Du milligramme au kilogramme : une technique

Transcription

Du milligramme au kilogramme : une technique
TECHNIQUE INSTRUMENTALE
Yi FENG LI1 et Alain BERTHOD1
Du milligramme au kilogramme : une technique séparative,
la chromatographie à contre courant
RÉSUMÉ
La chromatographie à contre courant (CCC) utilise un système biphasique liquide pour séparer et/ou purifier
des quantités significatives de composés à haute valeur ajoutée.
L’une des phases liquides constitue la phase mobile et l’autre, maintenue en place par l’usage de forces
centrifuges, est la phase stationnaire. Les points forts de la technique sont sa capacité de charge volumique,
sa versatilité et l’absence de perte d’échantillon associée à une récupération totale du matériel introduit
dans la colonne CCC soit dans une phase, soit dans l’autre. La colonne CCC, nécessairement complexe,
constitue en elle-même le point faible de la technique. Devant générer un champ de forces centrifuges,
les colonnes CCC contiennent des parties tournantes, rotors, engrenages, courroies, moteurs, joints rotatifs,
qui les rendent peu attractives. La technique CCC a pourtant sa place dans la panoplie des méthodes de
purification à l’échelle analytique (mg) aussi bien qu’industrielle (kg). Elle est tout à fait complémentaire de la
HPLC préparative à phase stationnaire à base de silice solide en étant susceptible de traiter des composés de
polarités ou de propriétés très différentes. Cet article présente rapidement la technique, décrit les colonnes
CCC modernes et propose un exemple concret de séparation préparative.
MOTS-CLÉS
Chromatographie à contre courant, séparation préparative, système biphasique liquide, produits naturels
Séparation
p
From milligram to kilogram: Countercurrent chromatography is a preparative
separation technique
SUMMARY
Countercurrent chromatography (CCC) is a separation technique using the two liquid phases of a biphasic liquid
system. The mobile phase is one of the liquid phases and the stationary phase is the other phase retained in
the CCC column by centrifugal forces. The significant advantage of CCC is its loading ability: CCC is essentially a
preparative technique. Another strong point is that there is no sample loss: everything introduced in a CCC column
can be recovered either in the mobile phase or in the liquid stationary phase. The weak point of the technique is the
CCC column. Centrifugal fields are used. They require rotating parts, gears, belts, motors, rotating seals, which render
the CCC columns unattractive. However, CCC has a bright future as a complementary technique in the separation
scientist toolbox along with classical LC with silica based solid stationary phases. CCC can work with delicate and/or
polar compounds. This article presents the technique in focusing on CCC recent columns and describes a large scale
separation of natural products.
KEYWORDS
Countercurrent chromatography, preparative separation, biphasic liquid systems, natural products
I - Introduction
La chromatographie est une technique de séparation
des molécules qui utilise des transferts successifs entre une phase mobile et une phase stationnaire. Les
techniques chromatographiques sont classées en
fonction de la nature physico-chimique de la phase mobile. La chromatographie en phase gazeuse
(CPG ou GC de Gas Chromatography) utilise une
phase mobile gaz : hélium ou hydrogène, principalement. La chromatographie en phase supercritique (CPS ou SFC de Supercritical Fluid Chromatography) met en œuvre une phase mobile de CO2
supercritique. Si la phase mobile est liquide, on parle
de chromatographie en phase liquide (CPL ou LC de
Liquid Chromatography). La CPL recouvre différentes techniques travaillant avec différentes phases stationnaires. On trouve par exemple la prédominante
CLHP (ou HPLC de High Performance LC) avec des
phases stationnaires de silices poreuses et micro-particulaires greffées ; la chromatographie à perméation
de gel ou d’exclusion stérique (GPC ou SEC de Gel
Permeation ou Size Exclusion Chromatography, respectivement) ou la chromatographie ionique avec des
phases stationnaires échangeuses d’ions.
Toutes les phases stationnaires utilisées en CPL ont
une base solide. Il y a toutefois une exception : la chromatographie à contre courant (CCC), celle-ci utilise
1
Laboratoire des Sciences Analytiques – UMR CNRS 5180 – Université de Lyon – 43 Bd du 11 nov. 1918 – 69622 Villeurbanne cedex – Tél. : 04 72 44 82 96
E-Mail : [email protected]
18
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SPECTRA ANALYSE n° 267 • Avril - Mai 2009
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Technique instrumentale
Du milligramme au kilogramme : une technique séparative,
la chromatographie à contre courant
une phase stationnaire liquide sans aucun support solide (1). La CCC est une technique de séparation qui a
été inventée à la fin des années 1960 par le scientifique
japonais Yoichiro Ito. Elle connaît un essor important
depuis ces dernières années. Son nom n’est pas très
heureux car il laisse penser que la CCC repose sur la
mise en œuvre de deux phases qui progressent à contre courant l’une de l’autre. Or, ce n’est pas le cas. Le
Docteur Y. Ito a choisi le nom CCC par référence à
la technique de distribution à contre courant (CCD
de Countercurrent Distribution) mise au point auparavant par Lyman C. Craig (machine de Craig). De
fait, la CCD emploie également deux phases liquides
non-miscibles, toutefois, celles-ci progressent effectivement à contre courant l’une de l’autre, poussées par
deux pompes dans une machine complexe faite de
tubes de verre mobiles (1). Comme nous l’avons précisé précédemment la CCC constitue quant-à elle une
technique chromatographique : la phase stationnaire
liquide ne se déplace pas et une seule pompe est nécessaire pour la phase mobile. Il est à noter que dès la
première utilisation de la terminologie CCC, Y. Ito a
été interpellé sur ce point. LC Craig lui-même a défendu l’appellation en soulignant que ce « problème »
n’était en fait qu’une question de référentiel : si l’on
place le repère au sein de la phase mobile, il n’est pas
possible de savoir si la phase stationnaire progresse
à contre courant ou si elle est immobile ; cela ne fait
aucune différence (1). Aujourd’hui, la terminologie
«chromatographie à contre courant» et le sigle CCC
ont fait l’objet d’un tel usage qu’ils sont maintenant acceptés et reconnus au niveau international. Quoiqu’il
en soit, il est important de mettre l’exergue sur ce point
en introduction à cet article : malgré son nom, la CCC
ne met en œuvre aucune circulation de fluide à contre
courant. Cette technique de chromatographie liquide
n’a besoin que d’une seule pompe pour fonctionner.
II - Description générale de la technique
1. Protocole opératoire
La CCC emploie un système biphasique liquide. L’une
des phases est choisie pour être la phase stationnaire,
l’autre phase est donc la phase mobile. La «colonne»
CCC doit être susceptible de retenir la phase stationnaire liquide. Toutes les colonnes CCC modernes utilisent des forces centrifuges. La phase liquide
choisie pour jouer le rôle de phase stationnaire est
introduite la première dans la colonne. Le champ de
forces centrifuges est créé par mise en rotation de
composants de la colonne CCC comme il sera décrit plus loin. La phase mobile est introduite ensuite.
Elle déplace une partie de la phase stationnaire en
établissant l’équilibre chromatographique au sein
de la colonne CCC. La phase stationnaire déplacée
est collectée dans une éprouvette graduée placée en
sortie de colonne. Lorsqu’un ménisque apparaît dans
l’éprouvette graduée, c’est que la phase mobile a fini
de déplacer la phase stationnaire. La colonne CCC est
alors équilibrée et prête à fonctionner. La quantité VM
de phase mobile contenue dans la colonne correspond
à la quantité de phase stationnaire liquide déplacée et
collectée dans l’éprouvette graduée. La quantité VS de
phase stationnaire restant dans la colonne est calculée
en utilisant le volume VC de la colonne :
• VC = VM + VS
Equation I
Une vanne d’injection est utilisée pour introduire le
mélange à séparer. Le coefficient de partage liquideliquide KD des solutés, de préférence appelé constante
de distribution (2), est le seul paramètre responsable
de l’élution différentielle des constituants du mélange.
L’équation de rétention en CCC est simplement :
• Vr = VM + KDVS
Equation II
avec Vr, le volume de rétention du composé ayant le
coefficient KD définit comme étant le rapport de la
concentration du composé dans la phase stationnaire
divisée par la concentration du soluté dans la phase
mobile. Les composés sortent de la colonne dans l’ordre croissant de leur coefficient de partage détectés
par un détecteur classique de chromatographie (UV,
évaporatif à diffusion de lumière ou spectromètre de
masse) qui trace le chromatogramme.
2. Quel est l’intérêt de la CCC ?
Les deux avantages majeurs de la technique CCC sont
sa capacité de charge et le fait que l’échantillon peut
être récupéré en intégralité.
• La capacité de charge de la colonne
Les solutés injectés ont accès au volume de la phase
stationnaire liquide et non pas seulement à la surface
d’une phase stationnaire solide, surface rapidement
saturée même si une structure macroporeuse est utilisée comme en HPLC. La CCC est essentiellement une
technique préparative (3).
• L'assurance de la récupération intégrale de
l’échantillon
Le concept de molécules irréversiblement adsorbées
par la phase stationnaire n’existe pas en CCC. Si le
coefficient de partage KD est très grand, le soluté a une
très grande affinité pour la phase stationnaire. Il suffit
d’inverser le rôle des phases : la phase mobile devient
stationnaire et vice-versa. Le soluté présente dans
cette nouvelle configuration une forte affinité pour la
phase mobile, par définition, son nouveau coefficient
de partage prend la valeur 1/KD, il élue alors très rapidement.
Les développements récents de la technique portent
souvent sur son utilisation à une échelle industrielle et
sur des exemples de purification de molécules complexes et/ou fragiles à grande échelle (kilogramme). Ces
applications illustrent certains des autres avantages de
la technique, des avantages incluant :
• Une transposition d’échelle facilitée
Le mécanisme de rétention très simple de
la CCC permet une transposition facile des
résultats obtenus avec une colonne de petit volume
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19
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TECHNIQUE INSTRUMENTALE
Tableau I - Principales caractéristiques des colonnes CCC commercialisées au dernier trimestre 2008. Les prix en dollars US
Fabricant
Dynamic Extractions
Quattro AECS
Type de
colonne
Colonnes hydrodynamiques
Colonnes hydrodynamiques
Nom
Spectrum
Volume
(L)
0,02
Taille
(LxlxH)
(cm)
0,05
Midi
0,125
0,04
Maxi
0,5
1
5
Quick prep MK5
0,02
0,1
45x52x48
58x66x56
200x270x150
42x42x45
65
85
500
80
Rotation
(rpm)
2 100
1 400
850
860
Pression
(kg/cm2)
8
6
6
8
Poids
(kg)
0,85
Débit
(mL/min)
1
5
10
1
100
100
1 500
1
5
30
Charge
maximale
(g)
0,1
0,5
1,2
0,2
5
20
150
0,5
4
30
Durée
d’analyse
(min)
20
20
30
40
10
20
30
40
40
80
Estimation
du prix*
(Dollar US)
Environ 100 000
Environ 130 000
Dynamic Extractions
890, Plymouth Rd, Slough
Berkshire, SL1 4LP
Royaume-Uni
Tél. : +44 1753 696979
Fax : +44 1753 696976
www.dynamicextractions.com
Contact
vers une colonne de grand volume. Si les coefficients de partage des constituants d’un mélange dans un système liquide donné sont connus,
la prédiction du chromatogramme du même
mélange séparé sur une autre colonne CCC est
possible, l’Equation II (voir page précédente)
donnant la position de tous les composés (4).
• La préservation des solutés fragiles
L’interaction douce, le partage liquide-liquide, est
appropriée pour les solutés fragiles dont la structure et/ou la fonctionnalité peut être préservée.
Par exemple, les systèmes biphasiques à deux
phases aqueuses (ATPS de Aqueous Two
Phase liquid System) comme le système : solution d’hydrogénophosphate de potassium/solution de polyoxyéthylène glycol, permettent
de purifier de grandes quantités de protéines
sans les dénaturer (5).
20
01_BERTHOD2.indd 20
Sur demande
Environ 30 000
Quattro AECS
PO box 80, Bridgend
South Wales, CF31 4XZ,
Royaume-Uni
Tél. +44 1656 782985
Fax: +44 1656 789 282
www.ccc4labprep.com
• La possibilité de faire de la chromatographie
de déplacement
La chromatographie de déplacement peut être réalisée en effectuant des réactions chimiques au sein de
la phase stationnaire liquide. Un mélange de molécules ionisables (acides ou basiques) peut être classé en
bandes par ordre d’acidité croissante. Une phase stationnaire acide est placée initialement dans la colonne
CCC. Le mélange d’acides (ou de bases) est injecté et
on le pousse avec une phase mobile basique (6). Un
mélange de cations métalliques peut également être
arrangé en bandes par ordre d’affinité pour un complexant choisi placé dans la phase stationnaire (7).
• La mesure des coefficients de partage
liquide-liquide
Si une colonne CCC est équilibrée avec une phase
stationnaire octanol, les solutés élués par une phase
aqueuse sortent dans l’ordre de leur coefficient de
partage octanol/eau, Koct. Dans cette configuration, le
volume de rétention d’un soluté permet de calculer,
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c
Technique instrumentale
Du milligramme au kilogramme : une technique séparative,
la chromatographie à contre courant
correspondent aux estimations données par le site américain www.cherryinstruments.com au mois de septembre 2008
Tauto Biotech
Armen Instruments
Kromaton SEAB
Colonnes hydrodynamiques
Colonnes hydrostatiques
Colonnes hydrostatiques
TBE 20 A
TBE300A
TBE1000A
TBE5000A
Elite SCPC 250
Elite SCPC 2x500
Elite SCPC 1000
Elite SCPC 5000
FCPC C50
FCPC A200
FCPC A1000
FCPC A5000
0,02
0,26
1
5
0,25
0,5
1
5
0,05
0,2
1
5
62x91x104
73x110x112
48x48x47
56x68x56
56x68x56
67x69x57
33x52x60
36x58x60
72x68x48
100x67x117
60
80
80
1000
45
65
80
410
33x60x50 53x52x33
60
95
400
540
1 500
900
600
600
2 500
2 000
2000
1 500
1 200
15
10
12
15
140
60
60
50
50
1
2
10
50
25
40
100
150
10
20
30
150
0,5
5
20
100
5
20
20
~150
1
5
30
150
40
200
200
200
20
30
20
40
10
20
60
60
350 000
35 000
70 000
180 000
~ 60 000
~100 000
~100 000
Sur demande
32 000
50 000
63 000
250 000
Tauto Biotech
326, Aidisheng road,
Zhangjiang High-tech Park
201203 Shanghai
Chine
Tél.: +86 21 51320588
Fax: +86 21 51320502
www.tautobiotech.com
Armen Instruments
15, rue Ampère, Z.I. de Kermelen
56890 Saint-Ave
France
Tél.: 02 97 61 84 00
Fax: 02 97 61 85 00
www.armen-instrument.com
sans aucune approximation ou extrapolation, sa valeur Koct (8). Il n’est même pas nécessaire que le soluté
soit extrêmement pur ; les possibles impuretés auront
probablement des coefficients Koct différents qui produiront un chromatogramme multipics.
3. Quelles sont les difficultés associées à la CCC ?
Bien que la technique soit développée depuis plus
d’une trentaine d’années, celle-ci n’est pourtant
toujours pas d’un usage courant dans les laboratoires ou dans l’industrie chimique. De fait, son utilisation se heurte à des contraintes et des limites qui
ne peuvent être évitées.
Le problème majeur qui freine le développement
de la technique est qu’il est très difficile de maintenir stationnaire une phase liquide. Les colonnes
CCC sont peu attractives. La gravité naturelle ne
permet pas des séparations rapides. L’utilisation
de forces centrifuges s’impose. Les colonnes CCC
contiennent nécessairement des parties tournantes,
Kromaton SARL
Atelier 3 ZA Vernusson Pierre Martine
39, rue Cugnot
49130 Sainte-Gemmes-sur-Loire
France
Tél.: 02 41 77 41 48
Fax: 02 41 73 96 23
www.kromaton.com
des moteurs, des engrenages, des courroies ou des
joints rotatifs qui les rendent sujettes aux pannes
mécaniques diverses, sans parler des nuisances sonores ou des problèmes de sécurité qui doivent se
poser quand des masses de plusieurs dizaines de
kilogrammes sont mises en rotation à plus de mille
tours par minute.
Le second problème est l’efficacité chromatographique. A volume égal, une colonne de
chromatographie à phase solide présente beaucoup plus de plateaux théoriques qu’une colonne CCC à phase stationnaire liquide.
Cette propriété fait que les chromatogrammes
CCC caractérisés par des pics larges apparaissent
beaucoup moins « séduisants » que ceux obtenus
par HPLC
Ces problèmes constituent des freins importants
au développement de l’utilisation de la CCC et notre propos est ici de présenter à l’attention du lecteur des progrès récents susceptibles de l’amener à
reconsidérer cette technique.
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TECHNIQUE INSTRUMENTALE
III - Les colonnes CCC récentes
D’importantes améliorations ont été apportées ces
dernières années aux colonnes CCC. Nous présentons
dans le Tableau I (voir page précédente) les principales
caractéristiques des deux types de colonnes faisant
aujourd’hui l’objet d’une commercialisation.
1. Colonnes CCC hydrostatiques
Les colonnes CCC hydrostatiques sont constituées
d’une série de petites chambres interconnectées gravées sur un ou plusieurs disques solides (figure 1).
Ce type de machine possède un seul axe de rotation.
Deux joints rotatifs permettent l’entrée et la sortie des
phases liquides. L’Image 1 présente deux colonnes
CCC hydrostatiques produites en France. Le grand
avantage du concept hydrostatique des chambres interconnectées est que la phase stationnaire liquide est
très bien retenue lorsqu’un champ de force centrifuge
constant est crée. Un autre avantage notable de ces colonnes est leur fonctionnement silencieux.
Les points négatifs sont une certaine faiblesse des joints rotatifs qui doivent supporter une
pression de l’ordre de quelques dizaines de
kg/cm2. A volume égal, une colonne CCC hydrostatique a une moins bonne efficacité qu’une colonne
hydrodynamique car, par principe, les canaux d’interconnexion (figure 1 et insert dans l’image 1) ne
Figure 1
Axe de rotation
Représentation schématique
d’une colonne CCC
hydrostatique. Celle-ci
comporte une série de
chambres interconnectées
par des canaux. La rotation
autour d’un axe produit
un champ centrifuge
constant. Le contact entre
les deux phases intervient
uniquement dans les
chambres. Phase mobile
en bleu, phase stationnaire
en blanc
Chambres
contiennent que de la phase mobile. L’échange chromatographique n’y est donc pas possible ce qui transforme le volume de ces canaux en volume mort. Il n’est
pas possible de réduire ce volume sous peine d’introduire des pertes de charge tout aussi nuisible au processus.
2. Colonnes CCC hydrodynamiques
Les colonnes CCC hydrodynamiques sont constituées d’une ou plusieurs bobines de tube Téflon®
mise(s) en rotation selon un mouvement planétaire :
la bobine tourne sur elle-même en même temps
qu’elle tourne autour d’un axe central (figure 2).
Il y a donc nécessairement au moins deux axes de
rotation. Si des trains d’engrenages ou des courroies sont nécessaires pour créer le mouvement
planétaire, il n’y a aucun joint rotatif. Ces colonnes
travaillent sous une très faible pression (de moins
de 1 à ~4 kg/cm2) et ont une meilleur efficacité que
les colonnes hydrostatiques de volume comparable car il y a contact entre les deux phases liquides, mobile et stationnaire, tout le long du tube.
L’Image 2 montre deux colonnes modernes, toutes
deux de fabrication britannique.
Le problème majeur des colonnes hydrodynamiques est que certains systèmes biphasiques sont
mal retenus. Ces systèmes liquides sont souvent
les plus polaires tels que le système butanol/eau ou
les systèmes à deux phases aqueuses (par exemple le système : solution de polyéthylène glycol
et solution de phosphate de potassium). Le train
d’engrenage peut être bruyant. Dans la machine de
droite présentée par l’Image 2, il est placé dans un
bain d’huile pour réduire significativement les nuisances sonores. Dans une machine de plus grand
volume, les engrenages ont été remplacés par une
courroie.
3. Phase solide ou phase liquide?
Canaux
Image 1
Deux colonnes CCC de type hydrostatique. A gauche, la colonne Armen Elite SCPC250 avec en médaillon
la structure à double chambre avec les canaux de connexion (Armen Instrument, Saint-Avé, Morbihan).
A droite, la colonne Kromaton FCPC A200 (Kromaton, Angers, Maine et Loire). Toutes les caractéristiques
techniques de ces colonnes sont listées dans le Tableau I.
La question pourrait être : la CCC, phase stationnaire liquide, peut-elle ou doit-elle remplacer la chromatographie préparative classique
à phase stationnaire solide ? Il faut bien comprendre que les deux techniques ne sont pas
concurrentes, elles sont complémentaires. Elles
ne travaillent pas du tout sur le même domaine
de polarité. Les équations sont les mêmes pour
les deux techniques, mais la CPL travaille avec
les facteurs de rétention, k, tandis que la CCC
travaille avec les coefficients de partage des solutés, K D. La relation entre les paramètres est :
• k = (Vr –VM)/VM = KDVS/VM Equation III
Le rapport V S/V M d’une colonne CPL est compris entre 0,01 et 0,05. Il est deux ordres de
grandeur plus important pour une colonne
CCC, compris entre 0,5 et 9. La résolution R s
est le paramètre décisif qui mesure la qualité
d’une séparation.
22
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Technique instrumentale
Du milligramme au kilogramme : une technique séparative,
la chromatographie à contre courant
Axe de rotation
Zone de mélange
G
Axe bobine
G
Zone de décantation
Figure 2
Image 2
Représentation schématique d’une colonne CCC hydrodynamique.
Une ou plusieurs bobine(s) font l’objet d’une rotation selon un
mouvement planétaire. Les deux phases sont en contact tout au
long de la bobine.Phase mobile en bleu, phase stationnaire en
blanc
Deux colonnes hydrodynamiques. A gauche, le Labprep MK5 montrant ses deux bobines de 100
mL qui s’auto-équilibrent en rotation (AECS, Bridgend, Royaume-Uni). A droite, le Spectrum DE
avec deux volumes possibles de colonnes, 20 mL ou 125 mL (Dynamic Extractions, Berkshire,
Royaume-Uni). En médaillon, on voit le connecteur silicone qui protège les tubes de connexion
de l’axe central à la bobine. Le contrepoids à l’unique bobine est également visible. Toutes les
caractéristiques techniques de ces colonnes sont listées dans le Tableau I.
(Vr 2 − Vr1 )
• Rs =
[(W2 + W1 ) / 2]
Equation IV
Le numérateur de l’Equation IV correspond à la différence entre les volumes de rétention Vr de deux composés successifs. Le dénominateur correspond à la
largeur moyenne W de la base des deux pics exprimée
en unité de volume.
La résolution s’exprime en CPL en utilisant les facteurs
de rétention k et leur rapport appelé «sélectivité» α :
•
Rs =
N § α − 1· § k2 ·
¸
¨
¸¨
4 © α ¹ ¨© k 2 + 1 ¸¹
Equation V
Les coefficients de partage KD et le taux de phase stationnaire dans la colonne exprimé par la grandeur Sf :
• Sf = VS/VC
Equation VI
sont utilisés pour exprimer le facteur de résolution en
CCC :
·
§
¸
¨
K D 2 − K D1
¸
N¨
• R s = Sf
¸
¨
4 ¨
ª § K D 2 + K D1 ·º ¸
Sf
1
−
1
−
¸» ¸
« ¨
¨
2
¹¼ ¹
¬ ©
©
Equation VII
Un exemple chiffré nous permet d’illustrer
ce qu’impliquent ces équations. On souhaite
séparer complètement (Rs > 1,5) deux composés 1 et
2 qui ont des coefficients de partage KD respectifs de
0,5 et 1,4. Les Equations III et V permettent d’établir
que la colonne CPL, avec un rapport de phase VS/VM
de 0,02, doit compter au moins 117 000 plateaux
théoriques pour pouvoir séparer à la ligne de
base les deux composés. Si notre colonne CCC
est capable de retenir 90 % de son volume en
phase stationnaire, son rapport de phase est 9
et les mêmes équations montrent que 90 plateaux théoriques sont suffisants pour la séparation. Est-ce que cela signifie que la CCC n’a
pas besoin de plateaux théoriques pour séparer
efficacement les solutés ? La réponse apparaît
quelque peu ambivalente : oui et non. Les deux
techniques ne travaillent pas sur les mêmes domaines de polarité.
En CPL ou en HPLC, les facteurs de rétention
des deux solutés sont respectivement 0,01 et
0,028 (équation III avec 0,5 et 1,4 pour K D et 0,02
pour V S/V M). Ces faibles facteurs de rétention
indiquent que ces deux composés éluent très
proches du volume mort. Ils sont peu retenus
dans la colonne. En CCC, les mêmes composés
sont caractérisés par des facteurs de rétention
respectivement égal à 4,5 et 12,6 (équation III
avec V S/V M = 9). Il n’y a aucun problème pour
séparer deux composés retenus si différemment
et 90 plateaux théoriques suffisent. La colonne
CPL sera optimale pour séparer des composés
dont les facteurs de rétention sont plus grands,
compris entre 0,1 et 10. Ces facteurs de rétention correspondent à des coefficients de partage
compris entre 5 et 500 qui sont beaucoup trop
importants pour la colonne CCC. L’Equation II
montre qu’une petite colonne CCC de 50 mL,
avec ses 45 mL de phase stationnaire liquide,
aurait besoin de 22 505 mL de phase mobile
(22,5 L !) pour éluer un composé caractérisé par
un K D de 500.
Il faut clairement rappeler que le facteur de rétention est utilisé en CPL parce que le rapport
de phase d’une colonne est constant. Comme
il est aussi petit, les coefficients de partage
des solutés doivent être grands. En CCC, les
coefficients de partage liquide-liquide sont utilisés de préférence car ce sont des grandeurs
physico-chimiques liées au système liquide utilisé et indépendantes de la colonne CCC.
Les volumes de rétention dépendent du rapport
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TECHNIQUE INSTRUMENTALE
Figure 3
Rôle de la phase
stationnaire et du rapport
de phase en CCC. Les cinq
chromatogrammes sont
obtenus avec la même
colonne hydrodynamique
CCC de 100 mL de volume
(trait vertical hachuré),
avec le même système
liquide : hexane/acétate
d’éthyle/méthanol/eau
4:6:4:6 v/v, phase mobile
aqueuse lourde, 2 mL/
min ; phase stationnaire
organique légère, rotation
800 rpm, et le même
mélange :
1-rouge amarante,
2-caféine,
3-acide férulique,
4-umbelliférone,
5-vanilline,
6-quercétine,
7-coumarine.
Adapté de la référence 3.
Signal UV (254 nm)
0,25
1
2
Vs = 90 mL, Sf = 90 %
0,2
5
3
0,15
0,1
6
4
7
0,05
Vs
=9
VM
0
0,25
0
50
1
100
150
200
250
2
300
350
400
450
Vs = 70 mL, Sf = 70 %
0,2
5
Vs
= 2,3
VM
3
0,15
6
4
0,1
7
0,05
0
0,25
0
50
100
150
200
250
1 2
300
350
400
450
Vs = 50 mL, Sf = 50 %
0,2
5
0,15
Vs
=1
VM
3
6
0,1
7
0,05
0
0,25
0
50
100
1
0,2
150
200
250
5
300
350
400
450
Vs = 30 mL, Sf = 30 %
2
Vs
= 0,4
VM
0,15
7
0,1
0,05
0
0
0,4
50
100
150
200
250
0,35
300
350
400
450
Vs = 10 mL, Sf = 10 %
1
0,3
0,25
Vs
= 0,1
VM
0,2
0,15
7
0,1
0,05
0
0
50
100
150
200
250
300
350
400
450
Volume de rétention
de phase dans la colonne comme illustré par la
Figure 3. Comme prévu par l’Equation VII, les
facteurs de résolution sont directement liés à la
quantité de phase stationnaire dans la colonne
mesurée par le rapport Sf (équation VI). En
CCC, le même mélange, séparé par la même colonne avec le même système liquide produit un
chromatogramme qui dépend de la rétention de
phase stationnaire (Sf) ou du rapport de phase
(figure 3).
24
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IV - Un exemple :
la purification de l’honokiol
Nous conclurons cette courte synthèse consacrée à la
technique CCC par la présentation d’un exemple concret de purification d’une substance naturelle : l’honokiol, un anti-cancer à spectre large. Cette molécule se
trouve dans les racines de la variété de magnolia Magnolia officinalis Rehd. et Wils toujours associée avec
son isomère, le magnolol (figure 4).
Une purification CCC a été mise au point par une
SPECTRA ANALYSE n° 267 • Avril - Mai 2009
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Technique instrumentale
Du milligramme au kilogramme : une technique séparative,
la chromatographie à contre courant
A)
Figure 4
B)
Structures
A) de l’honokiol et
B) du magnolol.
OH
équipe chinoise de l’université du Sichuan. L’utilisation
d’une colonne hydrodynamique CCC de 230 mL
dans laquelle a été injecté 150 mg d’extrait de racines a permis la production de 45 mg d’honokiol
pur à 98,2 % en deux heures (9). Cette purification
a été reprise et transposée sur une colonne CCC de
4,6 litres de volume avec injection de 13 g d’extrait,
5,4 g d’honokiol pur à 99 % ont pu être obtenu en
une vingtaine de minutes (ligne verte, figure 5).
Dans le but d’augmenter la productivité, la charge
injectée a été montée jusqu’à un maximum de 43 g
d’extrait, 17 g d’honokiol pur à 98 % ont été obtenu
en 15 minutes environ (ligne continue, figure 5).
On note que l’injection d’une solution sirupeuse
provoque une perte de phase stationnaire ce qui
entraîne une diminution rapide de la résolution
entre les deux pics avec un léger recouvrement
expliquant l’obtention d’une pureté de seulement
98 %.
Dans ces conditions, il est théoriquement possible de produire 51 g par heure ou 306 g
par jour d’honokiol pur à 98% pour une
consommation de solvants de 0,6 L par gramme
d’honokiol produit.
OH
OH
OH
Figure 5
M
H
H
0
5
10
15
Temps (minute)
20
25
V - Conclusion
La productivité de la CCC dans le cas particulier de
la purification de l’anti-cancer honokiol démontre
les possibilités de la technique. L’injection de 43 g
d’extrait n’est pas possible sur une colonne de chromatographie préparative classique de 4,6 litres de
volume. La nature liquide de la phase stationnaire
mise en oeuvre en CCC rend possible une telle
charge. Par ailleurs, les derniers développements
des colonnes CCC font que celles-ci présentent
maintenant une excellente productivité, qui constitue un avantage économique important, et une
utilisation optimisée des solvants. Cette dernière
caractéristique se révèle intéressante en termes
financiers mais également car elle implique un
impact environnemental réduit.
La nature liquide de la phase stationnaire garantit la
récupération totale du matériel injecté sans aucune
adsorption irréversible possible. Cette nature permet également d’envisager des utilisations originales des colonnes, telles que la CCC d’extrusion ou la
purification d’un mélange binaire en continu sur lit
mobile réel, par opposition à la technique dite du lit
mobile simulé (SMB de simulated moving bed) mise
en œuvre avec les phases stationnaires solides.
Séparation d’un extrait
de magnolia contenant
du magnolol (M)
et de l’honokiol (H)
sur une colonne CCC
hydrodynamique de
4,6 L avec le système
: hexane/acétate
d’éthyle/méthanol/eau
5:2:5:2 v/v.
Ligne noire : injection
de 172 mL chargé à
250 g/L (43 g injectés),
séparation en 15 min
utilisant 9 L de phase
mobile (débit 600
mL/min de phase
aqueuse lourde), vitesse
de rotation 500 rpm.
Ligne verte : injection
de 172 mL chargé à
75 g/L (13 g injectés),
séparation en 25
min utilisant 15 L de
phase mobile (débit
600 mL/min de phase
aqueuse lourde), vitesse
de rotation 600 rpm.
Adapté de la
référence (10).
BIBLIOGRAPHIE
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Support-free Liquid Stationary Phase, BARCELO D. (Ed.),
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high-capacity high-speed CCC, J. Chromatogr. A, 2007,
1142, 115-122.
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