Devoir - Le blog de Jocelyne Vilmin

Transcription

Devoir - Le blog de Jocelyne Vilmin
Devoir type EAF
Objet d'étude : Le biographique.
Textes :
Texte A - J-J. Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, Première promenade, 1778.
Texte B - COLETTE (1873-1954), Les Vrilles de la vigne, 1908
Texte C - Primo LEVI (1919-1987), Si c'est un homme, 1957.
Texte A - J-J. Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, Première promenade, 1778.
Seul pour le reste de ma vie, puisque je ne trouve qu'en moi la consolation, l'espérance et la paix,
je ne dois ni ne veux plus m'occuper que de moi. C'est dans cet état que je reprends la suite de
l'examen sévère et sincère que j'appelai jadis mes Confessions. Je consacre mes derniers jours à
m'étudier moi-même et à préparer d'avance le compte que je ne tarderai pas à rendre de moi.
Livrons-nous tout entier à la douceur de converser avec mon âme puisqu'elle est la seule que les
hommes ne puissent m'ôter. Si à force de réfléchir sur mes dispositions intérieures je parviens à les
mettre en meilleur ordre et à corriger le mal qui peut y rester, mes méditations ne seront pas
entièrement inutiles, et quoique je ne sois plus bon à rien sur la terre, je n'aurai pas tout à fait
perdu mes derniers jours. Les loisirs de mes promenades journalières ont souvent été remplis de
contemplations charmantes dont j'ai regret d'avoir perdu le souvenir. Je fixerai par l'écriture celles
qui pourront me venir encore; chaque fois que je les relirai m'en rendra la jouissance. J'oublierai
mes malheurs, mes persécuteurs, mes opprobres, en songeant au prix qu'avait mérité mon
cœur. Ces feuilles ne seront proprement qu'un informe journal de mes rêveries. Il y sera beaucoup
question de moi parce qu'un solitaire qui réfléchit s'occupe nécessairement beaucoup de lui-même.
Du reste toutes les idées étrangères qui me passent par la tête en me promenant y trouveront
également leur place. Je dirai ce que j'ai pensé tout comme il m'est venu et avec aussi peu de
liaison que les idées de la veille en ont d'ordinaire avec celles du lendemain. Mais il en résultera
toujours une nouvelle connaissance de mon naturel et de mon humeur par celle des sentiments et
des pensées dont mon esprit fait sa pâture journalière dans l'étrange état où je suis. Ces feuilles
peuvent donc être regardées comme un appendice de mes Confessions, mais je ne leur en donne
plus le titre, ne sentant plus rien à dire qui puisse le mériter.
Texte B - COLETTE (1873-1954), Les Vrilles de la vigne, 1908
[Les Vrilles de la vigne rassemble de courtes nouvelles d'origine biographique dans lesquelles
l'auteur exprime son goût pour la nature et la nostalgie du village de son enfance. Ce texte est
extrait de « Rêverie de nouvel an » : au soir du nouvel an, après une promenade dans son quartier
parisien enneigé, la narratrice se retrouve « en face de [son] feu, de [sa] solitude, en face d'[ellemême]».]
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Ma solitude, cette neige de décembre, ce seuil d'une autre année ne me rendront pas le
frisson d'autrefois, alors que dans la nuit longue je guettais le frémissement lointain, mêlé aux
battements de mon cœur, du tambour municipal, donnant au petit matin du 1er janvier,
l'aubade1 au village endormi... Ce tambour dans la nuit glacée, vers six heures, je le redoutais,
je l'appelais du fond de mon lit d'enfant, avec une angoisse nerveuse proche des pleurs, les
mâchoires serrées, le ventre contracté... Ce tambour seul, et non les douze coups de minuit,
sonnait pour moi l'ouverture éclatante de la nouvelle année, l'avènement2 mystérieux après
quoi haletait le monde entier, suspendu au premier rrran du vieux tapin3 de mon village.
Il passait, invisible dans le matin fermé, jetant aux murs son alerte et funèbre petite
aubade, et derrière lui une vie recommençait, neuve et bondissante vers douze mois
nouveaux... Délivrée, je sautais de mon lit à la chandelle, je courais vers les souhaits, les
baisers, les bonbons, les livres à tranche d'or... j'ouvrais la porte aux boulangers portant les
cent livres de pain et jusqu'à midi, grave, pénétrée d'une importance commerciale4, je tendais à
tous les pauvres, les vrais et les faux, le chanteau de pain et le décime5 qu'ils recevaient sans
humilité et sans gratitude...
Matins d'hiver, lampe rouge dans la nuit, air immobile et âpre d'avant le lever du jour,
jardin deviné dans l'aube obscure, rapetissé, étouffé de neige, sapins accablés qui laissiez,
d'heure en heure, glisser en avalanches le fardeau de vos bras noirs, coups d'éventails des
passereaux6 effarés, et leurs jeux inquiets dans une poudre de cristal plus ténue, plus pailletée
que la brume irisée d'un jet d'eau... O tous les hivers de mon enfance, une journée d'hiver vient
de vous rendre à moi ! C'est mon visage d'autrefois que je cherche, dans ce miroir ovale saisi
d'une main distraite, et non mon visage de femme, de femme jeune que sa jeunesse va bientôt
quitter...
1. « aubade » : concert donné à l'aube sous les fenêtres de quelqu'un. 2. « avènement» :
arrivée, venue. 3. « tapin » : celui qui bat du tambour. 4. « pénétrée d'une importance
commerciale» : convaincue de jouer un rôle commercial important 5. « le chanteau de pain » :
morceau d'un grand pain ; « décime» : dix centimes. Termes rares et régionaux. 6. «
passereaux » : oiseaux de petite taille
Texte C - Primo LEVI (1919-1987), Si c'est un homme, 1957.
[Si c'est un homme est le récit par Primo Levi de sa déportation à Auschwitz de 1944 à 1945. Il
raconte comment Lorenzo, un ouvrier civil italien, lui apporte à manger tous les jours pendant six
mois, alors que les contacts entre civils et détenus sont sévèrement punis, et malgré les préjugés
des hommes libres à l'égard des prisonniers.]
[...] Pour les civils, nous sommes des parias. Plus ou moins explicitement, et avec toutes les
nuances qui vont du mépris à la commisération, les civils se disent que pour avoir été condamnés à
une telle vie, pour en être réduits à de telles conditions, il faut que nous soyons souillés de quelque
faute mystérieuse et irréparable. Ils nous entendent parler dans toutes sortes de langues qu'ils ne
comprennent pas et qui leur semblent aussi grotesques que des cris d'animaux. Ils nous voient
ignoblement asservis, sans cheveux, sans honneur et sans nom, chaque jour battus, chaque jour
plus abjects, et jamais ils ne voient dans nos yeux le moindre signe de rébellion, ou de paix, ou de
foi. Ils nous connaissent chapardeurs et sournois, boueux, loqueteux et faméliques, et, prenant
l'effet pour la cause, nous jugent dignes de notre abjection. Qui pourrait distinguer nos visages les
uns des autres ? Pour eux, nous sommes « kazett »1, neutre singulier. Bien entendu, cela
n'empêche pas que beaucoup d'entre eux nous jettent de temps à autre un morceau de pain ou une
pomme de terre, ou qu'ils nous confient leur gamelle à racler et à laver après la distribution de la «
Zivilsuppe »2 au chantier. Mais s'ils le font, c'est surtout pour se débarrasser d'un regard famélique
un peu trop insistant, ou dans un accès momentané de pitié, ou tout bonnement pour le plaisir de
nous voir accourir de tous côtés et nous disputer férocement le morceau, jusqu'à ce que le plus fort
l'avale; et que tous les autres s'en repartent, dépités et claudicants. Or, entre Lorenzo et moi, il ne
se passa rien de tout cela. A supposer qu'il y ait un sens à vouloir expliquer pourquoi ce fut
justement moi, parmi des milliers d'autres êtres équivalents, qui pus résister à l'épreuve, je crois
que c'est justement à Lorenzo que je dois d'être encore vivant aujourd'hui, non pas tant pour son
aide matérielle que pour m'avoir constamment rappelé, par sa présence, par sa façon si simple et
facile d'être bon, qu'il existait encore, en dehors du nôtre, un monde juste, des choses et des êtres
encore purs et intègres que ni la corruption ni la barbarie n'avaient contaminés, qui étaient
demeurés étrangers à la haine et à la peur; quelque chose d'indéfinissable, comme une lointaine
possibilité de bonté, pour laquelle il valait la peine de se conserver vivant. Les personnages de ce
récit ne sont pas des hommes. Leur humanité est morte, ou eux-mêmes l'ont ensevelie sous
l'offense subie ou infligée à autrui. Les SS féroces et stupides, les Kapos, les politiques, les
criminels, les Prominents3 grands et petits, et jusqu'aux Haftlinge4, masse asservie et indifférenciée,
tous les échelons de la hiérarchie dénaturée instaurée par les Allemands sont paradoxalement unis
par une même désolation intérieure. Mais Lorenzo était un homme : son humanité était pure et
intacte, il n'appartenait pas à ce monde de négation. C'est à Lorenzo que je dois de ne pas avoir
oublié que moi aussi j'étais un homme.
1. abréviation de « Konzentrationlager » : camp de concentration 2. soupe 3. « Kapo» : détenu,
chef d'un kommando ; « politique» : détenu pour des raisons politiques, adversaire d'Hitler ; «
criminel » : détenu, prisonnier de droit commun ; « Prominent » : détenu jouissant de privilèges; 4.
« haftling» : détenu.
ÉCRITURE
I. Vous répondrez d'abord à la question suivante (4 points) :
Quels enjeux de l’autobiographie expriment ces textes ?
Il. Vous traiterez ensuite un de ces sujets (16 points) : cette fois, vous n’avez pas le choix :
vous faites obligatoirement le commentaire composé.
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- Commentaire : Vous commenterez le texte de Colette (texte B)
On traitera ces deux sujets plus tard
- Dissertation : Selon vous, quelles peuvent être les motivations d'un écrivain qui entreprend un
récit biographique ? Vous répondrez à cette question en un développement composé qui prendra
appui à la fois sur les textes du corpus, les œuvres étudiées en classe et vos lectures personnelles.
- Invention : Une personnalité célèbre refuse, malgré de nombreuses sollicitations, de rédiger son
autobiographie; un éditeur lui écrit une lettre pour le convaincre de l'intérêt d'un tel projet. Vous
rédigerez cette lettre en vous appuyant sur les textes du corpus et sur vos lectures.