23-08-2013 lanceurs d`alerte made in France Philippe Pichon, ex

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23-08-2013 lanceurs d`alerte made in France Philippe Pichon, ex
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Lanceurs d'alerte made in France (4/6) :
Philippe Pichon, ex-flic «trop légaliste»
21 août 2013 | Par Louise Fessard
Ex-plus jeune officier de paix français, Philippe Pichon a été expulsé de la police en mars 2009
pour manquement au devoir de réserve. Depuis, il continue de lutter contre le Stic, un fichier de
police « liberticide », rejoint dans ce combat par la Cnil. Jugé à la rentrée pour « violation du
secret professionnel », il espère sa réintégration dans la police.
Philippe Pichon, 44 ans, était entré dans la police en 1991 comme « officier de paix » pour « faire
chier » ses parents. Fleuristes-décorateurs en banlieue parisienne, ces derniers avaient d’autres
ambitions pour leur khâgneux de fils. Pour la famille, on ne sait pas, mais pour ce qui est de la
hiérarchie policière, c’est réussi. Mis à la retraite d’office en mars 2009 pour violation du devoir
de réserve, cet ex-commandant, décrit comme « brillant » par ses anciens collègues, comparaîtra
le 10 septembre 2013 devant le tribunal correctionnel de Paris pour « violation du secret
professionnel, accès frauduleux à un système informatisé et détournement d'informations à
caractère personnel ». Devant la XVIIe chambre, celle des libertés publiques, qui juge les délits
de presse et les affaires policières.
C’est précisément par la presse que le commandant Pichon chut. Le 6 octobre 2008, Backchich
publie les fiches du système de traitement des infractions constatée (Stic) de deux « potes de
Sarkozy », Jamel Debbouze et Johnny Hallyday fournies par Philippe Pichon à son ami Nicolas
Beau, directeur du site d’information. Retapées et «expurgées» des passages les plus diffamants
selon Nicolas Beau, les fiches, longues comme le bras, répertorient des faits remontant à 1967.
Alors que la durée de conservation légale est limitée à 40 ans pour les infractions les plus graves
et 20 ans pour les délits. «Suite à ces révélations, le fichier Stic devait s’effondrer comme un
château de cartes, provoquant un véritable séisme dans le monde de la flicaille, écrit Philippe
Pichon en septembre 2010, dans un livre coécrit avec le sociologue Frédéric Ocqueteau (Une
mémoire policière sale, JCG). Ce serait un formidable débat public, j’en étais sûr. Et puis,
finalement rien. Rien avant ma propre mise en cause…»
Pour l’ex-fonctionnaire, il s’agissait d’une ultime tentative dans son combat contre le Stic, ce
méga fichier des antécédents judiciaires de la police qui fiche aujourd’hui plus de la moitié de la
population française (6,7 millions de mis en cause au 1er octobre 2012 et 28,3 millions de
victimes au 2 décembre 2008).
Nommé adjoint au chef de service du commissariat de Coulommiers (Seine-et-Marne) en 2005,
l’officier est chargé de lui rendre compte du fonctionnement du système Cheops, le portail
d’accès aux fichiers de police. Il s’aperçoit que «le volume de consultation ne correspond en rien
à l’activité judiciaire» du petit commissariat. Coulommiers, c’était «quatre ou cinq garde à vue
par jour et 40 à 50 consultations du Stic !». «Le fichier était utilisé par les agents pour obtenir les
coordonnées de la blonde contrôlée dans un cabriolet, ou encore à la demande du président de
l’office HLM, du maire adjoint chargé de la sécurité, et du député maire Guy Drut lui-même pour
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repérer les dissidents». Sans oublier, ajoute-t-il, les fiches qui «alimentaient les journalistes
locaux».
Philippe Pichon consigne les illégalités constatées dans un rapport remis début 2007 à son chef
de service «qui en fait un classement vertical», puis en désespoir de cause au procureur de la
République. Soit un article 40 en bonne et due forme, «un fait rarissime dans la police
nationale». «Le parquet a fait une note pour demander une remise dans la légalité, qui a elle
aussi fini à la poubelle», soupire Philippe Pichon. La sanction ne tarde pas : l’officier Pichon est
muté manu militari à Meaux par son chef de service furibard, le commandant Jean-Marie M. en
mai 2008. Le voilà taxé par ce même supérieur de «légaliste», une insulte qui ne manque pas de
piquant pour un officier de police judiciaire.
Face à l’inertie de sa hiérarchie, les fiches atterriront chez Bakchich. Mais ni le journaliste, ni le
policier ne s’attendaient à la déferlante qui a suivi. Ouverture d’une enquête préliminaire dès le 8
octobre 2008, consultation des fadettes de Nicolas Beau pour remonter jusqu’au flic, deux jours
de garde à vue dans les locaux de l’IGPN en décembre 2008 pour Philippe Pichon cueilli «sirènes
hurlantes» chez lui, la mise à la retraite d’office par Michèle Alliot-Marie en mars 2009 (confirmée
en décembre 2011 par le tribunal administratif de Melun), et enfin la découverte du Pôle emploi
«où je n’appartenais à aucune case et n’avait même pas le droit au RSA» (Un officier mis à la
retraite d’office ne touche sa pension qu’à 58 ans, mais dans l’intervalle est toujours considéré
comme fonctionnaire ce qui bloque tout droit aux allocations). «Comme il écrivait bien et que
c’était un formidable enquêteur, je l’ai embauché comme pigiste quelques mois à Bakchich, se
souvient Nicolas Beau. Mais, il est fait pour être flic ou écrivain. C’est quelqu’un qui aime
vraiment l’institution policière.» Au passage, l'enquête préliminaire montre que sur la période du
1er janvier au 5 octobre 2008, quelque 610 fonctionnaires ont consulté la fiche de Jamel
Debbouze et 543 celle de Jean-Philippe Smet, alias Johnny. Seul Philippe Pichon sera poursuivi
au pénal.
Stic : 40% d'erreurs
Si c’était à refaire, Philippe Pichon ne referait «certainement pas». D’abord à cause des
conséquences dans sa vie professionnelle et familiale : sa fille de 8 ans questionnée à l’école, les
articles «à charge» de la presse locale, la vente de sa maison et de celle de sa compagne pour
maintenir le bateau à flot, etc. Mais surtout parce que «les citoyens s’en foutent» et que ma
«dénonciation n’a rien changé à la réalité», lance-t-il amer. «A la fin des fins, son action a servi
l’Etat de droit, il a anticipé sur les conclusions très critiques d’un rapport de la Commission
nationale informatique et liberté (Cnil) sur les fichiers de police», nuance son avocat Me William
Bourdon.
En janvier 2009, la Commission nationale informatique et liberté (Cnil) a en effet largement
confirmé ses dires : 83 % des fiches contrôlées par l’autorité indépendante (à la demande de
ceux qui y étaient fichés) comportaient des erreurs ou des informations illégales. Ennuyeux pour
un fichier utilisé par les préfectures pour autoriser l’accès à près d’un million d’emplois dans la
sécurité privée ou la fonction publique, ainsi que pour traiter des demandes de titres de séjour et
de naturalisation.
Nouveau rapport de la Cnil en juin 2013, qui indique avoir fait procéder à une rectification d’«
informations déterminantes » dans près de 40 % des cas. Et le futur traitement des antécédents
judiciaires (TAJ), censé remédier aux maux du Stic et son équivalent gendarmesque le Judex,
héritera de ces erreurs, le ministère de l’intérieur n’ayant pas apuré les fiches existentes. «On
s’aperçoit avec du recul que le combat de Pichon était légitime, même s’il l’a conduit
maladroitement et de façon provocatrice», salue son ancien supérieur, le général de gendarmerie
Jacques Morel, 67 ans, ex chef de l’office de lutte contre la délinquance itinérante.
La sanction est plus que sévère. « Les autorités judiciaires engagent exceptionnellement des
poursuites pour des faits d’atteinte au secret professionnel concernant des policiers lorsqu’ils ne
s’accompagnent pas de contreparties. Encore s’agit-il le plus souvent d’un rappel à la loi… » ,
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rappelle une autorité en la matière, le commissaire Martial Berne de l’inspection générale des
service (IGS) dans la Tribune du commissaire de décembre 2008. Dans une lettre anonyme
envoyée à Me William Bourdon en juillet 2012, un haut fonctionnaire du ministère de l’intérieur
assure que Pichon a surtout payé sa « réputation d'officier atypique».
En mai 2007, Libé titrait déjà «Poulet grillé» son portrait de Pichon qui, après un recueil de
poèmes et une biographie de Saint-John Perse, venait de publier le journal de ses années 90 en
Seine-Saint-Denis (Journal d’un flic, Flammarion, mars 2007). Décrit comme «leader
charismatique, voire chef de meute» dans une notation annuelle, il y a dirigé jusqu’à 650
policiers, unités mobiles de sécurité, brigades anticriminalité et motards compris. A la même
époque, il crée la section poésie de l’association artistique de la préfecture de police de Paris «en
hommage à Louis Amade, préfet poète, parolier de Gilbert Bécaud».
«Mes plus belles années de police, assure Philippe Pichon. On était en pleines violences
urbaines, mais à l’époque le taux d’encadrement était nettement plus conséquent
qu’aujourd’hui. Il y avait un gradé pour cinq gardiens de la paix et des inspecteurs qui savaient
rédiger des procédures.» Un des ces anciens subordonnés à la circulation, Gérard Bertrand, 68
ans, se souvient «d’un excellent officier, proche de ses hommes, qui prenait ses responsabilités et
voyait tout de suite ce qu’il fallait faire sur le terrain».
Sanction disproportionnée
Fin 2006, le ministre de l’intérieur Sarkozy, inquiet de «la publicité tapageuse attendue autour
de la parution» de Journal d’un flic, indique à la hiérarchie policière qu’il «n’est pas question
d’envisager une médiation » avec «cet officier atypique». L’officier est de fait dans le collimateur
du futur président de la République et de son bras droit, Claude Guéant, depuis son passage par
le commissariat de Saint-Tropez entre mai 2001 et février 2002, où il a eu le tort de fourrer son
nez dans la gestion de l’urbanisme du maire RPR d’alors, le pasquaïen Jean-Michel Couve.
L’enquête n’aboutit pas mais elle lui vaudra les foudres de son chef de service, Pierre-Olivier
Mahaux un commissaire ancien conseiller municipal (CNI) de Neuilly-Sur-Seine recyclé dans les
réseaux Sarko. Jusqu'alors extrêmement bien noté et décrit par sa hiérarchie comme un «
brillant officier, intègre et responsable », Philippe Pichon voit son avancement arrêté après son
affectation à Saint-Tropez.
«Il a davantage payé ses bouquins et le fait de ne pas vouloir s’écraser que les faits reprochés»,
estime Me Henri Coulombie, un avocat montpelliérain avec qui Philippe Pichon travaille
aujourd’hui. Car l’ex-flic, après avoir traversé une passe très difficile, a monté sa boite de conseil
en droit de l’urbanisme, «EIRL Philippe Pichon conseils», enregistrée à Meaux en novembre 2012.
Les deux hommes se sont rencontrés… sur un dossier d’urbanisme tropézien. «Nous conseillons
tous les deux un client lésé qui a tout perdu et dont le dossier est difficilement compréhensible
en l'absence d'un système de pots-de-vin lié à l'ancienne municipalité», lâche Me Henri
Coulombie.
Malgré une procédure disciplinaire à la légalité douteuse *, la Cour administrative d’appel a
rejeté le 18 juin 2013 le recours de l’ex policier. «Compte tenu notamment de la gravité de cette
faute, des fonctions et du grade détenu par l’intéressé, du comportement qu’il a initialement
adopté dans cette affaire, la sanction disciplinaire de mise à la retraite d’office, alors même que
l’intéressé n’a jamais fait l’objet de sanctions antérieures, n’est en l’espèce pas manifestement
disproportionnée», ont estimé les juges. Philippe Pichon s’est pourvu devant le Conseil d’Etat et a
pris un nouvel avocat spécialisé, Me Patrice Spinosi.
Son avocat au pénal Me William Bourdon ne comprend pas que «par les temps qui courent, on se
prive d’un grand serviteur de la République». Il aimerait que le policier bénéficie d'«une forme
d'exception de citoyenneté, c'est-à-dire une nouvelle forme d'état de nécessité (qui autorise une
personne à commettre un acte illégal pour se sauver d'un danger imminent, ndlr)». Le 25 mars
2013, le tribunal correctionnel de Paris a ainsi relaxé six militants antipub du collectif des
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déboulonneurs poursuivis pour avoir inscrit des slogans sur des panneaux publicitaires Decaux
dans le métro et avoir refusé le prélèvement ADN. Les juges ont estimé que ces dégradations
«légères» avaient été commises en «état de nécessité», les militants ayant en vain tenté «d’alerter
les pouvoirs publics» et «d’utiliser la voie législative pour réduire les effets nocifs des affiches
publicitaires dans l’espace public».
Sollicité en novembre 2012, le cabinet du ministre de l’intérieur Manuel Valls nous avait
répondu qu’il «fallait laisser la justice faire son travail ». Et refuse désormais de commenter. «Un
argument spécieux, puisque d’un point de vue administratif Pichon peut être réintégré du jour
au lendemain s’il y a une volonté politique», rétorque le magistrat Xavier Lameyre, secrétaire de
l'association de soutien à l'action de Philippe Pichon (ADSAAP). Et les exemples ne manquent
pas : du policier de Noisy-Le-Sec qui avait tiré sur un malfaiteur en fuite recherché par la police,
le tuant d'une balle dans le dos, et a conservé son traitement, aux 17 policiers de la BAC Nord
mis en examen, les uns pour « infractions à la législation sur les stupéfiants », les autres pour «
vols et extorsion de fonds en bande organisée », tous réintégrés en janvier 2013.
A chaque fois, grâce à la montée au créneau des puissants syndicats policiers qui n’ont pas
particulièrement brillé dans la défense de l’officier Pichon. Dans son cas, les représentants du
personnels avaient même voté à l'unanimité avec ceux de l’administration en conseil de
discipline sa mise à la retraite d'office. Après coup Jean-Marc Bailleul, l’actuel secrétaire général
du syndicat des cadres de la sécurité intérieure qui n'avait pas voté, reconnaît que la sanction
était «disproportionnée». «Les flics condamnés au pénal et qui n’ont pas perdu leur poste ne sont
pas rares non plus, affirme Philippe Pichon. Rien que dans mon service à Coulommiers, j’en
avais deux, condamnés pour des violences familiales».
Mais la police n'aime pas ses «whistleblowers». Témoins récents les enquêteurs de la brigade
canine de Seine-et-Marne mutés de force en novembre 2012 après avoir dénoncé des dérives
dans leur service ou encore l’ancien policier de la BAC Nord de Marseille qui avait dénoncé les
pratiques de ses camarades, révoqué en août 2012. «Il y a une espèce de chape de plomb sur ce
ministère, se lamente Xavier Lameyre. C’est fou que les personnes qui dénoncent honnêtement
les dysfonctionnements soient celles rejetées, exclues, harcelées.» Alors que ses amis lui
conseillent de faire profil bas, Philippe Pichon conclut un sourire aux lèvres : «Ma chance serait
qu’un jour un gouvernement de gauche arrive au pouvoir».
----------------* Deux policiers de l’IGPN ont été entendus le 15 avril 2013 comme témoins assistés par la juge
d’instruction parisienne Sabine Kherys suite à une plainte déposée par Philippe Pichon pour «
faux en écritures publiques » par « dépositaires de l’autorité publique » (un crime passible des
assises) et « violation du secret de l’enquête et de l’instruction ».
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