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DIRIGER PAR L’EXEMPLE DIRIGER PAR L’EXEMPLE CE QUE NOUS ONT DIT 50 CANADIENS ÉMINENTS AU SUJET DE LA FONCTION PUBLIQUE FÉDÉRALE ET DES RAISONS POUR LESQUELLES LE LEADERSHIP COMPTE Septembre 2007 Ian Green André Côté LE FORUM DES POLITIQUES PUBLIQUES Le Forum des politiques publiques est un organisme indépendant sans but lucratif qui se consacre à l’amélioration de la qualité de la gouvernance au Canada par le biais d’un meilleur dialogue entre les secteurs public, privé et bénévole. Les membres du Forum, issus du milieu des affaires, des gouvernements fédéral et provinciaux, du secteur bénévole et du milieu syndical, partagent la conviction qu’une fonction publique efficiente et efficace est un atout majeur pour assurer la compétitivité du Canada à l’étranger et une bonne qualité de vie pour ses habitants. Fondé en 1987, le Forum s’est forgé une réputation de facilitateur impartial et de confiance, capable de rassembler un large éventail d’intervenants pour un dialogue fructueux. Ses programmes de recherche fournissent une base objective qui oriente la prise de décisions collective. En contribuant à un échange accru d’information et à des liens plus étroits entre le gouvernement et les autres secteurs, le Forum aide à faire en sorte que les politiques publiques de notre pays soient dynamiques, coordonnées et adaptées pour relever les défis et saisir les occasions qui se présenteront. Forum des politiques publiques 130, rue Albert, pièce 1405 Ottawa (Ontario) K1P 5G4 Tél. : (613) 238-7160 Téléc. : (613) 238-7990 www.forumpp.ca AU SUJET DES AUTEURS Le présent rapport a été préparé par André Côté, associé à la recherche, et Ian Green, Chaire sur la gouvernance dans la fonction publique du Forum des politiques publiques, avec le soutien logistique de Shelley Clark, adjointe exécutive auprès de la présidente, et Julia Oliveira, adjointe aux projets. Ce rapport vise à refléter les opinions exprimées lors d’une série d’entretiens avec 50 Canadiens éminents. Les auteurs sont seuls responsables de la structure du rapport et du choix des questions qui y sont abordées. 1 TABLE DES MATIÈRES Le Forum des politiques publiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 Points saillants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Les rapports entre politiciens et bureaucrates : Et l’amour dans tout ça? . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Les rapports entre la fonction publique et les citoyens et intervenants : Gouvernement, m’entendez-vous? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Un leadership de qualité : un ingrédient essentiel de la réussite. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 L’impact organisationnel du leadership. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Annexe 1 – Liste des participants. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 2 POINTS SAILLANTS L’importance de rapports fructueux – la nécessité d’un excellent leadership – l’impact du leadership sur la culture organisationnelle et le bien-être en milieu de travail : Ces défis et enjeux associés au leadership ont été abordés à plusieurs reprises lors de nos conversations avec 50 éminents Canadiens. Si les dirigeants que nous avons interviewés ont exprimé des opinions très variées, certaines grandes idées ressortent : L’IMPORTANCE DE RAPPORTS FRUCTUEUX Entre les politiciens et les fonctionnaires • Les rapports entre le milieu politique et la bureaucratie sont tendus et souffrent du manque de confiance et de respect mutuel. • Le renouveau de la fonction publique ne sera pas possible sans leadership politique, ni sans l’attention et le soutien du premier ministre. • Le système actuel, de plus en plus partisan – au sein du Parlement mais aussi au niveau des partis politiques –, n’a pas évolué pour s’adapter aux conditions du 21e siècle et risque de ce fait de se retrouver déconnecté des Canadiens et des enjeux qui leur tiennent à coeur. Entre les fonctionnaires et les Canadiens • De mauvais rapports – entre les fonctionnaires et les citoyens, ou encore entre les fonctionnaires d’Ottawa et ceux des régions ou « en première ligne » – contribuent à rendre moins efficaces et efficientes la mise en oeuvre des programmes et la prestation de services. Le recul de la confiance résulte en une tendance croissante des entreprises et des secteurs communautaire et à but non lucratif à minimiser leurs rapports avec le gouvernement. • Pour ce qui est de bâtir des relations, les fonctionnaires n’ont pas encore trouvé de moyens de rester en contact permanent avec divers protagonistes sur la scène canadienne des politiques et d’obtenir leur participation et ils ont rarement recours à des processus véritablement collaboratifs et consultatifs. • La résolution de problèmes de politiques complexes passe par des solutions novatrices. Des réformes des mécanismes, des modifications des systèmes de financement et d’autres cadres de responsabilisation ne suffiront pas à donner naissance à une nouvelle façon de travailler – il faut transformer le mode de fonctionnement de la fonction publique et les rapports des fonctionnaires entre eux, avec les citoyens et avec les politiciens. LE BESOIN D’UN EXCELLENT LEADERSHIP • Les compétences et aptitudes fondamentales des hauts fonctionnaires en matière d’administration et de politiques doivent être renforcées. • L’exercice du leadership a été rendu plus difficile par la complexité croissante des postes de haut niveau dans la fonction publique, ce qui fait ressortir l’importance de « connaître son affaire ». Trop peu de mandarins peuvent être considérés comme des experts dans leur domaine. Le résultat est une réticence excessive à prendre des risques et un manque de courage qui se manifeste comme une hésitation à dire la vérité aux puissants. 3 • On ne peut trop insister sur l’importance de leaders qui joignent le geste à la parole; certains se demandent si les agissements et le comportement des hauts fonctionnaires actuels reflètent bien les valeurs de la fonction publique. Ne pas faire ce que l’on prêche a des conséquences graves sur le rendement organisationnel ainsi que sur la capacité à recruter et retenir le personnel. • La mobilité entre les secteurs public et privé, si elle a ses avantages et ses inconvénients, peut cependant être intéressante dans les échelons supérieurs, à condition qu’elle soit bien gérée. L’IMPACT DU LEADERSHIP SUR LA CULTURE ORGANISATIONNELLE ET LE BIEN-ÊTRE EN MILIEU DE TRAVAIL • Le leadership, ou son absence, affecte la culture d’une organisation. Une culture de la fonction publique embourbée dans la conformité, le blâme, les règles, la hiérarchie, une confiance déclinante de la part du public et une « mentalité d’Ottawa » a besoin d’un leadership vigoureux et partagé. • Une culture organisationnelle qui fait passer en premier des règles et une discipline excessives irritera vraisemblablement les employés plus jeunes, détruisant leur motivation et les précipitant vers d’autres secteurs. • La dynamique actuelle de la responsabilité – exacerbée par la Loi fédérale sur la responsabilité – empêche les fonctionnaires d’innover, de travailler de façon efficace, de bâtir des rapports, de tendre la main aux Canadiens et d’attirer des gens de talent pour l’avenir. • Malgré la prépondérance des « instruments » de mesure, la fonction publique continue à avoir de grosses difficultés lorsqu’il s’agit d’évaluer le rendement organisationnel et individuel et de rendre compte des résultats valables. • Le roulement rapide des hauts dirigeants de la fonction publique a un effet déstabilisant sur l’institution, nuisant à l’engagement et créant des frustrations dans les autres secteurs. • Si l’appareil et la structure ne seront vraisemblablement jamais des garanties suffisantes de bon rendement et de responsabilité – et s’ils sont moins importants que la culture de l’organisation – ils peuvent cependant empêcher ou limiter les incidences souhaitables. De ce point de vue, il faudra des modèles organisationnels différents, une décentralisation ou des changements culturels, si l’on veut donner aux hauts dirigeants plus d’autonomie et de clarté en matière de responsabilité. 4 INTRODUCTION Le Forum des politiques publiques a été fondé in 1987, pour une large part par des dirigeants du secteur privé qui avaient commencé leur carrière au gouvernement. Ils étaient convaincus qu’une fonction publique bien gérée et ouverte sur le monde est essentielle pour la prospérité sociale et économique du Canada – en particulier pour notre capacité d’être concurrentiels dans un monde en évolution et de faire face au défi de la mondialisation, un phénomène nouveau à l’époque. Depuis, le Forum n’a cessé de travailler à développer des relations fructueuses entre les secteurs public, privé et bénévole. Nous avons aussi milité énergiquement pour des changements dans la manière dont la fonction publique est organisée et gérée dans le but d’améliorer l’élaboration des politiques et la prestation des services. Le souci de nos fondateurs n’a en rien perdu de sa pertinence de nos jours. La fonction publique fédérale demeure le principal instrument à la disposition des gouvernements pour faire leur travail. Cette institution étant d’une importance vitale, sa performance continue d’être un facteur clé pour la promotion de l’inclusivité, la sauvegarde de notre prospérité et le renforcement de notre sécurité et de notre protection. En même temps, beaucoup se demandent si la culture et les pratiques de la fonction publique actuelle conviendront pour gérer les affaires de la nation dans le contexte des nouveaux défis allant de pair avec l’évolution démographique, les progrès technologiques et les changements dans l’économie mondiale. C’est dans ce contexte que le Forum des politiques publiques a lancé La fonction publique du Canada au 21e siècle. Le projet permettra de cerner des mesures qui feront de ces défis des occasions à saisir et bâtiront une fonction publique pour laquelle le changement continu est une source de vigueur et qui fournit en même temps des services hors pair aux élus et aux Canadiens en général. Le document de travail dans lequel sont exposés les grands axes de cette initiative se trouve sur le site Web du Forum des politiques publiques à www.forumpp.ca. 5 L’ENQUÊTE AUPRÈS DES DIRIGEANTS – MÉTHODOLOGIE Le présent rapport a pour base une série d’entrevues réalisées entre avril et juin 2007 avec 50 Canadiens éminents. Les entrevues ont été menées par Ian Green et André Côté, en personne ou par téléphone, et chacune a duré environ une heure. Elles étaient plus ou moins organisées autour d’une série de questions préalablement communiquées aux personnes interviewées. Avec l’accord de ces dernières, les entrevues ont été enregistrées pour permettre la plus grande exactitude possible. Dans le but d’assurer une franchise et une honnêteté totales, il avait été convenu à l’avance que les auteurs des citations et déclarations utilisées dans le rapport ne seraient pas cités. Questions pour l’entrevue 1. Compte tenu des défis et possibilités auxquels font face les organisations – l’évolution démographique, les plus grandes exigences en matière de responsabilité et de transparence, la mondialisation et les nouvelles technologies, par exemple – quelles seront à l’avenir les caractéristiques d’une fonction publique efficace et qui marche bien, à votre avis? 2. Plus l’environnement est complexe, plus le leadership est important. Selon vous, quelles sont, et quelles seront, les compétences et approches les plus importantes pour les dirigeants dans la fonction publique et dans les autres organisations? 3. En général, et dans le contexte de la fonction publique, quels obstacles les organisations et les dirigeants rencontrent-ils lorsqu’ils essayent de s’adapter aux défis dont nous venons de parler? 4. En tant que dirigeant, que feriez-vous pour contourner ces obstacles et aider l’organisation à s’adapter afin qu’elle puisse relever les défis futurs? Les participants Les 50 participants à l’enquête ont été sélectionnés de façon à avoir un ensemble représentatif de chefs de file des divers secteurs et des différentes régions du pays. Le groupe est donc composé de quinze sous-ministres fédéraux en poste et à la retraite ou occupant un poste équivalent; sept fonctionnaires de cinq gouvernements provinciaux; neuf dirigeants du secteur privé; six personnalités éminentes du milieu politique, en activité ou à la retraite, affiliés à quatre partis politiques fédéraux; cinq universitaires; sept dirigeants d’ONG; et un représentant des médias. 6 LES RAPPORTS ENTRE POLITICIENS ET BUREAUCRATES : ET L’AMOUR DANS TOUT ÇA? LES RELATIONS ENTRE LES POLITICIENS ET LES FONCTIONNAIRES Plusieurs répondants ont discuté de la dynamique complexe existant entre la fonction publique d’une part et le premier ministre, les ministres, le personnel des ministres et le Parlement d’autre part. Selon de nombreux répondants, les rapports entre les politiciens et les bureaucrates sont de plus en plus tendus, les haut fonctionnaires ne recevant pas suffisamment de soutien des politiciens et les aides ministériels se concentrant de plus en plus sur les politiques, en dépit de leur manque de compétence et de leur relation médiocre, voire inexistante, avec les fonctionnaires. Beaucoup sont d’avis « Les fonctionnaires doivent discuter avec les politiciens de ce que les politiciens n’ont pas suffisamment réfléchi avant de mettre en place les mécanismes de reddition de comptes actuels, qui est dans l’intérêt public et ce ceux-ci ayant limité la capacité de la fonction publique d’agir et qui ne l’est pas…Tous les ministres donné au public l’impression que les fonctionnaires sont à la fois dignes de ce nom appréciaient stupides et corrompus. ce genre de débat. Quand à ceux qui ne les appréciaient D’autres répondants affirment que les fonctionnaires n’ont pas pas... ils ne duraient pas rempli leurs obligations non plus. À commencer par la relation longtemps parce qu’ils n’avaient entre le sous-ministre et le ministre, les fonctionnaires établissent aucun avenir comme ministres. » un climat de confiance et de respect en apportant des conseils et un soutien de qualité pour faire avancer le programme d’action du gouvernement. La perception est que, ces dernières années, les fonctionnaires ont été moins enclins à proposer des idées susceptibles de contribuer au plan d’action du gouvernement. Ils ont en outre été accusés de mal expliquer les choses aux politiciens, soit par excès de lenteur, soit par manque de clarté ou encore parce qu’ils ignorent les objectifs du gouvernement. Qui plus est, le fait que les hauts fonctionnaires soient prêts à envoyer des subalternes devant les comités parlementaires – une tâche traditionnellement réservée aux sous-ministres et aux sous-ministres adjoints – témoigne, pour citer une personne interviewée, d’une « diminution du respect pour les élus et, en fait, pour l’institution ». Allant plus loin, des répondants avancent que les fonctionnaires, dans leurs rapports avec les politiciens, sont moins prêts à défendre l’intérêt public et à dire la vérité à ceux qui sont au pouvoir. C’est évidemment difficile si les gouvernements sont eux-mêmes moins disposés à écouter, mais certains disent avoir vu peu de signes d’un débat honnête ou de bureaucrates confrontant des politiciens quant à ce qui est, ou n’est pas, dans l’intérêt public. Pour améliorer les rapports entre les fonctionnaires et les politiciens, il faut commencer par accroître le respect mutuel : « Sans amour, une relation ne peut pas marcher ». Pour paraphraser les propos d’un répondant, si les gens sont traités avec respect et pris au sérieux, un rapport peut s’établir et la relation deviendra plus forte. En résumé, les comités parlementaires deviendront une meilleure expérience si les fonctionnaires mettent cartes sur table et montrent que le respect est forcément mutuel. Le premier ministre, le greffier du Conseil privé et les autres hauts fonctionnaires doivent être conscients qu’il est important de promouvoir des relations saines entre les sous-ministres et les ministres. Comme l’a découvert un fonctionnaire provincial dans son expérience personnelle, l’équation est très simple : de bons rapports = de meilleures politiques et un plus grand contrôle; de mauvaises relations = de mauvaises politiques, moins de contrôle et parfois carrément la guerre. 7 LE BESOIN DE LEADERSHIP POLITIQUE De l’avis de beaucoup de répondants, le renouveau de la « Une bonne fonction publique fonction publique ne sera pas possible sans le leadership, la est le fruit d’un bon leadership compréhension et le soutien des politiciens – ce qui se passe actuellement en Colombie-Britannique le démontre bien. La politique, et non l’inverse… Il est fonction publique de cette province a mis au point un certain absolument essentiel qu’il y ait nombre d’initiatives pour assurer la relève dans la fonction une bonne compréhension et un publique et renouveler les processus de recrutement, des efforts soutien au niveau politique. » qui ont reçu un appui politique sans précédent ces dernières années. Les politiciens ont été d’accord pour laisser à la fonction publique un contrôle considérable sur ces initiatives et ont même permis aux fonctionnaires, dans certains cas, de les annoncer publiquement. D’après un dirigeant, « cela n’aurait pas été possible si le Cabinet n’avait pas pris le temps de se mettre au courant des défis ». Des relations solides basées sur la collaboration et la confiance entre les politiciens et les bureaucrates bénéficient aux deux groupes. Une personne interviewée évoque le pouvoir de la fonction publique de « multiplier la force » des élus lorsqu’elle jouit d’un appui politique. « Quand un gouvernement arrive à se relaxer face à la fonction publique, en lui faisant suffisamment confiance, celle-ci peut devenir comme une machine bien huilée qui est précieuse pour faire avancer les choses. » Pour les ministres, l’importance d’avoir des fonctionnaires compétents devient manifeste quand on sait que cela résulte en de bons rapports, des conseils judicieux et une mise en application efficace des politiques. Le problème à Ottawa, suggère ce répondant, est que le gouvernement n’a pas su, ou pas voulu, communiquer son plan d’action aux fonctionnaires et le niveau de confiance a été insuffisant ces dernières années. 8 Le sentiment de beaucoup des personnes interviewées, cependant, est que le gouvernement actuel s’est intéressé de près aux questions concernant la fonction publique. Certains font remarquer que peu de gouvernements, ces derniers temps, se sont autant occupés du dossier de la fonction publique que le gouvernement Harper, donnant son aval au programme de renouvellement du Greffier et créant un groupe de travail, votant des lois sur l’imputabilité et appuyant les travaux du Groupe d’experts indépendant sur les programmes de subventions et de contributions. Il faut néanmoins une volonté politique significative si l’on veut que les recommandations soient suivies de mesures concrètes. Les relations entre les politiciens et la fonction publique se sont par ailleurs détériorées. Les efforts pour contourner la bureaucratie et ne pas partager l’information ont augmenté et les politiciens semblent moins disposés à accepter les conseils des fonctionnaires. Certains ont aussi été victimes de la diminution du décorum au Parlement, en particulier dans les réunions des comités. Selon certains des leaders interviewés, ce sera au premier ministre de veiller à ce que des mesures soient prises pour accroître la collégialité et la coopération entre les diverses branches du gouvernement. Le plus important pour les dirigeants politiques sera de renouer avec le concept de gouvernement et le rôle qu’il joue pour le bien de la société. Les représentants de tous les secteurs s’entendent pour dire que le gouvernement n’est plus perçu comme le principal instrument pour déterminer la place du pays et soutenir la société civile, comme c’était le cas dans le Canada d’après la Deuxième guerre mondiale. Céder un peu de cette place aux autres secteurs n’a en aucune façon été négatif. En fait, cela contribue à un meilleur gouvernement et enrichit le pays de multiples façons. Néanmoins, avoir un gouvernement efficace n’est pas moins important qu’il y a 50 ans. Il se pourrait même que cela soit plus important aujourd’hui, à notre époque où le gouvernement doit créer l’environnement qui contribuera à la prospérité et à la stabilité sociale d’un pays aux prises avec les forces de la mondialisation. UN SYSTÈME POLITIQUE SUR LE DÉCLIN Le Parlement, pour citer un répondant, est un « cirque médiatique ». Il semble à certains que les politiciens continuent d’être motivés pour une large part par les nouvelles et les coupures de presse du matin. Mais, avec des nouvelles qui circulent de plus en plus vite et des citoyens qui attendent et reçoivent de grands volumes d’information, il devient de plus en plus difficile pour les politiciens de faire passer les « Notre fonction publique plus messages qu’ils souhaitent au public. De l’avis de certains, cet ou moins en phase de moderniéchec est symptomatique d’un système politique qui n’a pas su sation et notre système politique s’adapter à la société du 21e siècle. fossilisé sont de plus en plus mal assortis. [] La fonction publique est aux urgences pour le moment, mais... les partis politiques, eux... sont bel et bien à la morgue. » Le rôle et l’état de santé des partis politiques sont considérés par certains comme deux des problèmes les plus graves qui affectent la politique et la gouvernance. Axés sur les élections et mus de plus en plus par la personnalité de leurs dirigeants, les partis sont perçus comme réussissant mal à regrouper les politiques, dénués de perspectives à long terme et de plus en plus coupés des enjeux qui intéressent véritablement le public. Le cynisme de la population à l’égard des élus a augmenté et ces derniers sont considérés comme étant de moins en moins pertinents. Vient s’ajouter à cette tendance le sentiment d’impuissance ressenti par les députés de l’opposition et les députés sans portefeuille du parti au gouvernement, ceux-ci se sentant souvent marginalisés et excessivement contrôlés par le conseil des ministres et le Cabinet du Premier ministre. À cause de leur mécontentement quant à l’incapacité d’apporter des changements « à l’intérieur du système », ils se font de plus en plus entendre et sont de plus en plus partisans à la Chambre des communes, lors des rencontres de comités parlementaires, et par l’entremise des médias, ce qui mène à un manque de décorum et porte entrave aux débats substantiels. Comme l’explique un dirigeant : « Il y a un monde entre ce que le public attend d’un député – qu’il soit actif et efficace – et ce que fait ce dernier en réalité. Les députés, quel que soit leur bord, sachant que le public attend d’eux qu’ils fassent quelque chose, vont faire la seule chose en leur pouvoir. Ils vont demander à quelqu’un de rendre des comptes... [Alors c’est ce qu’ils] font, avec une rigueur pas ordinaire. » Plusieurs dirigeants font observer que le système continuera à se détériorer tant que le modèle de Westminster que nous avons actuellement ne sera pas capable de donner un plus grand rôle aux parlementaires dans le processus d’élaboration des politiques. L’une des craintes exprimées par certaines des personnes interviewées est que l’approche de plus en plus partisane de la politique ne présage un désir de politiser les échelons supérieurs de la fonction publique (par le biais de la nomination des cadres supérieurs, par exemple), comme cela s’est produit dans certaines provinces. De l’avis de certains, depuis quelques années déjà, les gouvernements attendent de la fonction publique un alignement idéologique plus marqué, un peu comme dans le système du Congrès aux États-Unis. D’autres suggèrent quant à eux que les déclarations de politisation sont exagérées. « Personnellement, on ne m’a jamais demandé de changer mon avis et de le réécrire pour présenter quelque chose de plus favorable », de dire un répondant qui n’avait jamais entendu parler de situations où d’autres personnes avaient été obligées de le faire. Lorsque la politisation est suggérée, cela masque 9 souvent une réticence de la part des fonctionnaires à accepter et appuyer le programme d’action du gouvernement. Il faut bien sûr trouver un juste milieu entre s’en remettre aux décisions du gouvernement et présenter des opinions divergentes. Les fonctionnaires demeurent cependant responsables, en dernière analyse, de la mise en oeuvre du programme d’action présenté par les élus, quelles que soient leurs opinions personnelles. « Je n’aime pas l’idée d’une fonction publique qui est tellement intransigeante que le gouvernement doit changer un sous-ministre pour obtenir ce qu’il veut », fait observer un participant. Il faut se soucier davantage de ce que l’on doit faire pour s’assurer que les fonctionnaires aient les compétences nécessaires pour répondre aux besoins du gouvernement, et pour aider les politiciens à s’y retrouver dans un système complexe. Un autre problème cité est le manque de connaissances et d’expérience préalables des nouveaux élus en ce qui concerne la gouvernance et le rôle des institutions démocratiques – ce qui est encore plus compliqué en cas de gouvernements minoritaires et de roulement rapide des députés. Le Parlement fait alors office d’« école du cycle supérieur » de la politique. Mais ce manque de compréhension peut engendrer de la frustration et des soupçons de la part des bureaucrates et des élus ainsi que – on y revient – une insistance sur le sectarisme politique. Cet état de faits amène certains répondants à suggérer que ce problème ne s’estompera pas tant que les politiciens et leurs agents de dotation ne recevront pas, dès le départ, une formation sur les institutions du gouvernement et les rôles et responsabilités des divers protagonistes. Le manque de décorum à la Chambre des communes, le ressentiment entre les partis et les groupes parlementaires et le souci grandissant de tenir quelqu’un responsable – toutes ces tendances ont une incidence néfaste sur la fonction publique. Les gouvernements et les politiciens semblent moins faire confiance aux fonctionnaires. Ils semblent moins ouverts avec eux, moins réceptifs à leurs conseils et tout simplement moins respectueux à leur égard, comme en témoigne l’agressivité avec laquelle sont traités les fonctionnaires qui comparaissent devant les comités parlementaires. Pour moderniser le système politique (y compris la fonction publique), if faut absolument avoir l’attention du premier ministre et des dirigeants de tous les partis politiques, ainsi qu’un débat public plus vaste sur le rôle et la fonction du gouvernement. 10 LES RAPPORTS ENTRE LA FONCTION PUBLIQUE ET LES CITOYENS ET INTERVENANTS : GOUVERNEMENT, M’ENTENDEZ-VOUS? LA NÉCESSITÉ D’AVOIR UN DIALOGUE Ces dernières années, la fonction publique est devenue un protagoniste parmi d’autres sur la scène politique remplie à présent de lobbyistes, de groupes d’intérêt, de groupes de réflexion, d’universités, de groupes de citoyens, de membres des médias et de toutes sortes d’autres acteurs. L’innovation technologique a accéléré la circulation de l’information de façon spectaculaire, ouvrant de nouveaux horizons pour les communications et les consultations. Qu’elle soit à l’origine de ces changements ou leur résultat, la demande de la société pour une ouverture et une inclusivité accrues a elle aussi augmenté. Pour la fonction publique, ces facteurs ont engendré un contexte dans lequel on attend à présent des fonctionnaires qu’en plus de produire des idées de politiques, ils gèrent les rapports avec des groupes extérieurs, fassent la synthèse entre toute une gamme d’opinions, tout en en tirant des suggestions de politiques pour le gouvernement et en collaborant avec d’autres organismes et d’autres paliers de gouvernement pour assurer la bonne mise en oeuvre des politiques et des programmes. Les fonctionnaires n’ont pas encore complètement apprivoisé ce nouveau monde ouvert et fondé sur la collaboration, de l’avis de beaucoup des personnes interviewées. « Les fonctionnaires ne voyagent pas (et) n’ont pas de contacts avec les gens sur le terrain. (Ceci) est très dangereux car on ne peut pas concevoir des politiques depuis une tour d’ivoire. » La tendance bureaucratique qui consiste à contrôler les choses au moyen de processus fermés et complexes est pratique courante. Un répondant décrit en effet les pratiques nuisibles de certains fonctionnaires qui dressent les intervenants les uns contre les autres, justifient leur inaction en se cachant derrière un ministre, ou bloquent volontairement des mesures alors que le ministre était prêt à bouger. Le problème, pensent beaucoup, n’est pas tant le fait que les consultations sont souvent mal menées qu’un manque répandu de consultations soutenues. Du fait du manque de contacts avec les citoyens et les intervenants, les enjeux et les points de vue sont mal compris, ce qui résulte au bout du compte en des politiques qui, bien que partant d’un bon sentiment, sont mal conçues. Pour citer l’un des répondants, « vous ne pouvez pas avoir des ‘réglementations intelligentes’ quand vous avez des bureaucrates qui ne comprennent rien à rien ». Selon beaucoup des personnes interviewées, pour que de la connexion entre les fonctionnaires d’une part et la société civile et les intervenants de l’autre puisse changer, il faut que l’augmentation de la transparence et de l’ouverture soient perçues non seulement comme un moyen d’apaiser les citoyens ou les Comités parlementaires, mais comme une étape essentielle pour parvenir à une meilleure gouvernance. Cela représente un changement culturel majeur pour les fonctionnaires, car cela signifie trouver un équilibre entre la protection des renseignements personnels et les exigences en matière de divulgation, ce qui peut être difficilement compatible avec la confidentialité traditionnelle du conseil des ministres. En même temps, respecter le « droit de savoir » des citoyens peut aussi être un pas important vers le renforcement des institutions démocratiques, l’amélioration du dialogue avec le public et la participation active de ce dernier et le changement de la mentalité du public pour qu’il ne se perçoive plus comme un consommateur de services publiques mais comme un contributeur au processus d’élaboration des politiques publiques. Les autres secteurs autres devraient aussi assumer une part des responsabilités pour ce qui est de renforcer les communications et la compréhension mutuelle, estiment les répondants. Bien que les sociétés canadiennes se plaignent souvent qu’il y a trop de réglementations et de paperasserie, selon certains répondants de ce secteur, la plupart de leurs collègues ne s’intéressent pas suffisamment au gouvernement et n’essayent pas de le comprendre : « Ce sont des contraintes différentes, des points de repère différents pour mesurer la réussite, des instructions n’ayant pas 11 les mêmes objectifs et des risques différents à gérer. Nous ne communiquons pas très clairement les uns avec les autres sur ces questions. » Quand on n’est pas suffisamment au courant des contraintes qui pèsent sur les fonctionnaires – la politique, les processus démocratiques, les exigences accrues en matière d’éthique et de gestion des risques, probité fiscale, etc. – cela créé souvent des situations dans lesquelles les règles d’engagement ne sont pas claires, ce qui est source de désillusions et de désintérêt des deux côtés. APPROFONDIR LA COMPRÉHENSION Selon les dirigeants interviewés, quand les fonctionnaires connaîtront mieux les enjeux et seront plus à même de comprendre les défis rencontrés par les autres secteurs et les autres groupes, ils seront plus aptes à gérer divers types de relations. Ils doivent s’y prendre lentement et faire preuve de patience pour étendre leurs réseaux de contacts et développer leur « quotient émotionnel », afin de pouvoir apprécier pleinement les points de vue et les préoccupations des intervenants et des citoyens et les intégrer aux leurs : « Il y a beaucoup de choses que l’on pourrait rapprocher des gens, afin d’augmenter les chances qu’ils comprennent la nature des concessions et des compromis et combien il est difficile de trouver pour les problèmes des solutions qui fassent l’unanimité ». Le tout récent Groupe d’experts indépendant sur les programmes de subventions et de contributions a été cité comme un exemple de processus de consultation réussi qui a incité à la participation de diverses manières, produit un rapport très respecté et résulté en une déclaration du gouvernement à l’appui de ses conclusions. Pour ce qui est de la mise en oeuvre des programmes et de la prestation des services, les répondants déclarent que la fonction publique devait être plus prête à céder de son influence, en particulier au niveau communautaire. Pour parvenir à des rôles et à des objectifs clairement définis, il faudra avoir des cadres gouvernant les dépenses et assurant l’uniformité, la sécurité et l’équité. Mais céder de l’influence est logique, compte tenu du fait que les gens qui travaillent dans leur collectivité ont une meilleure idée de ce dont celle-ci a besoin et sont plus à même de travailler efficacement au niveau local pour parvenir à des résultats. Les personnes interviewées se plaignent beaucoup de l’imposition par Ottawa de nouvelles exigences en matière de déclaration et de responsabilité, exigences sans aucun rapport avec les situations au niveau communautaire et qui ont pour effet de gêner et frustrer des gens très capables qui travaillent au niveau local. Certains suggèrent de mettre en place plus de mécanismes de liaison pour accroître le dialogue et la collaboration et pour accroître les pouvoirs de ceux qui travaillent « sur le terrain ». 12 On fait également observer que la gestion des gens et des relations est en train de devenir la responsabilité la plus importante de ceux qui dirigent de grandes organisations. Beaucoup sont d’avis que les dirigeants doivent davantage se soucier de bâtir des réseaux sociaux et professionnels en dehors de leur organisation. Ils doivent aussi veiller à ce que leur organisation puisse travailler en collaboration ou en partenariat pour mobiliser d’autres groupes et d’autres ressources et faire de la place pour que d’autres puissent aussi participer. Il est par ailleurs crucial d’encourager une culture ouverte, créative et positive au sein de laquelle les gens ont le sentiment de pouvoir apporter quelque chose de concret. CONNECTÉE ET AXÉE SUR LES SERVICES Le fait qu’il y ait moins de connexions et de compréhension mutuelle entre la fonction publique et les Canadiens est une source d’inquiétude pour beaucoup des personnes interviewées. Et, s’il lui est devenu plus difficile ces dernières années de rester connectée avec des citoyens de plus en plus divers qui expriment de plus en plus leurs opinions, selon beaucoup de répondants, la fonction publique n’a pas fait suffisamment d’effort pour rester « branchée » sur les préoccupations des Canadiens. Certains vont jusqu’à suggérer qu’« Ottawa » doit totalement repenser ses rapports avec les différentes régions du pays et devrait envisager de déménager ailleurs certaines fonctions pour l’élaboration des politiques, voire des ministères complets, qui sont actuellement dans la région de la capitale nationale. D’autres suggèrent que la distance entre Ottawa et le reste du pays est moins géographique que psychologique. Améliorer la prestation de services est une autre priorité citée par les répondants, comme moyen de renouer avec les Canadiens. Même si les conseils stratégiques et l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques sont des aspects essentiels du rôle de la fonction publique, ce sont les services dont le public fait l’expérience et qui lui importent plus particulièrement. Des progrès ont été faits dans ce domaine mais les répondants ont quand même le sentiment que les gestionnaires de la fonction publique doivent prendre les services plus à coeur (des points d’accès centralisés et aisément accessibles, un meilleur déploiement de la technologie, des guichets uniques, etc.). « Je ne saurais insister assez sur l’importance de mettre l’accent sur l’excellence des services » est l’une des citations qui reflètent le sentiment des répondants. Le lien entre la confiance du public et la qualité des services et programmes publics revient dans beaucoup d’entrevues. Tisser des liens avec les citoyens aux points de contact par le biais de la prestation de services est extrêmement important pour établir la confiance. Il y a beaucoup à gagner à appuyer de bons services à la clientèle et à veiller à ce que les gens qui ont des contacts avec les fonctionnaires offrant les services aient une bonne expérience : les fonctionnaires ont le sentiment d’avoir une incidence positive sur la vie de leurs concitoyens tout en remplissant très efficacement le rôle d’ambassadeurs d’une fonction publique qui est perçue comme efficace et sensible aux besoins des citoyens. Il est donc crucial pour les dirigeants de la fonction publique – souvent à des milliers de kilomètres, à Ottawa – de s’intéresser activement aux enjeux auxquels sont confrontés leurs employés en première ligne tout en fournissant à ces derniers le contexte dans lequel les services et les programmes sont administrés. On nous a cependant dit que la perception qu’a le public du « service » est à revoir. D’après un répondant, « ce que voient les entreprises dans leur grande majorité, c’est une paperasserie excessive et des fonctionnaires surpayés ». Certains maintiennent que, du fait que la prestation des services du secteur publique a lieu dans un cadre monopolistique où les pressions pour économiser sont moindres, il n’y pas d’incitation à satisfaire le client. « Si le public peut obtenir rapidement une réponse de Walmart, il y a intérêt à ce qu’il puisse aussi en obtenir une rapidement du gouvernement. » Beaucoup des personnes consultées pour l’enquête sont d’avis que la fonction publique fait un bon travail en ce qui concerne la prestation des programmes et services aux Canadiens. « Mon opinion est que le Canada s’en tire aussi bien que (n’importe quel autre pays pour la prestation de services) et peut-être même mieux – si vous mettez les choses en perspective. » D’autres font observer que le défi est de passer à une prestation de services intégrée, et que les paramètres sont assez bons en ce qui concerne la prestation des services. On reconnaît que les hauts fonctionnaires comprennent qu’il est nécessaire d’offrir un éventail de services intégrés et axés sur les citoyens et que les « premières lignes » doivent avoir des outils pour réussir. La création de Service Canada est considérée comme un important pas en avant, tant pour l’intégration que pour l’amélioration de la prestation des services au public. Renouer avec les Canadiens signifie aussi, pour la fonction publique, devenir plus représentative du visage du Canada. Une fonction publique plus diversifiée résulterait en un éventail de points de vue qui influeraient sur le processus d’élaboration des politiques, la prise de décisions plus pertinentes, et une prestation de services plus adaptée aux besoins de toutes sortes de Canadiens. De l’avis de certains, la notion de diversité devrait en outre être élargie pour décrire une main d’oeuvre plus inclusive à l’égard des minorités, des immigrants, des Autochtones et des personnes handicapées et plus représentative des Canadiens des diverses régions du pays, des différents groupes d’âge et de toute la gamme des compétences et des niveaux d’éducation. Nombre de personnes interviewées suggèrent que la fonction publique doit devenir de plus en plus agile pour répondre aux nouvelles demandes des citoyens, aux priorités changeantes des élus et à l’évolution du monde autour d’elle. On trouve parmi les organisations des autres secteurs 13 des exemples de ce type d’agilité – la rapidité des décisions est la norme, contrairement à une fonction publique décrite par un répondant comme « un mécanisme lourd », caractérisée par sa rigidité, son introversion, sa hiérarchie et son incapacité a agir rapidement et efficacement. Est revenue en leitmotiv l’idée que la fonction publique doit élaborer des structures et des approches propices à la rapidité et à l’agilité, permettant aux innovateurs de travailler ensemble pour développer de grandes idées, aidant à élaborer des solutions et favorisant une exécution rapide. Pour la fonction publique, cela signifie être davantage tournée vers l’avenir et plus courageuse dans les avis qu’elle soumet, mieux mettre en oeuvre les politiques et améliorer la prestation des programmes. « Le secteur privé dépend de Cela veut aussi dire que les fonctionnaires, à tous les niveaux, plus en plus du gouvernement et doivent faire preuve de plus d’initiative pour ce qui est de forger de sa capacité à lui emboîter le des coalitions entre institutions du secteur publique et avec des organismes et des intervenants de l’extérieur. Pour ce faire, la pas, à prendre des décisions fonction publique devra mieux intégrer la prestation des services, rapidement et à intervenir, parce l’élaboration des politiques, la gestion des ressources humaines que les autres gouvernements et les autres fonctions organisationnelles pour faire en sorte sont en train de comprendre qu’elles se soutiennent mutuellement. qu’ils doivent bouger vite s’ils De plus en plus de Canadiens ont recours à des approches moins veulent que leur secteur privé traditionnelles pour résoudre les problèmes, rapportent aussi les maintienne leur compétitivité répondants. Pour citer l’un d’entre eux, il y a eu un « recul de la dans le monde. » croyance ou de la perception qu’il est toujours possible d’atteindre les objectifs publics par le biais des institutions (comme la fonction publique, les grandes entreprises, les groupes religieux, les médias, etc.) ». Un certain nombre des personnes interviewées font écho à cette opinion et se disent de plus en plus frustrées par leurs rapports de travail avec le gouvernement – par les consultations et les négociations sans fin, les processus excessivement bureaucratisés, et les résultats peu satisfaisants – et de plus en plus prêtes à adopter des approches animées de l’esprit d’entreprise qui n’incluent pas le gouvernement. Les dirigeants de tous les secteurs s’entendent pour dire que cette tendance à se dissocier du gouvernement a une incidence néfaste sur la fonction publique. Au-delà de la nécessité de dépasser le fonctionnement cloisonné jusqu’à maintenant caractéristique de la fonction publique, il y a toutes sortes d’enjeux complexes auxquels le gouvernement est confronté de nos jours, à qui nécessitent des solutions pangouvernementales, intersectorielles et internationales, et qui passent par les partenariats et la collaboration. 14 Décrite comme un leadership inter-entreprises, cette nouvelle façon de procéder requiert, selon les répondants, un changement radical de la manière dont les organisations fonctionnent et dont elles conçoivent les défis qu’elles rencontrent. Le gouvernement doit être un participant dynamique qui collabore, joue un rôle de facilitateur et renforce l’autonomie des autres intervenants. Par extension, la fonction publique doit être davantage encline à solliciter des avis extérieurs et à les écouter. Des réformes des schémas de financement et des cadres de responsabilisation ne suffiront pas à faire entrer cette nouvelle façon de procéder dans les moeurs. Elle nécessite une transformation fondamentale de la manière dont les institutions publiques fonctionnent. Il faut que les fonctionnaires soient plus branchés sur le monde extérieur et plus capables d’identifier et de comprendre les tendances politiques, sociales et économiques. Pour cela, il est nécessaire de rassembler de l’information et de savoir anticiper et prévoir. Il faut aussi être prêt à aller délibérément chercher en dehors de l’institution un éventail de points de vue. Beaucoup s’entendent pour dire que le gouvernement doit être prêt à céder de l’information et des pouvoirs aux intervenants aux niveaux local et communautaire et à reconnaître que la fonction publique n’est pas toujours la mieux placée pour mettre en oeuvre des solutions qui reflètent les réalités distinctes qui sont celles des Canadiens dans les différentes régions du pays. UN LEADERSHIP DE QUALITÉ : UN INGRÉDIENT ESSENTIEL DE LA RÉUSSITE ÉVALUER LES FONCTIONNAIRES D’AUJOURD’HUI Le leadership dans la fonction publique est un thème central de notre enquête. Prises dans leur ensemble, les réponses présentent des opinions diverses sur les forces et les faiblesses des hauts fonctionnaires fédéraux. Pour ce qui est de leurs faiblesses, certains disent qu’il y a eu une érosion des compétences et capacités fondamentales des hauts dirigeants ces dernières années, y compris une détérioration de leurs compétences administratives et de leur capacité d’arriver à des options stratégiques et de les « Sans leadership, vous n’y présenter aux ministres. arriverez pas. » Certains leaders attribuent cette détérioration à un ensemble de facteurs, parmi lesquels l’idée que l’on attend des mandarins qu’ils soient des spécialistes des processus – capables de faire avancer les dossiers dans les méandres de la bureaucratie – plutôt que des spécialistes des politiques. Ils évoquent également dans ce contexte l’aversion aux risques et certains parlent de la tendance des hauts dirigeants à ne pas vouloir promouvoir de grandes idées audacieuses ou à remettre en question les mauvaises idées. L’un des répondants déclare sans ambages que les grandes idées comme le libre-échange nordaméricain ne font tout simplement plus partie de la fonction publique d’aujourd’hui. Il semble en effet qu’il y ait « une absence d’idées et une absence de capacité à remettre en question les idées stupides. » Ce rejet du risque se manifeste également par une incapacité croissante à soutenir ou défendre les collègues qui font des erreurs ou qui créent des remous en disant la vérité à ceux qui sont au pouvoir. D’autres suggèrent en outre que l’institution est menacée par des leaders qui intimident intentionnellement leur personnel ou le maltraitent et qui gardent jalousement l’information pour eux-mêmes. De l’avis de beaucoup, il n’y aura pas de leadership courageux dans une organisation si celui-ci ne bénéficie pas du soutien des plus hautes sphères. D’autres répondants ont une opinion plus positive du leadership dans la fonction publique. Pour beaucoup, au sein de notre société qui se caractérise par une vitesse, une complexité et une transparence de plus en plus grandes, l’exercice du leadership dans la fonction publique devient plus difficile. Et, s’il est toujours possible de faire mieux, certains ont le sentiment que les leaders actuels se débrouillent admirablement bien et n’ont rien perdu de leur compétence et de leur détermination. En fait, un certain nombre des personnes interviewées félicitent explicitement la cohorte actuelle de dirigeants pour son niveau d’éducation, sa compétence et sa capacité à s’attaquer à des questions complexes. LA NATURE CHANGEANTE DU LEADERSHIP : LE « LEADERSHIP PAR L’INFLUENCE » Beaucoup s’entendent pour dire que, avec les nouvelles conditions de travail, la dynamique du leadership devient plus complexe dans les grandes organisations. Les enjeux gagnant en complexité, il devient plus important de bien connaître les domaines de politiques concernés. « Il faut connaître votre travail pour pouvoir bien le faire », de déclarer un répondant du milieu des affaires. Pour gérer de grandes organisations, il faut des gens qui ont un point de vue mondial et comprennent comment les enjeux sont reliés entre eux. Cela veut dire que, plus que jamais, un bon leader est quelqu’un qui « combine de bonnes capacités intellectuelles et les compétences essentielles en leadership ». Il demeure extrêmement important pour les leaders d’avoir de bons principes moraux, d’être prêts à prendre des risques 15 et à innover, d’être bons gestionnaires et de savoir bâtir de solides relations de travail. Les compétences techniques et de gestion dans des domaines comme les ressources humaines et la gestion financière restent également essentielles. Parmi les compétences moins traditionnelles des leaders, on cite leur capacité de s’adapter aux nouvelles technologies et de comprendre leurs effets sur la rapidité des communications, la prise de décisions et la gestion de l’information. Beaucoup des personnes interviewées pensent cependant que les dirigeants d’organisations n’ont pas besoin d’avoir toutes ces compétences eux-mêmes : « ce que doit faire un bon leader, c’est prendre conscience qu’il doit embaucher des gens avec les bonnes compétences, il n’a pas besoin de les avoir toutes personnellement ». Le défi pour eux consiste à mettre sur pied une équipe de direction qui, ensemble, a la gamme des capacités requises. « Être tourné vers l’action » est un autre élément critique cité pour un leadership vigoureux. Ne pas hésiter à prendre des décisions difficiles sans essayer de les éviter ou de s’en décharger sur autrui est un autre trait caractéristique des bons leaders. Pour dire les choses simplement, les bons leaders sont « des gens qui veulent trouver des solutions et pas seulement tricoter avec la rondelle ». Dans le contexte de la fonction publique, il faut du courage pour faire avancer les grandes idées et dire la vérité aux puissants, font observer plusieurs répondants. Bref, la fonction publique « a besoin de plus de gens d’action ». Les dirigeants doivent savoir bien communiquer pour pouvoir recruter, former et motiver une main d’oeuvre diverse. Ils doivent aussi être prêts à se consacrer à la communication continue du programme d’action dans son ensemble dans toute l’organisation tout en permettant et en encourageant une rétroaction continue. À tous les niveaux, le personnel doit connaître et appuyer les objectifs de l’organisation. LEADERSHIP ET VALEURS 16 Nombreuses sont les personnes interviewées à nous dire que ces « Il faut qu’ils retrouvent leur dernières décennies ont vu le déclin des valeurs et de l’engagement coup de main. » dans les échelons supérieurs de la fonction publique. Certaines pensent que les sous-ministres sont moins efficaces dans leurs fonctions que leurs prédécesseurs et qu’ils ne joignent pas le geste à la parole. Et si les valeurs exprimées dans le rapport préparé par John Tait il y a dix ans sur les valeurs et l’éthique dans la fonction publique continuent à être appropriées, des pratiques néfastes – comme la promotion de mauvais gestionnaires ou des pratiques douteuses en matière d’hospitalité, l’incapacité à se montrer décisif en plus du rejet du risque – ont laissé beaucoup de fonctionnaires avec le sentiment que le comportement de leurs leaders ne reflète pas les valeurs qu’ils soutiennent. D’autres attribuent le déclin à l’ « externalisation » de la responsabilité individuelle, pour citer un répondant. Avec la prolifération des cadres d’éthique et des personnes chargées de contrôler la conformité – conseillers en éthique, dénonciateurs, le vérificateur général et d’autres « chiens de garde » institutionnels – les dirigeants ne se sentent plus tenus d’écouter leur sens moral. D’un autre côté, d’autres répondants affirment que les valeurs et l’engagement des dirigeants de la fonction publique n’ont pas du tout diminué. « Je ne crois pas que (les hauts fonctionnaires aient perdu leur) sens moral du tout. Ce qui s’est passé, je pense, c’est que nous avons des incidents isolés qui ont été présentés de façon à donner l’impression que le problème est systématique ». Un gouvernement plus grand, plus rapide et plus complexe signifie aussi une plus grande ambiguïté pour les fonctionnaires. Il est devenu beaucoup plus difficile de veiller à la rigueur, à la diligence et à la probité tout en encourageant l’exploitation des occasions qui se présentent, l’innovation et la qualité dans les programmes et services. Les valeurs de la fonction publique sont essentielles mais le défi constant pour les dirigeants est de s’assurer qu’elles conservent leur pertinence par rapport aux enjeux et préoccupations actuels. La notion que la fonction publique doit être un organisme fondé sur les valeurs pour pouvoir remplir sa mission auprès des Canadiens et attirer des gens compétents fait la quasi unanimité. De plus en plus de gens veulent travailler pour des organisations et des employeurs qui partagent leurs valeurs. Pour les dirigeants, il devient de plus en plus important d’adopter les valeurs de l’organisation – les risques, les conséquences et le prix à payer s’ils ne le font pas (recrutement, maintien en poste, satisfaction des employés, productivité, etc.) sont tout simplement trop grands. Pour reprendre les propos d’un répondant, « je pense que, aujourd’hui, on comprend bien mieux qu’il y a une dizaine d’années que la question des valeurs est extrêmement importante, non seulement en termes de la performance de l’institution, mais aussi de sa capacité d’attirer et de retenir les gens dont elle a besoin pour bien fonctionner. » LA FONCTION PUBLIQUE ET LA MOBILITÉ « Le plus grand talent que nous ayons eu a été dans la fonction publique. Il fallait juste que nous prenions le temps de le mettre en valeur. En même temps, beaucoup de gens du secteur privé ne pourraient pas gravir les échelons de la bureaucratie. » La majorité des répondants s’entend pour dire qu’une plus grande mobilité entre les secteurs contribuerait énormément au leadership dans la fonction publique, en aidant les fonctionnaires à développer leurs relations de travail et leurs réseaux de contacts institutionnels. Elle permettrait en outre de diversifier l’expérience des dirigeants et d’exposer les fonctionnaires à la multitude de défis organisationnels et stratégiques auxquels sont confrontés les autres organismes. Un cheminement de carrière incluant des postes dans d’autres secteurs pourrait aussi aider à attirer et à retenir des gens de valeur et motivés qui voient les changements de carrière latéraux à l’extérieur de l’organisation comme un moyen d’acquérir des compétences et de s’attaquer à de nouveaux défis. On parviendra à une plus grande mobilité, selon certains, au moyen d’échanges entre les secteurs privé, publique et sans but lucratif (avec des programmes d’échange de deux ou trois ans). Est citée parmi les mesures importantes pour supprimer certains des obstacles systémiques à la mobilité l’introduction de pensions et autres avantages sociaux transférables. Par ailleurs, les personnes qui arrivent dans la fonction publique d’autres secteurs ont besoin d’occasions de mentorat et de réseautage pour les aider à comprendre cette nouvelle culture organisationnelle unique en son genre et s’y retrouver dans ses méandres. Enfin, des répondants font observer que l’on a absolument besoin de l’appui du premier ministre pour confirmer l’importance des échanges entre les secteurs. Certaines des personnes interviewées sont moins enthousiastes au sujet de la mobilité entre secteurs. En règle générale, disent-elles, les personnes arrivant d’autres secteurs (en particulier les cadres du secteur privé) ne sont pas parvenues à faire la transition et ce pour diverses raisons dont leur mauvaise compréhension du système et de ses contraintes, leur difficulté à s’adapter à la culture du secteur public et le manque de réseaux de contacts susceptibles de leur offrir soutien et conseils. Il s’est avéré difficile d’identifier les personnes pouvant s’adapter et d’attirer des gens d’affaires – les niveaux de rémunération plus bas de la fonction publique étant un facteur important. Comme l’explique une personne interviewée, « les gens souffrent parfois à cause des échanges, certains découvrant en revenant d’un échange qu’ils ont été abandonnés. C’est bien beau d’avoir un système poreux mais il faut qu’il soit bien géré et rien ne prouve qu’il l’ait été jusqu’à présent. » 17 Les employés qui arrivent dans la fonction publique en provenance d’universités, d’autres paliers de gouvernement ou d’autres organismes du secteur public s’adaptent souvent mieux. Par ailleurs, la mobilité marche souvent mieux dans les postes axés sur les services, où la réussite dépend davantage de principes de gestion plus largement répandus. Si ceux qui passent du secteur public à dans un autre secteur s’en sortent généralement assez bien, beaucoup ont cependant rencontré des difficultés à leur retour dans la fonction publique, l’expérience acquise « à l’extérieur » ne semblant pas, d’après eux, appréciée à sa juste valeur. Indépendamment de la valeur accordée à l’expérience acquise en dehors de la fonction publique, il semble évident à un certain nombre de répondants que, pour réussir, les futurs dirigeants doivent avoir acquis une certaine expérience pratique dans des ministères responsables dans différentes régions du pays. Et, si l’expérience dans un organisme central est généralement exigée pour la plupart des postes de haut niveau, celle-ci ne peut en aucun cas fournir l’appréciation instinctive des enjeux auxquels sont confrontés très concrètement les Canadiens – une appréciation qui est bien plus qu’intellectuelle et contribue au quotient émotionnel. Les échelles de salaires de la fonction publique, moins élevées que celles du secteur privé – en particulier pour les postes de haut niveau – constituent un autre défi lorsque l’on veut attirer et retenir des dirigeants de talent, même si beaucoup suggèrent que la rémunération n’est pas un facteur déterminant. En fait, disent certains, si la fonction publique peut offrir une culture axée sur les valeurs et l’innovation, où le travail est fascinant et a un sens et où les gens ont la possibilité de circuler entre les secteurs, les personnes de talent ne manqueront pas d’être intéressées. Qui plus est, s’il a été difficile d’attirer des gens compétents du secteur privé à cause des rémunérations moins intéressantes et des profondes différences au niveau des milieux de travail, les obstacles culturels et financiers posent un bien moins grand problème à ceux qui veulent déjà « avoir un impact » et travaillent dans le secteur à but non lucratif. 18 L’IMPACT ORGANISATIONNEL DU LEADERSHIP ÊTRE À LA TÊTE DU CHANGEMENT CULTUREL Beaucoup des dirigeants interviewés sont d’avis que la culture organisationnelle de la fonction publique peut être un obstacle quand on veut améliorer l’efficacité et la réactivité. Un certain nombre de répondants suggèrent que la culture actuelle est trop hiérarchisée, compartimentée et opaque. « Je serais plutôt d’accord avec ceux qui pensent que nous avons presque fait un pas en arrière par rapport au modèle d’une organisation plus ouverte et horizontale. À tous les niveaux, jusqu’au sous-ministre, nous sommes devenus beaucoup moins prêts à prendre des risques », dit l’un d’eux. Cette peur du risque entraîne une plus grande réticence à prendre des décisions difficiles, à dire la vérité aux puissants, à discuter et proposer des idées novatrices, et à venir en aide aux collègues en difficulté. Nombreux sont les répondants qui suggèrent que ce malaise culturel est dû, dans une grande mesure, aux critiques constantes des médias, aux chiens de garde parlementaires et autres, au manque de protection et de soutien de la part des dirigeants politiques et au manque croissant de respect du public pour les institutions, y compris pour la fonction publique. « Pour les criminels, c’est trois fautes et vous sortez; pour les fonctionnaires, c’est une faute et vous sortez. » Tous ces facteurs ont contribué à un degré considérable d’appréhension et de mauvais moral à travers la fonction publique, entraînant ce qu’un répondant appelle un manque d’« esprit de générosité » et faisant que les employés se sentent mois appréciés, reconnus et encouragés. Alors que les bonnes organisations se soucient en priorité d’offrir à leurs employés la flexibilité et la compréhension dont ils ont besoin pour innover et apprendre, soulignent de nombreux dirigeants, la culture au sein de la fonction publique est axée sur la punition des échecs, ce qui va à l’encontre du but recherché. Non seulement cette mentalité « il faut punir les fautifs » engendre la peur et l’inaction, mais elle provoque aussi un surcroît d’exigences de déclaration et de conformité imposées par les organismes centraux – ce que les répondants décrivent comme des sources majeures d’irritation qui consument temps, énergie et ressources autant en qui concerne les employés que pour la fonction publique en général. Une autre source d’inquiétude est la « mentalité d’Ottawa » qui, notent nombre de personnes interviewées, se retrouve partout dans la fonction publique et crée des tensions entre Ottawa et le reste du pays. Il en résulte des contacts limités avec les autres secteurs et avec les autres régions du pays et une dynamique d’initiés telle qu’il faut maîtriser le jargon d’Ottawa, connaître sa langue et y connaître des gens pour réussir, et que les hauts fonctionnaires qui veulent faire carrière doivent presque toujours déménager à Ottawa. Les mesures d’incitation et les récompenses, dans ce système, vont presque toujours à ceux qui s’occupent des politiques, ce qui crée un fossé encore plus grand entre ceux qui sont responsables des services à la clientèle – qui produisent des idées, obtiennent l’appui du conseil des ministres, puis un financement, etc. – et ceux qui s’occupent des programmes et doivent mettre ces idées en application sur le terrain. Un autre facteur qui contribue à l’aliénation est l’échec perçu de la fonction publique à représenter « le visage et la nature » du reste du pays. Beaucoup évoquent une tendance tenace chez les fonctionnaires fédéraux – qu’un répondant décrit comme un groupe essentiellement anglophone, basé à Ottawa et bien rémunéré – à ne pas apprécier à leur juste valeur et à ne pas dédommager correctement (financièrement ou psychologiquement) leurs collègues des autres parties du pays. « La hiérarchie et les structures de salaires et de reconnaissance sont telles que ceux qui assurent les services en dehors d’Ottawa sont considérés comme des drones et leur travail n’est guère apprécié. » Comme le fait observer l’une des personnes interviewées, « Il y a beaucoup d’arrogance à Ottawa... des gens qui pensent qu’ils sont les plus intelligents du Canada. » 19 l’opinion dans la capitale nationale semble être que « les emplois associés à la prestation de services sont dans les régions mais ceux où l’on réfléchit ne le sont pas ». « On n’a pas beaucoup recruté dans les régions ces dix dernières années et nous ne faisons pas assez d’efforts pour trouver des débouchés pour les gens dans ces parties du pays », dit une autre. Pour d’autres répondants, les racines du malaise culturel remontent à la fin des années 1970 et aux années 1980, période pendant laquelle on a assisté à un manque croissant de respect, de la part du public et des politiciens, pour les fonctionnaires et la fonction publique en général. Ce manque de respect pour la profession s’est répercuté à l’intérieur et a été vivement ressenti avec des réductions d’effectifs et une attention de moins en moins grande accordée à la formation, au mentorat, au recrutement et au développement professionnel des employés. Ce manque perçu de loyauté envers les employés a résulté en une institution où l’esprit d’entreprise et la collégialité ont fait un pas en arrière, une institution qui « n’était pas assez fière d’elle ». Dans cette situation, changer la perception du public contribuera un peu à améliorer la culture de la fonction publique. Pour beaucoup des dirigeants interviewés, il est clair qu’un bon milieu de travail est l’une des conditions essentielles de la viabilité de l’institution. Il est rendu encore plus important par l’évolution démographique et son impact sur l’effectif : « la fonction publique a besoin de changer le milieu de travail pour qu’il soit mieux adapté aux besoins en matière de recrutement (ou à ceux des personnes recrutées). Il faut mettre l’accent sur les questions d’équilibre travail-vie personnelle, sur la flexibilité, [tout en] comprenant que ces gens ne resteront peut-être pas pour toute leur carrière », dit l’un des répondants. D’autres suggèrent que le changement de génération pourrait en fait être le déclencheur pour une évolution plus générale de la culture, alors que d’autres encore craignent que les contraintes actuelles ne fassent fuir la prochaine génération de recrues. Les dirigeants interviewés s’entendent cependant pour dire que l’on devrait se soucier en priorité de créer un environnement dans lequel les employés pourront s’épanouir. LA DYNAMIQUE DÉBILITANTE DE LA RESPONSABILITÉ 20 Beaucoup de nos répondants sont d’avis que la modernisation « La responsabilité est un puits de la fonction publique est rendue plus difficile par l’enchevêtresans fond dans lequel cette ville ment actuel de règlements. Ils sont unanimes : la Loi fédérale sur la responsabilité est allée trop loin en imposant trop d’obligations est en train de se noyer. » de surveillance et de déclaration et en créant un énorme surcroît de formalités administratives pour des gains insignifiants. Plusieurs personnes font une comparaison avec le phénomène de responsabilisation engendré par la Loi Sarbanes-Oxley aux États-Unis, où de nouvelles règles qui partaient de bonnes intentions mais étaient paralysantes ont été mises en place bien pour remédier à un problème de corruption relativement minime. Suite à la Loi fédérale sur la responsabilité, dit un répondant, Ottawa est « un univers à la Dilbert... dans lequel tout le monde respecte des marches à suivre » qui paralysent la fonction publique et compliquent la tâche pour recruter et retenir des employés et dans lequel tout est tellement réglementé que l’on ne voit plus les résultats souhaités. D’autres suggèrent en outre que, si les nouvelles réglementations n’ont pas fait grand chose pour améliorer la dotation en personnel ou empêcher la corruption, elles consument une part importante des ressources du gouvernement – l’argent consacré à l’embauche de nouveaux employés pour s’occuper des exigences grandissantes en matière de déclaration afin de respecter les directives concernant la responsabilité, de plus en plus, est soustrait aux ressources qui étaient consacrées aux programmes et services de base : « Nous avons investi beaucoup plus de ressources dans l’aspect déclaration et, puisque le budget n’augmente pas, nous prenons beaucoup de fonds du côté des services et des politiques. » Deux éléments de la Loi fédérale sur la responsabilité préoccupent tout particulièrement un grand nombre des dirigeants interviewés : le Registre des lobbyistes et les restrictions sur l’entrée dans la fonction publique du personnel politique. Le premier, en vertu duquel un large éventail d’acteurs qui ont affaire au gouvernement doivent s’inscrire comme lobbyistes, est vu par beaucoup comme créant un obstacle de plus à la communication avec les autres secteurs : « Les meilleurs dirigeants comprennent et consultent leurs clients et ils comprennent les besoins du public – la Loi fédérale sur la responsabilité donne l’impression que c’est une mauvaise chose. » Les limites imposées pour la dotation en personnel codifient l’entrée du personnel politique dans la fonction publique et, de l’avis des répondants, dresse un mur entre la fonction publique et une mine de gens intéressés, engagés et informés qui comprennent déjà bien ce que cela signifie de travailler pour l’intérêt public. Cela peut en outre créer une frontière psychologique entre la fonction publique et les milieux politiques, en ce sens que cela semble punir ceux qui sont actifs du côté politique et, par la même, nuire à la compréhension et au respect mutuels. Nombre de répondants ont des propos durs sur le rôle du vérificateur général et les pouvoirs de supervision accordés au groupe de plus en plus nombreux des agents du Parlement, comme on les appelle. Ils reprochent au vérificateur général et aux autres agents de contrôle d’alimenter en information des médias « paresseux », de se conformer aux stéréotypes du public à leur égard et de renforcer les perceptions négatives du public. Au lieu de se servir des résultats des vérifications pour informer et soutenir les responsables des politiques dans leur travail, l’approche « ce coup-ci, on vous tient! » rend le climat de travail plus difficile pour les fonctionnaires du fait des exigences de déclaration de plus en plus nombreuses et des critiques du public en ce qui concerne les tentatives d’innovation qui « échouent ». Pour que les fonctionnaires puissent apporter une contribution plus constructive, disent les répondants, il faudrait que les exigences en matière de gestion des risques soient mieux comprises et respectées et que les gens soient davantage prêts à proposer des alternatives. Si le pendule de la responsabilité est allé trop loin dans le sens des règles et des exigences de déclaration, de l’avis de la majorité des dirigeants interviewés, il sera difficile de ramener le pendule dans l’autre sens. Le problème, disent-ils, est que le gouvernement actuel s’est fait élire en promettant de faire le ménage à Ottawa. Être perçus comme intraitables sur les questions de responsabilité est donc considéré comme impératif d’un point de vue politique. S’il y avait une volonté au niveau politique de supprimer certains des obstacles qui ont été créés et si des « gens d’action » au sein des organismes centraux étaient prêts à s’attaquer au problème, dit-on, on pourrait arriver à changer la dynamique actuelle. Parce qu’en fin de compte, « la responsabilité c’est bien, mais un jugement sûr c’est encore mieux ». AMÉLIORER LA GESTION DU RENDEMENT De plus en plus, la réussite des organisations complexes est déterminée en évaluant leur rendement pour ce qui est d’atteindre des objectifs organisationnels concrets. Les entreprises du secteur privé, en particulier, sont arrivées à augmenter leur efficacité, leur efficience et leur capacité d’innovation en mesurant l’efficacité avec laquelle l’organisation et ses employés ont obtenus des résultats et en créant des mesures d’incitation encourageant à être plus performant. Cela s’est avéré plus difficile pour les gouvernements et leur fonction publique que pour les organismes des autres secteurs, les objectifs des gouvernement étant souvent plus difficiles à définir, plus ambigus et moins quantifiables que ceux des compagnies qui peuvent mesurer leur réussite au moyen de leurs ventes et de leurs bilans. Il a été plus facile pour le gouvernement d’avoir des « La fonction publique est l’organisme qui consacre le plus de temps à la gestion du rendement avec le moins de résultats. Ce sont les perceptions qui comptent. » 21 résultats mesurables pour ce qui est de la prestation des services mais il demeure très difficile de mesurer les incidences des politiques et des programmes dans des domaines comme la santé publique ou le développement de l’infrastructure. Beaucoup des personnes interviewées pensent que ce qui manque dans la fonction publique, c’est une volonté véritable de mesurer le rendement organisationnel, ainsi que les instruments pour le faire correctement. Selon l’un des répondants, l’un des principaux problèmes est que les parlementaires, le public et les médias ne s’intéressent pas beaucoup à l’évaluation du rendement de la bureaucratie. D’autres font observer cependant que les fonctionnaires n’ont tout simplement pas les ressources ou les instruments nécessaires pour mesurer correctement les incidences d’un programme ou d’une politique : « Nous avons tendance à nous concentrer sur les intrants, sur la quantité d’argent qu’il faut pour les programmes. Nous ne nous soucions pas autant que nous le devrions du rendement ou de l’optimisation des ressources. » Les fonctionnaires n’ont pas les données financières de base et les systèmes qui leur permettraient d’enregistrer les données, ou le soutien du Conseil du Trésor, sous forme de méthodes quantitatives, d’expertise en macro-économie et de calcul des coûts pour les programmes administratifs. Les instruments qui existent, comme le Cadre de responsabilisation de gestion, sont décrits comme excessivement complexes, mal compris et sans grande pertinence pour les ministères responsables. Outre le rendement organisationnel, le rendement individuel est aussi un domaine dans lequel la fonction publique n’est pas particulièrement efficace, estiment les répondants. Très souvent, il leur semble que les critères qui servent à évaluer les employés demeurent vagues, les gestionnaires sont incapables de fournir une rétroaction honnête et on parle beaucoup trop peu des domaines à améliorer et des processus d’apprentissage. En ce qui concerne l’impact sur l’organisation d’un tel système, un répondant fait observer que « Si vous partez du principe que la fonction publique est une entreprise du savoir et si vous n’engagez pas le dialogue avec les gens pour qu’ils sachent où ils en sont, alors vous gaspillez cette ressource. » GÉRER LES GENS Rares sont ceux à ne pas être d’accord pour dire que la fonction publique continue de souffrir de systèmes de ressources humaines dysfonctionnels, et beaucoup sont d’avis que les dirigeants de la fonction publique n’ont pas pris leur responsabilité collective en matière de ressources humaines aussi au sérieux que leurs responsabilités stratégiques ou financières : « Trop de discours sur le renouvellement des RH, pas assez d’action. » 22 « Parce que les hauts fonctionnaires n’ont pas à vivre avec les mêmes foutaises que le personnel, nous ne voyons pas les RH comme aussi catastrophiques qu’elles le sont. » De l’avis d’un certain nombre des dirigeants interviewés, le principal effort de ces dernières années pour restructurer le système – la Loi sur la modernisation de la fonction publique – n’a pas créé plus de flexibilité. Elle n’a pas non plus fourni de moyens pour rendre ce secteur plus concurrentiel lorsqu’il s’agit d’attirer des gens de talent. « La (LMFP) était conçue pour libérer les gens mais, si elle n’est pas mise en application ou si elle est bloquée par la Loi fédérale sur la responsabilité, alors elle ne fait qu’ajouter un niveau supplémentaire de réglementation », note un dirigeant. Les contraintes imposées par les conventions collectives de la fonction publique sont décrites comme un obstacle majeur à toute réforme : « Les syndicats de la fonction publique ont d’autres priorités et la fonction publique est le seul secteur de la société dans lequel le pouvoir des syndicats n’a pas diminué. » Le temps et les efforts que cela prend pour s’occuper des employés qui ont un mauvais rendement est également considéré comme un gros problème. Même dans les plus hauts échelons, les employés incompétents ou perturbateurs sont « mutés » au sein de l’organisation pour éviter de longues démarches de licenciement. Cette incapacité apparente à renvoyer les employés inefficaces ou à faire rapidement des changements dans les ressources humaines pour modifier la dynamique dans une unité de travail nuit au moral et au rendement et constitue un désavantage majeur dans la compétition pour attirer et retenir des employés de talent, si l’on compare avec les autres secteurs. Un certain nombre des personnes interviewées suggèrent que les dirigeants de la fonction publique doivent être beaucoup plus proactifs et demander à leurs homologues syndicaux leur aide pour résoudre ce type de problèmes. Le recrutement, le maintien de l’effectif, le développement professionnel et la planification de la relève nécessitent une attention accrue de la part des hauts dirigeants, de l’avis de beaucoup de répondants. Et si certains suggèrent que la fonction publique n’est peut-être plus une carrière aussi « désirable » qu’elle l’a été pour les gens les plus doués, d’autres ne sont pas d’accord. Un répondant se dit « extrêmement impressionné par les jeunes (qu’ils) embauchent ». La fonction publique devra trouver une solution aux faiblesses importantes au niveau du recrutement d’experts spécialisés dans des domaines comme les sciences et l’économie, où des compétences générales ne suffisent pas. Chercher « les meilleurs et les plus brillants » peut cependant aller à l’encontre du but recherché, dans certains cas, et certains répondants soulignent que la fonction publique doit surtout se soucier de trouver des employés de qualité pour remplir divers rôles – ce qui veut aussi dire ne pas limiter les recherches aux universités et aux collèges pour pouvoir attirer des personnes compétentes en milieu de carrière. « L’employé idéal n’est pas nécessairement quelqu’un qui vient de finir ses études. Il y a aussi les gens avec six ou sept ans d’expérience, dans les 25-33 ans. » Beaucoup des dirigeants interviewés s’entendent pour dire que le plus dur sera de retenir les jeunes employés qui découvrent les défis associés à la culture de la fonction publique. Les générations X et Y, estiment beaucoup des répondants, ont un esprit d’entreprise très développé. Elles sont moins « mariées » à une compagnie pour toute leur carrière et attachent plus d’importance à l’équilibre travail-vie privée. Elles trouveront sans doute irritante une culture attachée à des règles et à une discipline trop strictes, perdant du même coup leur motivation et se précipitant vers d’autres secteurs. TROP DE BRASSAGE? La très grande majorité des dirigeants interviewés pensent qu’il y a trop de roulement dans la fonction publique, en particulier dans les échelons les plus élevés où les fonctionnaires restent en poste entre 18 et 24 mois en moyenne, semble-t-il. Étant donnée la complexité des portefeuilles ministériels de nos jours et la nécessité pour les sous-ministres de comprendre tout un éventail de questions de politiques, relever de nombreux défis en matière de gestion et bâtir de bonnes relations avec les employés, les personnes concernées, les parlementaires et les ministres, la plupart des répondants estiment que cela prend entre quatre et cinq ans avant que les hauts dirigeants puissent devenir efficaces dans leur poste. Un dirigeant va jusqu’à décrire les sousministres et les sous-ministres adjoints comme « les touristes (dans le système) », ajoutant que la préparation de cahiers d’information à leur intention est devenue une véritable petite industrie. Le manque de continuité dans les hautes sphères est aussi décrit comme une source de frustration considérable pour les autres secteurs qui voient les résultats de consultations ou d’ententes avec les prédécesseurs des gens en poste dégringoler de la liste des priorités ou perdre toute signification dès qu’il y a un changement de personnel. 23 Une autre conséquence notable du roulement rapide est, de l’avis des personnes interviewées, la création d’une culture dans laquelle les engagements n’ont guère de valeur et ne sont pas nécessaires. Les gens qui savent qu’ils travailleront ailleurs d’ici peu ne prennent pas forcément à coeur la réussite à long terme de leur organisation actuelle. Le fait de traiter les employés comme des éléments interchangeables, dit-on, contribue au carriérisme et fait qu’ils se soucient moins de l’intérêt public. Cela est source d’instabilité organisationnelle et de résistance au changement culturel, empêchant du même coup une gestion efficace, la planification à long terme et la mise en oeuvre des programmes. « Dans un monde où le roulement est constant, il devient trop facile de donner une réponse creuse pour avoir la paix le lendemain », fait observer un répondant. Une petite minorité des dirigeants interviewés sont d’avis que la question du roulement dans les échelons supérieurs n’est pas un vrai problème, l’expérience générale du gouvernement et les qualités requises pour un poste spécifique étant des déterminants beaucoup plus importants du leadership et de la réussite organisationnelle que la durée des fonctions. On fait également remarquer que le roulement au conseil des ministres et dans les comités parlementaires est beaucoup plus marqué et perturbant pour le système. CRÉER UN EXCELLENT ENVIRONNEMENT DE TRAVAIL Pour la majorité des répondants, la réussite organisationnelle dépend « des gens, pas des systèmes ». Il est essentiel d’avoir des gens remarquables, efficaces et motivés qui progresseront dans ce sens, car le capital intellectuel, la capacité d’innovation et un leadership efficace sont considérés comme des facteurs augmentant la valeur d’une organisation. Un certain nombre des dirigeants interviewés font observer que l’enquête auprès des employés de la fonction publique montre bien qu’à tous les niveaux, les employés sont très insatisfaits et cyniques quant à leur environnement de travail. Beaucoup insistent aussi sur l’importance de veiller à ce que la fonction publique ait de solides fondations éthiques. Les fonctionnaires doivent se sentir tenus de satisfaire à des normes plus exigeantes et d’avoir pour motivation l’intégrité, la transparence, la responsabilité personnelle et la réceptivité aux besoins du public. Pour cela, il faut que les valeurs fondamentales de la fonction publique soient sans cesse rappelées et mises en application à tous les niveaux de l’institution. Avec le changement de génération actuel, dit-on, c’est un aspect essentiel du leadership de la fonction publique. 24 Mais une expression vigoureuse des valeurs ne suffit cependant pas pour attirer et retenir de bons employés, notent certains répondants. Dans un marché du travail compétitif, pouvoir offrir un milieu de travail sain et attrayant devient un facteur critique pour attirer et garder des gens de talent. Les nouvelles recrues avisées ne tolèreront pas une organisation hiérarchisée et paralysée par les réglementations. Elles veulent un employeur qui soit le reflet de leurs valeurs et offre une atmosphère collégiale et un éventail de défis et de débouchés ainsi qu’un certain degré de responsabilité et la certitude qu’elles seront reconnues pour leurs contributions. Si ces valeurs et ces caractéristiques ne sont pas reflétées dans la culture de l’organisation, elles n’hésiteront pas à aller ailleurs. « Dans mon expérience, le plus critique dans la fonction publique a été d’avoir d’excellents employés. En fin de compte, quand j’étais dans une situation difficile en tant que ministre, ce dont j’avais besoin, c’était de gens intelligents, bien informés et au jugement sûr. » La génération à venir de recrues est aussi plus soucieuse des questions relatives à l’atteinte d’un équilibre entre travail et vie personnelle (elles souhaitent une plus grande souplesse en ce qui concerne comment, quand et où elles travaillent). Les répondants ont par conséquent l’impression que, sur le marché du travail qui se dessine, on cherche des employeurs qui se soucient de la santé et de la sécurité des employés et offrent des commodités comme des centres de conditionnement physique et de garde d’enfants, des choix sains en matière d’alimentation, des cheminements de carrière flexibles et des avantages sociaux transférables. La fonction publique doit reconnaître que les travailleurs du futur ne passeront plus toute leur carrière dans la même institution. Une approche plus délibérée et plus stratégique de la gestion des ressources humaines s’impose donc pour trouver des solutions aux problèmes des processus d’embauche interminables, du manque d’uniformité dans l’organisation des concours et de l’incapacité à régler le cas des employés inefficaces. Les répondants sont généralement d’avis que la fonction publique s’y est mal prise ces dernières années pour attirer et développer des dirigeants, recruter des experts scientifiques et techniques, gérer ses ressources humaines et renforcer leurs compétences. En dépit de ces faiblesses, la taille et le rayonnement de la fonction publique sont tels qu’elle est quand même bien placée pour faire concurrence aux autres employeurs si elle parvient à relever les défis associés aux effectifs et à l’environnement de travail, des problèmes faciles à résoudre pour réussir, dit un répondant. L’APPAREIL ET LA STRUCTURE DE LA FONCTION PUBLIQUE « La structure n’est jamais la réponse, je crois... ce sont les gens qui sont la réponse... La meilleure structure au monde ne marchera pas si vous n’avez pas les gens qu’il faut. » Pour beaucoup des dirigeants interviewés, la structure de l’organisation est moins importante que sa culture. La bonne gouvernance est une question de gens et, si l’on a les gens qu’il faut et s’ils ont la bonne attitude, le changement prendra tôt ou tard racine dans n’importe quelle organisation, estiment-ils. D’un autre côté, si l’appareil et la structure organisationnels ne sont jamais des garanties de bon rendement ou de responsabilité, ils peuvent empêcher de parvenir à des résultats ou limiter ces derniers. Compte tenu de cela, la centralisation excessive du pouvoir et de la prise de décisions dans les organismes centraux est citée par certains répondants comme un obstacle structurel et culturel à une ouverture et une collaboration plus grandes dans le travail. Si le Bureau du Conseil privé et le Conseil du Trésor jouent un rôle de surveillance important, leur concentration excessive sur la gestion des ministères limite en fait l’autonomie au sein de ces derniers. En Australie et en Nouvelle-Zélande, les organismes centraux n’assurent plus une fonction aussi marquée de gestion intégrée et certains pensent que leur fonction publique n’en est que plus efficace. D’autres pensent cependant que le pouvoir centralisé accordé au BPC, au CT et au Bureau du Premier ministre aide la fonction publique à gérer les risques et qu’accorder aux ministères plus d’autorité structurelle est moins important que promouvoir une culture d’ouverture entre les ministères, les organismes centraux et le bureau des ministres. 25 L’idée de décentraliser de nombreuses fonctions de la fonction publique en déménageant certains ministères en dehors d’Ottawa est soulevée par plusieurs des dirigeants interviewés : « Une beaucoup plus grande décentralisation serait bien car cela aiderait les gens de la fonction publique – dont la majorité se trouve dans le couloir Ville de Québec-Windsor – à voir d’autres parties du pays. » Bien qu’il serait préférable que certains ministères et organismes restent à proximité du leadership politique à Ottawa (Statistique Canada et la Banque du Canada, par exemple), toutes les organisations n’ont pas besoin d’être dans la région de la capitale nationale. Certains ministères pourraient gagner en efficacité s’ils étaient implantés dans les régions du pays où leur mission est plus pertinente. Autrement dit, « Faites le travail où c’est logique ». On suggère ainsi que Ressources naturelles Canada déménage à Calgary, Pêches et Océans sur la côte Est et Affaires indiennes et du Nord dans les Prairies où la population Autochtone est en pleine expansion. Non seulement cela permettrait d’élaborer les politiques plus près du « front », mais cela rapprocherait aussi les citoyens de la fonction publique, et cela pourrait peut-être les amener à envisager la fonction publique comme un choix de carrière tout à fait viable. « On ne peut pas supprimer le centre, dit un répondant, mais rien n’oblige à tout faire au centre. » Certains répondants proposent d’autres modèles organisationnels ou des changements structurels pour améliorer le fonctionnement de la fonction publique. Le modèle de l’Agence du revenu du Canada (ARC) – statut d’entité non liée et d’employeur distinct – est considéré comme une innovation utile et bénéfique. De l’avis de certains, le conseil de direction indépendant de l’ARC, qui dirige l’organisation de façon cohérente et en tenant compte du long terme, supervise la gestion des affaires avec beaucoup plus d’efficacité que ne le fait le Conseil du Trésor pour la majorité de la fonction publique. Ce modèle crée en outre un milieu dans lequel les sous-ministres peuvent faire montre de plus de responsabilité et d’innovation pour ce qui est de la gestion et de l’embauche. Les tentatives pour passer à des modèles d’organismes non liés dans d’autres pays, comme au Royaume-Uni n’ont cependant pas été la panacée qu’escomptaient certains, rappellent des dirigeants interviewés, principalement à cause des frais généraux élevés pendant la transition. La majorité s’entend pour dire que, du point de vue de la gouvernance et de la responsabilité, le modèle canadien de l’organisme central « taille unique » est moins efficace que les modèles de gouvernance conçus sur mesure pour soutenir les différentes organisations dans leurs responsabilités fondamentales. 26 Le recours à des contrats à durée limitée de trois à cinq ans est évoqué par un certain nombre de répondants comme une option viable pour renforcer la continuité et le rendement des dirigeants au niveau des sous-ministres. Les répondants décrivent ce type de structure, qui a été adopté dans d’autres systèmes de type Westminster ainsi que dans plusieurs provinces, comme un concept contribuant à un plus grand engagement des dirigeants dans leurs fonctions. Certains craignent cependant que la modification du système actuel de nomination des sousministres ne mène à un système plus politisé. ANNEXE 1 – LISTE DES PARTICIPANTS Denise Amyot Vice-présidente, Le Réseau du Leadership Agence de la fonction publique du Canada Marcel Côté Associé fondateur, SECOR Conseil Peter Aucoin Professeur titulaire de la Chaire Eric Dennis, professeur en gouvernement et en sciences politiques, Université Dalhousie Ruth Dantzer Présidente et chef de direction, École de la fonction publique du Canada Ron Bilodeau Vice-président, Chemin de fer Canadien Pacifique Ken Dobell Conseiller spécial auprès du premier ministre de la Colombie-Britannique, Gouvernement de la Colombie-Britannique Ian Bird Chef senior, Sport est important David Dodge Gouverneur, Banque du Canada Allan Blakeney Ancien premier ministre de la Saskatchewan Len Edwards Sous-ministre, ministère des Affaires étrangères Jacques Bourgault Professeur associé, École nationale d’administration publique Tim Broadhead Président-directeur général, La fondation de la famille J.W. McConnell Rita Burak Présidente, Hydro One Inc. Gouvernement de l’Ontario Derek Burney Conseiller stratégique principal Ogilvy Renault Ian Clark Ancien président et chef de la direction, Conseil des chaires des universities de l’Ontario Le très honorable Joe Clark Professeur praticien au Centre d’études sur les régions en développement de l’Université McGill Ancien premier ministre du Canada Janice Cochrane Ancienne sous-ministre, École de la fonction publique du Canada Paul Crookall Directeur de la rédaction, Canadian Government Executive Magazine David Emerson Ministre du Commerce international et ministre de la porte d’entrée du Pacifique et des Olympiques de Vancouver-Whistler Phil Fontaine Chef national, Assemblée des Premières Nations Pierre-Gerlier Forest Président, Fondation Trudeau Katherine Graham Doyenne, Faculté des Affaires publiques Université Carleton Peter Harder Conseiller principal, Fraser Milner Casgrain S.E.N.C.R.L. Al Hatton Président-directeur général, Centraide Canada 27 Michael Horgan Sous-ministre, Environnement Canada Chaviva Hosek Présidente-directrice générale, L’Institut canadien de recherches avancées Nancy Hughes Anthony Présidente et chef de la direction, Association des banquiers canadiens Arthur Kroeger Président, Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques Chancellier émérite de l’Université Carleton Gerry Protti Vice-président exécutif, Relations d’entreprise, et président, Division Offshore et International, EnCana Corporation Robert Rabinovitch Président-directeur général, CBC/Radio-Canada Bob Rae Associé, Goodmans LLP Ancien premier ministre de l’Ontario Hal Kvisle Président-directeur général, TransCanada Corp. Morris Rosenburg Sous-ministre, Santé Canada Paul LaFlèche Sous-ministre, ministère de l’Agriculture Gouvernement de la Nouvelle-Écosse Munir Sheikh Sous-ministre du Travail et sous-ministre délégué des Ressources humaines et du développement social Oryssia Lennie Sous-ministre, Diversification de l’économie de l’Ouest Le très honorable Paul Martin Député, LaSalle-Émard Ancien premier ministre du Canada Elizabeth May Chef, Parti vert du Canada Jessica McDonald Sous-ministre auprès du premier ministre et secrétaire du Cabinet, Bureau du Premier ministre, Gouvernement de Colombie-Britannique 28 Dan Perrins Sous-ministre auprès du premier ministre, Gouvernement de la Saskatchewan Carol Stephenson Titulaire de la Chaire Lawrence G. Tapp en Leadership Doyenne, The Richard Ivey School of Business, Université de Western Ontario Dr Paul Thomas Professeur titulaire de la Chaire Duff Roblin Département d’Études politiques Université du Manitoba Gérard Veilleux Président, Power Corporation Alexa McDonough Députée, Halifax Sheila Weatherill Présidente-directrice générale, Capital Health, région d’Edmonton Frank McKenna Président suppléant, Groupe financier Banque TD Janet Wright Fondatrice et conseillère, Janet Wright and Associates Inc. Claire Morris Présidente, Association des universités et collèges du Canada Wayne Wouters Secrétaire du Conseil du Trésor Larry Murray Ancien sous-ministre, ministère des Pêches et des Océans