Evaluation du médicament : «Value for money
Transcription
Evaluation du médicament : «Value for money
Politique de santé Lourmarin Evaluation du médicament « Value for money » Un nouveau paradigme se met-il en place ? L’évaluation du médicament, au plan scientifique et médico-économique, est un sujet sensible et technique. Les Universités d’été de Pharmaceutiques lui ont consacré une bonne place. YVES BUR, DÉPUTÉ UMP ET RAPPORTEUR DU PLFSS. LAURENT DEGOS, PRÉSIDENT DE LA HAS. L e thème est sensible parce que le gouvernement compte sur les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) pour rationaliser les dépenses de soins. Il est également technique parce que les outils et les méthodes font débat. 24 PHARMACEUTIQUES - NOVEMBRE 2008 Le modèle français est régulièrement d’évaluation médico-économique à la comparé à ceux de ses voisins alle- HAS, poursuit Yves Bur, c’est un défi mands et britanniques 1 et les ques- de s’installer en tant qu’autorité de tions ont porté sur l’innovation, y l’expertise scientifique, qui reste precompris le progrès incrémental. Pour mière, et de devenir aussi une autorité Yves Bur, député UMP et rapporteur grâce à laquelle les décideurs pourront du PLFSS, « la France reste bonne mieux apprécier l’efficience de notre mère pour les industries de santé ». système de soins. » Ses deux missions Une étude suédoise dans le domaine convergent vers la prise en charge du du cancer montre que la France est patient, rappelle Laurent Degos, préle pays qui fait le mieux en matière sident de la HAS. Elles reposent sur d’accès des patients à l’innovation. l’évaluation, la recommandation et Robert Dahan, pdg d’Astra Zeneca l’action. La logique individuelle, qui France, lui fera remarquer qu’il faut recherche sécurité, efficacité et acégalement mentionner qu’elcès, se double d’une logique le offre la meilleure prise collective, qui doit être en charge des cancers. durable, équitable et La qualité du travail solidaire, ajoute ce des instances de rédernier. Vers une culture gulation est unanidu résultat dans mement reconnue Évaluation : le modèle français et ce n’est pas une la santé posture. Yves Bur La particularité de mentionne un dispol’évaluation à la fransitif « stable et lisible », çaise, souligne Laurent qui permet un « accès Degos, est d’avoir, juste large et rapide aux produits après l’AMM, une première innovants », mais aussi de « veiller à approche par produit (single HTA) l’efficience des soins ». « Il s’agit (en ef- qui regarde le service médical attenfet) d’éviter la gabegie qui est un peu du, le niveau d’ASMR et l’indication. consubstantielle à un système socia- « Remboursement, prix et volume, lisé, parce que la responsabilité est di- sont les conséquences de l’évaluation luée », dira celui qui plaide volontiers faite par la transparence », explipour une « culture du résultat dans la que-t-il, mais ni le NICE anglais, ni santé ». Les futures Agences régiona- l’IQWiG allemand ne le font. Ils ne les de santé (ARS) devront y veiller. réalisent qu’une évaluation classe par « Si le législateur a confié une mission classe, avec du recul (multiple HTA). En France, la nouvelle Commission économique et de santé publique, sous l’autorité de la HAS, considère la stratégie thérapeutique dans ses aspects à la fois médicaux, économiques, organisationnels, sociologiques, etc. Audelà de la vision médico-économique, le médicament est intégré dans une stratégie par laquelle on évalue le service rendu à la collectivité, via l’intérêt de santé publique. Pierre-Jean Lancry, directeur santé à la caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, rappelle que cette approche multidisciplinaire n’est pas nouvelle, mais qu’on en reste loin sur le terrain. « On ne fait que du macro-économique et je n’ai jamais vu les dépenses de santé diminuer par introduction d’une stratégie. La question est le prix que la collectivité est prête à mettre pour payer l’amélioraROBERT DAHAN, PDG D’ASTRA ZENECA FRANCE. L’évaluation médico-économique est légitime tion de la qualité. » « L’industrie du médicament reconnaît comme légitime l’évaluation médico-économique », observe Dominique Amaury, président de Lilly France. De surcroît, les industriels ne craignent pas la comparaison du médicament avec les autres traitements, ils la jugent même stratégique. « On parle de patient outcome, de mesure des résultats directement sur le patient ; c’est une démarche collective de l’industrie. » Celui qui est aussi porte-parole du LIR 2 lie l’évaluation à trois notions : accès à l’innovation, efficience et bénéfice pour le patient. S’il juge le système allemand « illisible », il reconnaît au NICE britannique « une certaine transparence et une volonté d’associer les citoyens et patients à la définition d’objectifs clairs ». Entre évaluation single ou multiple HTA, Laurent Degos se demande s’il peut exister « une troisième voie, intermédiaire, qui permettrait d’accompagner le médicament ou la stratégie thérapeutique dans sa maturation ? » Une médico-économie confinée ? « On ne peut pas faire de l’efficience si le seul objectif est en fait de réduire les coûts pour l’assurance-maladie », estime encore Dominique Amaury. Et de citer l’exemple suédois pour louer les principes d’une « relation partenariale » et d’un « partage des risques ». Noël Renaudin, le président du Comité économique des produits de santé (CEPS) voit dans ce partage un « pis-aller, une solution de repli dans les cas où les produits ont été mal évalués ». Ce n’est, selon lui, acceptable que dans deux cas : un produit dont la valeur n’est pas « révélable » dans les essais cliniques, car elle tient à la qualité de l’observance ; ou un produit dont les critères intermédiaires sont insuffisants. Gilles Bouvenot, président de la Commission de la transparence, insiste sur la nécessité de ne pas chevaucher dans une même commission l’évaluation médico-scientifique et l’évaluation médico-économique. « Que la maison HAS somme les avis de la transparence et les futurs avis de la commission d’évaluation économique et de santé publique, c’est une bonne chose. Mais la transparence garde sa mission d’évaluation scientifique. Ensuite, c’est le collège qui intervient. » Claude Le Pen relève que le relatif « confinement » dans lequel se trouve actuellement la « médicoéconomie » – puisqu’elle ne sert ni au prix, ni au remboursement – doit être mis à profit pour « s’éduquer » sur les méthodes et les outils et ne pas importer des techniques qui ne fonctionnent pas. 25 NOVEMBRE 2008 - PHARMACEUTIQUES Politique de santé Lourmarin DOMINIQUE AMAURY, PRÉSIDENT DE LILLY FRANCE : « JE FAIS UN RÊVE : QUE LE MÉDICOÉCONOMIQUE PERMETTE DE RÉTABLIR DES LIENS TRÈS FORTS ENTRE LES ACTEURS DE SANTÉ » Innovation : progrès et accès « Ce n’est pas la régulation économique qui empêche les innovations de s’imposer en Europe, constate Yves Bur, c’est la difficulté d’innover qui fragilise les industries. » On s’interroge sur l’ASMR 4 et sur l’accès aux produits chers. L’ASMR 4 note un progrès minime, 26 PHARMACEUTIQUES - NOVEMBRE 2008 mais « tangible, perceptible, palpable », raisonnable de la dépense ». Aucun des explique encore Gilles Bouvenot. C’est deux systèmes n’est donc entièrement une vraie catégorie et un classement « satisfaisant et ils devraient converger, très honorable ». La position du CEPS avance Noël Renaudin, « côté anglais est claire, un produit d’ASMR 4 doit en modifiant les limites d’acceptabilité entrer sur le marché sans que ça ne du médicament, et côté français, en coûte plus à la collectivité, et pour orientant les prix – y compris les prix l’ASMR 5, « il faut que ça coûte mondiaux – de ces médicaments très moins cher », estime son prési- coûteux ». dent. Sur les produits chers, Noël Renaudin compare deux systèmes La réglementation encadre, mais elle qu’il juge cohérents : l’anglais et le contraint également. Gilles Bouvenot français. Le système britanniévoque en conclusion le cas des que fonctionne par seuil, essais cliniques en cancéexprimé en coût par rologie qui sont interQaly 3 « au-delà duquel rompus pour raisons Il faut le médicament ne renéthiques lorsque les tre pas, car il est dérésultats sont très une allocation raisonnable de payer bons, altérant du si cher pour un avanmême coup la déoptimale tage si petit ». Mais ce monstration d’amédes ressources système n’entraîne pas lioration de la survie une allocation optimale globale. « Le produit des ressources car, sous le se retrouve immanquaseuil et du fait de la liberté blement sous valorisé », redes prix, on peut voir rentrer un grette-t-il. ■ médicament plus cher sans avantage notable. Le président du CEPS estime Jocelin Morisson ainsi que « notre système est plus efficace pour entraîner une bonne allocation des ressources pour les produits (1) Cf. Pharmaceutiques n° 160, « La de valeur intermédiaire ». En revanche, HAS met en garde les laboratoires » (2) Les laboratoires internationaux de il est « économiquement faible pour recherche – LIR. les produits très coûteux. (...) Nous (3) Quality-adjusted life years avons un problème de plafonnement Morceaux choisis : Le progrès incrémental en est-il vraiment un ? La notion de progrès incrémental est sévèrement jugée. « Une mode », selon Yves Bur. « Rarissime dans le domaine du médicament », d’après Noël Renaudin. « Un progrès qui ne se mesurerait ni en termes d’efficacité, DOMINIQUE ni en termes de tolérance », relève Claude AMAURY, PRÉSIDENT le Pen. « La transparence sait toutefois reDE LILLY FRANCE ET courir à des nuances pour valoriser ce type DU LIR. de progrès », explique Gilles Bouvenot. « Faut-il simplement parler de valeur ? », se demande Robert Dahan. « Le progrès incrémental est très présent dans le dispositif médical, beaucoup moins dans le médicament, estime Noël Renaudin. Mais notre conviction est que ces petits progrès sont indispensables aux entreprises pour se maintenir sur le marché. » De son côté, Dominique Amaury, président de Lilly France, n’a pas manqué de faire remarquer que les gains d’espérance de vie qu’il est possible d’obtenir dans la prise en charge des cancers sont souvent dus à des améliorations successives du service médical rendu par les produits mis à disposition des malades. Le débat autour du progrès incrémental est loin d’être clos. ROBERT DAHAN, ASTRA ZENECA : « LE PROGRÈS INCRÉMENTAL NE PARLE PAS À TOUT LE MONDE. NE POURRAIT-ON PAS Y SUBSTITUER LA NOTION DE VALEUR ? ELLE RENFERME ÉNORMÉMENT D’ASPECTS, CERTAINS QUI SONT ÉVALUÉS PAR LA TRANSPARENCE ET D’AUTRES QUI NAISSENT D’UN POINT DE VUE HOLISTIQUE DU SYSTÈME. FAUT-IL UNE RÉFLEXION GILLES BOUVENOT, COMMISSION DE LA TRANSPARENCE : « IL N’EST PAS QUESTION DE FAIRE SE CHEVAUCHER DANS UNE COMMISSION UNIQUE COMMUNE SUR LA DÉFINITION DE LA VALEUR AJOUTÉE D’UN MÉDICAMENT DANS UNE STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE, AU NIVEAU DE L’EUROPE ? » L’ÉVALUATION MÉDICOSCIENTIFIQUE ET L’ÉVALUATION MÉDICOÉCONOMIQUE » « LA NOUVELLE COMMISSION D’ÉVALUATION ÉCONOMIQUE ET DE SANTÉ PUBLIQUE PIERRE-JEAN LANCRY, MSA : S’INTÉRESSE À LA STRATÉGIE « LE SEUL INTÉRÊT QUE JE VOIS À LA THÉRAPEUTIQUE MÉDICO-ÉCONOMIE EST DE PRÉPARER NOS DANS TOUS SES ASPECTS, MÉDICAUX, LAURENT DEGOS : MODES DE DÉCISIONS, QUI SONT PRISES COLLECTIVEMENT, SOIT PAR LE PARLEMENT, ÉCONOMIQUES, LES DIRECTEURS DE L’ASSURANCE-MALADIE, ORGANISATIONNELS, SOCIOLOGIQUES ET ÉTHIQUES » LE CEPS, ETC. » 27 NOVEMBRE 2008 - PHARMACEUTIQUES