Projet Pédagogique J-R LEMOINE
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Projet Pédagogique J-R LEMOINE
TRAGÉDIE ANTIQUE. LE CHOC DU PRÉSENT Après un parcours d'acteur, Jean-René Lemoine se consacre essentiellement à l'écriture et à la mise en scène. Ses textes ont obtenu de nombreuses récompenses. Il a été lauréat de la Fondation Beaumarchais et de La Villa Médicis hors les murs. Il a également obtenu le Grand Prix de la Critique pour la création de sa première pièce L'Ode à Scarlett O'Hara. Et récemment le prix Emile Augier de l’Académie Française pour Iphigénie. Sa pièce Erzuli Dahomey a été jouée en 2012 au Vieux Colombier par la troupe de la ComédieFrançaise. Il a mis en scène en mars 2014 sa pièce Médée, poème enragé à la MC93 Bobigny ; et en avril 2014 son Iphigénie au Théâtre Apo Michanis à Athènes. Médée, poème enragé sera repris en 2015 dans le cadre du festival « Le Standard Idéal » au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis. Jean-René Lemoine travaille également comme formateur. Il a enseigné l'art dramatique au Cours Florent et a dirigé régulièrement des ateliers pour comédiens au Théâtre de la Tempête. Il dirige aussi des ateliers à la Fémis (Ecole nationale des métiers de l’image et du son), à l’attention des élèves scénaristes. Textes publiés L'Adoration, Editions Lansman Ecchymose, Face à la mère, Erzuli Dahomey. Iphigénie , Médée, poème enragé, Editions des Solitaires intempestifs In Memoriam, L’avant-Scène (In La Fidélité, dix pièces courtes) OBJECTIF L’objectif de ce stage (destiné à des comédiens professionnels et à des danseurs possédant un parcours théatral) est de revisiter les possibles de la tragédie grecque antique, de les mettre en perspective avec le contemporain et de voir comment l’acteur, par la parole et le corps, peut trouver une forme pour raconter le monde au-delà de toute morale et de tout jugement. Comment créer un va-et–vient entre distance et incarnation, être tour à tour (ou à la fois) récitant et personnage, donner ainsi libre court à l’émotion, à la fureur, à l’excès, puis aller vers une économie radicale, un « retrait du jeu » visant à relater, réveler les fait, leur redonnant ainsi leur monstruosité troublante, leur fragile humanité et leur capacité d’effroi ? Comment partir du Logos, de la parole pure et restituer cette parole par l’investissement et la maîtrise corporelle, que cela passe par la complexité du mouvement chorégraphique ou par la pureté de l’ immobilité ? Comment donner un sens à chaque mot, à chaque geste et les unir pour en faire une véritable partition ? CONTENU PÉDAGOGIQUE La puissance de la poésie. Raconter le monde par le poétique, c’est bien là le projet de la mythologie et du théâtre grecs. Le mythe permet de nommer l’innommable, l’inacceptable, il peut dire l’indicible horreur sans en faire le « documentaire » car il contient dans sa puissance poétique sa propre rédemption. L’intime comme point de départ. Nous nous concentrerons sur les Atrides à travers l’Orestie d’Eschyle : Agamemnon, au désespoir de son épouse Clytemnestre, choisit d’immoler leur fille Iphigénie pour que les vents redeviennent favorables et que la flotte grecque puisse partir vers Troie et vers la guerre…. Clytemnestre tuera Agamemnon dix ans plus tard à son retour de Troie... Oreste vengera son père en assassinant sa mère… Comme un contrepoint à la fureur de l’Orestie, nous travaillerons des extraits de ma pièce Iphigénie : dans ce monologue, la très jeune adolescente comprend après un rêve prémonitoire qu’elle va être sacrifiée et, telle une Cassandre consentante, elle (re)traverse passé et futur, ravages intimes et familiaux, visions fulgurantes d’une humanité souffrante, dans cette conscience héroïque, surhumaine, happée par cette maturité soudaine que lui confère l’imminence de la mort. Convoquer le corps. Après l’échauffement quotidien, nous explorerons la notion d’espace, de géométrie, par une série d’exercices ou d’improvisations (qui peu à peu incluerons le texte). Comment trouver la vérité d’un corps dans un espace ? Comment bouge un groupe. ? Un individu au sein d’un groupe ? Ces exercices nous permettront d’une part d’aborder la question du chœur dans la Tragédie. Comment respire-t-on, parle-ton, chante-t-on ensemble ? Et d’autre part d’expérimenter la vérité du corps, et donc de son mouvement comme point de départ du jeu, des rapports entre les individus et de l’interprétation des scènes. Ce qui n’excluera pas bien sûr une réflexion dramaturgique sur les personnages et les situations. Mais nous privilégierons l’exploration, l’expérimentation par le corps et le mouvement. Cela aura pour but, dans le cadre du stage, de lever les inhibitions, de se jeter dans l’inconnu. Nous pourrons ensuite analyser et structurer ces expériences, construisant peu à peu une dramaturgie, faisant trésor de ces découvertes spontanées. L’expérience du récit. En marge de cette exploration, nous nous interrogerons aussi sur la question suivante : comment être à la frontière du jeu ? Où trouver l’émotion dans la soustraction? Comment, jusqu’où s’abstraire, comment acquérir à la fois la densité et la simplicité du dire ? Chercher la rigueur du récitant pour laisser toute sa place à l’histoire et à sa progression, être au service du récit. Comment dire le féminin ou le masculin, au-delà du sexe de l’acteur-récitant et sans verser dans l’anecdotique. La voix dans tous ses possibles. En travaillant sur ces deux axes : l’incarnation et la distance, nous chercherons les possibles de la voix. Celle qui se fond dans le chœur ; celle, solitaire, des personnages, celle du récit (il serait intéressant de pouvoir travailler au micro). Le lâcher-prise. Ses étapes auront pour but d’aiguiser les outils techniques afin de rendre compte et de donner chair à ce que dit le texte tragique. Sa double interrogation : d’une part sur la psyché, sur la mécanique de la relation au sein d’une société intime (la famille) avec la chaîne de douleur qu’apporte le passé, (la malédiction des Atrides), les pulsions profondes dont tous ces meurtres sont les symboles ; et d’autre part les bouleversements que provoquent ces vicissitudes, ces désespoirs et ces violences dans la société au sens large, au sens politique. La Tragédie antique, c’est par le récit, par le poétique, la tentative d’organiser le monde, de le sortir du chaos, de la barbarie primitive pour aller vers une autre vision de l’individu. Vers la démocratie. Comment l’acteur peut-il rendre compte de tout cela ? Comment peut-il aller très loin dans son investissement, pour donner chair à tout cela, sans verser dans l’hystérie, sans kidnapper égoïstement l’émotion ? C’est ce fragile équilibre, cette perte de soi contrôlée que nous tenterons d’explorer. Comment l’acteur avec sa sensibilté peut-il être le témoin du monde ? Nous tenterons donc de toucher cette disponibilité, cette abnégation par le lâcher-prise que peut donner le travail minutieux, le patient artisanat du geste et de la parole. Le texte Nous travaillerons essentiellement des scènes de l’Agamemnon, mais les Choéphores et les Euménides pourront être utilisées si le besoin ou le désir s’en font sentir. Il serait intéressant d’entrelacer le texte d’Eschyle avec des extraits d’Iphigénie et de créer par le montage un dialogue entre passé et présent.