LA GRAVURE EXPERIMENTALE D`UNE STELE

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LA GRAVURE EXPERIMENTALE D`UNE STELE
LA GRAVURE EXPERIMENTALE D’UNE STELE CAMPANIFORME DE LA NECROPOLE
DU PETIT-CHASSEUR (SION, VALAIS)
Marc Haller et Anne-Lyse Gentizon Haller
pour l’Association Cascavel, Archéologie et Expérimentation des Techniques Anciennes
Les fouilles du site du Petit-Chasseur furent entreprises à Sion en Valais en 1961 par OlivierJ. Bocksberger jusqu’à sa mort en 1970, puis par le professeur Alain Gallay qui acheva les
travaux en 1973. Ce site exceptionnel dans les Alpes allait révéler un extraordinaire
ensemble funéraire, un dolmen entouré d’un podium de pierre sèche en forme de poignard
et des cistes de type Chamblandes. Les parois de ces monuments mégalithiques sont
constituées de stèles gravées, cassées et retaillées, pour la plupart en position secondaire.
Deux styles se distinguent, le premier étant attribué au Néolithique récent, entre 2800 et
2550 avant J.-C., le second à la culture Campaniforme de 2550 à 2300 avant J.-C. pour se
prolonger au début du Bronze ancien.
Le style A, assez sobre, comporte des stèles anthropomorphes ornées de poignards
Remedello, et l’une d’entre elles montre un pendentif à double spirales. Les stèles de style
B, plus richement décorées, présentent toute une gamme de décors gravés, armes,
ceintures, gorgerins, tissus géométriques, baudriers…La tête est évoquée par un nasal et les
épaules sont dégagées.
C’est une des stèles de style B, la stèle 23, qui a servi de modèle à l’expérimentation : elle a
servi en réemploi dans la paroi Est du dolmen MXI, avec une ouverture ménagée pour
accéder à la chambre funéraire. La tête a été brisée pour que la dalle s’intègre au monument
et s’ajuste à la dalle Sud. Le marbre sériciteux, très délité, laisse deviner une décoration
riche et complexe sur le coté gauche (fig.1).
But de l’expérimentation
L’intérêt de réaliser une stèle inspirée de celles trouvées sur le site du Petit-Chasseur est
d’abord de tester plusieurs matériaux envisageables pour les pointes servant à graver les
motifs dans la pierre. Ensuite l’expérimentation donne une idée du temps nécessaire à ce
type de travail et permet un constat objectif sur le comportement et l’usure des outils
employés. Enfin on peut aborder la technique de gravure sur pierre proprement dite par le
tracé préalable des motifs puis de leur exécution.
Mise en œuvre
La première étape était de trouver une dalle de dureté et de qualité équivalente à celle de la
stèle 23. C’est à la carrière de St Léonard, située sur la rive droite du Rhône à 5 km à l’est
de Sion, que nous avons choisi une dalle en marbre gris sériciteux assez feuilleté de 1m x
0,5 m et d’une épaisseur de 4 cm, pour un poids d’une cinquantaine de kilos.
Le modèle retenu pour l’expérimentation est la stèle 23 du Petit Chasseur (fig.1). Malgré
l’état très érodé de ses gravures, l’ensemble des motifs se devine facilement sur toute sa
hauteur. Sur la base du dessin réalisé en son temps par Sébastien Favre à qui l’on doit les
premiers relevés publiés, nous avons restitué informatiquement l’ornementation de la stèle
et reporté un dessin simplifié sur la dalle expérimentale, plus petite que l’original.
Nous avons ensuite réalisé les outils nécessaires à la gravure, à savoir les percuteurs et les
pointes. En effet la gravure s’effectue en percussion posée (fig.2), la pointe étant maintenue
verticalement au contact de la dalle et frappée à son sommet par une masse.
Trois options étaient envisageables pour le percuteur : le percuteur en bois de cerf, le galet
en quartzite ou le marteau à rainure (fig.3). Ce dernier a été retenu pour ses qualités de
bonne tenue en main grâce à l’emmanchement, pour sa précision à l’impact et son poids
respectable, qui donnent aux coups une meilleure efficacité. Ce type de marteau a été
retrouvé surtout à proximité des gîtes néolithiques d’exploitation de silex, où il servait à
dégager les rognons de leur gangue calcaire. Mais son efficacité pour la frappe de précision
est étonnante et en tous points comparable aux massettes modernes.
Pour les pointes nous avons limité notre choix à cinq matériaux assez denses et durs pour
envisager un travail de gravure sur pierre : le cristal de roche, le cuivre, le quartzite, la
serpentinite et le silex. Après essai, il s’avère que le cristal de roche s’esquille et casse très
vite ; une pointe en cuivre s’émousse en dix coups ; le quartzite trop saccharoïde se clive
rapidement et est difficile à retoucher ; la serpentinite ou autre pierre tenace est résistante,
mais raviver la pointe par polissage exige beaucoup de temps. Seule une pointe en silex a
l’endurance de résister à deux cent coups consécutifs sans problème, et peut être
rapidement ravivée par retouche. C’est donc le silex qui a été retenu pour l’expérimentation
(fig.4).
Réalisation de la stèle
La forme de la tête et des épaules a été ébauchée au percuteur dur, un galet de serpentinite,
par taille successive, en pratiquant des enlèvements en écaille, puis les bords ont été
régularisés par un bouchardage au marteau à rainure et au percuteur, excepté la base
laissée brute.
Après avoir installé la stèle à plat sur un coussin rempli de paille afin d’amortir les chocs et
placé sur un banc de bois, nous avons dessiné les motifs au fur et à mesure de l’exécution,
par secteur, soit avec un silex, utilisé comme pointe à tracer, soit à la craie, moins durable
mais plus aisée à manipuler. Ensuite il ne restait plus qu’à sculpter ; la principale difficulté
était d’éviter tout éclatement de la surface, danger possible avec une roche à structure
feuilletée. La meilleure technique fut d’attaquer le creusement de chaque motif par le centre
et de finir par ses bords, afin de limiter les cassures de surface.
Conclusion
Cette expérimentation nous a permis de calculer tout d’abord des temps de travail : une
centaine d’heures ont été nécessaires à une personne pour exécuter une surface de 0,5 m2
comportant 450 motifs gravés (fig. 5).
On peut donc estimer pour la stèle 23, d’une surface de 6 m2, un temps de travail de l’ordre
de 1200 heures, soit approximativement cinq mois pour une personne, sans compter
l’extraction de la dalle, son transport et sa mise en forme. On peut très bien envisager un
travail d’équipe pour la gravure ; il est aisé de travailler à deux sur un demi-mètre carré sans
se gêner.
Le second résultat porte sur le comportement remarquable du silex en percussion posée ;
une pointe résiste très bien aux chocs contre une surface de pierre dure et tenace et si elle
s’esquille ou s’émousse à la longue, une retouche la rend rapidement à nouveau efficace.
Ayant d’abord choisi des éclats courts et trapus, nous avons aussi testé des lames longues
et minces dont la précision était meilleure pour une longévité à peine moindre. Pour
l’ensemble du travail une vingtaine de pointes a été employée, ainsi que deux marteaux à
rainure en quartzite et en serpentinite, de 500 et 700 gr, deux petits percuteurs et un
retouchoir pour raviver les pointes.
La comparaison entre les impacts des outils ayant servi à graver les stèles du PetitChasseur et ceux de la stèle expérimentale montre une grande similitude dans leur
dimension et leur morphologie (fig.6).
Enfin ce travail demande clairement une mise en place préalable du dessin général, afin de
répartir les motifs sans trop de décalages. Si l’emploi d’une règle et d’un outil pour tracer n’a
manifestement pas été systématique pour toutes les stèles du Petit-Chasseur, certains
motifs n’ont pas pu être réalisés sans eux.
A l’occasion de l’archéofestival de Fribourg, en juin 2008, les personnes présentes dans le
public qui ont participé à l’exécution de quelques gravures s’en sortaient très honorablement,
ce qui permet de relativiser le degré de spécialisation que ce travail exige. Les étapes que
sont l’extraction, le transport et la taille de la forme générale d’une stèle, ainsi que le dessin
par incision sont tout aussi importantes et délicates que la gravure elle-même et exigent un
savoir-faire certain.
Nous envisageons désormais une prochaine phase expérimentale consistant à réaliser une
stèle en taille réelle comportant également extraction en carrière et transport sur site avec
des moyens « néolithiques ».
Bibliographie
Pierre Corboud, Philippe Curdy, 2009. Stèles préhistoriques. La nécropole néolithique du
Petit-Chasseur à Sion. Musées cantonaux du Valais, Sion.
Sébastien Favre, Alain Gallay, Kolja Farjon, Bertrand de Peyer, 1986. Stèles et monuments
du Petit-Chasseur, un site néolithique du Valais (Suisse). Département d’Anthropologie,
Genève.
Alain Gallay, Louis Chaix, 1984. Le Dolmen M XI : texte et planches, documents annexes. 2
vol. Le site préhistorique du Petit-Chasseur, Sion, Valais. Cahiers d’Archéologie Romande
31/32, documents du Département d’Anthropologie de l’Université de Genève 8/9.
Lausanne.
Alain Gallay, 2006. Les sociétés mégalithiques. Pouvoir des hommes, mémoire des morts.
Presses polytechniques et universitaires romandes 37. Collection « Le savoir suisse ».
Mario Sartori, Marcel Burri, Elisabeth Fierz-Dayer, Philippe Curdy, 2007. Caractérisation
pétrographique des éléments de construction de la nécropole du Petit-Chasseur et d’autres
sites néolithiques de la région de Sion. Bulletin d’Etudes Préhistoriques et Archéologiques
Alpines. Numéro spécial consacré aux Actes du XIe Colloque sur les Alpes dans l’Antiquité.
Champsec / Val de Bagnes / Valais-Suisse, 15-17 septembre 2006. Aoste.

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