GROUPE ISP – ENM AE 2016

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Les contrôles d’identité
Par Jérémie DILMI
Introduction :
« Ceux qui abandonnent une liberté essentielle pour une sécurité minime et temporaire ne
méritent ni la liberté ni la sécurité » (Benjamin Franklin). De cette exigence de conciliation
entre sécurité et liberté, le législateur s’est fait l’écho dans une loi éponyme n°81-82 du 2
février 1981 encadrant les contrôles d’identité afin de prévenir tout arbitraire dans l’activité
policière. A l’heure où les critiques demeurent contre les contrôles d’identité, le juge apparaît
comme le dernier rempart devant ce qui est dénoncé comme parfois discriminatoire1.
Le débat n’est pas nouveau si l’on songe qu’il se décline au gré des lois successives – et des
alternances politiques – selon l’intensité que l’on souhaite donner à la sécurité ou à la liberté
en fonction des menaces qui peuvent notamment peser sur les citoyens2. Ce n’est pourtant que
tardivement que le législateur est intervenu pour leur donner, au terme de la loi n°83-466 du
10 juin 1983, un cadre juridique consacré dans un nouveau chapitre intitulé « Des contrôles
d’identité » (art. 78-1 à 78-5 du Code de procédure pénale). Les lois successives, notamment
celles du 3 septembre 19863 et du 10 août 19934, n’ont cessé d’étendre leur champ
d’application dans leurs perspectives préventives et répressives si l’on reprend la distinction
entre les contrôles d’identité de police administrative et de police judiciaire.
Il s’agit, en tout état de cause, pour la personne contrôlée par un agent de l’autorité publique
d’établir en tous lieux du territoire de la République son identité. En dehors de tout contrôle
d’identité – si bien qu’il convient de les distinguer – les personnes de nationalité étrangère
peuvent faire l’objet d’une vérification des pièces ou documents sous le couvert desquels elles
sont autorisées à circuler ou à séjourner en France5. Les contrôles d’identité se distinguent
également, au regard des autorités habilitées à les exercer, des simples relevés d’identité.
Entendu lato sensu, le contrôle d’identité peut être étendu à ses suites, soit une vérification
d’identité si la personne n’est pas en mesure d’en justifier. Nonobstant leur dimension
coercitive, les contrôles d’identité peuvent être envisagés en dehors de tout cadre juridique
d’enquête dès lors qu’ils répondent à un régime sui generis. Ils sont d’ailleurs souvent aux
prémices des enquêtes de police en servant, le cas échéant, leur fondement (voir les cas
d’ouverture de la flagrance prévus par l’article 53 du Code de procédure pénale).
C’est dire que les contrôles d’identité se posent en tant que vecteurs de la préservation de
l’ordre public érigé par le Conseil constitutionnel comme l’un des premiers objectifs à valeur
constitutionnelle. Il s’agit ainsi que le rappelle le Conseil constitutionnel dans sa décision des
1
A cet égard, voir dernièrement la position des juges du fond qui ont sanctionné pour la première fois des « contrôles au
faciès » en même temps que l’Etat pour faute lourde (CA Paris, 24 juin 2015).
2
Voir dernièrement la loi n°2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les
atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageur.
3
La loi 3 septembre 1986 relative aux contrôles et vérifications d’identité élargit notamment le domaine des contrôles
d’identité de police administrative.
4
La loi 10 août 1993 relative aux contrôles et vérifications d’identité a créé de nouveaux cas de contrôle et facilité l’exercice
de certains contrôles préexistants.
5
Voir l’article L.611-1 CESEDA dans sa rédaction issue de la loi n°2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue
pour vérification du droit.
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19 et 20 janvier 1981 sur la loi relative aux contrôles d’identité de concilier cet impératif avec
la liberté individuelle, notamment celle d’aller et venir. Les droits et libertés individuels sont
engagés à la mesure de cet impératif qui se pose avec acuité, d’une part, sur le terrain de la
libre circulation, avec la crise des migrants, d’autre part, sur celui du respect de la dignité,
avec les contrôles « au faciès » régulièrement dénoncés comme procédant d’une association
détestable entre ordre public et origine ethnique ou raciale. C’est à la croisée de ces intérêts
contradictoires qu’il convient de se demander si les contrôles d’identité participent d’un juste
équilibre procédural.
Aussi convient-il de dépasser le strict encadrement des contrôles d’identité affiché dans les
termes de la loi (I.) pour aborder leur contrôle controversé suivant la place laissée au juge
(II.)
I – L’encadrement affiché des contrôles d’identité
L’encadrement des contrôles d’identité est traditionnellement restitué dans la distinction entre
les contrôles d’identité dits de « police judiciaire » et de « police administrative » suivant
l’attachement (A/) ou d’indifférence (B/) que l’on prête au comportement de la personne
contrôlée.
A/ Un encadrement inhérent au comportement de la personne contrôlée
Attachées à la répression, les prévisions législatives gagnent en précision mais demeurent
soumises à l’appréciation large que peut en avoir l’autorité publique.
1°) La précision des prévisions législatives
Aux termes de l'article 78-2 du Code de procédure pénale, quatre hypothèses déclinent les
contrôles dits de police judiciaire. Ainsi, peut être contrôlée toute personne à l'égard de
laquelle il existe « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » qu'elle a commis ou
tenté de commettre une infraction, qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit, qu'elle
est susceptible de fournir des renseignements utiles à l'enquête en cas de crime ou de délit, ou
qu'elle a fait l'objet de recherches ordonnées par l'autorité judiciaire.
Autant d’hypothèses qui commandent une intervention policière objectivement fondée sur le
comportement de la personne suspectée que l’agent de la force publique doit justifier par
référence à la situation de fait qu’il a découverte, peu important qu’il précise le fondement
juridique dudit contrôle (Crim., 13 janvier 1986 : Bull. crim. 1986, n°19). La garantie n’est
toutefois que de façade car, fût-elle objective, la référence au comportement suspect de la
personne contrôlée est laissée à l’appréciation subjective de l’autorité publique.
2°) L’appréciation des perspectives répressives
La seule expression consistant à fonder les contrôles d’identité sur « une ou plusieurs raisons
plausibles laissant présumer que » suffit à concentrer toute la dimension personnelle de
l’appréciation de l’agent. Contrairement à « l’indice » renvoyant à un fait tangible, la « raison
plausible » relève davantage de l’impression. A l’instar d’une première impression qui serait
la bonne, le policier n’a pas à en être autrement convaincu. En effet, nul n’est besoin d’une
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pluralité de « raisons » pour que l’esprit de l’agent se convainque de la vraisemblance d’un
comportement délictuel, là où le texte n’en exige qu’une pour fonder l’initiative de ce dernier.
La jurisprudence retranscrit cette casuistique au terme de décisions dont la distinction est à
rechercher dans l’appréciation personnelle qu’a pu avoir l’agent du comportement de la
personne suspectée. Ainsi a-t-il pu être jugé que le seul fait de faire demi-tour à la vue des
policiers ne peut justifier un contrôle d’identité (Civ. 1ère, 10 mai 2006, n°04-50.145) là où
une tentative de dissimulation à la vue des policiers leur a permis de justifier d’un tel contrôle
(Civ. 1ère, 17 janvier 2006, n° 03-50.097).
C’est dans l’interstice de ce qui est objectivement prévu et de ce qui est subjectivement perçu
que l’encadrement des contrôles d’identité s’avère plus apparent qu’effectif. Ce qui est vrai
pour les contrôles de police judiciaire l’est plus encore pour les contrôles de police
administrative.
B/ Un encadrement en marge du comportement de la personne contrôlée
Attachées à la prévention, les prévisions législatives ne sauraient être plus imprécises ce qui
ajoute à l’appréhension large que peut en avoir l’autorité publique.
1°) L’imprécision des prévisions législatives
Présentés comme des moyens de prévention, les contrôles de police administrative se posent
donc en amont de la répression si bien qu’ils ne peuvent se fonder sur le comportement
suspect de la personne. Ils souffrent donc, par définition, d’un déficit d’incarnation conférée
par l’attitude de l’individu qu’il s’agit, par hypothèse, de prévenir. Reste que dans une telle
perspective, ce rapport distendu entre les moyens employés et la finalité poursuivie apparaît
comme autant de marge discrétionnaire laissée à l’autorité publique.
Cette latitude se retrouve d’ailleurs dans les termes de l’article 78-2 alinéa 3 du Code de
procédure pénale qui prévoit le contrôle d’identité de toute personne, quel que soit son
comportement, pour prévenir une atteinte à la sécurité des personnes et des biens. La
formulation est si évanescente qu’elle rendrait possible tous types contrôles, notamment au
faciès. Aussi, le Conseil constitutionnel est-il intervenu pour en préciser les termes exigeant
que celui qui procède à un tel contrôle le justifie dans le procès-verbal en faisant référence
aux circonstances concrètes qui ont caractérisé un risque d’atteinte à l’ordre public (Cons.
const., 5 août 1993, déc. n° 93-323 DC). Une simple formule abstraite et non circonstanciée
serait en effet insuffisante à légitimer le contrôle même si la Cour de cassation se livre à une
appréciation très compréhensive de la notion de menace de l’ordre public.
Cette latitude se retrouvait encore dans les termes de l’article 78-2 alinéa 8 du Code de
procédure pénale relatif aux contrôles dit « Schengen » qui ont été sanctionnés en ce qu’ils
n’étaient pas suffisamment encadrés (CJCE, 22 juin 2010, Aziz Melki et Sélim Abdeli, C188/10 et C-189/10) et permettaient aux policiers d’y recourir largement – voire
systématiquement – aboutissant, non sans risques de discrimination, à un rétablissement des
contrôles aux frontières. La jurisprudence ne s’est pas déterminée autrement s’agissant des
vérifications des titres de séjour, pris sur le fondement de l’article L.611-1 C.E.S.E.D.A. (Civ.
1ère, 6 juin 2012, n°10-25.233). Le législateur a entériné ces décisions par les lois du 14 mars
2011 (n°2011-267) et du 31 décembre 2012 (n°2012-1560).
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Bien qu’agissant à l’initiative du procureur de la République, l’autorité publique disposera
souvent d’une latitude importante puisqu’à l’imprécision des textes succédera souvent des
réquisitions ouvertes ordonnant des contrôles d’identité pour la recherche et la poursuite de
certaines infractions dans un lieu et un temps déterminés (art. 78-2 alinéa 2 du Code de
procédure pénale).
2°) L’appréhension des perspectives préventives
Plus encore que pour les contrôles de police judiciaire, les policiers disposent d’un pouvoir
d’appréciation important, à la mesure de l’acception large que l’on peut avoir de la notion
d’ordre public. L’évaluation d’une atteinte à l’ordre public dont la seule éventualité laisse, en
effet, une latitude considérable à l’agent compétent. En matière de police administrative, cette
évaluation se positionne en amont de la répression si bien qu’il s’agit de prévenir ce qui risque
d’arriver et non pas de réprimer ce qui arrive. A en suivre le raisonnement, tout contrôle
d’identité étant intrinsèquement préventif, il serait à la fois un moyen et une fin. C’est dire
que le contrôle d’identité se justifierait en lui-même et par lui-même. C’est donc de manière
quelque peu artificielle qu’il est demandé à l’agent d’en justifier pour satisfaire le principe de
nécessité. Il n’est toutefois pas d’autres moyens pour que le juge puisse exercer son contrôle
in fine.
II – Le contrôle controversé des contrôles d’identité
Les contrôles d’identité échappent encore au contrôle du juge puisqu’ils ne sont soumis à
aucun contrôle a priori, celui-ci ne pouvant intervenir qu’a posteriori lorsque des poursuites
ont été déclenchées.
A/ L’absence de contrôle a priori du juge
1°) Les conséquences de l’absence de contrôle a priori du juge
-
Des « contrôles au faciès » latents
L’absence de contrôle préalable tient à ce que cette mesure est un pouvoir propre de police
judiciaire à l’exception des contrôles sur réquisitions du Parquet qui laissent paradoxalement
la plus grande marge d’appréciation aux agents (cf. supra). Le contrôle de ces opérations dites
« coup de poing » est d’autant plus critiqué que le statut d’autorité judiciaire du procureur de
la République est contesté (en ce sens voir notamment CEDH, grde ch., 29 mars 2010,
Medvedyev et autres c/ France, n° 3394/03).
L’absence de contrôle préalable apparaît, en outre, inhérente à cet acte d’investigation sui
generis qui peut être diligenté en dehors de tout cadre d’enquête (cf. art. 78-1 et s. CPP) et
ipso facto hors le contrôle d’une autorité judiciaire, procureur de la République ou juge
d’instruction. Le Conseil constitutionnel a pourtant rappelé l’importance du contrôle de
l’autorité judiciaire « gardienne de la liberté individuelle de contrôler en particulier les
conditions relatives à la légalité, à la réalité et à la pertinence des raisons ayant motivé les
opérations de contrôles et de vérification d'identité » (C. const., 5 août 1993, n°93-323 DC)
Les libertés individuelles sont d’autant plus exposées et les contrôles au faciès facilités que le
policier est tout à la fois celui qui décide de la mesure et celui qui la contrôle. Est attachée, en
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outre, à son opération de contrôle l’apparence de la légalité si bien que, fût-elle
discriminatoire, la personne contrôlée devra s’y soumettre sauf à tomber sous le coup de la
rébellion.
-
L’absence de voies recours patente
Ce n’est que lorsqu’il y sera donné suite qu’un procès-verbal sera conséquemment dressé et
que la mesure pourra être contestée. A défaut, il n’en ressortira aucune procédure et partant
aucun support pour la faire sanctionner. L’ampleur des contrôles d’identité est donc
difficilement quantifiable tout comme la part de ce qui relèverait du contrôle au faciès. En
tout état de cause, la contestation ne peut intervenir qu’a posteriori.
2° Les palliatifs de l’absence de contrôle a priori du juge
-
L’intervention ponctuelle de l’autorité judiciaire
L’autorité judiciaire peut être à l’initiative d’un contrôle d’identité judiciaire et exercer de ce
fait un contrôle a priori lors d’opérations de police administrative communément appelées
« opérations coup de poing ». A ce titre, l’article 78-2 al. 2 du code de Procédure pénale
prévoit que, sur réquisitions du procureur de la République, pour la recherche et la poursuite
d’infractions qu’il précise, la police peut contrôler l’identité de toute personne dans des lieux
et pour la période de temps précisés par le procureur de la République. Les réquisitions se
doivent d’être le plus circonstanciées possible afin de ne pas donner un blanc-seing aux forces
de l’ordre. Si ces dernières outrepassent les termes des réquisitions, le juge judiciaire
prononcera la nullité d’un tel contrôle d’identité et de l’interpellation qui le fonde.
-
Le relai possible d’autres autorités
o L’autorité administrative indépendante : le Défenseur des droits
Le Défenseur des droits, reprenant les missions de la Commission Nationale de Déontologie
et de la Sécurité, a adopté une posture très ferme en condamnant les dérives qui lui étaient
rapportées à l’occasion sa saisine par les citoyens, victimes de contrôles d’identité arbitraires.
Afin d’interpeler les pouvoirs publics, le Défenseur des droits a publié un rapport sur les
"relations police-population et les contrôles d’identité" le 16 octobre 2012. A ce titre, il a
préconisé plusieurs mesures destinées à prévenir les contrôles d’identité discriminatoires.
Tout, d’abord, il s’agissait de rendre possible l’identification des auteurs des contrôles en
instaurant, pour chaque policier, le port d’un matricule visible. Ensuite, il a appelé de ses
vœux l’encadrement déontologique de la technique dite de palpation de sécurité pendant le
contrôle d’identité. Enfin, l’autorité administrative a souhaité mettre en place un dispositif de
régulation des contrôles d’identité à travers la remise d’un récépissé à la personne contrôlée.
Une telle idée fut abandonnée car jugée trop contraignante.
o L’autorité policière : l’Inspection Générale des Services
Les citoyens ont désormais la possibilité de saisir directement l’IGS, la « police des polices »
via une plateforme internet d’accueil et de signalement. Les personnes qui s’estiment ainsi
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victimes d’un contrôle abusif peuvent désormais assortir leurs recours d’un numéro de
matricule, porté sous forme de scratch sur les uniformes et sur les brassards pour les policiers
en civil. Au besoin et à la demande de la personne faisant l’objet d’un contrôle, les caméras
piétons pourront être consultées. A l’heure où le code de déontologie de la police a été
réformé, d’aucuns y voient le moyen de restaurer la confiance entre citoyens et policiers là où
d’autres fustigent de possibles dérives comme la stigmatisation du travail des policiers,
préjugeant de la partialité du contrôle d’identité. Manuel Valls, alors Ministre de l’intérieur,
se félicitait de ce dispositif d’envergure conjuguant « l’inspection générale de la police
nationale, la plate-forme internet, le code de déontologie, le matricule, les caméras piétons ».
B/ L’effectivité du contrôle a posteriori du juge
1°) Les termes du contrôle
-
Le contrôle par le juge supranational
Dans sa célèbre décision du 22 juin 2010, la CJUE a censuré les dispositions issues de l’art.
78-2 al. 4 CPP. Elle juge en effet que les prévisions du droit communautaire relatives à la
liberté d’aller et de venir (art. 67 §2 TFUE et articles 20 et 21 règlement n° 562/2006)
s'opposent à une législation nationale conférant aux autorités de police d’un État membre « la
compétence de contrôler, uniquement dans une zone de 20 kilomètres à partir de la frontière
terrestre de cet État avec les États parties à la Convention d'application de l'accord de
Schengen, l'identité de toute personne, indépendamment du comportement de celle-ci et de
circonstances particulières établissant un risque d'atteinte à l'ordre public, en vue de vérifier
le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents
prévues par la loi, sans prévoir l'encadrement nécessaire de cette compétence garantissant
que l'exercice pratique de ladite compétence ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui
des vérifications aux frontières ». Ainsi, le droit communautaire s’oppose aux législations
nationales prévoyant un contrôle aux frontières des Etats signataires de l’accord de Schengen
de 1985 en dehors de circonstances particulières, liées notamment au comportement des
individus et aux exigences de la sûreté.
C’est pourquoi la loi du 14 mars 2011 (loi loppsi II) a prévu, à l’art. 78-2 al. 8 CPP, que de
tels contrôles ne peuvent désormais être réalisés que « pour la prévention et la recherche des
infractions liées à la criminalité transfrontalière ». Reprenant les exigences de la CJUE, le
législateur prévoit ensuite que « le contrôle des obligations de détention, de port et de
présentation des titres et documents prévus par la loi ne peut être pratiqué que pour une
durée n'excédant pas six heures consécutives dans un même lieu et ne peut consister en un
contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones ou lieux
mentionnés. »
-
Le contrôle par le juge national
o Le juge constitutionnel
Dans version initiale, le texte de la loi Loppsi II ajoutait à la liste des personnes autorisées à
opérer des contrôles d'identité l'intégralité des agents de police judiciaire adjoints et, en
particulier, les agents de police municipale. Dans sa décision du 10 mars 2011, le Conseil
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constitutionnel juge cette prévision contraire à l’art. 66 de la Constitution, selon lequel
l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle. Il estime en effet que l'exigence de
direction et de contrôle de l'autorité judiciaire sur la police judiciaire ne serait pas respectée si
des pouvoirs généraux d'enquête criminelle ou délictuelle étaient confiés à des agents qui,
relevant des autorités communales, ne sont pas mis à la disposition des officiers de police
judiciaire.
o Le juge répressif
S’agissant des contrôles d’identité de police administrative : la jurisprudence tempère le
caractère large de tels contrôles en exigeant que celui qui y procède le justifie dans le procèsverbal en faisant référence aux circonstances concrètes qui ont caractérisé un risque d’atteinte
à l’ordre public. Une simple formule abstraite et non circonstanciée serait en effet insuffisante
à légitimer le contrôle.
S’agissant des contrôles d’identité de police judiciaire : la chambre criminelle exerce un réel
contrôle sur la notion « de raison plausible indice laissant présumer que ». Elle juge par
exemple de manière constante que le seul fait de faire demi-tour à la vue des policiers ne peut
justifier un contrôle d’identité de police judiciaire (cf. infra).
Jusqu’alors réservé, le juge répressif a récemment fait une intervention remarquée dans cinq
arrêts rendus, le 24 juin 2015, condamnant l’Etat pour faute lourde en raison du caractère
discriminatoire de contrôles d’identité opérés sur la base de l’apparence physique des
personnes contrôlées, de la couleur de leur peau ou de leur origine étrangère supposée. Outre,
la reconnaissance expresse des contrôles au faciès, la Cour d’appel consacre un recours
effectif contre ces derniers. Partant du constat que l’absence de traçabilité des contrôles
d’identité entrave le contrôle juridictionnel, elle accepte de se fonder sur un faisceau de
circonstances graves, précises et concordantes. L’Etat, contre toute attente et en dépit de
l’engagement de campagne du président de la République, Monsieur François Hollande de
lutter contre lesdits contrôles, s’est pourvu en cassation contre ces arrêts. Plus encore, dans le
cadre de ce recours, la position gouvernementale a ceci de choquant que, le 26 février 2016,
Mediapart a révélé qu’elle soutenait une telle pratique lors de la recherche des infractions à la
législation sur les étrangers.
Une proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d’identité abusifs a été déposée au
Sénat le 15 décembre 2015. Les auteurs du texte estiment « nécessaire de rétablir une sécurité
juridique et une utilisation efficace de ces contrôles, en modifiant l'article 78-2 du code de
procédure pénale qui définit les circonstances autorisant les contrôles d'identité et les motifs
légaux les justifiant ». Ils jugent que « l'imprécision de sa rédaction actuelle favorise des
dérives, limite l'efficacité de toute autre mesure et contribue aux violations graves et répétées
des droits fondamentaux, comme la liberté de circulation, la protection contre l'arbitraire, la
protection de la vie privée ou encore la non-discrimination ». La proposition de loi vise
également à « encadrer de manière explicite les palpations de sécurité que ne mentionne pas
l'article 78-2 du code de procédure pénale malgré leur fréquence lors des contrôles d'identité
et leur caractère intrusif ». De plus, à peine de nullité de la procédure, serait remis à l'issue de
chaque contrôle un document spécifiant le motif du contrôle. Ce document devra être conçu
d'une part de manière à ne pas permettre le fichage des personnes contrôlées, d'autre part, sans
risquer de violer les normes sur la protection des données privées ou sensibles édictées et
contrôlées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Il pourrait
ainsi se constituer de deux volets qui ne comporteraient pas les mêmes informations.
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2°) Les sanctions du contrôle
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Les sanctions de l’irrégularité
Les irrégularités affectant les contrôle et vérifications d’identité constituent des cas de nullité
d’intérêt privé. Cela signifie que l’irrégularité n’emporte la nullité de l’acte qu’à la condition
que l’intéressé parvienne à démontrer que l’irrégularité lui a fait grief (art. 802 CPP). Il s’agit
donc d’une nullité à géométrie variable. Les magistrats de l’ordre judiciaire sont
exclusivement compétents pour apprécier la régularité de contrôles d’identité. Selon le
Conseil constitutionnel, il appartient à ces juridictions de « contrôler en particulier les
conditions relatives à la légalité, à la réalité et à la pertinence des raisons ayant motivé les
opérations de contrôle et de vérification d'identité » (Cons. Const. 5 août 1993). En cas de
contestation sur la régularité de l'opération de police, les magistrats sont ainsi tenus de vérifier
l'ensemble des éléments mentionnés dans le procès-verbal afin de justifier le contrôle
d'identité de quelque nature qu'il soit.
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Les conséquences de la nullité
Il faut distinguer entre deux situations :
S’agissant des procédures relatives aux infractions découvertes à l'occasion du contrôle
irrégulier : la nullité du contrôle d’identité emporte la nullité de la procédure subséquente.
Seront ainsi annulés à leur tour tous les actes dont le contrôle d’identité irrégulier aura
constitué le support nécessaire (Crim. 1er sept. 2004 pour une infraction à la législation sur les
stupéfiants découverte à l'occasion d'une vérification d'identité irrégulière) ;
S’agissant des infractions commises à l’occasion du contrôle irrégulier : la Cour de cassation
décide de manière constante que l'irrégularité du contrôle ou de la vérification d'identité est
sans incidence sur la validité des poursuites exercées au titre des infractions de rébellion et
outrage commises à cette occasion (Crim. 2 juill. 1987, Crim. 11 mai 2005). L'illégalité de
l'acte accompli ne saurait donc excuser un délit. Cela s’explique par le fait qu’une
présomption de régularité s’attache à tous les actes de l’autorité publique.
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