3-LEVI-Si c`est un homme- preface

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3-LEVI-Si c`est un homme- preface
PRIMO LEVI
SI C’EST UN HOMME
Primo Levi est né à Turin en 1919. En 1942, après des études de chimie, il s’installe à
Milan. Il est arrêté comme résistant en février 1944, puis déporté à Auschwitz, où il
restera jusqu’en janvier 1945, date de la libération du camp par les Soviétiques. La
guerre finie, il épouse Lucia Morpugo, dont il aura deux enfants, et prend la direction
d’une entreprise de produits chimiques. Parallèlement, il commence à écrire. Son
premier livre, Si c’est un homme, paru en 1947, le journal de sa déportation, est l’un
des tout premiers témoignages sur l’horreur d’Auschwitz. Publié à l’origine dans une
petite maison d’édition italienne, ce n’est que dix ans plus tard qu’il est mondialement
reconnu comme un chef-d’œuvre. Primo Levi est également l’auteur d’une douzaine
d’ouvrages, de récits, de nouvelles, dont plusieurs furent couronnés par des prix : La
trêve (1963), écrit sous le pseudonyme de Damiano Malabaila, Histoires naturelles
(1966), Vice de forme (1971), Le système périodique (1975), des récits inspirés par
son expérience de chimiste, La clé à molette (1978), Lilith e t La recherche des
racines (1981), Maintenant ou jamais (1982), puis Les naufragés et les rescapés
(1986), son dernier livre, le plus sombre et le plus pessimiste.
Primo Levi s’est donné la mort en 1987.
PRÉFACE
J’ai eu la chance de n’être déporté à Auschwitz qu’en 1944, alors que le gouvernement
allemand, en raison de la pénurie croissante de main-d’œuvre, avait déjà décidé
d’allonger la moyenne de vie des prisonniers à éliminer, améliorant sensiblement leurs
conditions de vie et suspendant provisoirement les exécutions arbitraires
individuelles. Aussi, en fait de détails atroces, mon livre n’ajoutera-t-il rien à ce que
les lecteurs du monde entier savent déjà sur l’inquiétante question des camps
d’extermination. Je ne l’ai pas écrit dans le but d’avancer de nouveaux chefs
d’accusation, mais plutôt pour fournir des documents à une étude dépassionnée de
certains aspects de l’âme humaine. Beaucoup d’entre nous, individus ou peuples, sont à
la merci de cette idée, consciente ou inconsciente, que « l’étranger, c’est l’ennemi ».
Le plus souvent, cette conviction sommeille dans les esprits, comme une infection
latente ; elle ne se manifeste que par des actes isolés, sans lien entre eux, elle ne
fonde pas un système. Mais lorsque cela se produit, lorsque le dogme informulé est
promu au rang de prémisse majeure d’un syllogisme, alors, au bout de la chaîne
logique, il y a le Lager ; c’est-à-dire le produit d’une conception du monde poussée à
ses plus extrêmes conséquences avec une cohérence rigoureuse ; tant que la
conception a cours, les conséquences nous menacent. Puisse l’histoire des camps
d’extermination retentir pour tous comme un sinistre signal d’alarme. Je suis
conscient des défauts de structure de ce livre, et j’en demande pardon au lecteur. En
fait, celuici était déjà écrit, sinon en acte, du moins en intention et en pensée dès
l’époque du Lager. Le besoin de raconter aux « autres », de faire participer les «
autres », avait acquis chez nous, avant comme après notre libération, la violence d’une
impulsion immédiate, aussi impérieuse que les autres besoins élémentaires ; c’est pour
répondre à un tel besoin que j’ai écrit mon livre ; c’est avant tout en vue d’une
libération intérieure. De là son caractère fragmentaire : les chapitres en ont été
rédigés non pas selon un déroulement logique, mais par ordre d’urgence. Le travail de
liaison, de fusion, selon un plan déterminé, n’est intervenu qu’après. Il me semble
inutile d’ajouter qu’aucun des faits n’y est inventé.
PRIMO LEVI
Turin, janvier 1947.
SI C’EST UN HOMME
Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis,
Considérez si c’est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui pour un non.
Considérez si c’est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu’à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N’oubliez pas que cela fut,
Non, ne l’oubliez pas :
Gravez ces mots dans votre cœur.
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant ;
Répétez-les à vos enfants.
Ou que votre maison s’écroule,
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous.

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