Une destination inaccessible : l`éducation comme si l`apprentissage

Transcription

Une destination inaccessible : l`éducation comme si l`apprentissage
Une destination inaccessible :
l’éducation comme si l’apprentissage et
l’enseignement ont de l’importance
par Bernie Froese-Germain
Secteur Recherche et Information de la FCE
La « déconnexion » — entre les moyens et les fins
Que veut-on dire par l’apprentissage des élèves?
Selon le personnel enseignant, l’apprentissage des élèves devrait reposer sur une approche vaste et
holistique de l’éducation qui :

favorise diverses formes de développement chez tous les enfants — scolaire, artistique,
esthétique, culturel, intellectuel, social, affectif, physique et professionnel;

cultive la pensée créatrice et critique des élèves;

tient compte des besoins et des habiletés d’une population d’élèves hautement diversifiée;

prépare tous les élèves à devenir des citoyennes et citoyens actifs, engagés et, oui, heureux dans
une société démocratique.
Ces objectifs sont assurément ambitieux, mais n’est-ce pas dans le fond ce que nous souhaitons tous
et toutes pour nos enfants? Ils sont au cœur de l’éducation publique au Canada.
Malheureusement, si c’est là notre destination, l’apprentissage des élèves qui s’incarne étroitement
dans le rendement scolaire — et encore plus étroitement, le rendement dans les matières de base
(mathématiques-sciences-alphabétisation), que mesurent les tests standardisés, n’est pas la voie qui
nous y mènera.
Ce n’est pas l’approche qui favorisera un apprentissage propre à amener les élèves à attaquer de
front les métaproblèmes urgents si crûment dépeints par Gwynne Dyer dans son discours d’ouverture
de la Réunion du personnel des organisations Membres de la FCE tenue récemment à Ottawa, au
cours duquel il a exposé les effroyables conséquences géopolitiques d’un changement climatique à
grande échelle, mais aussi d’autres enjeux mondiaux complexes du XXIe siècle.
Cette approche ne tient pas la route pour ce qui est de développer chez les élèves les qualités
décrites par Justin Trudeau dans l’allocution qu’il a livrée à cette réunion — pensée critique,
citoyenneté active engagée, mentalité propice à l’apprentissage continu —, qualités essentielles à un
engagement valable dans la société du savoir.
Voilà la « déconnexion » devant laquelle nous nous trouvons — une déconnexion entre les moyens et
les fins en éducation. En outre, non seulement les moyens (tests standardisés externes,
enseignement en vue du test, classement et diffusion des résultats obtenus par les écoles aux tests)
sont déphasés par rapport aux fins souhaitées, mais ils commandent de plus en plus les objectifs de
l’éducation au détriment de la vision de l’apprentissage décrite ci-dessus.
La « reconnexion » — un véritable enseignement pour un véritable apprentissage
La « reconnexion » doit englober un certain nombre de facteurs, à commencer par la redéfinition de
l’apprentissage authentique (qui ne doit pas se limiter au rendement scolaire).
ll nous faut également reconnaître pleinement et renforcer le rôle important qu’exercent les membres
de la profession enseignante en tant que professionnelles et professionnels engagés, autonomes et
compétents, rôle qui est primordial si nous voulons favoriser cette approche plus complexe et
holistique de l’apprentissage authentique. Des pressions externes puissantes pèsent sur la profession
enseignante, dénaturant et minant le professionnalisme, la mission éthique et la motivation intérieure
de ses membres.
Les enseignantes et enseignants ne sont pas des techniciens et l’enseignement ne peut pas se
ramener à une activité prescrite que n’importe qui apparemment peut faire en suivant simplement une
liste de « meilleures pratiques » générales.
Tout cela va de pair avec une redéfinition de la responsabilisation en éducation comme si
l’apprentissage des élèves a de l’importance. C’est là une responsabilisation « intelligente » où l’on
reconnaît la nécessité d’une large autonomie de la part du personnel enseignant et d’une
responsabilité partagée entre les partenaires de l’éducation afin de mettre en œuvre une vision plus
riche de l’apprentissage.
Une telle redéfinition de la responsabilisation en éducation, dont l’objectif capital est d’assurer
l’apprentissage authentique de tous les élèves, dissiperait la fausse notion voulant que les
enseignantes et enseignants s’opposent aux tests. En effet, la profession enseignante estime que :
-
Le but premier de la mesure et de l’évaluation des élèves est d’appuyer leur apprentissage
dans un sens vaste.
-
L’évaluation continue des élèves fait partie intégrante du processus d’enseignement et
d’apprentissage; à cette fin, les enseignantes et enseignants se livrent à deux types principaux
d’évaluation : l’évaluation formative (la mesure pour l’apprentissage) et l’évaluation sommative
(la mesure de l’apprentissage).
-
Les élèves ont besoin d’une rétroaction constructive en temps opportun qui appuie
l’apprentissage.
-
Un éventail de pratiques d’évaluation s’impose pour déterminer le rendement des élèves,
notamment : tests de rendement, projets, travaux écrits, démonstrations, portfolios,
observations et examens.
-
Les données issues de ces multiples moyens d’évaluation sur une certaine période sont
essentielles pour éclairer le jugement du personnel enseignant sur l’épanouissement, le
développement et l’apprentissage des élèves.
-
Bon nombre de facteurs peuvent influer sur le rendement des élèves, dont les besoins
d’apprentissage individuels, les ressources disponibles à l’appui de l’enseignement et de
l’apprentissage, et les caractéristiques socioéconomiques de la communauté.
-
Les enseignantes et enseignants en classe conçoivent l’évaluation des élèves en fonction du
programme d’études qu’ils leur ont enseigné — il est injuste et contraire à l’éthique d’évaluer
les élèves sur du matériel qu’ils n’ont pas eu la chance d’apprendre.
-
Les enseignantes et enseignants en classe sont les mieux placés pour élaborer des stratégies
d’évaluation qui s’alignent sur le programme d’études et répondent aux besoins
d’apprentissage individuels. [Source : Alberta Teachers’ Association]
Une redéfinition de la responsabilisation en éducation impliquerait également l’examen du but et de la
conception des tests standardisés externes à grande échelle. Selon Hargreaves et Shirley, une
responsabilisation dans tout le système ne peut se réaliser que par un échantillonnage prudent, plutôt
que par un recensement onéreux et motivé par le contrôle politique. Un certain nombre de
gouvernements, même s’ils sont moins nombreux que déjà, s’accrochent à la responsabilisation par
recensement bien qu’elle fasse l’objet d’abus généralisé. Ils y tiennent même si elle entraîne des
coûts exorbitants — accaparant ainsi des ressources rares qui devraient être consacrées à
l’enseignement et à l’apprentissage.
L’évaluation à grande échelle, par l’échantillonnage aléatoire des élèves, devrait servir à évaluer la
qualité du système d’éducation dans son ensemble sur le plan de l’efficacité du curriculum et de la
capacité du système de répondre aux besoins de groupes précis, tels les élèves autochtones, les
élèves ayant des besoins particuliers et les élèves venant de familles pauvres.
Par ailleurs, un système conçu judicieusement pourrait s’attaquer à certaines des préoccupations
liées à l’emploi abusif des tests externes à grande échelle, tels le classement des écoles et des
provinces et la diffusion de leurs résultats en fonction des résultats obtenus à un seul test.
Dans sa présentation à la Réunion du personnel des organisations Membres de la FCE sur la
formulation du message à la défense de l’éducation publique, Derek Fudge a insisté sur l’importance
de parler des valeurs de l’éducation publique. Les organisations de l’enseignement peuvent jouer —
et elles jouent effectivement — un rôle essentiel pour ce qui est d’élever le niveau du débat public sur
l’enseignement de la maternelle à la 12e année. Elles y parviennent en se concentrant sur les valeurs
fondamentales des écoles publiques et sur la mission centrale de la profession enseignante qui est
de promouvoir et de favoriser le bien-être et l’éducation de tous les enfants et les jeunes.
Références
ALBERTA TEACHERS’ ASSOCIATION. Real Learning First: The Teaching Profession’s View of Student
Assessment, Evaluation and Accountability for the 21st Century, 2009.
HARGREAVES, Andy, et Shirley DENNIS. The Fourth Way: The Inspiring Future for Educational Change,
Thousand Oaks, Californie, Corwin Press, 2009.