L`enfer de la boulimie - Eki-Lib
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L’enfer de la Boulimie Santé Mieux-être L’enfer de la Boulimie Pour certaines, la volonté, louable et légitime, de surveiller leur poids vire à l’obsession et au cauchemar. Portraits de femmes qui sacrifient tout, même leur santé, à l’idéal de minceur... par Sophie Allard Coup de pouce Décembre 1999 L’enfer de la Boulimie Santé Mieux-être I l y a cinq ans, la vie de Nathalie, 24 ans, a tourné au cauchemar. Pour venir à bout de son embonpoint, elle décidait de suivre une diète sévère et un entraînement quotidien. « Un soir, je n’ai pu résister et j’ai mangé six beignes d’affilée. Je me suis sentie terriblement coupable. Je me suis fait vomir, puis j’ai recommencé pour pouvoir m’empiffrer sans engraisser. J’ai aussi commencé à prendre des laxatifs... Je venais d’entrer dans un cercle vicieux. » Son obsession l’a menée à consommer 60 laxatifs par jour, à vomir tout ce qu’elle mangeait, à abandonner ses études et à couper les liens avec ses proches. « L’enfer! » lance-t-elle. La boulimie, c’est quoi? Cette maladie se caractérise par des épisodes récurrents de frénésie alimentaire durant lesquels une personne consomme une importante quantité de nourriture en un laps de temps limité. Ces « orgies alimentaires » sont toujours liées à un sentiment de perte de contrôle, et suivies de comportements compensatoires : exercices intenses, auto-vomissements, importante consommation de laxatifs et de diurétiques. En moyenne, les crises surviennent une dizaine de fois par semaine et, dans les cas les plus graves, plusieurs fois par jour! Malheureusement, ce manège peut durer de nombreuses années et parfois entraîner la mort. Coup de pouce Décembre 1999 L’enfer de la Boulimie Santé Mieux-être Pourquoi devientdevient-on boulimique? « La question n’est pas simple, soutient le Dr Howard Steiger, psychologue à la Clinique des troubles de l’alimentation de l’hôpital Douglas. La boulimie, c’est beaucoup plus qu’un problème d’alimentation. Si la diète est très souvent le déclencheur du problème, les causes résident dans un ensemble de facteurs sociaux, psychologiques et biologiques. » Le culte de la minceur. Mannequins brindilles, vedettes longilignes, corps d’athlètes... Notre société prône le culte de la minceur et fait souvent rimer réussite avec apparence physique. Selon l’Institut national de la nutrition, 80% des filles ont suivi un régime avant l’âge de 18 ans et 40% avant l’âge de 9 ans. « Les troubles alimentaires sont plus fréquents dans certains groupes, chez les ballerines, les gymnastes et les mannequins », affirme le Dr Stephen Stotland, psychologue à l’Hôpital général de Montréal. « Nous avons crée une sorte de peur de la nourriture, ajoute le Dr Steiger, et elle est ancrée dans nos plus petites habitudes. Qui ne s’est jamais senti coupable en acceptant un dessert copieux? Qui ne s’est jamais dit qu’il mangerait lendemain d’un festin? moins le Cette crainte favorise les restrictions, qui peuvent mener tôt ou tard à une perte de contrôle. » Toutefois, les n’expliquent pas tout. pressions sociales QUI SONT LES BOULIMIQUES? BOULIMIQUES Selon l’Institut national de la nutrition, 500 000 Canadiennes, âgées entre 13 et 40 ans, souffriraient de boulimie. Une jeune femme sur 20 vivrait un cauchemar semblable à celui de Nathalie. Mais la boulimie frappe peu importe l’âge (on a vu des cas à 8 ans et 60 ans!), le sexe, le niveau socioéconomique ou l’appartenance culturelle. Toutefois, le groupe le plus à risque reste les femmes de 20 ans. Près d’une étudiante d’université sur quatre se ferait vomir à l’occasion ou ferait usage de laxatifs pour éviter de prendre du poids! Dans 5% des cas, les conséquences de leurs gestes entraînent la mort. Coup de pouce Décembre 1999 L’enfer de la Boulimie Santé Mieux-être Le profil psychologique. Un passé difficile, négligence familiale, violence, famille dysfonctionnelle, tous ces facteurs peuvent être associés à la boulimie. Nathalie St-Amour, infirmière clinicienne et co-fondatrice de la Clinique St-Amour, une clinique spécialisée en troubles alimentaires, souligne que la moitié de ses patientes ont déjà subi des abus sexuels. « C’est plausible qu’une fille abusée lorsqu’elle était enfant développe des problèmes de perception de l’image corporelle et d’estime de soi, qui conduisent à la boulimie, affirme le Dr Stotland, mais ces facteurs peuvent mener à bien d’autres troubles de comportement. La relation de cause à effet n’a jamais été prouvée. » Une boulimique sur trois présenterait d’abord un problème de compulsion et abuserait, en plus de la nourriture, de drogues et d’alcool. D’autres souffriraient d’un manque de contrôle qui se manifesterait aussi bien par le vol à l’étalage (pour se procurer toute la nourriture désirée) que par les pulsions sexuelles et les gestes suicidaires. Et il y a celles qui présenteraient un profil anorexique : perfectionnistes, anxieuses, obsessionnelles. Les prédispositions biologiques. Il faut regarder du côté de la sérotonine, un neurotransmetteur qui régularise l’humeur, l’impulsivité et l’appétit. faisant des recherches sur les animaux, on a remarqué que, lorsqu’on abaisse le taux de sérotonine, on peut provoquer des excès alimentaires », explique le Dr Steiger. Les personnes impulsives, entre autres les boulimiques, présentent une quantité de sérotonine inférieure à la normale. Cette baisse du taux de sérotonine peut être causée par des troubles héréditaires ou par les séquelles d’un dérèglement alimentaire. Les personnes à risque manquent de « freins cérébraux » et tombent dans l’excès. Coup de pouce Décembre 1999 « En L’enfer de la Boulimie Santé Mieux-être Voilà pourquoi une boulimique sur trois aurait d’abord été anorexique et pourquoi plusieurs balancent d’un diagnostic à l’autre. « Le jeûne provoque des rages alimentaires, c’est inévitable! Soutient Lise Primeau, diététiste à l’hôpital Sainte-Justine. Les personnes trop longtemps privées de nourriture ne sont plus capable de résister! » L’enfer au au quotidien Pendant 16 ans, la vie de Marie-Claude, 36 ans, a tourné autour de la boulimie. D’abord anorexique, elle a découvert QUI SONT LES ANOREXIQUES? ANOREXIQUES qu’elle pouvait se faire vomir avec facilité. « J’étais si heureuse! C’était comme si j’avais De 200 000 à 300 000 Canadiennes, âgées de 13 à 40 ans, seraient anorexiques s’il faut en croire les chiffres de l’Institut national de la nutrition. Les plus à risque? Les filles de 13-14 ans, perfectionnistes, anxieuses, qui ont une faible estime d’elles-mêmes. Contrairement aux boulimiques qui souffrent de pertes de contrôle alimentaire, les anorexiques contrôlent leur poids à l’extrême en faisant des régimes sévères, des jeûnes, des purges occasionnelles et de l’exercice de manière compulsive (jusqu’à 5 heures par jour!). Environ 15% d’entre elles mourront des suites de leur maladie. gagné le gros lot! Au début, je vomissais une fois par deux semaines, puis j’ai augmenté à trois fois par jour. Je connais toutes les salles de bains des restaurants de Montréal! » lancet-elle à la blague. Pourtant, à ce moment, sa vie n’avait rien de comique : elle évitait les invitations à des repas et profitait de ses pauses à l’université pour s’éclipser aux toilettes... En une journée, elle pouvait consommer 3 500 calories et 150 laxatifs! Lors d’une orgie alimentaire, une personne boulimique peut manger une miche de pain, un contenant de crème glacée, six beignes, un reste de poulet dans le frigo... et en redemander! « Les boulimiques planifient toute leur journée en fonction de leurs crises. Elles développent un rituel, font la tournée des restos et choisissent différents dépanneurs pour ne pas éveiller les soupçons », précise Nathalie St-Amour. Elles quittent le travail plus tôt, chassent leur conjoint de la maison et finissent par se créer une double personnalité. Coup de pouce Décembre 1999 L’enfer de la Boulimie Santé Mieux-être « Dès que je pouvais après le repas, je prenais un bain pour pouvoir m’isoler et vomir », raconte Nathalie. Elle le faisait même si elle avait des invités à la maison. C’était une véritable obsession! « Lors de mes crises, j’aurais voulu me planter un couteau dans le ventre pour tout faire sortir, confie MarieClaude. Être mince et propre, c’est tout ce qui comptait pour moi. J’aurais pris du Drano si j’avais pu! » Une fois, elle a même fait semblant d’avoir ingurgité des médicaments pour recevoir un lavement à l’hôpital. La chasse aux indices Contrairement aux anorexiques, qui fondent à vue d’œil, les boulimiques maintiennent souvent un poids normal et cachent leur jeu pendant longtemps. Voici quelques signes qui devraient nous mettre la puce à l’oreille : fréquents passages à la salle de bains après les repas; humeur très variable; marques sur les jointures (à force d’entrer les doigts dans la bouche), glandes parotides enflées (à force de vomir), yeux rougis; refus de partager les repas, isolement; importantes quantités de nourriture qui disparaissent dans la maison; discours toujours orienté vers l’image corporelle. Coup de pouce Décembre 1999 L’enfer de la Boulimie Santé Mieux-être Des sévices personnels Les boulimiques infligent à leur corps une série de sévices qui ont comme conséquence : arrêt des menstruations, perte des cheveux, irritation de la gorge, dilatation de l’estomac, inflammation de l’œsophage, perte importante de la masse osseuse, destruction de l’émail des dents, fatigue intense, évanouissements. Deux boulimiques sur trois présentent des conséquences sérieuses découlant de leur maladie. « Certaines subissent un infarctus, une perforation de l’œsophage ou une rupture de l’estomac, d’autres se suicident », indique le Dr Steiger. « Je ne me préoccupais pas de la conséquence de mes actes, confie Marie-Claude. Je me croyais invincible jusqu’à ce que je tombe dans le coma pendant deux jours. Là, j’ai réalisé que je pouvais en mourir! » En plus de laisser des traces sur le physique, la psychologiques. boulimie a des effets Les boulimiques vivent des montagnes russes émotionnelles qui montent et descendent au gré des épisodes de compulsion alimentaire et de purges. Dépression, anxiété, isolement, amoureux et troubles sexuels, problèmes affaiblissement des capacités intellectuelles font partie de leur lot. MA FILLE EST BOULIMIQUE, BOULIMIQUE QUE FAIRE? -Se renseigner sur les troubles de l’alimentation. -Ne pas règlementer son alimentation. -Éviter les commentaires sur son attitude face à la nourriture et les conversations sur l’apparence physique. -Parler ouvertement du problème, en utilisant le « je ». -Lui suggérer de se faire soigner, sans la forcer. Ne pas jouer au thérapeute! -Aller chercher de l’aide si sa santé est menacée. -S’interroger sur notre attitude face au poids et à l’apparence. Coup de pouce Décembre 1999 L’enfer de la Boulimie Santé Mieux-être Ça se soigne! Les boulimiques qui n’en peuvent plus décident de consulter. « Elles se sentent toujours coupables et veulent faire cesser le rythme infernal dans lequel elles vivent. Il est très rare qu’elles puissent s’en sortir seules », indique Nathalie St-Amour. Mais le traitement implique qu’elles doivent d’abord passer par-dessus la crainte de prendre du poids. « C’est très effrayant de surmonter la boulimie. C’est comme notre maison était en feu et qu’on doive se précipiter à l’intérieur pour s’en sortir », explique le Dr Steiger. Grâce à un traitement multidisciplinaire (médical, diététique et psychologique), on peut venir à bout de cette maladie. « Plus vite le problème est détecté, moins le traitement est difficile et plus il a de chances de réussir », souligne le Dr Stotland. En moyenne, on obtient des résultats au bout de 4 à 6 mois, mais la gravité de l’état de certaines malades nécessite des soins à long terme. Durant le traitement, on résolu d’abord le problème de l’alimentation pour que les patientes puissent faire le plein d’énergie et reprennent de bonnes habitudes. « Bien souvent, elles ne savent même plus ce qu’est la faim, précise Lise Primeau. Je les aide à se discipliner et je leur montre que manger ne fait pas nécessairement engraisser. Je leur réapprends à éprouver du plaisir à manger sans se sentir coupables. » Coup de pouce Décembre 1999 L’enfer de la Boulimie Santé Mieux-être Le psychologue intervient ensuite et tente d’expliquer les sources du problème. « On aide les patientes à mettre le doigt sur ce qui les motive à se livrer à des orgies alimentaires, indique le Dr Stotland. On étudie leurs traits de personnalité, la nature de leurs relations avec les autres. Puis, on creuse dans le passé afin de déterminer pourquoi tout a MIEUX VAUT PRÉVENIR… PRÉVENIR commencé. On ne peut guérir si on ne sait pas pourquoi on est malade! » Voici des moyens d’aider notre enfant à développer une relation saine face à la nourriture. certains cas plus difficiles, Dans les antidépresseurs peuvent être nécessaires -Favoriser une alimentation saine, avec des petites gâteries à l’occasion, et la pratique de l’exercice physique, sans excès. pour réduire temporairement le désir de manger, briser le cercle vicieux et aider la thérapie. -Bannir les régimes alimentaires. -Établir des habitudes alimentaires : déterminer un horaire pour les repas et les collations, choisir un endroit approprié et calme pour manger, et partager les repas en famille as moins une fois par jour. Marie-Claude y est arrivée après trois mois de traitement à l’hôpital Douglas. « J’avais peur, mais je voulais m’en sortir. -Éviter les critiques sur l’apparence physique et apprendre à notre enfant à y faire pas positivement, le cas échéant. Ça a été très difficile au début. Je téléphonais à mon conjoint pour qu’il me sorte de là. Mais il a tenu son bout, et je -Laisser l’enfant décider de la quantité de nourriture qu’il désire manger. Ne pas le forcer à manger ce qu’il n’aime pas. suis passée au travers. » Consommation -Éviter de faire du chantage avec la nourriture. C’est la meilleure façon d’associer aliments et émotions! groupe, elle a tout fait pour s’en sortir... -Garder l’œil ouvert. de repas réguliers, faits et gestes surveillés, consultations psychologiques, thérapies de Est-elle guérie? Elle l’espère, mais rien n’est gagné d’avance. Coup de pouce Décembre 1999 L’enfer de la Boulimie Santé Mieux-être Retomber dans le piège Environ 65% des boulimiques traitées auraient des rechutes un an après leur guérison. « Au lieu de parler de rechutes, j’aime mieux parler de périodes creuses qui font partie du processus de guérison, indique Nathalie StAmour. Ça peut survenir lors d’une rupture amoureuse ou de stress professionnel. Mais la maladie ne revient jamais complètement. » L’important, selon Dr Stotland, c’est que les patientes soient au courant de ce risque, qu’elles mettent de côté le sentiment de honte qui les afflige et qu’elles soient prêtes à réagir rapidement si les crises reviennent, afin de ne pas retomber dans le piège. « Les boulimiques resteront vulnérables et seront probablement toujours préoccupées par leur poids, affirme le Dr Steiger. Elles doivent se demander si elles veulent être maigres à tout prix ou si elles veulent risquer d’avoir 5 livres de plus et être bien dans leur peau. » Pour Nathalie, le cauchemar semble terminé. Après avoir été hospitalisée à plusieurs reprises et avoir touché le fond, elle a suivi une thérapie. « C’est encore très difficiles par moments, surtout avant les menstruations : je me sens grosse et laide. Mais mes priorités ont changé. Avant mon avenir n’était qu’un trou noir. Maintenant, il y a un chemin qui se dessine devant moi », confie-t-elle, un sourire dans la voix. Coup de pouce Décembre 1999 L’enfer de la Boulimie Santé Mieux-être Pour en Savoir Plus Association québécoise d’aide aux personnes souffrant d’anorexie nerveuse et de boulimie (ANEB Québec), (514) 630-0907, www.generation.net/~anebue Clinique des troubles de l’alimentation, hôpital Douglas, (514) 761-6131, poste 22895. Groupe thérapeutique pour désordres alimentaires, CHUM, (514) 281-6000, poste 5660. Clinique St-Amour, (418) 834-1177, www.mediom.qc.ca/~anorexie/home.htm Pour Aller Plus Loin Images, bulletin de l’ANEB Québec, (514) 630-0907. Aussi offert à la Clinique des troubles de l’alimentation de l’hôpital Douglas. La Boulimie, s’en sortir repas après repas, par Ulrike Schmidt et Janet Tresure, Estem, 1998, 176 p, 17,90$. Anorexie nerveuse et boulimie – Guide complet pour la famille et les intervenants, par Nathalie St-Amour, 1997, 45 p, 20$. Anorexie, boulimie, obésité, par Gérard Apfeldorfer, Flammarion, coll. Dominos, 1995, 124 p, 12,95$. L’Anorexie et la Boulimie de l’adolescente, par Henri Chabrol, PUF, coll. Que sais-je?, 1991, 126 p, 12,95$. Coup de pouce Décembre 1999