TROUBLES DU RYTHME VENTRICULAIRE (Docteur J.C. KAHN

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TROUBLES DU RYTHME VENTRICULAIRE (Docteur J.C. KAHN
TROUBLES DU RYTHME VENTRICULAIRE (Docteur J.C. KAHN)
Tous les troubles du rythme naissant au-dessous de la bifurcation du faisceau de His. Ils
comprennent : les extra-systoles ventriculaires, les tachycardies ventriculaires, la fibrillation
ventriculaire. A part, les torsades de pointe.
10 points clés pour les troubles du rythme ventriculaire :
1 – Toute tachycardie à QRS fins est supra-ventriculaire. Toute tachycardie à QRS larges peut-être
soit ventriculaire, soit supra-ventriculaire (avec bloc de branche fonctionnel ou pré-existant).
2 – Le diagnostic de tachycardie ventriculaire (TV) repose sur la dissociation entre oreillettes et
ventricules.
3 – ou sur la présence de complexes de fusion ou de capture.
4 – ou sur l’affinement des QRS par une stimulation atriale à fréquence supérieure à celle de la
tachycardie.
5 – Toute suspicion de TV contre-indique les digitaliques.
6 – Principales étiologies des TV : les cardiopathies ischémiques.
7 – Deux méthodes pour réduire une TV : Cordarone intra-veineuse ou choc électrique externe.
8 – Les TV ont un mauvais pronostic en cas de fraction d’éjection basse.
9 – Indications du défibrillateur implantable : TV récidivantes, mal tolérées, fibrillations
ventriculaires ressuscitées.
10 – Un seul traitement des fibrillations ventriculaires : le choc électrique externe.
Extra-Systoles Ventriculaires (E.S.V.)
Définition
Contractions ventriculaires prématurées naissant au-dessous de la bifurcation du faisceau de His,
soit du myocarde ventriculaire, soit d’une branche.
Symptomatologie
souvent nulle
sensations de palpitations, de “ râtés ” dans la poitrine.
Diagnostic E.C.G.
QRS larges (Ú 0,12 seconde), prématurés, non précédés d’une onde P, l’aspect est celui d’un retard
droit ou d’un retard gauche selon le point de départ de l’E.S.V. (fig. 1). L’E.S.V. peut être suivie
d’un repos compensateur ; le couplage au QRS sinusal est en général fixe (sauf en cas de
parasystolie) ; les E.S.V. peuvent être monomorphes ou polymorphes (traduction de plusieurs
foyers ectopiques), isolées ou répétitives (pouvant réaliser des doublets, des triplets, voire des
salves d’E.S.V.), bigéminées (une E.S.V. après un complexe sinusal) (fig. 2), trigéminées (une
E.S.V. se répétant après deux complexes sinusaux), précoces avec phénomène R/T (risque de
fibrillation ventriculaire).
Etiologies
coeur sain
infarctus du myocarde récent ou ancien (risque de déclenchement d’une tachycardie ventriculaire
ou d’une fibrillation ventriculaire ++)
toutes les cardiopathies
intoxication digitalique
Traitement
Uniquement si elles sont gênantes et/ou dangereuses (polymorphes, répétitives, très précoces), en
cas de cardiopathie ischémique ou de cardiopathie dilatée, par : béta-bloqueurs, anti-arythmiques
de la classe I, amiodarone.
A la phase aiguë de l’infarctus du myocarde, les E.S.V. doivent être traitées par la Xylocaïne (100
mg I.V., relayés par 1,5 à 2,5 g/24 Heures) et/ou par les béta-bloqueurs.
Dans le post-infarctus, plusieurs études (CAST) ont montré l’échec du traitement systématique des
E.S.V. peu ou pas symptomatiques par divers anti-arythmiques, hormis les béta-bloqueurs.
Chapitre VIID, page 1
Tachycardie Ventriculaire (T.V.)
Définition
Tachycardie régulière dont le point de départ se situe au-dessous de la bifurcation du faisceau de
His. Due à l’éclosion d’un foyer ectopique (centre de commande anormal) ou à un phénomène
local de ré-entrée, elle submerge les centres normaux d’automatisme supra-ventriculaire.
Une T.V. est dite soutenue si elle nécessite une intervention pharmacologique ou électrique pour
être réduite ou si elle dure plus de trente secondes ; sinon la T.V. est dite non soutenue.
Symptomatologie
Elle est très variable, fonction de la rapidité du rythme et de l’état du myocarde sous-jacent :
palpitations
syncope
oedème pulmonaire
état de choc
Diagnostic E.C.G.
Il repose sur une tachycardie à complexes QRS larges (> 0,12 seconde) et réguliers (aspect de
retard droit ou gauche), dont la fréquence est variable : 120 à 250 ou 280 par minute. Au-dessous
de 100 par minute on parle de T.V. lente ou de RIVA, rythme idioventriculaire accéléré (fig. 3).
Surtout les ventriculogrammes sont dissociés des auriculogrammes, moins rapides sur l’E.C.G. de
surface (fig. 4) ou sur un enregistrement endocavitaire (fig. 5).
En fait, le diagnostic se pose avec les tachycardies supra-ventriculaires avec bloc de branche préexistant ou fonctionnel. Si presque toutes les tachycardies à QRS fins sont supra-ventriculaires,
toute tachycardie à QRS larges n’est pas obligatoirement ventriculaire. Or pronostic et traitement
sont fondamentalement différents (digitaliques indiqués dans les T.S.V., contre-indiqués dans les
T.V.).
En faveur de la T.V. plaident
la dissociation entre oreillettes et ventricules, les oreillettes battant plus lentement que les
ventricules, sur l’E.C.G. de surface ou sur un enregistrement oesophagien ou endo-cavitaire (His) ;
la constatation de complexes de capture ou de fusion ; lorsque la T.V. n’est pas trop rapide, la
présence de ces complexes signe la T.V. (fig. 6) : ils traduisent la dépolarisation totale (capture) ou
partielle (fusion) des ventricules par une impulsion sinusale bien placée.
l’enregistrement endocavitaire de l’activité du faisceau de His (QRS non précédés de His)
l’affinement des QRS par une stimulation auriculaire à fréquence supérieure à celle de la
tachycardie (fig. 7).
Mais le diagnostic peut être difficile en cas de conduction rétrograde des ventricules vers les
oreillettes en 1/1. Les manoeuvres vagales, mécaniques ou médicamenteuses (une ampoule de
Striadyne I.V. rapide) peuvent aider au diagnostic en ralentissant transitoirement la fréquence
auriculaire.
Examens complémentaires
Certains examens complémentaires ont un intérêt variable dans la confirmation du diagnostic de
T.V. et dans l’analyse de son mécanisme :
L’épreuve d’effort
permet d’étudier le rôle dans le déclenchement des T.V. de l’ischémie myocardique (C.
ischémique) ou des catécholamines (T.V. “ adrénergiques ” du sujet jeune, sensibles aux bétabloquants).
L’enregistrement ambulatoire de l’E.C.G. des 24 heures (Holter)
a rarement la chance de dépister une T.V., peut identifier les E.S.V. déclenchantes encore que la
moitié des patients ayant fait une T.V. n’ont pas d’extra-systolie ventriculaire significative dans
l’intervalle.
L’exploration électrophysiologique endocavitaire
permet d’induire et d’interrompre 80 % des T.V. soutenues au moyen d’un ou deux extra-stimuli,
ce qui plaide en faveur d’un mécanisme de ré-entrée. La spécificité de l’induction de la T.V. est
grande (95 %).
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L’E.C.G. haute amplification :
des potentiels tardifs (P.T.) témoignant d’un ralentissement de la conduction dans une partie du
myocarde ventriculaire sont présents chez environ 75 % des coronariens ayant fait une T.V.
spontanée.
Dans les suites d’infarctus, la présence de P.T., d’E.S.V. ou de salves de T.V. au holter et d’une
mauvaise fonction ventriculaire gauche permettent d’identifier les patients à haut risque de mort
subite (50 % de T.V. ou mort subite dans les six mois).
Etiologies
insuffisance coronarienne aiguë (risque de F.V. mortelle) ou chronique (70 % des causes)
toutes les cardiomyopathies en général évoluées (15 %)
prolapsus valvulaire mitral
surcharge digitalique
dysplasie arythmogène du ventricule droit
exceptionnelles T.V. adrénergiques sur “ coeur sain ” du sujet jeune
T.V. idiopathiques à type de retard gauche et axe vertical de QRS
une entité rare : T.V. à type de bloc de branche droit avec axe gauche, sensible au vérapamil.
Pronostic des T.V.
Mauvais chez les patients ayant fait un infarctus du myocarde et ayant une mauvaise fraction
d’éjection ventriculaire gauche : 20 à 30 % de mortalité par an, 30 à 40 % si la T.V. s’est
accompagnée d’une syncope et ceci avec le traitement médical empirique.
Traitements
Réduction de la T.V. :
Méthodes variables selon la tolérance hémodynamique.
En cas d’intolérance majeure
(état de choc) : choc électrique externe, sous brève anesthésie générale.
Si la tolérance est correcte :
. injection intra-veineuse d’anti-arythmiques sous contrôle régulier de l’E.C.G. et de la pression
artérielle (car ils sont tous inotropes négatifs) : amiodarone (CORDARONE*), 150 à 300 mg en
vingt à trente minutes, voire disopyramide (RYTHMODAN*) à la dose de 1 mg/kg.
. extra-stimulus déclenché par une sonde endo-ventriculaire droite.
Traitement préventif des récidives :
Les anti-arythmiques (A.A.) actifs à l’étage ventriculaire sont :
1 - Les A.A. de la classe Ia et Ib : quinidiniques (LONGACOR*, QUINIDURULE*, SERECOR*),
disopyramide, mexilétine (MEXITIL*).
2 - Les A.A. de la classe Ic : propafénone (RYTHMOL*), cibenzoline (CIPRALAN*), flécaïnide
(FLECAINE*).
3 - L’amiodarone ++
4 - Le sotalol (SOTALEX*), béta-bloqueur ayant en plus une activité de classe III, pour les T.V.
ischémiques ou adrénergiques.
Ces traitements peuvent être essayés de façon empirique, mais leur efficacité sera au mieux vérifiée
par la stimulation ventriculaire programmée.
Traitements non pharmacologiques :
Traitements électriques :
Ils comprennent les stimulateurs anti-tachycardiques et surtout les défibrillateurs automatiques
implantables (D.A.I.). Ces derniers comportent un boitier et des électrodes. Le boitier comprend
deux fonctions : d’une part une fonction de stimulation anti-tachycardique et anti-bradycardique,
d’autre part une fonction de défibrillation. Les électrodes de détection de l’arythmie, de stimulation
et de défibrillation sont le plus souvent à l’heure actuelle implantées par voie endocavitaire et
reliées, après tunnellisation sous-cutanée, au boitier qui est inséré, lui, dans une poche abdominale.
Lorsque la T.V. (ou la F.V.) est détectée sur une période de cinq à huit secondes, le D.A.I. se
charge en cinq à huit secondes et délivre un choc endocavitaire de dix à trente joules.
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La mortalité opératoire est de 2 %. La mort subite est ultérieurement très diminuée : 2 % la
première année, 5 % à cinq ans.
Limites du D.A.I. : la durée de vie est de quatre à cinq ans ou 250 chocs. Le coût est très élevé
≈180 000 Francs en FRANCE.
Indications : T.V. récidivantes malgré le traitement médical mais peu fréquentes, syncopales ou
F.V. ressuscitées et fonction ventriculaire gauche pas trop altérée (sinon, envisager une
transplantation cardiaque).
Les techniques ablatives :
Elles consistent à localiser la zone du substrat arythmogène lors d’une exploration
électrophysiologique endocavitaire puis à le détruire en utilisant soit une énergie de défibrillation
(fulguration), soit la radiofréquence.
Indications : T.V. très fréquentes, rebelles, localisées, monomorphes, sur une fonction ventriculaire
gauche éventuellement altérée.
Taux de succès : 60 à 100 % selon les pathologies.
La chirurgie :
Elle a de rares indications : T.V. inductibles sur cicatrice d’infarctus pas trop étendue. La zone
cicatricielle est excisée et en général associée à un autre geste, de revascularisation myocardique en
particulier.
Fibrillation Ventriculaire (F.V.)
Définition
Désynchronisation totale de l’activité électrique et donc mécanique du myocarde ventriculaire.
Symptomatologie
La F.V. entraine un arrêt circulatoire avec état de mort apparente définitif en l’absence de
traitement immédiat. Les F.V. ne cèdent jamais spontanément.
Diagnostic E.C.G.
La F.V. se traduit par une disparition de toute déflexion électrique ventriculaire structurée,
remplacée par des oscillations irrégulières plus ou moins amples de la ligne de base avec des
fuseaux (fig. 8).
Mode de declenchement
par une ou plusieurs E.S.V. parfois précoces (phénomène R/T), parfois tardives
lors d’une baisse du seuil d’excitabilité (ischémie myocardique).
Etiologies
Toutes les cardiopathies, en particulier ischémiques : de l’infarctus du myocarde récent à la simple
crise angineuse
intoxication digitalique
électrocution
coronarographies...
Traitement
Un seul traitement : l’application immédiate d’un choc électrique externe. Si la F.V. persiste ou
récidive, répéter le C.E.E. après réanimation associant massage cardiaque externe, ventilation
artificielle, correction de l’acidose métabolique par des solutions de bicarbonate de sodium,
injection d’Adrénaline.
A la phase aiguë de l’infarctus du myocarde, le traitement doit être surtout préventif : la
constatation d’E.S.V. impose la mise en route d’un traitement anti-arythmique par la Xylocaïne :
100 mg I.V., puis 1,5 à 2,5 g/24 Heures pendant un à trois jours parallèlement aux autres
traitements de l’infarctus du myocarde aigu : reperméation coronaire, béta-bloqueurs ... La
prévention des récidives de F.V. fait appel aux mêmes thérapeutiques.
Torsades de Pointe (T.P.)
Définition
Il s’agit d’un trouble de l’excitabilité ventriculaire secondaire en fait à un trouble de la
repolarisation ventriculaire. Les T.P. ressemblent aux fibrillations ventriculaires mais s’en
distinguent par plusieurs points fondamentaux :
elles cèdent le plus souvent spontanément, ne durent que quelques à plusieurs secondes et
entrainent des syncopes. Mais elles peuvent se prolonger et dégénérer en véritables F.V.
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les déflexions sont plus organisées que la F.V., réalisent des images en fuseau (avec un ventre et
des noeuds) ; les déflexions changent souvent de sens au niveau du ventre (avec tantôt pointe en
haut, tantôt pointe en bas) (fig. 9).
les T.P. surtout surviennent toujours sur une anomalie évocatrice : l’allongement marqué de
l’espace QT supérieur à 0,60 seconde.
Etiologies
Toutes les causes d’allongement du QT :
bradycardies chroniques (bloc auriculo-ventriculaire, bloc sino-auriculaire)
hypokaliémie
médicaments anti-arythmiques : quinidine, disopyramide, sotalol, amiodarone (très rare), bépridil
(CORDIUM*)
autres médicaments : anti-dépresseurs, tricycliques, érythromycine intra-veineuse, PREPULSID*,
antihistaminiques (TELDANE*, HISMANAL*) ...
le plus souvent association hypokaliémie + quinidiniques
exceptionnellement, anomalie constitutionnelle et génétique (syndromes de JERVELL-NIELSEN
et ROMANO WARD).
Traitement
Il consiste à raccourcir l’espace QT par l’accélération de la fréquence cardiaque, soit au moyen
d’une perfusion d’ISUPREL*, soit au mieux par un électro-entrainement endocavitaire temporaire
à cadence rapide aux alentours de 120 par minute et fixe.
Parallèlement, les facteurs iatrogènes doivent être corrigés. En cas de syncope, massage cardiaque
externe. Les anti-arythmiques sont contre-indiqués (ils entretiennent le trouble rythmique). Le
sulfate de magnésium à la dose de 2 à 3 g/24 heures a une efficacité controversée.
Figures
Fig. 1 : Extra-systoles ventriculaires monomorphes
Fig. 2 : Extra-systoles ventriculaires bigéminées
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Fig. 3 : Rythme idioventriculaire accéléré
Fig. 4 : Tachycardie ventriculaire : dissociation auriculo-ventriculaire visible sur l’E.C.G. de
surface
Fig. 5 : Tachycardie ventriculaire : dissociation auriculo-ventriculaire sur un E.C.G. endocavitaire
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Fig. 6 : Tachycardie ventriculaire : complexes de fusion et de capture
Fig. 7 : Tachycardie ventriculaire : affinement des complexes QRS par stimulation atriale plus
rapide
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Fig. 8 : Fibrillation ventriculaire sur infarctus du myocarde antéro-septal
Fig. 9 : Torsades de pointe :
en haut : torsades de pointe avec aspect de pointe en bas puis de pointe en haut
au milieu : la torsade survient sur un espace QT long
en bas : suppression des torsades par accélération de la fréquence cardiaque
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