Les nouvelles méthodes de la gestion des biens publics: l
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Les nouvelles méthodes de la gestion des biens publics: l
Chroniques Les nouvelles méthodes de la gestion des biens publics: l’exemple de Paris Pierre Éric Spitz Il est acquis depuis près de vingt ans 1 que le droit des propriétés publiques devait être modernisé de manière à permettre à l’État et aux collectivités territoriales de valoriser économiquement leur patrimoine tant public que privé. Pour ne parler que des collectivités locales, celles-ci ont pris conscience assez récemment de la possibilité de tirer parti de leurs propriétés pour les valoriser économiquement, financièrement et socialement à condition qu’elles soient efficacement gérées. Du côté des responsables politiques municipaux et des gestionnaires, cette prise de conscience s’est faite au fur et à mesure que le domaine des collectivités publiques est devenu le lieu et l’enjeu d’activités économiques profitables (immeubles en centre-ville, voirie, ports, bords de canaux, espaces verts, etc.), remettant par là même en question l’idée que le domaine était forcément hors commerce en raison de son affectation à l’usage du public ou de son aménagement spécial en vue de son utilité publique. Progressivement, l’État comme les collectivités locales ont pris conscience d’une sorte de « trésor » dormant qui ne demandait qu’à être exploité. Tout cela dans un contexte où leur action subissait les contraintes financières dues à une limite, sans doute atteinte, des prélèvements obligatoires. Les contraintes financières de la gestion publique Les collectivités locales souhaitent, par ambition pour leur territoire et pour satisfaire la demande croissante des résidents et des agents économiques, investir toujours plus dans les équipements publics mis à disposition et sont 1 Du rapport de la Section du rapport et des études du Conseil d’État, EDCE 1987, n° 38, à celui du groupe de travail sur la valorisation des biens publics constitué au sein de l’Institut de la gestion déléguée présidé par le professeur Gaudemet (2004). par suite contraintes de trouver les financements nécessaires à leur réalisation et leur fonctionnement. Si on ajoute à cela, l’engagement pris par certains maires et, singulièrement celui de Paris, de ne pas augmenter les impôts pendant toute la durée d’une mandature, engagement tenu avec ténacité, on comprend que les besoins de financement ne cessent de croître. Si en outre viennent s’ajouter les transferts de compétences, opérés par l’État notamment dans le domaine social, soi-disant à l’euro près, mais en fait dans des conditions qui conduisent à des dépenses exponentielles, la ville n’a pu tenir son engagement qu’en améliorant considérablement sa gestion. Le maire de Paris a clairement signifié qu’une bonne gestion et une amélioration de la productivité des biens et des services n’étaient pas et ne devaient pas être des valeurs étrangères à une politique municipale de gauche. C’est avant tout une question de management. Un des axes fixé par la nouvelle équipe municipale pour améliorer la productivité des biens et services qu’elle offre réside dans la valorisation de son patrimoine. À cet égard, on peut se demander quels étaient les obstacles qui interdisaient cette valorisation ? Traditionnellement, la réponse passe par l’énumération des caractéristiques du domaine public : l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité des biens du domaine public qui empêchent toute cession, aggravées par la théorie de la domanialité publique virtuelle, véritable obstacle à toute opération complexe, la précarité des autorisations d’occupation, l’impossibilité de constituer des servitudes sur le domaine public et l’impossibilité de faire financer sur le domaine public des équipements en crédit-bail. Cette réponse souligne le fait que les collectivités locales cherchent pour une part à ce que les règles inhérentes à la domanialité publique soient assouplies pour gérer avec le plus de liberté possible leur patrimoine, comme le ferait un propriétaire privé soucieux de se comporter en agent économique rationnel, 454 ❯ Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 7/07 qui souhaite un rendement maximal de son capital et son optimisation fiscale. À cet égard, la liberté de gestion est d’autant plus grande que les collectivités peuvent recourir aux montages du droit commun, tel que l’octroi de droits réels aux occupants du domaine qui trouvent là des garanties de durée et de financements de leurs activités économiques. Tout ce qui peut rapprocher la gestion des biens publics de la gestion des biens privés offre plus de souplesse aux collectivités locales et plus de certitudes à leurs cocontractants. Des objectifs de gestion publique très divers Cependant, le rendement financier maximum du patrimoine est loin d’être l’unique but que poursuivent les collectivités locales dans la mesure où elles agissent en vue d’un intérêt public qui prend en compte d’autres facteurs que l’optimisation financière à court terme. Par exemple, elles peuvent vouloir rationaliser leurs implantations administratives, de manière à diminuer non seulement les coûts mais aussi à augmenter la satisfaction de leurs agents et surtout celle des usagers du service public. Elles peuvent également se fixer des objectifs à plus long terme comme l’entretien et la réparation de leur patrimoine en cherchant à faire assumer par des personnes privées les charges y afférentes. Elles peuvent aussi rechercher une valorisation de certains de leurs fonds en proposant à des partenaires privés de les exploiter moyennant des mises à disposition à un coût tel qu’il devient intéressant pour eux d’en supporter les charges. En contrepartie, les collectivités récupéreront au terme d’une durée plus moins longue un patrimoine entretenu, valorisé, voire même des équipements entièrement nouveaux en très bon état. Elles peuvent même s’associer à des partenaires privés, en mettant à leur disposition des biens matériels, voire immatériels comme la réputation et l’image de la ville de Paris, pour faire Chroniques financer certaines actions, comme « Paris-plage » ou « Nuit blanche » qui ne pourraient voir le jour sans leur participation parce que trop coûteuses pour la collectivité seule. Le souci du développement économique de Paris, de façon à y faire revenir l’activité et l’emploi, est aussi un motif puissant pour mettre à disposition des entreprises, jeunes ou moins jeunes, des locaux et des services communs à des prix abordables dans un contexte de flambée du foncier et de l’immobilier qui caractérise la capitale. D’autres objectifs de la gestion des biens publics viennent moins souvent à l’esprit, mais ils ont évidemment leur place dans la réflexion de la ville de Paris : l’aménagement urbain et la rationalisation de l’utilisation de l’espace public par son affectation à divers usages : commerces, habitation, circulation, piétonisation, espaces verts, etc. La meilleure utilisation de l’espace public se fait aussi par une réflexion sur l’implantation du mobilier urbain, de l’affichage publicitaire, des enseignes et des terrasses, des kiosques, réflexion qui prend en considération non seulement les revenus procurés par cette occupation mais aussi l’esthétique et l’environnement, de même que le maintien d’activités qui contribuent à la vie d’un quartier. L’animation d’un quartier et le souci d’assurer la sécurité d’un espace particulièrement troublé par des formes urbaines de délinquance sont des objectifs inhérents à la gestion des biens publics. Ainsi, la ville de Paris a-t-elle favorisé l’implantation des nouveaux cinémas MK2 quai de Loire, par l’octroi d’un bail emphytéotique et octroyé une convention d’occupation du domaine publique à une société pour reconvertir le bâtiment de Nicolas Ledoux à Stalingrad, vers des activités culturelles, de restauration et de bar. En cela, elle se préoccupe de redonner à ce quartier une attractivité qu’il n’avait plus. Un peu plus loin, toujours sur le canal de l’Ourcq, la ville de Paris a souhaité réhabiliter les magasins généraux quai de Loire et reconstruire, quai de Seine, ceux qui avaient brûlé en 1990. S’agissant du quai de Loire, la ville de Paris a cherché à transformer les anciens bâtiments des docks en confiant pour une durée de quarante-deux ans, un bail emphytéotique administratif des articles 1311-1 et suivants du code général des collectivités territoriales, à La SOFERIM, pour réaliser un programme portant sur la réalisation d’ateliers d’artistes, un restaurant, une base nautique et une résidence hôtelière pour étudiants. Ce bail assorti d’un loyer annuel de 50 000 € indexé annuellement au taux de 1,75 % a nécessité un montage juridique complexe, impliquant, en premier lieu, le déclassement des volumes de surfaces du domaine public fluvial tout en maintenant l’ensemble dans le domaine public de la ville ; en deuxième lieu, la cession partielle du droit au bail par la SOFERIM à une société d’HLM dans le cadre d’une vente en état futur de rénovation ; en troisième lieu, la division en volumes des espaces pour permettre la gestion des différents espaces par des personnes différentes : la direction des Affaires culturelles louant par bail civil les ateliers d’artistes, la direction de la Jeunesse et des sports gérant la base nautique et la cité universitaire gérant pour le compte de la société d’HLM la résidence étudiante. Sur l’autre rive, là où les bâtiments avaient brûlé, la ville de Paris a choisi de lancer une consultation de promoteurs et d’investisseurs pour un bâtiment à construire. Au terme de la compétition, c’est la société COFITEM-COFIMUR qui s’est vu attribuer un bail à construction en vue de réaliser un programme immobilier comprenant un hôtel, une auberge de jeunesse et un restaurant. Là encore, le montage juridique a nécessité en partie une désaffectation et un déclassement du domaine public fluvial, un état descriptif de division en volumes et l’élaboration de servitudes permettant la gestion de l’ensemble. Sur le plan financier, la société retenue verse à la ville de Paris un loyer minimum garanti et un loyer complémentaire en fonction du chiffre d’affaires qui sera réalisé par les trois activités. À l’expiration d’un bail de quarante-sept ans, l’ensemble des équipements réalisés deviendra, sans indemnité, propriété de la ville de Paris. On voit que les objectifs poursuivis par la Ville de Paris, dans le 19e arrondissement, via sa société d’économie mixte (SEM) d’aménagement du bassin de la Villette, sont multiples et consistent à valoriser des emprises foncières municipales vacantes depuis des années de manière à réhabiliter tout un quartier, à développer l’offre de tourisme notamment à destination des jeunes et à recomposer une esthétique paysagère propre au canal de l’Ourcq. Aux termes de baux d’une quarantaine d’années, la ville aura de surcroît enrichi son patrimoine de façon considérable. Des objectifs de gestion publique servis par le nouveau CGPPP L’intervention d’un code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) 2 est importante dans la vie d’une collectivité comme Paris, dans la mesure où sa rédaction va dans le sens des objectifs décrits ci-dessus, même si parfois il se borne à rappeler des principes posés par la jurisprudence. Ainsi, le principe fixé dorénavant par la loi veut que toute utilisation du domaine public d’une personne publique donne lieu au paiement d’une redevance qui tienne compte des avantages de toute nature procurés aux titulaires de l’autorisation. La ville de Paris a entrepris depuis 2001 sur le fondement de ce principe et également sur les audits qu’elle a réalisés pour faire le bilan de l’existant, de faire délibérer des conventions d’occupation du domaine tant privé que public en assortissant celles-ci de redevances. En effet, les audits ont révélé que la ville non seulement ignorait parfois qu’elle était propriétaire de tel ou tel local, mais ignorait même qu’il pouvait être occupé par telle ou telle personne depuis des lustres sans payer la moindre redevance. De nombreuses associations ont ainsi été conduites à régulariser la situation de manière à ce que l’occupation du domaine public soit valorisée même si, en contrepartie, les subventions ont été augmentées à due concurrence de la redevance demandée dans le cas où l’utilité publique était particulièrement significative. D’autre part, on ne peut pas sous-estimer l’impact d’une nouvelle définition plus stricte des biens immobiliers appartenant au domaine public quand on affirme qu’il s’agit seulement de ceux qui sont affectés à l’usage direct du public ou affectés à un service public à condition qu’ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable. Il découle clairement de cette affirmation que tout ce qui ne correspond pas à cette définition étroite, ressort du domaine privé qui devient, si l’on peut dire, la clause d’affectation générale du domaine d’une collectivité. C’est ainsi que l’article L. 2211-1 du CGPPP écrit que font partie du domaine privé uniquement les biens qui ne relèvent pas du domaine public et par exemple tous les biens immobiliers à usage de bureaux. On sait comment l’État a mis à profit cette nouvelle définition des biens appartenant, d’une part, au domaine public et, d’autre part, au domaine privé en confiant le 6 janvier 2006 à « France Domaine » le patrimoine immobilier de l’État de manière à moderniser la gestion de ses immeubles en se dotant d’un parc moins onéreux et mieux adapté au 2 Ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques. Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 7/07 ❯ 455 Chroniques service public, en optimisant ses implantations et l’occupation de ses sites, en cédant ceux dont il n’avait plus l’usage, et en aménageant plus rationnellement les espaces qu’il souhaitait conserver 3. La ville de Paris a fait le même constat en réalisant que ses services se développaient depuis des années sans schéma directeur, avec un patrimoine sous-utilisé et mal exploité, parfois mal entretenu, des bâtiments non accessibles aux handicapés, des coûts d’exploitation élevés en raison d’une très forte dispersion des sites 4 et au final une augmentation considérable des surfaces louées. Cette situation a conduit la ville de Paris à mettre en place un schéma directeur des implantations administratives destiné à créer sur une décennie quatre pôles de compétences permettant d’importantes synergies entre les directions. La première opération de mise en œuvre vient de se traduire 5 par un échange foncier entre la ville de Paris propriétaire de locaux occupés par Gaz de France, rue Condorcet et la société DEGI, propriétaire d’un immeuble avenue de France, libre de toute occupation. Aux termes de cet échange, Gaz de France deviendra titulaire de baux commerciaux rue Condorcet, et la ville de Paris propriétaire d’un vaste ensemble immobilier lui permettant de regrouper deux de ses directions. De plus, au terme d’une négociation globale avec Gaz de France, certains immeubles situés dans le neuvième arrondissement reviendront dans le giron municipal et permettront la réalisation de dix à quinze logements sociaux. Enfin, le regroupement de deux directions de la ville permettra la libération de nombreuses emprises municipales qui débouchera soit sur des économies de fonctionnement, soit sur des restitutions à la promenade publique par démolition de locaux provisoires, soit sur le retour à l’usage d’habitation de certains immeubles de bureaux. 3 Circulaire du 28 février 2007 relative à la modernisation de la gestion du patrimoine immobilier de l’État. 4 Les seuls services centraux comptent 7 200 agents répartis sur 79 implantations. 5 Délibération 2007 DU-DF 39 du 13 février 2007. 6 C. Maugüé et G. Bachelier, « Genèse et présentation du CGPPP », AJDA 2006, p. 1073. 7 CE 26 mars 1999, Société EDA : « S’il appartient à l’autorité administrative affectataire de dépendances du domaine public de gérer celles-ci tant dans l’intérêt du domaine et de son affectation que dans l’intérêt général, il lui incombe en outre, lorsque […] celles-ci sont le siège d’activités de production, de distribution ou de service, de prendre en considération les diverses règles, telles que le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ou l’ordonnance du 1er décembre 1986, dans le cadre desquelles s’exercent ces activités. » Le bilan financier d’une telle opération se traduit par une soulte au profit de la ville de Paris de 15 millions d’euros ; et si la ville doit acquitter en plus du prix de vente de l’immeuble de l’avenue de France le solde de TVA restant dû par le vendeur, il sera ensuite récupéré par la ville au titre du FCTVA. Les conséquences de la mise en concurrence sur la valorisation du domaine public Si la modernisation de la gestion domaniale de la ville emprunte aux montages les plus complexes, il n’en reste pas moins que le facteur déterminant de la valorisation de son domaine public réside dans la mise en œuvre systématique ou presque, des règles de mise en concurrence et de publicité pour consentir les occupations. Il est remarquable que le CGPPP soit totalement silencieux sur les règles de procédure pour la délivrance des titres. On a pu dire qu’il n’appartenait pas à un code de la propriété des personnes publiques de rappeler des règles issues d’autres législations (code des marchés et règles de concurrence) et qu’il serait difficile d’édicter une règle générale de publicité que la jurisprudence communautaire n’impose pas, pour l’instant, au-delà des contrats portant sur les marchés publics et les concessions d’aménagements 6. La ville de Paris a décidé en juin 2004 par l’adoption d’un vœu présenté conjointement par la majorité et l’opposition à la fois de limiter la durée des concessions au maximum à vingt-cinq ans sauf exception, que toute attribution ou renouvellement d’une concession d’occupation domaniale ferait l’objet d’un appel public à candidatures, et que les raisons du choix d’un concessionnaire ainsi que les analyses des dossiers de tous les candidats seraient joints aux projets de délibération. En cela, la ville jouait à la fois la transparence, se donnait les moyens d’augmenter les redevances perçues et se conformait à la jurisprudence tant du Conseil d’État 7 que du Conseil de la concurrence, dans son avis du 21 octobre 2004 relatif à la distribution de journaux gratuits. Quelques exemples suffiront à montrer quelle ingénierie juridique a été mise en œuvre par la ville pour obtenir une valorisation importante de son domaine. La concession d’occupation domaniale des colonnes Morris et des mâts porteaffiches La ville de Paris a renouvelé en 2005 une convention vieille de vingt ans aux 456 ❯ Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 7/07 termes de laquelle l’occupant pouvait exploiter sur le territoire parisien les colonnes Morris et les mâts porteaffiches destinés à l’annonce de manifestations culturelles, sociales, économiques et sportives de nature privée, convention qui trouve son origine dans la deuxième moitié du XIX e siècle. Au titre de l’ancienne convention, Paris ne percevait que 1,8 million d’euros par an pour cette occupation. La ville de Paris a organisé une compétition, sui generis , pour l’attribution d’une nouvelle concession d’une durée de douze ans sur le fondement de critères de sélection, exigeant, d’une part, une baisse du nombre de colonnes et de mâts, pour diminuer l’encombrement de l’espace public, d’autre part, une qualité technique et esthétique des mobiliers ainsi qu’une maintenance et un entretien irréprochables, enfin, un rendement financier élevé de la concession lié à l’exploitation commerciale des publicités qui, de plus, pouvait comporter des propositions tarifaires favorisant la promotion de l’activité théâtrale privée à Paris. Ainsi, les critères d’attribution de la concession, hiérarchisés mais non pondérés étaient-ils le niveau de la redevance, l’entretien et la garantie du matériel et enfin l’esthétique des mobiliers. Au terme des négociations avec trois sociétés, Viacom-Outdoor, J.-C. Decaux et Clear Channel, la ville a obtenu du candidat retenu une redevance allant de 41 % à 55 % du chiffre d’affaires réalisé avec un minimum garanti de 9 millions d’euros, ce qui devrait lui assurer près de 11 millions d’euros de redevance annuelle. Cela représente 6 fois plus que ce qui lui était versé auparavant avec un nombre de mobiliers réduit d’un tiers. La concession domaniale de la Croix-Catelan La Croix-Catelan, au cœur du bois de Boulogne, domaine public de la ville de Paris, est un site sportif exceptionnel qui a accueilli les Jeux olympiques de 1900. Il s’étend sur près de sept hectares et comporte de très importants équipements, quarante-huit courts de tennis, deux piscines, un restaurant, un clubhouse, une salle de remise en forme… Ce lieu était concédé de manière privative au Racing Club de France depuis 1886 en vertu de conventions négociées sans mise en concurrence, dont la dernière en date remontait à 1954. En février 2006, le Conseil de Paris, conformément au vœu adopté en 2004, lançait une compétition pour le renouvellement de cette concession. Celle-ci a nécessité de la part des services de la ville une réflexion approfondie sur l’ingénierie juridique d’un tel contrat, au Chroniques cœur d’enjeux économiques et politiques qui allaient bien au-delà de l’analyse juridique. Il fallait pouvoir écrire un contrat avec le futur attributaire de la compétition qui, tout en écartant la délégation de service public dont la ville ne voulait pas alors qu’elle pouvait sembler naturelle s’agissant d’un centre sportif et d’un parc de loisirs, ne la prive pourtant pas d’un certain nombre d’exigences qu’elle était en droit de formuler au nom de son pouvoir de gestion. Les exigences de la ville résumaient à elles seules les critères de la mise en concurrence du contrat : elle souhaitait analyser en premier lieu la qualité du projet sportif proposé par les candidats (sport de haut niveau, préparation à la compétition, sports de loisirs, accueil des fédérations) ; en deuxième lieu, le montant des investissements valorisant le patrimoine municipal tant pour la rénovation des équipements existants que pour la création de nouveaux équipements, appréciés au regard de la valorisation environnementale du site (récupération des eaux de pluie et des eaux de baignade, respect de la biodiversité, traitement des déchets, économie d’énergie, etc.) ; en troisième lieu, le montant de la redevance d’occupation accordée à la ville. En outre, la ville de Paris laissait clairement entendre que les candidats pouvaient faire des propositions complémentaires inspirées par la seule nécessité de l’exploitation commerciale du candidat. La gestion de la mise en concurrence et la rédaction du contrat final avec le candidat retenu ont révélé des problèmes juridiques intéressants de deux types : d’une part, une grande difficulté pour organiser une mise en concurrence qui respecte l’égalité entre les candidats dès lors que l’un d’entre eux était le sortant et qu’il disposait d’informations sur le site que les autres n’avaient pas. La ville s’est particulièrement impliquée de manière à ce que le « Racing Club » autorise de nombreuses visites sur le site, communique l’état d’entretien des équipements à rénover, dise quel était le montant de la masse salariale à reprendre en vertu du L.122-12 du code du travail, etc. ; d’autre part, une extrême attention de la part des services de la ville dans la rédaction du contrat de manière à ce que celui-ci ne subisse pas des requalifications en délégation de service public (DSP) de la part du juge. Par exemple, la société Lagardère retenue à l’issue de la compétition proposait d’accorder des créneaux d’utilisation de certaines installations sportives, aux groupements scolaires, à des centres aérés, ou des écoles des sports, alors même que la Ville s’était bien gardée de le demander dans le dossier de consultation. Le juge du référé du tribunal administratif de Paris 8 a validé la démarche municipale en affirmant « que la qualification de la convention envisagée par la ville de Paris » devait « s’apprécier par rapport aux documents soumis à la consultation » et que le requérant « ne pouvait utilement se fonder sur les informations données par la société Lagardère » , aux termes desquelles elle se proposait d’accueillir les enfants des écoles, « pour soutenir que l’opération devait être qualifiée de marché public ou de DSP ». Le juge a également rappelé que si les installations de la Croix-Catelan contribuent à l’exercice des activités sportives à Paris, « la ville n’a en rien défini les conditions dans lesquelles elles doivent être proposées aux usagers » et « ne s’est réservée aucun droit de contrôle sur la gestion de cette activité par le futur cocontractant ». Au final, par ce montage qui évite la requalification en DSP, la ville de Paris obtient d’excellentes conditions de valorisation de son patrimoine via la convention d’occupation domaniale : un contrat d’une durée de vingt ans, aux termes duquel l’occupant s’engage à maintenir la vocation sportive de haut niveau du lieu, à faire près de 40 millions d’euros d’investissements tout en respectant des exigences environnementales fortes, à verser une redevance minimale garantie de 2,7 millions d’euros par an contre 525 000 auparavant et à ouvrir le site à des publics plus populaires que ceux qui le fréquentaient. La mise à disposition d’une flotte de vélos en libre service et de l’exploitation du mobilier urbain d’affichage publicitaire Bien qu’avec cette opération, on sorte de la pure concession d’occupation du domaine public pour entrer dans une logique de marché, en raison des suites de l’arrêt du Conseil d’État du 4 novembre 2005 relatif au mobilier urbain 9, la ville de Paris a réussi également une excellente opération à la fois financière et en offre de services aux parisiens. Le juge a fait obstacle à la première procédure en annulant le marché pour une case non cochée de l’appel public à concurrence. Cette annulation a obligé la ville à relancer entièrement le marché en appel d’offres ouvert après une première tentative en dialogue compétitif. Le résultat final est beaucoup plus favorable que ce qui résultait de la première procédure. L’ingénierie juridique du marché était assez complexe et impliquait un certain nombre de défis. Le premier consistait pour le Conseil de Paris à résilier par anticipation le contrat signé en 1976 qui la liait à la société Decaux, par sa filiale SOMUPI, jusqu’en 2010, de manière à passer un nouveau contrat pour permettre entre autres de disposer de vélos en libre-service, comme la ville de Lyon l’avait fait. L’ancien contrat n’avait pas fait l’objet d’une mise en concurrence, rapportait peu à la ville et était illégal en raison de la qualification de marché qui ressortait de la jurisprudence. Le deuxième consistait à lier dans un même marché des objets a priori très différents, l’exploitation des mobiliers urbains publicitaires et la mise à disposition d’une flotte de vélos en libre service, en tablant que les raisons urbanistiques, techniques et financières permettant de faire un marché global seraient justifiables devant le juge. Le troisième consistait à élaborer un marché très complexe sur dix ans découpé en deux étapes, une première forfaitaire qui consistait à demander aux candidats combien de vélos ils pouvaient fournir en contrepartie de l’abandon des recettes publicitaires et une seconde, à bons de commande, financée par le budget de la Ville au cas où celle-ci voudrait augmenter le nombre de vélos mis en service. À ces défis s’ajoutaient les objectifs complémentaires poursuivis par la ville : une diminution du nombre de panneaux publicitaires qui devait passer d’environ 2 000 à 1 600, une maximisation de la redevance pour l’occupation du domaine public par les mobiliers urbains, un retour à la ville des recettes perçues sur les usagers du service vélos et enfin, un droit de regard de la ville sur l’esthétique tant des mobiliers urbains que des vélos et des bornes d’accrochage. Au final, la ville de Paris a pu obtenir par la mise en concurrence de son domaine public, une flotte de 20 000 vélos en libre-service avec le service d’entretien, de maintenance et de gestion du parc par un prestataire payé entièrement en contrepartie de l’abandon des recettes publicitaires ; un retour à la ville des recettes payées par les usagers du service supérieures à 10 millions d’euros par an ; une augmentation importante de la redevance d’occupation domaniale pour l’implantation des mobiliers urbains qui passe de 1,8 à 3,5 millions d’euros par an tout en réduisant de 8 TA Paris (Ord.) 7 juillet 2006, Racing Club de France. 9 CE Ass. 4 novembre 2005, Société Jean Claude Decaux : Rec., p. 476 ; A. Ménéménis, « Contrats de mobilier urbain : quelques éléments de réflexion sur les arrêts Decaux », AJDA 2006. 120 ; RFDA 2005.1083, concl. D. Casas. Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 7/07 ❯ 457 Chroniques manière significative le nombre de panneaux exploités. Conclusions Il ressort des exemples développés cidessus que la collectivité parisienne peut valoriser son domaine de différentes manières : financièrement bien sûr mais pas uniquement. Elle peut rechercher d’autres objectifs d’intérêt général. Elle peut même chercher à abaisser volontairement ses recettes si elle veut développer certaines activités, par exemple le développement du réseau de fibres optiques qui emprunte ses galeries souterraines. Elle peut même, dans un exemple non développé ci-dessus, obtenir la construction d’un musée dessiné par Franck Ghery dans le bois de Boulogne en consentant à la fondation Louis Vuitton pour la création, une occupation de son domaine avec droits réels pendant cinquante-cinq ans. La mise en œuvre de ce projet se traduira par une forte valorisation du domaine public municipal, à travers la perception d’une redevance au profit de la collectivité, modique au début puis calée sur le chiffre d’affaires du musée, ainsi que par l’intégration d’un bâtiment de grande valeur architecturale au patrimoine de la ville. En second lieu, une collectivité comme Paris peut et doit expérimenter toutes les solutions juridiques à sa disposition pour atteindre les objectifs parfois contradictoires qu’elle poursuit. À cet égard, l’utilisation de la convention d’occupation du domaine avec droits réels ou non, le bail emphytéotique administratif ou non, le bail à construction, le marché public assorti éventuellement d’une convention d’occupation, sont des techniques qui se justifient selon les buts recherchés. Elles tendent toutes, à un degré ou à un autre, à enrichir le patrimoine municipal en y associant des partenaires privés. L’exemple récent de la gestion de la Tour Eiffel en DSP pour la partie touristique, en occupation domaniale pour la partie diffusion hertzienne, avec deux partenaires différents, une nouvelle SEM et TDF, en est un exemple. Le montage juridique a conduit à une redevance annuelle qui est passée de 5 à 12 millions d’euros. En troisième lieu, et pour terminer, on ne saurait passer sous silence certaines incertitudes tenant aux modalités de mise en concurrence des différents contrats administratifs qui ne sont qualifiés ni de marché ni de DSP. Si tout le monde est à peu près d’accord pour dire que ces contrats doivent faire l’objet d’une mise en concurrence, la collectivité parisienne est presque toujours confron- 458 ❯ Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 7/07 tée à des contentieux, en référé précontractuel, au moment de leur octroi, bien que les textes ne donnent pas au juge de compétence pour se prononcer. L’existence de cette procédure exerce à elle seule un effet attractif sur tous les types de contrats, puisque le requérant tente de les faire qualifier soit de marché soit de DSP. Enfin, comme la limite est ténue entre ce qui « répond aux besoins d’un pouvoir adjudicateur » et ce qui est proposition spontanée d’un exploitant, la jurisprudence européenne n’est pas encore fixée sur les formes de publicité et de mise en concurrence que doivent épouser ces contrats. ■ Pierre Éric SPITZ Directeur des affaires juridiques de la Ville de Paris