Morey-Saint-Denis - Bourgogne Aujourd`hui

Transcription

Morey-Saint-Denis - Bourgogne Aujourd`hui
Appellation
Morey-Saint-Denis
Le mystère
Morey-Saint-Denis, en côte de Nuits, est l’une
des appellations rouges les plus homogènes de
Bourgogne. Les meilleurs vins du village sont au
niveau des plus grands et pourtant la réputation
tarde toujours à venir. Mystère…
Sens
Joigny
Chablis
Auxerre
Tonnerre
Dijon
Morey-Saint-Denis
Nevers
Beaune
Chalon
sur Saône
Mâcon
Repères
Décret d’appellation morey-saint-denis :
8 décembre 1936
Président du syndicat d’appellation :
Jean-Louis Amiot
Clos-des-lambrays :
7,50 ha - 35 000 bout.
Clos-de-la-roche : 17 ha - 80 000 bout.
Clos-saint-denis : 6,50 ha - 30 000 bout.
Clos-de-tart : 7,50 ha – 35 000 bout.
Morey-saint-denis rouge :
50 ha - 270 000 bout.
Morey-saint-denis premier cru rouge :
40 ha - 215 000 bout.
Morey-saint-denis blanc :
3,6 ha - 22 000 bout.
Morey-saint-denis premier cru blanc :
1,5 ha - 9 000 bout.
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“
V
ous ne trouverez jamais
du faux morey-saint-denis.
Ici on ne vend pas le nom,
on vend le vin !“ Veste en
tweed, chaussures marron
vernies, jean et chemise blanche, un air
faussement négligé “à la bordelaise”,
Thierry Broin régisseur depuis 1980 du
domaine des Lambrays, à Morey-SaintDenis, fait partie de ceux qu’il est difficile
d’accuser d’avoir la langue de bois. Et puis
son quart de siècle de présence dans le village lui permet d’avoir une vision assez
claire de la situation. Faute de bénéficier
d’une réputation à la hauteur de celle de
ses voisins -Chambolle-Musigny au sud et
Gevrey- Chambertin au nord- les producteurs de Morey-Saint-Denis ont donc toujours dû faire davantage d’efforts que les
autres, ce que nous constatons aujourd’hui
dans nos dégustations. Morey-saint-denis
est l’une des AOC rouges (les moreys
blancs sont rares) les plus homogènes de
Bourgogne et les chiffres parlent d’euxmêmes : près de 50% de vins retenus dans
la sélection publiée en pages suivantes
contre 36% lors de nos dernières dégustations des gevreys et volnays, 43% pour les
chambolles, 37% pour les pommards, etc.
Seul nuits-saint-georges a fait mieux avec
55% sur le millésime 2000. “C’est facile
d’être homogène avec seulement 130 hectares (cf. “repères”) de vignes !”, feront
remarquer les mauvaises langues. Peutêtre, mais cela n’explique pas tout.
Pourquoi Morey continue donc d’avoir un
déficit de notoriété, moins important
qu’hier mais toujours réel, alors que les
vins y sont souvent très bons et n’ont absolument pas à rougir de la comparaison
avec les meilleurs gevrey-chambertin ou
chambolle-musigny ? C’est l’histoire classique en Bourgogne d’une appellation qui,
en raison de sa trop petite taille -la petite
taille a donc été un handicap plutôt qu’un
avantage-, n’a probablement pas intéressé
Une petite partie seulement du grand cru
bonnes-mares se trouve sur Morey-Saint-Denis,
alors que le clos-de-tart, le clos-des-lambrays,
le clos-saint-denis et le clos de la roche sont
situés à 100% sur la commune.
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Appellation
le négoce-éleveur quand ce dernier a commencé à construire ses réseaux commerciaux aux quatre coins du globe, dès le
XIXe siècle. Pour être plus précis, les vins
étaient achetés mais vendus sous des noms
plus porteurs : chambolle-musigny et
gevrey-chambertin. Les mauvaises langues,
encore elles, prétendent même que pendant longtemps, dans les caves de Morey,
Gevrey et Chambolle, où tout le monde est
un peu propriétaire partout, eh bien,
les meilleures cuvées avaient parfois tendance à être commercialisées en gevreychambertin et/ou en chambolle-musigny
et les moins bonnes en morey-saint-denis,
renforçant d’autant le déficit de notoriété
du village. Des pratiques qui n’ont bien
sûr plus cours depuis la création des
appellations d’origine contrôlées en 1935.
“L’ouverture du commerce international à
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l’exportation lointaine (USA, Asie) dans les
années 70 n’a pas changé grand chose,
ces nouveaux marchés se retournant alors
logiquement vers les appellations les plus
renommées, donc les plus faciles à
vendre”, expliquent Jean et Romain Taupenot, du domaine Taupenot-Merme. Alors
Morey reste encore en retrait, tant en notoriété qu’en prix (de “gros” surtout, puisqu’une pièce de 228 litres de morey
continue de valoir 10 à 20% moins cher
qu’une pièce de gevrey-chambertin ou de
chambolle-musigny) mais les choses changent depuis cinq à dix ans avec la conjonction de plusieurs facteurs.
La jeune génération d’abord. “Ce sont des
bons qui défendent bien l’appellation et
qui ont bien pris la suite des Jacques
Seysses (Dujac) et Jean-Marie Ponsot qui
ont beaucoup fait”, lance Thierry Broin,
Morey-Saint-Denis
repris en cœur par Sylvain Pitiot, régisseur
du domaine du Clos-de-Tart : “Il y a une
influence énorme des jeunes à Morey :
Cyprien Arlaud, Christophe Perrot-Minot,
Virginie et Romain Taupenot, Jéremy
Seysses, Frédéric Magnien, Virgil Lignier…
et Romain Lignier que tout le monde
regrette”. Romain Lignier, un garçon adorable et un grand “pro”, est décédé en
juillet dernier à l’âge de 34 ans ; il va laisser
un grand vide dans sa famille et son AOC.
La montée en puissance depuis dix ans des
deux monopoles du village, par la valeur
“d’exemples” et la médiatisation qu’ils
apportent, joue également. Au Clos-deTart (7,5 hectares), Sylvain Pitiot a réussi en
une petite dizaine d’années (premier millésime 1996) à transformer une institution
ronronnante en une référence dans le petit
monde des grands vins de Bourgogne,
et ce en appliquant quelques recettes simples
(cf. sélection). Au Clos-des-Lambrays*
(8,66 hectares - cf sélection), Thierry Broin
a enfin l’esprit libre depuis le rachat en
1996 du domaine par Günter Freund,
industriel allemand, pour la somme de
6,68 M€. “Entre 94 et 96, j’ai eu pour patron
le liquidateur judiciaire du groupe Félix
Potin, propriété des frères Saier alors également propriétaires du domaine ; quinze
jours avant les vendanges 1995, je ne savais
Les vins de Morey n’ont absolument
pas à rougir de la comparaison
avec les meilleurs gevrey-chambertin
ou chambolle-musigny
pas si j’allais avoir l’argent pour les faire.”
Thierry Broin a soufflé avec l’arrivée de
M. Freund qui, depuis, a investi 4,57 M€
supplémentaires et a ainsi donné au régisseur les moyens pour produire le meilleur.
Dernier point positif : la curiosité des
consommateurs, français et étrangers, plus
matures dans leurs achats, qui se contentent de moins en moins de “boire les
étiquettes” et recherchent la nouveauté.
Les vins de Morey-Saint-Denis ont donc de
beaux jours devant eux. ■
Christophe Tupinier
Photographies : Lionel Georgeot
* Le Clos-des-Lambrays est un quasi-monopole du domaine
des Lambrays, puisque le domaine Taupenot-Merme possède
une ouvrée (428 m2) dans le Clos.
L’avis de
Daniel Johnnes,
restaurant le Montrachet (New-York)
"Ici aux Etats-Unis, Morey-Saint-Denis est un peu parmi les grands noms de la côte de Nuits,
le village oublié. Le client ne pense pas spontanément à Morey. Pourquoi ? Je l'ignore, mais c'est
dommage parce qu'il y a à Morey-Saint-Denis des grands crus et des premiers crus au potentiel
magnifique et un groupe de vignerons très sérieux : Dujac, Hubert Lignier, le domaine du Clos-deTart, le domaine des Lambrays, Perrot-Minot, Groffier, etc. Chez ces producteurs-là, les vins sont
au niveau des meilleurs crus de Chambolle-Musigny et Gevrey-Chambertin et ils peuvent très bien
vieillir. Je garde en mémoire quelques vieux millésimes exceptionnels de clos-des-lambrays."
Le Clos-de-Tart grand cru
couvre 7,5 ha
en monopole.
Daniel Johnnes est chef-sommelier au restaurant le Montrachet (New-York). Il organise également
depuis 2000 la "Paulée de New-York", dont la prochaine édition aura lieu le 12 mars 2005
(www.lapaulee.com).
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Appellation
Les terroirs de Morey-Saint-Denis
Dans l’élite
Souvent relégué au second plan,
derrière Gevrey-Chambertin,
Chambolle-Musigny ou Vosne-Romanée,
le village de Morey-Saint-Denis
possède pourtant des terroirs
dignes des plus grands.
M
orey-Saint-Denis possède
un large vignoble de
coteau, uniforme, avec
une classique orientation
à l’est où les cinq grands
crus du finage tiennent le haut du pavé.
Ils reposent sur le tiers supérieur du coteau
et affirment un caractère particulier notamment grâce à une veine de calcaire Bajocien
qui traverse le village, en partant des
bonnes mares pour s’évanouir dans le closdes-Lambrays. Le clos-de-tart et les bonnes
mares sont en plein sur cette veine et
dévoilent un caractère rond, suave avec
une charpente soyeuse. Le clos-deslambrays possèdent un sol différent à
dominante argilo-sablonneuse qui confère
aux vins une structure un peu plus ferme.
Le clos-saint-denis est le plus délicat des
vins du village ; il s’appuie sur un mélange
d’argile et de cailloutis calcaires bruns qui
lui procure ce caractère charmeur et fin.
Le clos de la roche donne des vins puissants et généreux ayant un bon potentiel ;
le sol maigre est fait de calcaires bruns.
Bien faits, tous ces grands crus vieillissent
merveilleusement.
Le haut du coteau, très calcaire, est occupé
par quelques premiers crus dont le Mont
Luisants, au nord, qui domine à près de
350 mètres d’altitude ; ce terroir délivre la
curiosité du village : le morey-saint-denis
premier cru blanc. Plus au sud, Chaffots et
Genavrières dévoilent des vins rouges élégants et subtils qui ne sont pas sans rappeler les chambolle-musigny. On retrouve sur
la partie inférieure du coteau, juste sous les
grands crus, la majeure partie des premiers
crus. Au nord, Charmes et Chezeaux s’appuient sur un terroir léger et donnent des
vins flatteurs et distingués. Au centre,
la Riotte, le Clos-des-Ormes, les Sorbès,
le Clos Sorbé ou encore les Millandes reposent sur un sol profond et fournissent des
vins puissants, de grande classe. Côté sud,
en limite de Chambolle-Musigny,
les moreys premiers crus La Bussière,
Les Ruchots et plus particulièrement le
Clos de la Bussière développent des vins
généreux, équilibrés, dotés de bons potentiels de vieillissement.. ■
François Laborier
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