaise en Amérique du Nord, un moment caressé par
Napoléon, fait place au désir d’assurer des rentrées immédiates dans le trésor impérial, même si cette opération s’avéra une mauvaise affaire financière pour la
France.
Toujours est-il que, même si aucune clause de la Constitution n’autorise l’acquisition de territoires étrangers et
que Jefferson ait en l’occurrence agi sans l’aval du
Congrès, la Louisiane du Sud (La Nouvelle-Orléans) est
officiellement transférée par la France aux Etats-Unis le
20 décembre 1803, le reste du territoire passant solennellement de l’Espagne à la France puis aux Etats-Unis,
à l’issue de la cérémonie des Trois Drapeaux les 9 et 10
mars 1804.
Par cette transaction, les
Etats-Unis ont quasiment
doublé leur superficie. Jefferson et son entourage expriment leur satisfaction. Même
si le président ignore encore
la valeur et l’étendue exacte
de son achat, il rêve d’atteindre le Pacifique en remontant
le Missouri. Avant d’être élu
président, n’avait-il pas promis une somme de 1 000 guinées à qui parviendrait à percer les mystères de l’Ouest
inexploré ? Personne n’avait alors pu relever ce défi. Il a
maintenant les coudées franches pour envoyer des Américains explorer l’Ouest lointain.
Mais il ne s’agit pas seulement de réaliser un rêve. La
mission devra aussi évaluer le potentiel d’animaux à fourrure dans
les contrées traversées – les fourrures représentent alors un secteur
essentiel de l’activité économique
de la nation. Il faudra également
s’efforcer d’apprécier la volonté des
Indiens à devenir d’éventuels partenaires commerciaux.
La mission devra enfin reconnaître le futur tracé de ce
qui constituera la « voie transcontinentale la plus directe
et la plus navigable » jusqu’au Pacifique.
Jefferson met des impératifs absolus quant à la préparation de l’expédition : elle sera avant tout pacifique, sans
aucun objectif de conquête. On n’aura pas recours à des
militaires ne pensant qu’à faire un usage aveugle de leurs
armes, mais à des hommes de sang-froid, connaissant les
rudes conditions de la vie dans l’Ouest. L’expédition,
qui prendra le nom de Corps of Discovery, est placée
sous le commandement de deux hommes ayant choisi la
carrière militaire ; quoique très différents, ils se complètent admirablement par leurs caractères et leurs compétences.
Meriwether Lewis est né en Virginie en 1774. Capitaine, il devient secrétaire particulier de Jefferson après
son élection en 1801. Le président lui a déjà confié l’exploration du Missouri et le jeune officier a appris à se
familiariser avec des sujets tels que la géographie, la botanique, ou l’étude des peuples et des animaux de
l’Ouest. Il a suivi des cours d’astronomie, s’est initié aux
soins de premiers secours auprès d’un médecin réputé, a
appris d’un botaniste les techniques de conservation des
plantes et des animaux, ainsi que les classements méthodiques pour les répertorier.
Lewis se voit confier l’entière responsabilité de la préparation et de l’organisation du voyage, s’agissant notamment des questions de logistique et d’équipement. Pour
le seconder, il fait appel à William Clark, également
Virginien, né en 1770, qui a été son officier supérieur et
qui est son ami. Moins cultivé que Lewis, Clark possède
davantage d’expérience du terrain. Plus communicatif, il
témoigne aussi plus d’attention aux autres. Enfin, il est
un excellent cartographe et tout est à faire en ce do10
maine, face à cette terra incognita qu’est l’Ouest à cette
époque.
Lewis fait construire à Pittsburgh, sur l’Ohio, un bateau à
quille de 18 mètres de long dont il prend livraison fin
août 1803. Il achète le matériel nécessaire, des instruments de mesure, des présents pour les Indiens, des armes
et des munitions, ainsi que des provisions déshydratées.
Clark, quant à lui, recrute les hommes ; des militaires,
mais aussi des civils, hommes de la Frontière, indépendants et souvent peu disciplinés. Le premier critère de
recrutement a été leurs savoir-faire complémentaires,
qu’il s’agisse de forgerons, de bateliers, de cuisiniers ou
de chasseurs, sans oublier des traducteurs qui connaissent
les principales langues indiennes de la région. Parmi eux,
un certain nombre de Français du Canada. Au total, 44
personnes… plus Seaman, le chien terre-neuve de Lewis.
En cours de route, ils seront rejoints par deux personnes
dont l’aide s’avérera essentielle : Toussaint Charbonneau,
un trappeur français né à Montréal en 1767, devenu célèbre moins pour ses aptitudes d’interprète auprès des Hidatsas que pour avoir emmené avec lui sa femme enceinte, une Indienne Shoshone nommée Sacagawea, âgée
de 15 ou 16 ans et qui accouchera durant le voyage.
La petite troupe s’embarque au printemps 1804 sur le
bateau que Lewis a fait construire, ainsi que sur deux
grands canoës. Ils remontent le cours du Missouri, atteignent Fort Mandan (dans l’actuel Dakota du Nord) où ils
s’arrêtent pour passer l’hiver. Après la fonte des glaces,
l’expédition repart. C’est alors que l’aide de Sacagawea,
qui a accouché en janvier, leur devient précieuse : elle
leur sert à la fois d’interprète, d’ambassadrice auprès des
tribus rencontrées et de guide. En mai, ils sont en vue des
Montagnes Rocheuses. Le mois suivant, ils atteignent les
grandes chutes du Missouri (Great Falls, dans l’actuel
Montana). Traversant la ligne de partage des eaux au niveau de ce qui est aujourd’hui l’Idaho, ils redescendent
l’autre versant en suivant la chaîne des Bitter Roots.
Après avoir franchi une succession de vallées, ils arrivent
à la Columbia River et, de là, au Pacifique.
Le 7 novembre 1805, ils n’entendent encore qu’un grondement lointain. Ce n’est que le 18 novembre qu’ils
voient enfin les hautes vagues de l’océan Pacifique, après
un parcours de 6 000 kilomètres. Il va maintenant s’agir
de passer l’hiver sur cette côte inconnue et inhospitalière,
dans un paysage de désolation. On construit à la hâte le
Fort Clatsop, sur la rive sud de la Columbia, près de l’actuelle Astoria, dans l’Oregon.
Après un hiver d’une grande rigueur,
l’expédition se remet en route en mars
1806 pour le voyage de retour. Elle se
sépare en deux groupes : Lewis suit la
Marias River, vers le nord, tandis que
Clark se dirige vers le sud par la Yellowstone River. Ils se retrouvent pour
descendre ensemble le Missouri. Le
23 septembre 1806, c’est l’arrivée à
Saint-Louis, où ils sont accueillis par
des centaines de personnes.
Quel bilan tirer de l’expédition, qui est
11
en même temps une grande aventure ? – A l’issue d’un
voyage de 28 mois sur plus de 12 000 kilomètres, les
explorateurs ont rempli leur mission : recueillir des
informations précises sur les tribus indiennes rencontrées (plus d’une vingtaine), dresser des cartes de
géographie qui feront autorité dans les décennies à venir, décrire plusieurs centaines de nouvelles espèces de
plantes et d’animaux. L’expédition a apporté la preuve
que la route fluviale praticable tant espérée reliant l’Est
au Pacifique n’existait pas mais, en ouvrant la porte de
l’Ouest, elle a contribué à faire évoluer le destin immédiat de la nation.
Et puis, le souhait de Jefferson avait été accompli :
l’expédition n’avait pas eu à faire usage de la force ni
des armes. On n’avait à déplorer que la perte du quartier-maître Charles Floyd, mort rapidement au début du
voyage, sans doute de l’appendicite.
Meriwether Lewis sera nommé gouverneur du territoire
de la Louisiane en poste à Saint-Louis. Piètre administrateur, incapable de s’adapter à un autre rythme de vie,
connaissant déceptions amoureuses et déboires financiers, il sombra dans l’alcoolisme et l’addiction à l’opium, avant de mettre fin à ses jours en 1809, à l’âge
de 35 ans.
William Clark occupa diverses fonctions dans l’Etat du
Missouri et principalement le poste de superintendant
des Affaires indiennes pour la région de l’Ouest. A ce
titre, il reçut et conseilla nombre de voyageurs chargés
de missions vers l’Ouest. Il finit paisiblement sa vie à
Saint-Louis, où il mourut, âgé de 69 ans.
Quant à Sacagawea, une théorie
populaire veut qu’elle mourut en
1884 à un âge très avancé. Mais
la réalité est autre et la découverte de documents officiels nous
révèle ce que fut son destin. Une
lettre d’un soldat en garnison à
Fort Manuel, au Dakota du Sud,
datée du 20 décembre 1812, nous
apprend ceci : « Ce soir, la femme de Charbonneau,
une squaw Shoshone, est morte d’une fièvre putride ;
elle était bonne et la meilleure femme du Fort ; âgée
d’environ 25 ans, elle laisse une belle petite fille ».
(Mais on sait que son enfant né au cours du voyage
était un fils, qui avait été prénommé Jean-Baptiste).
L’expédition terminée, elle avait vécu anonyme, dans
l’obscurité de l’oubli.
Marc VAUTION
Principaux documents utilisés :
•
Allan NEVINS / Henry Steele COMMAGER. A Pocket
History of the United States. Washington Square Press.
1956.
•
Philippe JACQUIN. Vers l’Ouest, un Nouveau Monde.
Collection Découvertes Gallimard. 1987.
•
William C. DAVIS / Joseph G. ROSA. Le grand Livre de
l’Ouest Américain. Solar. 1995.
•
Françoise PERRIOT. Sur les routes de l’Ouest. Le Pré
aux Clercs. 2004.
•
Site Internet http://fr.wikipedia.org

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