Fusions, rachats et privatisations

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Fusions, rachats et privatisations
Fusions, rachats
et privatisations :
rôles et responsabilités
des cadres et de leurs syndicats
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Tables des matières
Tables des matières
Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Rapport de synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Fusions: origines et motifs, désirs et réalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Les conséquences des concentrations et fusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Les fusions dans la pratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
London Electricity PLC. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
National Westminster Bank / Royal Bank of Scotland . . . . . . . . . . . . . . . . 28
MCI Worldcom / Sprint . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Concentration bancaire en Italie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
Syndicats et fusions: obligation d’action et possibilité d’action . . . . . 39
Points clés pour l’intervention lors des fusions
et restructurations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Mai 2001
1°)
2°)
3°)
4°)
accéder à l’information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
négocier les éléments déterminants pour l’avenir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
mettre en place un dispositif de suivi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
s’appuyer sur un réseau international et améliorer les
procédures européennes: . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
Ce document est publié avec le soutien des Communautés européennes. Il reflète l’opinion des auteurs et la responsabilité de la
Commission européenne n’est en aucun cas engagée quant aux
informations qu’il contient.
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Avant-propos
Avant-propos
es fusions, concentrations, restructurations, parfois découlant d’OPA
ou de processus de privatisation, se multiplient de par le monde. Les
nouvelles techniques de communication, la dérégulation financière, l’ouverture des marchés ont contribué à ces phénomènes dont les conséquences affectent le fonctionnement des entreprises concernées et
leurs salariés mais plus largement la vie économique et sociale des pays.
Leur rythme s’est nettement accéléré ces dernières années, particulièrement en Europe où il a été multiplié par plus de 5 entre 1990 et 1999 (les
achats d’entreprises passant de 100 milliards d’euros à 580 milliards
d’euros).
L
Mais dans le même temps, il n’était pas possible de créer directement
une entreprise de droit européen, car le projet de directive était resté
bloqué pendant plusieurs décennies par certains gouvernements refusant de reconnaître les droits de représentation des salariés.
Les cadres, sont directement impliqués dans ces processus de fusions,
acquisitions, privatisations: ils en assurent la, gestion, mais aussi ils en
subissent les conséquences.
G.D. Frerichs, Président du Comité économique et social européen a ouvert notre symposium
tenu à Bruxelles les 20 et 21 novembre 2000. Ici avec D. Bé (Commission européenne),
M. Hemmer et M. Rousselot (EUROCADRES) à gauche et T. Edwards (Université de Kingston) à
droite. Au premier plan : P. Harley (Fédération européenne des services publics), R. Mac Grégor
(UNI-Europa) et S. Petch (UNI-Europa) qui ont présenté les études de cas.
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C’est pourquoi le thème de ce symposium s’est imposé à nous et nous
avons choisi de confronter nos expériences et réflexions au cours de
deux journées de symposium à Bruxelles en novembre 2000. Nous avons
retenu pour cela une approche pragmatique en s’efforçant de sérier
quelques questions qui nous paraissent essentielles.
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Avant-propos
Pourquoi ces initiatives de fusions, rachats ou privatisations?
Il n’est pas facile d’y voir clair : en effet les décisions essentielles considérées comme stratégiques sont prises dans le secret et restent l’apanage d’un nombre extrêmement limité de dirigeants, souvent sans véritable
contrôle, y compris des conseils d’administration. Les objectifs poursuivis apparaissent obscurs: s’agit-il de logiques capitalistiques pour
construire des alliances, ou de garantir des positions de contrôle?,
Recherche de gains de productivité? Conquêtes de nouveaux marchés?
S’agit-il plus simplement de la mégalomanie de quelques dirigeants?
Bref, il y a-t-il des raisons économiques? On peut en douter, car des
études commencent à montrer que nombre de fusions sont des échecs
du point de vue économique. Comment, en tout cas discerner derrière les
objectifs annoncés, ceux qui sont réellement poursuivis, car les conséquences en terme de restructuration, d’organisation du travail, d’emploi… seront extrêmement différentes.
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Avant-propos
professionnelle ou géographique doit pouvoir être librement choisie. Cela
suppose des mesures d’accompagnement précisément négociées par
les syndicats. Cela suppose également une mise en œuvre par les cadres
à leurs divers niveaux de responsabilités.
De plus, nous avons connu dans certains pays des vagues de privatisations de services publics, avec toute une série de premières conséquences, suivies plus ou moins longtemps après, par des rachats des
entreprises privatisées conduisant à une deuxième vague de restructuration.
Comment les fusions affectent-elles les modes de management et les
cultures d’entreprises?
Les cultures des entreprises concernées vont-elles se combiner?
Lorsque plusieurs pays sont concernés, va-t-on vers un management
inter-culturel, ou au contraire un modèle va-t-il être imposé autoritairement?
Comment ne pas intervenir trop tard?
Les conséquences sur l’emploi ne sont pas toujours annoncées, et parfois ce n’est qu’au bout de quelques mois voire de quelques années que
se révèlent les suppressions d’emploi, fermetures d’usines, délocalisations de productions. La connaissance et la compréhension des réalités
économiques, commerciales, techniques et économiques sont essentielles pour ne pas être pris au dépourvu.
Cet aspect quantitatif est bien sûr important, mais il faut tout autant
prendre en compte l’aspect qualitatif avec la réorganisation du travail, les
évolutions des qualifications, les évolutions des formes de contrats de
travail : deviennent-ils plus ou moins surs? plus ou moins flexibles?
Dans tous les cas, comment sont conduites les transformations de l’organisation du travail et des conditions de travail? Il importe que cela soit
prévu et organisé, débattu avec les syndicats et avec tous ceux qui sont
concernés individuellement et collectivement. En particulier la mobilité
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Ces choix sont essentiels pour les entreprises. Ils concernent la vie quotidienne des cadres et ont des conséquences pour l’ensemble des salariés mais aussi pour l’environnement économique social et politique.
Or dans nombre de cas, ce qu’il est convenu d’appeler le modèle "anglosaxon " est imposé au détriment du modèle "européen". Dans les faits cela
signifie que l’on privilégie l’intérêt de l’actionnaire "shareholder value",
avec des critères financiers de gestion à court terme, au détriment des
autres partenaires (tels les salariés) et au détriment d’une vision à moyen
ou à plus long terme, qui tienne davantage compte des dimensions sociale et environnementale.
Nous sommes très sensibles à cette question, car EUROCADRES s’est
prononcé il y a quelques années en faveur du "modèle européen de
management ". A l’évidence les fusions, rachats et privatisations sont des
circonstances importantes de changement au cours desquelles la vigilance s’impose.
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Avant-propos
Les cadres, dans leurs activités professionnelles, sont très directement
concernés par ces processus
En effet nos collègues cadres fonctionnels ou hiérarchiques sont impliqués tout au long de ces processus depuis les études préparatoires jusqu’aux réorganisations qui en découlent.
Fusions, rachats et privatisations :
Certes les décisions essentielles leur échappent. Elles sont prises par un
petit groupe de dirigeants. Elles échappent le plus souvent à tout contrôle, autre que formel, des conseils d’administration ou de surveillance.
rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Ensuite, une fois la fusion rendue publique, il reste à gérer dans les entreprises les processus de restructuration avec toutes leurs conséquences.
Cette gestion est le travail des cadres qui veulent alors que des orientations soient clairement définies, et qui souhaitent disposer de marges de
manœuvre nécessaires. Ils ont également besoin de garanties pour leurs
conditions de travail et pour leur avenir. Avec l’ensemble des salariés,
ils ont besoin que des processus d’information et de consultation soient
établis à tous les niveaux.
Voilà pourquoi nous avons voulu ouvrir le débat et confronter les expériences au cours de ce colloque. Nos discussions sont synthétisées dans
les pages qui suivent. C’est une contribution pour mieux repérer les
enjeux et maîtriser un phénomène qui se développe à l’excès. Nous souhaitons ainsi que l’exercice des responsabilités des cadres aille de pair
avec l’intervention syndicale.
Michel Rousselot
Président d’EUROCADRES
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Rapport de synthèse
du symposium EUROCADRES
Bruxelles 20-21 novembre 2000
Bernd Mansel, journaliste (Berlin)
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
Introduction
e symposium organisé chaque année par EUROCADRES était consacré en 2000 au thème "Fusions, rachats et privatisations: rôle et responsabilité des cadres et de leurs syndicats". Lorsque les participants,
au terme de deux jours de discussions, ont quitté le site de la conférence à Bruxelles le 21 novembre, ils ont une nouvelle fois observé la confirmation dans la presse qu’ils ne s’étaient pas intéressés à un problème
imaginaire.
L
Ce 21 novembre 2001 était un jour de semaine ordinaire. Et un jour de
semaine ordinaire, les journaux publient par exemple des articles sous le
titre "France Télécom prend le contrôle d’Equant" ou "Coca-Cola s’oppose à Danone pour la boisson sportive Gatorade". Dans le premier cas,
France Télécom a acquis 54,3 % des parts de l’exploitant de réseau néerlandais Equant et fusionné avec sa filiale Global One, dont coût: 10,3 milliards d’euros. Le deuxième sujet fait référence à un conflit autour de la
prise de possession d’une "poule aux œufs d’or", d’après le quotidien
belge "Het Laatste Nieuws" dans lequel l’article était paru. "Gatorade
maîtrise une part de 84 % du marché américain des boissons énergétiques et rapporte quelque 40 % des bénéfices totaux de sa sociétémère", affirmait le journal belge.
Le "International Herald Tribune" et le "Wall Street Journal", par
exemple, évoquaient également l’opération conclue par France
Télécom. Ils contenaient toutefois également d’autres informations.
"Suez et Arnault forment une alliance sur Internet", "Santander prend le
contrôle de la Banque de Sao Paulo", ou encore "L’accord entre
EarthLink et Time Warner entrave le rachat d’AOL" - autant de grands
titres du "International Herald Tribune". Simultanément, l’on pouvait lire
dans le "Wall Street Journal": "Email cède son unité de construction
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
d’appareils à Electrolux" ou "Hermès offre 17 millions d’euros pour
l’achat de 30 % de Leica".
Direction générale Emploi et affaires sociales de la Commission européenne.
Sans oublier bien entendu l’entrée en bourse de la poste allemande, à
travers laquelle l’entreprise avait été privatisée la veille. Le "Süddeutsche
Zeitung", de Munich, affichait: "L’action de la Poste à un cours soutenu".
Le quotidien allemand faisait également état d’une fusion, qui peut
paraître anecdotique au regard des flux d’argent qui circulent dans le
monde: "Plambeck rachète Norderland". Une entreprise active dans
l’énergie éolienne a ainsi acheté son principal concurrent pour 3,75 millions d’euros.
Comment se déroulent les fusions et les reprises? Quels motifs expliquent leur exécution? Quelles conséquences produisent-elles pour la
situation des travailleurs en général et des cadres en particulier? Ces
questions, et d’autres encore, ont été analysées durant le Symposium par
les quelque 120 participants issus de 17 pays. Elles ont abouti, pour
certaines, à des réponses, et pour d’autres, à des interrogations plus
précises qui requièrent des travaux approfondis.
Il ne s’agit là que de quelques exemples, issus de quelques journaux, un
jour quelconque. Le lecteur normal qui, à la vue de l’actualité économique, a le sentiment que le nombre d’annonces de fusions grimpe en
flèche a parfaitement raison. D’après un rapport des Nations unies, les
fusions transfrontalières se sont multipliées par 10 entre 1991 et 1999.
Il semble manifeste que ces opérations, imputées à la responsabilité
générale de la mondialisation, ne sont pas sans conséquence pour les
citoyens. Elles touchent aussi bien les salariés des entreprises qui se
concentrent que tous les autres. Les conséquences ne peuvent non plus
être absentes lorsqu’une entreprise d’envergure mondiale, mue par la
force économique, abandonne derrière elle une multitude d’économies
nationales. Les protestations véhémentes lors du sommet de
l’Organisation mondiale du commerce à Seattle, en Amérique, constituaient une indication flagrante que les craintes s’exacerbent parmi les
citoyens d’être emportés par une évolution sur laquelle ils ont de moins
en moins d’influence. Ils redoutent que les voix qu’ils donnent lors des
élections perdent peu à peu toute signification dès lors que la législation
et la politique à l’échelle nationale ou européenne ne peuvent infléchir
qu’au prix de grandes difficultés les décisions arrêtées et appliquées par
les multinationales. Au cours du Symposium d’EUROCADRES, cette
situation a été décrite à la fois par Göke Frerichs, Président du Comité
économique et social de l’UE, et par Dominique Bé, membre de la
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
Fusions: origines et motifs, désirs et réalité
l’observation de l’organisation des entreprises, l’augmentation rapide du nombre de fusions et de reprises suscite dans un premier
temps la surprise. La devise "Small is beautiful" règne en maître. Les activités sont organisées en centres de profits restreints, qui doivent fonctionner presque à la manière d’une entreprise à l’intérieur d’un segment
déterminé du marché. Le tableau est tout autre lorsque l’on envisage
l’entreprise dans son ensemble. Dans ce cas, c’est la devise "Bigger is
Better" qui prévaut. Les fusions et les reprises, parfois hostiles, donnent
naissance à de gigantesques entreprises. Quelles motivations poussent
les décideurs? Quelles raisons objectives peuvent être observées?
À
Michel Rousselot, Président d’EUROCADRES, a évoqué dans son introduction la diversité des motivations, qui s’étendent de l’accroissement de
la productivité à la conquête de nouveaux marchés, en passant par une
sorte de folie des grandeurs. Toutefois, les véritables objectifs stratégiques poursuivis par les intervenants, aux termes de M. Rousselot, sont
généralement gardés secrets.
Dans la réalité, les coûts représentent fréquemment un motif de fusion.
Lors d’une fusion d’entreprises de production, les coûts fixes sont répartis
entre un nombre accru d’unités, ce qui permet, tout au moins en théorie, de
faire baisser les coûts unitaires ("économies d’échelle"). Parallèlement,
une grande entreprise représente un facteur de puissance considérable
face aux fournisseurs et peut ainsi obtenir des baisses de prix.
Un avantage supplémentaire au niveau des coûts réside dans la possibilité d’exploiter plus efficacement la recherche et le développement.
Au sein d’un groupe automobile, par exemple, si un éventail de modèles
de carrosseries et d’autres pièces sont communs à toutes les marques et
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
sont uniquement complétés par certaines pièces propres à chaque
marque, cela représente un atout substantiel. La quasi-totalité des
groupes automobiles appliquent aujourd’hui ce mode de fonctionnement.
Un autre motif a trait à l’acquisition de parts de marchés supplémentaires
et du savoir-faire d’une entreprise. Dans les entreprises principalement
fondées sur les connaissances, dans lesquelles le capital humain dépasse largement la valeur du capital immobilisé, ce facteur peut revêtir une
importance primordiale.
Par ailleurs, il est toutefois possible que le motif consiste à rechercher
par le biais d’une reprise à conquérir une influence sur le marché boursier et à satisfaire les intérêts des actionnaires. Ce motif ne joue cependant que pendant une période très brève et ne prend guère en considération l’évolution à moyen et à long terme.
Un autre motif encore, qui n’est pas toujours avoué publiquement,
concerne la diminution des coûts à travers le licenciement de personnel
et/ou la baisse du niveau de salaire des travailleurs. À l’occasion, les
entreprises tiennent malgré tout un discours honnête. Rolf Breuer, le
Président du Conseil d’administration de la Deutsche Bank, a ainsi déclaré en décembre 1999 au sujet des motivations du projet de fusion, qui a
ensuite échoué, avec la Dresdner Bank: "Nous avons atteint nos limites
dans la compression de personnel par le biais de restructurations. Seule
une fusion peut nous apporter une plus grande consolidation."
Certains motifs radicalement différents ne relèvent pas même de l’entreprise, mais de l’intérêt d’un groupe relativement restreint. Dans son rapport introductif, Tony Edwards décrit ainsi cette situation: "Les conseillers
d’entreprises, les banquiers d’investissement et les avocats d’affaires
tirent tous profit d’une explosion des fusions, de même qu’une certaine
catégorie de dirigeants de pointe, qui engrangent des primes et des
hausses salariales astronomiques une fois la fusion menée à bonne fin."
Dans la pratique quotidienne, ce dernier motif d’avantage personnel
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
conduit tout à fait au succès escompté. À l’inverse, il n’en est rien pour
les autres motifs. D’après Tony Edwards: "Un grand nombre de preuves
que les fusions n’induisent pas d’accroissement des bénéfices se sont
aujourd’hui accumulées. Ce constat résulte de la plupart des études dont
j’ai connaissance aux États-Unis et au Royaume-Uni, ainsi que pour les
analyses moins courantes sur les fusions transfrontalières." Cette
conclusion est également étayée par une étude sur les fusions dans le
secteur financier, qui a été menée par UNI-Europa et que Christine
Asmussen, membre de cette organisation syndicale internationale, a présenté au cours des discussions. Cinq à six années après une fusion,
d’après une observation de cette étude, aucune hausse réelle du cours
de l’action ne peut être observée.
Les difficultés évidentes à récolter un succès économique d’une fusion
ou d’une reprise pour une entreprise émanent de raisons purement pragmatiques. Ainsi, les tentatives visant à répartir les coûts fixes entre un
nombre accru d’unités afin d’amenuiser les coûts unitaires négligent un
facteur: dans une large mesure, les coûts fixes demeurent en effet
constants, tandis que les coûts d’administration et de contrôle gonflent à
cause de la complexité supérieure de l’entreprise.
Un problème fondamental dans les fusions ou les reprises a trait à la
croissance conjointe des deux entreprises. Cela vaut notamment pour les
concentrations sur la scène internationale. En dépit de la mondialisation,
explique Tony Edwards dans son rapport introductif, les systèmes économiques et les structures d’administration et de financement connaissent
de profondes disparités dans les différents pays. En particulier, les
méthodes de direction peuvent être diamétralement opposées. Ces
écarts résultent entre autres des droits dont bénéficient les travailleurs
dans les entreprises et sur le marché du travail en général. Une métamorphose soudaine du style de gestion, par exemple lorsqu’une entreprise d’Europe centrale ou du Nord est reprise par un groupe américain qui
ne connaît pas la participation des travailleurs, peut aboutir à de graves
ruptures. Parmi les conséquences potentielles figure la démotivation des
travailleurs. L’on imagine aisément les répercussions de ce phénomène
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
dans une entreprise fondée sur les connaissances: une fraction considérable du capital décisif devient improductive.
Le fait que les fusions et les reprises ne conduisent pas automatiquement
aux résultats recherchés ne signifie pas qu’elles soient dénuées de tout
fondement en soi. Elles ont toujours existé dans l’histoire de l’économie
et elles représentent désormais, ainsi que l’a indiqué Rachid Brihi, de
l’Université européenne du travail, une réalité à laquelle les syndicats
doivent s’adapter. Cela implique certainement, à ses yeux, que les fusions
et les reprises ne peuvent être imposées aux travailleurs concernés et à
leurs instances représentatives. Les motivations doivent être clarifiées,
les conséquences doivent pouvoir être évaluées et la possibilité de
participation doit être assurée. Il devient ainsi possible d’apprécier individuellement chaque concentration et de décider de l’attitude à avoir.
Dominique Bé a fait référence à un autre motif ou explication objective
des fusions, à savoir le passage à la société basée sur les connaissances
et les services. Cette remarque n’a pas fait l’objet de discussions approfondies, mais elle a fait apparaître tout au moins indirectement qu’une
attention appropriée devait être accordée à cette relation. La réunion de
secteurs économiques et techniques jadis bien distincts, tels que l’informatique, la téléphonie, la télévision, les médias, etc., a fait éclore de
nouveaux domaines de création de valeur et de services, dont Internet
constitue l’exemple le plus connu.
L’on a ainsi assisté à l’avènement de marchés entièrement neufs, qui exigent des collaborations entièrement inédites, qui aboutissent à leur tour
à des concentrations. Il convient toutefois de se demander dans chaque
situation concrète si une fusion émane d’une logique économique ou
entend uniquement asseoir une position de suprématie, presque monopolistique, sur un marché. Lorsque les autorités américaines de contrôle
des cartels, peu après le Symposium de Bruxelles, ont donné leur feu vert
à la fusion entre AOL et Time-Warner, parmi d’autres décisions, elles
n’ont pas décelé de position dominante sur le marché. L’on peut sans
doute porter un tout autre regard sur cette opération.
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Rapport de synthèse
Les conséquences des concentrations et fusions
utre les motivations d’une entreprise pour une concentration et l’examen des résultats attendus et observés, il est crucial d’identifier les
autres conséquences pour toutes les parties concernées. Cette question
n’est pas réglée au niveau européen sur le plan juridique. Ainsi que l’ont
répété à plusieurs reprises les intervenants, l’on se penche dans les projets de fusion sur leur effet pour la concurrence et tous les autres paramètres passent sous silence. Cette procédure doit être modifiée, comme
l’a déclaré Dirk Ameel dans ses conclusions. En effet, les concentrations
ne se limitent pas à des chiffres économiques abstraits, mais affectent
également des travailleurs et leurs intérêts.
O
Une préoccupation fondamentale de chacun concerne bien entendu son
emploi. Les fusions, d’après Tony Edwards, s’accompagnent toujours
d’une compression de la masse salariale. "Les licenciements représentent précisément un point commun des fusions dans le secteur financier."
Cette observation vaut tant pour tous les pays européens examinés par
M. Edwards que pour les fusions transfrontalières.
Frank Doberstein, Directeur du personnel auprès de Siemens et temporairement actif au sein de l’UNICE, la fédération patronale européenne,
développe une autre perspective. De son point de vue, le dégraissage
n’est pas une conséquence inévitable des concentrations. Il a participé
en son temps à la supervision de la fusion entre la branche informatique
de Siemens et le fabricant allemand d’ordinateurs Nixdorf. M. Doberstein
situe les motifs de la concentration dans le fait que les consommateurs
exigent des appareils bon marché et que les actionnaires attendent un
rendement adéquat. À ses yeux, deux entreprises ou parties d’entreprises faibles, qui n’auraient pu survivre seules, se sont alliées.
En d’autres termes, la perte de personnel intervenue aurait été plus
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
importante si les deux partenaires avaient tenté de poursuivre leurs activités séparément. Cette décision aurait en effet contraint les deux entreprises à fermer leurs portes à court ou à long terme, ce qui aurait entraîné une suppression d’emplois nettement plus massive.
Il est tout à fait possible que le scénario décrit par M. Doberstein soit
exact et que des licenciements collectifs potentiellement supérieurs
aient été évités. Cela n’infirme toutefois en rien le constat selon lequel la
réduction du personnel est une caractéristique récurrente des fusions.
Cela met simplement en exergue le fait que les concentrations peuvent
parfois être indispensables afin d’assurer la pérennité. Cette mesure doit
dans ce cas être mise en œuvre sans hésitation. Mais comme l’a toutefois souligné M. Edwards dans la discussion, "Bon nombre de concentrations s’appuient sur une logique déficiente".
Elles peuvent également reposer sur un raisonnement purement axé sur
le profit, qui n’entend prévenir aucun effet économique plus néfaste mais
diminuer les coûts d’exploitation et maximiser les bénéfices. M. Edwards
commente dans son rapport d’information: "Les échelons les plus élevés
des directions justifient les projets de fusion face aux actionnaires, à
l’instar des économies de coûts, par l’élimination des postes redondants.
Les cadres en subissent des répercussions disproportionnées. De nombreux chevauchements d’une entreprise fusionnée voient le jour dans la
direction, l’administration et la recherche-développement. En conséquence, les fusions comportent le risque de menacer la sécurité de l’emploi des cadres."
Pour éviter de s’enfermer dans des logiques trop étroites, il ne faut pas
confier aux seuls employeurs la tâche de déterminer la pertinence d’une
fusion. Dans ce cadre, les droits de consultation et de participation des
parties concernées doivent être consolidés. Sont ainsi concernées, aux
côtés des travailleurs, les villes et les régions dans lesquelles les entreprises possèdent leur siège. Les employeurs européens refusent néanmoins une implication de l’intérêt public. Cela exigerait, d’après M.
Doberstein, des procédures par trop onéreuses.
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
Les licenciements représentent la conséquence la plus typique des
fusions, mais en aucune manière la seule. Les dispositions prévues dans
les contrats de travail et les conventions collectives demeurent bel et bien
contraignantes, mais de nombreuses modifications de l’organisation
interviennent fréquemment en deçà de ce niveau. Ce thème a été analysé
au sein du groupe de travail A. Les horaires de travail peuvent être modifiés ou assouplis. De nouveaux regroupements peuvent être effectués ou
la liste des tâches à accomplir peut être allongée. Enfin, le niveau de salaire peut être diminué car de nouveaux travailleurs engagés acceptent une
rémunération inférieure au montant habituel. Il est en outre possible, par
le biais de la sous-traitance, d’amputer l’entreprise de services tout
entiers et de contourner ainsi son mode d’organisation. Les dispositions
des conventions collectives s’éteignent alors également de facto.
L’ampleur des répercussions négatives d’une concentration dépend en
particulier de la culture d’entreprise qui s’impose lorsque des méthodes
de gestion différentes, principalement les modèles européen et américain, s’entrechoquent. En règle générale, aux termes de Tony Edwards
dans son rapport d’information, le modèle du partenaire le plus puissant
prédomine. Cela se produit naturellement lors du rachat d’une entreprise,
mais aussi lors de la fusion de partenaires auparavant équivalents.
Simultanément, l’on distingue cependant un autre phénomène. D’après
M. Edwards: "ainsi que l’attestent un nombre croissant d’exemples, le
système "anglo-saxon" exerce de plus en plus souvent l’influence
dominante dans les entreprises nées d’une fusion transfrontalière même
lorsqu’aucune entreprise britannique ou américaine n’est directement
impliquée... L’étude de multinationales allemandes et françaises est très
révélatrice de la manière dont elles ont tenté de s’approprier certains
éléments du système économique anglo-saxon à partir d’une entreprise
rachetée au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Lorsque l’entreprise dominante d’une fusion transfrontalière est britannique ou américaine,
l’influence anglo-saxonne produit directement ses effets."
Le danger sous-jacent à ce phénomène d’une éviction du modèle européen au profit du modèle anglo-saxon a été noté à plusieurs reprises au
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
cours du Symposium de Bruxelles, notamment par Michel Rousselot et
Göke Frerichs. La manière dont le modèle européen peut être sauvegardé et consolidé a également joué un rôle dans le groupe de travail B et
dans les discussions générales. Les débats se sont toutefois confinés à
la question des régulations européennes. D’après Frank Doberstein, de
l’UNICE, il convient d’établir une distinction nette. Une réglementation
détaillée a certes fait ses preuves en Allemagne, mais ne peut être transférée à d’autres pays ou d’autres niveaux. Le système allemand ne peut
pas davantage être transféré à d’autres pays que le modèle américain
à l’Europe. Dans l’ensemble, la position de l’UNICE se résume à une
formule: ce qui fonctionne ne nécessite pas de réglementation à l’échelle européenne. M. Doberstein a cité à titre d’exemple le télétravail. Il a
par ailleurs insisté à deux reprises sur le fait que, eu égard à la valeur fondamentale des ressources humaines, la motivation des travailleurs revêt
une importance cruciale. Ce facteur, aux termes de l’orateur, contraint
presque automatiquement les entreprises à l’adoption de pratiques
socialement responsables vis-à-vis de leurs travailleurs.
Une simple expérience suffit toutefois à démontrer que les choses ne
sont pas si simples. Il arrive sans cesse que des travailleurs apprennent
dans la presse que leur entreprise a été rachetée. Cela s’est produit, par
exemple, pour la fusion de GlaxoWelcome et Smithkline en GrandeBretagne. Ce procédé ne favorise guère la motivation des personnes
concernées. De surcroît, ainsi que l’a précisé un intervenant suédois, l’on
peut souhaiter l’instauration de règles sans être partisan de la bureaucratie. Rachid Brihi, de l’Université européenne du travail, a exprimé un
avis similaire. Les employeurs ont l’idée préconçue que les syndicats
réclament de plus en plus de réglementations. Cette perception découle
fréquemment du fait que certaines entreprises essaient en permanence
de contourner les règles établies.
22
Rapport de synthèse
Les fusions dans la pratique
our déterminer le degré auquel les réglementations peuvent intervenir dans les fusions et auquel elles sont pertinentes, il faut préalablement examiner comment les concentrations se déroulent dans la pratique et comment les syndicats et les organes de représentation des
salariés peuvent les influencer. La majorité des pays européens ont
instauré des dispositions légales en vertu desquelles le personnel d’une
entreprise ou les syndicats doivent être informés et consultés en cas de
reprise ou de fusion.
P
Cela ne signifie pas nécessairement qu’une législation offre la garantie
d’un dialogue efficace et que l’absence de lois exclue la participation. En
Grande-Bretagne, une loi prévoit notamment que le personnel ou le syndicat doit être informé et consulté sur une concentration lorsque 20 licenciements ou davantage sont anticipés. Dans la pratique, les entreprises
cotées en bourse rejettent toutefois la consultation car elle ne serait pas
compatible avec les règles boursières. En Allemagne, où aucune disposition juridique ne régit les concentrations, mais une loi sur les concentrations est en préparation, une entreprise doit au contraire informer et
consulter le comité d’entreprise sur toute opération dite de transformation de l’organisation en vertu d’une autre loi, à savoir la "loi sur l’organisation du travail dans les entreprises". L’article 111, 3ème phrase, de cette
loi mentionne expressément parmi les transformations de l’organisation
"la concentration avec d’autres entreprises ou la scission d’entreprises".
Les comités d’entreprise ne jouissent d’aucune influence qu’une concentration soit opérée ou non. Un plan social ou de compensation des intérêts pour les travailleurs concernés, c’est-à-dire licenciés, est toutefois
imposé de manière contraignante et élaboré par un organe de conciliation si les employeurs et les travailleurs ne réussissent pas à se mettre
d’accord.
23
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
Les dispositions juridiques ne constituent évidemment qu’un cadre pour
les mesures qui accompagnent effectivement les reprises réelles ou les
tentatives de reprises. Une importance tout aussi grande revient aux relations nouées entre les partenaires sociaux, à la culture politique et sociale dans laquelle ils sont ancrés, et bien entendu, à la puissance et à l’imagination du syndicat. Sur cette base, les études de cas présentées à
Bruxelles ont fourni une illustration dynamique du problème. Elles sont
résumées ci-après.
London Electricity PLC
La privatisation de London Electricity PLC (société anonyme) et la reprise
de l’entreprise par un groupe français, ainsi que le rachat de ses concurrents, ont été dépeints par Paul Harley. Celui-ci, formateur dans le domaine des études de marché, n’a pas débuté sa carrière au sein de l’entreprise à cette fonction. La gamme de ses activités s’est transformée à de
multiples reprises, notamment depuis la privatisation. L’on peut en tirer la
conclusion suivante: "ses emplois ont disparu, des emplois se sont transformés. Les travailleurs doivent être plus flexibles." En sa qualité de
représentant syndical, M. Harley a participé aux négociations avec la
direction de l’entreprise lors des modifications successives.
La vague de privatisations en Grande-Bretagne a démarré au début des
années 1980 sous le gouvernement conservateur. L’État a alors récolté
des recettes considérables, qu’il a principalement employées au profit
d’allégements fiscaux. La privatisation a engendré des suppressions
d’emplois massives. Le nombre de travailleurs de London Electricity a
chuté de 17 000 à 4 500 à l’heure actuelle.
À la suite d’un changement de propriétaire, l’entreprise appartient
aujourd’hui au groupe énergétique français EdF (Électricité de France)
International. Le deuxième propriétaire était un consortium américain,
qui a introduit les méthodes de gestion américaines et articulé l’organisation exclusivement autour du profit. Il avait néanmoins surestimé ses
24
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
propres possibilités financières et a dû céder après deux ans des services rentables du groupe, parmi lesquels London Electricity. EdF est
alors entrée en scène et a racheté le distributeur.
EdF est une entreprise publique. À travers l’achat de London Electricity,
elle entendait notamment recueillir des expériences sur le comportement
à adopter sur un marché libre tel que la Grande-Bretagne.
Dans l’évaluation de la situation de London Electricity, M. Harley accorde
une grande importance à l’examen du contexte. Il s’agit tout d’abord de
l’environnement politique. Dès lors que le gouvernement travailliste poursuit le mouvement des privatisations, les syndicats ne peuvent soumettre
au monde politique, tout au moins pour l’instant, leurs requêtes visant à
ce que les entreprises de distribution restent sous contrôle public. À l’inverse, un responsable de la réglementation désigné par le gouvernement
est chargé de déterminer les paramètres économiques et financiers à
l’intérieur desquels toutes les entreprises doivent opérer. La totalité des
entreprises ont interprété ces exigences dans le sens d’une diminution
des coûts au moyen d’une réduction des effectifs. Le responsable de la
réglementation a pour mission de favoriser la concurrence en tant qu’instrument grâce auquel les consommateurs paient l’électricité à un prix
plus avantageux et non de se préoccuper des intérêts des travailleurs.
La situation de la concurrence appartient également au contexte. Les distributeurs d’électricité se livrent une concurrence pour un nombre limité
de clients. Ainsi que l’a souligné M. Harley, il ne leur suffit pas de démarcher chaque maison et de recruter des clients pour accroître leur part de
marché. S’ils souhaitent prospérer, ils doivent plutôt acheter une autre
entreprise et ses clients. C’est pourquoi le marché de l’électricité est le
théâtre d’âpres combats.
Un dernier élément qui conditionne le contexte a trait à la confidentialité.
M. Harley raconte: "Parfois, nous apprenons certains événements non
pas par nos dirigeants ou l’entreprise, mais par la presse, la rumeur ou
d’autres sources." Quand les syndicats discutent avec la direction d’une
25
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
entreprise d’une privatisation, d’une concentration ou d’une autre mesure qui affecte les travailleurs, la décision a été arrêtée de longue date. Ils
ne sont pas impliqués dans la prise de décision elle-même parce que les
entreprises invoquent la préservation d’informations confidentielles".
M. Harley s’est occupé récemment de la reprise de la filiale de l’électricité de SWEB, une entreprise sous contrôle américain dans le Sud-Est de
l’Angleterre, et de la création d’une entreprise de distribution d’électricité en participation avec TXU. TXU est également une entreprise américaine. Son territoire de distribution d’électricité chevauche celui de
London Electricity. Les deux anciens concurrents se sont donc alliés au
sein d’une seule entreprise. Cette double présence est maintenue afin
d’obtenir des effets de synergie, ce qui a entraîné des suppressions
d’emplois. Les syndicats ont seulement été impliqués après que ces décisions soient arrêtées. Il ne leur restait d’autre possibilité que de tirer le
meilleur parti d’une mauvaise situation. Afin d’éviter les licenciements, un
programme baptisé "départ volontaire choisi" a été mis en œuvre. Dans
ce cadre, les travailleurs devaient décider s’ils souhaitaient quitter l’entreprise et la direction a ensuite sélectionné les postes supprimés parmi
les personnes qui avaient accepté de quitter l’entreprise en contrepartie
d’une indemnité. Le syndicat s’est efforcé de fixer l’indemnité à un niveau
qui facilite la décision de départ des travailleurs. Beaucoup ont profité de
l’occasion et sont partis avec un pécule confortable.
Le problème dans les arrangements de ce type, au sens de M. Harley,
tient à ce que la majorité des travailleurs désireux de quitter l’entreprise
sont les plus âgés, les mieux qualifiés et ceux qui possèdent la plus
longue expérience, tandis que les travailleurs plus jeunes et moins qualifiés préfèrent rester. Cette répartition peut entraîner un grave contrecoup
pour une entreprise.
Une autre conséquence pour les travailleurs de London Electricity provient du transfert d’une partie des opérations de Londres vers le Sud-Est
de la Grande-Bretagne, le fief de SWEB, où les coûts salariaux sont
moindres. Une entreprise peut par exemple engager des travailleurs de
26
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
qualification égale pour un salaire moins élevé à Bristol qu’à Londres. En
effet, le coût de la vie à Londres est extrêmement élevé.
La constitution de l’entreprise en participation avec Eastern TXU a suivi
un déroulement similaire. Dans ce cas également, la pression réglementaire a incité les deux entreprises à réduire leurs coûts, ce qui a abouti à
la création d’une nouvelle entreprise comptant moins d’emplois.
La compression de personnel par le biais de l’entreprise en participation
n’a toutefois pas été couronnée du succès escompté par London
Electricity. Un programme de "départ volontaire choisi" a une nouvelle
fois été mis en œuvre. Certaines opérations ont en outre été déplacées
une nouvelle fois dans des régions de niveau salarial inférieur. Le danger
inhérent à ces programmes décrit ci-dessus s’est toutefois concrétisé:
London Electricity a perdu un grand nombre de travailleurs qualifiés et
expérimentés. Toutes les branches de l’entreprise souffrent aujourd’hui
de leur absence.
Les syndicats sont cependant eux aussi confrontés à des difficultés.
Plusieurs syndicats se côtoient au sein de l’entreprise, ce qui complique
parfois la prise d’une décision rapide au sujet d’une action commune,
notamment lorsqu’il est question de fusions. D’après M. Harley, ces divergences doivent être surmontées dans le souci de l’intérêt commun.
D’autre part, il s’est avéré extrêmement utile pour les syndicalistes britanniques de disposer de relations avec leurs collègues français d’EdF et
d’obtenir grâce à eux des informations qui ne leur étaient pas accessibles en Grande-Bretagne.
Le scénario que prévoit Paul Harley pour l’avenir du marché de l’énergie
n’est pas très réjouissant: les fusions et les reprises devraient se poursuivre, accompagnées de nouvelles suppressions de postes. La satisfaction de la clientèle n’en sortira pas gagnante, dès lors que le service
subira également une érosion croissante pour des raisons de coûts.
27
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
National Westminster Bank / Royal Bank of Scotland
Les opérations de concentration se déroulent parfois comme un film
policier de série B ou comme un jeu d’échec. Un facteur demeure toutefois constant: les victimes sont les travailleurs. Tel est le constat imagé
exprimé par Rob MacGregor dans son étude de cas. M. MacGregor est
secrétaire syndical auprès de l’UNIFI, syndicat du secteur bancaire en
Grande-Bretagne. Son intervention concernait la reprise de la National
Westminster Bank par la Royal Bank of Scotland.
L’histoire de la National Westminster Bank remonte au XVIIIème siècle.
Elle a été fondée à Nottingham par de riches négociants en charbon et en
textile et continue à l’heure actuelle de détenir une présence dans cette
ville. Avec quelque deux milliards de livres de bénéfices annuels, la
"Nat West" était à la fin du XXème siècle l’une des quatre principales
banques de dépôts et de virements du pays.
À la fin des années 1990, la banque a toutefois essuyé les critiques
d’observateurs du marché professionnels car elle ne parvenait pas à
fusionner avec un autre établissement de crédit ou à l’acheter. Les critiques ont ensuite enchaîné sur certaines transactions mal négociées,
qui ont provoqué des pertes.
La critique des banques constitue depuis toujours un thème de prédilection des médias économiques. Dans cette affaire, l’on entendait répéter
que les porteurs de parts perdaient leur confiance à l’égard du Conseil
d’administration de la Nat West. Afin de contrer cette rumeur, la banque
a instauré un programme radical de réduction des coûts. Ainsi, le siège
londonien et un centre de formation à Oxfordshire ont été vendus.
Parallèlement, le "programme de concentration des opérations de détail"
(programme RTP - Retail Transformation Programme) a été lancé.
Les opérations de Back-Office ont été soustraites aux filiales pour être
accomplies par un faible nombre d’implantations centralisées. La disparition de 12 000 emplois était envisagée. Toutes ces mesures n’ont apaisé
ni les critiques des cercles économiques, ni les grands actionnaires.
28
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
Le Président du Conseil d’administration et le Directeur ont rendu leur
mandat et ont été remplacés.
Au début septembre 1999, la National Westminster a soumis une proposition de reprise pacifique de la compagnie d’assurance bancaire Legal
and General d’un montant de 10,7 milliards de livres. Elle entendait ainsi
délivrer un signe qui tranquillise à la fois les cercles économiques et les
investisseurs. Cet espoir s’est toutefois avéré illusoire. D’après les critiques les plus sévères, l’offre était largement excessive et dénotait une
nouvelle fois une mauvaise gestion. Les explications ont été vaines, et les
investisseurs se sont enfuis. Trois semaines après l’annonce de la reprise, les actions de la National Westminster ont dégringolé de 26 %.
Le 24 septembre 1999, un événement qui a ébahi tout le monde s’est produit: la Bank of Scotland, une institution de la moitié du poids de la
National Westminster, a lancé une offre d’achat d’une valeur de 21 milliards de livres. La banque écossaise a promis la réalisation d’économies
substantielles à travers une intégration de l’informatique, qui devait
accroître l’efficacité des méthodes de travail, et l’élimination de milliers
d’emplois. La National Westminster a refusé car elle s’estimait sous-évaluée. Il a d’ailleurs été mis en doute que la direction suprême de la Bank
of Scotland soit capable de diriger une institution de cette envergure.
La Nat West a alors préparé sa défense. Le 24 novembre 1999, elle a fait
connaître un projet selon lequel les suppressions d’emplois en vertu du
programme RTP devaient être portées à 15 000 unités. La fermeture de
200 filiales a également été annoncée. Le 29 novembre, un nouvel acteur
est sorti de l’ombre: la Royal Bank of Scotland. Elle a annoncé une reprise hostile et promis la réalisation d’économies supérieures à deux
milliards de livres et une réduction de personnel encore accrue.
Une lutte de deux mois entre les trois banques s’est alors disputée au
grand jour. Au début février 2000, Standard Life, qui détenait 3 % des
actions Westminster, a proclamé qu’elle soutenait l’un des adversaires,
sans toutefois préciser lequel. Ce fut le début de la fin pour la National
29
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
Rapport de synthèse
Westminster Bank. Les autres investisseurs institutionnels ont déclaré
l’un après l’autre qu’ils soutenaient la Royal Bank of Scotland. Lorsque le
plus grand investisseur, Prudential, s’est finalement rallié lui aussi à
la Royal Bank of Scotland, la guerre de la reprise était terminée. Le
11 février 2000, les Écossais disposaient d’engagements pour plus de la
moitié des actions de la National Westminster. Le 28 février, les porteurs
de parts de la Royal Bank of Scotland ont approuvé l’opération. Le dernier
Président du Conseil d’administration de la Westminster a démissionné
quelques jours plus tard. La concentration a été officiellement scellée le
6 mars. La National Westminster Bank avait disparu en tant qu’institution
indépendante.
La Banque devait expliquer la pertinence et l’utilité de chaque fusion et
évaluer les pertes d’emploi éventuelles. Les membres des départements
concernés ont été réunis et ont participé à une procédure de candidature, sous la forme d’un entretien ou d’une procédure écrite, dans laquelle
l’ancienneté, les prestations et d’autres paramètres analogues ont été
évalués. Les travailleurs ont ensuite bénéficié d’un délai de quatre
semaines avant d’opter pour l’une des alternatives: la séparation à
l’amiable, la candidature à un emploi au sein du nouveau département
fusionné, ou en cas d’échec de cette candidature, la candidature à un
autre emploi au sein de l’entreprise. Si cette deuxième candidature
n’était pas non plus retenue, le licenciement était prononcé.
Les dissensions entourant la reprise avaient exacerbé les sentiments
d’insécurité et d’angoisse des 60 000 salariés de la Westminster Bank.
Les concurrents se sont livrés à une surenchère dans l’annonce de suppressions d’emplois. Aux yeux de l’UNIFI, il était manifeste dès le départ,
d’après Rob MacGregor, que, indépendamment de l’issue finale, des milliers de postes étaient uniquement sacrifiés afin de recueillir l’appui des
investisseurs. L’offre de la Royal Bank évoquait finalement une réduction
du personnel de 18 000 emplois d’ici à la fin 2002 et une économie de
coûts de 2,1 milliards de livres.
L’intégration des activités et des tâches affecte tous les échelons de l’entreprise. Lors d’un bilan intermédiaire de la Royal Bank of Scotland en
août 2000, quelque 2 500 emplois avaient déjà disparus. Ils devaient s’élever à 9 000 à la fin de l’année. La banque propage ses réglementations et
sa philosophie d’entreprise dans leur intégralité à l’entreprise rachetée.
Elle a notamment commencé à uniformiser les contrats de travail avec
les dispositions de la Royal Bank, depuis les rémunérations jusqu’à
l’assurance-retraite.
Les Écossais se sont immédiatement mis au travail et ont recherché les
secteurs qui pouvaient être joints à leurs propres capacités. Ils ont
toutefois compris que l’intégration des fonctions et des activités des travailleurs des deux institutions pouvait être sensiblement entravée si la
banque ne parvenait pas à conclure un accord avec le syndicat. Et Rob
MacGregor d’expliquer: "Pour sa part, l’UNIFI a admis que, en dépit de la
perte d’emplois, il avait encore la possibilité et le devoir d’exercer un
certain contrôle sur la manière dont ce dégraissage serait effectué, sur
les alternatives aux licenciements qui devaient être prises en considération et sur le cadre financier d’indemnisation des travailleurs."
En mai 2000, l’UNIFI a signé un compromis avec la Royal Bank of Scotland
sur la manière dont le nombre de licenciements pouvaient être limité.
30
Du point de vue de l’UNIFI, un défi consiste à fusionner les représentations syndicales. Bien qu’elles appartiennent au même syndicat, elles ont
en effet développé une pratique différente dans la défense des intérêts et
les négociations collectives. À la Royal Bank of Scotland, les négociations collectives sont centralisées. La Westminster connaît par contre
une décentralisation, des comités spécialisés négociant chacun sur des
questions différentes. L’UNIFI a engrangé d’immenses progrès dans cet
exercice, mais il lui reste du pain sur la planche.
MCI Worldcom / Sprint
Simon Petch, membre d’UNI-Europa Télécom, a présenté à Bruxelles
l’étude de cas d’une reprise qui n’a pas abouti. Ce résultat, d’après lui,
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
peut parfaitement être considéré comme une réussite pour les syndicats,
d’autant que l’écrasante majorité des travailleurs concernés n’étaient
pas syndicalisés.
L’histoire a débuté en 1998, lorsque l’entreprise de télécommunication
Worldcom a déposé une offre de rachat de son concurrent MCI. Le syndicat américain Communication Workers of America (CWA) avait fait
remarquer que deux des entreprises américaines les plus hostiles aux
syndicats souhaitaient se rapprocher et généraliser cette attitude dans le
secteur américain des télécommunications. Les syndicalistes américains
ont tenté de bloquer le projet au Congrès mais ont simultanément appelé
l’Internationale de la communication (CI) à mener un travail de pression
à Bruxelles afin que la Commission européenne interdise éventuellement
le projet.
Outre la mentalité hostile aux syndicats, leur argument résidait dans
l’effet de cette concentration sur la situation de la concurrence sur
Internet. La CI a exposé son raisonnement à la Direction générale 5 (DG
5) de la Commission européenne, qui a commandé une analyse des
répercussions. Un chiffre digne d’intérêt est alors apparu. Plus de 60 %
du trafic Internet d’un pays européen à un autre passe par les États-Unis.
La majeure partie de ce trafic est contrôlée par MCI ou Worldcom. À la
différence du système des télécommunications, une personne située en
Allemagne qui choisit une adresse française sur Internet transite dès lors
dans la plupart des cas par les États-Unis. La CI a ensuite travaillé sur la
base de ce chiffre. L’UE a imposé à MCI l’obligation de vendre ses activités liées à Internet. Elle s’appuyait sur l’hypothèse selon laquelle
l’influence de l’entreprise concentrée sur Internet ne serait alors pas plus
grande qu’auparavant.
La concentration suivante a ensuite démarré. Une offre de 115 milliards
de dollars a été affichée pour l’opérateur de téléphonie Sprint. Une nouvelle fois, il s’agissait de deux entreprises hostiles aux syndicats. Sprint
avait reconnu le CWA dans certaines branches de l’entreprise plus
anciennes, mais refusé d’étendre cette reconnaissance aux autres
32
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
secteurs. La conjoncture n’était guère plus favorable en Europe. L’on
trouvait quelques syndicalistes dans les succursales de Worldcom en
Grande-Bretagne et quelques membres de la CFDT dans l’établissement
de Sprint en France. La mission pour le CWA aux États-Unis et pour l’UNI,
qui incluait à ce moment la CI, en Europe consistait à s’inspirer des expériences observées et à essayer d’empêcher purement et simplement la
concentration.
En avril 2000, les deux syndicats ont adopté une campagne de pression
globale. Le CWA a envoyé une demi-douzaine de secrétaires syndicaux
en Europe et une société spécialisée de lobbying a été engagée. Huit à
dix personnes ont été affectées à ce projet. Les syndicats affiliés à l’UNI
dans le secteur des télécommunications ont dégagé des ressources. Des
discussions ont eu lieu avec la Commission européenne, des entretiens
ont été accordés à de nombreux journaux dans presque tous les pays
d’Europe et des pourparlers ont été menés avec des députés au
Parlement européen.
Au cours de ces pourparlers, il s’est avéré que les représentants de
Worldcom, qui avaient rencontré séparément les parlementaires, niaient
farouchement toute attitude hostile aux syndicats. Les syndicalistes ont
rapidement fourni aux députés une quantité importante d’instruments de
propagande publiés par Worldcom qui ont rétabli la vérité. Des documents expliquaient ainsi comment l’on pouvait s’opposer aux syndicats,
démasquer un syndicaliste sur le lieu de travail, etc.
L’important, d’après Simon Petch, consistait surtout à trouver des alliés.
Il a appris de ses collègues américains que l’adversaire de mon ennemi
est mon allié. Il a donc été motivé à s’attirer la sympathie des autres
entreprises de télécommunications qui se trouvaient également sur le
pied de guerre face à Worldcom. Cet exercice a été pris en charge par la
société de lobbying. De même, les organisations de consommateurs ont
également été abordées. Cela n’a pas toujours été simple dès lors
qu’elles craignaient que les syndicats ne s’immiscent sur leur terrain de
compétences.
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
En résumé, la situation était la suivante: l’on se trouvait en présence
d’une entreprise fermement opposée au dialogue social. Cette affirmation constitue une périphrase de ce que l’on entend par l’hostilité aux
syndicats. Les syndicalistes ont souligné que l’entreprise refusait une
démarche de dialogue social.
D’un autre côté, Worldcom a joué un jeu relativement singulier vis-à-vis
de la DG 5 dans la concentration avec MCI. Ainsi que cela a été évoqué,
une obligation de vente de ses activités liées à Internet avait été imposée
à MCI. Elle a été satisfaite. Au préalable, l’écrasante majorité de la clientèle avait toutefois été attirée vers Worldcom. Au lieu de renoncer à 19 %
de ses parts de marché, l’entreprise a cédé 3 % à peine.
Naturellement, la Commission européenne a eu vent de cela. Un élément
supplémentaire a joué un rôle décisif. L’Union Européenne, à l’instar
d’autres pays et communautés, s’efforce d’ouvrir Internet à l’ensemble
de ses citoyens et de leur offrir un accès au réseau. Il est alors surprenant que Worldcom parle exclusivement de l’importance d’Internet pour
l’entreprise du début à la fin de ses conférences de presse. C’est à ce
stade, d’après M. Petch, qu’ont retenti les signaux d’alarme.
La stratégie de défense de Worldcom consistait tout d’abord à nier son
hostilité envers les syndicats. Un deuxième élément résidait dans la proposition de vendre les activités de Sprint liées à Internet. La nouvelle n’a
évidemment pas tardé à s’ébruiter. Les autres entreprises de télécommunications sont alors entrées en scène et ont déclaré que cette mesure
n’était pas suffisante. Troisièmement, Worldcom a allégué que l’évolution
technique effrénée rendait obsolète la question d’une position dominante sur Internet. De nouveaux concurrents verraient rapidement le jour.
Cette affirmation a trouvé un certain écho dans la presse et auprès de
quelques observateurs. Elle est toutefois démentie, selon Simon Petch,
par l’architecture d’Internet. Dans les services dits de Backbone, autrement dit l’infrastructure essentielle qui permet l’accès à Internet, les deux
partenaires occupent une position qui forme une puissance cumulée
considérable sur le marché, qui ne peut en aucune manière être remise
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
en question par une avancée technique. Il ne s’agit pas seulement à ce
propos de progrès techniques émanant de connaissances, mais également d’une infrastructure et de redevances d’utilisation onéreuses, ainsi
que l’a démontré clairement la vente aux enchères des licences UMTS à
l’automne 2000. Selon les estimations de Simon Petch, l’entreprise fusionnée aurait contrôlé la moitié du trafic international sur Internet. Une fois
cette suprématie acquise, de nouveaux concurrents auraient éprouvé de
grandes difficultés à se constituer. La Commission européenne redoutait
également la formation d’un "goulet d’étranglement à un nœud stratégique".
Le 28 juin 2000, les experts de la Commission européenne ont soumis un
projet d’interdiction du rachat, que la Commission a entériné. Worldcom
a donc baissé pavillon. Manifestement rendue méfiante par son expérience avec Worldcom, la Commission a néanmoins prononcé l’interdiction. Elle s’est justifiée en rappelant que Worldcom n’avait pas renoncé
expressis verbis au rachat. Worldcom a introduit un recours contre cette
décision auprès de la Cour européenne de justice. Les juges luxembourgeois devraient rendre leur arrêt au début 2002 au plus tôt.
Simon Petch considère que cette fusion a pu être mise en échec parce
que, d’une part, Worldcom s’était surestimée, et d’autre part, elle avait
sous-estimé les syndicats et les troupes qu’ils pouvaient mobiliser. De
surcroît, l’UNI et les autres syndicats impliqués s’étaient montrés plus
crédibles dans leur argumentation. Cela a convaincu la plupart des
médias, la majorité des parlementaires européens, et en fin de compte la
Commission.
La réussite de l’UNI ne se résume pas à avoir empêché le rachat, mais a
induit d’autres effets. Les relations avec les syndicats au sein de Sprint
ont notamment enregistré une détente sensible. L’entreprise s’est aperçue qu’il était préférable de s’accorder avec les syndicats. Le prix à payer
si elle ne le faisait pas, d’après M. Petch, serait trop élevé. Certaines
réflexions sont également menées au sein de Worldcom, selon lesquelles
la politique d’hostilité aux syndicats doit être modifiée si l’entreprise veut
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
acquérir une envergure mondiale. Enfin, estime Simon Petch, le fait que
le "grand méchant loup" ait reçu une bonne leçon, adresse également un
message à ceux qui souhaitent bénéficier d’un avenir. Ce n’est possible
que s’ils apprennent à témoigner d’une attitude coopérative avec les syndicats. La campagne a enfin démontré que les grèves et les autres
actions violentes n’étaient pas les seuls moyens possibles, mais que la
richesse des idées, l’imagination et l’utilisation de connaissances constituaient aussi des armes efficaces.
Concentration bancaire en Italie
Selon un vieil adage italien, il y aurait dans ce pays une banque pour
chaque paroisse. La situation a connu un profond bouleversement,
surtout durant la seconde moitié des années 1990. À la suite de fusions et
de rachats, le nombre d’institutions a chuté. Parmi les 1 156 banques
recensées en 1990, il n’en subsistait que 921 en 1998. Lors du Symposium
de Bruxelles, Andrea Pastacaldi a raconté la manière dont le processus
de concentration s’était déroulé et dont les syndicats étaient parvenus à
mettre à profit leur influence. Président de l’Association des cadres au
sein du syndicat FIBA-CISL, il représente quelque 10 000 travailleurs dans
le secteur des banques, des assurances et des finances.
Suite à l’Union monétaire européenne, les pressions du gouvernement, et
surtout, de la banque centrale italienne en faveur d’une restructuration
du secteur bancaire se sont intensifiées durant la seconde moitié des
années 1990. À la lumière des coûts salariaux par travailleur supérieurs à
la moyenne communautaire, certaines modifications organisationnelles
paraissaient indispensables, au regard notamment du processus de mondialisation et de l’évolution connexe de la situation concurrentielle.
Dès lors qu’il était prévisible qu’une restructuration de grande envergure
serait mise en œuvre et que des emplois seraient menaçés, les syndicats
ont eu pour principale motivation de ne pas laisser l’opération aux seules
mains des banques. Ils ont lancé leurs propres idées et propositions.
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
Au terme de longues négociations, un accord a été conclu en juillet 1999
avec les employeurs sur les modalités potentielles du mouvement de
concentration.
Il prévoit, entre autres, une obligation relative aux augmentations salariales qui étaient auparavant en général automatiques. Le temps de travail est resté inchangé. Parmi les nouveautés figurent un système de responsabilité individuelle pour les cadres, différents cours de formation
continue et un système de primes et d’incitations qui doit être défini
concrètement au sein de chaque établissement. Les syndicats ont ainsi
accompli un grand pas en direction de leur objectif d’un "pilier stratégique des ressources humaines".
Du côté des difficultés, il fallait s’efforcer d’organiser la suppression
d’environ 70 000 emplois de manière aussi acceptable que possible sur le
plan social et de qualifier les travailleurs pour les nouvelles méthodes
d’organisation du travail qui ont été instaurées dans le sillage des
restructurations. À cet égard, une solution a été trouvée, qui n’a finalement été appliquée qu’en novembre 2000.
La clef de voûte consiste en un fonds grâce auquel des mesures permanentes ou ponctuelles sont financées. Les mesures permanentes sont
notamment le financement de formations permanentes, la mise à disposition de ressources propres pour la formation continue soutenue par des
ressources extérieures, ou encore le paiement d’une compensation en
cas de chômage partiel ou total. Les contributions destinées à cette
partie du fonds sont supportées à concurrence de deux tiers par les
employeurs et d’un tiers par les travailleurs.
La partie du fonds réservée aux mesures ponctuelles est entièrement
alimentée par les employeurs. Elle finance un mécanisme de retraite anticipée dont les travailleurs peuvent bénéficier cinq années avant la date
légale de leur départ en retraite, qui est donc de nature volontaire.
Pendant cette période, les travailleurs qui ont quitté l’établissement perçoivent une indemnité d’un montant correspondant à leur future pension
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
de retraite. Les cotisations de sécurité sociale sont également acquittées. Pendant leur période de retraite anticipée, les travailleurs concernés ne peuvent occuper aucune fonction rémunérée dans le secteur
bancaire.
L’accord-cadre a également abouti à la constitution d’un établissement
appelé Enbicredito. Il s’agit d’une institution paritaire qui définit les
mesures de formation permanente nécessaires compte tenu des mutations structurelles et qui examine les conséquences de ces mutations sur
les qualifications des travailleurs.
Dans l’ensemble, Andrea Pastacaldi considère cet arrangement comme
une réussite, qui a été obtenue car les deux partenaires, dans une situation complexe, ont recherché une solution sans œillères idéologiques et
l’ont trouvée.
Rapport de synthèse
Syndicats et fusions:
obligation d’action et possibilité d’action
es exemples cités montrent clairement que les concentrations et les
reprises peuvent connaître différents déroulements. Cela signifie principalement que les syndicats doivent appliquer de multiples modes d’action. Ils peuvent tenter de tirer le meilleur parti d’une situation qu’il leur
est impossible d’empêcher, comme pour National Westminster ou
London Electricity, ils peuvent réussir à prévenir une fusion au moyen
d’une campagne de grande envergure, comme pour Worldcom, et ils
peuvent accompagner activement et infléchir socialement une transformation structurelle inévitable, comme en Italie.
L
Il s’agit en effet de situations totalement différentes, qui ne peuvent faire
l’objet d’une stratégie d’action uniforme. Un élément vaut toutefois dans
toutes les hypothèses: les syndicats ne peuvent attendre qu’une situation
déterminée soit apparue et se limiter ensuite à un combat de résistance.
Ils doivent au contraire témoigner d’un esprit d’anticipation. Le groupe de
travail B l’a également mis en exergue et a expressément souligné cette
conclusion de ses discussions dans son rapport à la séance plénière.
Mats Sundbom, membre du SIF suédois, a abordé sous un angle différent
ce sens de l’anticipation. M. Sundbom est directeur d’une petite filiale du
distributeur d’électricité suédois Wattenfall, qui compte quelque 300 travailleurs. Son entreprise est chargée de soutenir les sociétés du groupe
Wattenfall dans le développement de leur personnel et le maintien de
leurs ressources humaines. Depuis la déréglementation du marché de
l’électricité en Suède, en 1995, Wattenfall a racheté de nombreux autres
distributeurs d’électricité et étendu ses activités au cours de ces dernières années en Pologne et en Allemagne. Afin d’éviter l’apparition
d’effets négatifs après une reprise, lorsque les travailleurs doivent
s’adapter à une nouvelle culture d’entreprise et à de nouvelles structures
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39
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
d’organisation, des programmes spécifiques de développement du personnel sont réalisés. Mats Sundbom est responsable de cet aspect. Si les
habitants du Sud de la Suède, d’après M. Sundbom, sont déjà différents
des habitants du Nord, le fossé avec les autres pays européens dans lesquels opère Wattenfall est encore plus profond.
Les programmes de développement du personnel exigent naturellement
des fonds. Les bénéfices tirés des investissements ce type peuvent difficilement être chiffrés au bilan. L’effet des investissements destinés à la
rectification d’une erreur ou d’une évolution déficiente peut être calculé
bien plus aisément.
Il est tout naturel pour n’importe quelle entreprise d’investir dans l’entretien et l’amélioration de son infrastructure. C’est indispensable à la préservation ou à l’accroissement de la productivité. La réalisation d’investissements similaires dans le maintien et le développement des ressources humaines représente par contre une exception. Elle est toutefois
également indispensable à l’amélioration de la productivité. Tout chef
d’entreprise admet que cela n’apparaît par directement au bilan à titre de
bénéfice, mais offre malgré tout un véritable bénéfice. Le fait que ces
mesures n’appartiennent pas à la pratique quotidienne tient à ce que les
investissements dans la formation et le développement du personnel, du
point de vue économique, continuent d’être assimilés à une dépense et
non à un investissement. Et les dépenses rebutent généralement les
entreprises.
Sur le fond, le travail de Mats Sundbom traduit simplement un modèle
européen de gestion, dans lequel une responsabilité est assumée à la
fois vis-à-vis de l’entreprise et des intérêts des travailleurs. De la même
façon qu’il peut réunir les rôles de cadres supérieurs et de syndicalistes,
la direction des entreprises et les syndicats peuvent parfaitement conjuguer leurs intérêts respectifs dans les fusions et les reprises.
Les syndicats doivent en conséquence s’assigner pour mission de
défendre le modèle européen de gestion contre le modèle américain.
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
Ainsi que cela a été évoqué plus haut, cet appel a été lancé à plusieurs
reprises au cours du Symposium. Il convient toutefois de préciser que le
modèle européen de gestion n’est pas uniforme mais se définit par un
ensemble d’éléments. Le dialogue social revêt ainsi une importance fondamentale dans le modèle européen de gestion. Il est plus solidement
ancré dans la législation et les conventions collectives dans les pays nordiques, si bien que les syndicats sont impliqués préalablement à une
fusion.
Le groupe de travail C a appelé, notamment, à un renforcement du dialogue social et à son institutionnalisation à travers la législation et/ou les
conventions collectives. D’après les conclusions de ce groupe de travail,
lorsqu’une fusion est opportune, les syndicats doivent participer à l’organisation du processus par le biais du dialogue social. Le développement
des ressources humaines et le rapprochement des cultures d’entreprise
représentent en particulier des domaines de travail fondamentaux. Dans
ce cadre, il est indispensable d’assurer la formation continue au sein de
la nouvelle entreprise formée et de la sceller dans la perspective d’un
apprentissage tout au long de la vie. Les aspects purement concrets de
la fusion sont par exemple l’harmonisation des assurances-retraites de
l’entreprise et des barèmes salariaux.
L’appel au renforcement du dialogue social ne signifie toutefois pas qu’il
constitue un objectif en soi. Le dialogue social n’est qu’une technique
efficace pour le rapprochement d’intérêts divergents et, dans la mesure
du possible, pour l’identification et l’exploitation d’une série d’intérêts
communs.
Ce raisonnement renvoie également à un autre constat. Dans la défense
du modèle européen de gestion, il ne s’agit pas seulement de démontrer
aux employeurs qu’un traitement respectueux des ressources humaines
est en définitive plus efficace que le modèle américain de gestion, avec
son exclusion systématique des travailleurs de la prise de décision et une
pratique de "Hire and Fire" pratiquement sans restriction. La règle selon
laquelle la propriété s’accompagne de contraintes doit être pleinement
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
appliquée. Cela signifie également que les employeurs ont et doivent
assumer une responsabilité à l’égard des travailleurs et, par ailleurs, à
l’égard de la région dans laquelle ils sont implantés. D’autre part, les travailleurs ont droit à la dignité humaine et à des relations démocratiques
y compris au travail. Il convient en effet de garder un facteur à l’esprit: les
ressources humaines se distinguent par nature de toutes les autres ressources nécessaires à un processus économique.
Une autre revendication formulée dans la discussion à l’intention des
syndicats a trait au droit de la reconnaissance de principe des intérêts
des travailleurs. Il ne s’agit pas seulement d’infléchir la fusion, mais de
l’étudier au préalable et de décider en fin de compte de l’opportunité
d’une fusion du point de vue des travailleurs. Aux termes d’une proposition de Marina Garcia, membre de l’UCC-CFDT en France, les syndicats
devraient élaborer un "baromètre social" des fusions qui permette d’en
évaluer et d’en juger les conséquences. D’après Mme Garcia, il devrait
également donner la possibilité aux travailleurs d’exprimer leur point de
vue. Cet exercice peut s’effectuer au moyen de questionnaires ou de
l’Intranet de l’entreprise.
Lors d’une fusion, l’institutionnalisation du dialogue social offre l’avantage que les travailleurs et leurs syndicats sont informés et doivent être
consultés à un stade précoce, bien que leurs objections puissent aisément être contournées. La fusion prévue entre la Deutsche Bank et la
Dresdner Bank n’a pas échoué en raison de l’opposition du syndicat, qui
la refusait à cause de la suppression de 10 000 à 20 000 emplois, mais en
raison de conflits au sein de la direction de la Deutsche Bank. Ce
dénouement démontre bien que les syndicats doivent trouver les voies et
moyens, indépendamment du dialogue social, pour faire échouer une
fusion dont les répercussions sont négatives pour les travailleurs.
À ce niveau, il est néanmoins prioritaire d’approfondir le travail syndical.
Des formes d’action et d’intervention qui ne correspondent guère aux
méthodes de combat habituelles des syndicats doivent être mises en
œuvre. L’exemple de WORLD COM l’a fait apparaître sans équivoque.
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
D’après un appel du groupe de travail C, les syndicats, doivent davantage exploiter leur pouvoir économique en exerçant, par exemple, des
pressions auprès des responsables des fonds de retraite. Ceux-ci gèrent
en effet l’argent des travailleurs et, en qualité d’investisseurs institutionnels, ils peuvent influencer la décision de fusion. Ils ne peuvent poursuivre l’objectif d’accroître le cours de l’action à brève échéance grâce
à une fusion, ils doivent tenir compte d’une certaine responsabilité sociale. Tony Edwards a mentionné durant les discussions que l’AFL-CIO était
parvenue aux États-Unis à empêcher une concentration par le biais de
négociations avec les fonds de retraite.
En règle générale, conformément à une invitation répétée du Symposium,
des pressions plus systématiques, envers le législateur européen, par
exemple, doivent être exercées. Ainsi, les syndicats souhaitent que la
Commission européenne n’évalue pas uniquement les fusions du point de
vue de la situation concurrentielle, mais également sur le plan de leur
incidence pour l’emploi et de leurs répercussions sociales en général. Un
observatoire spécifique est donc indispensable au niveau européen. Cela
n’implique toutefois pas d’attendre que ce souhait soit exaucé. Dans l’attente de l’adoption d’une législation en ce sens, il faut essayer d’exploiter la réglementation en vigueur en matière de concurrence au profit du
travail syndical, ainsi que cela s’est produit dans le cas de WORLD COM.
De même que de nouvelles formes de lutte doivent être élaborées et
appliquées, de nouvelles formes de collaboration au niveau international
entre les syndicats sont nécessaires. Elles représentent l’une des conditions essentielles à la possibilité d’action commune lors de fusions transfrontalières. À ce niveau en particulier, les actions doivent faire preuve
d’anticipation et des relations doivent pouvoir se nouer rapidement entre
les différents effectifs et syndicats lorsqu’une fusion est envisagée.
Les entreprises, d’après une critique du groupe de travail B à ce propos,
témoignent à l’heure actuelle d’une mentalité plus favorable à la mondialisation que les syndicats. Selon Marina Garcia, des relations doivent être
établies également à l’échelle internationale. Ces relations doivent être
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Rapport de synthèse
régulières. Selon un souhait supplémentaire du Symposium, les comités
d’entreprise européens, lorsqu’ils existent, doivent être impliqués et leur
expérience mise à profit dans ces nouveaux réseaux.
Deux autres appels relèvent de mesures extrêmement concrètes que les
syndicats devraient adopter. Dès lors qu’une mission particulière est
impartie aux cadres dans le rapprochement de deux groupes de personnels distincts après une fusion, le groupe de travail A, a proposé la formation de groupes de travail interculturels de cadres qui collaborent au
niveau transfrontalier pour tenter d’influencer la culture de gestion.
Même si l’on constate généralement, comme cela a été évoqué plus haut,
une suprématie culturelle de l’entreprise à l’origine du rachat (ainsi
qu’une tendance chez les entreprises acheteuses européennes à privilégier le modèle américain de gestion) ; aucune loi naturelle ne l’impose.
L’instauration d’une culture de gestion requiert un certain laps de temps.
Si les syndicats, bien préparés, exploitent cette période pour faire valoir
leurs conceptions, ils ont la possibilité d’en sortir vainqueurs. Un aspect
souligné dans l’une des études de cas, notamment, le montre sans ambiguïté: un moment vient auquel même les entreprises qui refusent toute
information précoce sont contraintes d’impliquer les syndicats, ne fût-ce
que pour organiser la réduction du personnel de telle sorte que la motivation des travailleurs subsistants ne soit pas érodée. C’est là que se
trouve le point de départ potentiel.
Le second appel, qui a émané du groupe de travail C, entend obtenir la
réalisation d’études proches des syndicats sur les fusions et, surtout, à
récolter et à publier des études de cas afin que les leçons appropriées
puissent être tirées. Le Symposium d’EUROCADRES pourrait constituer
l’ossature d’un inventaire d’études de cas, qui serait ensuite enrichi.
Comme pour toutes les propositions, la sagesse populaire s’applique une
fois encore: il nous faut à présent joindre l’acte à la parole.
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Fusions, rachats et privatisations :
rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Points clés pour
l’intervention lors des
fusions et restructurations
présentés par Dirk Ameel (LBC-NVK)
en conclusion du Symposium d’EUROCADRES
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Points clés
Les fusions, les rachats et restructurations affectent le niveau de l’emploi, les cultures d’entreprises, les modes d’organisation, les qualifications requises, l’exercice des fonctions et des responsabilités.
Lors de ces processus, les points suivants sont essentiels, pour les
cadres et pour leurs syndicats:
➊ accéder à l’information:
Trop souvent l’information est insuffisante, tardive et peu claire. Il est particulièrement important de:
•
•
•
•
faire expliciter les objectifs et les stratégies des employeurs
analyser les données financières, commerciales, économiques,
techniques, sociales
examiner les effets sur l’emploi en terme de nombre et de
qualifications
étudier le coûts induits, et par qui ils sont supportés à l’intérieur
comme à l’extérieur de l’entreprise.
➋ négocier les éléments déterminants pour l’avenir:
Des négociations conduites aussi tôt que possible doivent permettre
l’expression d’autres points de vue que celui des employeurs à l’origine
du projet de fusion/restructuration. Elles doivent notamment concerner:
•
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les modes d’organisation et de gestion:
avec la clarification des objectifs poursuivis et des politiques
conduites ainsi que la définition des méthodes d’organisations, les
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Points clés
Points clés
responsabilités reconnues, les modes d’adaptation et les calendriers
de mise en œuvre.
➌ mettre en place un dispositif de suivi:
•
l’emploi:
avec les possibilités de reclassement, les possibilités d’avenir, les
structures d’organisation, les compétences nécessaires, les procédures de gestion des emplois, ...
Un dispositif de suivi des processus de réorganisation est nécessaire.
Il doit comporter des représentants des divers groupes de salariés et des
diverses fonctions dans les entreprises concernées. Il doit être lié aux
négociations et accords collectifs et notamment:
•
la formation:
avec la garantie d’une formation pour tous, la conduite de politiques
actives de développement des savoirs et des compétences, des politiques de soutien afin de faciliter le reclassement de ceux menacés
de licenciement ... Une cellule spécifique devrait être particulièrement chargée de la formation, analyser les besoins, formuler des propositions, faire connaître l’offre de formation, contrôler l’exécution
des budgets et assurer le suivi. Elle devrait travailler en lien étroit
avec le Comité d’entreprise.
•
•
la mobilité professionnelle et géographique:
avec l’information sur les possibilités de mobilité, la transparence des
procédures, les possibilités de choix, les garanties de recours, les
compensations en temps ou en salaire ... de façon notamment, à préserver l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale et
sociale.
•
•
•
•
•
•
•
assurer le suivi des accords collectifs et examiner les problèmes qui
apparaissent
analyser la situation de l’emploi, et rechercher des solutions aux
problèmes de sureffectifs
traiter des modes d’organisation et de gestion
examiner les conditions de travail, la charge de travail, le temps de
travail ... sans oublier la sous-traitance, la consultance, le travail
intérimaire ...
rechercher des choix alternatifs
constituer une instance de bilan
faciliter l’accès à l’information et la transparence
constituer une instance de recours.
➍ s’appuyer sur un réseau international et améliorer
les procédures européennes:
•
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l’évolution des contrats de travail et des conventions collectives:
avec la nécessité de prendre en compte l’ensemble des aspects liés
aux fonctions et responsabilités professionnelles, aux qualifications
et compétences, aux conditions et au temps de travail, à la mobilité ...
y compris les changements des modes d’organisation et les différentes cultures d’organisation.
Il convient de tenir compte de la dimension internationale de nombre de
fusions et restructurations, en particulier:
•
en établissant aussi tôt que possible des relations avec ses homologues, collègues et syndicats, dans les autres entreprises concernées y compris lorsqu’elles sont dans un autre pays
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Fusions, rachats et privatisations : rôles et responsabilités des cadres et de leurs syndicats
Points clés
•
en veillant au respect des règles nationales et européennes d’information et de consultation, notamment du Comité d’entreprise européen.
En outre, les procédures européennes doivent être renforcées:
•
l’accord de la Commission européenne, lors des fusions, ne doit pas
seulement être subordonné à des considérations découlant du droit
de la concurrence, mais doit prendre en compte l’ensemble des
aspects économiques et sociaux (y compris les conséquences sur
l’emploi);
•
les Fédérations syndicales européennes doivent être consultées, et
les Comités d’entreprises européens doivent voir leurs droits d’information et de consultation mieux garantis.
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