La délinquance des mineurs : contours et

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La délinquance des mineurs : contours et
2016-01-08
La délinquance des mineurs : contours et
problématiques
Luc-Henry Choquet,
- Responsable du Pôle Recherche de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse,
- Enseignant à la Faculté d'Artois, France
- Chercheur associé à l'université Ryukoku, Kyoto, Japon
“Paradoxes” : Colloque sur la transition à la vie adulte
26 et 27 novembre 2015, Cercle – Lab vivant
Basse-ville de Québec
• Introduction
• La chronologie des textes principaux
• Les chiffres de la délinquance des mineurs
– Les pourcentages de mineurs délinquants dans les
classes d’âge concernées
– La récidive des mineurs
• Deux sous-groupes spécifiques dans l’ensemble des
mineurs délinquants
• Evaluer les prises en charge éducatives
– Le taux de "désistance" (*) par nature d’infractions et par
décisions judiciaires
• Les sorties de la délinquance
• Epilogue : le dénouement actuel
(*) Est réputé « désistant » le mineur qui ne commet pas d’infraction
identifiée
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La chronologie des textes principaux
•loi de 1850 sur l'éducation et le patronage des jeunes
détenus
•Loi de 1912 se prononçant sur la spécialisation des
juridictions pour mineurs
•Ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance
délinquante
•Ordonnance du 23 décembre 1958 relative à la
protection de l'enfance et de l'adolescence en danger
•Toutes les lois de 2002 à 2012 qui ont traduit un
durcissement
Les lois de 2002 à 2012 ont traduit un durcissement qui ne s’est pas manifesté sur le plan
judiciaire. L’alignement récent du droit des
mineurs sur celui des majeurs est compensé
par la poursuite de l’usage par les juges des
outils traditionnels de la justice des mineurs
En 2014 :
• 354 jugements à délais rapprochés ou présentation
immédiate = moins de 1 % de l’ensemble des
poursuites.
• De même, les 1 763 sanctions éducatives (introduites en
2002) = 3,2 % de l’ensemble des mesures et sanctions
définitives.
• Ces nouvelles procédures visaient principale-ment une
population très ciblée mais peu nombreuse de mineurs
réitérants.
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Parmi la population générale, les mineurs
délinquants sont relativement rares.
• Parmi l’ensemble des 5 321 990 mineurs
de 11 à 18 ans (Insee RP 2011), issus de
la population générale :
• 3,7 % sont mis en cause par les forces de
l’ordre en 2013,
– 3,3% font l’objet d’un traitement pénal
dont 2,7 % sont poursuivis
• dont 1,5 % pour une mesure alternative aux
poursuites
• et 1,0 % pour une affaire poursuivie devant le juge
des enfants ou le juge d'instruction.
• A l’issue du traitement judiciaire, parmi les
3 930 517 mineurs de 13 à 18 ans, issus
de la population générale
– ~ 1,5/10 000 ont quitté leur famille pour être
placés dans une structure d'hébergement
contraint (centre éducatif fermé ou centre
éducatif renforcé)
– ~ 7/100 000 des mêmes classes d’âge ont
été détenus après condamnation.
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La « désistance » où le mineur qui ne commet
pas d’autre infraction identifiée est fréquente.
• Près de deux mineurs sur trois (65%) ayant eu
affaire une première fois avec l’institution
judiciaire ne commettent pas, durant leur
minorité et après six années d’observation au
maximum, de nouvelle infraction identifiée dans
une procédure en cours ou achevée.
Un petit nombre de mineurs multiréitérants, très
préoccupants, qui occupent une large part du
temps des juges et des éducateurs.
• 7 % des mineurs ont connu plus de 6 affaires de
délinquance et ont commis 36 % du total des
délits.
Trois niveaux de réitération (commentaire de la
diapositive suivante)
• en bas du graphique, les mineurs qui ont eu une
première condamnation inscrite au casier judiciaire entre
1999 et 2001, avec des taux de réitération relativement
faibles (40 % au bout de 3 ans) ;
• au milieu du graphique, les mineurs déjà délinquants, qui
ont eu une condamnation inscrite au casier judiciaire
entre 1999 et 2001, mais qui n’était pas la première ont
des taux de réitération relativement élevés : 46 % au
bout d’un an, 73 % au bout de 3 ans ;
• en haut du graphique, les mineurs placés en centre
éducatif fermé (CEF) entre 2004 et 2006 avec un taux
de réitération élevé (83 % au bout de 3 ans).
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90%
Mineurs placés en CEF (DPJJ)
80%
Mineurs déjà délinquant (SDSED)
Taux de réitération (en %)
70%
60%
50%
Mineurs primo-délinquant (SDSED)
40%
30%
20%
10%
0%
0
365
730
1095
Durée (en jours)
Deux sous-groupes spécifiques dans
l’ensemble des mineurs
• Un premier groupe relevant d’une
délinquance “réactionnelle” ou “de
provocation” largement due à un déficit de
l’environnement qui trouve une réponse
dans le traitement policier, judiciaire, avec
en priorité les mesures alternatives aux
poursuites, et dans la reprise d’un dialogue
avec les parents et avec l’école, avec
finalement un risque relativement faible de
réitérer, d’où le chiffre précité de 65%
concernant les primo délinquants.
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• Un deuxième groupe relevant d’une
délinquance “de destruc-tion”. il s’agit pour
le mineur d’annuler ou de disqualifier
l’autre, tout ce qui peut venir de l’autre
jusqu’à sa présence, pour sortir d’un conflit
de dépendance à son égard et, en
conséquence, tout ce qui peut venir de
l’éducateur. C’est ce que le Dr Jeammet
formule dans ce paradoxe qu’il met au
centre de l’adolescence selon lequel « ce
dont l’adolescent a le plus besoin est ce qui
le menace le plus parce qu’il en a besoin.»
Prendre en compte cette différenciation entre les
deux types de délinquance constitue une
difficulté majeure de l’action éducative.
• Il s’agit, dans le premier cas, d’accroitre l’importance
de la présence de l’éducateur.
• Il s’agit, dans le deuxième cas, au contraire, d’en
réduire le poids. Il faut aux éducateurs et aux
soignants trouver une autre voie (« mine de rien,
sans avoir l’air d’être au courant, sans se
préoccuper des problèmes »). Lorsque cela est
possible, il faut s’appuyer
– sur des interactions du quotidien,
– sur des médiations plus spécifiques,
– sur des activités où les objets sont présents même si
la posture doit s’attacher à ne pas les imposer trop
lourdement dans la vie du sujet qui craint d’en
dépendre.
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• C’est par une sorte de contournement
(le « faire avec »), que les éducateurs
parviennent à ce que ces mineurs plus
ou moins « hors la loi et hors le droit »
les rejoignent et que la loi puisse
retrouver la fonction différenciatrice
qu’elle avait momentanément perdue.
Les taux de désistance en fonction de la nature de l’infraction et
des décisions prononcées
• pour chacun des cinq groupes de nature d’infraction :
– affaires liées aux stupéfiants,
– violences envers les personnes,
– destructions et dégradations,
– vols,
• pour chacune des décisions prononcés par :
– le parquet en cas de mesure alternative aux poursuites,
– le juge des enfants,
• on observe les taux de désistance c’est-à-dire de sortie de la
délinquance.
Méthode : Estimation de la réitération d’après des données de durée après une
précédente condamnation (Kaplan-Meier)
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Quelques facteurs de sortie
• La délinquance concerne plutôt une tranche
d'âge et la délinquance décroit avec l'âge.
– C’est la thématique de la « maturation ».
– Plus on murit, plus les perspectives s'ouvrent,
plus on a tendance à s'éloigner même si
certains persistent.
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• On observe en réalité un désistement « par
défaut», par l'environnement plus que par la
personne elle-même.
– L’évolution des comportements, des modes de vie, en
fonction des âges, sont soumis à des contraintes
normatives puissantes de certains types de
comportements.
– C’est le cas de la délinquance de voie publique, par
exemple, typique de l'adolescence. Si on continue à
adopter ces comportements quand on a dépassé un
certain âge, on risque de passer pour « un attardé»,
pour un « cas social », dans un environnement
donné.
– La personne ne va pas tant sortir de la délinquance
que passer à autre chose.
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D’autres traits importants qui président à la sortie :
• L'importance de « l’usure » de la rue, de l'usure
judiciaire, du « ras-le-bol » de cette forme
d’existence risquée, qui vous met plus ou moins à
l’écart des autres et des pratiques ordinaires, etc.
• L'importance du milieu, du réseau de sociabilité.
Avec la meilleure volonté du monde, si on n'accède
pas à un nouveau statut social, si on ne parvient
pas à changer la routine qui est la sienne, il est très
difficile de pouvoir s'éloigner de la rue.
• L’influence des contextes culturels et ethniques.
– Pour certains, les formes d'abandon de la délinquance consistent essentiellement en un retour dans les
institutions présentes dans leur communauté et leur
famille ;
– Pour d’autres, les processus associés à l'arrêt de la
délinquance se caractérisaient par leur éloignement
de leur communauté et de leur famille.
• L'importance du regard de l'entourage proche et,
plus largement, du regard de la société.
– Ils ont un rôle déterminant dans le renoncement
progressif aux comportements délinquants ;
– Ils réalisent une sorte de "cérémonie de
désétiquetage" (cf. Labelling theory).
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