Johansson c - L`Europe des Libertés
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Johansson c - L`Europe des Libertés
Revue d’actualité juridique, l’Europe des Libertés, N°25, pp. 35-39 www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE ET FAMILIALE CourEDH, Johansson c. Finlande, 6 septembre 2007 Mots clés : Intérêt supérieur de l’enfant, Ingérence disproportionnée Les requérants, de nationalité finlandaise, ont décidé d’attribuer à leur enfant, né en 1999, un prénom jugé trop original par l’autorité finlandaise en charge du registre de l’état civil, qui s’est refusée à l’inscrire, au motif que l’orthographe dudit prénom, « Axl Mick », n’était pas répertoriée. Après avoir été déboutés par la Cour administrative d’Helsinki puis, en appel, par la Cour administrative suprême, M. et Mme Johansson ont contesté le refus d’inscrire le prénom de leur fils devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le juge européen rappelle tout d’abord qu’il en va de l’intérêt de l’enfant d’éviter les prénoms peu recommandables et considère que c’est à juste titre que les autorités chargées du registre de l’état civil ont, en la matière, une marge d’appréciation conséquente. Cependant, la Cour considère qu’il convient de distinguer la requête des époux Johansson des affaires Guillot c. France, du 24 octobre 1996, et Salonen c. Finlande, du 2 juillet 1997 : « It was not contended either in the domestic proceedings or in the proceedings before the Court that the applicants' son would suffer prejudice if he were to be registered with the name “Axl Mick” or that the parents' choice of forename was in any way inappropriate for their son or contrary to his interests. Furthermore, unlike in Salonen and Guillot, where no other “Ainut Vain Marjaanas” or “Fleur de Marie” had been registered in the relevant domestic population or civil status registers, the name “Axl” had been accepted for official registration by the Finnish authorities, although it was not accepted for the applicants' child » (§ 33). En effet, elle constate que le prénom de l’enfant, « Axl », est utilisé dans le cercle familial depuis sa naissance sans que cela pose de difficulté. Par ailleurs, elle relève que le prénom en question ne diffère pas considérablement de prénoms communément employés tels que « Alf » ou « Ulf », qu’il n’est pas ridicule ou fantaisiste, qu’il n’a jusqu’à présent pas porté préjudice à l’enfant, qu’il est prononçable en finlandais comme dans d’autres langues. En conséquence, ledit prénom ne peut pas raisonnablement être considéré comme peu recommandable pour un enfant. En outre, le juge européen attache une importance particulière au fait que le prénom « Axl » figurait déjà, à trois reprises, au registre de l’état civil finlandais avant la naissance de l’enfant et que depuis 1999, deux enfants se nommant « Axl » avaient été inscrits au registre. Les autorités finlandaises n’ayant pas démontré que ce prénom avait des conséquences néfastes pour la culture et l’identité linguistique finlandaise, la Cour conclut donc, à l’unanimité, à la violation par la Finlande de l’article 8. CourEDH, Khamidov c. Russie, 15 novembre 2007 Mots clés : Expropriation, Violation du domicile, Ingérence disproportionnée En l’espèce, le requérant, un ressortissant russe, réside dans le village tchétchène de Bratskoye sur un terrain dont il partage la propriété avec son frère. Ils y ont chacun construit leur maison, en plus des locaux nécessaires à leur entreprise familiale, une boulangerie. Suite aux actions des forces Revue d’actualité juridique, l’Europe des Libertés, N°25, pp. 35-39 anti-terroristes russes en Tchétchénie, M. Khamidov et sa famille, par crainte pour leur sécurité, décident de quitter leur village en octobre 1999. Quelques jours plus tard, leur propriété est réquisitionnée par les forces armées. Après avoir passé l’hiver dans un camp de réfugiés où les conditions de vie, plus que précaires, ont coûté la vie à son neveu, le requérant multiplie en vain les actions juridiques afin de récupérer sa propriété. Il lui faudra attendre le 14 février 2001 pour que la Cour de district de Nadterechny ordonne l’expulsion des forces armées russes de sa propriété, puis patienter jusqu’en juin 2002 pour que la police accepte enfin de se conformer au jugement de la Cour de district. Devant l’ampleur des dégâts causés à sa propriété, du refus des forces de police de se conformer au jugement de la Cour de district et des conditions déplorables dans lesquelles lui et ses proches ont vécu durant leur exil, M. Khamidov décide de se retourner contre le ministre de l’Intérieur. Il est cependant débouté, le 23 janvier 2002, par une Cour de district de Moscou au motif qu’il n’a pas fourni suffisamment de preuves démontrant que la responsabilité de son préjudice matériel incombait au ministère de l’Intérieur. Ses divers appels ont tous été rejetés. Après avoir relevé que la maison du requérant et celle de son frère constituent son « domicile » au sens de la Convention, la Cour considère que M. Khamidov a apporté suffisamment de preuves que sa propriété avait été endommagée par les forces de police : « In assessing the materials submitted in the present case, the Court observes that the applicant furnished it with numerous documents, such as local authorities' certificates and evaluation reports and bailiffs' reports, capable of laying the arguable basis for his claims that his estate had indeed been damaged and that such damage had been caused by State agents » (§ 136). Elle juge qu’il y a donc eu une ingérence dans le droit du requérant au respect et à la www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr jouissance en toute tranquillité de son domicile : « Having regard to the documentary evidence in its possession, arguments advanced by the parties and the particular circumstances of the case, the Court finds that it has sufficient grounds to consider it established that, contrary to the findings of fact made by the domestic courts, the damage to the applicant's estate was caused by the consolidated police units of the Ministry of the Interior, which were stationed on the estate at the relevant period, and that there has therefore been interference with the applicant's rights under Article 8 and Article 1 of Protocol No. 1 on that account » (§ 138). Or, les juges européens estiment que cette ingérence est dépourvue de base légale et que l’occupation temporaire par la police de la propriété du requérant et les dommages qui en ont résulté sont constitutifs d’une violation de l’article 8 et de l’article 1 du Protocole 1. En effet, en ce qui concerne la période qui s’étend du 13 octobre 1999 au 23 février 2001, « the Government did not submit any document, such as an order, instruction or regulation, specifically authorising the police units to be stationed on the applicant's estate, or provide any details regarding such a document, if there was one. Moreover, the courts in the domestic proceedings never referred to any such document either » (§ 141). Il en va de même pour la période qui s’étend du 24 février 2001 au 14 juin 2002 : « the Court notes that […] the police units occupied the applicant's estate when the court judgment of 14 February 2001, which found the occupation unlawful and ordered their eviction, was in force » (§ 145). Enfin, la Cour juge que les dommages provoqués par les forces de police à la propriété de M. Khamidov sont également dépourvus de base légale, d’autant plus que « the inflicting of damage on the applicant's estate […] was clearly in breach of the military commander's order Revue d’actualité juridique, l’Europe des Libertés, N°25, pp. 35-39 of 25 May 2000 to preserve the applicant's property from destruction » (§ 147). Ainsi, le juge de Strasbourg condamne à l’unanimité la Russie pour violation de l’article 8 et de l’article 1 du Protocole 1 (voir cette Revue, pp. 47-48) CourEDH, Pfeifer novembre 2007 c. Autriche, 15 Mots clés : Liberté d’expression, Respect de la réputation, Nazisme Journaliste indépendant, Karl Pfeifer, qui était rédacteur en chef du magazine officiel de la communauté juive de Vienne au moment des faits, publia en février 1995 une critique en des termes véhéments à l’encontre d’un article publié par un professeur qui affirmait que les juifs avaient déclaré la guerre à l’Allemagne en 1933 et qui banalisait les crimes perpétrés sous le régime nazi. Après avoir exercé vainement une action en diffamation à l’encontre de M. Pfeifer, l’auteur dudit article fit l’objet, en avril 2000, de poursuites par le ministère public en vertu de la loi sur l’interdiction du nationalsocialisme pour les propos qu’il avait tenus. Mais il mit fin à ses jours la veille de son procès. M. Pfeifer ne tarde pas à s’attirer les foudres de l’hebdomadaire d’extrême droite « Zur Zeit » qui, dans une publication de juin 2000, l’accuse d’avoir lancé une véritable chasse à l’homme et le tient pour responsable du décès du professeur. Le journaliste indépendant exerce une première action en diffamation bientôt suivie d’une seconde après les nouvelles accusations proférées par l’hebdomadaire d’extrême droite. Toutefois, il fut débouté de ses demandes en appel au motif qu’il n’y avait rien d’excessif dans les propos tenus par le rédacteur en chef de « Zur Zeit ». Dans cette affaire, la Cour devait trancher entre le droit à la liberté d’expression de l’hebdomadaire « Zur Zeit » et le droit au respect de la réputation de M. Pfeifer. Elle www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr a donné raison au requérant car l'établissement d'un lien entre l'article du journaliste et la mort du professeur dépassait les limites admissibles de la liberté d'expression : « Although it is undisputed that the applicant had written a critical commentary on P.'s article in 1995 and that, years later, in 2000, P. had been charged under the Prohibition Act in relation to this article and had committed suicide, the defendant had not offered any proof for the alleged causal link between the applicant's article and P.'s death. » (§ 47). De surcroît, le juge de Strasbourg rappelle que : « The use of the term “member of a hunting society” implies that the applicant was acting in cooperation with others with the aim of persecuting and attacking P. There is no indication, however, that the applicant, who merely wrote one article at the very beginning of a series of events and did not take any further action thereafter, acted in such a manner or with such an intention » (§ 48). Par conséquent, la Cour, par cinq voix contre deux, condamne l’Autriche pour violation de l’article 8. Les juges Loucaides et Schäffer ont chacun formulé une opinion dissidente dans laquelle ils estiment que c’est à tort que la majorité a condamné l’Autriche et que les juridictions autrichiennes n’ont pas manqué à leur devoir de protection de la réputation du requérant. CourEDH, Lind c. Russie, 6 décembre 2007 Mots clés : Vie familiale, Détention, Ingérence disproportionnée Le requérant, un ressortissant de nationalité russo-néerlandaise, a été emprisonné, le 16 décembre 2004, en compagnie de quarante autres membres du parti national bolchevique, pour tentative de coup d’État, destruction et dégradation d’un bâtiment public. Alors qu’il est détenu dans une prison russe, il apprend en Revue d’actualité juridique, l’Europe des Libertés, N°25, pp. 35-39 septembre 2005 que son père, qui réside aux Pays-Bas, est atteint d’un cancer incurable et qu’il a demandé à bénéficier d’une euthanasie, programmée pour la fin du mois. Suite au refus de la Cour de district de l’autoriser à se rendre au chevet de son père mourrant, les autorités russes consentent malgré tout à ce que M. Lind dialogue avec son père par téléphone, mais en russe et aux frais de l’ambassade néerlandaise. L’entretien, qui eut lieu la veille du décès du père du requérant, ne dura qu’une minute car il fut interrompu. Le requérant fut libéré le 8 décembre 2005 après avoir été condamné à trois ans de prison avec sursis. En l’espèce, la Cour considère que les autorités russes n’ont pas outrepassé la marge d’appréciation dont elles disposaient concernant leur décision de ne pas autoriser M. Lind à se rendre aux PaysBas : « It understands the apprehension of the domestic authorities that the applicant might not return from abroad. It notes in this connection that it was open to the Russian authorities to seek assistance from the Dutch authorities. The Russian authorities did not consider applying for such assistance, despite the fact that the Dutch Ambassador had contacted them at least three times to request the applicant's release […]. Nevertheless, given that the domestic authorities are better placed than the European Court to assess the matter, the Court is unable to find that, in refusing to release the applicant so that he could visit his dying father in The Hague or attend the farewell ceremony, the domestic authorities exceeded the margin appreciation afforded to them » (§ 97). En revanche, la Cour estime que les autorités russes ont bafoué le droit au respect de la vie familiale de M. Lind : « the respect for the applicant's family life required however that, once his application for release had been rejected, he be provided with an alternative opportunity to bid farewell to his dying father. The Court notes in this connection that the applicant was allowed to talk to www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr his father over the phone, in Russian only. The conversation lasted a minute and was interrupted by the facility administration. The Government did not provide any explanation for the interruption of the conversation. The Court considers that a one-minute conversation in a language which the applicant's father had difficulty understanding did not provide a meaningful opportunity for the applicant to bid farewell to his dying father. No other possibility to contact his father was provided » (§ 98). Le juge de Strasbourg, compte tenu du contexte particulièrement dramatique de la situation, conclut à l’unanimité à la violation de l’article 8. CourEDH, Liu et Liu c. Russie, 6 décembre 2007 Mots clés : Expulsion, Vie Familiale, Garanties procédurales, Sécurité nationale Le requérant, un ressortissant chinois, est marié depuis 1994 à une ressortissante russe avec qui il a eu deux enfants, en 1996 et en 1999. Alors que son permis de travail arrive bientôt à expiration, il fait une demande de permis de résidence qui lui est refusée sans explication. Le 4 novembre 2004, la Cour de district chargée de se prononcer sur la requête de M. Liu Jingcai est informée par le Département des affaires intérieures que le requérant constituerait, selon le Service de sécurité fédéral, un danger pour la sécurité nationale. Cette information ne sera jamais révélée au requérant par la justice russe. Le 12 novembre 2005, le chef du Bureau fédéral de la migration ordonne, sans aucune précision, l’expulsion de M. Liu Jingcai qui sera suivie, le 25 décembre 2006, d’une mesure de placement en détention. Le requérant vit actuellement en Russie auprès de sa famille, bien qu’il soit toujours sous la menace d’une mesure d’expulsion. La loi sur les ressortissants étrangers autorise le ministre de l’Intérieur à refuser Revue d’actualité juridique, l’Europe des Libertés, N°25, pp. 35-39 de délivrer un permis de résidence et à ordonner des expulsions de manière discrétionnaire. La décision ordonnant la mise en détention de M. Liu Jingcai a été prise sur initiative du Bureau fédéral de la migration et du Département de la police locale, agences rattachées au pouvoir exécutif, sans avoir été entendu ni avoir eu la possibilité de se défendre. La Cour constate cependant qu’il existe une procédure parallèle relative à l’expulsion des ressortissants étrangers résidant illégalement en Russie dans le Code des délits administratifs. Celle-ci offre des garanties procédurales substantielles à l’intéressé puisque l’arrêté d’expulsion est soumis au contrôle exclusif d’un juge et qu’il peut être fait appel de sa décision. Mais dans la mesure où le droit russe permet au pouvoir exécutif de choisir entre ces deux procédures, la jouissance de garanties procédurales des ressortissants www.leuropedeslibertes.u-strasbg.fr étrangers résidant illégalement sur le territoire dépend du bon vouloir de l’autorité compétente. Par conséquent, les juges européens condamnent à l’unanimité la Russie pour violation de l’article 8 : « The Court concludes that the interference with the applicants' family life was based on legal provisions which did not meet the Convention's “quality of law” requirements. Accordingly, in the event of the deportation order against the first applicant being enforced, there would be a violation of Article 8. In the light of this conclusion, the Court is not required to determine whether the interference pursued a legitimate aim or aims under paragraph 2 of Article 8 and was “necessary in a democratic society” » (§ 69). SAMUEL MARCHESSEAU