Exposé d`analyse textuelle:

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Exposé d`analyse textuelle:
Rêves et cauchemars de l’oppression moderne
dans le New York universel de García Lorca
Séminaire d’analyse textuelle
Giordano Righetti
Università degli Studi di Bologna
© Giordano Righetti 2005
Table des matières
1. Federico, le poète et son œuvre
2. Le contexte du voyage et de l’œuvre
2.1 Crise personnelle, choix du voyage et de la confrontation avec la métropole
2.2 Poeta en Nueva York: parenthèse surréaliste ou réaction au Romancero
2.3 Modernité: le poète dans la ville universelle moderne
3. Sections et thématiques de Poeta en Nueva York
3.1 La subdivision et les niveaux thématiques
4. Analyse stylistique des structures des poèmes
4.1 Langage visionnaire, suggestif mais très complexe
4.2 Structure des
poèmes en trois moments récurrents: définition, dénonciation,
prophéties
5. Le message universel: oppression et rachat
5.1 New York ville universelle symbole d’oppression: La ciudad
5.2 Langage visionnaire mais pas surréaliste: le rêve
5.3 Prophétie de rachat religieux des oppressés
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Introduction
Cette analyse va prendre en considération le recueil de poèmes Poeta en Nueva York, de
Federico García Lorca, pour en étudier quelques sections du point de vue de l´analyse du langage
poétique et des thématiques.
Poeta en Nueva York est un texte très particulier dans le contexte de l´oeuvre poétique de
García Lorca: celui-ci, poète espagnol du début du 20ème siècle, avait écrit plusieurs recueils de
poésies, ainsi que de nombreuses pièces de théâtre devenues célèbres.
Le recueil de New York avait été écrit pendant son voyage aux Etats-Unis à la fin des années
´20 : il s'agit d´un moment très important pour la littérature espagnole et en générale européenne, en
particulier pour le développement des idées et des poétiques de la jeune génération avant-gardiste
dont Lorca sera le principal représentant.
En ce contexte, ce recueil révèle un style et un langage très complexes qui s´éloignent des
œuvres antérieures de l´auteur andalous ainsi que de celles de ses compatriotes : le style lorquien de
New York a était comparé et rapproché à ce de bien d´autres mouvements européens d´avant-garde
de la même période, en particulier aux poétiques des Surréalistes.
Toutefois, pour mieux aborder ce texte, il faut d´abord considérer brièvement la maturation
littéraire de García Lorca pendant sa brève aventure poétique. En particulier, sa situation
existentielle dans les années 20 et à la vieille du voyage américain : cette situation du poète peut
aider à comprendre la décision inopinée du voyage et plusieurs thématiques du recueil, ainsi que des
choix stylistiques importantes.
1. Federico, le poète et son oeuvre
Federico García Lorca naquit près de Grenade, dans la province de Andalousie en 1898. Il
étudia á l´école en Almeria et ensuite s´établit à Grenade pour étudier la littérature et le droit ; là il
commença à écrire ses compositions, d´abord musicales, ensuite poétiques, sur le thème du paysage
de l´Andalousie. En 1919 il déménagea à Madrid, où il vécut plusieurs années, entouré d’un cercle
d´écrivains, critiques et idéologues du Libéralisme culturel; ensuite, pendant les années 1920, il
commença à écrire ses premières poésies connues.
En ces oeuvres poétiques convergent tous les aspects de la culture espagnole. Il combina
maîtrise de l´espagnol et littérature classique avec balades de gitanes du peuple, pour créer un
langage à la fois traditionnel, moderne et personnel. Sa poésie initiale est simple, pleine d´émotions
et de désirs; ses vers sont réalistes et lyriques à la fois, des fois primitifs et violents. Tout contribue à
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la beauté et l´émotion qui représente une vie proche de la nature dans sa région, l´Andalousie. Grâce
à son style et à ses créations, Lorca devint, de son vivant déjà, un des personnages plus populaires
de sa génération littéraire, nommée “Generaccion del ‘27”.
Les poètes du ‘27 avaient l´habitude d´alterner la difficulté avec la clarté et la simplicité en
imitant des fois le style des chansons populaires. Pour exemple, Lorca écrit le Poema del Cante
Jondo en 1924 (populaire) avec beaucoup plus de clarté que quand il écrira Poeta en Nueva York en
1929 (surréaliste et urbain).
L'oeuvre de cet auteur se présente donc en deux pôles principaux : celui qui prend corps
autour de ses poèmes de jeunesse, et la seconde étape de sa démarche, la plus novatrice, celle du
poète à New York, où l'intervention de Lorca avec ses éclats multicolores et sonores, le situent
d'emblée à l'altitude de Cervantès et en font l'un des poètes les plus décisifs de l’Avant-garde
espagnole.
Á ce regard, pour bien interpréter le choix d´un poète si connu et célèbre dans sa patrie, de
partir de la ville et de la communauté littéraire à les quelles il avait toujours était si attaché, il faut
réfléchir sur sa situation et ses vicissitudes à la fin des années 20, la décade qui avait vu la
consécration de Lorca dans la littérature au niveau européen.
2. Le contexte du voyage et de l’œuvre
2.1 Crise personnelle, choix du voyage et de la confrontation avec la métropole
Au début de l’année 1929, García Lorca reçoit une invitation à prononcer une série de
conférences aux Etats-Unis et à Cuba. A la même époque, la deuxième édition de son recueil de
poésies andalouses Romancero gitano venait déjà d’être publié. Il était en effet un des poètes plus
célébrés de Madrid.
Cependant, Lorca désirait s´éloigner de cette énorme popularité dont il jouissait en Espagne:
à cause de celle-ci, en effet, il souffrit aussi d’une crise émotionnelle due, dans une certaine mesure,
à la conviction qu’il n’aurait pas pu maintenir longtemps son immense popularité et son état
littéraire pendant qu´il vivait en Espagne. Mais surtout, vers la fin des années 1920, Lorca traversa
une crise intérieure particulièrement grave: il fut victime d'une dépression croissante, une situation
exacerbée par son angoisse sur la difficulté grandissante de cacher son homosexualité à ses amis et
sa famille.
Cette disparité entre son succès comme auteur et sa vie privée atteignit un sommet quand les
deux surréalistes espagnols Salvador Dalí et Luis Buñuel collaborèrent à Paris dans le film Un chien
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andalou (1929) que Lorca interpréta, peut-être par erreur, comme une allusion voire une attaque à
son encontre.
En même temps, sa relation intense avec le sculpteur Emilio Aladrén Perojo, un jeune
sculpteur auquel était dédié un poème du Romancero gitano («Romance del emplazado») et avec
lequel il avait vécu une relation amoureuse non réciproquement partagée, s'effondra lorsque ce
dernier se fiança avec sa future épouse.
La rupture de la liaison amoureuse avec le sculpteur Aladrén, l'éloignement de Dalí et la
trahison de Buñuel provoquèrent en lui un désarroi que ses succès littéraires ne parvenaient pas à
dissiper, et que plongèrent dans l´abattement Federico, qui à Pâques de la même année avait
participé a Grenada incognito á la procession de la Virgen de la Angustias. Il parle alors, en cette
période, du duel à mort qu'il livre à son cœur et à sa poésie :
« Á mon cœur pour le délivrer de la passion terrible qui le détruit, et de l'ombre trompeuse du
monde qui le sème de sel stérile».1
En conséquence de ces motivations intimes accepte-t-il avec plaisir l'invitation de son ami
Fernando de los Ríos à l'accompagner en Amérique, occasion inespérée pour lui de s'éloigner de
l'Espagne et fuir l'ambiance confinée d´une société conventionnelle qui ne lui permettait pas de
vivre librement. Ainsi, en 1929 il part pour New York, pour étudier á la Columbia University, dont
il accepte la charge du cycle des conférences.
La décision du voyage, qui surprit même les amis les plus proches de Lorca, peut être donc
comprise uniquement (par) cette nouvelle inquiétude, personnelle et littéraire, qui lui amène à
déplacer sa maturation poétique vers une réalité totalement nouvelle et autre tels que celle
américaine, dans l´espoir que ce voyage soit très précieux pour son parcours poétique et humain :
« Salgo para Paris, Londres, y allí embarcaré a New York. Te sorprende? A mí también me
sorprende. Y estoy muerto de risa por eso mismo me voy allí. […]Me encuentro muy bien y con
una nueva inquietud por el mundo y por mi porvenir. Este viaje me será utilísimo.»2
En Juin, il part donc pour Paris, Calais, Dover, Londres, Oxford, Southampton et, enfin,
New York, où il restera à peu près une année, comme étudiant de la Columbia University. Là il
1
GARCÍA LORCA, Federico. Oeuvres complètes - tome 7: conférences, interviews, correspondance. Paris, La Pléiade
(Gallimard), 1960.
2
GARCÍA LORCA, Federico. “Lettre à son ami Carlos Mora Lynch (juillet ’29)”, en Obras completas - Vol. 15 Conferencias (1928-1936). Barcelona, RBA, 1998.
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retrouve des vieux amis, tels que Angel del Río, Federico de Onís, Andrés Segovia, et il connait
plusieurs hommes de Lettres comme, parmi tant d’autres, le poète León Felipe.
2.2 Poeta en Nueva York: parenthèse surréaliste ou réaction au Romancero
Les impressions lorquennes de la ville de New York furent influencées par les visions
populaires de New York qui circulaient pendant cette époque. Metropolis de Fritz Lang sortit en
1927 et il est très probable que Lorca l´ait vu. De plus, New York arriva á constituer le symbole de
la modernité. Toutes les images du cinéma,
«…les speakeasies, les criminels tels que Al Capone, les voitures, les clubs negros, était tous
symbols de l´Amérique, et l´Amérique était abrégé par New York.»3
L´arrivé du poète grenadin á la ville de New York en printemps 1929 en effet le mène dans
une ambiance étrangère, une ville technologiquement avancée, mais dépourvue de communication
avec le monde naturel. Dans ce sens, l´expérience de Federico García Lorca dans les années 19291930 reflète le cas d´un écrivain qui se retrouve tout d´un coup dans un endroit inconnu, et sans en
connaître la langue. Ce monde lui est radicalement différent de son endroit d´origine. Il n´y aucun
paysage rural dans la ville et la dimension naturelle est diminuée par les grands bâtiments dans les
rues étroites, par l´absence de lumière du jour dans les tunnels du métro; aussi les arbres n´ont pas
de feuilles, et la terre est couverte de neige et grésil. A l´intérieur de ce paysage, la vie d´un homme
n´est pas complètement intégrée avec la pulsion du monde originel comme dans la province
espagnole.
Pour ça, le poète nous offre des spéculations sur sa manière particulière de sentir la nouvelle
ambiance autant comme une menace que comme une influence sur son oeuvre littéraire. Á la fin de
ce parcours, en fait, á son retour en Espagne en 1931, la publication du Poema del Cante jondo
aurait réaffirmé l’importance du chant gitan et de l’univers surréaliste dans l´ensemble de son
inspiration poétique. Cependant, l’expérience du Nouveau Monde, autant que la découverte
successive, marquante, du continent sud-américain (Argentine et Uruguay, 1933-1934), furent
source pour lui de renouvellement et d’enrichissement thématique: c’est ce dont témoignent déjà la
complexité savante et le lyrisme exubérant du recueil new-yorkais.
3
GIBSON, Ian. Federico García Lorca: une vie. Paris, Seghers, 1990.
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Ce point de vue New York fut décisif pour García Lorca: il avait fait passer son observation
du monde et de la vie contemporaine de la campagne de Grenade á la plus grande métropole du
début du siècle. Il avait eu l´intuition qu´il était dans ce nouvel endroit qu´un poète devait se
confronter avec les conflits de la Modernité :
« G.L. se dio cuenta de que la esencia de la vida moderna no estaba en las cuevas gitanas, que la
lucha entre los mundos espiritual y material se trasladó a otro campo más amplio y más propio
del siglo XX: la ciudad. »4
Pour exprimer en poésie ce monde nouveau et son essence il avait raffiné son langage
littéraire en l’enrichissant d´une galerie imaginaire d´impressions abstraites urbaines et d´un
vocabulaire visionnaire, qui cherchaient à dépasser la réalité métropolitaine en la sublimant vers
l´absolu humain. Un langage poétique qui a multiplié la complexité des compositions de Poeta en
Nueva York, dont la lecture demeure même aujourd´hui assez difficile.
Ce style et ce langage ont provoqué plusieurs discussions et débats autour de l’œuvre. Celleci ne fut pas, pour assez longtemps, considérée en relation avec les motivations profondes de la crise
de Lorca du 1929 et de son voyage : à savoir comme réaction à l´énorme popularité du Romancero,
notamment en raison de la conséquente étiquette de poète de gitanes délivrée á Lorca par la critique
espagnole, qui était trop étroite pour l’auteur grenadin.
Au contraire, les discussions et les lectures critiques autour du recueil new-yorkais se
limitaient souvent á le liquider, trop vite et tout simplement, comme « parenthèse surréaliste » de
García Lorca. Une définition qui a aussi contribué à faire demeurer Poeta en Nueva York, selon
l´efficace définition du titre de l´analyse de Flys, l´œuvre «incomprendida» du poète andalous.
2.3 Modernité: le poète dans la ville universelle moderne
Par rapport á son observation de la métropole tentaculaire et á son imagination urbaine, la
poésie de García Lorca assume á New York son caractère plus véritablement moderne. Un poète
dans une ville immense, soixante-dix ans après Baudelaire, une ville dont il cherche A voir les
aspects plus secrets et PULSIFS et les personnages plus authentiques pour en dériver le sens absolu,
universel de l´aventure humaine.
García Lorca, poète «gitan» sur les rivages de l´Hudson, ne regarde pas les sommets des
gratte-ciels, (les «montañas» de la ville) n´admire pas la vitesse de toute machine, automobile, ou
4
FLYS, Jaroslaw. Poeta en Nueva York. La obra incomprendida de Federico García Lorca. Madrid, Arbor, 1955.
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train; il aura les yeux d´un poète parmi la multitude sans visage des gens inconnus, dont il voit le
sang couler chaque jour sur l´asphalte des rues :
« Existen la montañas. Lo sé.
Y los anteojos para la sabiduría.
Lo sé. Pero yo no he venido a ver el cielo.
Yo he venido para ver la turbia sangre. »5
Sa sensibilité poétique saisit la violence et la laideur de la société moderne, D’autant plus si
l´on considère (il est important de le souligner dans l´analyse de ce poème) que Federico arrive á
New York juste l´année Où la société américaine vit sa crise LA plus profonde, après l´écroulement
de la Bourse de Wall Street en Novembre ´29. Dans ce contexte, Lorca survécut dans le désespoir
de cette métropole croulante grâce á son regard de poète désarmé, sans auréole dans la foule
urbaine.
« Me defiendo con esta mirada
Que mana de las ondas por donde el alba no se atreve,
Yo, poeta sin brazos, perdido
Entre la moltitud que vomita,
Sin caballo efusivo que corte
Los espesos musgos de mis sienes.»6
Dans la tragédie de cette ville riche moderne qui voit ses habitants se suicider chaque jour,
Lorca apparaît comme un des premiers poètes espagnols á sentir (á l´aide d´un imaginaire surréel) la
terreur et la pluralité d’une mégalopole, qui pour bien d´avant-gardistes fut et continua longtemps à
être plutôt une image reluisante de modernité et D’optimisme. Á ce regard, Jean Pierre Rosnay avait
défini de façon éloquente l´importance et l´influence de cette poésie lorquéenne new-yorkaise au
niveau européen :
« Garcia Lorca fut l'un des poètes les plus décisifs de la "modernité poétique" espagnole et
européenne. Il n'est sans doute pas inutile de préciser que Lorca était très imprégné du nouvel
élan procuré à la poésie par Guillaume et ses amis. Tzara, fondateur du dadaïsme et "pape du
surréalisme", lui étaient familiers. Il procédera d'un symbolisme et d'une imagerie qu’on a dit
depuis "libérées" - qui demeure une des caractéristiques des audaces d'une poésie nouvelle, qui
nous est devenue familière. Si je devais citer un exemple de la parfaite application des ambitions
5
6
GARCÍA LORCA, Federico. “New York. Oficina y denuncia” en F.G.L. Obras completas.
GARCÍA LORCA, Federico. “Paisaje de la moltitud que vomita”, en op. cit.
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surréalistes, c'est Garcia Lorca que je citerais, encore qu'il ne leur doive pas grande chose et que
le contraire soit plus évident. »7
Ce ton surréel de la poésie lorquienne retentit dans toutes les différentes sections de l´œuvre;
mais plus particulièrement dans les sections qui concernent le thème de la ville et de la vie
métropolitaine, où l'on entend plus fort la dénonciation du monde moderne; c’est donc autour de
celles-ci, qu´il faut focaliser l´analyse pour en comprendre l´importance du point de vue de la
Modernité poétique.
3. Sections et thématiques de Poeta en Nueva York
3.1 La subdivision et les niveaux thématiques
Dans sa globalité, trente-trois poèmes d´une grande diversité composent Poète à New York:
ils ont tous été écrits vraisemblablement durant les sept mois de séjour du poète aux Etats-Unis, á
savoir entre 1929 et 1930. Les thèmes principaux qu’y sont relevés sont les thèmes de la Ville, de la
Solitude et de la Mort. Les poèmes sont regroupés en cinq divisions, avec ultérieures subdivisions,
et au total le livre est constitué de dix sections. Les titres des sections qu´on y retrouve sont:
I.
“Poemas de la soledad en Columbia University”
II.
“Los Negros”
III.
“Calles y Sueños”
IV.
“Poemas del lago Edén Mills”
V.
“En la cabaña del farmer”
VI.
“Introducción a la muerte”
VII.
“Vuelta a la ciudad”
VIII.
“Dos odas”
IX.
“Huida de Nueva York”
X.
“El poeta llega a la Habana”.
Dans l´ensemble, il est possible de séparer trois niveaux thématiques principaux qui
s´alternent dans les différentes parties de Poeta en Nueva York : un niveau personnel, dans lequel le
poète se confronte avec sa crise sentimentale et littéraire ; un niveau politique, qui consiste
notamment à décrire l´injustice et disparité de l’Amérique et à dénoncer qu´elles en dérivent de la
société capitaliste moderne dans sa totalité ; et un niveau religieux, qui regarde ses prophéties
7
ROSNAY, Jean Pierre. «Vivre en Poésie », n°25. Paris, Club des Poètes, 1989.
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abstraites d´une nouvelle rédemption pour les hommes á travers la réappropriation des valeurs
originaires du Christianisme et du message naturel de Christ.
Le niveau personnel, lié plus directement aux événements biographiques de l´auteur, est
présent surtout dans la première section, ainsi que dans les sections IV, V, VII (qui concernent la
période dans la campagne du Vermont) ; et á la fin du livre, au moment de l´arrivée du poète á
Cuba. Le niveau politique concerne les sections II et III, ainsi que VII et VIII ; le troisième niveau
comprend les compositions où l´auteur reprend la figure du Christ pour dérouler ses prophéties du
rachat religieux.
La première section, la plus significative pour le domaine personnel, constitue les Poemas de
la Soledad en Columbia University. DANS cette SECTION, les poèmes contiennent DES images de
destruction, qui renvoient au domaine de l´apocalyptique. Pour exemple, dans le poème Vuelta del
Paseo, Lorca fuit "asesinado por el cielo" de grands bâtiments où “el árbol…no canta”, dans la lutte
entre symboles de destruction (« la sierpe ») et d´espérance (« el cristal ») et chaque jour "esta
tropezando con mi rostro distinto de cada dia" (=il est en train de perdre son identité). Le poète
résiste dans sa solitude mais il doit accepter l´endroit et, en raison de ça, la descente nécessaire vers
un enfer social.
Dans un autre poème, Tu Infancia en Menton, Lorca personnifie son identité pour un amour
perdu, symbolisé par une jeune fille («niez»), qui devient une femme et ensuite fuit («Amor de
siempre, amor, amor de nunca!»). La femme ne retient aucune attention préalable Du poète,
D’autant qu´elle demeure dans sa situation présente, c’est á dire en tant qu’instance en New York
représentée par l´abyme des lieux, des bâtiments et des machines de la métropole. En son angoisse il
perçoit que l´amour existe, vu á travers le symbole de la mer et de “un vuelo de la corza, por el
pecho sin fin de blancura.”
La translation du niveau personnel de la solitude de la Columbia à la confrontation avec la
société, pour aborder le niveau politique de l´expérience poétique, passe á travers la rencontre du
poète avec la sous culture nègre. La deuxième section, intitulée Los Negros, concerne en ce sens une
partie très importante de l’expérience de Lorca á Nueva York, à savoir sa rencontre avec l´univers
de Harlem.
D´abord il est important de remarquer qu’en cette époque il existait une tendance, parmi les
cercles littéraires, á idéaliser les Noirs. Elle se retrouve également, sous un certaine mesure, dans les
deux poèmes de Poeta en Nueva York, “Norma y paraíso de los negros” et “Oda al rey de Harlem”,
quI sont dédiés aux Noirs de la ville. Ils véhiculent l´image du noir comme personne innocente et
pure; le sauvage bon perdu dans la prison du capitaliste blanc.
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Dans le premier poème, “Norma y Paraiso de los Negros”, se définit l´âme spirituelle des
Noirs, spécialement comme ils se distinguent des foules. Lorca observait les danses des noires (par
exemple “La danza curva del agua”, et “el hueco de la danza”) parce qu’il croyait qu’ils exprimaient
ainsi leurs sentiments et leur peine. De même, dans l´ode au “Rey de Harlem”, Lorca voit un
quartier complètement à part qui retient sa propre beauté, parce qu’il estime que á Harlem il y a de
la vie, dans le tapage d´enfants et dans l´esprit de la race noir. Lorca donne emphase á cette race de
l´Amérique du Nord, dont il décrit les peines dans un monde étranger et contraire. Dans lequel les
Noirs étaient esclaves de toutes les inventions et les machines de la civilisation, ainsi qu´ils
demeuraient encore esclaves de l´homme blanc.
Cette section démontre qu’á l´intérieur du monde froid de la ville, Lorca découvre un noyau
de chaleur, vie, et esprit en Harlem, “la ciudad negra más importante del mundo”. Surtout, il se sent
capable d´entendre l´oppression de la race noire en raison de ses racines andalouses et de sa
connaissance de la discrimination contre les Gitans. Lorca perçoit ainsi la position des Noirs et la
compare avec les Gitanes espagnols qui vivent en Andalousie, sa région natale. Les Gitans
représentent dans la même mesure une culture autre, un autre monde qui n´est pas conventionnel et
accepté par les masses. Á travers la rencontre avec Harlem et le contact avec la race noire, Lorca
pénètre l´univers urbain et l´intérieur de la société new-yorkaise : cette première partie du livre est
donc le prémisse nécessaire pour le développement du niveau politique de la poésie new-yorkaise.
Les sections successives regarderont plus profondément New York, ses endroits plus
caractéristiques, ses dynamiques manifestes et cachées : elle est la partie où le caractère moderne du
recueil est déterminant.
La troisième partie porte déjà un titre assez suggestif: Calles y Sueños. Les poèmes regardent
Coney Island, Battery Place, River Side Drive, Newburg, Brooklyn Bridge et l´Hudson et y situent
la violence désespérée de la vie métropolitaine. Á l´instar de Ciudad Sin Sueño, où un enfant “que
enteraron esta mañana lloraba tanto que hubo necesidad de llamar a los perros para que callarse.”
Dans la même tonalité, en La Aurora le point significatif est que les premiers qui se lèvent dans une
ville savent déjà que “van al cieno de numeros y leyes”, où les autres “vacilan, insomnes, como
recien salidas de un naufragio de sangre”. Ensuite, le quatrième groupe de poèmes considérés pour
leur caractère moderne correspond à la septième section du recueil: là le poète, de retour en ville
après le séjour en Vermont, redécouvre son équilibre et SON identité, particulièrement dans le
poème intitulé “New York: Oficina y Denuncia”. Il connait le mécanisme des rues, il dialogue avec
les gens et pénètre la vie sociale dans son ensemble. Á la fois, il dénonce cette vie : premièrement, il
en déplore l'absence de racines culturelles :
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« Alors que dans l'Amérique d’en bas nous avons laissé Cervantès, les Anglais, dans l'Amérique
d’en haut n’ont pas laissé leur Shakespeare ».8
deuxièmement, surtout, comme il provient d’un paysage naturel, il n´arrive pas á confier A cette
nouvelle centralité de l´homme en tant que entité plus importante du monde et de la nature. Cette
idée de la ville dépourvue du naturel on la retrouvera aussi dans une des deux odes de la section
suivante, “Grito Hacia Roma”;
“Manzanas levemente heridas
por finos espadines de plata,
nubes rasgados por una mano de coral
que lleva en el dorso una almendra de fuego”9
Au but des invectives politiques sociales contre la violence de la vie moderne et de la société
capitaliste, Lorca récupère la valeur originaire du message de Christ : d´abord, en Nacimiento de
Cristo, á travers la personnification de celui-ci dans l´enfant qui pleur avec le numéro trois sur la
front. Ainsi la naissance de Jésus détient le symbole d´un enfant mort ou d´une créature fragile que
mourra pendant la naissance.
Ensuite, il est dans les deux grandes odes de la section VIII que Lorca prophétise une
sauveté pour l´homme moderne dans un nouveau monde naturel, qu´il véhicule á travers la
récupération du poète Walt Whitman, instar d´un esprit libre et pur en Amérique, et des enfants de
Christ qui annonceront la venue du nouveau royaume chrétien.
Tout au long de ce chemin, on aperçoit que dés son arrivé à New York le 25 juin 1929, le
poète va découvrir avec émerveillement et terreur la démesure de la capitale américaine. Il admire
d´une coté l'ingéniosité des hommes, les prouesses techniques, la profusion de lumières, le
déferlement des voitures. Mais il se sent en même temps quelque peu écrasé : « Personne ne peut se
rendre compte de la solitude que ressent ici un Espagnol ».
Les beautés artificielles de New York ne peuvent faire rien d´autre que accentuer en lui le
contraste entre le monde naturel perdu et cette ville industrialisée, et lui ramener, au but du
parcours, au caractère exceptionnel, en absolu, des valeurs non contaminées de son Andalousie
natale.
8
GARCÍA LORCA, Federico. Oeuvres complètes - tome 7: conférences, interviews, correspondance. Paris, La Pléiade,
1960
9
GARCÍA LORCA. Federico. “Grito Hacia Roma”, en op. cit.
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4. Analyse stylistique des structures des poèmes
4.1 Langage visionnaire, suggestif mais très complexe
Á New York, le poète se confronte avec une société qu’on aperçoit laide et inhumaine.
Pour rendre ce monde accablant et amorphe, Garcia Lorca doit toujours employer des rimes
étranges et des métaphores complexes : il s’exprime avec des phrases et des expressions dépourvues
de sens pour montrer l´irrationalité du monde à travers l’irrationnel du langage.
De cette façon, Lorca brise la façon traditionnel d´écrire, et il s´éloigne de l´esthétique de ses
livres antérieures, pour montrer cette réalité qui lui dépasse. On a affirmé souvent que Lorca écrit de
la manière des Surréalistes, et on a conclu que sans l'outil du langage surréaliste -en tant que seul
langage qui permette d'atteindre la zone où s’abolissent les contradictions- il n'aurait jamais écrit
Poeta en Nueva York en se révoltant, comme il la expliquait dans sa conférence récital autour du
recueil,
« …contre une société injuste et contre la prison du rationnel : j'ai dit un poète à New York,
j'aurais dû dire New York dans un poète ».10
Lorca a également utilisé beaucoup de symbolisme et il a inclus dans son oeuvre des
références musicales qui reflètent aussi le fond de sa formation éclectique, musicale et aussi
artistique : on retrouve aussi dans Poeta en Nueva York plusieurs aspects de couleur, par exemple,
dans “Oda al Rey de Harlem”, lorsque “negro, negro, negro” est répété plusieurs fois.
Du point de vu littéraire, le recueil de Lorca sortait de techniques canoniques. Le verse libre
remplaçait les rythmes traditionnels, et il n´y avait aucun schéma de rimes traditionnel. Les images
étaient plus subjectives, obscures, et des fois elles disparaissaient et d´autres elles apparaissaient
prés des objets. Chaos et angoisse sont utilisés en tant que métaphores, pour décrie le coeur du
poète, qui est chaotique et angoissé.
Dans le contexte d’une oeuvre aussi élaborée et complexe, avec plusieurs niveaux lyriques et
sémantiques, il est extrêmement difficile de retrouver et analyser des formes récurrentes dans les
simples compositions. Toutefois, après une lecture approfondie et une confrontation des poèmes par
section, on peut envisager quelques observations sur certaines structures que se répètent.
10
GARCÍA LORCA, Federico. Oeuvres complètes - tome 7: conférences, interviews, correspondance. Paris, La
Pléiade, 1960
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4.2 Structure des poèmes en trois moments: définition, dénonciation, prophétie
Pour parler des structures plus récurrentes dans les sections de Poeta en Nueva York qu’on a
dit concernant la Modernité poétique, on retiendra comme référence principale l’interprétation de
l’œuvre abordée par Piero Menarini dans sa lecture de 1976.11
Dans son livre, Menarini prend en considération le contexte profonde, littéraire et humain, de
la maturation de Lorca à la fin des années ’20 ; et il analyse les structures stylistiques du recueil en
essayant de dépasser la définition réductive de texte (ou poème) surréaliste, pour en sectionner et
interpréter les composantes thématiques implicites.
Par l’intermédiaire de cette méthode, Menarini arrive à définir un schéma principal qui peut
être repéré dans presque toutes les poésies qui ont comme sujet la ville et la violence de la vie
métropolitaine (à savoir, celles des sections qu’on a considéré plus «moderne»). Ce schéma se
compose de trois parties stylistiques thématiques : une partie de définition, une de dénonciation, et
une prophétie finale.
Dans toutes les poésies qui décrivent New York et ses habitants, en fait, Lorca procède
d’abord à exprimer et définir les caractéristiques et les dynamiques de l’univers urbain : avec ce but,
il décrit les offices et les travaux de la société capitalistique à travers ses chiffres et ses calculs, la
vie de noirs à travers leur couleurs et leurs danses, les endroits à travers leur éléments caractérisants.
Dans ces descriptions, Lorca exprime, à l’aide de sa poésie moderniste, la folie que lui
provoque la ville américaine: pour sublimer cette définition, il se détache de l’esthétique de ses
oeuvres antérieures, et, grâces à l’influence de Freud et du monde onirique et subconscient, il donne
une forme concrète à un superrealisme qu’était diffusé par ses contemporains qui avaient aperçu que
la poésie ancrée à ses vieilles formes n’était plus capable d’aborder la compréhension et
l´explication d’une société changeante et diversifiée.
Le moment successif est celui de la dénonciation : Lorca, après avoir défini les aspects de la
grande ville capitaliste, passe à la dénonciation des injustices et de la violence cynique. Á ce regard,
le prémisse de la définition est à cette deuxième étape véritablement fonctionnelle et instrumentale,
position centrale dans le schéma.
L’auteur grenadin montre les victimes qui geint derrière les lumières et la grandeur de New
York ; il dénonce le cynisme du système économique capitaliste et ses conséquences pour en
abstraire une division du monde entre oppresseurs et opprimés qu’il ne situe pas seulement sur les
rivages de l’Hudson, mais aussi bien, en absolu, en Espagne et en Europe. On dira à ce regard que
Lorca avait atteint avec Poeta en Nueva York le niveau de poète universel.
11
MENARINI, Piero. “Poeta en Nueva York” di Federico García Lorca. Lettura critica. Firenze, La Nuova Italia, 1975
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Dans « New York Oficina et denuncia » (=Bureaux et dénonciation), dont le titre est assez
éloquent, il est à la moitié de l´humanité que Lorca s'adresse, afin de lui faire prendre conscience
non seulement de la douleur des animaux, de leur maltraitance, de leur impossibilité à se défendre
sans le concours de l'homme, mais aussi des dérives des sociétés modernes: «multiplications,
additions, divisions» entraînant fractures et destruction de la nature.
DEFINITION
“Debajo de las multiplicaciones
hay una gota de sangre de pato;
debajo de las divisiones
hay una gota de sangre de marinero;
debajo de las sumas, un río de sangre tierna”[…]
DENONCIATION
“Yo denuncio a toda la gente
que ignora la otra mitad,
la mitad irredimible
que levanta sus montes de cemento
donde laten los corazones
de los animalitos que se olvidan.[…]
Os escupo en la cara.”[…]12
Cependant, la dénonciation de la civilisation moderne n’atteignait pas seulement au niveau
politique du système capitaliste américain mais aussi, comme on a dit, au niveau religieux : en ce
sens, Lorca hérite de sa religiosité catholique andalouse la vision d’un monde fortement polarisé
entre oppresseurs et opprimés, dans le sens chrétien des termes : et après les invectives et
dénonciations contre les responsables de cette polarisation, il s’engage à transmettre un message
d’espérance.
Les figures qu’on a cité, Christ enfant et le poète Walt Whitman, assument là une fonction de
points de référence religieux : il est leur exemple et leur témoignage qui conduira les victimes du
monde actuel à prendre conscience de leur statut d’opprimées, à se révolter contre les puissants et à
instaurer un nouveau monde proche à l’originaire naturel.
Ces trois moments successifs du schéma proposé par Menarini sont repérables donc en
plusieurs poésies de Calles y Sueños, ainsi que de Veulta à la Ciudad : en « Danza de la muerte »,
pour exemple, on peut isoler aisément strophes et expressions vouées à l’une ou l’autre des trois
fonctions sous définies. On décrit d’abord les deux forces opposées qui « dansent » ensemble dans
le monde, « el ímpetu primitivo » et « el ímpetu mecánico » ; puis on dénonce, dans des invectives
12
F. G.L. “New York. Oficina et denuncia”, en op. cit.
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qui assument souvent tons féroces, les hommes responsables des injustices (le Pape, le Roi, le
millionnaire) ; enfin, on délivre des visions apocalyptiques sur la reconversion du monde à son état
originaire avec la nature qui reconquiert ses endroits urbanisés par l’homme.
DEFINITION
“De la esfinge a la caja de caudales hay un hilo tenso
Que atraviesa el corazón de todos los ninós pobres.
El ímpetu primitivo baila con el ímpetu mecánico,
ignorantes en su frenesí de la luz original.”[…]
DENONCIATION
“Oh salvaje Norteamérica! Oh impúdica! oh salvaje!” […]
“Que no baile el Papa!
No que no baile el Papa!
Ni el Rey,
Ni el millionario de dientes azules” […]
PROPHETIE
“Que ya las cobras silbáran por los últimos pisos,
que ya las ortigas estremecerán patios y terrazas,
que ya la Bolsa será una pirámide de musgo[…]13
Similairement, en «Ciudad sin Sueño», le poète décrit l’angoisse insomniaque du monde des
vifs et des morts, pour arriver à révéler au claire de lune la fausseté, le poison et les cadavres qui
remplissent les “théâtres” où se met en scène le drame de la vie moderne. Mais les violents et les
injustes sont attendus au tournant par crocodiles et bêtes qui réaffirmeront la prévalence de la nature
sur les dynamiques irrationnelles de la civilisation des machines.
DEFINITION
“No duerme nadie por el mundo. Nadie, nadie.
No duerme nadie.
Hay un muerto en el cementerio más lejano
que se queja tres anós
porque tiene un paisaje seco en la rodilla”[…]
DENONCIATION
“Pero si alguien tiene por la noche exceso de musgo en las sienes,
abrid los escotillones para que vea bajo la luna
las copas falsas, el veneno y la calavera de los teatros”[…]
13
F.G.L. “Danza de la muerte”, en op. cit.
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PROPHETIE
“Vendrán las iguanas vivas a morder a los hombres que no sueñan
y el que huye con el corazón roto encontrará por las esquinas
al increíble cocodrilo quieto bajo la tierna protesta de los astros.”[…]14
Dans son ensemble, Poeta en Nueva York se révèle une oeuvre de perspicace spirituelle mais
au même temps de une vision prophétique incohérent, ou du moins, de valeur multiple. Les poèmes
transportent un message assez profonde à l’age moderne: il n’est pas le cosmospolis qui conduit à
l’universel, mais plutôt le particulier et le local.
5. Le message universel: oppression et rachat
En conclusion, on peut voir depuis cette analyse des thèmes et des significations profondes
de Poeta en Nueva York que ils y coexistent deux tendances, l’une plus négative, de dénonciation du
monde et d’expression de la désolation de la réalité présente ; l’autre d’espoir et de confiance vers
un nouveau commencement pour l’homme.
Dans le premier sens, celui destructif, Garcia Lorca observe et décrit les victimes de la
modernité avec une sensibilité très fine qu’il dérive, comme ils répète plusieurs fois, de ses origines
andalouse.
“Yo creo que el ser de Grenada me inclina a la comprensión simpatica de los perseguidos. Del
gitnao, del negro, del judío, del morisco, que todos llevamos dentro.” 15
Grâce à cette sensibilité, il parvient à percevoir le désespoir des opprimés des villes, mais
surtout il procède vers l’abstraction d’une condition humaine d’oppression qui met en commun les
Gitanes espagnols, les Noires d’Harlem, les Juifs new-yorkais et les enfants qui subissent les
violences du monde.
5.1 New York ville universelle symbole d’oppression : La ciudad
L’entité qui est à la base de cette violence et oppression est réifiée dans la ville de New
York : dans le contexte du monde des années ’20, elle apparaisse ainsi la ville-symbole de
14
G.L., op. cit. “Ciudad sin Sueno”
GARCÍA LORCA, Federico. “Entretien avec Gil Benumeya (1931)” en Obras completas - Vol. 15 - Conferencias
(1928-1936). Barcelona, RBA, 1998.
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l’oppression universelle. Á ce regard il est intéressant de réaffirmer la perspective du poète envers la
ville de américaine: il dit que la grande ville
«captua la arquitectura extrahumana y ritmo furioso. Geometría y angustía. En una primera
ojeada, el ritmo puede parecer alegría, pero cuando se observa el mecanismo de la vida social y
la esclavitud dolorosa de hombre y máquina juntos, se comprende aquella típica angustia vacía
que hace perdonable por evasión, hasta el crimen y el bandaje.”16
Pour Lorca, New York est donc symbole d’une myopie spirituelle où l’homme ne peut pas
s’adapter à l’instabilité du corps et de l’âme, parce que il ne peut pas voir le naturel de sa
délocalisation. Le citoyen de la ville a perdu de vue les forces naturelles élémentaires qui perçoit
instinctivement l’homme qui vit prés de la terre. New York est le symbole universel de ce
déracinement ; mais elle n’est pas l’unique ville où on peut l’apercevoir. Au contraire, New York est
un symbole dans le sens qu’elle représente toutes les grandes villes modernes où cette réalité se
manifeste. Lorca a écrit cette livre à New York, après la croule de la Bourse du 1929 ; mais il
souligne plusieurs fois que il aurait trouvé la même violence, le même cynisme, à Moscou, Paris ou
bien Madrid. Il est exemplaire, en ce sens, le fait que le premier titre qu’il avait choisi pour le
recueil était tout simplement « La ciudad ». Ensuite, il décidera de retenir le nom de new York,
aussi pour réaffirmer l’étape profonde que cette ville avait représenté dans son parcours poétique.
En effet, en conséquence de l’observation et expression du déracinement urbain, le séjour du
poète à New York marqua un tournant majeur dans sa maturation littéraire et dans son œuvre
poétique. Sa poésie s’avait transformée au contact de ce nouvel univers et avait acquis une
dimension universelle. Très vite, cependant, New York devient pour lui une prison et il va de
nouveau avoir envie de fuir. Là aussi, la chance va le servir sous la forme d'une invitation de
l'Institution Hispano-cubaine de Culture, et c’est ainsi que Federico débarque enfin à La Havane le 7
mars 1930. Après l'univers impitoyable de New York, Cuba sera pour García Lorca une révélation.
Il y trouvera l'épanouissement de sa personnalité, la liberté d'être enfin lui-même, au milieu de
l'affection et de l'admiration de ses amis, la fête des sens dans un pays qu'il qualifiera de « paradis ».
Même après l’épanouissement de Cuba, toutefois, le poète n’oubliera jamais l’impression
qui New York avait lassé dans son cœur. Encore quelques années après son retour en Espagne, il
rappelle avec ces mots terribles, dans un entretien, sa rencontre avec la métropole de l’oppression :
“Nueva York es algo tremendo… Desagradable… Tuve la suerte de asistir al formidable
espectáculo del último «crac»… Fue algo muy doloroso, pero una gran experiencia… Vi ese día
16
Ibidem.
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seis suicidios. Íbamos por la calle y de pronto, un hombre que se tiraba del edificio inmenso del
Hotel Astor y quedaba aplastado en el asfalto… Era la locura… Un río de oro que se desborda
en el mar… Una visión de la vida moderna, del drama del oro…”17
5.2 Langage visionnaire mais pas surréaliste: le rêve
En ce qui concerne le style des poésies, on a affirmé plusieurs fois que le langage poétique
employé par Lorca est très complexe et de difficile interprétation, en ce qu’il renvoie au sens
profond des objets ; mais bien qu’il dénote cette certaine super-réalité, on a conclus qu’il s’agit
d’une poésie souvent surréelle, mais jamais surréaliste.
Federico décrit la ville et ses habitantes avec des images fortement visionnaires ; mais il ne
confit jamais de se refuser dans le domaine de l’onirique, du merveilleux et du rêve pour dépasser,
ou échapper, la réalité concrète. En soutien de cette conviction, il met très clairement en alerte,
encore en «Ciudad sin Sueño», ceux qui voudraient céder à la tentation de fermer les yeux sur la
violence de la ville et se refuser dans le rêve :
“No es sueño la vida. Alerta![…]
Pero no hay olvido ni sueño;
carne viva […]
si alguien cierra los ojos,
Azotadlo, hijos mi’os, azotadlo!”18
La vie n’est pas rêve, et devant la violence de la vie métropolitaine le poète et tous les
hommes de cette ville ne doivent pas oublier ou rêver ; au contraire, observer et affronter avec les
yeux ouverts l’essence de la vie moderne qui ne réside pas dans le rêve mais dans la « carne viva ».
5.3 Prophétie de rachat religieux des oppressés
La ciudad représente, dans son caractère destructif, le vampire qui suce le sang de cette
“carne viva” et de la vie des personnes avec son capitalisme décrit par Lorca comme sauvage. Mais
on a vu d’autre coté comme, au même temps, la masse se lève avec une grande envie de vivre, avec
les danses de Harlem et la musique qui s’opposent au cynisme froid de la ville. Autour de cette
ambivalence, l’angoisse qu’imprègne toute l’oeuvre laisse ouverte la porte à l’espoir, à la possibilité
du changement. Cette possibilité doit se voir incarnée dans le fait que les opprimés se soulevassent
contre ses oppresseurs: cependant, cette idée ne doit pas être interprétée en sens purement politique
17
18
GARCÍA LORCA, Federico. “Entretien avec Pablo Suero (1933)” en op. cit.
GARCÍA LORCA, Federico. “Ciudad sin sueño”, en op. cit.
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ou révolutionnaire, bien que Lorca était bien influencé par une vision romantique et utopique du
Socialisme, mais plutôt dans le sens d’une espérance quasi messianique que la réalité aurait changé.
En ce sens de prophétie messianique d’un rachat religieux pour l’humanité, Lorca réaffirme
le sacrifice et le message originaire de Christ («Nacimiento de Cristo») et l’oppose à la figure du
Pape. Celui-ci représente par contre la corruption des hommes de l’Eglise, qui devaient conduire
l’humanité vers sa sauveté et qui au contraire ont oublié les valeurs positives du message chrétien.
Il est dans la première de deux grandes odes qu’il lance son cri contre Rome et son Eglise,
coupable au même niveau que les oppresseurs du monde, en tant qu’elle n’opère plus pour réparer
les injustices. Enfin, dans la deuxième ode, qui conclut idéalement les poésies « modernes » du
recueil, il repropose Walt Whitman comme modèle d’âme pure qui s’élève au dessous des laideurs
et des injustices de cette Amérique: et finalement, il confer à un enfant innocent noir la tache de
annoncer aux hommes la nouvelle venue du monde naturel, d’un renouvelé et originaire royaume de
l’épi :
“Quiero que el aire fuerte de la noche más honda
quite flores y letras del arco donde duermes
y un niño negro anuncie a los blancos del oro
la llegada del reino de la espiga.”19
19
GARCÍA LORCA, Federico. “Oda a Walt Whitman”, en op. cit.
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Bibliographie
Œuvres de Federico García Lorca
•
Obras completas. Barcelona, RBA, 1998.
•
Poésies (3 Tomes). Paris, Gallimard, 1954.
Ouvrages critiques
•
AA.VV. “Homenaje a G.L.”, in Revista Hispánica Moderna. New York, R.H.M., 1940.
•
AA.VV. Federico García Lorca, saggi critici nel cinquantenario della morte (a cura di
Gabriele Morelli). Fasano, Schena Editore, 1988.
•
BERGAMIN, José. “Nuevos documentos relativos a la edición de las obras de García
Lorca”, en Anales de Literatura Española, pp. 67-107. Alicante, Anales de L.E., 1988.
•
DALÍ, Salvador. Lettere a Federico. Milano, Rosellina Archinto ed., 1986.
•
DEL RÍO, Angel. Poeta en Nueva York. Madrid, Arbor, 1958.
•
GIBSON, Ian. Federico García Lorca: une vie. Paris, Seghers, 1990.
•
FLYS, Jaroslaw. Poeta en Nueva York. La obra incomprendida de Federico Garcia Lorca.
Madrid, Arbor, 1955.
•
MENARINI, Piero. “Poeta en Nueva York” di Federico García Lorca. Lettura critica.
Firenze, La Nuova Italia, 1975
•
ROSNAY, Jean Pierre. Extrait de la Préface du N° 25 de «Vivre en Poésie». Paris, Club des
Poètes, 1989.
21