de L`armagnac - Vignobles Lesgourgues
Transcription
de L`armagnac - Vignobles Lesgourgues
fine spirits Le brûlot, le breuvage traditionnel que l’on partage pendant la campagne de distillation. L’eau-de-vie fraichement distillée est sucrée et aromatisée avec des agrumes mais surtout… longuement flambée. armagnac La flamme de l’armagnac L’armagnac est la plus ancienne de nos eaux-de-vie françaises mais surtout la plus authentique. D’ailleurs, l’armagnac, c’est avant tout une histoire de familles, une passion que les Gascons se transmettent de génération en génération, tout comme l’art du bon vivre. Et, cette année encore, dans ce coin du Sud-Ouest béni des Dieux, la campagne de distillation s’impose comme une véritable fête pour tous. par Cécile Fortis, photos Nicholas Sikorski E n Gascogne, cette année, les vendanges n’ont pas été très généreuses : personne ne devrait distiller bien longtemps… Et quand ça parle hectolitres, on sent bien un peu de déception, une certaine inquiétude. Mais ce ne sont pas de faibles rendements qui vont gâcher l’ambiance ! De toute façon, ici, on a l’habitude de distiller de petites quantités. Si, aujourd’hui, de plus en plus de maisons se consacrent exclusivement à la production d’armagnac, cela n’a pas toujours été le cas. D’ailleurs, les grands groupes se font toujours rares : c’est en famille que se transmet l’art de la distillation et de l’élevage de l’armagnac, cette eau-de-vie de tradition artisanale. Et puis, selon l’appellation d’origine contrôlée qui date de 1936, le volume journalier d’alcool pur produit ne doit pas excéder 40 hectolitres par alambic. Ainsi, tous les ans, depuis plus de sept cents ans, après l’automne qui est rythmé par les vendanges, s’installe l’hiver, synonyme de distillation. La campagne doit impérativement se clôturer le 31 mars qui suit la récolte mais, dans l’armagnac, une fois le vin prêt, chaque 68 WM&FS53 HIVER 2013 distillateur est libre de commencer à distiller quand il le souhaite. Thomas Guasch, à la tête du Château de Bordeneuve, repris par son père en 1974, est l’un des premiers à avoir rallumé sa “chaudière”. Un moment qu’il attend chaque année avec impatience, à l’image de tous les Gascons. Car, ici, pendant toute la durée de la campagne de distillation, même si le travail est intense et que les nuits sont longues, l’ambiance est résolument festive. Une question d’équilibre Le rendez-vous est donc pris au pied de l’alambic, à Eauze, au cœur du Bas Armagnac, certainement le plus beau terroir de l’appellation. L’occasion rêvée de goûter au distillat encore tiède à la sortie de l’alambic… «C’est un moment de l’année très particulier. J’ai beaucoup de souvenirs liés à la distillation : j’ai commencé à distiller avec mon père à l’âge de dix ans. En général, on distille pendant deux mois. Mais, cette année, on ne devrait pas distiller plus de trois semaines. La récolte a été faible : on a eu une météo affreuse. Jusqu’en 1979, c’était un distillateur ambulant qui distillait notre vin. Mais, cette année-là, mon père a acheté notre alambic à colonne, fabriqué à Paris en 1922. Un peu plus tard, il a été adapté au gaz : c’est plus régulier comme chauffe», raconte Thomas Guasch, tout à la fois viticulteur et distillateur. Un viticulteur qui distille la totalité de sa production de vin et mérite le titre de bouilleur de cru puisqu’il est propriétaire du domaine. Et, rassurez-vous, même si l’alambic a été déniché à Paname, avec sa chaudière, son serpentin, sa colonne et ses plateaux, il a tout d’un Armagnacais ! Jacques Tuillière, chaudronnier à Auch, qui a déposé le brevet de l’alambic régional chauffé à feu nu en 1818, ne le renierait certainement pas. «Pour nos eaux-de-vie, nous cherchons à trouver l’équilibre entre une belle expression des arômes et une pureté suffisante. Pour y parvenir, c’est important de bien connaître son alambic. Il y a trois critères qui nous permettent de savoir si 4 WM&FS53 HIVER 2013 69 fine spirits armagnac «Il règne une atmosphère propice à la détente et à la rêverie. Voire à la sieste» De gauche à droite : Le bel alambic du Château de Bordeneuve fabriqué à Paris en 1922 et installé au domaine en 1979. Chez Samalens, les quatre alambics armagnacais sont en “concurrence” avec quatre alambics à repasse originaires de Cognac. Hugues Amesland, à la tête de célèbre la maison Samalens. Thomas Guasch, l’un des premiers distillateurs à avoir rallumé sa “chaudière”. tout se déroule correctement. La chaleur : il suffit de toucher l’alambic. Le bruit : le ronron doit être délicat et régulier. Et il y a également l’odeur : ça ne doit évidemment pas sentir le brulé… Un autre élément important : le degré d’alcool de l’eau-devie à la sortie de l’alambic. Il doit se situer entre 55 et 57°», précise Thomas. «En général, tout se passe bien mais on redoute toujours une coupure d’électricité ou, lorsqu’on goûte, de découvrir les impuretés en bouche. Et, quand il fait très froid, le gaz n’a pas le même débit. C’est à surveiller aussi. À la sortie de l’alambic, l’eau-de-vie coule directement dans une barrique. Nous produisons trois barriques par jour mais, pour ça, il faut éviter de s’endormir sinon cela peut déborder… », plaisante-t-il. Il faut dire qu’entre le ronronnement de la chaudière, la chaleur enveloppante de la pièce et les effluves de vin fraichement distillé, même s’il faut rester concentré, il règne une atmosphère propice à la détente et à la rêverie. Voire à la sieste… Cela fait déjà dix ans que Thomas a rejoint son père 70 WM&FS53 HIVER 2013 Jean-Claude au Château de Bordeneuve. Une très belle carrière l’attendait pourtant loin de ses terres mais son amour pour sa région et l’armagnac a été le plus fort. Et s’il se passionne pour la distillation, il prend également beaucoup de plaisir à nous parler de ses vignes. «Nous possédons vingt hectares de vignes plantées en ugni blanc et en baco : elles se situent autour du château. Certaines ont des sols très argileux qui permettent à nos eaux-devie de gagner en force. Même s’il ne représente que quatre hectares, le baco est un cépage auquel nous tenons beaucoup. Tout d’abord, parce qu’il est très résistant aux maladies de la vigne et il n’exige pas trop de soin. On peut dire que c’est un cépage écolo. Et puis, il se bonifie vraiment avec le temps : après dix ans en fûts et plus, on obtient des eaux-de-vie magnifiques.» La voilà la plus grande fierté de Thomas : ses armagnacs. Avec près de six cents fûts en cours de vieillissement dans le vieux chai bâti au XVIIIe siècle, il a effectivement de quoi être fier. Conserver le style maison À Laujuzan, changement d’ambiance. Dès l’arrivée, au vu de la taille des chais, on comprend très vite pourquoi la maison Samalens fait partie des institutions armagnacaises. Fondée en 1882, elle a été dirigée par la famille Samalens jusqu’à la disparition de Pierre en 2011. Quatre générations qui ont fait de cette signature, l’une des plus prestigieuses de la région. Une notoriété qui n’a évidemment pas échappé à Halley Wines & Spirits, un groupe ambitieux, spécialisé dans la production de vins et spiritueux ainsi que la distribution à l’international. D’ailleurs, le groupe possède également les armagnacs Larresingle et a aussi repris la très belle maison de cognac Leopold Gourmel. Et, dans le Gers, si HWS est tombé sous le charme de Samalens, c’est bien sûr parce qu’elle possède l’une des distilleries les plus importantes de la région. Huit alambics ont, en effet, trouvé place dans ce coin du Bas Armagnac. Quatre alambics armagnacais qui datent des années 1900 et, plus original, quatre alambics à repasse originaires de… Cognac. Ces quatre chaudières ont été adoptées en 1973 car avant l’application du décret de 1972, ce type d’alambics était tout simplement interdit pour la production d’armagnac. «La distillerie est évidemment l’un des atouts de Samalens. Quant à la “double chauffe”, elle est très rare dans l’armagnac. Cela doit représenter à peine 5 % du volume total de l’appellation. Bien sûr, distiller avec un alambic à repasse, c’est plus long mais cela permet d’obtenir des eaux-de-vie à la personnalité plus ronde, moins revêche», raconte avec enthousiasme Hugues Amesland désormais à la tête de célèbre la maison de négoce. L’AOC impose, en effet, que «dans chaque atelier de distillation doit fonctionner au moins un alambic de type principal au cours de la campagne considérée», c’est-à-dire un alambic de type armagnacais à alimentation continu contrairement à l’alambic cognaçais, qualifié d’“accessoire”, qui distille en deux temps. «De toute façon, que ce soit avec les quatre armagnacais ou avec les quatre cognaçais, même si on distille le même vin, chaque eau-de-vie sera différente. Nous distillons également une petite partie sur lies. Ça encrasse l’alambic et ça peut rimer (brûler, NDLR) mais cela permet d’obtenir des eaux-devie encore plus expressives et, au final, d’avoir la plus large palette pour élaborer nos armagnacs», rajoute-t-il. «Nous distillons un tout petit peu de baco et de folle blanche mais très majoritairement de l’ugni blanc. Tous les vins distillés proviennent exclusivement du Bas Armagnac. Mais, cette année, les rendements sont faibles. Malgré nos contrats avec des producteurs de la région, nous ne distillerons pas autant qu’on le souhaiterait.» En Armagnac comme ailleurs, il y a bien sûr une certaine tension sur les stocks mais, chez Samalens, au regard du nombre de fûts en cours de vieillissement, on n’est pas très inquiet. Et puis l’export, le principal marché de la maison se porte bien. Dans les pays de tête, on trouve naturellement la Chine même si cette année les résultats sont inférieurs à 2012. Il y a également le Japon, la Russie et les États-Unis. Si bien qu’aujourd’hui, 90 % des armagnacs Samalens sont dégustés à l’étranger. «Nous voulons conserver le style Samalens. Il a fallu tout d’abord comprendre le travail effectué par la maison. Les anciens nous ont beaucoup aidé. Cela dit, on souhaite aussi aller vers moins de boisé», précise-t-il. La mémoire, c’est certainement ce qu’il y a de plus précieux dans le coin. L’arrivée de la flamme, une grande fête À présent, direction Sorbets. Au château de Laubade, tout le monde s’affaire : deux cents personnes vont bientôt arriver pour célébrer le début de la campagne de distillation. Un moment que Denis Lesgourgues ne manquerait sous aucun prétexte. «C’est notre grand-père qui a acheté le domaine en 1974. Il se compose de 105 hectares de vignes d’un seul tenant en Bas Armagnac. À l’époque, au-delà de l’armagnac, il y avait des céréales, 4 WM&FS53 HIVER 2013 71 fine spirits armagnac «Nous travaillons par tâtonnements, tous ensemble, un peu comme le ferait un parfumeur» des arbres fruitiers et même des chevaux. Mais il a tout de suite abandonné la polyculture pour se consacrer exclusivement à la production d’eaude-vie. Et, pour être totalement autonome, il a fait construite un alambic sur mesure à Condom», raconte le jeune entrepreneur, qui dirige le Château de Laubade avec la complicité de son frère Arnaud. C’est d’ailleurs au pied de ce bel armagnacais, une pièce unique, que la soirée va débuter avec l’arrivée du feu. Un véritable rituel qui, tous les ans, depuis 72 WM&FS53 HIVER 2013 plus de trente ans, réuni l’ensemble des habitants du village de Sorbets. On l’aura compris, chez les Lesgourgues, on n’a pas pour habitude de faire les choses à moitié. Si en Gascogne, la campagne de distillation est une période particulièrement conviviale, au Château de Laubade, c’est une très grande fête ! Pour marquer le début de la campagne 2013, plus de deux cents personnes ont donc trouvé place dans l’un des chais pour partager une poule au pot et le traditionnel brûlot au son d’une bandas déjantée. De quoi épater les quelques clients anglo-saxons également invités. Il faut dire que, malgré les faibles rendements du millésime dans la région, grâce au travail accompli par Maurice, puis par son fils JeanJacques Lesgourgues, à l’origine du développement du domaine, la troisième génération peut être assez sereine. Dans les sept chais du domaine, plus de 3 000 fûts d’armagnac attendent patiemment d’être jugés aptes à être embouteillés. Cela représente plus de quatorze années de stock. «Nous distillons absolument tout le vin que nous produisons. Habituellement, la période de distillation dure au moins quarante cinq jours mais, cette année, ce sera beaucoup plus court. Michel Bachoc, notre directeur de production, et François Lasportes, notre jeune maître de chai, travaillent avec une équipe de trois personnes qui distillent au domaine depuis très longtemps. C’est très important pour nous car cela permet de nourrir et de transmettre une mémoire collective qui est essentielle. Quant à notre alambic, il a une particularité : la partie qui accueille le vin se compose non pas d’une pièce mais de deux. Cela permet de faire progresser le vin en deux fois et ainsi de mieux réguler le flux dans la colonne. C’est plus précis et, à la sortie de l’alambic, on voit bien que les arômes ont été parfaitement captés», précise Denis. «Grâce à David Croizet, notre ancien maître de chai, qui nous a beaucoup apporté en matière de distillation, nous distillons sur lies la plus grande partie de nos vins. C’est un peu plus compliqué : les plateaux s’encrassent beaucoup plus vite. Ça impose un nettoyage complet de l’alambic en milieu de campagne, pièce par pièce. C’est un vrai travail de fourmi qui nous prend au moins quarante huit heures. Mais la distillation sur lies donne des résultats incroyables, en particulier avec la folle blanche, un cépage très aromatique.» De gauche à droite : L’alambic du Château de Laubade, une pièce unique, fabriquée sur-mesure à Condom. Dans les chais du Château de Bordeneuve, près de six cents fûts sont en cours de vieillissement. Jean-Jacques Lesgourgues en plein discours : la campagne de distillation est lancée ! Un savoir-faire historique et collectif Si la distillation est une étape essentielle dans l’élaboration de l’armagnac, Denis aime également rappeler que tout commence à la vigne. D’autant qu’à Sorbets, les quatre cépages traditionnels de l’appellation, ugni blanc, colombard, folle blanche et baco, sont au rendez-vous. «Pour distiller, il faut des vins blancs de qualité, c’est-à-dire des vins avec un degré d’alcool assez faible et une acidité importante. Pour cela, nous travaillons en agriculture raisonnée : nous prenons soin de maintenir l’écosystème des vignes et de contribuer à la régénérescence des sols. Depuis 1999, tous les hivers, six cents des deux milles brebis de Joseph Cazette, surnommé “Le berger de Laubade”, s’installent sur le domaine. L’engrais organique qu’elles apportent nous a permis de réduire de plus de 20 % nos besoins en pesticides», précise Denis qui n’ou- blie pas de rappeler que le fromage dégusté lors de la soirée est naturellement celui de Joseph. «Nous avons également mis en place un programme de replantation afin de pérenniser le vignoble. Près de 50 % des vignes sont plantées en ugni blanc et le baco représente actuellement 30 %. C’est un cépage extraordinaire, notre favori : il apporte de la structure en bouche et de la complexité, en particulier sur les eaux-de-vie âgées. Nous replantons également de la folle blanche.» Au Château de Laubade, les fûts ont également droit à tous les égards. Tous les ans, entre quatre-vingts et cent fûts sont fabriqués sur mesure par un tonnelier basé dans la région de Cognac. Certainement la seule infidélité régionale puisqu’ils sont fabriqués en chêne gascon choisis sur pied. Quant aux douelles, elles vieillissent au domaine, à l’air libre, pendant au moins trois ans. «Nos eaux-de-vie passent de dix huit mois jusqu’à trois ans dans des fûts neufs avant d’être transférées dans des fûts plus âgés. On goûte régulièrement le stock, en particulier les eaux-de-vie jeunes. Tous nos armagnacs vieillissent par cépage et par millésime. Lorsque nous devons réaliser nos assemblages, le maître de chai fait une première sélection de quinze à vingt-cinq eauxde-vie. À partir de là, nous travaillons par tâtonnements, tous ensemble, un peu comme le ferait un parfumeur. Il faut avoir de la mémoire olfactive !» Une “formule” qui semble fonctionner à merveille : la distillation vient juste de commencer que le château de Laubade a été élu Meilleur producteur d’armagnac au New York International Spirits Competition. Quant au XO, l’embouteillage vedette de la maison, il a reçu une double médaille d’or. Autant dire la plus haute récompense. Une médaille qui fait honneur à toute une appellation. W WM&FS53 HIVER 2013 73