Les nouvelles méthodes de la gestion des biens publics: l

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Les nouvelles méthodes de la gestion des biens publics: l
Chroniques
Les nouvelles méthodes de la gestion
des biens publics: l’exemple de Paris
Pierre Éric Spitz
Il est acquis depuis près de vingt ans 1
que le droit des propriétés publiques
devait être modernisé de manière à permettre à l’État et aux collectivités territoriales de valoriser économiquement leur
patrimoine tant public que privé.
Pour ne parler que des collectivités
locales, celles-ci ont pris conscience
assez récemment de la possibilité de
tirer parti de leurs propriétés pour les
valoriser économiquement, financièrement et socialement à condition qu’elles
soient efficacement gérées. Du côté des
responsables politiques municipaux et
des gestionnaires, cette prise de
conscience s’est faite au fur et à mesure
que le domaine des collectivités
publiques est devenu le lieu et l’enjeu
d’activités économiques profitables
(immeubles en centre-ville, voirie, ports,
bords de canaux, espaces verts, etc.),
remettant par là même en question
l’idée que le domaine était forcément
hors commerce en raison de son affectation à l’usage du public ou de son
aménagement spécial en vue de son utilité publique. Progressivement, l’État
comme les collectivités locales ont pris
conscience d’une sorte de « trésor » dormant qui ne demandait qu’à être
exploité. Tout cela dans un contexte où
leur action subissait les contraintes
financières dues à une limite, sans
doute atteinte, des prélèvements obligatoires.
Les contraintes financières
de la gestion publique
Les collectivités locales souhaitent,
par ambition pour leur territoire et pour
satisfaire la demande croissante des
résidents et des agents économiques,
investir toujours plus dans les équipements publics mis à disposition et sont
1
Du rapport de la Section du rapport et des
études du Conseil d’État, EDCE 1987, n° 38, à
celui du groupe de travail sur la valorisation
des biens publics constitué au sein de l’Institut
de la gestion déléguée présidé par le
professeur Gaudemet (2004).
par suite contraintes de trouver les
financements nécessaires à leur réalisation et leur fonctionnement. Si on ajoute
à cela, l’engagement pris par certains
maires et, singulièrement celui de Paris,
de ne pas augmenter les impôts pendant
toute la durée d’une mandature, engagement tenu avec ténacité, on comprend
que les besoins de financement ne cessent de croître. Si en outre viennent
s’ajouter les transferts de compétences,
opérés par l’État notamment dans le
domaine social, soi-disant à l’euro près,
mais en fait dans des conditions qui
conduisent à des dépenses exponentielles, la ville n’a pu tenir son engagement qu’en améliorant considérablement sa gestion. Le maire de Paris a
clairement signifié qu’une bonne gestion
et une amélioration de la productivité
des biens et des services n’étaient pas et
ne devaient pas être des valeurs étrangères à une politique municipale de
gauche. C’est avant tout une question de
management.
Un des axes fixé par la nouvelle
équipe municipale pour améliorer la productivité des biens et services qu’elle
offre réside dans la valorisation de son
patrimoine. À cet égard, on peut se
demander quels étaient les obstacles qui
interdisaient cette valorisation ? Traditionnellement, la réponse passe par
l’énumération des caractéristiques du
domaine public : l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité des biens du domaine
public qui empêchent toute cession,
aggravées par la théorie de la domanialité publique virtuelle, véritable obstacle
à toute opération complexe, la précarité
des autorisations d’occupation, l’impossibilité de constituer des servitudes sur
le domaine public et l’impossibilité de
faire financer sur le domaine public des
équipements en crédit-bail.
Cette réponse souligne le fait que les
collectivités locales cherchent pour une
part à ce que les règles inhérentes à la
domanialité publique soient assouplies
pour gérer avec le plus de liberté possible leur patrimoine, comme le ferait un
propriétaire privé soucieux de se comporter en agent économique rationnel,
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qui souhaite un rendement maximal de
son capital et son optimisation fiscale. À
cet égard, la liberté de gestion est d’autant plus grande que les collectivités
peuvent recourir aux montages du droit
commun, tel que l’octroi de droits réels
aux occupants du domaine qui trouvent
là des garanties de durée et de financements de leurs activités économiques.
Tout ce qui peut rapprocher la gestion
des biens publics de la gestion des biens
privés offre plus de souplesse aux collectivités locales et plus de certitudes à
leurs cocontractants.
Des objectifs de gestion
publique très divers
Cependant, le rendement financier
maximum du patrimoine est loin d’être
l’unique but que poursuivent les collectivités locales dans la mesure où elles
agissent en vue d’un intérêt public qui
prend en compte d’autres facteurs que
l’optimisation financière à court terme.
Par exemple, elles peuvent vouloir rationaliser leurs implantations administratives, de manière à diminuer non seulement les coûts mais aussi à augmenter
la satisfaction de leurs agents et surtout
celle des usagers du service public. Elles
peuvent également se fixer des objectifs
à plus long terme comme l’entretien et la
réparation de leur patrimoine en cherchant à faire assumer par des personnes
privées les charges y afférentes. Elles
peuvent aussi rechercher une valorisation de certains de leurs fonds en proposant à des partenaires privés de les
exploiter moyennant des mises à disposition à un coût tel qu’il devient intéressant pour eux d’en supporter les
charges. En contrepartie, les collectivités
récupéreront au terme d’une durée plus
moins longue un patrimoine entretenu,
valorisé, voire même des équipements
entièrement nouveaux en très bon état.
Elles peuvent même s’associer à des
partenaires privés, en mettant à leur disposition des biens matériels, voire
immatériels comme la réputation et
l’image de la ville de Paris, pour faire
Chroniques
financer certaines actions, comme
« Paris-plage » ou « Nuit blanche » qui
ne pourraient voir le jour sans leur participation parce que trop coûteuses pour
la collectivité seule.
Le souci du développement économique de Paris, de façon à y faire revenir
l’activité et l’emploi, est aussi un motif
puissant pour mettre à disposition des
entreprises, jeunes ou moins jeunes, des
locaux et des services communs à des
prix abordables dans un contexte de
flambée du foncier et de l’immobilier qui
caractérise la capitale.
D’autres objectifs de la gestion des
biens publics viennent moins souvent à
l’esprit, mais ils ont évidemment leur
place dans la réflexion de la ville de
Paris : l’aménagement urbain et la rationalisation de l’utilisation de l’espace
public par son affectation à divers
usages : commerces, habitation, circulation, piétonisation, espaces verts, etc. La
meilleure utilisation de l’espace public se
fait aussi par une réflexion sur l’implantation du mobilier urbain, de l’affichage
publicitaire, des enseignes et des terrasses, des kiosques, réflexion qui prend
en considération non seulement les revenus procurés par cette occupation mais
aussi l’esthétique et l’environnement, de
même que le maintien d’activités qui
contribuent à la vie d’un quartier.
L’animation d’un quartier et le souci
d’assurer la sécurité d’un espace particulièrement troublé par des formes
urbaines de délinquance sont des objectifs inhérents à la gestion des biens
publics. Ainsi, la ville de Paris a-t-elle
favorisé l’implantation des nouveaux
cinémas MK2 quai de Loire, par l’octroi
d’un bail emphytéotique et octroyé une
convention d’occupation du domaine
publique à une société pour reconvertir
le bâtiment de Nicolas Ledoux à Stalingrad, vers des activités culturelles, de
restauration et de bar. En cela, elle se
préoccupe de redonner à ce quartier une
attractivité qu’il n’avait plus.
Un peu plus loin, toujours sur le canal
de l’Ourcq, la ville de Paris a souhaité
réhabiliter les magasins généraux quai
de Loire et reconstruire, quai de Seine,
ceux qui avaient brûlé en 1990.
S’agissant du quai de Loire, la ville de
Paris a cherché à transformer les anciens
bâtiments des docks en confiant pour
une durée de quarante-deux ans, un bail
emphytéotique administratif des articles
1311-1 et suivants du code général des
collectivités territoriales, à La SOFERIM,
pour réaliser un programme portant sur
la réalisation d’ateliers d’artistes, un restaurant, une base nautique et une résidence hôtelière pour étudiants. Ce bail
assorti d’un loyer annuel de 50 000 €
indexé annuellement au taux de 1,75 % a
nécessité un montage juridique complexe, impliquant, en premier lieu, le
déclassement des volumes de surfaces
du domaine public fluvial tout en maintenant l’ensemble dans le domaine public
de la ville ; en deuxième lieu, la cession
partielle du droit au bail par la SOFERIM
à une société d’HLM dans le cadre d’une
vente en état futur de rénovation ; en troisième lieu, la division en volumes des
espaces pour permettre la gestion des
différents espaces par des personnes différentes : la direction des Affaires culturelles louant par bail civil les ateliers
d’artistes, la direction de la Jeunesse et
des sports gérant la base nautique et la
cité universitaire gérant pour le compte
de la société d’HLM la résidence étudiante.
Sur l’autre rive, là où les bâtiments
avaient brûlé, la ville de Paris a choisi de
lancer une consultation de promoteurs et
d’investisseurs pour un bâtiment à
construire. Au terme de la compétition,
c’est la société COFITEM-COFIMUR qui
s’est vu attribuer un bail à construction
en vue de réaliser un programme immobilier comprenant un hôtel, une auberge
de jeunesse et un restaurant. Là encore,
le montage juridique a nécessité en partie une désaffectation et un déclassement
du domaine public fluvial, un état descriptif de division en volumes et l’élaboration de servitudes permettant la gestion de l’ensemble. Sur le plan financier,
la société retenue verse à la ville de Paris
un loyer minimum garanti et un loyer
complémentaire en fonction du chiffre
d’affaires qui sera réalisé par les trois
activités. À l’expiration d’un bail de quarante-sept ans, l’ensemble des équipements réalisés deviendra, sans indemnité, propriété de la ville de Paris.
On voit que les objectifs poursuivis par
la Ville de Paris, dans le 19e arrondissement, via sa société d’économie mixte
(SEM) d’aménagement du bassin de la
Villette, sont multiples et consistent à
valoriser des emprises foncières municipales vacantes depuis des années de
manière à réhabiliter tout un quartier, à
développer l’offre de tourisme notamment à destination des jeunes et à
recomposer une esthétique paysagère
propre au canal de l’Ourcq. Aux termes
de baux d’une quarantaine d’années, la
ville aura de surcroît enrichi son patrimoine de façon considérable.
Des objectifs
de gestion publique servis
par le nouveau CGPPP
L’intervention d’un code général de la
propriété des personnes publiques
(CGPPP) 2 est importante dans la vie
d’une collectivité comme Paris, dans la
mesure où sa rédaction va dans le sens
des objectifs décrits ci-dessus, même si
parfois il se borne à rappeler des principes posés par la jurisprudence.
Ainsi, le principe fixé dorénavant par
la loi veut que toute utilisation du
domaine public d’une personne
publique donne lieu au paiement d’une
redevance qui tienne compte des avantages de toute nature procurés aux titulaires de l’autorisation. La ville de Paris a
entrepris depuis 2001 sur le fondement
de ce principe et également sur les
audits qu’elle a réalisés pour faire le
bilan de l’existant, de faire délibérer des
conventions d’occupation du domaine
tant privé que public en assortissant
celles-ci de redevances. En effet, les
audits ont révélé que la ville non seulement ignorait parfois qu’elle était propriétaire de tel ou tel local, mais ignorait
même qu’il pouvait être occupé par telle
ou telle personne depuis des lustres
sans payer la moindre redevance. De
nombreuses associations ont ainsi été
conduites à régulariser la situation de
manière à ce que l’occupation du
domaine public soit valorisée même si,
en contrepartie, les subventions ont été
augmentées à due concurrence de la
redevance demandée dans le cas où
l’utilité publique était particulièrement
significative.
D’autre part, on ne peut pas sous-estimer l’impact d’une nouvelle définition
plus stricte des biens immobiliers appartenant au domaine public quand on
affirme qu’il s’agit seulement de ceux
qui sont affectés à l’usage direct du
public ou affectés à un service public à
condition qu’ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable. Il découle clairement de cette affirmation que tout ce
qui ne correspond pas à cette définition
étroite, ressort du domaine privé qui
devient, si l’on peut dire, la clause d’affectation générale du domaine d’une collectivité. C’est ainsi que l’article L. 2211-1
du CGPPP écrit que font partie du
domaine privé uniquement les biens qui
ne relèvent pas du domaine public et par
exemple tous les biens immobiliers à
usage de bureaux.
On sait comment l’État a mis à profit
cette nouvelle définition des biens
appartenant, d’une part, au domaine
public et, d’autre part, au domaine privé
en confiant le 6 janvier 2006 à « France
Domaine » le patrimoine immobilier de
l’État de manière à moderniser la gestion de ses immeubles en se dotant d’un
parc moins onéreux et mieux adapté au
2
Ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006
relative à la partie législative du code général
de la propriété des personnes publiques.
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service public, en optimisant ses implantations et l’occupation de ses sites, en
cédant ceux dont il n’avait plus l’usage,
et en aménageant plus rationnellement
les espaces qu’il souhaitait conserver 3.
La ville de Paris a fait le même constat
en réalisant que ses services se développaient depuis des années sans schéma
directeur, avec un patrimoine sous-utilisé
et mal exploité, parfois mal entretenu,
des bâtiments non accessibles aux handicapés, des coûts d’exploitation élevés
en raison d’une très forte dispersion des
sites 4 et au final une augmentation
considérable des surfaces louées. Cette
situation a conduit la ville de Paris à
mettre en place un schéma directeur des
implantations administratives destiné à
créer sur une décennie quatre pôles de
compétences permettant d’importantes
synergies entre les directions. La première opération de mise en œuvre vient
de se traduire 5 par un échange foncier
entre la ville de Paris propriétaire de
locaux occupés par Gaz de France, rue
Condorcet et la société DEGI, propriétaire
d’un immeuble avenue de France, libre
de toute occupation. Aux termes de cet
échange, Gaz de France deviendra titulaire de baux commerciaux rue Condorcet, et la ville de Paris propriétaire d’un
vaste ensemble immobilier lui permettant de regrouper deux de ses directions.
De plus, au terme d’une négociation globale avec Gaz de France, certains
immeubles situés dans le neuvième
arrondissement reviendront dans le
giron municipal et permettront la réalisation de dix à quinze logements sociaux.
Enfin, le regroupement de deux directions de la ville permettra la libération de
nombreuses emprises municipales qui
débouchera soit sur des économies
de fonctionnement, soit sur des restitutions à la promenade publique par démolition de locaux provisoires, soit sur le
retour à l’usage d’habitation de certains
immeubles de bureaux.
3 Circulaire du 28 février 2007 relative à la
modernisation de la gestion du patrimoine
immobilier de l’État.
4 Les seuls services centraux comptent 7 200
agents répartis sur 79 implantations.
5
Délibération 2007 DU-DF 39 du 13 février
2007.
6 C. Maugüé et G. Bachelier, « Genèse et
présentation du CGPPP », AJDA 2006, p. 1073.
7
CE 26 mars 1999, Société EDA : « S’il appartient
à l’autorité administrative affectataire de
dépendances du domaine public de gérer celles-ci
tant dans l’intérêt du domaine et de son
affectation que dans l’intérêt général, il lui incombe
en outre, lorsque […] celles-ci sont le siège
d’activités de production, de distribution ou de
service, de prendre en considération les diverses
règles, telles que le principe de la liberté du
commerce et de l’industrie ou l’ordonnance du
1er décembre 1986, dans le cadre desquelles
s’exercent ces activités. »
Le bilan financier d’une telle opération
se traduit par une soulte au profit de la
ville de Paris de 15 millions d’euros ; et si
la ville doit acquitter en plus du prix de
vente de l’immeuble de l’avenue de
France le solde de TVA restant dû par le
vendeur, il sera ensuite récupéré par la
ville au titre du FCTVA.
Les conséquences de la mise
en concurrence sur la
valorisation du domaine public
Si la modernisation de la gestion
domaniale de la ville emprunte aux montages les plus complexes, il n’en reste
pas moins que le facteur déterminant de
la valorisation de son domaine public
réside dans la mise en œuvre systématique ou presque, des règles de mise en
concurrence et de publicité pour consentir les occupations. Il est remarquable
que le CGPPP soit totalement silencieux
sur les règles de procédure pour la délivrance des titres. On a pu dire qu’il n’appartenait pas à un code de la propriété
des personnes publiques de rappeler des
règles issues d’autres législations (code
des marchés et règles de concurrence) et
qu’il serait difficile d’édicter une règle
générale de publicité que la jurisprudence communautaire n’impose pas,
pour l’instant, au-delà des contrats portant sur les marchés publics et les
concessions d’aménagements 6.
La ville de Paris a décidé en juin 2004
par l’adoption d’un vœu présenté
conjointement par la majorité et l’opposition à la fois de limiter la durée des
concessions au maximum à vingt-cinq
ans sauf exception, que toute attribution
ou renouvellement d’une concession
d’occupation domaniale ferait l’objet
d’un appel public à candidatures, et que
les raisons du choix d’un concessionnaire ainsi que les analyses des dossiers
de tous les candidats seraient joints aux
projets de délibération. En cela, la ville
jouait à la fois la transparence, se donnait les moyens d’augmenter les redevances perçues et se conformait à la
jurisprudence tant du Conseil d’État 7
que du Conseil de la concurrence, dans
son avis du 21 octobre 2004 relatif à la
distribution de journaux gratuits.
Quelques exemples suffiront à montrer quelle ingénierie juridique a été
mise en œuvre par la ville pour obtenir
une valorisation importante de son
domaine.
La concession d’occupation domaniale
des colonnes Morris et des mâts porteaffiches
La ville de Paris a renouvelé en 2005
une convention vieille de vingt ans aux
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termes de laquelle l’occupant pouvait
exploiter sur le territoire parisien les
colonnes Morris et les mâts porteaffiches destinés à l’annonce de manifestations culturelles, sociales, économiques et sportives de nature privée,
convention qui trouve son origine dans
la deuxième moitié du XIX e siècle. Au
titre de l’ancienne convention, Paris ne
percevait que 1,8 million d’euros par an
pour cette occupation.
La ville de Paris a organisé une compétition, sui generis , pour l’attribution
d’une nouvelle concession d’une durée
de douze ans sur le fondement de critères de sélection, exigeant, d’une part,
une baisse du nombre de colonnes et de
mâts, pour diminuer l’encombrement de
l’espace public, d’autre part, une qualité
technique et esthétique des mobiliers
ainsi qu’une maintenance et un entretien
irréprochables, enfin, un rendement
financier élevé de la concession lié à
l’exploitation commerciale des publicités qui, de plus, pouvait comporter des
propositions tarifaires favorisant la promotion de l’activité théâtrale privée à
Paris. Ainsi, les critères d’attribution de
la concession, hiérarchisés mais non
pondérés étaient-ils le niveau de la redevance, l’entretien et la garantie du matériel et enfin l’esthétique des mobiliers.
Au terme des négociations avec trois
sociétés, Viacom-Outdoor, J.-C. Decaux
et Clear Channel, la ville a obtenu du
candidat retenu une redevance allant de
41 % à 55 % du chiffre d’affaires réalisé
avec un minimum garanti de 9 millions
d’euros, ce qui devrait lui assurer près
de 11 millions d’euros de redevance
annuelle. Cela représente 6 fois plus que
ce qui lui était versé auparavant avec un
nombre de mobiliers réduit d’un tiers.
La concession domaniale
de la Croix-Catelan
La Croix-Catelan, au cœur du bois de
Boulogne, domaine public de la ville de
Paris, est un site sportif exceptionnel qui
a accueilli les Jeux olympiques de 1900.
Il s’étend sur près de sept hectares et
comporte de très importants équipements, quarante-huit courts de tennis,
deux piscines, un restaurant, un clubhouse, une salle de remise en forme…
Ce lieu était concédé de manière privative au Racing Club de France depuis
1886 en vertu de conventions négociées
sans mise en concurrence, dont la dernière en date remontait à 1954.
En février 2006, le Conseil de Paris,
conformément au vœu adopté en 2004,
lançait une compétition pour le renouvellement de cette concession. Celle-ci a
nécessité de la part des services de la
ville une réflexion approfondie sur l’ingénierie juridique d’un tel contrat, au
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cœur d’enjeux économiques et politiques qui allaient bien au-delà de l’analyse juridique. Il fallait pouvoir écrire un
contrat avec le futur attributaire de la
compétition qui, tout en écartant la délégation de service public dont la ville ne
voulait pas alors qu’elle pouvait sembler
naturelle s’agissant d’un centre sportif et
d’un parc de loisirs, ne la prive pourtant
pas d’un certain nombre d’exigences
qu’elle était en droit de formuler au nom
de son pouvoir de gestion.
Les exigences de la ville résumaient à
elles seules les critères de la mise en
concurrence du contrat : elle souhaitait
analyser en premier lieu la qualité du
projet sportif proposé par les candidats
(sport de haut niveau, préparation à la
compétition, sports de loisirs, accueil
des fédérations) ; en deuxième lieu, le
montant des investissements valorisant
le patrimoine municipal tant pour la
rénovation des équipements existants
que pour la création de nouveaux équipements, appréciés au regard de la valorisation environnementale du site (récupération des eaux de pluie et des eaux
de baignade, respect de la biodiversité,
traitement des déchets, économie
d’énergie, etc.) ; en troisième lieu, le
montant de la redevance d’occupation
accordée à la ville. En outre, la ville de
Paris laissait clairement entendre que les
candidats pouvaient faire des propositions complémentaires inspirées par la
seule nécessité de l’exploitation commerciale du candidat.
La gestion de la mise en concurrence
et la rédaction du contrat final avec le
candidat retenu ont révélé des problèmes juridiques intéressants de deux
types : d’une part, une grande difficulté
pour organiser une mise en concurrence
qui respecte l’égalité entre les candidats
dès lors que l’un d’entre eux était le sortant et qu’il disposait d’informations sur
le site que les autres n’avaient pas. La
ville s’est particulièrement impliquée de
manière à ce que le « Racing Club » autorise de nombreuses visites sur le site,
communique l’état d’entretien des équipements à rénover, dise quel était le
montant de la masse salariale à
reprendre en vertu du L.122-12 du code
du travail, etc. ; d’autre part, une extrême
attention de la part des services de la
ville dans la rédaction du contrat de
manière à ce que celui-ci ne subisse pas
des requalifications en délégation de
service public (DSP) de la part du juge.
Par exemple, la société Lagardère retenue à l’issue de la compétition proposait
d’accorder des créneaux d’utilisation de
certaines installations sportives, aux
groupements scolaires, à des centres
aérés, ou des écoles des sports, alors
même que la Ville s’était bien gardée de
le demander dans le dossier de consultation. Le juge du référé du tribunal
administratif de Paris 8 a validé la
démarche municipale en affirmant « que
la qualification de la convention envisagée par la ville de Paris » devait « s’apprécier par rapport aux documents soumis à la consultation » et que le
requérant « ne pouvait utilement se fonder sur les informations données par la
société Lagardère » , aux termes desquelles elle se proposait d’accueillir les
enfants des écoles, « pour soutenir que
l’opération devait être qualifiée de marché public ou de DSP ». Le juge a également rappelé que si les installations de
la Croix-Catelan contribuent à l’exercice
des activités sportives à Paris, « la ville
n’a en rien défini les conditions dans lesquelles elles doivent être proposées aux
usagers » et « ne s’est réservée aucun
droit de contrôle sur la gestion de cette
activité par le futur cocontractant ».
Au final, par ce montage qui évite la
requalification en DSP, la ville de Paris
obtient d’excellentes conditions de valorisation de son patrimoine via la convention d’occupation domaniale : un contrat
d’une durée de vingt ans, aux termes
duquel l’occupant s’engage à maintenir
la vocation sportive de haut niveau du
lieu, à faire près de 40 millions d’euros
d’investissements tout en respectant des
exigences environnementales fortes, à
verser une redevance minimale garantie
de 2,7 millions d’euros par an contre
525 000 auparavant et à ouvrir le site à
des publics plus populaires que ceux qui
le fréquentaient.
La mise à disposition d’une flotte
de vélos en libre service et
de l’exploitation du mobilier urbain
d’affichage publicitaire
Bien qu’avec cette opération, on sorte
de la pure concession d’occupation du
domaine public pour entrer dans une
logique de marché, en raison des suites
de l’arrêt du Conseil d’État du 4 novembre 2005 relatif au mobilier urbain 9,
la ville de Paris a réussi également une
excellente opération à la fois financière
et en offre de services aux parisiens. Le
juge a fait obstacle à la première procédure en annulant le marché pour une
case non cochée de l’appel public à
concurrence. Cette annulation a obligé la
ville à relancer entièrement le marché en
appel d’offres ouvert après une première
tentative en dialogue compétitif. Le
résultat final est beaucoup plus favorable que ce qui résultait de la première
procédure.
L’ingénierie juridique du marché était
assez complexe et impliquait un certain
nombre de défis. Le premier consistait
pour le Conseil de Paris à résilier par
anticipation le contrat signé en 1976 qui
la liait à la société Decaux, par sa filiale
SOMUPI, jusqu’en 2010, de manière à
passer un nouveau contrat pour permettre entre autres de disposer de vélos
en libre-service, comme la ville de Lyon
l’avait fait. L’ancien contrat n’avait pas
fait l’objet d’une mise en concurrence,
rapportait peu à la ville et était illégal en
raison de la qualification de marché qui
ressortait de la jurisprudence. Le
deuxième consistait à lier dans un même
marché des objets a priori très différents,
l’exploitation des mobiliers urbains
publicitaires et la mise à disposition
d’une flotte de vélos en libre service, en
tablant que les raisons urbanistiques,
techniques et financières permettant de
faire un marché global seraient justifiables devant le juge. Le troisième
consistait à élaborer un marché très
complexe sur dix ans découpé en deux
étapes, une première forfaitaire qui
consistait à demander aux candidats
combien de vélos ils pouvaient fournir
en contrepartie de l’abandon des
recettes publicitaires et une seconde, à
bons de commande, financée par le budget de la Ville au cas où celle-ci voudrait
augmenter le nombre de vélos mis en
service.
À ces défis s’ajoutaient les objectifs
complémentaires poursuivis par la ville :
une diminution du nombre de panneaux
publicitaires qui devait passer d’environ
2 000 à 1 600, une maximisation de la
redevance pour l’occupation du domaine
public par les mobiliers urbains, un retour
à la ville des recettes perçues sur les usagers du service vélos et enfin, un droit de
regard de la ville sur l’esthétique tant des
mobiliers urbains que des vélos et des
bornes d’accrochage.
Au final, la ville de Paris a pu obtenir
par la mise en concurrence de son
domaine public, une flotte de 20 000
vélos en libre-service avec le service
d’entretien, de maintenance et de gestion du parc par un prestataire payé
entièrement en contrepartie de l’abandon des recettes publicitaires ; un retour
à la ville des recettes payées par les usagers du service supérieures à 10 millions
d’euros par an ; une augmentation
importante de la redevance d’occupation
domaniale pour l’implantation des mobiliers urbains qui passe de 1,8 à 3,5 millions d’euros par an tout en réduisant de
8
TA Paris (Ord.) 7 juillet 2006, Racing Club de
France.
9 CE Ass. 4 novembre 2005, Société Jean Claude
Decaux : Rec., p. 476 ; A. Ménéménis, « Contrats
de mobilier urbain : quelques éléments de
réflexion sur les arrêts Decaux », AJDA 2006.
120 ; RFDA 2005.1083, concl. D. Casas.
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Chroniques
manière significative le nombre de panneaux exploités.
Conclusions
Il ressort des exemples développés cidessus que la collectivité parisienne
peut valoriser son domaine de différentes manières : financièrement bien
sûr mais pas uniquement. Elle peut
rechercher d’autres objectifs d’intérêt
général. Elle peut même chercher à
abaisser volontairement ses recettes si
elle veut développer certaines activités,
par exemple le développement du
réseau de fibres optiques qui emprunte
ses galeries souterraines. Elle peut
même, dans un exemple non développé
ci-dessus, obtenir la construction d’un
musée dessiné par Franck Ghery dans le
bois de Boulogne en consentant à la fondation Louis Vuitton pour la création,
une occupation de son domaine avec
droits réels pendant cinquante-cinq ans.
La mise en œuvre de ce projet se traduira par une forte valorisation du
domaine public municipal, à travers la
perception d’une redevance au profit de
la collectivité, modique au début puis
calée sur le chiffre d’affaires du musée,
ainsi que par l’intégration d’un bâtiment
de grande valeur architecturale au patrimoine de la ville.
En second lieu, une collectivité
comme Paris peut et doit expérimenter
toutes les solutions juridiques à sa disposition pour atteindre les objectifs parfois contradictoires qu’elle poursuit. À
cet égard, l’utilisation de la convention
d’occupation du domaine avec droits
réels ou non, le bail emphytéotique
administratif ou non, le bail à construction, le marché public assorti éventuellement d’une convention d’occupation,
sont des techniques qui se justifient
selon les buts recherchés. Elles tendent
toutes, à un degré ou à un autre, à enrichir le patrimoine municipal en y associant des partenaires privés. L’exemple
récent de la gestion de la Tour Eiffel en
DSP pour la partie touristique, en occupation domaniale pour la partie diffusion
hertzienne, avec deux partenaires différents, une nouvelle SEM et TDF, en est un
exemple. Le montage juridique a conduit
à une redevance annuelle qui est passée
de 5 à 12 millions d’euros.
En troisième lieu, et pour terminer, on
ne saurait passer sous silence certaines
incertitudes tenant aux modalités de
mise en concurrence des différents
contrats administratifs qui ne sont qualifiés ni de marché ni de DSP. Si tout le
monde est à peu près d’accord pour dire
que ces contrats doivent faire l’objet
d’une mise en concurrence, la collectivité
parisienne est presque toujours confron-
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tée à des contentieux, en référé précontractuel, au moment de leur octroi, bien
que les textes ne donnent pas au juge de
compétence pour se prononcer. L’existence de cette procédure exerce à elle
seule un effet attractif sur tous les types
de contrats, puisque le requérant tente
de les faire qualifier soit de marché soit
de DSP. Enfin, comme la limite est ténue
entre ce qui « répond aux besoins d’un
pouvoir adjudicateur » et ce qui est proposition spontanée d’un exploitant, la
jurisprudence européenne n’est pas
encore fixée sur les formes de publicité
et de mise en concurrence que doivent
épouser ces contrats. ■
Pierre Éric SPITZ
Directeur des affaires juridiques
de la Ville de Paris