Margaret Goehring, Space, Place and Ornament

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Margaret Goehring, Space, Place and Ornament
Francia­Recensio 2015/4
Mittelalter – Moyen Âge (500–1500)
Margaret Goehring, Space, Place and Ornament. The Function of Landscape in Medieval Manuscript Illumination, Turnhout (Brepols) 2013, 214 p., 69 b/w ill., 16 col. pl. , ISBN 978­2­503­52977­6, EUR 105,00.
rezensiert von/compte rendu rédigé par
Laure Rioust, Paris
Dans son acception traditionnelle de »composition d’ensemble où les éléments du cadre naturel sont organisés selon des relations spatiales définies«, la peinture de paysage semble émerger en tant que genre au XVe siècle pour être théorisée au XVIe siècle. De là, l’idée longtemps dominante en histoire de l’art d’une relative ignorance médiévale du paysage et d’une invention quasi révolutionnaire du sujet à la Renaissance. Avec cette édition remaniée de sa thèse1, Margaret Goehring vise, au contraire, à établir combien l’art médiéval témoigne du rapport complexe entre l’homme et son milieu.
Le paradigme qui sous­tend l’étude est que le paysage, loin d’être une entité concrète qui s’impose à l’humain, est une construction culturelle, économique et sociale. Elle s’inscrit donc dans le courant de la géographie dite culturelle, qui, influencée par la phénoménologie, explore la dimension subjective de l’environnement. L’auteur rejette en outre la conception téléologique d’une évolution stylistique qui culminerait à la Renaissance avec un prétendu naturalisme. Réinvestissant les trois types de représentation théorisés par Jean Givens (réaliste, naturaliste, descriptif)2, elle veut démontrer que les artistes médiévaux ne furent pas les acteurs d’un »progrès« linéaire vers l’imitation de la nature, mais oscillèrent sans cesse entre différents modes. Elle ne considère donc pas le style et la composition comme des critères de développement artistique, mais comme des modalités potentiellement signifiantes en elles­mêmes. Pour les appréhender justement, l’image est envisagée non pas isolément, mais en tant qu’élément d’un système dont les autres composantes sont la matérialité de l’œuvre et le contexte de production. Une investigation aussi ambitieuse exigeait un cadre, et c’est un riche corpus de manuscrits enluminés dans le Nord de la France et les Pays­Bas méridionaux entre le VIIIe et le XVIe siècle qui a été choisi. Pour prévenir toute tentation de lecture téléologique, le plan de l’ouvrage évacue les aspects esthétiques et chronologiques du sujet et s’articule autour de quatre usages pressentis du paysage en enluminure: instrument rhétorique, forme ornementale, vecteur de concepts moraux, historiques ou didactiques et représentation de la notion de lieu.
Le premier chapitre analyse la fonction rhétorique du paysage, à commencer par la place de la description paysagère comme composante de l’inventio dans l’art oratoire antique. Puis, la démonstration se recentre sur l’ars memorativa, où l’évocation du paysage pouvait faire office de Margaret L. Goehring, Landscape in Franco­Flemish Manuscript Illumination of the Late Fifteenth­ and Early Sixteenth­Centuries, Cleveland 2000.
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Jean Givens, Observation and Image­Making in Gothic Art, Cambridge 2005.
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système mnémonique pour organiser et mobiliser les connaissances. Les sources iconographiques citées sont essentiellement carolingiennes, avec un focus sur le »Psautier d’Utrecht«, où les dessins de paysage semblent employés comme métaphore visuelle du psaume dont il s’agissait de mémoriser l’exacte formule latine. Plus loin, l’auteur considère les »Évangiles de François II« et leur décor arboré, qui fonctionne comme une allégorie du locus amoenus et de l’arbre de vie antiques, eux­mêmes véhicules d’une longue tradition associée aux saintes Écritures. La seconde partie est consacrée à la dimension ornementale du paysage, l’ornement étant ici défini à la fois comme une méthode de fabrication des images, fondée sur la diffusion et la reproduction de modèles, et comme une amplification formelle du texte ou des illustrations. Il est relié aux notions rhétoriques antiques d’amplificatio et de copia, investies au Moyen Âge d’une dimension spirituelle et sacrée. À partir d’un psautier­livre d’heures gantois de 1320–1330 (Oxford, Bodleian Library, ms. Douce 5–6), Magaret Goehring observe comment l’image de paysage, surtout marginale, était employée pour enrichir l’autorité textuelle par développement sémantique ou association métaphorique. Elle réhabilite donc partiellement l’approche discutée de Michael Camille, selon laquelle les motifs marginaux seraient des calembours visuels sur le texte 3. On aurait pu développer ici bien d’autres aspects de l’ornement, comme sa nature rythmique, étudiée par Jean­Claude Bonne4. Ou encore sa fonction mémorielle, démontrée par Mary Carruthers5: si le premier chapitre traite bien de la valeur mnémonique de l’image de paysage dans sa dimension symbolique ou narrative, il ne faut pas oublier qu’elle est aussi à l’œuvre dans sa dimension ornementale. Mais le propos se concentre sur la façon dont les ateliers du Moyen Âge tardif, répétant schémas et modèles, ont fait des éléments de paysage des motifs. Les miniatures des »Heures de Boucicaut« et des œuvres du »Maître du Remède de Fortune« sont finement examinées pour montrer que l’exécution des paysages était souvent subordonnée à la mise en page. L’auteur insiste aussi sur la notion de »fluidité stylistique« chez ces artistes, qui associaient, au gré des besoins, des schémas ornementaux stylisés à des principes de perspective. Cette démonstration, qui souligne à raison la complexité du rapport entre peinture de paysage et imitation du réel, mériterait toutefois d’être davantage nuancée pour moins opposer représentation naturaliste et ornement, la valeur ornementale d’un sujet ne dépendant pas nécessairement de sa forme. L’ouvrage analyse ensuite la notion d’espace dans l’enluminure des textes didactiques et moraux, où le paysage a pu être utilisé avec une valeur d’exemplarité, comme vecteur d’idées ou de principes. Ainsi, dans l’illustration du »Physiologus« et du »De avibus« d’Hugues de Fouilloy, le cadre est parfois 3
Michael Camille, Image on the Edge. The Margins of Medieval Art, London 1992. Jean­Claude Bonne, Intrications (à propos d’une composition d’entrelacs dans un Évangile celto­saxon du VIIe siècle), dans: Patrice Ceccarini, Jean­Loup Charvet, Frédéric Cousinié et al. (dir.), Histoires d’ornement. Actes du colloque de l’Académie de France à Rome, Villa Medicis, 27–28 juin 1996, Paris, Rome 2000, p. 75–
108.
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Mary Carruthers, The Craft of Thought. Meditation, Rhetoric and the Making of Images, 400–1200, Cambridge 1998 (Cambridge Studies in Medieval Literature, 34)
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suggéré par quelques éléments à forte charge symbolique, choisis pour conférer à l’image une portée exégétique. L’accent est mis sur l’implication de certains auteurs médiévaux dans pareils choix iconographiques, tel Laurent de Premierfait pour sa traduction du »De casibus« de Boccace, conçue comme un recueil d’exempla destiné aux Valois. De fait, dans plusieurs copies, les images relient passé et présent, transposant par exemple la destruction de Jérusalem dans le Paris du XVe siècle, en une allusion polémique à la guerre civile française.
Dans le dernier chapitre, l’auteur interroge la notion de lieu, à la fois générateur d’identité pour ses habitants et modelé par elle, l’image étant l’instrument de cette dialectique. Ainsi, dans des chroniques copiées pour les ducs de Bourgogne, les enlumineurs ont inscrit les événements historiques dans une géographie symbolique reflétant l’identité bourguignonne. Envisageant le concept de lieu comme construction mentale, Margaret Goehring analyse également le thème de la ville, perçue et décrite tour à tour comme symbole du vice, du pouvoir ou de l’ordre universel. Les images reflètent cette ambivalence, la ville apparaissant, parfois dans une même œuvre, sous une forme tantôt générique et idéalisée, tantôt fidèle à la topographie réelle. L’étude s’achève par l’examen de deux livres terriers illustrés de la fin du XIIIe siècle, où les représentations topographiques donnent à voir les intérêts des propriétaires dans un contexte d’évolution socio­économique.
Foisonnant d’exemples et de références variés, cette monographie s’appuie cependant sur une historiographie et une bibliographie très majoritairement anglo­saxonnes. Elles pourront être complétées avec profit par l’article d’Hervé Brunon consacré à l’essor artistique et la fabrique culturelle du paysage à la Renaissance6.
Hervé Brunon, L’essor artistique et la fabrique culturelle du paysage à la Renaissance. Réflexions à propos de recherches récentes, dans: Studiolo. Revue d’histoire de l’art de l’Académie de France à Rome (2006), p. 261–
290.
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