1. THÈME Ma mère en Gap Scène de la vie parisienne dans une

IAA 921 Maîtrise— Traduction
Durée 3 heures
Sans dictionnaire
1. THÈME
Ma mère en Gap
Scène de la vie parisienne dans une grande surface de la sape à la mode. D’une
part, une femme encore jeune et jolie, s’adressant à la vendeuse: «Vous êtes sûre
que vous ne l’avez pas en 36, parce que le kaki en 38, ça me grossit là et là!»
D’autre part, une adolescente, sa fille, congelée dans la position dite de «les courses
avec ma reum, la honte pour moi». Un front du refus qui n’empêche cependant pas
maman d’insister: «Et les petits hauts en élasthanne, vous les avez en orange?»
Là, l’adolescente, qu’on pouvait supputer sourde-muette, retrouve subitement
l’usage de la parole: «Non, maman, s’te plaît…»
Le désespoir de cette enfant est un symptôme intéressant. Si on excepte
Versailles centre-bourg, quel adolescent aurait envie d’être habillé comme ses
parents? Ou, plus exactement, que ses parents s’habillent comme lui? Bref rappel
historique. Juste après avoir emballé le cul des cow-boys, la marque Levi Strauss
pulvérisa le box-office du jean sur une image de rébellion. De James Dean au flower
power en passant par la case rock ’n’roll. Au milieu des années 90, le filon du blue
jean s’étant éparpillé sur une pléthore d’autres marques, Levi’s a tenté le coup de la
diversification, notamment en lançant la marque Dockers, pantalons en toile beige
destinés à conquérir une clientèle plus traditionnelle (en français, les vieux). Ce qui
fut fait mais au grand dam et grognement du public jeune un peu déboussolé que les
pères ne confondent plus Levi Strauss avec une célèbre marque d’anthropologue.
Total: Levi’s déguste avec une baisse de 14% de son chiffre d’affaires en 1999.
Mais cette récession pourrait bientôt concerner des marques qui avaient fait du label
«djeune» leur étendard. Ainsi de Gap, puissance américaine qui étend son empire
dans environ 3000 magasins, en attendant la suite, puisqu’à l’exception d’un
campement de yourts en Mongolie extérieure, il ne doit plus y avoir un endroit au
monde où une affiche n’annonce pas «l’ouverture prochaine d’une boutique Gap».
Mais c’est justement cette ubiquité qui risque à terme de gripper le profit, là encore
la tendance lourde étant au rejet par les jeunes d’une marque qui devient familiale.
Libération, le 7 avril 2000
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