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Et l’homme dans tout ça ?
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La place de l’homme dans l’entreprise et les territoires
Et l’homme dans tout ça ?
1 - Le travail est-il en crise ?
L’homme dans l’entreprise
2 - Comment concilier compétitivité de
l’entreprise et aspirations
individuelles ?
3 - Faut-il réinventer le dialogue
social ?
2 - Comment concilier compétitivité
de l’entreprise et aspiration
individuelle ?
L’entreprise durable investit sur les
hommes
Photo Laurent Mayeux
Débat avec :
Marie-José Forissier, présidente de
Sociovision Cofremca,
Xavier Lacoste, directeur général de
PK conseil,
Muriel penicaud, directrice générale
des ressources humaines du groupe
Danone,
Julie Coudry, directrice générale de
l’agence la Manu,
Marcel Grignard, secrétaire général
adjoint de la CFDT,
Jean Duforest, PDG d’ID Group
Muriel Pénicaud
Parce qu’elles prennent du temps, la
valeur du social comme la valeur de ce
que l’on construit sont oubliées. Pour
co mb i n e r l a co mp é t i t i vi t é d e s
entreprises et l’aspiration individuelle et
collective des salariés, la première
condition est d’accepter de reconnaître
que l’entreprise est une aventure
humaine et qu’elle a une performance
économique et sociale, pour les
salariés comme pour la société dans
laquelle elle est, pour le territoire où
elle se situe. Si l’on n’accepte pas l’idée
de mesur er l a per for mance
économique et sociale, nous resterons
emportés dans cette course sans fin,
de plus en plus rapide, de plus en plus
L’homme dans l’entreprise - partie 2 - 1 -
Et l’homme dans tout ça ?
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La place de l’homme dans l’entreprise et les territoires
« court-termiste » où la valeur
homme et la valeur sociale ne seront
pas prises en considération.
Il est certes possible de faire de la
performance économique à court
terme en prenant l’homme comme
un moyen, mais je ne connais pas
d’entreprise qui réussisse
durablement sans investir sur les
hommes. Si nous voulons un
management durable pour des
entreprises qui se développent
durablement, il faut prendre en
compte cette perfor mance
économique mais aussi sociale dans
l’entreprise. A partir de cela, on ne
règle pas complètement le problème
des temps dissociés, mais c’est au
moins un objet de dialogue : on fait
des choix, on fixe des étapes, des
premiers sujets de stress pour un
salarié est l’impression que ce qu’il
fait n’est pas utile : rien n’est pire
pour stresser les gens que de les
mettre dans une telle situation. Si
nous voulons que les entreprises
fonctionnent et réussissent, il est
important que cette capacité à avoir
du sens, collectif ou individuel,
tienne compte aussi d’aspirations
individuelles. Les gens sont mille fois
plus informés que voici vingt ou
trente ans. Ils sont ouverts au
monde, le monde est ouvert à tous
les vents, variant les idées et
stimulant les aspirations.
En France, les jeunes sont un
problème, les seniors aussi. Les
autres sont des anciens problèmes
ou des futurs problèmes. Bref, il y a
des problèmes partout.
Voici deux exemples qui montrent,
au contraire, que partout des
solutions sont possibles.
priorités, on les communique, et cela
recrée un peu de sérénité.
La « génération Y » si elle existe est
bien contagieuse sur les générations
précédentes : les gens veulent être
utiles. Nous avons vu que l’un des
Nous avons créé « Danone
communities », qui est une SICAV,
avec d’autres entreprises et avec
des individus, pour investir sur des
projets d’entreprenariat social qui
aident à lutter contre la malnutrition
et la pauvreté dans différents pays
du monde. Ce projet emballe une
foule de jeunes, entre autres, alors
qu’il n’avait pas pour objectif de
recruter – c’est probablement la
L’homme dans l’entreprise - partie 2 - 2 -
Et l’homme dans tout ça ?
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La place de l’homme dans l’entreprise et les territoires
première raison pour laquelle des
jeunes nous rejoignent – et a
débouché sur des idées que nous
n’aurions pas imaginées.
multiplication de ce genre d’histoire
individuelle et collective qu’on arrive
à co mbin er co mp é titivité e t
aspiration individuelle.
Le directeur industriel de l’ensemble
des usines de yaourt dans le monde,
habitué à construire des usines de
quatre cent mille tonnes, s’est
passionné pour un défi nouveau :
comment faire une usine de mille
tonnes dans un village éloigné de
quatre heures de route de Bogra, au
Bengladesh, où les gens localement
seront capables de la gérer euxmêmes, un endroit dépourvu
d’électricité, où il faut faire du frais,
et où il n’est pas question de baisser
la garde sur la qualité nutritionnelle
des produits. Il y est parvenu,
moyennant deux ans de travail, avec
une équipe passionnée. Cela a
généré toute une série d’idées, y
compris pour que l’entreprise, qui
était devenue reine des
mastodontes, envisage d’ouvrir des
usines plus petites. Il avait soixante
ans quand il a eu l’idée, il en a
soixante-cinq aujourd’hui, il ne veut
plus s’arrêter, il est en train de faire
des émules dans l’entreprise.
Anette Burgdorf
Voilà typiquement une rencontre
entre aspirations individuelles et
besoins de l’entreprise. Cela n’a pas
été programmé : les gens ont parlé,
ont eu un projet, les moyens de le
réaliser ont été donnés. C’est par la
Julie COUDRY, avez-vous des
exemples aussi positifs pour les
jeunes ? Comment les réconcilier
avec l’entreprise ?
Julie Coudry
Voici quatre, cinq ou six ans, nous
étions coutumiers de ces enquêtes
qui nous disaient à quel point les
je u ne s a vaie nt en vie d’êtr e
fonctionnaires par souci de sécurité
de l’emploi, ce qui peut se
comprendre au vu du contexte :
c’était révélateur, on pouvait peutêtre parler de fâcherie. Aujourd’hui,
quand on demande aux jeunes s’ils
ont envie, un jour dans leur carrière,
de créer une entreprise, la majorité
répond oui.
Autre exemple avec le nouveau
statut d’auto entrepreneur : 16 % ont
moins de trente ans ; sans entrer
dans le détail du statut et de la
réalité de la création d’entreprise,
cela révèle au moins un état d’esprit,
une attraction vers l’entreprenariat
que nous évoquions ce matin. De la
mê me f a ço n , l e u r ca p a ci t é
d’engagement collectif se démontre
chaque jour dans des projets,
L’homme dans l’entreprise - partie 2 - 3 -
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La place de l’homme dans l’entreprise et les territoires
éventuellement associatifs. Ils n’ont
pas de problème avec le fait de
s’engager dans quelque chose de
plus global. Dans mon milieu, qui est
universitaire, nous constatons que la
première préoccupation depuis
quatre ans, de très loin, est l’accès à
l’emploi.
La question devrait peut-être donc
être retournée : les entreprises ne
sont-elles pas fâchées avec les
jeunes ?
face à un problème de société plus
global. D’ailleurs, le Bureau
international du travail, qui a révélé
cet été un taux recors de chômage
des jeunes dans le monde entier, en
Europe, et particulièrement en
France, parle de « gaspillage de
l’investissement de nos pays dans
l’éducation ».
L’entreprise a intérêt à miser sur
la capacité d’initiative des jeunes
En regardant le taux record du
chômage des jeunes en France, qui
est une constante depuis des
années et qui, en l’occurrence, s’est
aggravé avec la crise ; en regardant
le parcours du combattant que
représentent les conditions d’entrée
dans la vie active, cette espèce de
bizutage social, on peut se
demander pourquoi on attend des
années que les jeunes soient moins
jeunes pour leur proposer un emploi
stable. Et ce moment d’entrée dans
la vie active, où les jeunes sont
pl eins d’envi es, d’énergie,
d’enthousiasme, n’est pas capitalisé
au profit de la performance de
l’entreprise.
Loin de moi l’idée de rendre
l’entreprise seule responsable de
cette situation : nous sommes là
Ce problème de société apparaît
également dans les politiques
publiques en matière d’emploi des
jeunes : pour la plupart, ce sont des
dispositifs réparateurs pour des
publics en difficulté. C’est très
révélateur : ces politiques servent à
réparer des parcours de jeunes qui
sont cassés par les conditions
d’entrée dans la vie active qui leur
sont faites, et nous n’avons pas de
dispositifs « préventifs » pour faire
en sorte qu’ils ne se trouvent pas
dans ces difficultés. Entre un
discours disant qu’il faut galérer
L’homme dans l’entreprise - partie 2 - 4 -
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La place de l’homme dans l’entreprise et les territoires
quand on est jeune, parce que c’est
un passage obligé, et des dispositifs
où on vous tient la main sans vous
donner les armes vous permettant
de voler de vos propres ailes. Il faut
inventer d’autres dispositifs en
s’appuyant sur cette capacité
d’initiative des jeunes.
C’est ce que nous faisons à La
Manu en leur proposant de mettre
cette énergie au service de la
p r é p a r a t i o n d e l e u r a ve n i r
professionnel quand ils sont en
période d’études et nous voyons que
le fait de leur donner la possibilité
d’être acteurs est déterminant.
Je pense notamment à cette grande
enquête réalisée voici quelques
années sur l’avenir des jeunes, qui
disait que les jeunes français étaient
les plus pessimistes d’Europe. Elle
montrait que ce pessimisme n’était
pas un défaut d’ambition
professionnelle, mais au contraire le
sentiment, avec de fortes ambitions
professionnelles, de ne pas avoir les
moyens de les réaliser. Il existe donc
un enjeu très fort qui est de leur
donner la possibilité de prendre la
main sur la construction de cet
avenir professionnel. L’enjeu est
aussi que ces ambitions ne se
construisent pas en total décalage
avec la réalité du monde du travail et
de l’entreprise.
L’insertion professionnelle et les
conditions d’accès à la vie active ne
se jouent pas uniquement au
moment où ces jeunes cherchent un
premier emploi, mais bien en amont.
Et qui mieux que l’entreprise, que
ceux qui la font vivre, pourra aller à
leur rencontre pour leur exposer les
réalités du marché de l’emploi et
éviter qu’ils ne se fourvoient dans
des représentations décalées de la
réalité ? C’est aussi une occasion de
créer des vocations sur des métiers
et des secteurs d’activité qui sont en
panne de vocations.
Les chambres de commerce sont un
acteur stratégique sur le territoire qui
rassemble les entreprises. Vous
intervenez régulièrement auprès des
jeunes en amont de l’entrée dans la
vie active, à travers l’apprentissage
et les écoles de commerce. A La
Manu, nous organisons sur les
territoires de s « r enco ntres
campus » entre les étudiants
d’université et les entreprises
pendant la période d’études,
justement pour que ces ambitions et
ces perspectives se forgent avec
une rencontre entre les deux
mondes. Je vous propose d’être, en
tant que chambres de commerce,
partenaires de ces rencontres. C’est
un peu nouveau parce que
traditionnellement, les chambres de
commerce sont plus tournées vers
L’homme dans l’entreprise - partie 2 - 5 -
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La place de l’homme dans l’entreprise et les territoires
les écoles qui sont structurellement
liées, mais cela pourrait élargir le
rôle que les chambres jouent sur les
territoires dans le rapprochement
entre les jeunes et l’entreprise. Nous
allons dès cette année
l’expérimenter avec la chambre de
commerce de Lyon.
Laurent Degroote (de la salle)
Je suis très content de votre
question, mais nous ne l’avons pas
attendue pour agir. Nous menons à
la chambre de Lille des actions très
concrètes auprès de l’enseignement
supérieur essentiellement, mais
aussi secondaire, auprès des
universités et des écoles, pour faire
en sorte que les élèves n’attendent
pas de sortir de la fin de leurs cours
pour découvrir l’entreprise. Cela me
semble tellement élémentaire que ce
ne serait pas responsable de notre
part de ne pas le faire.
Le deuxième axe est d’organiser,
comme nous le faisons, des
rencontres régulières, une ou deux
fois par an, où nous recevons les
étudiants, qui se déroulent de
différentes façons : à partir de jeux,
de concours, d’entreprises virtuelles,
pour que les étudiants découvrent ce
qu’est une entreprise. Je vais vous
donner un exemple : je suis à
l ’i n i t i a t i ve , a v e c Pi e r r e D e
Saintignon, du forum Créer, où
pendant trois jours nous allons
accueillir à Lille vingt mille
personnes qui souhaitent créer ou
reprendre leur entreprise. Durant ces
trois jours, trois cents jeunes vont
créer une entreprise virtuelle et
seront primés ; ils viennent soit de
l’école de la deuxième chance, soit
de l’université, soit des lycées. Je
pense que beaucoup de choses se
font ainsi dans les chambres de
commerce, mais aussi dans les
organisations patronales.
Vie professionnelle, vie privée : la
confusion
Anette Burgdorf
Les sondages font aussi ressortir
l’envie des jeunes, amis aussi des
moins jeunes, de trouver un équilibre
entre vie personnelle et vie
professionnelle. Xavier LACOSTE,
comment évolue cet équilibre ?
Xavier Lacoste
L’aspiration à la conciliation vie
professionnelle – vie privée a
toujours existé, d’abord parce que
c’est une nécessité : il faut bien vivre
en tant que personne son statut de
travailleur, sa vie personnelle, sa vie
de famille, de citoyen, sa vie
associative. Je crois, comme cela a
été évoqué, que l’utilisation
généralisée des technologies de
l’information, la capacité à être joint
L’homme dans l’entreprise - partie 2 - 6 -
Et l’homme dans tout ça ?
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La place de l’homme dans l’entreprise et les territoires
et à intervenir en tout lieu et en tout
temps pour une part croissante de la
population peut, sans régulation et
sans consensus sur le point où on
s’arrête et le point où on reprend,
être source de grandes difficultés.
Par ailleurs, un sentiment de
compétition qui s’est instauré entre
professionnelle que dans d’autres
pays. Dans d’autres pays, d’autres
choses comptent davantage :
situation
personnelle,
e n g a g e me n t s … E n F r a n c e ,
l ’i mp o r t a n ce d e l a p o si t i o n
professionnelle demeure
fondamentale. Il en découle que les
attentes sont fortes, les déceptions
également. Il n’est donc pas
étonnant que les réorganisations des
entreprises provoquent parfois une
perte d’identification.
Les conditions de la réussite sont
partout les mêmes
Anette Burgdorf
Jean Duforest, l’entreprise a
longtemps été un lieu d’échange, de
partage et de socialisation. Est-ce
encore le cas ?
salariés dans les entreprises aboutit
à
des
comportements
d’intensification du travail qui sont à
mon avis incompatibles avec un
f on ction ne me n t d ura ble d e
l’entreprise.
En outre, quand vous posez la
question de la valorisation par le
travail, les réponses montrent que
cette dimension est beaucoup plus
forte en France qu’elle ne l’est dans
les pays voisins. En France, nous
nous positionnons socialement
beaucoup plus par notre activité
Jean Duforest
Une entreprise est un groupe
d’hommes et de femmes comme
toute communauté humaine ou on
utilise les mêmes règles de vie que
dans toute communauté humaine et
alors on y retire tout le bénéfice, ou
on continue à être l’entreprise de
Charlot dans Les Temps modernes
et plus rien ne marche
Le vrai management est celui qui
rend responsable. Nous parlions à
un moment donné d’entreprise et de
chômage et je disais à mes aînés :
L’homme dans l’entreprise - partie 2 - 7 -
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La place de l’homme dans l’entreprise et les territoires
« Tu veux ne pas être chômeur ! Eh
bien applique, dès le matin au lever
– vous connaissez les ados au
réveil – ce que nous disons à nos
conseillères de vente dans nos
magasins : le SBRAM. Sourire,
bonjour, au revoir, merci ». C’est le
B-A-BA de la réussite
entrepreneuriale. Celui qui a un bac
+ dix et qui ne sait pas appliquer le
SBRAM ne réussira pas ; celui qui a
un bac – trois et qui sait le faire va
réussir.
continue. Je ne vais pas empêcher
les gens de faire du court terme, de
f a i r e d e s T e m p s mo d e r n e s
financiers ou autres, mais cela ne
marche pas. Maintenant, mettonsnous au travail, je suis ravi de savoir
que quantité de jeunes veulent créer
l e u r e n t r e p r i se . Cr é e z d e s
entreprises qui marchent ; les
entreprises qui marchent sont celles
qui utilisent les bonnes recettes de
bien-être, de savoir-être, de savoirfaire et de savoir-transmettre.
Les règles de la réussite et les
Anette Burgdorf
Marcel GRIGNARD, comment peuton favoriser l’engagement des
salariés dans l’entreprise ?
Marcel Grignard
règles du développement sont
t o u jo u r s l e s mê me s r è g l e s
humaines : ou on les met en œuvre,
ou on ne les met pas en œuvre.
Mais si c’est tout pour l’argent, tout
pour la rentabilité, tout pour le court
terme, on le voit aujourd’hui, c’est
échec sur échec. Bien sûr, cela
Beaucoup de chefs d’entreprise sont
des gens extrêmement corrects,
courageux et qui font confiance à
leurs salariés et parient sur leur
intelligence. Mais si toutes les
entreprises fonctionnaient ainsi, cela
se saurait et nous ne parlerions pas
de malaise social. Interrogez les
salariés qui organisent le contrôle
des passagers sur leurs conditions
de travail et leurs conditions
d’existence, et vous verrez que c’est
un esclavage moderne. Interrogez
ceux qui étaient bagagistes voici
vingt ans quand ils étaient salariés
des grandes compagnies aériennes
et regardez ce qu’ils sont aujourd’hui
L’homme dans l’entreprise - partie 2 - 8 -
Et l’homme dans tout ça ?
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La place de l’homme dans l’entreprise et les territoires
dans les entreprises sous-traitantes et
vous verrez de véritables
esclavagismes. Et ces entreprises
perdurent, y compris avec des turn
over de 70 voire de 100 %. Nous ne
nous en sortirons pas si nous ne
reconnaissons pas qu’il y a des
franges de la vie économique, une
partie des entreprises, où les salariés
sont fatalement mal dans leur peau
p a r c e q u ’i l s so n t d a n s d e s
organisations du travail où ce qu’on
leur propose les réduit à des
situations de porteurs de valises.
réglés et, qu’ils le veuillent ou non,
beaucoup d’entrepreneurs
aujourd’hui sont toujours sous la
d é p e n d a n ce d e s e n je u x d e
rentabilité financière. Tant qu’on ne
dessert pas cet objectif-là, tant qu’on
ne le rééquilibre pas sur le long
terme avec les enjeux sociaux, je
p e n se q u e l a q u e st i o n d e
l’engagement des salariés restera
problématique. Il me semble que
nous avons de réelles opportunités
pour penser le management des
entreprises en incluant cet objectif.
Le management est à repenser
Il y a donc un enjeu considérable à
repenser le management depuis le
salarié d’exécution jusqu’à la haute
hiérarchie, en réfléchissant à ce que
son t les en je u x soci au x et
économiques qui font la performance
de l’entreprise. Il s’agit de faire en
sorte qu’à tous les niveaux de
l’entreprise, soit mise en œuvre une
responsabilisation des individus,
pour tendre à ce que l’exigence de
rentabilité économique ne soit pas
satisfaite en sacrifiant à court terme
les enjeux sociaux.
Cela a été dit, nous sommes dans
une économie mondialisée et
beaucoup d’entreprises dépendent
non pas de l’activité nationale mais
en partie de l’activité internationale.
Nous ne sommes plus dans la crise
financière aiguë, mais globalement,
les problèmes de fond ne sont pas
Muriel Pénicaud
Pour rebondir concrètement làdessus, je pense qu’une des choses
importantes pour qu’une entreprise
marche est la cohérence, entre ce
qu’on dit et la manière dont on agit. Et
dans la cohérence, la manière dont
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La place de l’homme dans l’entreprise et les territoires
on mesure cette performance et dont
on reconnaît les gens est très
importante.
C’est exactement pour ces raisons
que chez Danone, voici trois ans,
nous avons modifié le système de
rémunération variable des mille cinq
cents directeurs généraux et
directeurs des filiales de toutes nos
sociétés partout dans le monde :
depuis, un tiers repose sur les
objectifs économiques – croissance
du chiffre d’affaires, profitabilité,
« cash-flow » disponible – un tiers,
sur les objectifs sociaux et sociétaux
– réduction de l’empreinte carbone,
sécurité et santé au travail,
développement des hommes,
formation – et un tiers, sur des
objectifs comme l’innovation,
l’organisation, selon les projets. Il
faut du temps pour mettre en place
ce genre de chose. Concernant le
court terme/long terme, que disonsn o u s ? Q u e l e s o b je c t i f s
économiques sont le court terme de
l’année, et que les objectifs sociaux
se mesurent sur plusieurs années
mais vont nous aider à faire les
futurs courts termes : autrement dit,
le social est l’investissement dans
l’économique de demain.
Marie-José Forissier
Je
ne
voudrais
pas
provoquer
Monsieur Duforest, mais avant de
d ev enir u ne mul tina tion ale
inhumaine, en général, on a
commencé par être une entreprise
patrimoniale. Le problème est de
savoir comment on garde, quand
une entreprise devient gigantesque,
l’esprit d’origine. Là, vous avez tout
à fait raison, cela tient au
management et pas à la taille. Bien
sûr, la mondialisation n’aide pas,
mais c’est un fait, pas une option.
Elle nous est imposée : on a
l’impression de temps en temps en
France que la mondialisation est un
choix idéologique, mais non ! Cela
nous tombe dessus comme la pluie,
donc il faut faire avec.
Je voudrais revenir un instant sur
l’organisation et sur le management
dans de très grandes entreprises et
sur les jeunes dont parlait Julie. Par
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La place de l’homme dans l’entreprise et les territoires
beaucoup de côtés, les jeunes ne
sont pas différents de leurs aînés ; je
suis d’accord avec vous, ils
demandent l’équilibre vie privée –
vie professionnelle comme le
demandent les plus vieux et comme
nous le demandons. Mais ils sont
beaucoup plus affectés par la crise
de l’emploi : ce n’est pas qu’il y ait
une fâcherie entre eux et les
entreprises ; c’est que les
entreprises, peut-être frileusement
ou angoissées, embauchent d’abord
des gens qui ont déjà une
expérience ; donc comment faire
quand on ne l’a pas ? Attendre d’être
vieux après avoir été jeune ? C’est
une histoire de fous.
Là où ils sont peut-être un peu
différents tout de même, et cela
affecte pr obabl e me nt l e
management des entreprises, c’est
dans leur appétit de circulation
horizontale de l’information. Cela
crée de réels déséquilibres dans les
entreprises. Quand vous êtes né
avec une souris dans votre berceau,
quand vous êtes habitué à
l’instantanéité, à ce que tout aille
vite, quand vous vivez avec
l’impression que vous pouvez tout
savoir sur tout en un clic, vous
supportez très mal des organisations
hiérarchiques de type traditionnel. Il
faut donc accepter, quand on veut
attirer des jeunes dans l’entreprise,
de donner la place à
horizontalité du management.
une
Julie Coudry
Les jeunes générations
appréhendent les choses
différemment : c’est un fait. La
question est de savoir où est le point
de rencontre avec ce que va devoir
modifier l’entreprise dans son
management. Il ne faut pas dire que
les jeunes n’ont pas un
co mporte ment adapté au
management, ni que le management
n’est pas adapté à leur
comportement : chacun a des pas à
faire. C’est pourquoi je parlais tout à
l’heure de la rencontre humaine
avant de se retrouver dans
l’entreprise et d’être confronté à ces
exigences de performances. Cela
change beaucoup la représentation
et l’appréhension des choses, et
permet de les aborder différemment
au moment de se retrouver en
situation d’emploi, avec des objectifs
à tenir pour les salariés et des
performances à accomplir pour les
dirigeants.
Xavier Lacoste
Ce n’est pas facile pour les
managers d’accepter qu’un jeune qui
a fait son travail soit sur Facebook
en disant : « Cela ne gêne personne,
j’ai fait mon travail ». Il existe des
évolutions de comportement, avec
L’homme dans l’entreprise - partie 2 - 11 -
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La place de l’homme dans l’entreprise et les territoires
un continuum plus flou entre vie
personnelle et vie professionnelle,
qui font que des consignes, si elles
ne sont pas dictées par la nécessité
du travail elles ne sont plus
acceptées. C’est une attitude qui
commence à contaminer tout le
monde ; cela remet donc en cause le
management et oblige à penser que
les règles dans l’entreprise ne sont
pas uniquement des rites : il faut
qu’elles aient du contenu.
Un bon manager doit
gestionnaire et visionnaire
être
Anette Burgdorf
Philippe Vasseur, quelles sont pour
vous les qualités essentielles d’un
manager ?
Philippe Vasseur (de la salle)
Président d’Alliences
Je peux les résumer en deux
mots : un bon manager est à la fois
un gestionnaire et un visionnaire.
Un gestionnaire, parce qu’il ne faut
quand même pas oublier que la
première chose qu’on demande à
un manager est d’assurer la
rentabilité de l’entreprise. Une
entreprise qui ne dégage ni résultat
ni profit est une entreprise qui finit
très rapidement par ne plus exister.
La première responsabilité d’un
chef d’entreprise est économique.
Une fois qu’on a assumé cette
nécessité première, impérative, on
peut se poser la question du
comment. Autrement dit, quelqu’un
qui assure une rentabilité purement
financière en détruisant de la
valeur est pour moi un mauvais
manager.
Deuxième point : quand on est un
bon gestionnaire, on peut le faire
avec une certaine vision ; une
vision de l’entreprise que l’on
projette dans son devenir, et une
vision de l’entreprise dans la
société dans laquelle elle vit. Pour
moi, un bon manager, c’est donc
évidemment celui qui assure la
rentabilité économique, mais en
prenant en compte toutes les
parties prenantes de l’entreprise en
interne et en externe. Cela inclut
les salariés, car il n’y a pas que
l’intérêt des actionnaires : il y a
L’homme dans l’entreprise - partie 2 - 12 -
Et l’homme dans tout ça ?
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La place de l’homme dans l’entreprise et les territoires
celui des dirigeants, celui des
salariés, celui des clients, celui des
fournisseurs, celui du territoire
dans lequel on vit.
Je suis intimement convaincu que le
développement de la globalisation
r é i n t r o d u i t l a n é ce ssi t é d e
l’attachement au territoire. Quand
nous regardons la façon dont se
passent les choses chez nous,
même dans les multinationales, le
territoire joue un rôle essentiel. A
l’entreprise d’être capable de tenir
compte de cet environnement : c’est
la meilleure façon, premièrement, de
restaurer l’image de l’entreprise et je
trouve imbécile l’image donnée
au jour d’h ui du mon de de
l’entreprise : un pays sans
entreprises est un pays dans lequel
on ne résoudra pas les problèmes
de l’emploi, de l’économie et de la
fiscalité ; deuxièmement, de faire en
sorte d e bien mon trer que
l’entreprise s’inscrit dans la
pérennité et n’est pas simplement un
centre de profits que l’on peut
obtenir de façon financière sans
créer de valeur.
Gérer, assurer une rentabilité en
créant de la valeur et en prenant en
compte l’intérêt de toutes les parties
prenantes : voilà pour moi les
qualités d’un manager.
Anette Burgdorf
Luc Doublet, qu’est-ce
gagner une entreprise ?
qui
fait
Luc Doublet (de la salle)
Président de Doublet SA
C’est le fait qu’elle
sache
bien
se
défi nir,
qu’ell e
partage une vision
avec ses salariés.
Je ne suis pas un
manager : je suis un
industriel. Dire que
l’on est industriel positionne les
choses autrement. Pour une
entreprise, être industrielle signifie
qu’elle doit employer des gens dans
des process de fabrication, pas
seulement se dire que c’est plus
facile de tout commander en Chine
ou ailleurs que de le faire soi-même :
il faut se casser la tête ; peut-être se
dire qu’on ne dirige pas au contrôle
de gestion mais qu’on peut aussi
diriger avec des atouts différents. Le
temps d’une entreprise n’est pas le
temps annuel. L’entreprise doit
connaître le temps dans lequel elle
est – chez Danone, c’est peut-être à
cinq ans, chez Areva, c’est encore
plus long – et c’est la façon dont elle
se positionne par rapport au temps
qui lui permettra d’exister et de se
pérenniser.
L’homme dans l’entreprise - partie 2 - 13 -

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