Quelques chiffres

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Quelques chiffres
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Appel à contributions Ethnologie française
http://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise.htm
Des restaurants dans la ville (Titre provisoire)
Numéro coordonné par Jean-Pierre Hassoun ([email protected])
Quelques chiffres. En 2009, en France, 3,1 repas par semaine sont pris hors foyer
contre 1,9 en 1969. Le restaurant, mais aussi la restauration parallèle (sandwicherie, plats
livrés, ventes à emporter) se sont banalisés. La France compte 133 000 restaurants (ou
établissement assimilés) dont 5890 (4,4%) sont des chaînes de restaurations commerciales,
mais celles-ci pèsent 26,6% des repas servis (Sources CREDOC).
On pourrait multiplier les statistiques pour la France, l’Europe et le reste du monde. Le
restaurant est aujourd’hui un élément central des pratiques alimentaires en particulier en
milieu urbain. Mais il n’est pas central seulement pour les pratiques alimentaires.
Il est un espace de travail réputé reposer sur des relations sociales internes fortement
hiérarchisées. Un espace urbain susceptible de modifier (ou d’accompagner) la transformation
des identités de quartier. Un espace des saveurs qui permet de diffuser (ou de tester) de
nouveaux goûts. Un espace distinctif qui permet à chacun d’affirmer un statut. Un espace de
sociabilité aussi bien quotidienne (avec par exemple les restaurants d’entreprise) que festive
(avec par exemple les anniversaires de plus en plus souvent fêtés en dehors du foyer familial).
Un espace économique (cf. Ethnologie française, Négoces dans la ville, 2005-1) sensible
comme l’a montré récemment le débat sur l’abaissement de la TVA dans ce secteur. Enfin il
est un espace de signes culturels qui s’illustre tout aussi bien sous la forme d’un exotisme
jubilatoire mais cadré que sous la forme d’une affirmation religieuse avec pour l’illustrer le
récent débat sur le halal dans une chaîne de fast food du Nord de la France.
Si le restaurant est sans nul doute un espace social total il est aussi un espace de
différenciation sociales (du Mac Donald au restaurant haut de gamme). Nous aimerions que
les questions sociologiques et anthropologiques qu’il suscite soient lues, autant que faire se
peut, à travers les relations complexes qui se nouent en son sein entre espace public et espace
privé. En effet le restaurant est un lieu qui, depuis la naissance (dans sa forme « moderne »)
au XVIIIè siècle à Paris (Spang, 2000) redéfinit les frontières entre les sphères publiques et
privées relatives aux pratiques alimentaires. Il a été et continue à être le lieu où la
commensalité réputée intime et familiale est mise en scène par une scénographie où chaque
mangeur devient un mangeur mondain à proximité d’autres mangeurs mondains… tout en
faisant varier ses usages sociaux : on peut y célébrer une noce, mais aussi le choisir pour un
repas en tête à tête, pour un repas professionnel lors d’une promotion ou pour sceller un
contrat commercial. Cependant, au-delà de l’enchantement social que le restaurant est là aussi
pour vendre il faut garder à l’esprit que dans certaine sociétés et à certains moments, le
restaurant est redouté, on ne s’y rend que contraint, en voyage par exemple. Il représente alors
les nourritures « du dehors » parfois stigmatisées car échappant au contrôle maternel. Le
repoussoir que peut représenter pour certains le Mac Donald réactualise peut-être dans nos
sociétés ce pôle négatif.
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Les contributions pourront concerner n’importe quel pays et devront prioritairement
(mais pas exclusivement) se situer en milieu urbain (ville globale, capitale d’un pays
émergent ou d’un pays en forte dépendance économique, petite ville de province, etc.) sur la
base d’une enquête originale d’ordre ethnographique ou historiographique. Les articles offrant
des contre-points historiques sont également attendus.
Pour cet appel à contributions nous proposons ici quelques questionnements ; ils ne
sont pas restrictifs.
Morphologie urbaine, urbanité, intimités.
Les contributions mettant en relation le restaurant et la ville – la cité - sont
particulièrement attendues. A un niveau le plus général on pourra se demander en quoi les
restaurants contribuent à construire des frontières autour d’une cuisine nationale ou régionale
tandis que d’autres construisent leur offre et leur réputation sur un exotisme et un
cosmopolitisme alimentaire ? Dans les deux cas on attendra un travail de déconstruction
critique de ces notions. On aimerait également pouvoir restituer l’historicité des ces
« missions » prosélytes. On pourrait aussi se demander en quoi les pouvoirs politiques et
institutionnels– l’Etat, les municipalités, les chambres de commerces, les institutions
culinaires, etc – influent sur ces implantations de restaurants ou bien pourquoi il s’agit d’un
marché protégé des sphères publiques et institutionnelles ? A ce niveau on pourra se
demander quelles relations existent entre les restaurants (et leur Chefs) et les récents débats
autour de la construction des gastronomies dites nationales, ou du repas français comme
moment social spécifique, comme patrimoine mondial de l’UNESCO.
Dans ses rapports à la cité, on se demandera quels types de relation le restaurant
entretient avec l’évolution des normes d’hygiène et de manière plus générale avec les
certifications « morales » (bio, diététiques, éthiques, halal, cacher, etc.). Les restaurants
jouent-ils le rôle d’espace de « résistance » ou d’innovation en la matière ? A ce niveau les
normes d’hygiène et les normes « morales » peuvent être envisagées autant d’un point de vue
nutritionniste que sociologique et anthropologique c’est-à-dire en déconstruisant les
conceptions normatives qu’elles sous-tendent.
A un niveau plus urbain on pourra se demander comment les implantations de
restaurants contribuent à modifier la morphologie symbolique d’une rue ou d’un quartier ? En
quoi les restaurants sont-ils des indicateurs du niveau socio-économique d’une ville
(gentrification versus paupérisation) ? On sait que les restaurants se construisent autour d’un
décor que l’on peut lire comme un récit aussi il serait intéressant de réunir des contributions
qui s’attachent à les décrypter en restituant leur processus de conception et de fabrication plus
qu’en les décrivant de façon trop synchronique. Un regard ethno-architectural pourrait à ce
niveau être intéressant. Toujours au niveau de l’ethnographie des mises en scènes on pourra
se poser des questions similaires sur la genèse des menus – leur mise en page, leur
iconographie, les noms de leurs plats –. Autant d’éléments qui participent des ambiances
urbaines.
Mais la mise en relation avec la ville s’étend à l’urbanité c’est-à-dire aux relations entre
intimités et modes de vie urbain (Sennett, 1979) en faisant l’hypothèse que l’espace du
restaurant est à ce niveau un bon laboratoire. L’ethnographie des clientèles (Warde, Martens,
2000) sera également recherchée en particulier à travers des données ethnographiques qui
pourraient être lues à travers une grille interactionniste et symbolique. Dans la suite des idées
de Finkelstein (1989) ou de Beriss et Sutton (2007) sur le restaurant en tant qu’espace post
moderne on aimerait publier des travaux qui restituent finement les interactions clientsrestaurants (clients/patrons restaurant et/ou Chef, client/serveurs). Comment choisit-on son
restaurant ? Comment le restaurant est-il utilisé dans la vie sociale à l’extérieur du
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restaurant ou dans la vie de couple ou dans la bande d’amis ? Que se joue-t-il au moment de
la « commande » c’est-à-dire du choix des plats ? En quoi cet espace est-il un lieu de la
dépense parfois ostentatoire ? Comment la question du genre (côté client comme côté
restaurateur) interfère-t-elle dans la pratique du restaurant ? On pense également ici à la
division du travail symbolique autour des figures du cordon bleu essentiellement féminines et
domestique et des figures du Chef essentiellement masculines réservées à l’espace public.
Un espace entrepreneurial. Les restaurateurs et les Chefs.
On oublie souvent que le restaurant est aussi une entreprise avec à sa tête un
entrepreneur (Eloire 2010). Les contributions visant à mieux comprendre les ressources de ce
type d’entrepreneuriat sont ici recherchées. Rejoignant notre question sur l’urbanité il pourrait
être intéressant de ne pas nécessairement séparer ces entrepreneurs de leur clientèles.
Quels types de relations les industries agro alimentaires tissent-elles avec les
restaurants ? Quelles sont les trajectoires scolaires, professionnelles, sociales de ceux qui
deviennent restaurateur ou Chef ? Bien que dernièrement (Anthropology of Food 7, 2010) ce
sujet ait été investi on pourra trouver de nouvelles question concernant le restaurant dit
« immigré » tant du point de vue du restaurateur que des clientèles (Garnier 2010, Hassoun
2010, Helfst Leichet Collaçao, 2010, Matta, 2010, Sammartino 2010). Peut-on réduire les
différenciations internes à cette profession à une opposition formation en institution culinaire
versus autodidactes ? En quoi ces histoires sociales performent-elles l’offre alimentaire qui est
proposée dans ces espaces ? En quoi cet espace économique produit-il des relations sociales
internes spécifiques ? (On pense ici à la magnifique pièce de théâtre d’Arnold Wesker « La
cuisine ». Un équivalent ethnographique reste à faire).
Plus précisément comment les restaurateurs et leur histoire sociale s’adaptent-ils à aux
demandes du marché (Corbeau, 1997) ? Comment ces entrepreneurs appréhendent-ils leurs
clientèles ? On sait que la personnalisation est un élément qui peut être essentiel dans la
relation restaurateur/clients ; quelle formes prend cette personnalisation qui rentre en
contradiction – peut-être archétypale – avec les théories des relations marchandes anonymes ?
Si le restaurant dans les sociétés économiquement riches est connoté comme une dépense de
loisir ou de luxe, qu’en est-il dans un pays pauvre ?
On pourra explorer des espaces de la restauration hors foyer moins connus
ethnographiquement et historiquement. Nous pensons aux restaurants d'hôtels, aux pensions
de famille (il est vrai moins fréquents mais des perspectives historiques ou littéraires peuvent
rappeler des formes de restauration oubliées aujourd’hui), les restaurants végétariens ou
diététiques, les restaurants d’entreprise, les cantines scolaires, la restauration hospitalière, la
restauration pénitentiaire, la restauration dans les avions, les bateaux, les trains ou sur les
autoroutes ou bien encore la restauration à domicile quand les chef sont convoqués au
domicile de leurs clients. Ce ne sont là que quelques suggestions pour essayer de dessiner la
cartographie de ce champ de recherche qui relève tout à la fois de l’anthropologie urbaine, de
la sociologie économique et de l’anthropologie de l’alimentation.
Les projets d’articles doivent être envoyés à Jean-Pierre Hassoun
([email protected]) qui est l’éditeur invité de la revue Les articles peuvent être publiés
en français ou en anglais.
Les propositions (environ une page) préciseront la nature des données et la forme de
l’enquête ethnographique ou historiographique, ainsi qu’un premier questionnement qui
pourra évoluer durant l’écriture de l’article. La date limite pour la réception des propositions
est fixée au 30 avril. La sélection des propositions sera communiquée aux auteurs pour le 15
mai. Une fois la proposition acceptée, la revue transmettra aux auteurs les normes de la
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publication. La revue doit recevoir les articles dans leur version finale début janvier 2013.
Chaque article sera alors évalué de façon anonyme par deux lecteurs. La publication du
numéro (2014-1) est prévue en janvier 2014.
Quelques références
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