La Communauté et l`Autre dans Bouvard et Pécuchet

Transcription

La Communauté et l`Autre dans Bouvard et Pécuchet
Université de Rouen
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Doctorat de Littérature Française
La Communauté et l’Autre
dans
Bouvard et Pécuchet de Flaubert
Thèse de Doctorat de Littérature Française
présentée et soutenue par Tomoko MIHARA
sous la direction de M. le Professeur Yvan LECLERC
septembre 1999
Résumé
Le dernier roman de Flaubert pose deux problématiques essentielles. En premier lieu, il est
question du décalage entre la société rêvée et la société réelle. Bouvard et Pécuchet s’imaginent
s’installer dans un village de rêve, lorsqu’ils déménagent à Chavignolles, antipode de la capitale. Ils
croient découvrir une utopie, où les habitants conservent leur individualité et sont protégés contre
les masses citadines. En réalité, la société chavignollaise n’est en rien idéale ; il s’y trouve bel et
bien les foules uniformes, qui s’étendent maintenant dans l’univers entier. D’ailleurs, les villageois
n’ont aucune individualité. Les deux protagonistes seront donc forcément déçus du monde
provincial, de la manière qu’ils étaient jadis déçus de la grande ville.
En deuxième lieu, il est question de l’intégration des étrangers dans une “Communauté”. Les
deux nouveaux venus essaient de s’intégrer dans le village, de partager la manière de vivre des
provinciaux, en vain. Malgré leurs efforts, en effet, Bouvard et Pécuchet sont exclus. Ils sont même
considérés comme fous ou aliénés.
Dans notre thèse, nous approfondissons ces deux perspectives, qui reflètent la conception
flaubertienne du monde humaine, exprimée dans Bouvard et Pécuchet que Flaubert lui-même
intitula « roman philosophique ».
Remerciements
Je tiens à remercier Mme Odile de Guidis et l’équipe «Flaubert » de l’Institut des textes et
manuscrits modernes (CNRS), qui m’ont donné accès au fonds de documentation, et dont les
séminaires de chaque mois étaient pour moi des « stimulants » intellectuels.
M. Yvan Leclerc, professeur à l’Université de Rouen, a dirigé mon travail, avec beaucoup de
patience. Ses encouragements comme ses remarques étaient indispensables pour poursuivre mes
recherches jusqu’à la fin.
Mes parents et mes amis m’ont entourée d’affection et m’ont apporté leur soutien
constamment.
Qu’ils
trouvent
ici
l’expression
de
mon
remerciement.
Table des matières
Introduction
Première Partie
Introduction
I. L’identité
1. La foule flaubertienne
(1) Les physionomies diverses
(2) L’opposition à l’individu
2. La “non-propriété” et la “propriété”
(1) Le nom propre
(2) Le nom écrit
3. L’identité de Bouvard et Pécuchet
II. Le réveil
III. La Communauté
1. La Campagne
(1) L’idée abstraite
(2) L’idée plus concrète
(3) L’antiquité versus la Modernité
2. Carthage
(1) Le mélange des époques
(2) Les murs
(3) Le mur culturel
(4) La concurrence
(5) Le culte de nom
IV. Chavignolles
1. Impression négative
2. Les notables
3. L’isolement
4. Le nom propre
Conclusion
Deuxième Partie
Introduction
I. Les tâtonnements
1. La spécialisation
(1) Les chapeaux
(2) La bibliothèque
(3) Le cercle
(4) La terminologie
(5) La rivalité
(6) Les nouveaux domaines
2. La « manière» chavignollaise
(1) Les bases
(2) Les apprentissages chez les notables
3. L’essai des héros
(1) La mise en ordre
(2) Le musée
(3) Le droit
II. Le malentendu
1. La préoccupation commune des notables
(1) L’homologie
(2) Les métiers réels
2. L’ignorance des héros
(1) L’ignorance du parallélisme
(2) L’ignorance du sens de l’ordre
(3) L’ignorance du sens de la justice
III. L’apatride
1. L’autre dans la Campagne
(1) L’“autruité” de Bouvard et Pécuchet
(2) Le regard dupe
2. La “non-propriété” des héros
(1) Le nomadisme
Contre la frontière
L’horizon et le trou
(2) La communication avec le dehors
Les lettres
L’excursion
L’exotisme
3. L’“Autre” dans le monde entier
4. Les “apatrides” dans d’autres textes
(1) Les textes de jeunesse
(2) Emma
(3) Salammbô et Mâtho
(4) Frédéric
Le faux-ami
Paris
Les amis “non-propres”
L’échec
L’apatride
La raison de l’échec
Conclusion
Troisième Partie
Introduction
I. La “non-propriété”
1. Le défaut de Chavignolles
(1) Les journaux
(2) Les personnages tertiaires
(3) Les notables
2. L’univers “non-propre” selon Flaubert
(1) Harel Bay
(2) L’apatride
3. Le “nom non-propre”
(1) La nomenclature des noms propres
(2) L’expropriation du “nom propre”
(3) Le nom d’origine
(4) Mr. Angoulême
(5) L’oblitération
(6) Les noms dans la Correspondance
(7) Le nom inscrit
II. La manière communautaire
1. La conduite illogique
2. Les principes
3. Les exceptions des conduites chavignollaises
4. Le contour retracé
(1) La certitude
(2) La contraposition
(3) La “Communauté” religieuse
(4) La chance
5. L’enfermement
III. La nouvelle “Communauté”
1. L’éducation et son échec
(1) Le projet
(2) L’échec prévisible
2. Le décalogue de la “Communauté” idéale
(1) La convention et les nouvelles lois
(2) L’échec
(3) Le christianisme et l’utopie
Conclusion
Conclusion
1. L’histoire retrouvée
2. La philosophie flaubertienne
Bibliographie
393
I. Édition des oeuvres de Flaubert
394
1 Bouvard et Pécuchet
394
A. Bouvard et Pécuchet
394
B. Le Seconde volume
394
2. Carnet
394
3. Oeuvres de jeunesse
395
4. Madame Bovary
395
5. Salammbô!
395
6. L’Éducation sentimentale
395
7. La tentation de saint Antoine. Trois Contes
396
8. Théâtre
396
9. Divers
397
10. Correspondance
397
II. Études sur les oeuvres de Flaubert
397
1. Bouvard et Pécuchet
397
A. Recueils
397
B. Ouvrages et Thèses
398
C. Articles
399
2. Madame Bovary
A. Bovary, Bouvard et Pécuchet
B. Structure, thématique, etc.
3. Salammbô!
A. Ombre de la Société moderne
B. Antiquité et mythe
C. Structure, esthétique, genèse
4. L’Éducation sentimentale
A. Émergence de la société moderne
B. Structure, esthétique, genèse
5. Oeuvres de jeunesse
6. Sur la pensée flaubertienne
7. Généralités
A. Recueils
B. Ouvrages et articles
III. Études sur la Société du temps de Flaubert
1. Témoignages contemporains
2. Études sur la société moderne
IV. Les autres textes
411
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412
415
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433
433
434
436
Introduction
À la recherche de l’histoire.
« Il n’y a ni aventures, ni intrigues, ni coups de théâtre, pas même de mouvements, si ce n’est
celui d’un cheval tournant la meule et parcourant sans cesse le même cercle. » 1
Ce commentaire de Auguste Sabatier résume à lui seul les articles sur Bouvard et Pécuchet
depuis plus d’un siècle. En effet, malgré la polémique suscitée par le texte, et malgré l’évolution des
théories littéraires, il existe une opinion inchangeable chez les critiques flaubertiens : il manque une
histoire dans ce texte. Le roman est morcelé en dix chapitres dont chacun répète un « même cycle »,
le même trajet invariable des deux protagonistes. À chaque fois, il est question d’une étude des
héros, suivie par la survenue d’un obstacle, qui aboutit au renoncement de la recherche elle-même.
Entre ces cycles, entre ces épisodes, il n’existe pas un lien significatif. Voici un compte rendu
sur ce sujet :
« Chaque nouvel engouement des deux bonshommes est un tableau ; entre les tableaux
(agriculture... chimie... géologie... histoire... etc.), nul lien. » 2
D’ailleurs, à vrai dire, il n’existe même pas le déroulement du temps qui peut lier ces dix séquences.
Bien que s’écoulent trente à trente-huit années dans le texte, les deux protagonistes ne paraissent
pas vieillir du début jusqu’à la fin. Et « durant cette même période de temps, aucun changement ne
1
Auguste SABATIER, l'article publié dans Le Journal de Genève, le 3 avril 1881, repris par
Richard BOLSTER, « Bouvard et Pécuchet et la critique de 1881 », Bulletin des Amis de Flaubert,
no 59, déc. 1971, p.5.
2
Juliette GRANGE, « Les deux colonnes », Bouvard et Pécuchet Centenaire, La Bibliothèque
d'Ornicar ?, 1981, p.182.
se produit non plus parmi le groupe des personnages secondaires du roman : les comparses qui
assistent au dénouement sont les mêmes que ceux de l’exorde : personne ne meurt, personne ne
quitte le pays » 1 . Le texte s’achève sur la scène où les deux ex-copistes se mettent à copier, comme
si tout au long des années, rien ne se passait, rien ne changeait.
En plus, le texte ne peut pas non plus se lire comme un long portrait des deux protagonistes,
car Bouvard et Pécuchet manquent non seulement d’âge, mais aussi de toutes les caractéristiques
exigées pour les héros de « ce qu’on appelle ordinairement un roman » 2 . Comme le dit Maupassant,
nos deux bonshommes ne « se meuvent », ni ne «s’aiment », ni ne « se combattent », ni ne « se
détruisent », ni n’« agissent ». 3 Leur existence se réduit à « la pure et simple commodité d’un
recensement encyclopédique ». 4 Par conséquent, les lecteurs qui « lisent pour savoir si la baronne
épousera le vicomte » sont forcément déçus 5 . Ils auraient dû lire ce texte non pas comme un roman
qui raconte une intrigue, mais comme un dictionnaire de savoirs :
« Il n’y a donc dans Bouvard et Pécuchet aucune progression, le temps n’y existe pas, les
deux bonshommes n’avancent pas, ils ne font aucun progrès, ils ne se dirigent vers rien et
n’intègrent pas au contenu d’une durée organisée leurs expériences malheureuses. Ils les
accumulent par ricochets hasardeux, par juxtaposition des domaines de l’Encyclopédie. » 6
Et les dix chapitres doivent être considérés comme les rubriques d’une encyclopédie, dont l’ordre
est gratuit (sauf que les matières en deviennent légèrement plus abstraites à la fin qu’au début) 7 .
Cette inexistence d’intrigue, qui pourrait être un défaut, semble pourtant être justifiée par la
conception du roman elle-même. En effet, selon les critiques, le roman philosophique n’est pas par
nature fait pour raconter une fiction. Maupassant dit :
« Il ne faut donc pas qu’il existe de malentendu entre l’auteur et le public, et que le lecteur en
quête d’aventures vienne dire : « Ça, un roman ? Mais il n’y a pas d’intrigue. » C’est un
roman, oui, mais un roman philosophique, et le plus prodigieux qu’on ait jamais écrit. » 8
Au lieu de raconter une histoire romanesque, le texte est destiné à révéler et à attaquer les bêtises
humaines de toute sorte, pour exprimer l’idée nihiliste de son auteur. Dans ses lettres, de fait,
Flaubert affirme, lui-même, vouloir nier tous les savoirs dans son roman :
« La préface surtout m’excite fort, et de la manière dont je la conçois (ce serait tout un livre),
aucune loi ne pourrait me mordre quoique j’y attaquerais tout. » 9
1
René Descharmes, Autour de Bouvard et Pécuchet, Librairie de la France, 1921, p.84-85.
Guy de Maupassant, « Bouvard et Pécuchet », Le Gaulois, le 25 octobre 1881, repris dans la
Correspondance Flaubert / Maupassant, Flammarion, 1993, p.285.
3
Ibid., p.285.
4
Jean RICARDOU, Pour une théorie du Nouveau Roman, Seuil, Coll. « Tel Quel », 1971, p.235.
5
Corr.16, C.H.H., p.284. À Madame Tennant, 16 décembre 1879.
6
Juliette GRANGE, ibid., p.182.
7
Claudine GOTHOT-MERSCH, « Bouvard et Pécuchet : sur la genèse des personnages », Flaubert
à l’oeuvre, Flammarion, 1980, p.138.
8
« Bouvard et Pécuchet », supplément du Gaulois du 6 avril 1881, repris dans Correspondance
Flaubert/Maupassant, op.cit., p.284.
9
Corr.II, p.208, lettre à Louise Colet, 16 décembre 1852.
2
Il appelle sa future oeuvre « apologie de la canaillerie humaine sur toutes ses faces, ironique et
hurlante d’un bout à l’autre, pleine de citations, de preuves (qui prouveraient le contraire) et de
textes effrayants (ce serait facile) » 1 . Or, il est clair que la structure encyclopédique est la plus
convenable à cette intention de Flaubert. Elle lui permet d’attaquer toutes les idéologies et tous les
savoirs, et surtout de supprimer la Synthèse pour ne pas devenir semblable à ces savants qui hâtent
de conclure. Nous pouvons dire que cette forme est choisie par l’écrivain lui-même, plus ou moins
consciemment, malgré le risque d’impression d’incohérence qu’elle peut donner aux lecteurs. De
fait, selon les lettres de Flaubert, le fil conducteur, l’intrigue ou la « transition naturelle » 2 est la
chose dont il se préoccupe en dernier lieu lors de l’élaboration du plan. Il dit :
« […] il faut un semblant d’action, une espèce d’histoire continue pour que la chose n’ait pas
l’air d’une dissertation philosophique » 3 .
Ici, il est évident qu’au moins au début, Flaubert traite l’histoire (ou le « lien logique ») seulement
comme un accessoire, comme un effet secondaire ; l’essentiel pour lui se trouve déjà ailleurs 4 .
Ainsi, pour les critiques littéraires, le manque d’histoire dans Bouvard et Pécuchet devient
une chose établie, une évidence qui ne provoque pas de débat. Mais tous les truismes valent la peine
d’être mis en question. Et il est toujours possible de se demander si le roman manque vraiment
d’histoire, si le « fil du collier » 5 ne devient pas finalement plus important que l’écrivain ne le
pensait lors de l’élaboration des scénarios. Également, il faut demander si un « lien logique » n’est
pas rétabli, au bout du compte, dans l’ordre des études effectuées par les personnages. Mais surtout,
nous nous interrogeons pour savoir si l’intention de Flaubert consiste vraiment à tout nier, à tout
attaquer dans ce roman philosophique. D’ailleurs, est-ce que sa philosophie peut se résumer en un
seul mot abstrait, celui de nihilisme ? 6
En fait, il nous semble trop rapide de réduire la manière de penser de Flaubert à la formule de
nihilisme ou de l’anarchisme, et de justifier par là le manque de cohérence de son roman. Certes,
dans ses lettres, l’écrivain affirme vouloir nier toutes les vérités scientifiques. Mais lorsqu’il
dénonce ainsi les savoirs en général, il réfute, plus précisément, la position de ses concitoyens, pour
1
Ibid.
Corr.IV, p.908, lettre à Edmond Laporte, 24 ? février 1875.
3
Corr.IV, p.920. À Edma Roger des Genettes, le 15 ? avril 1875.
4
Cf. « J’espère parvenir à trouver un lien logique (et partant un intérêt dramatique) entre les
différentes hallucinations du Saint ». (Corr.IV, p.60, à George Sand, le 24 juin 1869.)
5
Cf. « Le fil du collier (c’est-à-dire le principal) me manque encore. » (Corr.IV, p.997, lettre à
George Sand, 16 décembre 1875. Il s’agit des plans des Trois Contes.)
6
Généralement, quand les critiques utilisent une expression telle que « la philosophie de Flaubert »,
il s’agit souvent du nihilisme, à moins qu’il soit question de l’influence philosophique des autres
penseurs sur l’écrivain, notamment Voltaire, Spinoza, et éventuellement Rousseau, Taine et Renan,
etc. Voir par exemple, Helen G. ZAGONA, Flaubert’s « roman philosophique » and the voltairian
heritage, New York, London, Lanham, 137p ; Colin DUCKWORTH, « Flaubert and Voltaire’s
Dictionnaire philosophique », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, vo XVIII, Genève,
Institut et Musée Voltaire, Les Délices, 1961, p.141-167 ; Andrew BROWN, « « Un assez vague
spinozisme » : Flaubert and Spinoza », Modern Language Review, vo 91, no 4, 1996, p.848-865 ;
Claudine GOTHOT-MERSCH, « Rousseau et Flaubert : une source de «L’Éducation sentimentale
dans les Confessions », Mélanges de littérature en hommage à Albert Kies, Facultés universitaires
Saint-Louis, Bruxelles, 1985, p.165-176 ; Jean BRUNEAU, Les Débuts littéraires de Gustave
Flaubert, 1831-1845, Armand Colin, 1962, 637p.
2
qui certaines sciences sont absolument vraies et les autres mensongères. Pour l’écrivain, en effet, il
n’existe pas de démarcation a priori établie entre un savoir ratifié et un savoir dénié par les
bourgeois, entre les idées officielles et les pensées socialement interdites. Il dit : .Il n’y a pas de
vrai ! Il n’y a que des manières de voir » 1 . Il est évident que la cible de l’écrivain est le critère de la
vérité fixé par la société, plutôt que les sciences ou « manières de voir » elles-mêmes. Autrement
dit, malgré son apparence, le nihilisme flaubertien ne discute ni tous les savoirs, ni toutes les
intelligences humaines. Il met en cause, en réalité, le jugement de la société, le critérium des
bourgeois. Logiquement, notre roman philosophique ne doit pas consister à nier en bloc « tous les
systèmes scientifiques », à dénoncer « la faiblesse de l’intelligence humaine » et à montrer
« l’éternelle et universelle bêtise » 2 ; il ne doit pas traiter de l’humanité, d’un sujet universel. En
fait, le texte doit aborder un problème plus concret. Il doit montrer, à travers les recherches des deux
protagonistes, que dans une société, le vrai est fabriqué par le consensus des sociétaires, alors que le
faux est toujours attribué à la pensée de la minorité. Il faut prouver, comme le dit Flaubert luimême, que « les majorités ont toujours eu raison, les minorités toujours tort » 3 . Bref, le roman doit
toujours remettre en cause la question sociale, qui est, selon nous, son fil de conducteur.
Notre étude, n’ayant pas l’intention de contester la nouveauté du texte qui dénie le simple
dénouement comme mariage heureux, consiste à montrer ce « fil du collier », ce « lien logique »
dans les recherches apparemment décousues des deux protagonistes. Pour nous, en effet, il existe
bel et bien une histoire dans Bouvard et Pécuchet. Il s’agit de l’essai continuel des deux étrangers,
pour s’intégrer dans une société qui leur est inconnue, pour apprendre comment distinguer le savoir
conforme et la mauvaise pensée, le moral et l’immoral. Notre ambition est de déceler, en suivant ce
sujet, les « vérités » 4 que l’écrivain désire écrire dans son dernier roman ; il s’agit de sa
condamnation de la société bourgeoise. Mais en même temps, nous voulons aborder la pensée la
plus optimiste de l’écrivain, qui doit faire pendant à ses sombres réflexions sur le monde
contemporain. De fait, pour nier les aspects réels de sa société, le romancier doit caresser l’idéal
qu’il aurait voulu défendre. Pour être nihiliste, il doit être impérativement idéaliste.
L’argument suivant se divisera en trois parties dont chacune doit constituer une spirale, pour
bâtir ensemble une pyramide. La première partie correspond au Prologue ; il y est question des
raisons qu’ont les deux protagonistes de déménager dans un village normand ; nous y examinerons
la vision du monde optimiste de Flaubert. La deuxième partie traite des recherches des héros, pour
analyser l’épistémê du XIXe siècle vue par l’écrivain. La troisième partie concerne la désillusion de
Bouvard et Pécuchet (et de Flaubert), la naissance de leur nihilisme. Ensemble, ces trois parties
racontent les essais d’intégration des étrangers dans une “Communauté”.
Dans cette thèse, nous citerons, outre Bouvard et Pécuchet, les autres ouvrages de Flaubert, y
compris sa Correspondance. Il est en effet indispensable de s’y référer constamment, parce que tous
ces textes sont basés sur la même philosophie, et en ce sens, ils sont tous des versions différentes de
notre roman philosophique. Voici donc la référence aux oeuvres de Flaubert, dont toutes nos
citations sont tirées.
1
Corr.16, p.308, lettre à Léon Hennique, 3 février 1880.
Guy de Maupassant, op.cit., p.284.
3
Corr.II, p.208, lettre à Louise Colet, 16 décembre 1852.
4
Corr.IV, p.625, lettre à George Sand, 12 décembre 1872. Cf. Corr.II, p.310, lettre à Louise Colet,
20 avril 1853 : « Ah ! je hurlerai à quelque jour une vérité si vieille qu’elle scandalisera comme une
monstruosité. Il y a des jours où la main me démange d’écrire cette préface des Idées reçues, et mon
Essai sur le génie poétique français. »
2
Bouvard et Pécuchet, édition de Claudine Gothot-Mersch, Gallimard, Coll. « folio », 1979.
Abrégé : BP.
Bouvard et Pécuchet, édition d’Alberto Chento, Naples, Instituto universitario orientale, Paris,
Nizet, 1964.(Pour les plans et les scénarios.) Nous ajoutons, à la cote de Bibliothèque
municipale de Rouen, la pagination de cette édition.
L’Éducation sentimentale, édition de Claudine Gothot-Mersch, Flammarion, Coll. « GF »,
1985. Abrégé : ES.
Madame Bovary, édition de Claudine Gothot-Mersch, Garnier, Coll. « Classiques Garnier »,
1971. Abrégé : MB.
Salammbô, préface par Jacques Suffel, Flammarion, Coll. « GF », 1992. Abrégé : S.
Correspondance I, 1830-1851, édition de Jean Bruneau, Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade », 1973. Abrégé : Corr.I.
Correspondance II, 1851-1858, édition de Jean Bruneau, Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade », 1980. Abrégé : Corr.II.
Correspondance III, 1859-1868, édition de Jean Bruneau, Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade », 1991. Abrégé : Corr.III.
Correspondance IV, 1869-1875, édition de Jean Bruneau, Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade », 1998. Abrégé : Corr.IV.
Correspondance, 1871-1877, t.15, Club de l’Honnête homme, 1975. (pour les lettres 18761877). Abrégé : Corr.15.
Correspondance, 1877-1880, t.16, Club de l’Honnête homme, 1975. Abrégé : Corr.16.
Nous utiliserons « » pour les mots et phrases cités. L’italique dans les citations sera de notre propre
initiative pour faire ressortir les mots clés du texte analysé, sauf indication contraire. Par contre,
nous emploierons “ ” pour les mots personnels dont nous voulons souligner la signification
particulière.
Première Partie
Préparation pour une nouvelle vie.
Introduction.
Tout d’abord, il y a le désir des deux Parisiens de quitter leur ville, de s’insérer dans un
village, d’en être membres. Tous les événements postérieurs, depuis les études interminables, les
échecs et déceptions répétés, jusqu’aux conflits avec les villageois, ont pour cause principale cette
ambition des deux citadins. Dans cette première partie de la thèse ? « Prologue » ou
« Introduction » ? , il est avant tout question d’interroger leurs motifs, de trouver les raisons pour
lesquelles les protagonistes veulent quitter la capitale et entamer leur toute nouvelle vie à la
campagne. À cet effet, nous examinons leur curriculum vitae, avant d’analyser ce qu’ils attendent
de leur nouvelle existence. L’information sur leur personne doit nous faire comprendre ce qui
motive leurs futures occupations.
I. L’identité
L’identité tout court de Bouvard et Pécuchet est, certes, clairement affichée dès le début. Ils
sont citadins. Ils sont Parisiens, surtout des Parisiens du XIXe siècle, issus des premières et
véritables masses apparues dans l’Histoire. En effet, la capitale a alors connu « un formidable
accroissement de la population », grâce au développement des industries et à la construction du
chemin de fer qui favorise l’immigration des provinciaux1 ; notre Dictionnaire des idées reçues ne
doute pas, d’ailleurs, que « sur dix habitants de Paris, il y ait neuf provinciaux » 2 . La ville n’est plus
la capitale de l’Ancien régime, « où, dans un milieu social plus homogène quant à son origine et
plus limité quant à ses dimensions, des relations plus étroites, plus répétées, mieux connues et
mieux acceptées unissaient entre eux et d’une autre manière un plus petit nombre de gens » 3 . Au
contraire, les Parisiens au temps de Bouvard et Pécuchet sont des gens hétérogènes, des multitudes
et des inconnus, entre lesquels les relations sont rarement étroites ; le cercle du « plus petit nombre
de gens » n’y existe plus. Les citadins ne partagent pas la même manière de vivre et le même mode
de penser en commun. Il est en effet clair que les citadins deviennent inconnus, d’autant plus que la
surpopulation rend les habitants indifférents les uns aux autres. Immigrés d’origine, déracinés, ils ne
se lient pas fermement entre eux. Aussi sont-ils instables, sans domicile fixe ni profession durable :
notons que Barberou, typique Parisien, est un vrai déraciné ; il est au début « un ancien commisvoyageur, actuellement boursier » ; et puis, durant les vingt années suivantes, il est devenu
successivement « Gérant d’un journal, commis d’assurances, directeur d’un parc aux huîtres », pour
enfin revenir à son premier métier : commis-voyageur (p.337).
Évidemment, Flaubert devine lui-même tous ces phénomènes sociaux de la foule, d’autant
plus que, comme l’affirme Walter Benjamin, « la foule ? aucun objet ne s’est présenté aux
littérateurs du XIXe siècle chargé de plus de missions » 4 . Pourtant, chez le romancier, la masse
1
Louis CHEVALIER, Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié
du XIXe siècle, Plon, 1958, p.209. Selon l'auteur, « Deux fois plus d'habitants dans cette ville, en
1851 qu'en 1801 ». ibid., p.214.
2
p.490, rubrique « Badaud ».
3
Louis CHEVALIER, ibid., p.213
4
Walter BENJAMIN, « Thèmes baudelairiens » in Walter Benjamin 2. Poésie e Révolution, Denoël,
1971, p.237.
moderne gagne une autre signification toute particulière. La foule flaubertienne n’est pas, en fait,
neutre. Elle est avant tout une notion idéologique.
1. La foule flaubertienne.
(1) Les physionomies diverses.
Pour connaître l’identité des deux protagonistes, il est donc indispensable de déceler la
définition idéologique de la masse, propre à l’écrivain. Nous en voyons d’abord quelques attributs
caractéristiques décrits dans les textes. En premier lieu, nous constatons que dans le monde
flaubertien, la foule n’est jamais limitée à un groupe organisé. Comme chez Baudelaire, « il ne peut
être question d’une classe, d’une collectivité, quelle qu’en soit la structure. Il s’agit simplement de
la foule amorphe des passants, du public de la rue » 1 . En fait, pour Flaubert, les foules sortent des
cadres mêmes de la classe, dévorent les systèmes, afin d’uniformiser toute la structure possible.
Elles s’étendent sans limite, et rendent l’univers entier pareil à une matière. Ainsi, dans Salammbô,
les masses de barbares ont failli déborder les murailles de Carthage, et détruire la ville en ne laissant
que des ruines dans le désert. Dans l’Éducation, la foule de révoltés se presse « contre la porte de la
cour qui était fermée » (p.77), envahit le Palais-Royal (p.361). Dans Bouvard et Pécuchet aussi, lors
de la révolution, les foules transgressent la démarcation ; « le chant des Girondins ébranla les
carreaux » ; de nombreux ouvriers « débouchèrent par la route de Caen », alors que les « auvents se
fermèrent » contre cette inondation (p.234). Enfin, la masse d’ouvriers veut envahir la salle du
Conseil (p.236).
Autrement dit, la foule est considérée par l’écrivain comme une matière qui tente toujours de
s’étendre. Surtout, elle est comparée au liquide, à l’eau et à l’océan qui monte et qui inonde. Déjà
dans sa jeunesse, sous l’influence de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, Flaubert définit Paris
comme un assemblage de masses nombreuses, et compare les foules parisiennes à « une mer » :
« Flaubert compare Paris à “une forêt de maisons noirâtres”, à “une mer de peuple”, à “une ruche
noirâtre d’hommes, de femmes, de mendiants et de soldats” » 2 . Dans Madame Bovary aussi, la
masse est traitée comme un liquide : « la foule arrivait dans la grande rue par les deux bouts du
village. Il s’en dégorgeait des ruelles » (MB.p.198). Quant à l’Éducation sentimentale, ici, la foule,
« c’était un immense flot ondulant sur l’asphalte » (ES.p.117) ou elle est « pareille à un fleuve où
ondulaient des crinières, des vêtements, des têtes humaines » (ES.p.271). Dans Salammbô, se
retrouvent les mêmes expressions :
« des flots de peuple occupaient les escaliers des temples ». (S.p.216)
« l’immense foule des Barbares ondula sur la plaine d’un seul mouvement ». (S.p.285)
Or, dans cette foule liquide, les hommes qui la composent ne sont pas distincts. Qu’il soit « un
immense flot ondulant » (ES,p.117) ou « un fleuve où ondulaient des crinières » (ES,p.271), cet
océan du peuple ne révèle jamais l’existence des hommes qui se noient dedans. En effet, dans les
textes flaubertiens, les gens, qui se trouvent dans les foules, ne possèdent rien pour se distinguer des
autres. Ils ne peuvent pas prouver leur propre personne. Dumouchel, par exemple, manque de
l’originalité qui pourrait le distinguer des autres ; étant écrivain, son unique ouvrage n’est qu’un
plagiat, mélange des « trois systèmes d’Allévy, de Pâris, et de Feinaigle » (p.189). Il peut être un de
ces copistes qui copient les originaux, ou pire, qui copient les copies. Il a « des opinions
1
Walter BENJAMIN, ibid., p.236.
Jean BRUNEAU, Les début littéraires de Gustave Flaubert. 1831-1845, Armand Colin, 1962,
p.95.
2
orthodoxes », autrement dit, toutes faites. Sa tenue est «sérieuse » (p.60), à la bourgeoise. Il est
comme tout le monde. Il n’a pas sa propre couleur.
D’ailleurs, ces composants de masses, indistincts, sont dépourvus de nom propre, pour se
discerner les uns des autres. Ils sont anonymes. De fait, au chapitre premier de Bouvard et Pécuchet,
tous les passants de Paris sont dépourvus de noms. Devant les deux protagonistes, passent « un
ivrogne », « une mariée », « des bourgeois en cravate blanche », « des dames », « deux ou trois
petites filles, un collégien » et « une fille de joie, avec un soldat », tous ces gens sont sans nom
(p.53). Outre ces promeneurs dont l’anonymat semble normal dans la mégalopole et qui ne font
qu’inspirer les sujets de conversation entre les deux héros, les connaissances de Bouvard et
Pécuchet sont elles-mêmes dépourvues de nom. Ainsi, à part Dumouchel et Barberou dont les noms
deviendront indispensables pour l’économie du récit, nous ne connaissons comme autres noms de
Parisiens que « MM. Descambos », patrons de Bouvard. Mais il s’agit d’un nom écrit qui désigne
l’adresse du bureau. Ces messieurs n’apparaissent jamais en personne dans le texte. D’ailleurs,
selon Alberto Cento, « Descambos » est un des surnoms de « Garçon » : Flaubert signe
« Descambeaux » une lettre à Ernest Chevalier, datée du 8 avril 1841 1 . Ce nom ne désigne donc rien
d’autre qu’un moule de l’esprit bourgeois ; mais il n’est jamais le “nom propre” d’un individu2 . Au
demeurant, nous ignorons pratiquement tous les noms de Parisiens. Comment s’appellent leurs
collègues que les deux héros doivent connaître depuis longtemps ? 3 Et leurs amis ? des cabotins et
des carabins ? 4 Comment s’appellent le patron de Pécuchet, son père et sa mère ? Et la portière de
Bouvard et son ex-femme ? Le texte ne le révèle jamais.
En effet, dans la grande ville moderne, les habitants ne sont plus désignés par des noms
propres. Ils sont représentés, seulement par des chiffres statistiques. De fait, selon Serge Moscovici,
la masse moderne est reconnue « au nombre, à l’instabilité des liens entre parents et enfants, amis et
voisins. On s’en aperçoit à la métamorphose que subit chaque individu devenu anonyme » 5 .
Flaubert en déduit que les foules de Parisiens sont plus des nombres que des individus. Pour lui, la
masse devient purement et simplement « l’élément nombreux, des majorités » 6 . Ainsi répète-t-il :
« Le peuple est un éternel mineur, et il sera toujours (dans la hiérarchie des éléments sociaux)
au dernier rang, puisqu’il est le nombre, le masse, l’illimité. » 7
« Je crois que la foule, le nombre, le troupeau sera toujours haïssable. » 8
« La masse, le nombre, est toujours idiot. Je n’ai pas beaucoup de convictions, mais j’ai celle1
Corr.I, p.81.
Voir Commentaire de “Bouvard et Pécuchet”, Liguori, Napoli, p.23.
3
Bouvard travaille chez Descambos depuis douze ans. Voir p.59.
4
msgg10,fo 33,p.21.
5
Serge MOSCOVICI, L'âge des foules, Fayard, 1981, p.40. Cf. Maxime DU CAMP, « La voie
publique » in Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie jusqu'en 1870, G. Rondeau, Monaco, 1993,
p.704d : « Paris, en dehors de trois cents édifices isolés, renferme 63,963 maisons, dont 394 sont en
construction et 1,947 sont inhabitées. La population tout entière est donc répartie dans 61,622
maisons, dont 694 sont occupées par des établissements publics ; ce qui donne une moyenne de 30
habitants par maison, et même de 32, si l'on tient compte de la population flottante qui, nous l'avons
dit plus haut, s'élève au chiffre quotidien de 135,000 individus. »
6
Corr.II, p.437, lettre à Louise Colet, 22 septembre 1853.
7
Corr.IV, p.314, lettre à George Sand, 30 avril 1871.
8
Corr.IV, p.375-376, lettre à George Sand, 8 septembre 1871.
2
là fortement. » 1
(2). L’opposition à l’individu.
Voici donc une notion de la masse, particulièrement flaubertienne : elle est liquide, tentant
sans cesse de s’étendre, ses composants sont anonymes, indistincts. En un mot, la foule
flaubertienne est un phénomène qui gomme l’individualité. Aussi, elle est effrayante et haïssable :
« Moi, j’ai la haine de la foule, du troupeau. Il me semble toujours ou stupide ou infâme
d’atrocité. C’est pour cela que les générosités collectives, les charités philanthropiques,
souscriptions, etc., me sont antipathiques. Elles dénaturent l’aumône, c’est-à-dire
l’attendrissement d’homme à homme, la communion spontanée qui s’établit entre le suppliant
et vous. » 2
Dans cette foule, purement flaubertienne, il n’existe plus de communications individuelles, de liens
personnels, d’« attendrissement d’homme à homme ». Les individualités y sont supprimées.
Il est pourtant vrai qu’à l’époque, de nombreux écrivains réalisent ce pouvoir de la masse, et
expriment des idées semblables à celles de Flaubert 3 . Voici un paragraphe de Maupassant dans Sur
l’eau :
« Les qualités d’initiative intellectuelle, de libre arbitre, de réflexion sage et même de
pénétration de tout homme isolé, disparaissent en général dès que cet homme est mêlé à un
grand nombre d’autres hommes » 4 .
L’idée semble paraphraser celle de Flaubert exprimée dans la lettre que nous avons citée : la foule
avale l’individu. Cependant, pour Maupassant, la disparition de l’homme dans la foule est plutôt un
phénomène éphémère ; et par conséquent, une fois sorti de la foule, chacun peut récupérer de
nouveau son individualité. Or, pour notre romancier, la masse signifie plus qu’un fait occasionnel.
Elle est une nouvelle « maladie » incurable 5 .
En effet, si pour Maupassant, la foule est un rassemblement d’individus momentanément
abrutis, Flaubert oppose clairement les deux notions. Pour lui, le monde se divise en deux, d’un côté
les individus et de l’autre les masses. Ce sont deux termes qui ne s’entendent jamais. Ainsi déclaret-il dans ses lettres :
« Ce ne sera plus un despote qui primera l’individu, mais la foule, le salut public, l’éternelle
1
Corr.IV, p.384. À George Sand, le 7 octobre 1871. Flaubert souligne. Cf. Sur le succès de la
statistique à cette époque : Louis CHEVALIER, Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris
pendant la première moitié du XIX e siècle, Plon, 1958, p.33 ; Michel PERROT, « Premières mesures
des faits sociaux : les débuts de la statistique criminelle en France (1780-1830) », Pour une histoire
de la statistique, t.1, INSÉE, 1977 ; Hannah ARENDT, Condition de l'homme moderne, CalmannLévy, Coll. « Agora », 1961 et 1983, p.82 ; Pierre ROSANVALLON, Le moment Guizot, Gallimard,
1985, p.256-257.
2
Corr.II, p.293. lettre à Louise Colet, 31 janvier 1853. Flaubert souligne.
3
Voir Pierre ROSANVALLON, Le moment Guizot, Gallimard, 1985, p.76.
4
Guy de MAUPASSANT, Sur l'eau, préface de Jacques Dupont, Gallimard, Coll. « Folio », 1993,
p.111.
5
msg2265 , fo 254, p.233.
raison d’État, le mot de tous les peuples, la maxime de Robespierre. » 1
« Votre vieux Polycarpe n’a aucune illusion sur les masses, mais il en aura toujours sur les
individus. » 2
Pour Flaubert, l’être humain est ou bien un individu ayant une intelligence et une originalité, ou
bien une foule à laquelle il manque quelque chose de “propre” ; ou bien l’élite ou bien la masse
« dépourvue ». Le caractère principal des masses est en effet ce manque de qualités personnelles.
Flaubert dit :
« je ne peux admirer le peuple et j’ai pour lui, en masse, fort peu d’entrailles parce qu’il en
est, lui, totalement dépourvu. »3
Notons que ces « entrailles » qui manquent à la foule ne sont pas comparable à la liquidité d’une
libre circulation de l’argent qu’on peut redistribuer plus ou moins équitablement, en en enlevant à
ceux qui en possèdent trop et en en donnant à ceux qui n’en ont pas assez. Au contraire, il s’agit du
don personnel inné, grâce auquel un individu se distingue des autres.
Logiquement, comme les composants de la masse sont nés sans ce quelque chose propre à
eux, à eux seuls, ils seront « toujours » démunis de cette individualité, ne forgeront jamais leur
propre intelligence. Ils ne peuvent jamais conquérir leur individualité, leur propre discernement. Ils
participent aux « générosités collectives » et tombent facilement “malades”, pour rester à jamais
anonymes, chiffrés et uniformes :
« Mais quant à l’intelligence des masses, voilà ce que je nie, quoi qu’il puisse advenir, parce
qu’elles seront toujours des masses. » 4
Par contre, les individus, en tant qu’individus, ne se conforment jamais à la foule uniforme. Les
gens qui sont nés avec une vraie personnalité, intelligence et individualité ne peuvent ni ne doivent
former la masse. Il est donc dans la logique des choses que l’écrivain critique sévèrement ses amis,
qui veulent plaire aux masses publiques et « faire au meilleur marché possible le plus possible pour
le plus grand nombre possible de consommateurs » 5 . Selon Flaubert, leur acte signifie une tentative
suicidaire pour les intellectuels ; en tentant d’attirer la masse, ils finissent par s’y mêler. L’écrivain
dit : « je prendrai les passions de la foule pour lui plaire et je descendrai à son niveau » 6 . Et lorsque
l’élite rejette son propre avis pour se soumettre à l’opinion de la foule, le monde entier devient une
masse uniforme. Il n’y a plus de place pour l’individualité.
2. La “non-propriété” et la “propriété”.
Au demeurant, tous les caractères de la foule flaubertienne ? de sa liquidité à son anonymat
1
Corr.II, p.719, lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, 18 mai 1857.
Corr.15, p.438, lettre à Mme Brainne, 18 février 1876. Notons que dans le scénario, Flaubert voit
l'opposition entre « Droits de l'individu et droits de la foule », mais non pas entre « Droit divin ?
suffrage universel » (msgg10,fo 24,p.89.)
3
Corr.II, p.442, lettre à Louise Colet, 26 septembre 1853.
4
Corr.III, p.479, lettre à sa nièce Caroline, 16 janvier 1866. Flaubert souligne.
5
Corr.I, p.343-344. lettre à Louise Colet, 15-16 septembre 1846.
6
Corr.II, p.16, lettre à Louise Colet, 3 novembre 1851.
2
? se résument au manque général. Les masses manquent de manière de vie commune, de relation
étroite, de racine, de domicile et profession fixes. Mais surtout, pour Flaubert, elles manquent de
“nom propre”, d’intelligence propre, d’individualité, d’originalité, de talent évident, etc. Elles
manquent de quelque chose propre à elles-mêmes, des qualités et fortunes essentielles grâce
auxquelles un être devient et demeure lui-même. En un mot, la foule est “non-propre”.
(1) Le nom propre.
Pourtant, s’il y a, d’un côté, les gens “non-propres”, il doit exister, d’un autre, les individus
qui ne le sont pas, qui ne manquent pas d’originalité, d’individualité. Nous appellerons cette qualité
primordiale pour l’individu la “propriété”. Outre son sens général d’immobilier, le mot doit indiquer
la connotation étymologique : la qualité propre d’un être ou d’une chose. Ainsi, en empruntant la
formule du Dictionnaire des idées reçues, on dirait que « les humains se divisent en deux grandes
classes : les propriétaires et les locataires » 1 , entre ceux qui ont la “propriété” et ceux qui en
manquent. Nous allons ici examiner cette notion, antithèse même de la “non-propriété” des foules.
Voyons avant tout une lettre de Flaubert :
« Avec le temps, il gagnera de l’originalité, une manière individuelle de voir et de sentir (car
tout est là) »2 .
Pour que le jeune homme devienne un vrai artiste, il doit d’abord obtenir la “propriété”, à savoir
« l’originalité, une manière individuelle de voir et de sentir ». Et puis, il doit prouver ces qualités
dans son oeuvre, car « tout est là ». La tâche est certes difficile. Mais s’il y arrivait, il ne serait plus
un composant des masses uniformes, liquides, chiffrées. Il ne serait plus un jeune homme
quelconque, il se distinguerait des autres. Il échapperait naturellement à son anonymat. Son “nom
propre” « Guy de Maupassant » représenterait seul sa “propriété” ; par contre, la singularité de ses
oeuvres suggérerait par elle seule son nom, même sans autres indices précis. Les lecteurs
retrouveraient dans les romans les touches propres à Maupassant, et parleraient des écritures à la
Maupassant.
Il est évident que dans la perspective de Flaubert, la notion de “propriété” est inséparable de
l’idée de “nom propre”, d’autant plus que la foule “non-propre” est caractérisée par son anonymat.
Pour lui, en effet, si le chiffre représente la masse uniforme, le patronyme représente
indéniablement l’individualité. Autrement dit, dans un nom, se résume l’essence même d’une
personne nommée, qui nécessiterait des milliers de mots si on voulait en disserter. Certaines lettres
montrent clairement la conviction de l’écrivain sur ce rapport immédiat entre le “nom propre” et la
“propriété”. Nous citons d’abord une lettre de condoléances à l’épouse du sculpteur James Pradier :
« Le voilà seul maintenant et chargé d’un nom qui ne périra pas. Ce nom restera comme celui
du plus grand statuaire de son siècle » 3 .
Il est vrai que dans une telle lettre, la convention exige qu’on mentionne le nom impérissable du
défunt. Pourtant, posée dans le réseau lexical de Flaubert, la phrase regagne une signification
particulière. L’écrivain considère l’homme qui laisse un nom à la postérité comme quelqu’un muni
de vrai talent : puisqu’il a l’essentiel, son nom reste et ne se dissout pas dans l’anonymat. En
1
p.548. La rubrique « propriétaire ».
Corr.IV, p.648, lettre à Laure de Maupassant, 23 février 1873.
3
Corr.II, p.103, lettre à Louise Pradier, 12 juin 1852.
2
revanche, s’il n’avait pas de “propriété”, son nom périrait immédiatement. L’homme “non-propre”
restera anonyme, telle est la loi. Ainsi, dans une autre lettre, le jeune Flaubert écrit, avec un peu de
mélancolie et ironie, de son propre nom :
« Mon nom obscur s’éteindra avec moi et le monde en continuera sa route comme si j’en
laissais un illustre. » 1
Nous retrouvons à nouveau sa conviction latente sur le lien entre le nom et la “propriété”, entre
l’anonymat et la “non-propriété”. Selon lui, quand un Flaubert sans “propriété” périt, son nom
« obscur » s’éteindra, à moins que sa postérité en hérite. Mais si, par chance, il faisait quelque chose
qui lui soit propre et s’il montrait son originalité, il pourrait laisser son nom « illustre » impérissable
au futur. Soit il reste anonyme, soit il laisse son nom.
Pourtant, l’idée de Flaubert ne se limite pas au nom posthume. Le patronyme d’un homme
vivant doit se lier à sa substance, autant que le nom d’un défunt évoque son être entier. Voici la
lettre dans laquelle Flaubert jouit de raconter l’épisode d’un certain fils nommé « Fouard » (qui
rime d’ailleurs avec « Bouvard ») :
« Autre aspect humain : ce Fouard allait à Elbeuf pour demander à son père la permission de
changer de nom. Ce nom de Fouard (foire) l’empêche de se marier [...] Mais je crois que le
bourgeois, qui a fait sa fortune lui-même, va être indigné et refusera son consentement. » 2
Flaubert s’amuse bien de cet « aspect humain » : on prend le « nom de Fouard » pour représenter
ou, au moins, suggérer la personnalité de « ce Fouard » même. On suppose qu’il est impropre au
bon mariage, puisqu’il pourrait faire la foire, avoir la foire, etc. Du moins, il est certain que de
virtuels beaux-parents jugent ce nom pas très honorable. Or, l’écrivain s’amuse aussi du père qui, à
son tour, considère son nom comme représentant de « lui-même », de sa propre fortune, de son
propre être.
Toutefois, quand il s’agit du “nom propre” de son personnage, ce n’est plus, pour l’écrivain,
une simple anecdote amusante. Le problème est beaucoup plus sérieux. Selon Flaubert, en effet,
dans le roman, le nom est primordial, puisqu’il fait corps avec le héros même. Voici son
témoignage :
« Un nom propre est une chose extrêmement importante dans un roman, une chose capitale.
On ne peut pas plus changer un personnage de nom que de peau. C’est vouloir blanchir un
nègre. » 3
Le nom du héros représente sa “propriété”. Il est impossible d’en changer, à moins de renouveler le
personnage même. Sur ce sujet, nous citons le fameux épisode concernant le nom « Bouvard »,
raconté par Zola.
« Un jour donc, comme nous déjeunions chez Charpentier, nous parlions des noms, et je dis
que j’en avais trouvé un excellent, Bouvard, pour un personnage de Son Excellence Eugène
Rougon, le roman auquel je travaillais alors. Je vis Flaubert devenir singulier. Quand nous
quittâmes la table, il m’emmena au fond du jardin, et là, avec une grosse émotion, il me
1
Corr.I, p.342, lettre à Louise Colet,15-16 septembre 1846.
Corr.II, p.327, lettre du 17 mai 1853. Flaubert souligne.
3
Corr.III, p.788. À Louis Bonenfant, 13 août ? 1868. Flaubert souligne.
2
supplia de lui abandonner ce nom de Bouvard. Je le lui abandonnai en riant. Mais il restait
sérieux, très touché, et il répétait qu’il n’aurait pas continué son livre, si j’avais gardé le nom.
Pour lui, toute l’oeuvre était dans ces deux noms : Bouvard et Pécuchet. Il ne la voyait plus
sans eux. » 1
Sans le nom « Bouvard », le roman est gâché, parce qu’il représente, avec « Pécuchet », le
caractère, la bêtise, le physique, la “propriété” des protagonistes qui constituent le canevas du
roman2 . En plus, les deux patronymes forment le titre, nom du roman même, qui est à son tour
inséparable de la “propriété” ou de la « conception » de Bouvard et Pécuchet. Effectivement, « toute
l’oeuvre » est « dans ces deux noms ». Il est impératif de ne rien changer. Nous pouvons d’ailleurs
constater, dans une autre lettre, que Flaubert considère comme incontestable la relation entre la
« conception » du roman et son titre, entre la “propriété” et le nom d’un livre :
« À propos de titre, vous m’aviez promis de m’en trouver un pour mon roman, à moi. Voici
celui que j’ai adopté, en désespoir de cause :
L’Éducation sentimentale,
Histoire d’un jeune homme.
« Je ne dis pas qu’il soit bon, mais jusqu’à présent c’est celui qui rend le mieux la pensée du
livre.
« Cette difficulté de trouver un bon titre me fait croire que l’idée de l’oeuvre (ou plutôt sa
conception) n’est pas claire ? » 3
Selon l’écrivain, s’il a la « conception » du roman, il doit pouvoir trouver facilement le titre, car, le
nom et la “propriété” sont liés. En revanche, si le titre ne tient pas, il est possible que « l’idée de
l’oeuvre » ne soit pas claire, que la « conception » du roman ne soit pas nette, que l’ouvrage
manque de “propriété” essentielle ; car, le nom de l’oeuvre “non-propre” doit être, par nature,
impropre. Autrement dit, le titre peut représenter la “propriété” du livre, à condition que celui-ci ait
la “propriété”.
(2) Le nom écrit.
En effet, pour Flaubert, il est évident que le “nom non-propre” est vide, au même titre que le
“nom propre” est plein. Quoiqu’écrit ou prononcé haut, le titre d’un livre banal n’évoque pas
l’originalité, de même que le nom éventuel d’un composant de foule n’évoque pas son individualité,
qui n’existe pas a priori. Le problème est que les foules n’entendent pas cette évidence. Les
composants “non-propres” de la masse prennent leur nom pour “propre”, comme ils se considèrent
faussement comme possédant la “propriété”. D’ailleurs, il est dans la logique des choses qu’ils ne
peuvent pas réaliser leur “non-propriété”, puisque tout le manque est invisible par nature. Il en
résulte que les foules écrivent invariablement leur nom sur les pavés, en espérant en vain y
représenter leur être unique. Aux yeux de Flaubert, cependant, la méconnaissance est claire voire
ridicule, à tel point qu’inlassablement, dans ses lettres, l’écrivain exprime son sarcasme pour les
noms quelconques remplissant les paysages. Voyons ici trois lettres concernant ce sujet.
« J’ai vu avant-hier le nom de Byron écrit sur un des piliers du caveau où a été enfermé le
1
Les Romanciers Naturalistes, Charpentier, 1923, p.167-168.
Voir Yvan LECLERC, La Spirale et le Monument, SEDES, 1988, p.35-49.
3
Corr.IV, p.36-37, lettre à George Sand, 3 avril 1869. Flaubert souligne.
2
prisonnier de Chillon. Cette vue m’a causé une joie exquise. [...] Il faut être bien hardi ou bien
stupide pour aller ensuite écrire son nom dans un séjour pareil. [...] Parmi tous les noms
obscurs qu’on y voit, j’y ai lu ceux de Victor Hugo et de George Sand. Cela m’a fait de la
peine pour eux. Je leur croyais plus de go ût. J’y ai lu aussi, écrit au crayon : Mme Viardot née
Pauline Garcia, ce qui par exemple m’a fait rire. Mme Viardot née Pauline Garcia rêvant aux
infortunes poétisées par le ma ître et désirant que le public en soient instruit, voilà qui est d’un
bon grotesque et qui a excité mon hilarité comme on dit en style parlementaire. » 1
Pour Flaubert, parmi tous ces gens qui écrivent leur nom, seul l’auteur du Prisonnier de Chillon
peut écrire son nom légitimement « sur un des piliers du caveau », comme ayant la vraie
“propriété”. Pourtant, si le “nom propre” de Byron cause « une joie exquise » à notre écrivain, le
nom écrit de « Mme Viardot née Pauline Garcia » lui paraît « un bon grotesque » 2 . Selon Flaubert,
cette femme anonyme croit imbécilement que son nom représente son être singulier. Elle pense
faussement que l’écriture de son nom communique sa présence unique aux visiteurs futurs, alors
qu’en fait elle est loin d’être singulière. Elle n’a pas la “propriété”. Son nom est a priori vide.
Voici une autre lettre ; cinq ans après la date de la lettre précédente, lors du voyage en Égypte,
Flaubert remarque, à nouveau, de nombreux noms gravés dans les temples touristiques, et en fait un
rapport dans une lettre à sa mère :
« Nous lisons dans les temples les noms des voyageurs ; cela nous paraît bien grêle et bien
vain. ? Nous n’avons mis les nôtres nulle part. ? Il y en a qui ont dû demander trois jours à
être gravés, tant c’est profondément entaillé dans la pierre. Quelques-uns se retrouvent
partout avec une constance de bêtise sublime. ? Il y a un nommé Vidua, surtout, qui ne nous
quitte pas. Avant-hier, à Ombos, Max[ime] a découvert celui de ce pauvre d’Arcet. Les lettres
sont là à se ronger au grand air, pendant que son corps se pourrit là-bas, dans une troisième
partie du monde. ? C’est sans doute ce pauvre nom à demi effacé déjà, qui survivra de lui le
plus longtemps. » 3
Les foules entaillent leur nom profondément, ou écrivent partout avec constance, pour le seul but de
laisser une trace de leur existence. Mais, « cela nous paraît bien grêle et bien vain. » De fait, le nom
« Vidua » ne peut jamais évoquer son être unique, puisque cet homme n’est pas unique. Il est un
composant sans figure de masses. Il est comme les autres. Son nom est “non-propre”. Aussi, le nom
de « pauvre Arcet » s’éteint inconnu. Même si par chance l’inscription survit à la personne même,
les lettres sont pétrifiées sur les murs sans représenter personne. Le nom ne fera pas parler de lui, ne
causera aucune émotion. Plus tard, il se décomposera, deviendra une trace, un pur signifiant parmi
les autres signifiants.
Voici la dernière lettre, écrite d’Alexandrie :
« La bêtise est quelque chose d’inébranlable ; rien ne l’attaque sans se briser contre elle. Elle
est de la nature du granit, dure et résistante. À Alexandrie, un certain Thompson, de
1
Corr.I, p.232-233. À Alfred Le Poittevin, 26 mai 1845.
En fait, Mme Viardot née Pauline Garcia était la cantatrice célèbre que Flaubert n’a pas alors
identifiée. Mais, quinze ans après, il applaudira son talent. De plus, ainsi que l’écrit Jean Bruneau,
« Pauline Viardot sera le grand amour de Tourgueneff et Flaubert deviendra leur ami. » Ceci est
assez ironique, car pour Flaubert, « Tourgueneff » est le vrai “nom propre” représentant le vrai
talent. Voir Corr.I, p.961, la note 2 pour p.233.
3
Corr.I, p.615, lettre à sa mère, 22 avril 1850.
2
Sunderland, a sur la colonne de Pompée écrit son nom en lettres de six pieds de haut. Cela se
lit à un quart de lieue de distance. Il n’y a pas moyen de voir la colonne sans voir le nom de
Thompson, et par conséquent sans penser à Thompson. Ce crétin s’est incorporé au
monument et se perpétue avec lui. » 1
Ce « Thompson » a bien fait d’écrire son nom « en lettres de six pieds de haut », pour qu’on le lise
« à un quart de lieue de Distance ». Car, à moins que l’écriture gigantesque n’évoque l’existence
unique et propre de cet homme, elle peut suggérer des milliers de « Thompson » qui veulent écrire
leur nom, qui veulent tracer leur “propriété” illusoire. En fait, en espérant inscrire leur prétendue
originalité, tous ces « Thompson » se comportent juste comme tout le monde, comme toutes les
foules. L’écrivain considère que la bêtise « inébranlable », « dure et résistante », s’incorpore dans
ce seul patronyme énorme de « Thompson ». Ici, nous comprenons pourquoi la vue des noms de
George Sand et de Victor Hugo « a fait de la peine pour eux ». Flaubert écrit : « je leur croyais plus
de goût ». Les noms écrits, même ceux de Sand et Hugo, indiquent le go ût de la foule, le manque de
singularité, ou la bêtise humaine généralisée.
Ainsi, ’l ironie de Flaubert est évidente envers ce “nom prétendu propre”. Outre dans les
Correspondances, dans ses romans aussi, le même sarcasme est présent. Ici, nous voulons en citer
un exemple dans l’Éducation sentimentale. Il s’agit d’un acteur nommé Dalmar.
« Derrière son dos marchait un grand garçon, dans le costume classique du Dante, et qui était
[...] ’l ancien chanteur de l’ Alhambra, ? lequel, s’appelant Auguste Delamare, s’était fait
appeler primitivement Anténor Dellamarre, puis Delamas, puis Belmar, et enfin Delmar,
modifiant ainsi et perfectionnant son nom, d’après sa gloire croissante ; car il avait quitté le
bastringue pour le théâtre, et venait même de débuter bruyamment à l’Ambigu, dans
Gaspardo le Pêcheur. » (ES,p.176)
Il s’agit d’un comédien de second rang et au second degré, qui se fait passer pour un véritable
acteur ; il est un imitateur d’imitateur ; il ne peut avoir aucune originalité. Or, comme il n’est pas
« lui-même » représenté par son nom, cet homme peut renouveler le pseudonyme à sa guise selon sa
nouvelle carrière, tandis que le fils « Fouard » ne peut pas changer son patronyme qui s’associe à ce
qu’il est en « lui-même ». Le comédien pourrait s’appeler Delamare ou Dellamarre ou Dalamas ou
Belmar ou n’importe quel nom ; tous égalent en réalité l’anonymat, ne représentent pas l’essentiel.
3. L’identité de Bouvard et Pécuchet.
Examinons maintenant l’identité de Bouvard et Pécuchet. D’abord, leurs caractères
correspondent à tous les attributs généraux des masses urbaines. Ils ne possèdent pas de domiciles
ni de professions fixes. Selon les scénarios, « Bouvard change de logement sans cesse et varie dans
sa chambre la disposition de ses meubles » 2 . Et Pécuchet change sans cesse de métier avant de se
fixer finalement comme copiste :
« On l’avait, à quinze ans, retiré de pension pour le mettre chez un huissier. [...] Ensuite, il
avait essayé de plusieurs états, maître d’études, élève en pharmacie, comptable sur un des
paquebots de la haute Seine. » (p.58-59)
1
2
Corr.I, p.689, lettre à son oncle Parain, 6 octobre 1850.
msgg10,fo 2r,p.7, fo 6,p.37 et fo 33,p.19.
Ils sont tous les deux déracinés, n’ont pas de relation étroite avec les entourages, ne s’intéressent
guère à leurs voisins, ne partagent rien en commun avec leurs collègues hors du bureau. Né à Paris,
Pécuchet « était le fils d’un petit marchand, et n’avait pas connu sa mère, morte très jeune » (p.58),
et « il vivait complètement seul sans parents, sans ma îtresse » (p.59). Quant à Bouvard, il a été
immigré, amené à Paris, lorsqu’il était jeune. Soi-disant veuf, sans enfant, et à vrai dire, c’est un
bâtard de son prétendu oncle. Flaubert souligne leur condition dans un scénario :
« Tous les deux manquent de famille » 1 .
Ainsi, sans famille, sans connaissance influente, les héros sont le portrait précis des masses
anonymes de Paris.
Et même temps, les deux protagonistes sont munis des caractères particuliers de la foule
flaubertienne. Ils sont copistes, qui au mieux copient les originaux et au pire copient les copies. Ils
répètent la banalité, ils sont comme tout le monde. Ils ne sont pas originaux. Ils manquent de toutes
les qualités personnelles, nécessaires pour être individualisés. Ainsi, Bouvard a rêvé de devenir
acteur dans sa jeunesse, profession mimétique. Il veut faire des tours d’équilibriste « comme en
exécutait Barberou », son ami saltimbanque (p.56). Par ailleurs, les deux héros écrivent leur nom,
comme « Viardot » ou « Vidua » ou « Thompson ». Ils inscrivent leurs noms dans leurs chapeaux,
pour ne pas les mélanger à ceux de leurs collègues (p.52). Aussi, la veille du déménagement,
Pécuchet grave son nom sur le plâtre de la cheminée, « pour laisser quelque chose de lui » (p.69).
Ces inscriptions de nom montrent la méconnaissance typique de la masse “non-propre”, croyant que
l’écriture du nom peut tracer leur existence, peut marquer leur “propriété”. En fait, le “nom nonpropre” des foules ne représente jamais « quelque chose » d’elles-mêmes, à moins qu’elles
deviennent originales, par miracle.
II. Le réveil.
Le curriculum vitae de deux bonshommes est ainsi clair. Ils sont Parisiens, composants de la
masse “non-propre”. Maintenant, à partir de cette identité découverte, nous analysons le motif de
leur déménagement. Il est nécessaire, avant tout, d’interroger la raison pour laquelle Bouvard et
Pécuchet rêvent de quitter leur vieux monde, afin de commencer une vie inconnue. Pourquoi
désirent-ils sortir de leur état, changer complètement d’existence ? (p.62) Voici leur cri :
« Quelle situation abominable ! Et nul moyen d’en sortir ! Pas même d’espérance ! » (p.62)
Mais, d’où vient ce dégoût si fort qui pousse les héros à tout abandonner ? Apparemment, il ne
semble pas exister de raison convaincante. Ils étaient heureux dans la capitale et assez contents de
leurs habitudes citadines. Surtout, Bouvard en a un bon souvenir :
« Il se rappela des jours heureux passés dans cette grande ville, des pique-niques au restaurant,
des soirs au théâtre, les commérages de sa portière, toutes ses habitudes ». (p.69)
Ensemble, les deux amis « entrèrent au cours d’arabe du Collège de France », « pénétrèrent dans les
coulisses d’un petit théâtre » et grâce à Dumouchel, ils ont assisté même à une séance de
l’Académie (p.61). Ils pourraient se contenter de continuer leur vie parisienne, de fréquenter leurs
amis Dumouchel et Barberou, d’aller au théâtre, à la galerie, au musée. Pourquoi soudain les héros
1
msgg10,fo 7,p.42.
veulent-ils rejeter tout cela ?
Pour répondre, nous devons remonter au début du roman, à leur premier contact, car tout s’y
déclenche. D’abord, lors de leur rencontre, Bouvard et Pécuchet sont saisis par l’ennui de la
capitale. Soudain, Paris commence à dégoûter et à fatiguer les héros : « il commençait néanmoins à
se sentir fatigué de la capitale, Bouvard aussi » (p.53). De même, depuis ce jour, Barberou et
Dumouchel commencent à leur déplaire. Le scénario le précise :
« du moment où ils se connaissent, la société qu’ils fréquentaient les ennuie [et] chacun lâche
l’ami particulier qu’il avait » 1 .
De plus, à partir de ce moment, ils se développent intellectuellement, à tel point qu’ils commencent
à fréquenter le musée et les cours : « par le seul fait de leur contact ils se développent et désirent
acquérir plus d’idées » 2 . Et puisque maintenant ils ont commencé leur développement intellectuel,
ils croient mériter mieux que leur situation actuelle : « autrefois, ils se trouvaient presque heureux.
Mais leur métier les humiliait depuis qu’ils s’estimaient davantage ». « La monotonie du bureau
leur devenait odieuse » (p.62). Ils ne supportent pas non plus leurs collègues : « les jugeant stupides,
ils leur parlaient de moins en moins » (p.62). Ainsi, depuis leur rencontre, ils se métamorphosent,
commencent à s’estimer davantage, mais aussi à se sentir malheureux dans le milieu urbain. Il est
certain que, s’ils ne s’étaient pas rencontrés, Bouvard et Pécuchet n’auraient jamais voulu
déménager de Paris. Ils se sentiraient heureux de la vie parisienne dans la masse. Ils seraient
satisfaits, après tout, d’être copistes parmi d’autres copistes, de se mêler aux foules. En effet, pour
que les deux protagonistes aient envie de sortir du milieu “non-propre”, il est indispensable qu’ils se
rencontrent, aient le coup de foudre réciproque.
Nous examinons donc ce début de l’amitié des deux bonshommes. Il s’agit d’une rencontre
vraiment miraculeuse qui a lieu entre deux doubles, ayant par hasard « la même idée », le même
métier et « le même âge ». Ils se ressemblent comme des frères jumeaux :
« nous avons eu la même idée, celle d’inscrire notre nom dans nos couvre-chefs. » (p.52)
« ils faillirent s’embrasser par-dessus la table en découvrant qu’ils étaient tous les deux
copistes ». (p.55)
« ils avaient le même âge : quarante-sept ans ! » (p.58)
Pourtant, nos jumeaux ne se ressemblent pas forcément sur tous les points, car, en même temps, ils
s’opposent aussi l’un à l’autre, physiquement, mentalement et surtout à propos de leurs goûts
réciproques. D’un point de vue physique, l’un est grand, maigre, avec le nez pointu et les cheveux
bruns, l’autre est gras, les cheveux blonds frisés et les yeux bleuâtres. Mentalement, l’un est plus
confiant, étourdi, généreux, et l’autre est discret, méditatif et économe. Quant à leurs goûts, le texte
est formel : « leurs goûts particuliers s’harmonisaient » (p.60). Si l’un fume la pipe, l’autre prise, si
l’un aime le fromage, l’autre ne mange que des confitures comme dessert, et si l’un prend une demitasse de café, l’autre trempe un morceau de sucre dans le breuvage. Leur contraste est tel que
chacun admet « tout de suite » chez l’autre les particularités qui s’opposent à lui et chacun en est
séduit « dès le début » :
1
msgg10,fo 6,p.37.
2
msgg10,fo 2r,p.4.
« Ainsi leur rencontre avait eu l’importance d’une aventure. Ils s’étaient, tout de suite,
accrochés par des fibres secrètes. D’ailleurs, comment expliquer les sympathies ? Pourquoi
telle particularité, telle imperfection indifférente ou odieuse dans celui-ci enchante-t-elle dans
celui-là ? Ce qu’on appelle le coup de foudre est vrai pour toutes les passions. » (p.59)
Le caractère discret et méditatif de Pécuchet attire l’attention de Bouvard, qui n’est pas du tout
discret et méditatif. En voyant la générosité et l’air confiant de Bouvard, Pécuchet est frappé,
n’étant ni généreux ni confiant par nature. Même une «imperfection » quelconque et même une
manie « odieuse » de l’un enchantent immédiatement l’autre, puisqu’elles représentent ce qui
manque à celui-ci. En effet, plus l’un possède la « particularité » qui lui est propre et qui manque à
l’autre, plus celui-ci est attiré. Il est sûr que s’ils avaient été seulement similaires, ils ne se seraient
pas liés si fortement.
La signification de leur rencontre miraculeuse est donc claire : ils se retrouvent l’un et l’autre,
face à leur propre miroir. L’un voit l’autre, comme il voit son reflet dans une glace magique. Les
ressemblances sont reconnues forcément « tout de suite » : l’image semble renvoyer la copie exacte
de celui qui la regarde, même si les différences se distinguent aussi promptement, comme le portrait
dans la glace ne peut pas être complètement fidèle au réel. La droite devient la gauche. Ou plutôt,
ici, le creux devient la bosse, le manque devient le surplus. Ainsi, dans le miroir-Bouvard, Pécuchet
voit sa propre image mais munie juste de ce qu’il n’a pas. Et Bouvard voit, lui aussi, que son déficit
devient l’excédent chez Pécuchet. Le texte donne cette explication :
« Chacun en écoutant l’autre retrouvait des parties de lui-même oubliées ; ? et bien qu’ils
eussent passé l’âge des émotions naïves, ils éprouvaient un plaisir nouveau, une sorte
d’épanouissement, le charme des tendresses à leur début. » (p.54)
En d’autres termes, cependant, en regardant et écoutant son double, l’un est obligé de visualiser son
propre manque, qui resterait inaperçu à l’état normal. Bouvard met devant le nez de Pécuchet ce que
celui-ci n’a pas, et Pécuchet montre ce dont Bouvard manque par nature. Chacun réalise ce qui lui
manque, en regardant l’autre. Chacun se reconnaît comme “non-propre”. Ils remarquent ainsi le fait
qui peut rester invisible. En effet, sans croisement de leur destin, chacun ne se regarderait pas sous
son véritable jour. Ils ne se prennent pas pour “non-propres”, d’autant plus que le manque passe,
logiquement, inaperçu. Ils continueraient à ne pas se remarquer. Mais, le miracle a lieu pour nos
deux héros, pour changer leur sort1 .
Jusqu’à maintenant, de fait, les deux héros pouvaient continuer à être “non-propre” sans
problème, puisqu’ils ignoraient l’être. Ils pouvaient ne pas être mécontents de leur vie. Cependant,
une fois reconnu qu’ils manquaient de « quelque chose » propre à eux, Bouvard et Pécuchet
commencent à vouloir le changement. D’abord, ils veulent combler leur manque : « par le seul fait
de leur contact ils se développent et désirent acquérir plus d’idées » 2 . Et puis, ils aperçoivent que
leur vieil ami est en réalité “non-propre” : « du moment où ils se connaissent, la société qu’ils
fréquentaient les ennuie » 3 . Ils réalisent que leur ancien meilleur ami n’est finalement qu’un
semblable. Maintenant, Pécuchet sait que son ami Dumouchel manque juste de ce dont il manque
lui-même. Et Barberou, ressemblant à Bouvard, est dépourvu juste de ce que celui-ci n’a pas. Les
héros ne les fréquentent plus. Il en est de même pour leurs collègues. Puisque Bouvard et Pécuchet
1
Cf. Jacques Lacan, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du “Je” », in Écrits,
Paris, Seuil, 1966, p.93-100.
2
msgg10,fo 2r,p.4.
3
msgg10,fo 6,p.37.
reconnaissent leur propre manque et qu’ils commencent à désirer devenir originaux, leur vieux
compagnons copistes deviennent odieux. Les héros ne peuvent plus se contenter de copier, de vivre
dans la masse, de rester dans la capitale. D’où leur cri : « Quelle situation abominable ! Et nul
moyen d’en sortir ! Pas même d’espérance ! » (p.62) Maintenant, ils veulent tout changer, désirent
se métamorphoser, à tel point que « leurs collègues les trouvaient « drôles » » (p.67). En fait,
Bouvard et Pécuchet se sont réveillés.
III. La Communauté.
Maintenant, fatigués (p.53) voire dégoûtés du monde de la foule 1 , Bouvard et Pécuchet
brûlent d’en sortir, de se réfugier dans un pays loin de leur ville. En effet, non seulement pour ces
deux bonshommes réveillés, mais aussi pour tous les gens qui aspirent à la “propriété”, il est
indispensable de trouver un abri, afin de se sauver de la foule absorbante, du « gouffre sans fond »
plus grand que « l’océan » 2 . Ainsi Flaubert dit dans sa lettre :
« Je suis, pour mon compte, effrayé par la bêtise universelle ! Cela me fait l’effet du Déluge et
j’éprouve la terreur que devaient subir les contemporains de Noé, quand ils voyaient
l’inondation envahir successivement tous les sommets. Les gens d’esprit devraient construire
quelque chose d’analogue à l’Arche, s’y enfermer et vivre ensemble. » 3
Selon l’écrivain, il est urgent de construire un refuge pour défendre les individus intelligents,
« pauvres nous », contre l’attaque effrayante de la masse, « on » 4 . Sinon, il est nécessaire de
chercher quelque part une utopie isolée de la foule :
« En cherchant bien, on pourrait peut-être reconstituer une petite société d’émigrés qui serait
agréable. Car nous sommes tous des émigrés, les restes d’un autre temps. » 5
Bouvard et Pécuchet commencent eux-mêmes la recherche pour leur propre refuge, « quelque chose
d’analogue à l’Arche » ou « petite société d’émigrés ». Ici, il est question de savoir quel abri les
deux Parisiens imaginent dans leur rêve ; comment ils répondent, eux, à cette question
flaubertienne : « la Bêtise moderne m’épouvante ! Elle monte de jour en jour ! Où fuir ? » 6
1. La Campagne.
(1) L’idée abstraite.
Bouvard et Pécuchet ont, pourtant, une idée claire sur leur futur abri, dès le début. Ils veulent
aller à la « campagne ». Le jour même de leur rencontre, ils engagent la conversation sur ce sujet :
« comme on serait bien à la campagne ! » (p.52) Le scénario dit :
1
msgg10,fo 2r,p.6. Dans le texte définitif, l’objet de dégoût se déplace à leur métier copiste. BP.p.62.
Corr.IV, p.967, lettre à Edmond Laporte, 2 octobre 1875.
3
Corr.IV, p.809, lettre à la Princesse Mathilde, 8 juin 1874.
4
Ici, les deux pronoms gagnent les sens opposés ; si « on » s’adresse à la foule “non-propre”,
« nous » signifie les individus ayant la “propriété”. Corr.IV, p.411, lettre à George Sand, 14
novembre 1871. Voir aussi, Corr.15, p.520, lettre à Edmond Goncourt, 31 décembre 1876.
5
Corr.IV, p.647, lettre à Edma Roger des Genettes, 22 février 1873.
6
Corr.IV, p.863, lettre à Edmond de Goncourt, 22 septembre 1874.
2
« tous deux voudraient bien être à la campagne ! c’est par là que le dialogue commence ! » 1
Plus tard aussi, lorsque Bouvard a hérité, son tout premier mot est le suivant :
« Nous nous retirerons à la campagne ! » (p.65)
Les deux Parisiens en rêvent tellement que « leur vie n’a pas d’autre but que la maison de
campagne » 2 Pourtant, leur idée en reste abstraite, imprécise et dépourvue de critères déterminés ;
ils ne tiennent pas « précisément à un site pittoresque » (p.67) tel quel. Ils veulent seulement « une
campagne qui fût bien la campagne » (p.67), « une campagne qui répond le plus possible à cette
idée abstraite « la campagne » » 3 , ou « une Campagne qui soit bien la Campagne, qui réponde le
plus possible à cette idée la Campagne » 4 . En fait, pour les deux citadins ignorants de la vie
provinciale réelle, « la Campagne » ne signifie rien d’autre que l’antipode de la Capitale, le
contraire de l’univers morose de la foule. Pour eux, l’opposition entre Paris et la province est une
évidence, d’autant plus que tous leurs contemporains partagent cette même vision double du monde
avec eux.
De fait, dans la France du XIXe siècle, la « Campagne » et la Capitale, ou « la ville et la
province » 5 , sont considérées comme deux mondes nettement distincts voire opposés, à tel point que
diverses idées reçues sont formées sur ce sujet 6 . D’une part, aux yeux des Parisiens, la province est
un pays lointain et sauvage par rapport à leur ville 7 . D’autre part, pour les provinciaux, la Capitale
est un lieu malsain et aberrant en comparaison avec leur campagne solide ; selon le Dictionnaire des
idées reçues, pour les provinciaux, « tous les Parisiens sont des badauds ? quoique sur dix
habitants de Paris, il y ait neuf provinciaux. À Paris, on ne travaille pas » 8 . Dans ses lettres, Flaubert
indique lui-même ces clichés sur « Paris » et « ce qu’en pense la Province (et vice-versa) » (p.546.
DIR. rubrique « Paris »). Voici deux exemples :
« je suis fâché de voir un homme d’esprit comme toi renchérir sur la marquise d’Escarbagnas,
qui croyait que « hors Paris, il n’y avait point de salut pour les honnêtes gens ». Ce jugement
me paraît être lui-même provincial, c’est-à-dire borné. » 9
« La capitale, pour les bons provinciaux tels que Ducros et le capitaine Barbey, est quelque
1
msgg10,fo 6,p.35.
2
msgg10fo 2r,p.6.
3
msgg10fo 7.p.40.
4
msgg10fo 2r,p.5.
5
Corr.16,p.116, lettre à Guy de Maupassant, 31 décembre 1878.
6
Selon les historiens, la distinction existait bel et bien, non seulement au niveau démographique,
mais aussi politiquement et économiquement. Les provinciaux étaient en général des propriétaires
fonciers, monarchistes ou impériaux, tandis que les Parisiens étaient plutôt des bourgeois
républicains. Voir Roger BELLET, Presse et journalisme sous le Second Empire, Armand Colin,
1967, p.67.
7
Selon Jean Dubois, le mot « rural » a signifié, de 1871 à 1879, le « réactionnaire » borné pour les
citadins se prenant pour ouverts et progressistes, alors que pour les provinciaux eux-mêmes, le mot
ne signifie que le parti authentique se rangeant du côté du pouvoir. Le Vocabulaire politique et
social en France de 1869 à 1872, Larousse, 1962,p.86-87.
8
p.490. La rubrique « Badaud »
9
Corr.II, p.114-115, lettre à Maxime Du Camp, 26 juin 1852.
chose de très amusant, rempli de cafés, de restaurants, de glaces, de spectacles et de bec de gaz
qui éclairent beaucoup. » 1
L’écrivain reprend cette opposition entre les deux lieux, même pour les personnages de ses propres
romans. Dans Madame Bovary, par exemple, la rêverie d’Emma (MB,p.117-118) et le discours
d’Hommais sur Paris (MB.p.187) manifestent bien l’écart psychologique entre les provinciaux et les
citadins. Quant à l’Éducation, les paroles de Frédéric sont marquées clairement de la vision binaire
du monde. Pour lui, si les femmes de province sont qualifiées de « grimaces bourgeoises
provinciales », les Parisiennes sont naturellement représentées par une « aisance de manières », une
« simplicité, qui est un raffinement » (p.142) ; mais si Paris dégoûte le héros par son « milieu
factice », la Province doit l’attirer par « la fraîcheur de l’herbe », « des coeurs ingénus » (ES.p.497).
Du reste, il est certain que l’écrivain a lui-même conscience du contraste entre Paris et la province.
Ainsi dit-il : « nous souffrons peut-être du Mal de la France ; ici, à Paris, où bat son coeur, on le
sent mieux qu’aux extrémités, en province » 2 . Si Paris est au centre, la province est aux extrémités ;
si Paris est bon, le mauvais est en province ; et « vice versa ». Les deux endroits se trouvent aux
antipodes, dans tous les domaines.
(2) L’idée plus concrète.
Il est donc logique que, pour Bouvard et Pécuchet, dégoûtés de la Capitale morose, l’« idée
abstraite « la campagne » » 3 évoque à elle seule l’utopie idéale et splendide. Ils imaginent
vaguement un paradis terrestre, comme il est écrit dans le Dictionnaire des idées reçue :
« Campagne : Tout y est permis. […]
Les gens de la campagne meilleurs que ceux de la ville. Envier leur sort. »
(p.495)
Ils disent aussi : « Nous ferons tout ce qui nous plaira ! nous laisserons pousser notre barbe ! »
(p.66) Là-bas, ils ne seraient plus “nomades”, et « ils posséderaient un domicile à eux ! » (p.66) Ils
quitteraient à jamais leur vieille profession de copiste : « Plus d’écritures ! plus de chefs ! plus
même de terme à payer ! » Ils deviendraient surtout originaux, obtiendraient quelque chose propre à
eux, à eux seuls. En plus, pour eux, il est aussi certain que, comme la « Campagne » est opposée à
la Capitale, leurs futurs voisins ne ressembleraient en rien à la foule “non-propre” des Parisiens :
« les gens de la campagne meilleurs que ceux de la ville ». Contrairement aux masses urbaines, les
campagnards seraient des individus ayant chacun une “propriété”. Ces gens ne seraient pas
anonymes, ni chiffrés, mais posséderaient chacun un “nom propre”. Leur nombre serait assez limité,
leur relation est étroite, pour qu’ils se reconnaissent les uns et les autres. En plus, cette
« Campagne » idéale serait munie de quelques murailles, pour empêcher les foules “non-propres”
de se mêler de nouveau avec les habitants ; la masse ne devrait jamais entrer dans le futur abri de
Bouvard et Pécuchet. Au demeurant, le refuge des deux protagonistes, représenté par le mot de
« Campagne », est comparable avec la “Communauté” des individus élites, où jamais les masses
liquides ne possèdent le pouvoir.
De fait, Flaubert conçoit, lui-même, l’antipode de la société des masses comme une sorte de
constitution des élites, les individus ayant chacun une originalité. Il imagine, avant tout, ce groupe
1
Corr.I, p.137, lettre à sa soeur Caroline, 21 décembre 1842.
Corr.IV, p.902, lettre à George Sand, 13 janvier 1875.
3
msgg10,fo 7,p.40.
2
d’élites comme une “Communauté” d’artistes, comme un abri des cultivés contre la menace des
masses profanes :
« Il faut se renfermer, et continuer tête baissée dans son oeuvre, comme une taupe. Si rien ne
change, d’ici à quelques années, il se formera entre les intelligences libérales un
compagnonnage plus étroit que celui de toutes les sociétés clandestines. À l’écart de la foule,
un mysticisme nouveau grandira. » 1
Il s’agit aussi d’« un petit cénacle de bons garçons, tous gens d’art, vivant ensemble et se réunissant
deux ou trois fois par semaine pour manger un bon morceau arrosé d’un bon vin, tout en dégustant
quelque succulent poète ! » 2 Chacun de ces artistes doit être muni de talent éminent et d’originalité.
Singuliers, ils doivent pourtant partager la même manière de vie : ils doivent tous se voue r à l’art
pour l’art. Ainsi Flaubert dit :
« Ce qui rend les jours doux c’est l’épanchement de l’esprit, la communion des idées, les
confidences des rêves qu’on fait, de tout ce qu’on désire, de tout ce qu’on pense ; et est-il icibas beaucoup d’êtres qui aient seulement la même opinion sur la manière dont il faut servir un
dîner ou équiper un attelage ? » 3
En effet, ces membres de la “Communauté” doivent communiquer et s’identifier les uns et les
autres par leur amour commun pour la littérature, et excluent les « bourgeois » dits instruits qui ne
partagent pas cette vision communautaire et qui, par conséquent, ne peuvent pas s’entendre avec les
membres poètes.
Pourtant, en même temps, cette “Communauté” purement artistique de Flaubert se donne une
connotation plus politique et sociale, lorsqu’elle est située dans les courants de pensées
contemporaines. Les intellectuels d’alors, dont surtout les doctrinaires et plus tard Taine et Renan,
prétendent opposer eux aussi à la masse la “Communauté” d’élite. À la place de la foule anonyme,
ils veulent retrouver une nouvelle « aristocratie », dans laquelle « le simple fait d’être homme n’est
pas un titre suffisant pour jouir du droit à la liberté et aux autres avantages éminents de la vie
politique » 4 . Chacun des membres doit posséder et démontrer une « capacité » personnelle, quelque
chose de propre et d’original5 . Il doit émettre un jugement personnel et une perspective individuelle,
ne doit pas se conformer à l’opinion publique aveugle. Or, ces élites sont reconnues et identifiées,
par leur éducation supérieure, leur contribution élevée et leur titre et statut social, qui manquent
cruellement aux masses ordinaires.
Évidemment, la société idéale de Flaubert est presque similaire à celle des doctrinaires. Pour
lui aussi, l’antipode de la société des masses est qualifié d’« aristocratie légitime » :
« Notre salut n’est, maintenant, que dans une aristocratie légitime, j’entends par là une
majorité qui se composera d’autre chose que de chiffres. » 6
1
Corr.II, p.437. À Louise Colet, 22 septembre 1853. Flaubert souligne.
Corr.I, p.209, lettre à Louis de Cormenin, 7 juin 1844.
3
Corr.I, p.339, lettre à Louise Colet, 13 septembre 1846.
4
Pierre MANENT, Tocqueville et la nature de la démocratie, Fayard, 1993, p.38-39.
5
Cf. Pierre ROSANVALLON, op.cit., p.112 : « Pour mériter son nom il faut à l’aristocratie, écrit
Guizot, une force qui lui appartienne en propre, qu’elle n’emprunte de personne, que personne ne
lui puisse ravir ».
6
Corr.IV, p.314, lettre à George Sand, 30 avril 1871.(Flaubert souligne.) Pourtant, il n’est pas
2
Les membres élites doivent partager en commun le même haut niveau intellectuel ; ils doivent être
des « mandarins » : « Croyez-vous que si la France, au lieu d’être gouvernée, en somme, par la
foule, était au pouvoir des mandarins, nous en serions là ? » 1 Le nombre de ces sociétaires doit, par
logique, être limité, pour qu’ils ne constituent pas de nouveau les masses : « Je crois que la foule, le
nombre, le troupeau sera toujours haïssable. Il n’y a d’important qu’un petit groupe d’esprits,
toujours les mêmes, et qui se repassent le flambeau » 2 . Mais le primordial est surtout que ces
membres intellectuels de la “Communauté” possèdent chacun quelque chose d’original, de
singulier, de propre à eux. L’individualité y doit être défendue, coûte que coûte :
« L’idéal d’une socié té serait celle en effet où tout individu fonctionnerait dans sa mesure. » 3
(3) L’Antiquité versus la Modernité.
Il est clair que le refuge idéale de Flaubert, de Bouvard et Pécuchet, ou de tous ceux qui
aspirent à la “propriété”, est une constitution archaïque, ancienne et aristotélicienne. L’antipode de
la capitale moderne, désignés sous les mots abstraits de « la Campagne » et du « cénacle », évoque
concrètement une “Communauté” ancienne. Il est du reste dans la logique des choses que
l’antithèse de la « Babylone » moderne 4 , ou de la « nouvelle Athènes » 5 , se trouve à la Cité antique,
d’autant plus que pour Flaubert, le mot « modernité » s’oppose toujours à celui de «antiquité » 6 .
Selon lui, la société antique est un vrai monde idéal où il aurait vécu heureux, tandis que la société
moderne au temps du suffrage universel est un lieu à fuir, où tous les artistes originaux se sentent
démodés :
« Je suis né sous la Restauration : est-ce du moderne ? Non, car je vous jure que les moeurs de
ce temps-là ne ressemblent pas plus à celle d’à présent qu’elles ne ressemblaient à celles du
certain que Flaubert reconnaisse la filiation idéologique entre les doctrinaires, Taine, Renan et luimême. Il dit : « J’oubliais « les travailleurs », le savon Ponce, les rasoirs Foubert, la girafe, etc., et
mettons dans le même sac tous les littérateurs qui n’ont rien écrit [...], c’est-à-dire la moitié au
moins de l’école doctrinaire, à savoir les hommes qui ont réellement gouverné la France pendant 20
ans. » (Corr.II, p.335, lettre à Louise Colet, 26 mai 1853.)
1
Corr.IV, p.218-219, lettre à George Sand, 3 août 1870, Flaubert souligne.
2
Corr.IV, p.375-376, lettre à George Sand, 8 septembre 1871.
3
Corr.II, p.381, lettre à Louise Colet, 12 juillet 1853. Cf. « Ce qu’il y a de considérable dans
l’histoire, c’est un petit troupeau d’hommes (trois ou quatre cents par siècle, peut-être) et qui depuis
Platon jusqu’à nos jours n’a pas varié ; ce sont ceux-là qui ont tout fait et qui sont la conscience du
monde. Quant aux parties basses du corps social, vous ne les élèverez jamais. » (Corr.III, p.479,
lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, 16 janvier 1866. Flaubert souligne.)
4
Corr.16,p.50, lettre à Mme Roger des Genettes, 27 mai 1878.
5
Corr.IV, p.823, lettre à George Sand, 3 juillet 1874.
6
Flaubert estime les « Anciens » surtout dans le domaine littéraire : « Du haut de l’Arc de Triomphe
les Parisiens, même ceux qui sont à cheval, ne paraissent pas grands. Quand on est huché sur
l’antiquité les modernes non plus ne vous semblent pas fort élevés de stature. » (Corr.I, p.470, lettre
à Louise Colet, 17 septembre 1847.) « Je vous défie de me citer parmi les Modernes dont c’est la
manie (car pour les Anciens, ils se sont abstenus de ce sacrilège) un bon exemple en faveur du
contraire ». (Corr.III, p.718, lettre à Alfred Baudry, 1867-1868, Flaubert souligne.)
temps d’Henri IV. » 1
D’ailleurs, dans la lettre que nous avons citée plus haut, les individus ayant la “propriété” sont
appelés les « restes d’un autre temps » :
« En cherchant bien, on pourrait peut-être reconstituer une petite société d’émigrés qui serait
agréable. Car nous sommes tous des émigrés, les restes d’un autre temps. »2
La « petite société » idéale de ces « émigrés » est forcément une “Communauté” ancienne, à
l’opposée de la capitale de la masse illimitée, phénomène justement moderne. Quant à « la
Campagne » abstraite de Bouvard et Pécuchet, elle doit aussi être concrétisée dans une constitution
ancienne.
Il est pourtant illogique de chercher l’incarnation de leur « idée abstraite » dans une
description de la Cité antique ou de la république athénienne ; car, Bouvard et Pécuchet n’en sont
pas moins des habitants du XIXe siècle. Et comme Flaubert le dit lui-même, Bouvard est un
« roman moderne ». La “Communauté” idéale des deux Parisiens ne doit donc pas ignorer leur
époque. En fait, l’antipode de la capitale des masses doit être incarnée par une constitution
ancienne, transportée dans le temps moderne. Elle doit emprunter à l’antiquité quelques notions sur
la “Communauté”, en conservant néanmoins toute l’histoire contemporaine pour décor. Autrement
dit, le modèle concret de « la Campagne » doit être le site mixte de deux époques, à la fois moderne
et antique ; ce serait le mélange des aristotéliciens, des bourgeois et des socialistes. Mais où trouver
cette concrétisation de la fusion irréelle ?
Dans le texte de Flaubert, évidemment.
2. Carthage.
(1) Le mélange des époques.
Les critiques de Salammbô révélaient depuis longtemps que le roman antique reflète les
phénomènes sociaux du XIXe siècle 3 . La guerre entre Carthage et les mercenaires incarne la lutte
des classes. Les Carthaginois sont aux mercenaires ce que les employeurs bourgeois sont aux
employées prolétaires du XIXe siècle. Citons pour exemple les deux articles :
« C’est parce qu’ils n’ont pas reçu leur salaire que les Mercenaires se révoltent. Puissance de
la métaphore : ils sont, au sens propre, ces nomades, ces barbares, ces sauvages (ces ouvriers)
méprisés et redoutés dont la République de Carthage (le Capital) a besoin pour ses guerres
(son travail), puisque Carthage mène la guerre comme une entreprise commerciale. » 4
« Derrière la révolte des mercenaires, ce sont les grands mouvements révolutionnaires du
XIXe siècle qui se profilent. C’est cette référence, transparente, même si elle n’a pas été
1
Corr.16, p.310, lettre à Léon Hennique, 3 février 1880.
Corr.IV, p.647, À Edma Roger des Genettes, 22 février 1873.
3
Anne GREEN, Flaubert and the historical novel. Salammbô reassessed, 1982, Cambrigde
University Press ; Jacques LEENHARDT, « Mythe religieux et mythe politique dans Salammbô »,
La Politique du texte, enjeux sociocritiques pour Claude Duchet, Presses Universitaires de Lille,
1992, p.51-64 ; Jacques CHOCHEYRAS, « Lecture politique de Salammbô » in Le désir et ses
masques, publications de l'Université des Langues et Lettres de Grenoble, 1981, p.59-69.
4
Jeanne BEM, « Modernité de Salammbô », Littérature, no 40, décembre 1981, p.22.
2
perçue en fait, qui explique le choix du sujet. » 1
De plus, dans le lexique du XIXe siècle, le mot « barbares » indique justement les foules démunies :
« Le qualificatif de barbare avait en effet été employé depuis longtemps pour désigner cette partie
de la population qui s’était déracinée de la communauté rurale et s’était réunie à la périphérie des
grandes villes où elle formait une main-d’œuvre mal organisée » 2 . Hamilcar, quant à lui, rappelle
forcément Napoléon : tous les deux, d’abord élus légitimement et unanimement, obtiennent le
pouvoir « sans aucun contrôle, sans partage » (S.p.156). Enfin, la société de marchands qui exténue
les paysans des régions est lue comme la métaphore d’un pays exploitant les territoires africains. Le
décor semble donc parfait. Avec cette ambiguïté entre la modernité et l’antiquité, Carthage pourrait
bien devenir le prototype concret de « la Campagne », qui fait rêver Bouvard et Pécuchet. Toutefois,
il est question ici de la part antique de Carthage, la part « du beau antique rêvé » par les émigrés des
temps modernes 3 . La part moderne de la cité n’entre pas dans nos analyses. Il est en effet nécessaire
d’examiner ce qui fait de Carthage l’antipode du Paris du XIXe siècle, malgré toute l’ambiguïté du
décor, malgré l’insertion de la modernité dans le récit.
(2) Les murs.
En premier lieu, comme Paris au temps de Bouvard et Pécuchet est caractérisé par l’apparition
de la masse, l’antithèse de leur capitale doit être certainement marquée par la disparition de cette
même masse. Les membres idéaux, « Anciens », devraient rejeter les foules hors de leur cité,
s’écarter de l’inondation le plus possible, contrairement aux citadins «Modernes » qui s’y mêlent
complètement. Une coupure serait indispensable entre l’utopie et la multitude. À cet égard,
Carthage est bien convenable pour le modèle concrétisé de la “Communauté” rêvée. La ville
punique, défendue par de si longues et fortes murailles, ne permet jamais l’invasion de masses
barbares, une fois qu’elle les a chassés de sa terre. Même si la foule ne cesse jamais de tenter de
l’envahir par une brèche ou une fissure, la Cité est finalement défendue. Sa fortification interdit au
“liquide” de courir librement. Elle étouffe à elle seule tout le mouvement “non-propre”, à tel point
que les barbares s’effraient eux-mêmes à sa vue. Ils y lisent le signe de l’hostilité :
« des Nomades qui n’avaient jamais vu de ville étaient effrayées par l’ombre des murailles. »
(S.p.275)
Regardons ici la description de ces murs symboliques :
« Carthage était défendue dans toute la largeur de l’isthme : d’abord par un fossé, ensuite par
un rempart de gazon, et enfin par un mur, haut de trente coudées, en pierres de taille, et à
double étage. » (S.p.77)
« Un rempart de gazon enfermait l’armée dans une haute muraille, inébranlable au choc des
1
François LAFORGE, « Salammbô : les mythes et la révolution », Revue d’histoire littéraire de la
France, 1985, no 1, p.26-40.
2
Kosei OGURA, L’inscription de l’histoire dans le roman de Flaubert, Thèse, p.280. Voir aussi,
Louis CHEVALIER, op.cit., p.451-460 ; Jean DUBOIS, op.cit., p.71 : Pierre MICHEL, Les
barbares, 1879-1848 : un mythe romantique, Presses Universitaires de Lyon, 1981 : Dolf OEHLER,
Le Spleen contre l’oubli. Juin 1848, Éditions Payot & Rivage, 1996.
3
Corr.I, p.772, lettre à Louis Bouilhet, 9 avril 1851.
catapultes. » (S.p.81-82)
La guerre se déroule dans la lutte entre ces murs et les trous, entre la digue et l’eau. Et, la victoire
sera du côté des murs. À l’intérieur, Bouvard et Pécuchet pourraient certainement se différencier des
masses.
(3) Le mur culturel.
Toutefois, pour se distinguer définitivement de la masse et tracer clairement la démarcation, la
“Communauté” nécessite un mur culturel, outre les murailles tangibles. La langue, la tradition, le
culte et même la superstition doivent y jouer le rôle de murs, distinguant à jamais les membres
initiés et les étrangers ignorants1 . En effet, seuls ceux qui respectent les règles sacrées doivent être
identifiés comme membres, et ceux qui violent largement les conventions doivent être tout de suite
reconnus comme barbares étrangers. Ainsi, même s’il arrive un jour que les murailles de la cité
soient démolies, les citoyens pourraient s’identifier et s’écarter des masses de mercenaires.
Or, sur ce point aussi, Carthage nous procure un modèle très convenable. Dans la cité
punique, en effet, les citoyens sont reconnus et identifiés, par leur langue commune, leur respect
commun des dieux, leur participation aux traditionnels rites religieux. Ils sont même privilégiés,
exempts de contribution (S.p.122), dans la seule mesure où ils respectent ces manières de vivre
carthaginoises. Par contre, les gens qui ne respectent pas les lois de la “Communauté” sont
considérés comme des étrangers inférieurs qui n’ont aucun privilège, même s’ils vivent à l’intérieur
du rempart : s’ils ne mangent pas les mêmes choses et vivent « sans gouvernement et sans dieux,
pêle-mêle, complètement nus », ils sont appelés les « Mangeur-de-choses-immondes ». Et les
« immondes » sont exclus du monde, en même temps que toutes les masses de mercenaires. Les
manières de vivre carthaginoises séparent, donc, efficacement, l’intérieur de l’extérieur, la cité du
“liquide”.
D’ailleurs, il est évident que, plus les murailles tangibles sont violées, plus ce mur culturel est
fortifié pour identifier les membres. Ainsi, au début, lorsque les mercenaires saccagent la ville, les
Carthaginois, s’unissant entre eux, s’imaginent appartenir à une race unique par rapport aux
barbares, quoiqu’en réalité leurs origines soient variées. Par logique, l’idée du mariage entre les
mercenaires et les Carthaginoises provoque une colère violente dans la cité :
« Mais cette prétention de vouloir se mêler au sang punique indigna le peuple ». (S.p.85)
Contrairement aux autres exigences injurieuses qu’ils ont acceptées jusqu’alors, la revendication du
mariage métis est considérée comme la menace réelle de destruction de l’unité de la
“Communauté”, de démolition des murailles culturelles, étant intouchables pour les membres. En
colère, ils se réunissent, et à partir de ce moment, ils ne cherchent plus une entente avec les
mercenaires. De même, quand Mâtho envahit la ville, vole le Zaïmph et ainsi transgresse le tabou
communautaire, la «ville entière hurla » contre lui (p.113). Lorsque les armées de Hamilcar s’en
1
Cf. Aristote, La Politique, traduit et noté par J. TRICOT, Librairie philosophique J. Vrin, 1995,
p.21. note 1. « La cité est une commune indépendante et autonome, ayant pour centre une ville
souvent fortifiée et située au milieu d’un territoire de faible étendue. Elle est formée par l’ensemble
des citoyens participant au même culte, aux mêmes droits, aux mêmes charges, et vivant sous la
même constitution. »
allait vers le dehors, « la ville entière fut silencieuse comme un grand tombeau » (p.187). Dans les
ruines d’après guerre, les Anciens planifient l’exécution de Mâtho, aussi pour toute la
communauté :
« On aurait voulu un genre de mort où la ville entière participât, et que toutes les mains, toutes
les armes, toutes les choses carthaginoises, et jusqu’aux dalles des rues et aux flots du golfe
pussent le déchirer, l’écraser, l’anéantir. » (S.p.360)
Enfin, la mort du chef des mercenaires renforce davantage l’unité de la Cité :
« depuis le golfe jusqu’à la lagune et de l’isthme jusqu’au phare, dans toutes les rues, sur
toutes les maisons et sur tous les temples, ce fut un seul cri ». (S.p.367)
(4) La concurrence.
Ainsi, grâce aux murailles et aux manières de vie communes et partagées, Carthage s’unit et
se défend de l’inondation par le “liquide”. La sécurité de la cité semble être assurée. Pourtant, outre
la “liquidité” extérieure, il existe un danger contre lequel toute muraille est impuissante. Il s’agit de
la dissolution interne. La ville, quoique entourée de murs solides, pourrait se transformer par ellemême en société de masses ; le fleuve apparaît dedans, pour avaler les atomes-individus. La
“Communauté” idéale doit être absolument protégée de ce risque :
« La cité est composée non seulement d’une pluralité d’individus, mais encore d’éléments
spécifiquement distincts » 1 .
En effet, les membres de l’utopie, antipode de la capitale moderne, ne doivent ni devenir
interchangeables, ni constituer une collectivité uniforme avec leurs voisins. Chacun doit conserver
son individualité. Chacun doit se distinguer « spécifiquement ». Chacun doit avoir quelque chose de
propre, d’originel et d’incomparable, pour se montrer unique et le meilleur, alors que le citoyen
moderne est caractérisé par ses idées reçues et copiées. Flaubert dit lui-même : « Ce qui fait les
figures de l’antiquité si belles, c’est qu’elles étaient originales » 2 . Elles ne sont pas “clonées” ; elles
montrent en bref leur “propriété”. Citons ici Hannah Arend, qui interprète Aristote et précise la
nature compétitive de la communauté antique :
« Appartenir au petit nombre des « égaux » (homoioi), c’était pouvoir vivre au milieu de ses
pairs ; mais le domaine public lui-même était animé d’un farouche esprit de compétition : on
devait constamment s’y distinguer de tous les autres, s’y montrer constamment par des actes,
des succès incomparables, le meilleur de tous (aien aristeueuin). En d’autres termes, le
domaine public était réservé à l’individualité » 3 .
Or, sur ce point aussi, Carthage peut être un prototype, car la dimension de la cité est limitée
par rapport à la cité moderne, si bien que les masses modernes ne peuvent pas naturellement s’y
conformer ; les habitants peuvent se reconnaître individuellement, ils ne deviennent pas anonymes
ni chiffrés. En plus, la concurrence se systématise dans la société carthaginoise, grâce à
1
Aristote, La Politique, op.cit., p.85.
Corr.II, p.86, lettre à Louise Colet, 8 mai 1852.
3
Hannah ARENDT, Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, Coll. « Agora », 1983, p.80.
2
l’aristocratie mercantile selon laquelle seule les vainqueurs peuvent s’approcher du pouvoir. Les
« Anciens » montrent eux-mêmes leurs différences : il existe et « ceux qui vivaient continuellement
au fond de leurs comptoirs », et ceux qui « gardaient sur eux la sévérité du désert », et les
« navigateurs », etc. (S.p.148-149) Nous pouvons également citer le polythéisme de Carthage dont
les dieux se contrarient et ne s’unissent guère. Le culte punique ne consiste pas à respecter le Un (la
divinité) et à abaisser et à niveler tous les autres (l’humain), mais plutôt à souligner les différences
entre les divinités. Un dieu rivalise avec les autres dieux pour le respect du peuple, si bien que les
croyants d’un dieu rivalisent aussi avec les croyants d’autres dieux. De fait, les prêtres affichent
leurs différences envers les autres. Chacun porte la couleur selon son dieu, à savoir le blanc pour les
prêtres de Tanit, le pourpre pour ceux de Moloch. Ils se distinguent, se spécialisent, concourent les
uns contre les autres, si bien que le fleuve monochrome ne se forme pas facilement.
(5) Le culte de nom.
Ainsi, Carthage paraît bien le prototype de la “Communauté” idéale, opposée à la capitale des
masses. De plus, la cité punique est caractérisée par son culte du “nom propre”, alors que la société
de masse est qualifiée par le nombre ou par la statistique dépersonnalisante. Il s’agit des noms
divins, notamment, ceux de « Tanit » :
« Sans cesse la fille d’Hamilacar s’inquiétait de Tanit. Elle avait appris ses aventures, ses
voyages et tous ses noms qu’elle répétait sans qu’ils eussent pour elle de signification
distincte. » (S.p.70)
« enfin se tournant vers l’étoile polaire, il murmura par trois fois le nom mystérieux de
Tanit ». (S.p.223)
« Salammbô s’imaginait que c’était par pudeur pour sa déesse vaincue, et l’appelant d’un nom
commun qui désignait la lune, elle se répandait en bénédictions sur l’astre fertile et doux. »
(S.p.225)
L’intéressant est ici le fait que les noms de dieux ne sont pas significatifs. Ils n’ont pas « de
signification distincte ». Ils sont insignifiants, puisqu’ils ne sont pas articulés dans le réseau
nominal, par rapport à d’autres noms. En effet, pour signifier, pour être un signe, un nom doit
constituer avec d’autres noms le réseau dans lequel il peut s’articuler. Par exemple, pour avoir une
« signification distincte », le « chien » doit établir, avec le « loup » et le « chat » et d’autres
animaux, le réseau nominal du mammifère, dans lequel il peut se distinguer. Aussi, pour avoir une
« signification distincte », « Louis » doit constituer avec « Charles » et « Henri » le paradigme
royal, dans lequel il s’articule 1 .
Or, le nom de la divinité reste insignifiant, puisqu’il “doit” être singulier. Il doit être
indépendant, exister par lui-même, refuser une relation avec d’autres noms profanes, prosaïques, par
l’intermédiaire desquels quelques significations ordinaires seraient suggérées. Mais en même temps,
il ne doit pas, non plus, se lier avec les noms d’autres dieux, pour participer à quelque paradigme
divin, où il est articulé “par rapport à” d’autres noms divins. Il est en effet formel que le nom de
dieu ne doit avoir aucun rapport avec d’autres, même avec d’autres noms sacrés. Il doit rester isolé,
1
Il s’agit d’un modèle simplifié. En réalité, les noms doivent se lier avec d’autres substantifs,
d’autres adjectifs, des homonymes comme des synonymes, pour former des paradigmes
multidimensionnels.
unique et singulier, puisque c’est un nom pour un être “unique”, un dieu singulier. Aussi, il est
logique que pour garder cet isolement, les noms mystérieux de Tanit soient gardés secrets par les
prêtres servant la déesse. Et non seulement les personnes naïves, mais les prêtres de Moloch ne
peuvent pas non plus connaître ces noms sacrés.
Ainsi, sans se lier avec d’autres noms, sans se donner une signification, le nom divin se lie
exclusivement à son référent. Il ne fonctionne qu’en tant que désignation. Et, il se lie tellement à
son référent divin que dans l’esprit carthaginois, il se mêle à la divinité même. La distinction n’est
plus nette entre le dieu et sa « représentation ». Aussi, Salammbô « acceptait comme vrais en euxmêmes de purs symboles et jusqu’à des manières de langage, distinction qui n’était pas, non plus,
toujours bien nette pour le prêtre » (S.p.225) 1 . Le prêtre ne doute pas, lui-même, que la seule
mention du « nom mystérieux de Tanit » puisse guérir la maladie, comme la «représentation » se
colle au pouvoir sacré, à la “propriété” divine.
Pour les barbares, pourtant, il en est aussi ainsi. En tant que personnages de roman antique et
mystique, les mercenaires croient eux aussi au “nom propre” sans signification. Ils considèrent un
nom inconnu comme sacré :
« ou bien c’était un nom, rien qu’un nom, et que l’on répétait sans même chercher à
comprendre ce qu’il pouvait dire. » (S.p.128)
Il est clair que, puisque ce nom manque de sens, qu’il est insignifiant et n’a pas de lien avec
d’autres noms communs, il est considéré par les soldats comme désignation d’un être singulier,
comme nom “propre” d’un être unique. De même, les mêmes barbares sacralisent une
« constellation » étrangère, qui ne signifie rien pour eux. En fait, cette écriture stellaire leur semble
représenter une chose singulière et mystérieuse, d’autant plus qu’elle est insignifiante et singulière,
dépourvue d’une légende quelconque. Aussi, les mercenaires considèrent « une allumette
inconnue » comme sacrée, propre à la divinité, puisqu’elle est unique, sans aucune utilité ni
signification. Ici, nous reconnaissons certaine ressemblance avec ces barbares antiques et les deux
Parisiens “réveillés”. Nos héros voient eux aussi un mystère dans les noms inconnus :
« D’après de certains noms, ils imaginaient des pays d’autant plus beaux qu’ils n’en pouvaient
rien préciser. Les ouvrages dont les titres étaient pour eux inintelligibles leur semblaient
contenir un mystère. » (BP.p.61)
Dans le monde antique, en effet, nos deux héros seraient heureux, puisqu’ils pourraient évoquer la
“propriété” par le seul appel du “nom”, alors que dans leur ville moderne, le nom devient équivalent
d’anonymat, ne désigne personne. Au demeurant, avec ce culte du “nom propre”, mais aussi avec
les murs, l’individualité, la Cité antique correspond au modèle de la “Communauté” idéale,
antipode de la Capitale moderne. Le rêve de Bouvard et Pécuchet y serait concrétisé.
IV. Chavignolles.
Nous savons maintenant quelle “Communauté” concrète voudraient Bouvard et Pécuchet.
Examinons donc la « Campagne » qu’ils ont réellement découverte, pour vérifier si elle correspond
au prototype.
1
Cf. Jean-Louis BACKES, « Le Divin dans Salammbô », Gustave Flaubert 4, Intersections, 1994,
Lettres Modernes, p.130-131.
1. Impression négative.
De fait, Bouvard et Pécuchet croient découvrir, au bout de dix-huit mois de recherches
acharnées, une “Communauté” idéale. Ils choisissent Chavignolles parmi de nombreux autres
villages, avec enthousiasme ; pour eux, la commune normande semble leur rêve réalisé. En fait, à
première vue, Chavignolles n’est pas si exceptionnel, par rapport aux autres endroits éliminés.
Comme le dit Ingrid Spica, le village est muni de tous les caractères qui déplaisent aux héros : il est
« exposé au vent de mer », « trop près d’une manufacture » d’indiennes ; il est « d’un abord
difficile., loin du trafic routier (p.67-68) 1 . De plus, leur future maison est isolée dans le village, alors
que les Parisiens redoutent la solitude. Notons que de leur fenêtre, le clocher de Chavignolles
apparaît « dans le lointain » (p.167). Aussi le texte ajoute :
« ils ordonnèrent à Germaine d’aller de suite au cabaret, leur en acheter une bouteille. Le
village était trop loin. Elle refusa. » (p.136)
Outre ces caractères géologiques peu favorables, le village a un défaut qui aurait été
impardonnable pour les deux protagonistes. Chavignolles est habité par plusieurs “non-propres”.
Surtout, le futur entourage de Bouvard et Pécuchet rassemble des êtres appartenant à la masse. Il
s’agit d’abord de Germaine. La servante n’a pas de vrai “nom propre”. Son surnom ne dérive que de
son feu mari, Germain, qui était complètement anonyme. Elle n’a pas de fortune privée ; en effet, à
la fin, elle deviendra une mendiante 2 . Marcel, le servant des deux héros, a été enfant abandonné, et a
« grandi au hasard dans les champs » (p.296). Quant à Mélie, la bonne, c’était une petite fille dont
personne parmi les moissonneuses ne connaissait l’origine (p.79) 3 . Adulte, elle dit ne plus avoir de
famille. Sans origine, sans parenté, sans fortune, sans éducation ni intelligence, elle est aussi
démunie que les masses parisiennes (p.161). En ce qui concerne Gorgu, la première fois qu’il entre
en scène, il est un « vagabond ». Réapparu, il « dandinait sa taille d’une façon parisienne » (p.160).
Plus tard, il est insulté et appelé par Germaine l’« espèce de Parisien, mangeur de bourgeoises ! »
(p.199) Le scénario précise :
« c’est un ouvrier menuisier ! du pays, un mauvais sujet qui de temps à autre va à Paris puis
revient »4 .
Ainsi, s’habillant à la parisienne, étant vagabond, nomade, faisant un aller retour à la capitale,
Gorgu appartient certainement au monde de la foule “non-propre” de la capitale. Et finalement,
Victor et Victorine, dont le père est prisonnier et la mère est morte, ne savent pas d’où ils viennent.
Ils répondent à toutes les questions sur leur identité : « Sais pas, sais pas » (p.345). Ils sont
déracinés.
2. Les notables.
Cependant, les défauts de Chavignolles deviennent négligeables, par rapport à ses qualités
1
Cf. Le statut romanesque de Bouvard et Pécuchet de Flaubert, Spica édition, 1982, p.374.
msgg10,fo 18,p.113 et msg2253 ,fo 288v,p.262.
3
Dans la scénario, elle est fille d’un taupier. msgg10,fo 8,p.44.
4
msgg10,fo 9,p.47.
2
indéniables. Certes, les servants du village, Germaine ou Mélie ou Marcel, sont des gens “nonpropres”, mais il y existe un groupe d’élites. Ils sont indépendants, possèdent plus ou moins la
fortune. Ils ont le “nom” et la maison. Ils ont leurs racines dans la région. Chacun d’entre eux est
chargé d’une science particulière, que Flaubert précise dans les scénarios en rattachant un
personnage à un savoir 1 . M. de Faverges est le seul agronome. Vaucorbeil est le seul médecin qui
apparaît dans le texte. De tous les notables, il n’y a que Marescot qui jouisse d’une « réputation
d’artiste » (p.182). Mme Bordin est la meilleure ménagère dans la localité et ses talents sont bien
connus (p.105-106). M. Jeufroy est le seul ecclésiastique qui s’occupe du village, alors que
Beljambe en est le seul aubergiste. De plus, pour éblouir les autres et prouver qu’ils sont uniques et
les meilleurs dans leur domaine, ces villageois utilisent les terminologies, gestes et vêtements qui
« donnent l’air » d’un médecin, d’un agronome ou d’un curé. Ils marquent leur territoire, et restent
chacun le personnage unique et important dans le village. (En effet, nous pouvons trouver dans le
Dictionnaire des idées reçues bien des indications d’accessoires et de mots utiles pour se «donner
un air de » spécialiste.)
De plus, socialement, les notables correspondent exactement aux figures de «capacitaires »,
individus considérés à l’époque comme capables de prendre leur propre décision, munis
d’intelligence et de perspectivité. Nous pouvons, en effet, superposer sur la liste des électeurs
d’alors, élites considérées comme ayant la « capacité » personnelle d’élire, la liste des Chavignollais
qui se trouve dans le scénario de Flaubert 2 . Voici un résumé de la liste proposée, pour définir les
électeurs communaux3 :
- Les membres des cours et tribunaux, les juges de paix et leurs suppléants ;
- Les officiers de la garde nationale ;
- Les membres et correspondants de l’Institut et les membres des sociétés savantes instituées
ou autorisées par une loi ;
- Les docteurs de l’une ou de plusieurs des facultés de droit, de médecine, des sciences, des
lettres, après trois ans de domicile réel dans les communes ;
- Les avocats inscrits au tableau, les avoués près les cours et tribunaux, les notaires, les
licenciés de l’une des facultés de droit, des sciences, des lettres ;
- Les employés des administrations civiles et militaires jouissant d’une pension de retraite de
six cents francs au moins ;
- Les élèves de l’École polytechnique qui ont été, à leur sortie, déclarés admis ou admissibles
dans les services publics ;
- Les officiers des terre et de mer jouissant d’une pension de retraite :
Or, les Chavignollais comptent un juge de paix (Coulon), un officier de retraite (le Capitaine
Heurtaux), un élève de l’école polytechnique (le gendre de M. de Faverges), un membre de la
société savante (Marescot, pour l’archéologie), un notaire (aussi Marescot). Placquevent est garde
champêtre. Foureau travail comme « ministère public » dans le tribunal (p.402). Aux yeux des deux
Parisiens du XIXe siècle, il n’existe donc aucune raison pour que ces élites chavignollais constituent
des foules “non-propres” qui manquent de “propriété”.
1
msgg10,fo 47r,p.170-171 et fo 48r,p.174. Autrement dit, à chaque chapitre et à chaque savoir, un
« personnage secondaire » est mis au premier plan, et d’autres « personnages tertiaires » se situent
derrière.
2
msgg10,fo 11,p.129 et fo 46r,p.167.
3
Il s’agit la liste proposée pour la loi du 21 mars 1831. Voir pour la liste précise, Pierre
ROSANVALLON, Le moment Guizot, Gallimard 1985, p.125-126.
Pourtant l’impression favorable ne se limite pas là. Symboliquement, ces notables n’ont pas
besoin d’écrire leur nom dans leur chapeaux, pour se distinguer des autres. Considérons les diverses
coiffures fleurissant à Chavignolles :
le
le
le
la
le
la
la
le
le
le
le
la
le
« bonnet de Mme Bordin » (p.104)
« panama » de M. Marescot (p.104)
« grand bonnet » avec des barbes de Mme Castillon (p.198)
« barrette » de M. le curé (p.227)
« bonnet de police » du capitaine Heurtaux (p.227)
« toque » du notaire à la maison (p.241)
« calotte de cuir » de Chamberlan (p.285)
« chapeau de paille » de Mme Vaucorbeil (p.289)
« chapeau de feutre » de Dr. Vaucorbeil (p.298)
« chapeau à larges bords » de l’académicien Larsonneur (p.320)
« bonnet à gros tuyaux » de Reine (p.396)
« toque ronde » de Coulon (p.401)
« képi » du garde champêtre (p.401)
Un personnage possède son propre chapeau singulier et reconnaissable, qui ne se mêle jamais avec
les autres. Personne ici n’a besoin d’inscrire son nom. Il est d’ailleurs fréquent dans Chavignolles
d’identifier un villageois à partir de la coiffure :
« Un flot de rubans roses s’agita derrière eux ; c’est le bonnet de Mme Bordin ».(p.104)
« Alors ils aperçurent dans la cour, un grand bonnet, dont les barbes s’agitaient. C’était Mme
Castillon la fermière. » (p.198)
« Au-dessus des avoines, dans un sentier, un chapeau de feutre parut ; c’était M. Vaucorbeil
trottinant sur sa jument. » (p.298)
« […] un monsieur ayant un chapeau à larges bords avec des conserves noires. C’était
l’académicien Larsonneur. » (p.320)
En effet, le contraste est évident entre ces chapeaux individuels des campagnards et les couvrechefs uniformes des copistes parisiens.
3. L’isolement.
Quant à la géographie de Chavignolles, certes, elle est ordinaire. Elle manque du décor
utopique qui serait attendu. De plus, au village normand, il ne se trouve pas de hautes murailles à la
carthaginoise qui protégeraient la localité. Nous découvrons difficilement la démarcation entre
l’extérieur et l’intérieur (p.239). Cependant, le village, certainement isolé du monde extérieur, se
situe loin de la capitale. Il est d’un abord tellement difficile que la foule ne semble pas l’envahir,
même s’il manque de murs protecteurs. Rappelons que les deux Parisiens ont, eux-mêmes, besoin
de beaucoup de temps et d’effort pour arriver au village. Partant de Paris, Pécuchet fait un voyage
cauchemardesque pour parvenir à leur nouveau domicile. Les paysages monotones se succèdent
pendant neuf jours, un accident de voiture a lieu, et le héros se retrouve perdu, pataugeant dans la
boue. Quant à Bouvard, parti de Paris le mardi, s’étant trompé de diligence, il se réveille le mercredi
devant la cathédrale de Rouen. Il arrive à Caen le vendredi, mais doit attendre les ballots pour le
dimanche. Bref, Bouvard et Pécuchet doivent effectuer un long passage obscur entre l’univers des
foules et la “Communauté” des notables.
Ainsi, la sécurité de Chavignolles semble être préservée grâce à la distance à l’égard de la
capitale. Le village est bien situé, pour s’éloigner de la foule. Mais, en plus, les habitants ne
relâchent pas leur vigilance. Ils gardent une méfiance envers les routes qui lient leur village et
l’extérieur, monde de la masse, puisqu’à travers, un nomade obstiné pourrait parvenir tout le temps
chez eux. Selon eux, pour plus de sécurité, il faut interdire les correspondances entre leur village et
le dehors, entre leur campagne et la capitale, car « tout le désordre vient de Paris » (p.249) :
« D’après Foureau, la commune devait être maîtresse absolue, jusqu’à interdire ses routes aux
voyageurs, si elle le jugeait convenable. » (p.250)
Le maire paraphrase ici l’idée de Rousseau, que Flaubert note et résume dans un brouillon : « Le
commerce, la navigation, la découverte des Indes & les croisades ont augmenté le désordre ».
Notons que le philosophe, comme Foureau, « ne veut pas de routes, parce que les communications
entre peuples, altèrent leur moeurs et la constitution des gouvernements » 1 . En effet, idéalement, le
village doit être « le lieu de l’autosuffisance » 2 . Or, cette méfiance des Chavignollais à l’égard des
routes nous évoque celle des Carthaginois. Les « bourgeois » de Carthage interdisent formellement
la communication entre la Cité et l’extérieur, source du désordre 3 . Toutes les espèces de route sont
nuisibles pour la paix de la commune. D’ailleurs, pour se protéger contre le chaos dangereux, les
Carthaginois ne se contentent pas de bâtir les murailles, ils dressent nombre de croix portant des
lions, tout au long de la route qui mène à la “Communauté”, afin de « terrifier les autres », les
barbares, les nomades, les envahisseurs, les foules “non-propres” en général (S.p.48).
4. Le nom propre.
Finalement, les Chavignollais ont le mérite d’avoir chacun un “nom propre”. L’anonymat
complet du premier chapitre contraste, en effet, avec l’abondance de noms après le deuxième
chapitre, où la scène quitte Paris. Au village, les personnages ont leur nom, même s’ils
n’apparaissent qu’une fois dans le texte, et même si cette information ne semble pas nécessairement
contribuer au déroulement du récit. Il existe une « Mlle Laverrière » 4 , un « M. Alfred » 5 , « M.
Bougon » et « Cerpet » 6 , « Canot » 7 , et « Voisin », « Oudot », « Mathieu » 8 . Or, il est évident que
cette nomination détaillée n’est pas un hasard, mais reflète exactement la situation de « la
campagne » : les patronymes de provinciaux sont reconnus, puisque leur “Communauté” n’est pas
encore massifiée. Leurs noms peuvent circuler dans le cercle étroit de la campagne, contrairement
1
msg2267 ,fo 252. Cité par Jacques NEEFS dans son article intitulé « Noter, classer, briser, montrer,
les dossiers de Bouvard et Pécuchet », Penser, classer, écrire. de Pascal à Perec, Coll. « Manuscrits
Modernes », Presses Universitaires de Vincennes, p.80.
2
Isabelle DAUNAIS, « Flaubert et la résistance des objets », Poétique, 93, février 1993, Seuil, p.73.
3
Voir François LAFORGE, « Salammbô : les mythes et la révolution », Revue d’histoire littéraire
de la France, 1985, no 1, p.34.
4
Une ancienne sous-maîtresse de Mme Marescot, p.277.
5
Un cousin de Mme Marescot, p.279.
6
Les ecclésiastiques, p.339.
7
Le coiffeur, p.374.
8
Le filateur, le gérant d’un laminoir, l’orfèvre, p.404.
aux noms parisiens qui s’effacent devant les grands chiffres statistiques. De plus, à la campagne, les
gens s’installent de génération en génération, si bien que les noms se chargent, non seulement de
l’histoire personnelle, mais aussi de la légende familiale et régionale. Ils sont “pesants”, alors qu’à
Paris, les noms de citadins déracinés passent inaperçus. Rappelons que Flaubert lui-même bénéficie
de la notoriété provinciale de son père, lors du procès de Madame Bovary ; il dit : « La seule chose
réellement influente sera le nom du père Flaubert » 1 .
Ainsi, finalement, rien n’empêche qu’on ne prenne Chavignolles pour une Carthage. Les
habitants semblent se distinguer par leur chapeau, garder ainsi leur “propriété”. Ayant des maisons
et activités personnelles, ils ne paraissent pas constituer la foule amorphe de la grande ville.
Bouvard et Pécuchet en sont bien satisfaits. Néanmoins, il n’est pas encore certain que cette
impression première ne soit une illusion. Nous ne pouvons pas savoir si le village est vraiment une
commune idéale, avant de l’examiner plus en détail.
Conclusion.
Nous avons maintenant à répondre aux deux questions posées au commencement de cette
première partie. D’abord, il s’agit de l’identité de Bouvard et Pécuchet. Qui sont-ils ? En résumé, ils
sont Parisiens. Ils sont avant tout les Parisiens typiques du XIXe siècle, étant déracinés, immigrés,
sans famille ni connaissance étroite avec les voisins. Mais en même temps, ils sont les masses
modernes au sens flaubertien du terme. Ils manquent d’originalité ; ils sont copistes. Ils ne sont pas
des individus, puisqu’ils ne possèdent pas la “propriété”, grâce à laquelle un être humain devient
unique et irremplaçable. Bref, ils sont “non-propres”. En deuxième lieu, la question se pose sur le
motif de leur déménagement. Pourquoi veulent-ils changer d’existence ? En effet, ils sont réveillés,
grâce à la rencontre miraculeuse. Ils prennent conscience de leur “non-propriété”. Par conséquent,
ils veulent gagner tout ce qu’ils ne possèdent pas : le domicile, l’intelligence, la culture, etc. Aussi,
ils veulent fuir la masse qui les dégoûte maintenant profondément. Ils veulent aller dans une
“Communauté”, à la « campagne » qui est pour eux aux antipodes de Paris.
Or, il est clair que cette “Communauté” idéale, opposée à la capitale, doit être munie de deux
caractéristiques distinctes. D’abord, il est indispensable que les membres de l’utopie soient des
individus uniques possédant chacun une “propriété”, puisque, naturellement, ils doivent être les
antithèses de masses “non-propres”. En deuxième lieu, la “Communauté” doit être capable de se
séparer de la foule envahissante. Ou bien, elle doit être entourée de murailles solides qui l’isolent
physiquement de l’extérieur, ou bien, la commune doit être défendue par des murailles culturelles ;
les membres doivent suivre les manières de vivre propres à leur “Communauté”, pour s’identifier
entre eux et se distinguer des barbares, qui ne se lient par aucun point commun entre eux. Par
logique, ces deux caractéristiques sont aussi supposées exister à Chavignolles, village de rêve de
Bouvard et Pécuchet. De fait, la commune normande est à la fois peuplée par les élites et séparée
complètement de la capitale. L’impression première du village est, donc, plus que favorable pour les
deux protagonistes.
1
Corr.II, p.659. lettre à son frère Achille, 2 janvier 1857.
Deuxième Partie
L’essai d’intégration et l’échec.
Introduction.
À partir du deuxième chapitre, Bouvard et Pécuchet commencent une nouvelle vie à la
campagne. Leur enthousiasme s’exprime dès la première ligne : « Quelle joie, le lendemain en se
réveillant ! » (p.74) Le scénario dit : « Joie du premier réveil, dans leur propriété » 1 . Ils sont
heureux, se sentent déjà provinciaux et propriétaires, comme si, à peine franchie la frontière, ils
s’étaient assimilés à leur nouveau monde. Alors que selon le Dictionnaire des idées reçues, pour les
francs-maçons, « les épreuves d’initiation sont terribles, il y a des gens qui en sont morts » (p.520),
pour nos deux nouveaux venus, il n’existe pas apparemment autant de difficultés pour entrer dans la
commune, excepté le trajet du déménagement pendant lequel ils se sont perdus « dans les ténèbres »
(p.71). En fait, les deux héros ne sont pas vraiment assimilés à ce village, le matin où ils se
réveillent pleins de joie. Ils ressemblent plus à des touristes étrangers s’étant arrêtés au hasard en
province qu’à des membres titulaires d’une “Communauté”. Pour devenir égaux des villageois, les
deux protagonistes devront encore tâtonner « dans les ténèbres ». Et il sera plus difficile pour
Bouvard et Pécuchet de devenir des sociétaires que pour les candidats francs-maçons, puisque,
paradoxalement, « l’épreuve d’initiation » n’est pas définie à Chavignolles. La condition de
sociétariat n’y est pas affichée telle quelle. Il n’existe pas non plus d’exemples du passé que les
protagonistes peuvent consulter, puisque Chavignolles n’a « point d’annales » (p.381). Les deux
anciens Parisiens ne savent ni ce qui y est exigé, ni comment ni quand ils pourront entrer dans la
commune. Ils doivent s’agiter aveuglément dans l’obscurité, étudier exhaustivement une hypothèse
même invérifiable, alors que les francs-maçons savent, eux, ce qu’ils devront accomplir pour être
reconnus dans la communauté.
Dans cette deuxième partie, il est question d’examiner les tâtonnements de Bouvard et
Pécuchet pour s’intégrer. Nous analyserons leurs efforts à la fois aveugles et exhaustifs auxquels le
texte doit sa structure encyclopédique, pour finalement constater leur échec catastrophique.
I. Les tâtonnements.
1. La spécialisation.
(1) Les chapeaux.
Un long parcours de Bouvard et Pécuchet est donc entamé. Avant tout, leurs tentatives pour
l’intégration à la “Communauté” sont orientées par leur désir pour la “propriété”. Il est en effet
naturel qu’en quittant la capitale pour fuir la masse “non-propre”, les deux protagonistes veuillent
acquérir, dans cette campagne, une originalité, une indépendance vis-à-vis de l’opinion publique, de
« on ». Il est même inéluctable qu’ils essaient de devenir des individus uniques, ayant des capacités
propres, et d’échapper définitivement à la foule liquide et absorbante. En premier lieu, nous
constatons que les deux nouveaux-venus essaient de s’individualiser, en exhibant des coiffures
caractéristiques. Ils portent des couvre-chefs singuliers, comme le font les Chavignollais euxmêmes. Pécuchet met, le jour, une casquette qui devient son emblème, et la nuit, un bonnet de coton
pour dormir. Dans leur musée, devant les invités, il porte tantôt « le bonnet de zouave qu’il avait
autrefois à Paris, l’estimant plus en rapport avec le milieu artistique », tantôt le « casque, et le
1
msgg10,fo 33,p.22.
penchait sur la nuque, afin de dégager son visage » (p.173). Le héros désire « un de ces chapeaux
qui se plient, et qui portent le nom du chapelier Gibus, leur inventeur » (p.148), et il se révolte
contre le docteur Morin, auteur d’un Manuel d’hygiène, qui condamne « toutes les coiffures,
chapeaux, bonnets et casquettes » (p.135). Il coiffe Victor d’un « bonnet d’âne » qui représente la
bêtise de l’élève (p.390). Quant à Bouvard, il est très content de Victorine qui lui fabrique une
calotte (p.406). Et lors de l’apprentissage de la magie, les deux amis se mettent un «capuchon »
noir pour se faire magiciens (p.294). Les héros s’intéressent surtout aux chapeaux étranges ou faits
spécialement pour eux, pour que leur tenue soit individualisée et facilement reconnaissable.
Pourtant, en fait, les chapeaux bizarres n’aident pas, à eux seuls, les nouveaux venus à être
admis dans la “Communauté”, en tant qu’individus brillants. La coiffure pourrait certes être un
symbole de “propriété”, mais elle ne peut par elle-même ni individualiser les deux inconnus
anonymes, ni les faire admettre dans la commune. Rappelons qu’au début de Madame Bovary,
malgré son chapeau singulier, le « nouveau » n’est pas intégré dans le monde de « nous » ; au
contraire, il est catégorisé tout de suite parmi « on », parmi les masses ordinaires dépourvues
d’originalité et d’intelligence. En effet, pour être reconnus par les membres dont chacun est expert
dans un domaine particulier, nos deux protagonistes doivent eux-mêmes s’initier à des disciplines
spéciales, acquérir des connaissances.
(2) La bibliothèque.
Il est nécessaire de noter que jadis, quand ils vivaient à Paris et étaient noyés dans la masse,
Bouvard et Pécuchet n’accordaient aucune importance à la bibliothèque. Même dans « la grande
bibliothèque », ils ne pensaient qu’au chiffrage : « À la grande bibliothèque ils auraient voulu
connaître le nombre exact des volumes » (p.61) ; ils ne s’intéressaient guère aux auteurs : « il est
inutile de savoir même leurs noms » 1 . De même, dans l’appartement parisien de Pécuchet, des livres
étaient entassés « pêle-mêle » (p.56) ; il ne s’y trouvait que du « désordre » 2 . Les deux protagonistes
ont même renoncé à chercher de « bons ouvrages de littérature » pour préparer leur no uvelle vie à la
campagne. Bouvard a tranché :
« Eh ! nous n’aurons pas besoin de bibliothèque. » (p.67)
Ils disaient : « nous n’avons pas besoin de livres ! » 3
Pourtant, les protagonistes sont obligés de réaliser l’importance des livres, quand ils
s’installent à la campagne. Comme le dit le Dictionnaire des idées reçues à propos de la
« bibliothèque », il faut « toujours en avoir une chez soi, principalement quand on habite à la
campagne », aux antipodes de la “Capitale”, dans la “Communauté”4 . De fait, tous les villageois
installent chez eux une bibliothèque spécialisée. Vaucorbeil a « un recueil de planches
anatomiques » (p.118) et prête « plusieurs volumes de sa bibliothèque » (p.120-121). M. Jeufroy fait
emporter à Bouvard et Pécuchet « le Manuel du séminariste, deux volumes in-12 » (p.332) et «le
Catéchisme de l’abbé Gaume » (p.342). Le comte de Faverges leur fait lire « tous les ouvrages de
M. de Maistre » (p.358). Et s’ils ne les prêtent pas, les savants du village conseillent, au moins, aux
1
Dictionnaire des idées reçues, édition diplomatique des trois manuscrits de Rouen, Léan
CAMINITI, Ligouri-Napoli, A.G. Nizet-Paris, 1966, p.50. La rubrique « Auteurs » du manuscrit (a),
fo 20.
2
msgg10,fo 38r,p.143.
3
Voir les scénarios : msgg10,fo 25,p.15, fo 3r,p.8, fo 8,p.43, fo 11, p.129, fo 20,p.75, fo 34,p.24.
4
p.493. La rubrique « bibliothèque ».
deux amateurs des ouvrages importants. M. Larsonneur, académicien de l’archéologie, leur indique
« une série d’ouvrages à consulter » (p.175). Même Petit, qui se déclare spiritiste, conseille
« plusieurs ouvrages » aux deux magnétiseurs (p.290). Enfin, l’ex-propriétaire de la maison des
héros a laissé une bibliothèque complète ; c’était un bibliomane (p.188).
Ainsi, Bouvard et Pécuchet commencent à amasser eux-mêmes un grand nombre de livres, à
constituer une bibliothèque dans leur propre maison. De plus, ils prennent un abonnement à un
cabinet de lecture, avec vingt volumes par mois, selon le scénario 1 . Ils prêtent parfois leurs livres,
surtout des romans, à Mme Bordin et à Mélie (p.208 et p.222). Et avec le temps, ils deviennent
renommés pour leur bibliothèque bien fournie :
« ces messieurs dont la bibliothèque était célèbre devaient connaître un secret. » (p.284)
Ils parviennent même à obtenir une réputation de savants ; ils sont censés « connaître un secret ».
Au moins, tel est l’avis du fermier Gouy.
(3) Le Cercle.
Pourtant, pour devenir des individus ayant “quelque chose” qui leur est propre, il ne suffit pas
pour les anciens Parisiens d’avoir seulement une érudition. Il est en plus nécessaire de se spécialiser
dans une matière. Ils doivent maîtriser une discipline, faire partie des meilleurs experts, et prouver
leur supériorité incontestable. Surtout, ils doivent être admis dans un cercle savant. Le Dictionnaire
est éloquent sur ce sujet :
« Cercle : On doit toujours faire partie d’un cercle ». (p.496)
D’ailleurs, les notables, étant chacun expert en une discipline, appartiennent aux cercles spécialisés.
M. Jeufroy est certainement admis dans les ordres ecclésiastiques. M. Vaucorbeil a reçu son
diplôme à la sortie de la faculté de médecine. Et selon un des scénarios, Marescot est membre du
club de l’archéologie de Caen2 . M. Larsonneur, un ami du curé, « avocat, membre du barreau de
Lisieux et archéologue » (p.143), appartient à l’académie locale d’archéologie (p.320). Par
conséquent, Bouvard et Pécuchet rêvent eux-mêmes de « faire partie d’un cercle », chaque fois
qu’ils étudient un savoir et essaient de se spécialiser. Déjà pour l’agriculture, leur rêve a été
clairement indiqué :
« si le sort l’avait voulu, il ferait maintenant partie d’une société d’agriculture, brillerait aux
expositions, serait cité dans les journaux. » (p.98)
Les protagonistes imaginent appartenir à une « société d’agriculture » consistant en agriculteurs
reconnus ; leurs “noms propres” seraient cités dans les journaux ; ils deviendraient des personnages
importants à Chavignolles. Plus tard aussi, lorsqu’ils se plongent dans l’archéologie, Bouvard et
Pécuchet font le même rêve. Le scénario dit :
« Leur rêve est de faire partie de la Société des Antiquaires de Normandie, de lire un mé moire
dans un congrès. » 3
1
p.184. Voir msgg10,fo 26,p.94.
msgg10,fo 69r,p.205.
3
msgg10,fo 53v,p.189. Voir fo 69r,p.205, fo 26,p.91 et fo 51,p.183.
2
Devenant des membres de la « Société des Antiquaires de Normandie », les héros liraient un
mémoire qu’ils écriraient eux-mêmes ; leur “nom” s’inscrirait sur le papier ; tout le monde les
applaudirait. Et puis, au chapitre IX, Pécuchet rêve de la consécration religieuse, lorsqu’il plonge
avec Bouvard dans l’étude du christianisme. L’homme « espérait entrer dans la confrérie de SaintFrançois » (p.332). Il convainc même son ami de communier avec lui (p.340-341).
(4) La terminologie.
Dans la pratique, pour obtenir rapidement la consécration, outre qu’ils étudient assidûment,
Bouvard et Pécuchet essaient de se donner l’air d’experts, à l’instar des spécialistes du village qui
les éblouissent par la terminologie et le geste. Les deux protagonistes sont fascinés par le
pédantisme des notables, à tel point qu’ils l’adoptent et le manifestent à leur tour. D’abord,
lorsqu’ils exploitent leur nouvelle propriété, les deux protagonistes admirent M. de Faverges et
surtout son érudition en matière d’agronomie. Émerveillés, ils écoutent attentivement les paroles du
comte :
« je sème des turneps. Le turnep est la base de ma culture quadriennale ». (p.80)
L’agronome prononce des mots dont l’usage est inhabituel, pour marquer son territoire à l’égard des
deux visiteurs ; le texte en témoigne :
« les futurs agronomes ouvrirent les yeux au mot cuscute. » (p.79)
Tout de suite, Bouvard et Pécuchet commencent à employer eux-mêmes cette terminologie
agricole :
« Incessamment, ils parlaient de la sève et du cambium, du palissage, du cassage, de
l’éborgnage ». (p.96)
Ils étalent leurs connaissances, harcèlent le fermier Gouy de conseils théoriques (p.82). En plus,
pendant ce temps, ils tiennent à s’habiller exclusivement comme des fermiers typiques, « ne quittent
plus les sabots et le bonnet de coton » 1 . Pécuchet essaie d’incarner même l’image idéalisée de
l’agronome, une vivante illustration qu’on peut trouver dans un manuel (p.97). Et « Bouvard a pris
le genre rustique » 2 .
Quand ils commencent la médecine au chapitre III, le docteur Vaucorbeil devient leur
nouveau modèle fétiche. Ils adoptent les gestes du médecin, sans complexes :
« ils donnaient des conseils, remontaient le moral, avaient l’audace d’ausculter. » (p.130)
Ils mettent « des blouses bleues comme en ont les étudiants en médecine qui dissèquent » 3 . Et selon
les scénarios, pendant l’étude, les deux apprentis « appliquent à tout propos des termes
scientifiques » 4 , alors que M. Vaucorbeil blâme leur bière-maison justement « en termes
scientifiques » (p.91). Ils embarrassent M. Foureau en parlant du « buccinateur » (p.120), tout
1
msgg10,fo 8,p.44.
2
msgg10,fo 8,p.44.
3
msgg10,fo 21,p.79 et fo 41v,p.151.
4
msgg10,fo 12,p.50. Voir aussi fo 21,p.80 et fo 46r,p.166.
comme ce médecin qui pose « des questions pour le plaisir de les confondre » et de marquer son
territoire face aux amateurs (p.121). Les mots latins étant prisés par M. Vaucorbeil, les deux
imitateurs veulent aussi adopter cette langue scientifique et stupéfier par là les villageois. Au
chapitre II, ils tâchent de « distinguer les nimbus des cirrus, les stratus des cumulus » (p.88), à la
manière du médecin qui s’écrie : «Ah ! ah ! fructus belli ! » 1 . En disséquant le mannequin pour
l’étude de l’anatomie, les deux protagonistes énumèrent « le septum lucidum composé de deux
lamelles et la glande pinéale » 2 . Ils veulent aussi faire fabriquer par un pharmacien des « pila
purgatoria » (p.130). Ici, les deux héros de Bouvard se comportent comme Homais, qui, à table,
passe le sucre au docteur Larivière, en disant : « Saccharum, docteur » 3 .
De même, lorsque Bouvard et Pécuchet étudient l’archéologie, ils sont fascinés par les savoirs
de Marescot, collectionneur renommé d’antiquailles. Le notaire parlent « de l’hispano-arabe, de la
hollandaise, de l’anglaise, de l’italienne », et « éblouit » les héros « par son érudition » (p.182). Il
démontre ainsi efficacement son prestige devant les deux amateurs. Nous pouvons admettre une
légère influence de ce pédant sur le comportement des protagonistes, quand ils étalent leurs
connaissances sur l’histoire. Bouvard et Pécuchet « riaient de pitié quand on disait Clovis » 4 ; en
tant que savants sérieux, ils tiennent à dire Clodowig et non Clovis, Karl le Grand au lieu de
Charlemagne (p.185). Enfin, au chapitre IX, quand il se fait spécialiste religieux, Pécuchet prend
pour modèle le curé :
« il prenait le genre ecclésiastique, sans doute par la fréquenation du curé. Il en avait le
sourire, la voix, et d’un air frileux glissait comme lui dans ses manches ses deux mains
jusqu’aux poignets. » (p.332)
Le héros devient presque ecclésiastique avec la voix, le sourire et l’« air frileux » caractéristiques de
cette profession.
Au demeurant, Bouvard et Pécuchet apprennent avec succès à exploiter des vocables bizarres
et techniques, à se conduire comme spécialistes. Selon les scénarios, « chaque étude différente leur
donne une couleur spéciale » ; lors de l’épisode de la médecine, ils deviennent graves, alors que
pendant la période de la littérature, ils ont « le genre artiste » 5 . Ils savent à présent se comporter
justement comme ce savant qui « explique ce qu’on entend fort peu, au moyen de mots qu’on
n’entend pas du tout » (p.316). Cependant, il est nécessaire de retenir que cette spécialisation de
Bouvard et Pécuchet est basée principalement sur l’imitation. Depuis leur chapeau, leur
bibliothèque, jusqu’à leur terminologie et leur geste, ils veulent tout individualiser, toujours comme
le font les Chavignollais. Ils imitent les notables. En effet, l’imitation est la technique qui convient
le plus au caractère des deux protagonistes, qui ont été copistes auparavant et qui sont imitateurs par
nature. L’« esprit d’imitation » leur est inhérent (p.324). De fait, étant perfectionnistes ou obstinés,
Bouvard et Pécuchet imitent presque tous les notables dans la parole comme dans la mimique. Nous
pouvons même dire que, en un sens, le texte est articulé d’après l’ordre de leurs imitations :
? le chapitre II est consacré à l’imitation de M. de Faverges ;
? le chapitre III l’est à l’imitation de M. Vaucorbeil ;
? le chapitre IV développe l’imitation de M. Marescot (selon le scénario, le notaire est un
1
p.298, Flaubert souligne.
p.121. Flaubert souligne.
3
MB.p.397. Flaubert souligne
4
msgg10,fo 70,p.207.
5
msgg10,fo 41r,p.150, fo 46r,p.166.
2
amateur de l’archéologie) ;
? le chapitre IX parle de l’imitation du curé.
(5) La rivalité.
Cependant, pour faire vraiment comme les Chavignollais, Bouvard et Pécuchet ne doivent pas
se contenter d’être imitateurs des notables, pédants parmi d’autres pédants. Ils ne doivent pas, non
plus, rester les disciples dociles, dévoués et flatteurs, des maîtres. En fait, pour être admis dans la
“Communauté” où chaque membre est un expert unique et le meilleur en un domaine, les deux
protagonistes ont besoin eux-mêmes de monopoliser une discipline, de s’en faire connaître comme
les meilleurs spécialistes. Il est indispensable que leur nom évoque quelque chose qui leur est
propre, quelque chose de singulier et d’original dans le village, comme Vaucorbeil incarne la
médecine, et Jeufroy représente la religion. Autrement dit, pour devenir des membres sociétaires de
la commune élitiste, les deux apprentis doivent détrôner leurs maîtres, s’emparer de la place unique
dans le village et devenir de nouveaux représentants des disciplines ; ils doivent remplacer les
notables.
Par nature, ce devoir ne peut pas être accompli pacifiquement. Entre les vieux maîtres du
village et les deux stagiaires qui se métamorphosent en prétendants dangereux, la relation se
détériore. Le conflit est provoqué dans tous les domaines. La première fois, la rupture est
consommée entre les héros et le fermier, professionnel du village ; les deux nouveaux propriétaires
fatiguent Gouy de leurs conseils superflus, avant de le licencier sous prétexte de son incompétence.
Ils réussissent ainsi à éliminer un de leurs rivaux dans le domaine agronome (p.82). À l’époque
suivante, quand ils s’appliquent au ménage, Bouvard et Pécuchet prétendent s’y prendre mieux que
personne, et ils chicanent « le boulanger sur la couleur de son pain », se font « un ennemi de
l’épicier, en lui soutenant qu’il adultérait ses chocolats », et accusent âprement le pharmacien de
Falaise d’ajouter de la gélatine à du jujube (p.112) ; cet apothicaire leur en voudra pour longtemps,
« à cause de son jujube » (p.130). Enfin ils rêvent d’« une crème, qui devait enfoncer toutes les
autres » 1 . Au chapitre III, les deux protagonistes tentent de remplacer M. Vaucorbeil. La « prise de
bec avec le Dteur » est inévitable 2 . Selon le scénario, au début, « ils l’avaient d’abord traité fort
poliment » pour « qu’il leur prête des livres », mais après, « ils deviennent arrogants », ils
l’« enfoncent » 3 . Ils rivalisent de connaissances avec lui, le blessent « par leur pédanterie » 4 . Dans
une dispute, « Pécuchet nomma ses autorités », pour contester l’expérience du médecin (p.132). Le
héros va jusqu’à se moquer du diplôme ès médecine : « C’est qu’un diplôme n’est pas toujours un
argument ! » (p.132-133) Le docteur, à son tour, offense les deux amateurs, en s’exclamant qu’on ne
peut « à leur âge entreprendre ces études », autrement dit la médecine et l’anatomie. Et « le sourire
accompagnant ses paroles les blessa profondément » (p.122). Bouvard et Pécuchet s’indignent :
« De quel droit les juger incapables ? est-ce que la science appartenait à ce monsieur !
Comme s’il était lui-même un personnage bien supérieur ! » (p.122)
Révoltés, ils s’efforcent de devenir des savants bien meilleurs que Vaucorbeil, pour que la science
leur appartienne, à eux seuls. Il en résulte que, quand ils pratiquent la thérapie hypnotique, ils se
font l’ennemi déclaré du docteur. Les héros ouvrent une séance au public « pour enfoncer
1
p.113. Flaubert souligne.
msgg10,fo 21,p.80.
3
msgg10,fo 21,p.80.
4
msgg10,fo 12,p.52.
2
Vaucorbeil » (p.285), alors que le médecin devient « furieux de les retrouver toujours chez ses
clients » (p.283). Quant à Marescot, il est le rival des deux amateurs, au chapitre IV (p.182). Ils lui
disputent la possession de la soupière ; en fait, la céramique devient désirable pour eux, puisque
selon le curé, elle est une pièce rare, considérée surtout par le notaire 1 . En ce qui concerne M.
Jeufroy, Bouvard et Pécuchet se trouvent en concurrence avec lui, durant la période de
l’apprentissage religieux. Même si au début, les deux protagonistes se montrent pratiquants et
soumis, plus ils avancent dans la connaissance théorique, plus ils s’opposent à l’ecclésiastique.
« Une lutte d’érudition s’engagea » entre lui et eux (p.349). Et la rupture est inévitable : « Le curé
se fâcha » (p.363). Ils finissent par nier ouvertement sa capacité, en disant :
« Vous ne comprenez plus le christianisme ! » (p.364)
Ainsi, les héros tentent de remplacer tous les spécialistes du village, pour devenir des représentants
des domaines de ces derniers. En fait, ces viols de territoire ne favorisent certainement pas leur
insertion dans la “Communauté” ; ils fâchent au contraire les membres et courent le risque d’être
exclus.
(6) Les nouveaux domaines.
Il est toutefois vrai que pour se faire Chavignollais, les nouveaux ont besoin de se montrer
comme les meilleurs experts dans un domaine ; Bouvard et Pécuchet ont raison de tenter de
monopoliser toutes les sciences abordées dans le village. Cependant, à moins qu’ils ne renoncent à
s’assimiler dans la “Communauté”, ils ne doivent absolument ni entrer en concurrence avec les
membres, ni essayer de les remplacer. En fait, ils doivent se rendre uniques, sans usurper la place
des autres.
Il ne reste donc qu’une seule voie à prendre pour les nouveaux venus : ils doivent par force
choisir un domaine dans lequel personne de Chavignolles ne s’engage, pour ne pas s’approprier les
places déjà occupées. Dans le village, de fait, les recrues peuvent être bien accueillies, à la condition
qu’elles représentent une spécialité inédite dans le village. M. Larsonneur, par exemple, est bien vu
par les notables dont surtout le curé, puisque l’académicien est le seul représentant de l’archéologie
dans la localité, et ne rivalise avec personne qui ait une spécialité. De même, M. de Mahurot,
« ingénieur » (p.341), est choisi par M. de Faverges comme gendre et reconnu tout de suite dans le
cercle des élites, puisque, même s’il « connaît toutes les sciences », il ne met pas son nez dans les
domaines d’autrui2 .
Or, Bouvard et Pécuchet étudient eux-mêmes les nouvelles sciences, qui n’ont rien à voir avec
les domaines des villageois. Sans être aidés par personne, les deux autodidactes étudient l’art
décoratif du jardin au chapitre II, la littérature et le théâtre au chapitre V, l’hydrothérapie à la fin du
chapitre VII, la gymnastique, la métaphysique et le magnétisme au chapitre VIII, et enfin la
phrénologie au chapitre X. Ils complètent ainsi le tableau des matières, que nous avons déjà décrit
suivant l’ordre de leurs imitations. En général, ces nouveaux domaines sont plus vagues, plus
douteux et moins pratiques que ceux des Chavignollais. Certains sont originaires de Paris, de la
capitale “non-propre” ; selon les scénarios, la gymnastique est apportée à Chavignolles par les deux
protagonistes au retour d’un voyage à Paris 3 ; la vogue du magnétisme vient aussi de la ville.
1
p.178. Le scénario dit : « brouille à propos de faïences avec le notaire qui est artiste ».
(msgg10,fo 22,p.82.)
2
p.531. Voir le Dictionnaire, rubrique « Ingénieur ».
3
msgg10,fo 35,p.31, fo 41r,p.149.
Logiquement, Bouvard et Pécuchet veulent montrer, chaque fois, leur nouveau savoir au
public, pour être estimés comme individus singuliers et supérieurs. Ils invitent, d’abord, les notables
pour faire admirer leur jardin embelli : « Comme tous les artistes, ils eurent le besoin d’être
applaudis ? et Bouvard songea à offrir un grand dîner » (p.103). Ils déclament des pièces de
théâtre devant les audiences, invitent « les notables du pays » (p.285) à la séance de magnétisme, et
pratiquent la phrénologie sur bien des têtes chavignollaises. Ils veulent enfin montrer leur savoir
métaphysique. Le texte dit :
« Cette transcendance leur inspira de l’orgueil ; et ils auraient voulu l’étaler. » (p.316)
Dans la plupart des cas, certes, les deux bonshommes ne réussissent pas à s’instruire dans ces
disciplines. Mais à de rares occasions, ils parviennent à devenir des spécialistes de domaines
inédits, dont notamment le théâtre. Dans toutes les curiosités qu’ils étudient, en effet, la comédie est
la discipline la plus convenable aux caractères des deux anciens copistes, qui ont toujours été
imitateurs dans le passé. Voici la remarque de Normand Lalonde sur ce sujet :
« Car si Bouvard et Pécuchet sont par essence ces héros dont le destin est de toujours tâcher
de faire comme (faire comme des chimistes, comme des archéologues, comme des médecins,
etc.) sans jamais arriver à pratiquer réellement le métier qu’ils prennent pour modèle, ils
trouvent enfin, dans l’activité de comédiens, le lieu d’une coïncidence possible » 1 .
En réalité, les deux protagonistes ne sont pas les seuls à être aptes à la mimêsis. Tous les sujets
“non-propres” sont naturellement doués pour cette activité. La servante du curé, Reine, imite très
bien son maître, « prêchant comme son maître, dit qu’il fallait obéir » (p.356). Gorgu et Mélie sont
aussi des experts. À l’occasion, le menuisier ne s’attardera pas à prendre « un air naïf » (p.367).
Mélie jouera parfaitement le rôle d’ingénue, en prenant « un air candide » (p.271). Et lors de la
représentation des deux amateurs, la petite bonne s’amuse franchement de leur jeu, tandis que le
menuisier montre un certain « goût » théâtral :
« Gorgu applaudissait les tirades philosophiques des tragédies et tout ce qui était pour le
peuple dans les mélodrames ; ? si bien que charmés de son goût ils pensèrent à lui donner
des leçons, pour en faire plus tard un acteur. Cette perspective éblouissait l’ouvrier. » (p.213)
C’est en effet une bonne idée de faire de Gorgu un acteur, bien qu’il soit déjà un bon acteur sans
aucune formation.
Nous ne trouvons donc rien de surprenant, à ce que les deux personnages deviennent célèbres
pour leurs « travaux » théâtraux. Ils sont d’abord applaudis par une notable, lors de leur
déclamation. Mme Bordin apprécie leur jeu avec une véritable émotion. Le texte dit :
« ? et elle éprouvait au fond de l’âme comme une surprise, un charme qui venait de la
Littérature. L’Art, en de certaines occasions, ébranle les esprits médiocres ; ? et des mondes
peuvent être révélés par ses interprètes les plus lourds. » (p.211)
Et aussitôt, la rumeur circule sur leurs représentations. Tout le village parle de leurs jeux. Il semble
que Bouvard et Pécuchet pourraient être enfin admis dans la “Communauté”, en tant que maîtres
1
Normand LALONDE, « La somme et récit: l’exemple de Bouvard et Pécuchet », Littératures,
no 29, automne 1993, Presses universitaires du Mirail, Toulouse, p.73-85.
d’une discipline spéciale de la mimêsis. Cependant, l’avis général des notables n’est en rien
favorable à ce sujet, même s’ils reconnaissent le talent singulier des héros dans l’art théâtral. Les
villageois n’apprécient guère ce genre d’activité :
« Le bruit de leurs travaux s’était répandu. Vaucorbeil leur en parla d’une façon narquoise.
Généralement on les méprisait. » (p.213)
Marescot et Faverges n’acceptent pas l’avis des deux apprentis comédiens sur la liberté du théâtre :
« Il va trop loin, votre théâtre ! » Selon les notables, la comédie est surtout coupable, d’autant plus
qu’on y « bafoue les choses les plus saintes, la famille, la propriété, le mariage ! » Ils accusent aussi
« des pièces qui exaltent le suicide ! » (p.223) Selon le Dictionnaire des idées reçues, il existe
même une pièce qui provoque la révolution :
« Figaro : Fils de Beaumarchais et l’un des promoteurs de la Révolution. » (p.517)
En effet, toutes les nouvelles tentatives dont les protagonistes réussissent à faire leur spécialité
sont déniées par les notables. Outre le théâtre, nous pouvons citer d’abord la décoration du jardin.
Selon le scénario, leur oeuvre est réussie, à tel point qu’« au fond on l’admire secrètement, surtout
Mme Bordin » 1 . Pourtant, les invités dissimulent leur approbation ; en apparence, « on s’en fiche ».
Ils disent : « À votre place j’aurais fait cela. ? Les petits pois sont en retard. ? Ce coin
franchement n’est pas propre. ? Avec une taille pareille, jamais vous n’obtiendrez de fruits »
(p.107). Surtout, le curé est hostile à ce jardin pittoresque :
« il ne trouvait pas convenable ce simulacre de tombeau au milieu des légumes. » (p.109)
Il en est de même pour le magnétisme et la phrénologie. Ces deux nouvelles études sont toutes
réussies. Elles rendent effectivement les deux protagonistes célèbres ; selon le texte, lorsque le
magnétiseur Bouvard a guéri « la Barbée », « sa réputation parvient jusqu’à Falaise » (p.282), alors
que leur succès en phrénologie « les avait rendus célèbres » (p.377). Ils en deviennent uniques et les
meilleurs experts dans la “Communauté”. Néanmoins, les savoirs déplaisent aux villageois. Surtout,
le médecin accuse catégoriquement ces pseudo sciences. Selon lui, le magnétisme provoque «des
périls pour la société » (p.289), tandis que la phrénologie est « une balourdise » (p.375). Pour le
curé, les deux essais contrarient la théorie chrétienne. Il tance vertement son bedeau qui participe à
une séance du magnétisme : « êtes-vous fou ? sans ma permission ! des manoeuvres défendues par
l’Église ! » (p.290) Quant à la phrénologie, l’ecclésiastique interdit aux deux phrénologues de la
pratiquer devant l’autel de l’église, et accuse cette science de « pousser au matérialisme et au
fatalisme » (p.374).
En revanche, ces nouvelles tentatives sont applaudies par les gens “non-propres”. Le théâtre
plaît aux domestiques, comme nous l’avons vu. Quant à « la cranioscopie », les foules ne
demandent que cette science. On vient en masse consulter les deux phrénologues (p.377). En ce qui
concerne le magnétisme, les héros en connaissent le vrai succès auprès de Petit. Selon ce maître de
l’école, cette nouvelle science annonce l’ère de la masse :
« La Science est un monopole aux mains des Riches. Elle exclut le Peuple. À la vieille
analyse du moyen âge, il est temps que succède une synthèse large et primesautière ! » (p.290)
1
msgg10,fo 9,p.47. Voir aussi fo 20,p.77, fo 11,p.131.
Le magnétisme, « synthèse large et primesautière », est ouvert à tout le monde. Toutes les foules
peuvent l’aborder, puisque ce nouveau savoir n’est pas un privilège de « Riches ».
Au demeurant, Bouvard et Pécuchet ne réussissent à se faire reconnaître que dans les savoirs
critiqués par toutes les élites, et éventuellement appréciés par les masses. Certes, en s’instruisant
dans ces études inédites au village, les héros démontrent leur particularité. Ils deviennent uniques
dans la commune, en tant que comédiens, paysagistes, magnétiseurs et phrénologues. Ils semblent
acquérir la “propriété” qui fait connaître leurs noms. Cependant, en pratiquant ces exercices, ils
s’établissent, à leur insu, spécialistes des domaines considérés comme outrageants pour la morale
chavignollaise. Ils violent, malgré eux, la « manière » correcte de la “Communauté”, respectée par
tous les villageois, exceptés les gens “non-propres”. Or, pour être admis dans le village, il est
impératif pour les deux nouveaux de devenir des experts uniques, “conformément” au mode de vie
commun des Chavignollais, sans outrager l’éthique communautaire. Sinon, ils sont considérés tout
de suite comme barbares, violeurs de lois. Et les villageois n’admettront jamais comme concitoyens
ces deux experts qui ne partagent pas la même manière de vivre avec eux, tout comme les
Carthaginois n’admettent pas les « Mangeurs-de-choses-immondes » (S,p.82). Rappelons que M.
Larsonneur, un étranger comme les deux bonshommes, est estimé dans le village, non seulement
parce qu’il est un expert unique en préhistoire, mais surtout parce que son étude « confirme
l’autorité des Écritures, en prouvant le Déluge », alors que la phrénologie des héros est considérée
comme néfaste pour la religion (p.143). De même, M. de Mahurot, le seul ingénieur du village, est
reconnu par les villageois, puisqu’il sait se conformer au mode de vie communautaire ; le baron dit
à Bouvard qui se dispute avec le curé : « Écoutez donc le curé ! il en sait plus que vous ! » (p.363)
Contrairement aux deux comédiens ignorants, ces messieurs connaissent bien la « manière »
chavignollaise, et peuvent s’instruire dans les domaines convenables, d’une façon qui ne déplaît
jamais aux notables.
2. La « manière » chavignollaise.
Le problème de Bouvard et Pécuchet est ainsi évident : il leur manque la maîtrise du mode de
vie commun aux Chavignollais, pour distinguer les comportements corrects et les barbaries, les
savoirs estimés et les sciences interdites. Pourtant, pour être admis dans le village, ils doivent
absolument apprendre cette « manière » commune, outre qu’ils doivent s’individualiser. Ils doivent
ériger l’éthique chavignollaise en «Principes », définissant les obligations et interdictions que les
notables savent respecter dans n’importe quelle occasion inopinée. Autrement dit, ils doivent
maîtriser la grammaire de la vie campagnarde, afin de parler couramment le “langage”
chavignollais ; de fait, comme il est conseillé dans un manuel, il est impératif de savoir parler « la
langue du pays que l’on visite » (p.148), pour ne pas provoquer de soupçon sur l’identité et pour
s’intégrer facilement à la commune. Nous allons maintenant analyser cette nouvelle exigence.
(1) Les bases.
D’abord, vérifions les « bases » de la société, desquelles Bouva rd et Pécuchet sont informés
par M. de Faverges. D’après le comte, tous les membres doivent respecter plusieurs éléments dits
« bases », sur lesquels se fonde l’éthique de la “Communauté”. Ils consistent dans « la famille, la
propriété, le mariage » (p.223). Nous pouvons y ajouter la « religion », en nous référant au
Dictionnaire des idées reçues. Selon ce dernier, « les bases de la Société » sont « Propriété, famille,
religion, respect des Autorités. » Et les sociétaires doivent « en parler avec colère si on les
attaque », si les barbares extérieurs osent les critiquer (p.492. Voir la rubrique « Base »). De fait, les
Chavignollais exécutent fidèlement cette consigne : tous les villageois respectent ces fondements
sociaux. D’abord, concernant la «propriété », « Hurel ne voyait dans le monde que la propriété
foncière » (p.109). Foureau s’inquiète, lorsqu’au moment de la révolution, les « locataires se
montrent d’une exigence » sévère envers les propriétaires (p.229). Mme Bordin, elle, pour acquérir
la ferme de Bouvard, n’hésite pas à essayer de se marier avec lui ou à lui acheter la terre en
consentant beaucoup de sacrifices : « Car la bonne dame en vraie Normande, chérissait par-dessus
tout le bien moins pour la sécurité du capital que pour le bonheur de fouler un sol vous appartenant.
Dans l’espoir de celui-là, elle avait pratiqué des enquêtes, une surveillance journalière, de longues
économies, et elle attendait avec impatience, la réponse de Bouvard » 1 . Quant au mariage et à la
religion, Mme de Noaris se dévoue à la religion (p.355), les Faverges défendent ardemment le
mariage religieux, et le curé prétend que le mariage a été « établi par Jésus » (p.364). Finalement, la
« famille » est considérée comme une cellule de la société, dans laquelle « l’autorité paternelle est
incontestable » (p.378). Selon Placquevant, même si le père est un idiot, « son pouvoir n’en est pas
moins absolu ». Et M. de Faverges « décidait de tout, en sa qualité de chrétien de père de famille »
(p.359).
Logiquement, les deux protagonistes s’intéressent à tous ces fondements de la société et
s’efforcent de les acquérir un à un, afin d’apprendre la manière des membres. Il en résulte que le
texte est articulé, à nouveau, selon l’ordre de leurs essais d’intégration ; les chapitres sont distribués
suivant la liste de ces « bases de la Société » qu’abordent Bouvard et Pécuchet ; le chapitre II est
consacré à la « propriété », le chapitre VII l’est au « mariage », le chapitre IX l’est à la « religion »
et le chapitre X l’est à la « famille ». Dans un premier temps, lorsque Bouvard et Pécuchet viennent
de s’installer au village, ils considèrent surtout la « propriété ». Ils consacrent toute leur énergie et
beaucoup d’argent à exploiter la ferme et le verger. Et au fur et à mesure qu’ils avancent ces essais
agronomiques, leur (auto) appellation passe des « deux Parisiens » (p.75) aux « deux propriétaires »
(p.103). Selon leur logique, en effet, puisqu’ils ont acquis la « base » foncière, ils sont déjà
« propriétaires » campagnards. Ils se prennent pour les égaux des autres villageois. Néanmoins,
pour les Chavignollais eux-mêmes, Bouvard et Pécuchet ne sont pas qualifiés de sociétaires de la
commune. Ils sont plutôt des profanes dont la manière d’aborder la « base » n’est pas du tout bonne.
Il est impossible de qualifier ces deux-là d’agronomes, de jardiniers, ou de propriétaires.
Au chapitre VII, les protagonistes tentent le « mariage », une autre « base » que les villageois
considèrent comme un « sacrement » (p.364) ; Bouvard prend l’initiative, en demandant la main de
Mme Bordin. Mais le résultat n’est pas satisfaisant. Quant à la « religion », cette « base » spirituelle
est traitée au chapitre IX. Convertis, les deux hommes auraient pu s’intégrer dans Chavignolles en
tant que dévots. Ils réussissent presque à être admis dans le cercle des notables, comme en témoigne
le texte :
« Le comte et la comtesse de Faverges les saluèrent de loin, ce qui fut remarqué. Le juge de
paix leur dit, en clignant de l’œil : ? « Parfait ! je vous approuve. » » (p.327-328)
Pourtant, entre les héros et les villageois, le courant ne passe pas longtemps. Les deux dévots
finissent par s’isoler dans le village, bien qu’ils soient les plus érudits en matières théologiques.
Tout le monde se moque de Pécuchet, lorsqu’il arrête « les Chavignollais pour discuter, et les
convertir ». Le texte dit : « Vaucorbeil lui rit au nez, Girbal haussa les épaules, et le capitaine
l’appela Tartuffe. On trouvait maintenant qu’ils allaient trop loin » (p.342). Enfin, au chapitre X,
Bouvard et Pécuchet essaient de fonder une « famille » avec les deux orphelins. Le scénario
précise : « ils sont pris par le désir d’une famille, d’un amour » 2 . Mais cette fois encore, le résultat
1
2
p.339. Flaubert souligne.
msgg10,fo 15,p.64, fo 29,p.102.
est peu convaincant. Leur famille composée ne facilite pas la communication amicale entre eux et
les villageois. Loin de là, les héros sèment des doutes, en adoptant les enfants du criminel.
Ainsi, la situation de Bouvard et Pécuchet n’est pas régularisée, puisque, malgré leur bonne
volonté d’acquérir toutes les « bases », ils se comportent mal, disent des mots inconvenants à leur
insu, et commettent des erreurs considérables. Leur façon de traiter ces fondements sociaux n’est ni
correcte, ni à la chavignollaise. En effet, il leur manque les « Principes » plus détaillés qui leur
indiquent comment respecter ces « bases » de la société. Il s’agit du décalogue muet de la
“Communauté”, définissant la manière de vivre des membres dans toutes les phases. Les lois sont
certes méconnaissables pour les nouveaux venus comme Bouvard et Pécuchet, d’autant plus que les
notables eux-mêmes ne précisent pas les règlements. Marescot, par exemple, n’explique pas ce que
sont les règles chavignollaises, même s’il affirme ardemment qu’« il y a des principes » (p.318) ; le
notaire ne fait que citer la rubrique du Dictionnaire des idées reçues :
« Principes : Toujours indiscutables. On ne peut pas en dire la nature, ni le nombre ;
n’importe, sont sacrés. » (p.548)
Pourtant, si abstraite que soit la « manière » de vivre des notables, il est possible que les deux
protagonistes réussissent à l’adopter, en observant bien les villageois. En effet, pendant toutes leurs
études, les deux apprentis doivent recevoir, outre les terminologies et gestes particuliers à chaque
savoir, l’enseignement universel partagé par les maîtres du village. Toutes les leçons doivent se
conformer au décalogue chavignollais. En ce sens, l’apprentissage chez les spécialistes doit être
considéré, non seulement comme une initiation à la spécialisation, mais aussi comme une formation
à l’éthique communautaire.
(2) Les apprentissages chez les notables.
Nous examinons donc l’enseignement commun, que les deux protagonistes reçoivent chez
tous les notables. En effet, à chaque apprentissage, Bouvard et Pécuchet sont invariablement
impressionnés par la « manière » systématique et ordonnée de ces spécialistes. Voyons d’abord le
système du comte :
« Les premières politesses échangées, il exposa son système relativement aux fourrages ; on
retournait les andains sans les éparpiller, les meules devaient être coniques, et les bottes faites
immédiatement sur place, puis entassées par dizaines. » (p.79)
Les meules doivent être coniques, les bottes doivent être immédiatement faites sur place et doivent
être entassées par dizaines. Réglée par ces lois détaillées, la ferme de M. de Faverges est dépourvue
de contingences. Elle est parfaitement mise en ordre. Le texte dit aussi :
« Le travail s’y faisait à la mécanique, au moyen d’une turbine, utilisant un ruisseau qu’on
avait, exprès, détourné. Des bandelettes de cuir allaient d’un toit dans l’autre, et au milieu du
fumier une pompe de fer manoeuvrait. » (p.81)
Le comte finit son exposé d’un ton tranchant : « Cela du moins me paraît incontestable » ; la phrase
impressionne tellement les protagonistes qu’ils reprennent ensemble : « Oh ! incontestable » (p.80).
Il est clair que pour l’agronome, l’agriculture doit être effectuée selon des règles et mécanismes
incontestables, pour ordonner sa ferme sans aucune trace de dysfonctionnements.
À la période suivante, les notables initient les deux protagonistes aux arts ménagers, dont le
principe consiste à mettre la maison en ordre, suivant les règles et méthodes indispensables. Ainsi,
lors d’une réception, les convives exposent les règlements définissant « la manière de fabriquer le
cidre ». Mme Bordin explique ce qu’il faut faire pour créer de bons cornichons (p.105). Plus tard
encore, elle impressionne Bouvard par son sens de la régularité : chez elle, même le dîner est servi
avec méthode :
« Une suite de plats, d’une saveur profonde, que coupait à intervalles égaux un vieux
pommard ». (p.267)
Elle chasse tous les chaos éventuels de son environnement, et rend sa maison parfaitement propre.
La veuve est en effet la vraie experte en la matière. Selon le texte, « ses talents de ménagère était
connus, et elle avait une petite ferme admirablement soignée » (p.105-106). Par conséquent, elle est
respectée par les bourgeoises du village :
« Elle était judicieuse, l’épouse du médecin ? et même celle du notaire, bien que d’un rang
supérieur, la considéraient. »(p.238)
Quant à M. Jeufroy, il donne aux deux apprentis exactement le même enseignement que le
comte et la veuve. Pour lui aussi, il est primordial de remettre le monde en état propre et ordonné.
Dans ce but, il utilise des systèmes quasi mécaniques. Pécuchet apprend ainsi « qu’il y a une
purgation active et une purgation passive, une vision interne et une vision externe, quatre espèces
d’oraisons, neuf excellences dans l’amour, six degrés dans l’humilité » (p.343). De plus, même s’il
apparaît quelque phénomène désordonné, inexplicable par les systèmes connus, le curé sait y lire
l’ordre divin, qui est pour lui l’origine de tout l’univers. Bouvard devine très justement cette
méthode cléricale :
« Tant que la Nature suit sa routine, on n’y pense pas ; mais dans un phénomène
extraordinaire, nous voyons la main de Dieu. » (p.356)
De fait, dès qu’un « phénomène extraordinaire » est découvert, l’ecclésiastique le prend pour
révélateur de la providence, de l’ordre sacré, de la preuve de la disposition céleste. Selon cette
tactique, toute anomalie va vite être incluse dans l’ordre supérieur. Le chaos disparaît tout de suite
et réapparaît le monde rangé et ordonné. M. Jeufroy peut récupérer l’ordre de l’univers en toute
sécurité.
Au demeurant, tous ces spécialistes de Chavignolles communiquent aux deux apprentis le
culte de l’univers régulier. L’ordre est, selon les notables, immanent à la Nature, même s’il est
souvent caché derrière le désordre apparent. Le travail des spécialistes ne consiste en rien d’autres
qu’à éliminer ce chaos éventuel par leur moyen scientifique, pour dévoiler le vrai cosmos d’origine.
Ainsi, les chimistes doivent montrer la classification des molécules pour confirmer l’ordre naturel
au point de vue microscopique. Les archéologues doivent, eux, exposer les théories qui prouvent cet
ordre sous l’angle archéologique. Du reste, dans les scénarios, l’attitude commune des savants
légitimes se réduit à leur quête de « systèmes » ? depuis le système pathologique, système
astronomique, digestif, nuageux, jusqu’aux systèmes des philosophies1 . Et dans le texte publié, la
tâche des scientifiques se résume à la classification ; nous pouvons en citer des exemples, depuis
1
Voir les scénarios. Par exemple, « système Banting » (msgg10, fo 16,p.66), « systèmes modernes »
(fo 16,p.68), « systèmes d’éducation » (fo 17,p.70), « pathologie. systèmes différents » (fo 21,p.80),
etc.
« la classification de Luxe-Howard », la « classification linéenne » (p.129), le classement des
espèces (p.141), les « divisions géologiques » (p.149), jusqu’aux « listes de Manéthon » (p.156).
Mais, de tous ces spécialistes, Bernardin de Saint-Pierre est le plus intéressant. Le savant enseigne
les belles « Harmonies » de la Nature, sous ses divers aspects, avec systèmes et classements :
« Harmonies végétales et terrestres, aériennes, aquatiques, humaines, fraternelles et même
conjugales, tout y passa ? sans omettre les invocations à Vénus, aux Séphyrs et aux
Amours ! »(p.139-140)
Chez ce naturaliste, l’ordre (ou harmonie) devient un véritable objet de culte, justement comme
chez les bourgeois de Chavignolles. Bouvard et Pécuchet en sont émerveillés : « Ils s’étonnaient
que les poissons eussent des nageoires, les oiseaux des ailes, les semences une enveloppe ? pleins
de cette philosophie qui découvre dans la Nature des intentions vertueuses et la considère comme
une espèce de saint Vincent de Paul, toujours occupé à répandre des bienfaits ! » (p.140)
Voyons la médecine, domaine officiel typique des Chavignollais. Ici, les spécialistes exposent
des systèmes et classements, pour confirmer l’étonnante « harmonie » du corps humain 1 . Selon
notre texte, « des savants prétendent que la chaleur animale se développe par les contractions
musculaires » (p.124). Sanctorius démontre la « loi » de l’équilibre. Les physiologistes distinguent,
dans « un amas inextricable », « des pédoncules, des ventricules, des arcs, des piliers, des étages,
des ganglions, et des fibres de toutes les sortes, et le foramen de Pacchioni, et le corps de Pacini »
(p.121). Pour ces savants, en effet, l’organisme vivant est une mécanique ordonnée, fonctionnant
harmonieusement avec toutes ces règles et ces pièces détachées. S’il existe éventuellement des
désordres, il faut les éliminer, pour rendre le corps de nouveau sain. Les médecins ressemblent ainsi
à M. de Faverges ou Mme Bordin, pour qui la maison et la ferme doivent être systématisés, avec les
mécaniques et règles multiples. Mais en plus, ces docteurs se conduisent comme M. Jeufroy,
notamment lorsqu’ils remarquent dans l’organisme « un phénomène extraordinaire », qui ne
s’explique pas par leurs savoirs limités. De même que l’ecclésiastique prend une anomalie comme
la disposition céleste, les scientifiques prennent un phénomène inexplicable pour la preuve d’une
force vitale ou d’un vrai ordre vivant, invisible et mystérieux de l’organisme. En ce sens, depuis
« François Raspail » (p.128), « Van Helmont », jusqu’aux adeptes du « vitalisme », du
« Brownisme » et de l’« organicisme » (p.129), tous ces médecins partagent le culte de l’ordre avec
le comte et la veuve et le curé, avec tous les spécialistes de Chavignolles.
3. L’essai des héros.
(1) La mise en ordre.
Ainsi, impressionnés, à chaque apprentissage, par le sens de l’ordre des notables, Bouvard et
Pécuchet semblent bien comprendre que la « manière » chavignollaise renvoie au culte de la
régularité, que pour être admis comme membres sociétaires, ils doivent partager cette croyance. De
fait, les deux protagonistes soutiennent que l’univers doit être, en théorie, organisé avec logique,
que derrière des irrégularités apparentes, la cohérence doit, par principe, se retrouver. Aussi dans
chaque domaine, ils cherchent les principes, les lois :
« qu’est-ce qu’un Principe ? ils cherchent à le savoir et tâchent d’en avoir. ? cela quand ils en
sont à la MORALE. » 2
1
msgg10,fo 34,p.26, fo 12,p.50.
2
msg2252 f33o v,p.214.
« Après une Étude, comme conclusion, p. se rendre compte eux mêmes ils formulent leurs
idées par des Axiomes qu’ils écrivent, des principes de Styles, de Politique etc. » 1
Et chaque fois que l’anomalie survient, ils cherchent à en examiner la cause, d’après la logique,
suivant les règles. Ils cherchent « la cause de l’incendie » (p.94). Ils se demandent « quelle était la
cause de tant d’infortunes » (p.115). Même en étudiant le magnétisme, ils s’interrogent :
« les dons extraordinaires des Possédés pareils à ceux des somnambules, auraient une cause
physique ? » (p.292)
Et après avoir magnétisé tous les dindons d’un fermier, ils concluent : « le problème était résolu ;
l’extase dépend d’une cause matérielle » (p.299). Ils cherchent ainsi les raisonnements qui rendent
explicables les faits « extraordinaires », pour récupérer la régularité ordinaire du monde.
Logiquement, Bouvard et Pécuchet s’indignent fort, quand d’autres personnes ne respectent pas
cette régularité. Le médecin provoque surtout leur mépris, quand il dit : « La cause et l’effet
s’embrouillent » (p.130). L’explication de M. Vaucorbeil contredit son premier enseignement selo n
lequel les phénomènes naturels doivent fonctionner avec cohérence et établir ensemble le cosmos.
Le texte dit : « Son manque de logique les dégoûta » (p.130).
En pratique, à chaque étude, les deux protagonistes veulent eux-mêmes mettre en ordre leur
environnement, d’autant plus que dans le village, plus un individu retrouve l’ordre dans sa propre
discipline, plus il est considéré comme compétent et conforme à l’esprit communautaire. Notons
que M. de Faverges est le meilleur agronome reconnu dans la localité, dans la mesure où il fait tout
pour gérer sa ferme suivant la norme ; Mme Bordin est estimée par les bourgeoises du village,
puisqu’elle maintient sa maison en parfait état. Ainsi, au chapitre II, Bouvard et Pécuchet essaient
de systématiser leur ferme, à l’instar de la ferme du comte. Ils établissent d’abord des listes, pour
supprimer le désordre.
« Ils avaient au milieu de leur salle à manger, dans un cadre, la liste de leurs élèves, avec un
numéro qui se répétait dans le jardin, sur un petit morceau de bois, au pied de l’arbre. » (p.9697)
Pécuchet trouve le vrai plaisir dans cette activité : « il passait là des heures délicieuses à éplucher
les graines, à écrire des étiquettes, à mettre en ordre ses petits pots » (p.85). Et puis, les deux
protagonistes veulent faire fonctionner leur ferme, selon des règles précises. Le texte dit :
« Partant de ce principe qu’on ne saurait avoir trop de blé, ils supprimèrent la moitié environ
de leurs prairies artificielles ». (p.83)
Pécuchet respecte « toutes les tailles » de plantes, « suivant les préceptes du bon jardinier » (p.86).
Bouvard, « poussant jusqu’au bout ses principes », ne tolère pas qu’on perde l’urine (p.89) ; on doit
garder ce fumier précieux. Quant aux mécaniques, nos deux apprentis ne tardent pas à s’en procurer.
Bouvard achète de nouvelles machines comme « un scarificateur Guillaume, un extirpateur
Valcourt, un semoir anglais et la grande araire de Mathieu de Dombasle » (p.89), quand il se lance
dans l’exploitation des champs. Il impose aux paysans naïfs de les utiliser. Mais en fait, même avant
leur déménagement, Bouvard et Pécuchet ont acheté « des balances », « une chaîne d’arpenteur »,
1
msgg10,fo 46r,p.165, fo 42r,p.153.
« un thermomètre » et « un baromètre « système Gay-Lussac » » (p.66-67). Il s’agit d’instruments
qui s’utilisent pour mesurer et classer le monde, pour éliminer les incertitudes. Il semble que les
héros aient bien préparé leur nouvelle vie, où, à la différence de la vie parisienne, la règle et l’ordre
sont respectés.
Il en est ainsi aussi pour le savoir-faire ménager. Bouvard et Pécuchet veulent mettre leur
maison en parfait état. Ils dissertent sur « le meilleur système de chauffage » (p.111). Ils fabriquent
les conserves, suivant les recettes de M. Appert (p.111). Ils achètent des outils spéciaux :
« Ils achetèrent le matériel d’un distillateur en faillite ? et bientôt arrivèrent dans la maison,
des tamis, des barils, des entonnoirs, des écumoires, des chausses et des balances, sans
compter une sébile à boulet et un alambic tête-de-maure, lequel exigea un fourneau réflecteur,
avec une hotte de cheminée. » (p.112)
Ils essaient même de s’initier à la chimie, pour connaître à fond les règles de la distillation ; ils
abordent « la chimie organique » qui inclut « la fermentation », qui les amène à « la loi des
équivalents » qu’ils veulent élucider « avec la théorie des atomes » (p.117). Normalement, grâce à
ce matériel et à cette connaissance des règles, les protagonistes devraient pouvoir, sans ennuis,
mettre leur ménage en ordre, bien qu’en réalité les choses tournent mal.
(2). Le musée.
Le résultat positif de leur apprentissage peut être constaté aussi dans leur collection de musée.
Au quatrième chapitre, Bouvard et Pécuchet recueillent dans leur muséum des objets symboliques,
représentant la « manière » de vivre des notables. Il est pourtant vrai qu’apparemment, dans cette
galerie, les deux protagonistes ne semblent pas collectionner d’objets significatifs. Ils s’en tiennent
aux bibelots anciens, aux outils de bricolage, à des portraits quelconques. Il ne semble pas exister
un lien qui unit ces articles, comme l’affirme Franc Schuerewegen :
« Dans ce ramassis de curiosités qui ne sont réunies, semble-t-il, que parce qu’elles ne
peuvent tenir ensemble, on chercherait en vain un principe de cohérence quelconque. Le
manque d’unité est d’autant plus frappant que les outils d’un assemblage virtuel sont exposés
à côté de ce que ces mêmes outils devraient pouvoir unir. « Sur des planchettes tout autour »,
le visiteur voyait « des serrures, des boulons, des écrous ». Il faut rappeler également la
« chaîne énorme » dans le corridor, dont la présence même semble vouloir suggérer
l’absurdité de toute opération d’enchaînement. » 1
En fait, contrairement à la critique, le « ramassis de curiosités » est constitué selon « un principe de
cohérence ». Le vrai « manque d’unité » est retrouvé plutôt dans la petite collection privée de
Pécuchet à Paris, qui consistait en plusieurs livres, « avec des tas de paperasses, deux noix de coco,
diverses médailles, un bonnet turc ? et des coquilles, rapportées du Havre par Dumouchel » (p.56).
L’incohérence est évidente mais aussi inévitable, parce qu’à Paris Pécuchet n’avait aucune
connaissance sur les objets à collectionner ; il n’avait d’autre moyen que de recueillir des articles au
hasard. Il doit en effet attendre de s’installer à la campagne avec son ami et de commencer leurs
tâtonnements, pour créer un musée avec un thème significatif, thème sur la “Communauté”.
D’abord, il est question des curiosités antiques ou médiévales de leurs collections. Il se trouve
1
Franc SCHUERWEGEN, « Muséum ou Croutéum ? Pons, Bouvard, Pécuchet et la collection »,
Romantisme, no 55, 1987,p.41-54.
« une auge de pierre » qui est baptisée « sarcophage gallo-romain », « deux urnes d’argile » qui
sont, selon Bouvard, pleines de cendre humaine, et « une fiole de verre opalin » dans laquelle les
Romains versaient des pleurs (p.163 et p.169). Les héros exposent aussi « un morceau de cotte de
mailles », « une hallebarde » et « une statue de saint Pierre » (p.164). Tous ces souvenirs du passé,
ces vestiges de Cités antiques sont dignes d’être recueillis dans ce muséum de la “Communauté”,
d’autant plus que les notables, dont surtout le curé et le comte, estiment la société médiévale.
Ensuite, nous découvrons une série intéressante d’objets :
« L’arbre généalogique de la famille Croixmare occupait seul tout le revers de la porte. Sur le
lambris en retour, la figure au pastel d’une dame en costume Louis XV faisait pendant au
portrait du père Bouvard ». (p.164)
« L’arbre généalogique de la famille » est un objet précieux pour les deux déracinés, qui aspirent à
échapper à leur ancien statut “non-propre”. Quant aux deux portraits, une « maîtresse du Régent »
(p.171) et un père naturel, ils forment un couple qui peut affirmer la naissance du bâtard Bouvard.
Ces trois objets sont donc des articles de l’identité, des racines ou de la « famille », étant une des
« bases » respectées par tous les notables.
Et puis, il se trouve les chapeaux. Dans la première salle de ce musée, les visiteurs
aperçoivent « la carcasse d’un bonnet de Cauchoise » (p.163), et dans la seconde, un « sombrero de
feutre noir » (p.164). Il est clair que ces chapeaux évoquent les couvres-chefs des Chavignollais,
coiffures particulières qui évoquent par elles seules les “noms propres” des porteurs. En ce sens, ces
deux chapeaux du musée sont plus précieux qu’un simple « bonnet turque » qui a été exposé dans la
collection de Pécuchet à Paris ; car, « la carcasse d’un bonnet de Cauchoise » et le « sombrero »
sont singuliers. Notons que les bords de celui-ci sont percés de trois trous, marques de balles. Et le
“nom propre” du porteur en est connu : « un chef de voleurs sous le Directoire, David de La
Bazoque, pris en trahison, et tué immédiatement » (p.170).
Finalement, il faut évoquer « une chaîne énorme » (p.163) qui, selon Bouvard, « servait
autrefois à lier les captifs » (p.169). Elle est donc, d’une part, un des souvenirs des temps antiques,
mais d’autre part, la chaîne aurait d’être utilisée pour tracer la frontière, couper le terrain vague en
morceaux nets, et dissiper la confusion. Car, « elle ressemblait suivant le notaire aux chaînes des
bornes devant les cours d’honneur » (p.169). En ce cas, la chaîne est classée dans la même catégorie
que « des serrures, des boulons, des écrous ». Ces outils servent à la démarcation, à la mécanisation
et à la régulation. Ils sont faits pour la mise en ordre, prisée par les notables du village.
(3) Le droit.
Ainsi, grâce aux apprentissages chez les notables, les protagonistes semblent apprendre
suffisamment la « manière » de la “Communauté”. Ils croient eux-mêmes contribuer à la mise en
« ordre » de la Nature, quand ils se qualifient sans hésitation de bons spécialistes et se vantent d’être
à la fois compétents et conformes aux normes communautaires. Devant les villageois, de fait, ils se
présentent tantôt comme « propriétaires », tantôt comme « archéologues », tantôt comme
« auteurs », ou comme religieux. Et ils réclament le droit de citoyen chavignollais, en tant
qu’individus uniques partageant la même éthique que les autres. En premier lieu, les « deux
propriétaires » réclament leur « droit » de posséder le « simulacre de tombeau » dans leur
« propriété ». Ils s’indignent contre le curé qui leur en fait reproche. Ils se disent :
« Pourquoi inconvenance ? Est-ce qu’on n’a pas le droit d’en construire un dans son
domaine ? » (p.110)
En fait, le « propriétaire » a le « droit » de manipuler sa fortune privée selon sa volonté. Le preuve
en est le père Gouy. Étant «propriétaire » d’un cheval, le fermier réclame le droit de torturer la
pauvre bête, droit qui lui est accordé par le village sans problème :
« J’en ai le droit ! il m’appartient. » (p.387)
Pour les héros qui se prennent pour propriétaires au même titre que Gouy, l’accusation du curé est
donc inadmissible.
Plus tard, quand ils croient être anatomistes, Bouvard et Pécuchet prétendent avoir, cette foisci, le «droit » de détenir un mannequin de dissection. Et ils se fâchant contre Foureau qui doute
qu’ils aient un tel droit (p.120). De même, lors de l’époque géologique, Bouvard allègue qu’il a,
avec Pécuchet, « droit, comme géologues, à discuter religion » (p.156). Ils prétendent même avoir
droit à la cuve aux sacrifices (ou le bénitier) qu’ils ont volée, puisqu’ils sont de vrais
« archéologues » (p.181). À l’époque artistique, Bouvard conteste l’argument du comte, qui dénie à
Victor Hugo le droit de dépeindre Marie-Antoinette sans pitié :
« « Comment ! » s’écria Bouvard, « moi ? auteur ? je n’ai pas le droit... » » (p.224)
Est-ce que l’auteur n’a pas le « droit » de montrer « le crime sans mettre à côté un correctif », sans
offrir une leçon, librement ? Le héros s’indigne. Finalement, lorsqu’il donne la conférence, Bouvard
commence son discours par la phrase suivante : « nos études nous donnent le droit de parler »
(p.410). Un autre scénario dit : « Leurs connaissances scientifiques dont ils se targuent, leur donnent
des droits » 1 .
II Le Malentendu.
En fait, malgré leur demande de droit civil et malgré le succès apparent de l’apprentissage,
Bouvard et Pécuchet ne sont pas considérés comme conformes à la norme communautaire. Ils ne
sont pas reconnus en tant que spécialistes légitimes. Le droit leur est refusé. Surtout lorsque les
deux propriétaires bornent leur terrain en bouchant les ouvertures de la claire-voie, « la population
fut contrariée » (p.76). Le scénario ajoute :
« ils n’ont pas le droit » 2 .
Et quand les deux archéologues reçoivent volontiers les visites « de Girbal, de Foureau, du capitaine
Heurtaux, puis de personnes inférieures, Langlois, Beljambe, les fermiers, jusqu’aux servantes des
voisins » pour fa ire admirer le musée (p.173), leurs invités ne comprennent guère leur intention ; les
notables en général n’admettent pas que la collection soit constituée selon un ordre, d’après le
thème de la “Communauté”. Un des invités, Marescot, sourit « d’une façon dédaigneuse » devant
les objets comme « le tonneau de faïence, un vulgaire pichet de cidre », et la statue du saint Pierre
lui paraît « lamentable avec sa physionomie d’ivrogne » (p.170). Le musée est pour lui dans un
complet désordre.
En effet, Bouvard et Pécuchet ont beau soutenir le culte de l’univers régulier, chercher, plus
que personne, à mettre en ordre leur jardin, à classer les affaires, à acquérir les mécaniques, à
1
msg2253 ,fo 312,p.253.
2
msgg10,fo 8,p.43.
découvrir la belle « harmonie » dans le corps humain ou dans divers phénomènes scie ntifiques,
personne n’admet qu’ils maîtrisent la « manière » chavignollaise de vivre, qu’ils sont les égaux des
membres. Au contraire, ils sont considérés toujours comme des étrangers dont le mode de vie est
différent. Ici, il est clair que la mise en ordre de la nature, adoptée par les deux apprentis, n’est pas à
elle seule le point commun des Chavignollais. Il doit exister d’autres « Principes » qui définissent la
« manière » de vivre des notables, et qui échappent aux yeux des deux bonshommes. Nous allons
chercher à comprendre ce mode de vie à la chavignollaise dans les comportements généraux des
villageois, pour révéler les méprises de Bouvard et Pécuchet.
1. La préoccupation commune des notables.
(1) L’homologie.
De fait, il semble qu’un fait important échappe à Bouvard et Pécuchet : ils ne remarquent pas
que les notables donnent la priorité au maintien de l’ordre social, mais pas à la découverte de
l’ordre naturel. Certes, ces savants chavignollais cherchent à ordonner la Nature dans tous les
domaines. Mais ils s’y consacrent dans la seule mesure où cette Nature régulière évoque la Société
saine, ordonnée et classée entièrement. Ils considèrent l’Univers comme a priori régulier, à l’instar
de la Société qui est pour eux d’origine régulière. Ils chassent le chaos éventuel et récupère la
cohérence naturelle, de telle façon qu’ils chassent les troubles sociaux et rétablissent l’ordre public.
Autrement dit, pour les notables, la mise en ordre de la Nature n’est importante qu’à la condition
qu’elle rappelle la mise en ordre de la Société, qui est le vrai essentiel. Toutes les conduites des
villageois sont motivées par cet intérêt primordial, depuis leurs recherches de lois naturelles, leurs
choix des savoirs officiels, leurs métiers réels, jusqu’à l’admission des nouveaux venus. En ce sens,
les héros se méprennent, fatalement, sur la “grammaire” du comportement des Chavignollais.
D’abord, examinons l’influence de cette éthique communautaire ? respect impératif de
l’ordre social ? sur la sélection des disciplines officielles. Chez les notables, en effet, le choix des
études est motivé principalement par leur souci de l’ordre public. Les disciplines légitimes doivent
inspirer la régularité de la bonne Nature, comparable à la régularité de la bonne Société à laquelle
ils rendent un culte en commun. Il est indispensable que les études établissent un parallèle entre
l’ordre naturel et l’ordre social, et par ce biais, confirment le système social tout en explorant les
lois naturelles. En revanche, les savoirs sont déniés, s’ils ne confirment pas l’ordre social à travers
la découverte de l’ordre naturel. Les nouvelles thèses rénovatrices sont immédiatement censurées,
tant qu’elles peuvent bouleverser la convention sociale. Le magnétisme et la phrénologie sont donc
interdits dans le village, dès qu’ils sont considérés par l’élite chavignollaise comme ayant tendance
à « saper » les bases ; les contestations et les raisonnements des deux protagonistes ne sont pas
écoutés. Comme l’affirme le comte de Faverges, les scientifiques n’ont pas de droit de justifier leurs
savoirs. Le droit appartient exclusivement à l’autorité, qui, par définition, ne veut que renforcer
l’ordre social : « Le Pouvoir seul est juge des dangers de la science ; répandue trop largement elle
inspire au peuple des ambitions funestes » (p.359).
Voyons donc les études légitimes. Il est en effet révélateur que les villageois approuvent la
description du système des « abeilles » qui rappelle « la monarchie », à moins qu’ils ne préfèrent le
portrait du monde des « fourmilières » qui simule « la République » (p.251). Les rapports
entomologiques intéressent les Chavignollais, dans la mesure où les savants développent un
parallélisme entre le système de la Nature et le système de la Société, en anthropomorphisant les
insectes. À travers les descriptions des essaims, les scientifiques trouvent une illustration de
l’organisation de la société humaine.
Nous comprenons aussi pourquoi l’archéologie est une étude officielle, favorite des notables,
depuis le comte de Faverges, le curé, Marescot, jusqu’à Larsonneur. En effet, les archéologues
présentent une homologie entre le monde des « anciens Gaulois, nos aïeux » (p.175) et la société
bourgeoise. Voici le tableau de l’univers gaulois :
« Leur société était fort bien organisée. La première classe de personnes comprenait le
peuple, la noblesse et le roi, la deuxième les jurisconsultes, ? et dans la troisième, la plus
haute, se rangeaient, suivant Taillepied, « les diverses manières de philosophes » c’est-à-dire
les Druides ou Saronides, eux-mêmes divisés en Eubages, Bardes et Vates. » (p.176)
Selon cette description, le monde humain est classé et ordonné depuis toujours, le respect des
règlements est impératif, et le désordre n’a jamais existé. De plus, selon les savants, dans la société
des gaulois, à un rang plus haut que celui du roi, se situent « les jurisconsultes », hommes de même
profession que l’ex propriétaire de la maison de Bouvard et Pécuchet. Les notables préhistoriques
travaillent pour les lois, tout comme les notables chavignollais ; l’analogie est clairement établie. En
décrivant la constitution du monde antique comme régulière, comparable à l’organisation actuelle,
les archéologues ne confirment que l’ordre de la société bourgeoise au XIXe siècle. Les
Chavignollais ont raison de soutenir cette discipline.
Il en va de même pour la religion, savoir officiel le plus estimé par les villageois, une des
« bases » les plus précieuses de la “Communauté”. Ici, le parallèle est établi entre le monde terrestre
et le monde céleste, entre l’univers humain et l’univers idéal du ciel. Et d’après les ecclésiastiques,
les phénomènes terrestres ont de la valeur, dans la seule mesure où ils évoquent les phénomènes
célestes. Le texte dit :
« Une excellente habitude c’est d’envisager les choses comme au tant de symboles. Si le
tonnerre gronde, figurez-vous le jugement dernier ; devant un ciel sans nuages, pensez au
séjour des bienheureux ; dites-vous dans vos promenades que chaque pas vous rapproche de
la mort. Pécuchet observa cette méthode. Quand il prenait ses habits il songeait à l’enveloppe
charnelle dont la seconde personne de la Trinité s’est revêtue. Le tic-tac de l’horloge lui
rappelait les battements de son coeur, une piqûre d’épingle les clous de la croix. » (p.342)
M. Jeufroy se convainc lui-même que la terre a pour seul but de suivre le ciel, qui est un vrai monde
idéal, ordonné et classé merveilleusement : « les Archanges sont au-dessus des Anges » (p.347). Le
scénario est significatif sur ce point :
« Aplomb du Curé qui sait le but de la création/la Nature et la hiérarchie des Anges. » 1
Logiquement, une constitution humaine est justifiée, si elle rappelle cet ordre sacré du ciel. La
monarchie absolue est, en ce sens, la plus appréciée de toutes les formes de gouvernement,
puisqu’elle évoque le règne de dieu, avec les aristocrates qui rappellent les anges. Rappelons que la
« théorie du droit divin » est soutenue par tous les notables, dont surtout l’abbé Jeufroy et M. de
Faverges. Voici cette théorie :
« Le Créateur donna au premier homme la souveraineté du monde. Elle fut transmise à ses
descendants ; et la puissance du Roi émane de Dieu. « Il est son image » écrit Bossuet.
L’empire paternel accoutume à la domination d’un seul. On a fait les rois d’après le modèle
des pères. » (p.251-252)
1
msgg10,fo 61,p.202.
Cependant, étant considéré comme le modèle idéal du monde humain, le ciel est en fait un
simulacre de la terre. Tous les événements sacrés ne sont que les métaphores des phénomènes
humains et ordinaires. Ainsi, M. Jeufroy affirme :
« Les six jours de la Genèse veulent dire six grandes époques. Le rapt des vases précieux fait
par les juifs aux Égyptiens doit s’entendre des richesses intellectuelles, les Arts, dont ils
avaient dérobé le secret. » (p.347)
Le curé interprète aussi « Nudus » de Isaïe par « nu jusqu’aux hanches » 1 , en disant : « ainsi Virgile
conseille de se mettre nu, pour labourer, et cet écrivain n’eût pas donné un précepte contraire à la
pudeur ! » De même, l’abbé traduit « Ézéchiel dévorant un livre » par la lecture ardente, et dit : « ne
dit-on pas dévorer une brochure, un journal ? » Quant à la Trinité, selon l’explication de l’abbé, elle
devient homologie aux « trois côtés du triangle », et l’Homme devient le modèle de Dieu :
« Prenons une comparaison : les trois côtés du triangle, ou plutôt notre âme, qui contient :
être, connaître et vouloir ; ce qu’on appelle faculté chez l’Homme est personne en Dieu. »
(p.344)
Finalement, le curé compare le péché originel à la convention humaine :
« et nous-mêmes, nous faisons rejaillir sur les enfants les crimes de leurs pères. Ainsi les
moeurs et les lois justifient ce décret de la Providence, que l’on retrouve dans la Nature.
(p.343-344)
Autrement dit, « Nudus » de Isaïe est admis, dans la mesure où cette nudité n’outrage pas la pudeur
de la société des bourgeois du XIXe siècle. Et le « décret de la Providence » est justifié, par le seul
fait qu’il évoque « les mœurs et les lois » de ces mêmes bourgeois. Ici, la société terrestre devient
elle-même le modèle du monde sacré : le monde céleste est approuvé, dans la mesure où il évoque
la société humaine. D’ailleurs, selon Swendenbourg, au ciel qui doit être le modèle de la terre, il se
trouve « des fleurs, des palais, des marchés et des églises absolument comme chez nous » (p.291) :
« Les anges, hommes autrefois, couchent leurs pensées sur des feuillets, devisent des choses
du ménage, ou bien de matières spirituelles ; et les emplois ecclésiastiques appartiennent à
ceux, qui dans leur vie terrestre, ont cultivé l’Écriture sainte. » (p.291)
Selon ces « descriptions du ciel », l’univers angélique est un simulacre bien fait du monde
chavignollais ; les séraphins vont aux palais, aux marchés et aux églises ; l’église occupe une place
importante chez eux ; de plus, les gens qui étaient ecclésiastiques « dans la vie terrestre »
deviennent des prêtres à nouveau dans la vie céleste. Ainsi, en prenant pour modèle cette société
hiérarchique des anges, qui est en fait « absolument comme chez nous », M. Jeufroy ne fait que
confirmer la société telle quelle où il vit lui-même. Au demeurant, les études appréciées
contribuent, d’une façon ou d’une autre, à consolider l’ordre de la société bourgeoise actuelle.
(2) Les métiers réels.
Nous pouvons aussi constater l’importance de l’ordre social chez les Chavignollais, quand
1
p.347, Flaubert souligne.
nous remarquons leurs métiers respectifs. En effet, outre qu’ils étudient les savoirs confirmant
indirectement le système social, les villageois ont d’autres activités pour maintenir l’ordre public,
qui sont leurs vraies professions. Il est vrai que ces métiers réels se font peu remarquer, à cause des
liens déclarés entre leurs noms et leurs disciplines, comme Faverges et l’agronomie, Larsonneur et
l’archéologie, Jeufroy et la religion, etc. Néanmoins, il est clair qu’avant d’être chercheurs, ces
Chavignollais sont des partisans de l’ordre social. Ils travaillent tous pour cette cause impérative. La
plupart d’entre eux sont des juristes, défenseurs des lois de la société. Marescot, artiste, est notaire
dans la vie. Il règle les conflits selon les Codes, pour maintenir l’ordre social et dissiper un désordre
éventuel dans sa commune. Le texte en témoigne : « Marescot allégua naturellement la défense de
la Société, le Salut Public, loi suprême » (p.241). Quant au maire Foureau, « ami de l’ordre » 1 , il
travaille comme « ministère public » dans le tribunal du village et accuse les inculpés plus
sévèrement que personne (402). En ce qui concerne l’ancien propriétaire de la maison des héros,
bibliomane, il est « un vieux jurisconsulte, maniaque et bel esprit » (p188). Cet homme doit savoir
bien résoudre les affaires difficiles, en suivant les Codes minutieusement, puisqu’il est un
maniaque. Larsonneur, archéologue et ami personnel de l’abbé Jeufroy, est aussi capable de ranger
les affaires, puisqu’il est « avocat, membre du barreau de Lisieux » (p.143). Et finalement, Coulon
est juge de paix. Pour ces Chavignollais, le tribunal est une référence de la société saine et
ordonnée, dernier recours pour prévenir l’« inondation » des révoltes. Selon eux, les désordres
doivent être éliminés partout où la loi est protégée par la justice. Même lorsque la révolution éclate,
les notables peuvent être soulagés, lorsqu’ils savent que toute la justice soutient le Gouvernement
Provisoire :
« quand on sut que la Cour de cassation, la Cour d’appel, la Cour des Comptes, le Tribunal de
commerce, la Chambre des notaires, et M. de la Rochejacquelein lui-même donnaient leur
adhésion au Gouvernement Provisoire, les poitrines se desserrèrent ». (p.226)
Soutenu par les tribunaux, le nouveau régime doit consolider l’ordre avec un bras de fer. La pire
catastrophe ? désordre général ? ne doit pas arriver ; la frontière de la propriété doit être assurée
et les foules ne doivent pas envahir le domicile privé. L’inquiétude des notables est donc calmée.
Les autres villageois qui ne travaillent pas pour la justice et la loi participent tout de même au
maintien de l’ordre de leur commune. N’oublions pas que Mme Bordin, la meilleure ménagère du
village, est « judicieuse ». Elle est contre le débordement et contre la révolution. Le garde
champêtre Placquevent et le capitaine Heurtaux travaillent pour le service d’ordre. Girbal, directeur
des Contributions (p.155), devient le commandant des pompiers, lors de la révolution (p.227).
Quant à Beljambe, aubergiste et adjoint au maire, il dirige la garde nationale (p.233). Et l’abbé luimême contribue à maintenir l’ordre public. Le texte précise sa fonction :
« On l’appliquait à raffermir l’ordre social. » (p.248)
Finalement, M. de Faverges, agronome et ancien député, est favorable au régime rigoureux, au
« bras de fer ». Selon lui, la société doit être régulière, classée et ordonnée. Les lois doivent être
respectées par tous les membres, puisque telle est la nature des choses.
2. L’ignorance des héros.
(1) L’ignorance du parallélisme.
1
msgg10,fo 20,p.77.
La cause de l’ordre social motive ainsi tous les comportements des Chavignollais, depuis les
savoirs qu’ils étudient jusqu’aux professions qu’ils exercent. Il est évident que pour l’intégration
dans le village, Bouvard et Pécuchet auraient dû partager la même priorité. En fait, comme le
remarque Anne Herschberg-Pierrot, les « deux amateurs exercent le rôle de l’ingénu dans la société
chavignollaise » ; ils ne connaissent pas « les codes de la bienséance » 1 . Cette ignorance des héros
se remarque dans divers domaines. En premier lieu, comme nous l’avons dit, ils ne comprennent
pas le parallélisme impératif entre l’ordre social et l’ordre naturel. Les deux chercheurs outragent à
leur insu le système social, alors qu’ils pensent sincèrement contribuer à l’étude de la régularité
naturelle. Souvenons-nous que Bouvard et Pécuchet estiment le magnétisme et la phrénologie au
même titre que les autres études officielles, à savoir la religion et l’archéologie. Selon leur logique,
les deux nouvelles disciplines équivalent aux autres domaines reconnus ; car, comme les autres
savoirs, elles servent elles-mêmes à rendre l’Univers régulier et à éclaircir les confusions. Les héros
prétendent que le magnétisme explique « les dons extraordinaires des Possédés » par une «cause
physique » (p.292) et « l’extase » par une « cause matérielle » (p.299). Quant à la phrénologie,
selon les deux phrénologues, elle explique les conduites irrationnelles de certains sujets par la forme
de leur crâne. Pourtant, pour les villageois, les savoirs sont inadmissibles, puisqu’ils «sapent » les
bases. Le magnétisme est nié, puisqu’il provoque « des périls pour la société » ; selon le docteur, les
magnétiseurs pourraient suggérer les crimes, faisant croire à des « gens vertueux » qu’ils sont
« bêtes féroces » ou « anthropophages » (p.289). La phrénologie est aussi niée, puisque cette théorie
favorise le désordre social, en donnant raison aux criminels : « Le voleur, l’assassin, l’adultère,
n’ont plus qu’à rejeter leurs crimes sur la faute de leurs bosses » (p.374). Par contre, il n’est pas
étonnant que ces savoirs soient accueillis par les foules qui ne tiennent aucun compte de l’ordre
communautaire. Il en est de même de la pratique de l’hydrothérapie, nouvelle étude apportée de la
capitale. Bouvard et Pécuchet ne se font pas comprendre par les villageois. Certes, les deux hommes
suivent strictement les règles de la discipline, en se mettant à « nus comme des sauvages », se
lançant « de grands seaux d’eau » et courant « pour rejoindre leurs chambres », tout cela dans le but
de rendre sains leur corps et leur esprit, de remettre en ordre leur constitution naturelle. Mais les
villageois sont scandalisés de cet outrage aux bonnes moeurs (p.272). Pour eux, les conduites des
protagonistes troublent l’ordre social.
Ainsi, Bouvard et Pécuchet transgressent le principe chavignollais, lorsqu’ils croient déceler
l’ordre naturel. Mais en même temps, lorsqu’ils provoquent des désordres naturels par imprudence,
ils courent aussi le risque à leur insu d’être pris pour des agents provocateurs par les notables. Il est
en effet logique que dans Chavignolles, les catastrophes naturelles causées par les protagonistes
soient comparées à des confusions sociales impardonnables pour la commune ; le parallèle est établi
entre le désordre naturel et le désordre social, outre qu’il se trouve entre l’ordre naturel et l’ordre
social. Évoquons d’abord les essais de culture potagère. Pécuchet, responsable principal du jardin,
produit des « monstres » sur la terre. Il cultive un chou gigantesque, non comestible, presque
« prodigieux ». Le légume s’écarte largement de la norme générale, ne paraît pas de la même espèce
que les choux standards cultivés par les villageois :
« Pécuc het fut content de posséder un monstre. » (p.86)
Ses melons deviennent aussi monstrueux :
« En effet, comme il avait cultivé les unes près des autres des espèces différentes, les sucrins
1
Anne HERSCHEBERG-PIERROT, Le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, Presses
Universitaires de Lille, Coll. « Problématiques », 1988, p.38.
s’étaient confondus avec les maraîchers, le gros Portugal avec le grand Mogol ? et le
voisinage des pommes d’amour complétant l’anarchie, il en était résulté d’abominables
mulets qui avaient le goût de citrouilles. » (p.87)
Il crée des fruits à la Frankenstein, « d’abominables mulets », en occasionnant une véritable
« anarchie » dans le parterre, comparable aux troubles sociaux. De même, au chapitre III, en se
plongeant dans la science naturelle, Bouvard et Pécuchet tentent de croiser du bétail, en provoquant
« des alliances anormales »(p.140) entre différentes espèces d’animaux, pour avoir une bête
inconnue :
« Ils renouvelèrent leurs tentatives sur des poules et un canard, sur un dogue et une truie, avec
l’espoir qu’il en sortirait des monstres ». (p.141)
Or, dans la “Communauté” chavignollaise, le mot « monstre » ne désigne rien d’autre que le
mauvais sujet nuisible pour la société, perturbateur dans la vie bourgeoise ; Marescot traite les héros
en défenseurs des « monstres », quand ils plaident pour les criminels comme Touache (p.318). Le
parallèle est ici clairement établi entre « d’abominables mulets » et les « monstres » sociaux. Et les
deux chercheurs, qui veulent produire des créatures curieuses, deviennent comparables aux sujets
dangereux qui encouragent les délinquants. Notons d’ailleurs que les « désordres » qu’ils produisent
dans le parterre au commencement du parcours font pendant aux « désordres » qu’ils occasionnent
dans la société chavignollaise à la fin ; selon le scénario, au chapitre X, « on les accuse d’avoir
attenté à la Religion, à l’ordre, excité à la Révolte, etc. » 1
Il est pourtant clair que les désordres ne se trouvent pas que dans l’arboriculture. Bouvard et
Pécuchet en découvrent malgré eux de nombreux dans divers domaines, à tel point qu’ils sont
obligés de renier leur idée que l’ordre est immanent à la nature. En effet, ils ont beau avoir le culte
de l’ordre naturel, partir toujours du principe que la régularité est l’origine de l’univers, ils finissent
par trouver invariablement des exceptions qui ne se soumettent pas à la régularisation. Ainsi le texte
dit :
« Une chose étrange, c’est que la Butte enfin épierrée donnait moins qu’autrefois. » (p.89)
« « C’est une exception », dit Pécuchet », lorsqu’il voit le dessin d’une rose, qui ne correspond pas à
la définition générale de la plante (p.384). En fait, il ne s’agit pas d’« une exception » ou d’une
« chose étrange » isolée. Les exceptions sont généralisées. Et contrairement à ce qu’affirme le
Dictionnaire des idées reçues, elles ne confirment pas les règles, les principes 2 . Aussi dit le
scénario : « ? donc pas moyen d’avoir de règle sur quoi que ce soit » 3 .
Du reste, les savants eux-mêmes ne savent pas établir des règles cohérentes. Bouvard s’écrie à
ce sujet :
« Les auteurs nous recommandent de supprimer tout canal direct. La sève, par là, se trouve
contrariée, et l’arbre forcément en souffre. Pour se bien porter, il faudrait qu’il n’eût pas de
fruits. Cependant, ceux qu’on ne taille et qu’on ne fume jamais en produisent ? de moins
gros, c’est vrai, mais de plus savoureux. J’exige qu’on m’en donne la raison ! ? et, non
seulement, chaque espèce réclame des soins particuliers, mais encore chaque individu, suivant
1
msg2253 ,fo 315,p.264.
p.515, DIR. La rubrique « exception ».
3
msgg10,fo 26,p.92.
2
le climat, la température, un tas de choses ! où est la règle, alors ? » (p.99)
Selon les deux protagonistes, loin de présenter une vision scientifique qui prouve l’origine ordonnée
de la nature, les spécialistes suscitent eux-mêmes les confusions. Ils ne montrent pas « la règle »,
mais des règles. Ainsi, la loi d’un archéologue est déniée par une autre thèse, qui est elle-même
déniée par une autre : « ce qui est système pour l’un est pour l’autre un étage, pour un troisième une
simple assise » (p.149). Pour les historiens, la notion de la révolution n’est pas fixée : « La
Révolution est pour les uns, un événement satanique. D’autres la proclament une exception
sublime » (p.187). Bouvard et Pécuchet constatent qu’il n’existe aucun savoir qui décrit le monde
de manière cohérente. Selon eux, l’« arboriculture pourrait bien être une blague », comme
« l’agronomie ! » (p.99) La médecine est incapable de révéler les « ressorts de la vie » (p.134).
Quant à l’hygiène, simplement, « elle n’est pas une science » (p.136). « La géologie est trop
défectueuse ! » L’histoire « change tous les jours » (p.191). L’esthétique est encore « une blague »
(p.220). La politique est d’après Bouvard « une belle saleté ! », et selon Pécuchet, « ce n’est pas une
science » (p.258). « La métaphysique ne sert à rien » (p.309). Et la morale « manque de base,
effectivement » (p.316).
Il est donc dans la logique des choses que les deux protagonistes, déçus des sciences, ne
croient plus à l’ordre naturel, au système régulier de l’univers. En empruntant les mots de Flaubert,
en effet, pour les deux hommes, ce que les notables-savants appellent l’ordre est constitué par « tous
ces petits arrangements factices de l’homme » ; mais il est évident que cet ordre artificiel peut être
balayé à tout moment lorsqu’il est survenu un vrai catastrophe naturel1 . Aussi, Bouvard et Pécuchet
finissent par se convaincre que dans le monde, les phénomènes se produisent gratuitement, a priori
sans aucun but ni lois. Bouvard dit :
« Quand il naît un aveugle, un idiot, un homicide, cela nous paraît du désordre, comme si
l’ordre nous était connu, comme si la nature agissait pour une fin ! » (p.318)
Les scénarios ajoutent :
« Il n’y a que des Faits ? des phénomènes. » 2
Cependant, cette réflexion s’oppose exactement à l’avis des savants chavignollais. Pour les
villageois, l’« ordre » de l’univers est incontestablement déjà et toujours «connu », étant pareil à
l’« ordre » de leur société gouvernée avec des lois rigoureuses. Et la « nature » doit agir « pour une
fin », pour la seule fin d’établir un système stable et permanent, comparable au système
conventionnel de la société bourgeoise. Aussi, les notables n’admettent pas l’idée de Bouvard, selon
laquelle les « vices sont des propriétés de la Nature, comme les inondations, les tempêtes » (p.318).
Au contraire, pour les villageois, les inondations et les tempêtes sont les anomalies exceptionnelles
qui doivent et peuvent être éliminées, tout comme les vices, les « débordements », les « crimes » et
les « coupables » (p.318). Pour les notables, Bouvard et Pécuchet ne font que contester « la
Providence » (p.318).
1
« En contemplant tous ces petits arrangements factices de l’homme que cinq minutes de la Nature
ont suffi pour bousculer, j’admirais le Vrai Ordre se rétablissant dans le faux ordre. » (Corr.II,
p.381, lettre à Louise Colet, 12 juillet 1853.)
2
msgg10,fo 5,p.14. Voir aussi fo 9bis,p.57.
(2) L’ignorance du sens de l’ordre.
L’ignorance des protagonistes ne se limite pas pourtant à cette homologie entre la Nature et la
Société. Bouvard et Pécuchet se méprennent aussi sur la signification exacte de l’ordre de la
Société, auquel les villageois donnent la priorité. Les deux hommes ne savent pas « distinguer entre
le sens et la lettre » (p.154-155), ne s’aperçoivent pas que l’ordre d’origine, au sens entendu par les
notables, ne désigne rien d’autre que l’ordre d’à présent de la société bourgeoise. Du même mot, les
protagonistes entendent ce que les Chavignollais ne comprennent pas ; en ce sens, Bouvard et
Pécuchet sont comme Flaubert, qui n’admet pas la signification de l’ordre utilisé par l’« on » :
« Est-ce bête, l’ordre ! c’est-à-dire le désordre, car c’est presque toujours ainsi qu’il se
nomme. » 1
Il en résulte que même si les deux hommes donnent, à leur façon, la priorité à l’ordre social, même
s’ils prétendent chasser les désordres sociaux et récupérer la régularité d’origine, ils se conduisent
toujours mal aux yeux des notables.
Dans le texte, ce malentendu est mis en lumière pour la première fois quand éclate la
révolution. Bouvard et Pécuchet approuvent le nouveau gouvernement d’établir le vrai ordre dans la
société, de supprimer l’esclavage et d’abolir la peine de mort, alors que Foureau, conservateur,
s’inquiète de tous les changements qui affectent la présente société, sa société. Le maire traite
Pécuchet même de « communiste », parce que cet homme, enthousiasmé, fait campagne pour
l’abolition du privilège des propriétaires au profit des locataires (p.229). Également, à la fin, lorsque
les deux protagonistes entreprennent le réaménagement de la commune et la redistribution des
propriétés, les notables se scandalisent à nouveau. Bouvard et Pécuchet ont beau désirer être estimés
comme fondateurs de vrai ordre, « se signaler par une oeuvre qui forçant les respects, éblouirait
leurs concitoyens » (p.405), leur projet touche le point le plus sensible des bourgeois de
Chavignolles, pour qui le système social actuel, avec la distribution de la richesse et la mise en
place des propriétés, est incontestable, déjà et toujours le meilleur ; pour eux, l’ordre social tel quel
doit remonter à l’aurore du monde. M. Jeufroy affirme, du reste, que « le monde a été créé pour
nous », pour eux, pour le bien des bourgeois (p.347). Toutes les nouvelles mesures leur semblent
donc inutiles voire dangereuses.
Ce décalage de vision entre les notables et les deux protagonistes devient encore plus évident,
lorsqu’il est question de la politique. Les deux interprétations différentes du socialisme nous
montrent bien la dissonance entre les deux hommes et la commune, concernant l’ordre social.
D’abord, pour les notables, la thèse socialiste ne soutient que le « désordre ». Elle est une des
hydres qui leur font peur :
« Hydre : L’hydre de l’anarchie. ? du Socialisme. Et ainsi de suite pour tous les systèmes qui
font peur. Tâcher de la vaincre. » (DIR.p.529)
Pour les deux bonshommes, cependant, le gouvernement rêvé des socialistes n’est pas différent de
celui des bourgeois. Il est même possible, selon le scénario, d’« établir l’indifférence de toutes les
formes », à savoir la forme « Monarchique », celle d’« aristocratique » ou celle de socialiste ou du
« suffrage universel » 2 ; dans toutes ces sociétés, il importe de régler, classer et ordonner le monde.
1
2
Corr.II, p.6, lettre à Louise Colet, 28 septembre 1851.
msg2267 ,fo 321r,p.238.
Voyons ici la description de l’utopie saint-simonienne :
« Au sommet le Père, à la fois pape et empereur. Abolition des héritages, tous les biens
meubles et immeubles composant un fonds social, qui sera exploité hiérarchiquement. » 1
En effet, cette constitution socialiste évoque le système de la société gauloise décrite par les
archéologues, et « la hiérarchie des Anges » 2 soutenue par le curé. Toutes les trois, l’ancienne, la
céleste et la socialiste, s’organisent « hiérarchiquement », forment une sorte de pyramide. Elles sont
plus ou moins réglementées.
Quant à la société du « Fouriérisme », elle semble incarner exactement l’utopie des notablesspécialistes : ici, l’importance est dans « l’Harmonie » qui concilie la constitution sociale et la
nature humaine :
« Notre âme enferme douze passions principales, cinq égoïstes, quatre animiques, trois
distributives. Elles tendent, les premières à l’individu, les suivantes aux groupes, les dernières
aux groupes de groupes, ou séries, dont l’ensemble est la Phalange, société de dix-huit cents
personnes, habitant un palais. » (p.253)
Ce « monde harmonien » (p.253) sera le règne d’un bel ordre. Il sera classé, groupé et réglé en
détail. De plus, dans cet univers, le système social sera comparable au système de la nature
humaine, de notre « âme ». L’analogie sera parfaitement établie entre la bonne nature et la bonne
société ; le monde idéal du socialiste pourrait être l’utopie où les notables veulent vivre eux-mêmes.
Il est donc possible de dire que les utopistes comme les Chavignollais rêvent de la même
forme de gouvernement. Mais aussi, ils emploient la même méthode pour réaliser cette utopie sur la
terre. Si les Chavignollais tiennent à éliminer les désordres exceptionnels pour établir l’ordre public
dans leur société, les utopistes s’efforcent de retrouver eux-mêmes les harmonies qui se cachent
derrière des confusions apparentes, derrière des constitutions fausses et injustement imposées. Ils
auraient pu, en ce sens, être approuvés dans le village en tant que savants légitimes. De fait, les
utopistes évoquent les anatomistes qui découvrent une étonnante « harmonie » dans l’« amas
inextricable » du corps humain, et Bernardin de Saint-Pierre qui décèle les Harmonies de la grande
Nature. Ils rappellent aussi les cléricaux, et ils essaient de redécouvrir l’équité d’origine, de mieux
organiser la société humaine, afin de retrouver le vrai monde ordonné. Ils sont prêts à tout faire pour
rétablir l’ordre sur la terre, pour chercher « le meilleur système ! » (p.255) Par conséquent, Pécuchet
apprécie les socialistes, hommes de foi, autant qu’il respecte les martyrs au chapitre IX :
« La hideur du monde les désolait, et pour le rendre plus beau, ils ont tout souffert. » (p.255)
Cependant, la différence entre les socialistes et les ecclésiastiques est claire. Certes, les prêtres
prêchent eux-mêmes le sacrifice pour rendre le monde « plus beau », réaliser l’utopie sur la terre et
retrouver le vrai ordre d’origine céleste. Néanmoins, comme nous l’avons vu, cette utopie sacrée est
en fait le simulacre même de la société actuelle ; les cléricaux ne font que confirmer l’ordre public
de leur époque, qui est pour eux « le meilleur système » depuis toujours. Ils n’ont aucune intention
de découvrir un système nouveau. Aussi, ils sont appréciés par tous les notables du village,
contrairement aux socialistes qui sont, eux, haïs.
1
2
p.253. Flaubert souligne.
msgg10,fo 61,p.202.
(3) L’ignorance du sens de la justice.
Finalement, la méprise de Bouvard et Pécuchet en matière de mode de vie communautaire est
révélée, lorsqu’ils parlent de la justice. Pour eux, la justice signifie un bastion impartial de l’équité,
de l’ordre universel. Il leur est inimaginable que dans la commune, le rôle du tribunal consiste
exclusivement au maintien de l’ordre de la présente société, que d’autres significations ne soient
jamais entendues. Aussi, les deux hommes poursuivent naïvement leur propre justice tout au long
de leur parcours. Ils plaident pour les gens inculpés, prévenus par la justice de la commune 1 . Ils
défendent successivement Gorgu, condamné à la prison ferme (p.241), Touache, galérien (p.317),
Dauphin, braconnier de lapins arrêté en flagrant délit (p.399). Pour ce dernier, ils prononcent un
plaidoyer passionné, en déclarant que cet homme a « défendu l’intérêt de nos campagnes » (p.401)
selon l’ordre écologique de la nature ; d’après les héros, il faut chasser les lapins, puisque « les
lapins rongent les jeunes pousses ; les lièvres abîment les céréales, sauf la bécasse peut-être... »
(p.399) De même, Bouvard veut sauver Victor des « Jeunes Détenus » (p.363), en prétendant que
l’enfant ne demande « qu’à se développer librement, comme une fleur en plein air ! et il pourrirait
entre des murs avec des leçons, des punitions, un tas de bêtises ! » (p.368)
De plus, comme ils sont convaincus de leurs propres raisons, les protagonistes vont jusqu’à
critiquer les accusateurs, les juges, les lois, le système entier de la société bourgeoise. Ils sont
surtout hostiles à la religion, qui est pourtant considérée dans le village comme un juge ultime de la
morale et des moeurs. Pour Bouvard et Pécuchet, en effet, le christianisme n’encourage que « la
paresse, en faisant de la Pauvreté, une vertu ! » L’Évangile manque de morale, puisque selon cet
enseignement, les « ouvriers de la dernière heure sont autant payés que ceux de la première. » Les
héros poursuivent : « On donne à celui qui possède, et on retire à celui qui n’a pas. Quant au
précepte de recevoir des soufflets sans les rendre et de se laisser voler, il encourage les audacieux,
les poltrons et les coquins » (p.365). Bouvard s’oppose au dogme de péché originel, au nom de sa
justice :
« Enfin ce dogme bouleverse mes notions de justice ! »(p.343)
Outre la religion, critère moral dans Chavignolles, les deux protagonistes critiquent aussi les
jugements des honnêtes hommes pour les affaires civiles et criminelles. Bouvard est d’abord outré
du jugement des bourgeois pour qui Victor est un simple voleur, menteur et nuisible pour la
“Communauté”. Ému de compassion pour l’orphelin, le héros se retourne contre le gouvernement,
la société entière :
« Bouvard fut saisi par une révolte de la pitié, une indignation contre le sort, une de ces rages
où l’on veut détruire le gouvernement. » (p.368)
Pécuchet conteste, lui, la validité du code pénal :
« Les mots contravention, crime et délit ne valent rien. ? Prendre la peine, pour classer les
faits punissables, c’est prendre une base arbitraire. Autant dire aux citoyens : « Ne vous
inquiétez pas de la valeur de vos actions. Elle n’est déterminée que par le châtiment du
Pouvoir » ; du reste, le Code pénal me paraît une oeuvre irrationnelle, sans principes. »
1
Anne HERSCHBERT-PIERROT, ibid., p.38 : « Sans paraître connaître les codes de la bienséance,
ils prennent la défense du faible, s’indignent devant l’injustice et la « férocité » ».
(p.402)
Plus tard aussi, les héros dénigrent toutes les administrations et se moquent même « du Sous-Préfet,
du Préfet, et des Conseils de Préfecture, voire du Conseil d’État, la Justice administrative étant une
monstruosité, car l’administration par des faveurs et des menaces gouverne injustement ses
fonctionnaires » (p.405).
Ainsi, avec conviction, Bouvard et Pécuchet contestent la religion et l’autorité juridique. Ils se
croient être absolument justes, à tel point qu’ils sont fort surpris, quand ils se trouvent poursuivis
eux-mêmes par la justice, par les tribunaux. En fait, les bourgeois recourent à leur dernier appui,
chaque fois que les protagonistes bouleversent l’« ordre » public, et sapent les « bases » de la
société. Notons qu’à propos de « dommages et intérêts », le Dictionnaire des idées reçues
recommande aux bourgeois d’« en demander toujours » devant les tribunaux (p.509). Déjà, à Paris,
les deux hommes sont « secoués brusquement », lorsque le beau-frère de Bouvard déclare « son
intention de régler tout devant la justice, et même d’attaquer le legs » (p.65). Enfant légitime du
père Bouvard, M. Alexandre n’hésite pas à poursuivre en justice son demi-frère, François-DenysBartholomée, pour récupérer la portion de ce dernier, fils illégitime. Mais les vraies menaces
commencent après le déménagement ; dans le village, les deux bonshommes se trouvent tout le
temps au bord de la poursuite. Les notables, dont la plupart travaillent pour le tribunal et la
magistrature, n’admettent jamais la justice des héros, et intentent des procès à ces derniers.
Pécuchet est ainsi ébahi, quand le docteur Vaucorbeil le menace des poursuites de la justice :
« Nous le verrons quand vous irez devant les tribunaux pour exercice illégal de la
médecine ! » (p.133)
Foureau menace Bouvard « de dommages et intérêts » à cause des hémorroïdes produites par
l’ordonnance illégale du héros (p.133). Le fermier Gouy se plaint à propos du terrain des Écalles
que les héros ont vendu à Mme Bordin ; le juge de paix assure que devant les tribunaux, Gouy
gagnera certainement et que les deux hommes perdront à coup sûr (p.313). Non seulement Bouvard
et Pécuchet sont menacés, mais aussi ils se trouvent poursuivis réellement en justice « pour injures
envers le garde ». Les tribunaux leur appliquent une peine « de dix francs, sous forme de dommages
et intérêts envers Sorel », en même temps qu’ils les condamnent « à cinq francs d’amende comme
coupables de la contravention relevée par le ministère public » (p.402) ; Foureau, au ministère
public, prétend ardemment que les héros ont « outragé le garde dans l’exercice de ses fonctions » et
n’ont pas respecté « les propriétés » (p.402). Finalement, à cause de la conférence, le Sous-Préfet
leur expédie « un mandat d’amener » et les gendarmes les surprennent pour les traîner en prison.
Pour les deux bonshommes, cette descente des militaires est une vraie stupéfaction. Au demeurant,
plus Bouvard et Pécuchet poursuivent leur propre justice, plus ils deviennent « incommodes » dans
la société chavignollaise (p.405). Ils sont considérés comme des dangers publics inquiétants. Ils
deviennent suspects, illégaux, dangereux, alors que leur but n’est rien d’autre que l’obtention d’un
statut légal.
III. L’apatride.
1. L’Autre dans la Campagne.
Ainsi, tandis que Bouvard et Pécuchet remplissent une des deux conditions d’entrée à
Chavignolles, celle de la spécialisation, ils ne peuvent remplir la seconde. En effet, ils n’apprennent
pas la « manière » de vivre chavignollaise, indispensable pour être intégrés dans la commune. En
effet, malgré leur imitation et leurs différents “stages” chez les notables, l’apprentissage finit par
l’échec. De toute évidence, ils ne partagent pas le même mode de vie et de pensée avec la
“Communauté”. Ils regardent le monde d’un point de vue différent de celui des villageois. Le texte
dit : « Ils mettaient en doute, la probité des hommes, la chasteté des fe mmes, l’intelligence du
gouvernement, le bon sens du peuple, enfin sapaient les bases » (p.319). Les Chavignollais
prononcent la sentence :
« Leur manière de vivre ? qui n’était pas celle des autres ?
suspects ; et même inspiraient une vague terreur. » (p.296)
déplaisait. Ils devinrent
La conséquence en est plus que grave. Bouvard et Pécuchet ne peuvent pas s’intégrer à la
“Communauté”. Ils manquent leur objectif premier. Toutes leurs tentatives sont vaines.
(1) L’autruité de Bouvard et Pécuchet.
En effet, les héros demeurent des “autres”. Même après bien des années passées, ils restent les
“étrangers” qu’ils étaient au début. Nous pouvons remarquer trois signes qui démontrent leur état
d’autrui. D’abord, il s’agit de la réaction négative des notables. Comme nous l’avons vu, les
villageois continuent à se scandaliser des manoeuvres de Bouvard et Pécuchet, depuis le début
jusqu’à la fin. Souvenons-nous que « des personnes furent scandalisées » de la pratique de
l’hydrothérapie des deux protagonistes (p.272), et qu’à cause du soutien du Bouddhisme de
Pécuchet, le « scandale redoubla » dans le cercle du comte (p.365). Leur essai de magie provoque
aussi l’indignation générale dans le village : « il se forma contre eux une sourde coalition,
entretenue par l’abbé Jeufroy, Mme Bordin, et Foureau » (p.296). Et lors de leur étude métaphysique,
à cause de leur argument peu familier, on prétend qu’« ils devaient être immoraux » ; le texte dit :
« des calomnies furent inventées » (p.319). Bouvard et Pécuchet devienne nt comme les
« Bohémiens » que Flaubert présente dans une lettre :
« Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s’étaient établis à
Rouen. ? Voilà la troisième fois que j’en vois. ? Et toujours avec un nouveau plaisir.
L’admirable, c’est qu’ils excitaient la Haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des
moutons. Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols. ? Et j’ai
entendu de jolis mots à la Prudhomme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et
de complexe. On la retrouve chez tous les gens d’ordre. C’est la haine que l’on porte au
Bédouin, à l’Hérétique, au Philosophe, au solitaire, au poète. ? Et il y a de la peur dans cette
haine. » 1
Évidemment, dans leur quête de l’intégration, Bouvard et Pécuchet deviennent eux aussi
« Hérétiques », « Philosophes », « solitaires » et « poètes », et chaque fois, ils deviennent
« suspects », inspirent aux Chavignollais « une vague terreur » voire une « haine ». Selon les
scénarios, ils suscitent « l’hostilité publique » et la « méchanceté et jalousie universelle » dans le
village 2 . « Tout le monde se tourne définitivement contre eux » 3 , même s’ils sont jugés justement
comme « inoffensifs » par Vaucorbeil dans la lettre au Préfet 4 . Le scénario dit : « Bien montrer
1
Corr.III, p.653-654, lettre à George Sand, 12 juin 1867. Flaubert souligne.
msgg10,fo 8,p.43.
3
msgg10,fo 18,p.113. Voir aussi fo 16,p.68, fo 17,p.71.
4
msgg10,fo 67,p.125.
2
l’hostilité publique parce qu’ils ne sont pas comme les autres » 1 . Les villageois n’admettent pas ces
deux excentriques qui manquent toujours de bon sens, ou de sens commun. Ils les considèrent
comme “autres”. Ils les comparent même à des « fous ». Le texte dit, à propos de Pécuchet :
« Vaucorbeil le crut fou » (p.314). Le Préfet demande au docteur si les deux protagonistes ne sont
pas « des fous dangereux » 2 .
En deuxième lieu, nous constatons que Bouvard et Pécuchet sont isolés dans le village, tout
au long de leur parcours. Ils ne se mêlent jamais à l’assemblée des habitants. Chaque fois que toute
la commune se voit réunie, les héros en sont exclus :
« et tout le village croyait maintenant qu’ils recelaient dans leur maison un véritable mort. »
(p.119-120)
« tous les Chavignollais votèrent pour Bonaparte. » (p.242)
« Et tous regrettaient l’ancien régime. » (p.359)
« c’est une de ces vérités dont tout le monde est d’accord sans qu’on puisse en fournir de
preuves ». (p.343)
Il est clair que les héros ne sont inclus ni dans ce « tout le village » qui croit à la découverte d’un
mort, ni dans ces « tous les Chavignollais » qui votent pour Bonaparte, ni dans ces «tous » qui
aiment l’ancien régime. Ils ne sont pas comptés, non plus, parmi ce « tout le monde » qui croit au
péché originel sans demander aucune preuve. Bref, ils ne sont pas Chavignollais.
Enfin, la réaction naïve des héros elle-même nous fait réaliser leur non-intégration dans la
localité. En effet, au long de leur vie, ils manifestent trop d’incertitude, trop d’étonnement et trop de
naïveté et de doute, pour passer pour initiés. Ils ne comprennent pas les choses qui sont évidentes
pour les villageois. À la moindre allusion, les deux hommes sont embarrassés et posent des
questions, alors que les membres de la commune en comprennent la signification immédiatement,
même à demi-mot. Ainsi, Bouvard et Pécuchet sont étonnés du changement brusque de l’opinion
publique lors de la révolution : « Autre sujet d’étonnement : Cavaignac baissait. La garde mobile
devint suspecte. Ledru-Rollin s’était perdu, même dans l’esprit de Vaucorbeil » (p.242). Ils sont
aussi surpris, lorsque les villageois soutiennent l’expédition de Rome, alors qu’ils s’opposaient à
l’expédition de Pologne (p.229). Pour les deux hommes, il est impossible de comprendre pourquoi
les notables approuvent aujourd’hui l’envoi militaire qu’ils ont critiqué hier :
« Bouvard écarquilla les yeux. ?
(p.243)
À propos de la Pologne, vous souteniez le contraire ? »
Le comte réplique : « Ce n’est plus la même chose ! » Les deux hommes ne comprennent pas.
Bouvard et Pécuchet sont encore embarrassés, quand les notables leur reprochent de donner une
coupe à Gorgu (p.109), d’employer ce menuisier chez eux (p.174), de prêter un roman à Mélie
(p.222). Ils s’interrogent :
« Pour Gorgu, que lui reprocher ? Il était fort habile, et leur marquait infiniment de
considération. » (p.175)
1
msgg10,fo 25,p.18.
2
msgg10,fo 32,p.116, fo 67, p.125.
Ils se demandent pourquoi Mme Castillon appelle Gorgu dans leur cour (p.198). Qui boit la bouteille
de calvados ? Est-ce « qu’on se fiche » vraiment d’eux, comme l’affirme Germaine ? (p.199) Et qui
tente d’envahir leur maison ? (p.256) Les héros ne connaissent pas les réponses. Ils ne les sauront
jamais. Et même après bien des années passées, ils sont encore surpris de l’opinion publique,
défavorable à leur choix du domestique Marcel (p.296). À l’évidence, Bouvard et Pécuchet
n’entrent jamais dans la connivence chavignollaise.
(2) Le regard dupe.
Toutefois, l’innocence des héros est trahie par leur regard silencieux autant que par leur
réaction apparente d’étonnement ou d’embarras. Leurs yeux se trompent, s’illusionnent, pour
révéler leur ignorance en matière de vie communautaire. L’écart est en effet considérable entre
l’objet réel et leur version à eux. Ainsi dit Eric Le Calvez :
« La parodie se manifeste essentiellement dans le décalage très apparent entre ce qui est et ce
que Bouvard et Pécuchet croient voir » 1 .
Cette illusion d’optique implique deux conséquences. En premier lieu, Bouvard et Pécuchet
« croient voir » un phénomène extraordinaire qui est en fait plus qu’ordinaire dans Chavignolles.
Un paysage banal pour les campagnards paraît, aux yeux innocents des héros, comparable à une
scène fantastique. Leur vision est donc déformée par des métaphores grandioses et des exagérations.
En deuxième lieu, les deux anciens Parisiens « croient » reconnaître un objet familier à la vie
urbaine, qui est en réalité purement provincial ; leur regard interprète un panorama rural mystérieux,
en comparaison avec les choses connues des citadins. Dans les deux cas, nous pouvons dire que les
héros contemplent la campagne à la manière de touristes étrangers. Étant des visiteurs
inexpérimentés, ils s’illusionnent sur le paysage énigmatique, et, ou bien ils le grandissent avec la
métaphore, ou bien ils le réduisent par analogie avec des choses qui leur sont habituelles.
En d’autres termes, dans notre texte, les comparaisons signalent l’existence des yeux neufs.
Elles montrent que les personnages, qui regardent, ne sont pas au courant du paysage. Citons ici
Jean Rousset qui affirme effectivement la relation entre le regard incertain et la tournure, dans un
article sur Salammbô :
« On sait que el s comparaisons abondent dans Salammbô. Or, les vues à distance, telles
qu’elles sont pratiquées dans ce livre, les provoquent et les motivent, permettant de les
prendre sur le vif, au moment même de leur genèse. En effet, le spectacle y est présenté
d’abord tel qu’il apparaît, ensuite tel qu‘il est. L’objet regardé y est donc considéré sous deux
aspects, à la fois différents et ressemblants ; rien de plus favorable à fonder la comparaison :
ce sera l’effet optique, l’apparence trompeuse qui fournira le comparant. » 2
Dans Salammbô aussi, la comparaison apparaît là où les regards des personnages manifestent une
1
Eric Le CALVEZ, « Paysage mouvant, paysages décrits dans Bouvard et Pécuchet », Gustave
Flaubert 3, mythes et religions (2), Lettres Modernes, 1988, p.185.
2
Jean ROUSSET, « Positions, distances, perspectives dans Salammbô », Travail de Flaubert, coll.
« Point », Seuil, 1983, p.89. Voir aussi : Jean-Luis BACKÈS, « Le Divin dans Salammbô »,
Gustave Flaubert 4, Intersections, Lettres Modernes, 1994, p.122.
certaine « incertitude sur le réel ». Seulement, dans ce roman antique, l’hésitation a pour cause
principale la distance entre les yeux et l’objet, qui provoque les « visions déformées », les
« représentations erronées », les « effets de mirage » et la « fausse interprétation » 1 . Or, dans notre
roman, les regards se trompent même de près, surtout lorsqu’ils appartiennent aux deux anciens
Parisiens. En effet, l’« incertitude sur le réel » se produit ici moins par la distance entre l’objet vu et
les personnages que par leur manque même de discernement.
Le phénomène remonte au deuxième chapitre, quand les héros sont entrés dans le “nouveau
monde”. Dès la première rencontre avec le couple Gouy, le regard des deux nouveaux propriétaires
manifeste quelque « incertitude sur le réel ». Ils admettent une fraîcheur inconnue et curieusement
campagnarde sur le visage de la fermière. Pour l’identifier, ils doivent la comparer avec « cet air de
simplicité que l’on voit aux manants sur le vitrail des églises » (p.75). De même, lorsqu’ils visitent
pour la première fois la ferme de Faverges, leur « regard encore incertain » s’illusionne sur le
paysage 2 . Pendant le trajet, déjà, ils s’aperçoivent que des « roches plus grandes formaient au loin
comme une falaise surplombant la campagne » (p.78). Dans la ferme, ils regardent les « pains de
beurre », qui leur semblent, à première vue, « pareils aux tronçons d’une colonne de cuivre » (p.81).
« Les cornes » sont plutôt « comme un cliquetis de bâtons » pour les deux ex-citadins peu informés
(p.82). Lorsqu’ils commencent eux-mêmes leur essai agronomique, ils aperçoivent des objets
inattendus dans leur propre propriété : les dômes de papier pour abriter les fleurs. Les héros les
considèrent « comme des pains de sucre, tenus en l’air par des bâtons » (p.87). L’incendie est
surtout un spectacle surprenant. « Toutes les meules, çà et là, flambaient comme des volcans »
(p.92), alors que « les grains de blé vous cinglaient la figure comme des grains de plomb » (p.92).
Les couleurs des flammes paraissent «roses comme du vermillon » ou «brunes comme du sang
caillé » (p.92). Même si ces métaphores-là sont plutôt clichés, l’« effet de mirage » grandissant y est
indéniable : ce ne sont pas de simples flammes que les héros ont connues à Paris, mais des flammes
énormes, démesurées, « comme des volcans ».
Ainsi, au deuxième chapitre, les protagonistes comparent sans cesse les paysages
chavignollais avec d’autres choses. Le décalage est apparent entre l’objet réel et la vision des deux
hommes ; ce qui est pourtant compréhensible, si nous nous souvenons de leur situation d’alors.
Bouvard et Pécuchet viennent de s’installer au village, et tout le paysage chavignollais leur est
nouveau. Ils peuvent s’y tromper. Leur regard peut être « incertain » et la « vision » peut être
« déformée ». Cependant, les expressions comparatives sont abondantes aussi dans les chapitres
suivants. Bien des années après leur déménagement, leur regard reste naïf, dupe. Même au chapitre
VIII, à l’époque de leur étude du magnétisme, ils aperçoivent un objet curieux et s’y méprennent :
« Une demi-lieue plus loin, ils remarquèrent un objet pyramidal, dressé à l’horizon, dans une
cour de ferme ? on aurait dit une grappe de raisin noir monstrueuse, piquée de points rouges
çà et là. » (p.299)
Bouvard et Pécuchet ne reconnaissent pas, au premier abord, ce que signifie cette ? chose. Leurs
yeux ne fournissent qu’une comparaison trompeuse : « une grappe de raisin ». La vraie explication
complémentaire est venue plutôt de la part du narrateur, précisant qu’il s’agit d’« un long mât garni
de traverses où juchaient des dindes se rengorgeant au soleil. » Les héros, eux, ne semblent pas
beaucoup informés de cet « usage normand », usage chavignollais, purement communautaire. Ils
restent ici des touristes étrangers ébahis.
Il est ainsi établi que tout au long du texte, le regard des protagonistes reste incertain, peu
1
2
Jean ROUSSET, ibid.,p.87.
Jean ROUSSET, ibid., p.89.
averti de leur environnement. Leur vision est constamment déformée par la comparaison. À presque
chaque page, chaque paragraphe, il se trouve des expressions telles que « comme », « pareil à », ou
« ressembler à », etc. La seule exception en est le chapitre premier. De fait, au chapitre premier,
lorsque l’histoire se déroule dans la capitale, la vision n’est jamais « déformée » et l’« effet de
mirage » n’existe pas. Nous ne trouvons nulle expression comparative dans la description de
paysage ; les tournures se retrouvent seulement après le deuxième chapitre, dès que les héros
passent à la campagne. En effet, aux yeux de Bouvard et Pécuchet, Parisiens depuis toujours, le
panorama de Paris ne montre aucun mystère. Tous les paysages sont déjà vus. Leur regard n’est pas
incertain dans cet endroit. Voici leur vision :
« Et leurs yeux erraient sur des tas de pierres à bâtir, sur l’eau hideuse où une botte de paille
flottait, sur la cheminée d ‘une usine se dressant à l’horizon ». (p.53)
Le paysage urbain est banal pour « leurs yeux ». Sans apercevoir la nouveauté, leur regard circule
sans entrave, montre une certitude très ferme. Nous pouvons en déduire que dans la capitale, durant
quelques dizaines d’années, au moins avant leur rencontre, les deux hommes ne se sentent pas
étrangers. Ils restent Parisiens et en sont heureux.
2. La “non-propriété” des héros.
Ainsi, il est établi que Bouvard et Pécuchet échouent à l’intégration dans la “Communauté”.
Ils demeurent les “Autres”, puisqu’ils ne peuvent pas apprendre la « manière » chavignollaise. Nous
examinons ici pourquoi, malgré leur volonté et leur effort durant des années, les deux hommes ne
peuvent pas acquérir la “grammaire” du comportement, qui est pourtant très simple, constituée du
respect de l’ordre public. D’où vient cette incapacité à s’instruire du mode de vie de la
« Campagne » ? En fait, il est fort possible que leur incompétence soit due à leur souvenir du passé,
de Paris. Rappelons que les deux protagonistes n’avaient jamais été “étrangers” dans la capitale ; ils
se mêlaient aisément aux foules de Parisiens ; ils connaissaient toute la ville ; ils étaient citadins,
nomades, “non-propres” jusqu’à la moelle. Ils peuvent donc conserver des habitudes urbaines
ineffaçables, qui les empêchent d’acquérir la manière de vivre à la chavignollaise. Considérons
donc des exemples typiques de leurs comportements, qui montrent les réminiscences de ces moeurs
antérieures.
(1) Le nomadisme.
Contre la frontière.
Les résidus de la vie urbaine sont remarqués, chez les deux hommes, avant tout par leur
opposition à toute sorte de démarcations. Dans la grande ville, en effet, les masses d’habitants
sortent des cadres mêmes de la classe, dévorent les systèmes. Elles s’étendent sans limite, et rendent
l’univers entier pareil à une matière uniforme. Dans le village aussi, quoique peu nombreuses, les
foules ne s’arrêtent jamais « sur le seuil » et pénètrent dans la maison sans permission du
propriétaire :
« Les gens qui s’ennuyaient sur le seuil avaient pénétré dans le fournil. » (p.120)
Notons que Germaine, un composant des masses, ne respecte pas la propriété privée, et espionne les
deux maîtres « par une fente de la cloison » (p.296). Lors de la révolution, le père Gouy envahit la
propriété de Mme Bordin et endommage le jardin (p.238). Victor pénètre aussi la maison privée,
avec beaucoup de plaisir : « Victor escaladait les murs et montait dans les combles pour y appendre
un signal, témoignait de la bonne volonté et même une certaine ardeur » (p.406). Or, nos deux
anciens Parisiens continuent à négliger les frontières encore dans Chavignolles ; ils violent les
propriétés de leurs voisins. Dès le début, en essayant l’agronomie, ils nourrissent les cochons avec
de l’avoine salée, pour les métamorphoser en « monstres » excités ; selon un scénario, les animaux
s’échappent de leur ferme et envahissent les terrains des autres 1 . Le texte dit :
« Ils embarrassaient la cour, défonçaient les clôtures, mordaient le monde ». (p.90)
Et puis, à l’occasion de l’étude médicale, Bouvard et Pécuchet commettent eux-mêmes une
invasion :
« ils visitèrent les malades tout seuls, pénétrant dans les maisons, sous prétexte de
philanthropie. » (p.130)
Ils pénètrent aussi dans le cimetière et volent le bénitier qui appartient à l’église (p.175). Quand ils
éduquent les orphelins, ils rendent les murs entre les chambres complètement inutiles, en produisant
des bruits démesurés et des désordres insupportables :
« Les maîtres professaient à la même heure, dans leur chambres respectives ? et la cloison
était mince, ces quatre voix, une flûtée, une profonde et deux aiguës composaient un charivari
abominable ». (p.371)
Finalement, au chapitre X, lorsque Bouvard et Pécuchet tentent d’arpenter le village, ils
transgressent les frontières sans gêne, envahissent des maisons comme de véritables cambrioleurs :
« Ils envahissaient les demeures ; souvent les bourgeois étaient surpris d’y voir ces deux
hommes plantant des jalons dans les cours. »(p.406)
Il est évident que leurs envahissements ne sont pas compatibles avec les comportements des
notables, qui respectent tous l’ordre social.
De fait, comme les Chavignollais ont la priorité du maintien de l’ordre, ils gardent un
comportement obsessionnel concernant le respect de la frontière. Les villageois s’interdisent de
transgresser la propriété, et n’envahissent pas la maison des autres sans permission du propriétaire.
Pour eux, la démarcation de territoires privés est intouchable. Foureau frappe à la porte avant
d’entrer dans la maison des deux protagonistes, tandis que l’arrivée de Marescot est annoncée par la
sonnette :
« un coup de poing heurta la porte. ?
champêtre. » (p.119)
« Ouvrez ! » C’était M. Foureau, suivi du garde
« un coup de sonnette retentit. C’était le notaire. »(p.221)
Même s’ils ne frappent pas la porte, les notables ne pénètrent pas dans le domicile des autres.
Ils ne violent pas la propriété ; ils s’arrêtent, au moins, « sur le seuil » :
1
msg2261 ,fo 68, p.227.
« « Qu’a-t-il fait, le Peuple ? » dit Vaucorbeil, paraissant tout à coup sur le seuil. » (p.223)
« La porte s’ouvrit, et Marescot sur le seuil, proclama la décision municipale. » (p.237)
« Sur le seuil, la robe noire du curé parut. » (p.245)
Logiquement, les notables ne tolèrent pas que les foules nomades transgressent la propriété et
provoquent le désordre dans la société. Ils chassent ces contrevenants, les poursuivent en justice et
les enferment dans une prison, afin de rendre le monde à nouveau tranquille. En traçant ainsi la
démarcation entre l’ordre et le désordre, les villageois créent artificiellement une sorte de muraille
carthaginoise qui protège la société contre l’“inondation” désordonnée de la foule. Ainsi dit JeanPierre Richard sur ce sujet :
« Pour arrêter l’inondation il suffit d’élever une digue : ainsi l’enceinte de la prison limitera de
l’extérieur tous les ravages intérieurs de l’existence liquide. » 1
En effet, les Chavignollais envoient les agents provocateurs derrière les barreaux et récupèrent la
société saine d’origine, de la même manière qu’en tant que savants, ils chassent le chaos
occasionnel dans leur domaine d’étude. Ainsi, les Chavignollais condamnent Gorgu à trois mois de
prison, « pour délit de paroles tendant au bouleversement de la société » (p.240). Ils décident
d’envoyer Victorine au couvent et Victor aux « Jeunes Détenus » (p.363), pour que les jeunes
délinquants ne dérangent plus la famille de Faverges. Foureau juge les deux héros comme
incommodes pour la société et tentent plusieurs fois de les traîner dans la prison2 . De même, en
découvrant que les « deux étrangers » tentent de démolir la falaise, murailles naturelles de la
“Communauté” de Viller, les habitants cloîtrent ces deux prétendus géologues « dans l’auberge,
dont le maître sur le seuil barre l’entrée » (p.147).
L’horizon et le trou.
Or, si les “foules” ignorent les frontières privées, elles contemplent l’horizon, à la différence
des membres de la “Communauté” qui ne regardent que les murailles. Rappelons que, pour les
barbares dans Salammbô, l’horizon est un signe de liberté contre les murs étouffants ; il représente
le désert où les esclaves sont libérés et où les nomades se déplacent sans contrainte. Bouvard et
Pécuchet montrent eux aussi cette adoration pour le panorama libre. Selon eux, le paysage doit être
sans limite ni obstacle, « un horizon borné les attristait » (p.67). Il est indispensable que leur regard
soit lancé le plus loin possible. Ainsi, lorsqu’ils reçoivent les villageois à dîner, les héros montrent
fièrement à leurs invités le paysage de leur jardin, derrière lequel « la campagne toute plate
terminait l’horizon » (p.107). La nuit, dans le ciel, ils contemplent le rouge Aldebaran «au bas de
l’horizon » (p.138). Ils voient la falaise s’en aller « vers l’horizon » (p.151). Ils aperçoivent « un
objet pyramidal, dressé à l’horizon » (p.299). Le soir de Noël, ils regardent la blancheur de la neige
se perdre « dans les brumes de l’horizon » (p.324). Pécuchet se dispute avec le curé dans le vent,
qui incline « les deux rangs d’ormeaux jusqu’au bout de l’horizon » (p.350). Et lorsque la
révolution éclate, nos deux héros déplantent un des peupliers qui bordent la prairie et dont la ligne
1
Jean-Pierre RICHARD, « La création de la forme chez Flaubert », Littérature et sensation.
Stendhal. Flaubert, Seuil, Coll. « Points », 1970, p.228.
2
BP.p.319 et p.402. Voir aussi le scénario msg2253 ,fo 315,p.265.
coupe l’horizon, pour en faire un « arbre de la liberté » (p.226)1 .
De plus, par la soif de liberté et l’agressivité envers la frontière, les foules “non-propres”
aiment les trous autant que l’horizon. Les barbares adorent les fissures dans les murs, à travers
lesquels le “liquide” s’écoule. Bouvard et Pécuchet partagent le même penchant. Tout au début,
pour leur nouvelle vie à la campagne, ils achètent une maison dont le « carrelage avait des trous, les
murs suintaient » (p.72). Le domicile est, de plus, entouré par la claire-voie dont les barreaux font
difficilement la démarcation entre l’intérieur de la propriété et l’extérieur. Voyons le texte :
« derrière la claire-voie, débarrassée de ses planches, la campagne toute plate terminait
l’horizon. » (p.106-107)
« les gens qui passaient le long de la claire-voie les entendaient tousser dans le brouillard. »
(p.97)
« Les deux bonshommes, nus comme des sauvages, se lançaient de grands seaux d’eau ; [...]
? On les vit par la claire-voie ; ? et des personnes furent scandalisées. » (p.272)
Certes, la claire-voie trace la frontière, assure la propriété privée des deux protagonistes. Mais les
barreaux ne coupent jamais la circulation entre le dehors et le dedans. Ils laissent passer librement
les regards indiscrets. Les yeux de l’extérieur et ceux de l’intérieur peuvent se croiser, se mêler,
« sur le seuil » de la frontière trouée :
« et les Messieurs allaient commencer une partie de boules, quand ils virent en face derrière la
claire-voie un homme qui les regardait. » (p.108)
Ici, les notables à l’intérieur voient un vagabond qui les regarde de l’extérieur. Il n’existe pas de
vraie séparation entre eux. Les habitants du dedans pourraient tout le temps se joindre à la masse
liquide du dehors.
Or, après s’être installés dans cette maison “trouée”, Bouvard et Pécuchet percent eux-mêmes
les murs qu’ils trouvent dans leur environnement. Ils ajoutent d’abord de nouveaux trous dans leur
domicile. Ils produisent une béance sur la cloison entre les deux chambres, le soir même de leur
déménagement (p.73) ; ils enlèvent ainsi la frontière interne de la maison. « Dans le murs de
l’espalier » du jardin, ils produisent « une brèche énorme » (p.101). Et puis, lorsqu’ils font les
géologues, en tentant d’obtenir des fossiles, ils piochent la roche, fissurent la digue, et courent le
risque de démolir une falaise entière. (p.146-147) Ils se comportent exactement comme les barbares
qui veulent détruire les murailles de Carthage.
(2) La communication avec le dehors.
1
Cf. Isabelle DAUNAIS, Flaubert et la scénographie romanesque, Nizet, 1993, p.65. « Sous
l’impulsion romantique, l’horizon apparaît d’abord comme une ouverture, le début d’un espace
autre, comme le prolongement, rempli de promesses et de possibilités, de l’espace visible », alors
qu’« au fur et à mesure que le siècle progresse, l’horizon devient symbole de limite et de fermeture,
l’esthétique réaliste se refusant à voir au-delà des données perceptibles, l’invisible ne pouvant être
représenté ». Nous ne voulons pas ici trancher la question de savoir si l’horizon flaubertien est
plutôt « romantique » ou «réaliste ». Pour nous, celle-ci reste ambiguë, elle apparaît à la fois
comme l’ouverture et la fermeture, comme la liberté et la limite du cadre.
Les lettres.
Nous pouvons observer la réminiscence de la vie urbaine aussi dans leur communication avec
le dehors. À la différence des notables qui s’isolent dans leur commune, Bouvard et Pécuchet
fréquentent les gens extérieurs. Ils ne peuvent pas vivre exclusivement dans la “Communauté”, ont
besoin de lier une relation avec le monde “non-propre”.
En premier lieu, ils optent pour la communication épistolaire. Ils écrivent les lettres destinées
aux extérieurs du village, de préférence, à Paris. Ils maintiennent ainsi leurs relations avec les
anciennes connaissances, surtout Barberou et Dumouchel. À Dumouchel, ils écrivent en demandant
son aide « pour avoir des arbustes avec des graines » (p.87), pour un microscope (p.141-142), pour
savoir « quelle est la meilleure histoire de France » (p.184 et p.191), et pour un exemplaire de la
traduction de Spinoza (p.302). Quant à Barberou, ils lui écrivent pour des renseignements sur le
mannequin à disséquer (p.119), pour faire soigner la « maladie secrète » de Pécuchet (p.270-271).
Barberou expédie à son tour un ouvrage impie (p.341). Les deux hommes correspondent aussi avec
le « notaire de Paris » (p.83), et avec un « professeur de philosophie » qui est un ami de Dumouchel
(p.219). Outre la capitale, leur destination préférée est Falaise. Ils s’adressent deux fois à « un
pépiniériste de Falaise » (p.95 et p.96) et commandent un mannequin par correspondance à un
fournisseur de « Falaise » (p.119).
La correspondance permet ainsi à Bouvard et Pécuchet de maintenir le contact avec le dehors,
avec le monde de la masse, l’univers “non-propre”. Cependant, les deux hommes ne peuvent jamais
nouer, par ce biais, des relations amicales avec l’autorité, avec le pouvoir ou avec le gouvernement.
Ils ne reçoivent jamais de réponse à leurs pétitions « au Roi » (p.130) et « à M. le préfet » (p.179).
Ils envoient « une note au Préfet, une pétition aux Chambres, un mémoire à l’Empereur », sans
recevoir aucune nouvelle (p.405). Et ils s’adressent en vain au « Maire », « à l’Adjoint, puis au
premier Conseiller Municipal » de Villers, pour se renseigner sur des fossiles (p.144 et 145). Par
contre, les notables reçoivent, eux, les réponses de l’autorité. Foureau sait « écrire au Préfet »
(p.120) et correspond effectivement avec le « Sous-Préfet » à propos d’un mandat d’amener auprès
des héros. Marescot et Faverges reçoivent eux aussi une lettre du Sous-Préfet (p.414). Quant à
Vaucorbeil, il communique avec le Préfet concernant le danger éventuel des deux excentriques.
Pour ces villageois, amis de l’ordre, qui n’écrivent jamais aux gens de Paris, la correspondance
n’est qu’un des moyens efficaces pour maintenir l’ordre public. Ils n’y voient pas d’utilité pour la
communication avec l’extérieur.
L’excursion.
Toutefois, Bouvard et Pécuchet ne se contentent pas d’avoir des relations épistolaires avec le
monde extérieur. Ils se rendent eux-mêmes dans d’autres régions, tandis que les Chavignollais sont
de vrais sédentaires. Les deux protagonistes restent en effet autant nomades qu’ils l’étaient
autrefois. Et s’ils se baladaient jadis aux alentours de Paris, leurs excursions sont, cette fois,
effectuées principalement en Normandie, pour le besoin de leur étude du moment. Bouvard va
« plusieurs fois à Falaise » et Pécuchet part à «Bretteville », pour préparer le réaménagement de
leur jardin (p.102). Ils vont tous les deux à Falaise « pour demander du jujube » à un pharmacien
(p.112). À l’époque médicale, ils se rendent « jusqu’à Bayeux pour y acheter des livres » (p.122).
Ils vont « chez le pharmacien de Bayeux » pour l’engage r à fabriquer des boulettes de médicaments
(p.130). Lorsqu’ils s’enthousiasment pour la géologie, ils vont à Port-en-Bessin, pour examiner la
falaise des Hachettes (p.145). Ils vont ensuite à Caen, à Balleroy, à Saint-Blaise, à Cartigny, à la
Chapelle-en-Juger près de Saint-Lô, et au Havre. Et ils n’hésitent pas à aller jusqu’à Fécamp (p.149150). Lors de l’archéologie, ils se rendent à Balleroy (p.167), à Mesnil-Villement (p.168), à Aubrye
(p.173), à Passais (p.176). Et ils séjournent à Caen pendant deux semaines pour l’histoire du duc
d’Angoulême (p.193).
L’exotisme.
En effet, Bouvard et Pécuchet rêvent toujours de pays lointains, même si en réalité ils ne
peuvent aller que dans les régions normandes. Curieux, ils veulent tout savoir sur le monde
extérieur. Leur vaste érudition des mondes étrangers s’observe surtout à travers les divers noms de
lieux qu’ils citent au long de leur parcours. Ils prononcent ainsi le nom de Saint-Pétersbourg où le
raisin se vend cher en hiver (p.95). Ils mentionnent « des cie rges du Pérou », « Ermenonville » et
« un jardin wurtembergeois » (p.100). Ils nomment aussi le Cantal, l’Hérault, la Bourgogne (p.140).
Pécuchet évoque l’île Julia, le Monte-Nuovo et Lisbonne (p.151). Et puis, les deux érudits citent le
Delta du Mississipi (p.156), mentionnent la baie de Baffin, les plantes équatoriales, les aurores
boréales, le Mont-Jorullo, et des mammouths de Sibérie (p.158).
Or, cet exotisme des protagonistes n’est en rien le fait du hasard, mais il se déploie selon la
nécessité du récit. Certes, à première vue, leur intérêt pour ces pays étrangers semble se manifester
au hasard des circonstances. Il semble que les deux hommes rêvent tantôt du nord tantôt du sud,
sous l’influence de leurs lectures du moment. En fait, quels que soient les pays, tous ces lieux
exotiques signifient les antipodes de Chavignolles. L’ailleurs fait rêver Bouvard et Pécuchet,
d’autant plus que la vie sédentaire les ennuie. Selon les scénarios, Bouvard et Pécuchet pensent aux
pays lointains, systématiquement lorsqu’ils se sentent « fatigués » voire « dégoûtés » de la
« Campagne ». À presque chaque chapitre, les héros sont saisis du désir de partir de la
“Communauté” et de s’en aller le plus loin possible :
« Plusieurs fois, il faut que le lecteur croie qu’ils vo nt changer d’existence et de milieu. » 1
La première fois, ils veulent quitter le village au cours de leurs études médicales : « Au milieu de la
Médecine, ils se dégoûtent de la Campagne ». Ensuite, « quand ils sont dans la Période Artistique,
ils rêvent à un voyage en Italie » ou « en Suisse ». Puis, « après les désespoirs de femme, ils pensent
encore à quitter le pays » 2 . Un autre scénario y ajoute : « Après les déboires de l’Agriculture et du
jardinage », « ils pensent à s’en aller à choisir un autre pays » 3 . Parallèlement aux scénarios, le texte
publié évoque aussi chez les héros, quoique moins clairement, le désir de l’ailleurs qui fait pendant
à leur dégoût de Chavignolles. Bouvard et Pécuchet pensent à s’en aller du village, après le choc du
résultat électoral, ? triomphe écrasant de Louis Napoléon ? :
« Tout me dégoûte. Vendons plutôt notre baraque ? et allons au tonnerre de Dieu, chez les
sauvages ! » (p.258)
Ils désirent quitter la “Communauté” et aller « chez les sauvages », chez les barbares, aux
antipodes du village normand, dans l’univers “non-propre”. Il est ici nécessaire de se rappeler qu’à
l’époque, la masse urbaine était souvent qualifiée de « barbare » ou de « sauvage ». Bouvard et
Pécuchet en effet auraient pu retourner dans leur vieux monde, à Paris, comme beaucoup de
scénarios en témoignent 4 . Selon un de ces textes, ils sont dégoûtés de « la Bêtise politique » des
Chavignollais et « des avanies personnelles qu’ils ont eues, à propos de la politique, ? ils pensent à
s’en retourner à Paris » 5 . Autrement dit, incapables de s’assimiler dans le village, les héros veulent
1
msgg10,fo 48v,p.176.
msgg10,fo 48v,p.176.
3
msgg10,fo 49v,p.179. Voir aussi fo 37,p.136.
4
Voire msgg10,fo 4,p.12, fo 25,p.18, fo 35,p.31, fo 41r,p.149 fo 53v, p.190, fo 69r,p.205.
5
msgg10,fo 69r,p.205.
2
retourner à leur univers familier, à leur monde “non-propre”. Il est évident que les protagonistes ne
peuvent pas encore couper le cordon qui les lie avec les foules, même après tant d’années passées à
la Campagne.
3. L’“Autre” dans le monde entier.
Il est maintenant clair que les deux hommes gardent encore la mémoire de leur vie
précédente. Et il n’est pas étonnant qu’ils n’arrivent pas à apprendre la « manière » chavignollaise.
Bouvard et Pécuchet demeurent “Autres”, finissent par sentir la « fatigue » et le « dégoût » dans la
“Communauté”, dans le milieu qui n’est pas le leur. Ils veulent retourner aux antipodes de la
“Campagne”, à leur vieux monde urbain où autrefois ils ont été à leur aise. Malheureusement, selon
le scénario, ils doivent essuyer une forte déception, lorsqu’ils visitent Paris après des années d’exil :
le « plaisir qu’ils s’y promettaient est fort mince. On y parle une autre langue » 1 . Ils ne partagent
plus les mêmes moeurs avec les Parisiens. Ils ne reconnaissent plus la ville qu’ils ont connue. Ils s’y
sentent “étrangers”. En fait, Bouvard et Pécuchet ont perdu la condition nécessaire pour se fondre
dans les foules, lors de leur première rencontre, déjà lointaine. Depuis, ils sont saisis du désir de la
“propriété” et ne se retrouvent plus jamais dans le véritable état “non-propre” qu’ils ont connu
avant. D’ailleurs, ils ont décidé de partir de la capitale, parce qu’ils étaient « fatigués » et
« dégoûtés » du milieu parisien, parce qu’ils se sentaient “Autres” à Paris.
Leur situation se révèle ainsi tragique. Bouvard et Pécuchet ne parviennent pas à s’intégrer à
la province, alors qu’ils n’appartiennent pas à la ville depuis le début. Ils se sentent «fatigués » et
« dégoûtés » de la «Campagne » autant que de la «Capitale », puisqu’ils ne se reconnaissent ni
comme notables, ni comme “non-propres”. Aucun des deux milieux n’est le leur. De fait, lors de la
révolution, Pécuchet ne peut se présenter ni comme « ouvrier » démuni ni comme « patron »
propriétaire :
?
?
?
?
?
« Est-ce que vous êtes ouvrier ? »
« Non. »
« Patron, alors ? »
« Pas davantage ! »
« Eh bien, retirez-vous ! » (p.237)
Le non-engagement des protagonistes est mis en pleine lumière. Au demeurant, à travers le texte,
nous n’assistons à rien d’autre qu’à la naissance de deux “apatrides”.
4. Les “apatrides” dans d’autres textes.
Devenir sans patrie, tel est le destin de Bouvard et Pécuchet. Pourtant, les deux bonshommes
ne sont pas les seuls qui doivent vivre ce sort tragique. D’autres héros de Flaubert connaissent aussi
le statut d’“apatrides”. En effet, l’intertextualité des romans de Flaubert devient évidente, quand
nous les analysons à partir du sujet principal du dernier texte, “insertion des Autres dans la
Communauté”. Ici, nous allons examiner, par ordre de publication, les textes de jeunesse, Madame
Bovary, Salammbô et l’Éducation sentimentale.
(1) Les textes de jeunesse.
1
msgg10,fo 35,p.31.
Les écrits du jeune Flaubert nous montrent des exemples d’“apatrides” beaucoup plus simples
que le cas de Bouvard et Pécuchet. Surtout, les narrateurs des textes autobiographiques en sont de
vrais prototypes. Étant adolescents, ils ont du mal à s’intégrer dans le milieu écolier. Ils s’y sentent
exclus. N’ayant pas de moyen d’en sortir, ils plongent dans une rêverie aux antipodes de leur monde
morose, pensent à l’Orient, à une utopie existant quelque part ailleurs. Voyons un exemple :
« Les imbéciles ! eux, rire de moi ! eux, si faibles, si communs, au cerveau si étroit » 1 .
Ici, le héros se trouve “autre” parmi les masses d’élèves uniformes, dépourvus d’originalité et
d’intelligence. Il se considère comme une seule personne qui n’est ni « imbécile » ni «faible » ni
« commune » ni bête de ce monde “non-propre”. Il se croit en effet un individu éminent, dégagé de
la foule ; ce qui évoque Bouvard et Pécuchet au début, qui se sentaient différents des autres copistes
parisiens. Voici un autre exemple :
« Un tas de gens plus vides que le son d’une botte sur le pavé m’entouraient et j’étais forcé
d’être leur égal, avec les mêmes mots à la bouche, le même costume. Ils m’entouraient de
questions sottes, à qui je faisais des réponses analogues. » 2
Le narrateur est un seul être humain qui a l’individualité dans la classe ; les autres élèves se
ressemblent les uns les autres comme des copies médiocres produites en masses. Le héros est
dégoûté de cet univers “non-propre” et désire s’en évader, justement comme les deux anciens
Parisiens qui voulaient sortir de la Capitale.
Outre ces textes autobiographiques, nous pouvons aussi citer les contes fantastiques du jeune
écrivain, pour constater la thématique de l’“apatride”. D’abord, il s’agit de La Peste à Florence.
L’“apatride” est ici Garcia, fratricide. Il désire désespérément être admis dans le cercle des
aristocrates. Il a pourtant beau vouloir entrer dans la haute “Communauté”, comme son modèle (son
frère) qui est, lui, membre favori de la société. Le héros se découvre exclu du « milieu » élitiste. En
dépit de son ambition dévorante, il n’est pas l’« égal » de son frère-ennemi ; ce qui nous rappelle
que Bouvard et Pécuchet finissent eux-mêmes comme “autrui” dans la “Communauté”, malgré leur
bonne volonté de devenir égaux aux notables. L’isolement de Garcia dans le « milieu » est décrit
symboliquement dans la scène du bal :
« Mais au milieu de toutes ces figures où le luxe et la richesse éclataient, au milieu de ces
femmes parées de perles, de fleurs et de diamants, entre les lustres, les glaces, au bruit du
bolero qui bondissait, au milieu de ce bourdonnement de la fête, au retentissement de l’or sur
les tables, au milieu donc de tout ce qu’il y avait d’enivrant dans le bal, d’entraînant dans la
danse, d’enchanteur dans cette longue suite d’hommes et de femmes richement parés où il n’y
avait que doux sourires, galantes paroles ? on voyait donc ? apparaître là au milieu du bal
comme le spectre de Banco la haute figure de Garcia ? sombre et pâle. » 3
La répétition des « au milieu de » est impressionnante. Effectivement, dans la fête turbulente, au
milieu du luxe, le héros est une tache noire marquante. Il est un étranger, un “autre”, un exclu.
Nous pouvons citer un autre conte meurtrier, montrant le même schéma que La Peste à
Florence :
1
Mémoire d’un fou, p.275.
Souvenirs, notes et pensées intimes, fo 21r,p.384.
3
La Peste à Florence, p.90.
2
« si je me jette au milieu des autres femmes, elles m’abandonneront en riant, me montreront
du doigt avec fierté car elles n’ont aimé personne elles ? elles ne connaissent pas les
larmes. » 1
Au « milieu des autres femmes », l’héroïne devient un “autrui”, qui était pourtant un des membres
de cette “Communauté”.
Finalement, il est question de Quidquid volueris. Le héros est un exemple par excellence
d’“apatride”. Il est incontestablement “Autre” dans le monde humain :
« et quand il reportait la vue sur lui entouré des arbres, marchant sur l’herbe seul et les
branches cassées, il tremblait. Il comprenait aussi la distance immense qui l’en séparait et
quand il en venait à se demander pourquoi tout cela était ainsi, alors une barrière
infranchissable se présentait devant lui » 2 .
Il existe « une barrière infranchissable » entre lui et le reste des humains. Il est un seul exclu. Mais
dans le monde animal aussi, il est “autre”. Mi-singe, mi-humain, il n’appartient nulle part. Il est
“apatride”.
(2) Emma.
Au premier abord, Madame Bovary, dont l’héroïne devient “apatride”, semble présenter
exactement le même sujet que Bouvard et Pécuchet, tel que l’isolement d’un “autrui” dans une
“Communauté” provinciale. Nous dirions que Emma Bovary est à Yonville-l’Abbaye ce que
Bouvard et Pécuchet sont à Chavignolles ; l’héroïne est exclue de Yonville, de la manière que les
deux héros sont chassés de Chavignolles. En effet, Emma n’est pas comme les autres villageois. Sa
« manière » est différente. Surtout aux yeux de Léon, elle est un véritable “Autre” dans la localité :
« sur le fond commun de tous ces visages humains, la figure d’Emma se détachait isolée et
plus lointaine ». (p.99)
Les habitants du village ne peuvent pas non plus être indifférents à sa démarche audacieuse, sa
beauté gracieuse et sa rêverie mélancolique, qui marquent la différence entre elle et les autres. Le
fait nous rappelle forcément que la « manière » de Bouvard et Pécuchet est considérée comme
différente par les villageois de Chavignolles.
Cependant, à vrai dire, le point commun entre l’héroïne et les deux héros ne consiste pas dans
leur isolement à la Campagne. Rappelons-nous que Emma veut toujours échapper à son univers
natal, avant même que la commune ne la trouve “étrangère” et ne l’exclue ; ou plutôt, puisqu’elle
veut en sortir, elle y devient “étrangère”. Or, au premier chapitre de Bouvard et Pécuchet, les deux
protagonistes veulent sortir, effectivement, de leur monde natal, avant que leurs collègues ne les
trouvent « drôles » et ne les excluent. En fait, le dégoût de l’héroïne pour Yonville évoque la
répugnance de Bouvard et Pécuchet pour la Capitale au début de leur parcours ; nous devons dire
que Emma Bovary est à Yonville-l’Abbaye ce que Bouvard et Pécuchet sont à Paris. Ils veulent,
tous les trois, aller aux antipodes de leur univers d’origine qui les dégoûte. Seulement, par répulsion
pour leur quotidien, la femme provinciale rêve de la «Capitale », alors que les deux citadins ne
1
2
Passion et vertu, p.226.
Quidquid volueris, p.179. Flaubert souligne.
pensent qu’à la « Campagne » ; la bourgeoise est fascinée par la grande ville, tandis que les deux
“non-propres” veulent s’installer dans la “Communauté”1 . L’aspiration de l’héroïne va à contre sens
de celui de Bouvard et Pécuchet. Voici le rêve de Emma :
« Comment était ce Paris ? Quel nom démesuré ! Elle se le répétait à demi-voix, pour se faire
plaisir ; il sonnait à ses oreilles comme un bourdon de cathédrale, il flamboyait à ses yeux
jusque sur l’étiquette de ses pots de pommade. » (p.59)
Le simple bruit des roues ferrées lui fait songer au voyage dans la capitale qui apparaît dans sa
pensée comme « une place confuse où expirait son rêve ». Emma rêve d’une ville désordonnée,
changeante. Fascinée, elle achète un plan de Paris, pour suivre les boulevards embrouillés du bout
du doigt (MB,p.59). Nous découvrons ainsi le portrait d’une notable “perverse” qui veut
abandonner son “nom propre”, ses « bases » telles que la propriété et la famille, ses racines et son
statut légitime de femme de médecin, et vivre dans le monde “non-propre”. De fait, outre qu’elle
caresse la rêverie de la vie urbaine, elle s’imagine avec son amant, dans un pays “non-propre” où
« les jours, tous magnifiques, se ressemblaient comme des flots ; et cela se balançait à l’horizon,
infini, harmonieux, bleuâtre et couvert de soleil » (MB.p.201) ; nous constatons que tout l’univers
urbaine est incarné dans cette image floue, depuis les « flots », océan de la foule, jusqu’à
l’« horizon infini », désert du nomade.
Cependant, Emma ne passe jamais à l’acte pour réaliser son rêve, à la différence des deux
bonshommes qui se rendent réellement aux antipodes de leur univers natal. Elle ne part jamais de
son monde rural. Elle ne vit pas dans la “Capitale”, ne connaît ni la masse, ni le terrible tâtonnement
pour s’intégrer à un monde étranger à elle. Son rêve ne se réalisera que très partiellement après sa
mort, dans son enfant, qui sera «pauvre », devra aller « pour gagner sa vie, dans une filature de
coton » et se retrouvera démuni, “non-propre” (MB,p.356).
Au demeurant, nous pouvons dire que le parcours d’Emma est symétrique à celui des deux
hommes : ils sont autant opposés qu’identiques. Les ressemblances sont nombreuses. Tous les trois
nient l’ici et maintenant, pour rêver de l’ailleurs. Ils lisent les livres pour imaginer le monde
inconnu ; les deux protagonistes parcourent les manuels, tandis que l’héroïne préfère les romans. Et
ils finissent tous les trois comme “apatrides”, n’appartenant ni à la Campagne ni à la Capitale.
Toutefois, l’opposition est aussi déterminante. Leur origine et leur orientation sont inverses : les
deux citadins “non-propres” veulent vivre dans la « Campagne », tandis que la bourgeoise
provinciale rêve de la « Capitale ». Leurs destins sont aussi opposés : Emma ne part pas en quête de
l’utopie, alors que les deux bonshommes osent y aller. En effet, l’héroïne devient “apatride”,
puisqu’elle s’enferme dans sa Campagne natale et ne connaît jamais la Capitale, alors que Bouvard
et Pécuchet se découvrent aliénés, à la suite de la vie campagnarde. Nous prétendons ici que
Madame « Bovary » est un « Bouvard » raté. Elle est un « Bouvaret » ou « Bouvary », qui ne peut
pas trouver son Pécuchet, son alter-égo idéal incarné par « un être fort et beau, une nature
valeureuse, pleine à la fois d’exaltation et de raffinements, un coeur de poète sous une forme
d’ange, lyre aux cordes d’airain, sonnant vers le ciel des épithalames élégiaques » (MB,p.289). Sans
cette âme sœur, elle ne peut pas partir vers l’autre monde. Elle ne sait pas tâtonner dans les ténèbres,
non plus. Madame « Bovary » doit mourir seule, étouffant dans le monde d’origine, alors que
« Bouvard » peut survivre avec son ami Pécuchet2 .
1
Cf. Françoise GAILLARD, « L’en-seignement du réel (ou la nécessaire écriture de la répétition) »,
La production du sens chez Flaubert, Colloque de Cerisy, 10/18, 1975, p.205.
2
Pour «Bouvaret », voir Corr.IV, p.175, lettre à Hortense Cornu, 20 mars 1870 : « Mme Bovary,
nom que j’avais inventé en dénaturant celui de Bouvaret ». Par contre, « Charles Bouvary » se
(3) Salammbô et Mâtho.
Salammbô présente la structure typique du binôme flaubertien : la “Communauté” versus la
foule “non-propre”. Carthage est antithétique à l’univers des mercenaires. Entre ces deux mondes,
la communication est totalement coupée :
« Les deux espaces s’excluent mutuellement. De l’un à l’autre, il n’y a pas de communication
possible : le Dedans oppose au Dehors une barrière infranchissable. Les mercenaires et leurs
alliés ne pourront plus pénétrer, après leur expulsion, dans l ‘espace clos de Carthage (chapitre
IV, XII et XIII). » 1
Logiquement, dans cet univers binôme, les hommes sont divisés en deux catégories. Ils sont soit les
Carthaginois soit les barbares ; soit ceux qui appartiennent au monde communautaire soit ceux qui
font partie des foules “non-propres”. Le reste de la population est obligé de devenir “apatride” ; il
s’agit de Mâtho et Salammbô, et éventuellement de Spendius et Hamilcar.
Dans le texte, de fait, l’ambiguïté de Salammbô est clairement décrite. Étant « bourgeoise » 2 ,
elle veut, consciemment ou non, sortir de sa “Communauté” natale pour aller dans l’univers “nonpropre”, comme Emma Bovary. En effet, Salammbô et son père Hamilcar font exception dans la
cité antique ; ils sont les seuls habitants qui montrent une certaine affinité avec le monde opposé.
D’abord, ils contemplent l’horizon, symbole de l’univers des barbares. Leur regard ne manifeste
aucune peur, alors que pour leurs concitoyens carthaginois qui vivent à l’intérieur de la ville toute
leur vie, le désert est un monde effrayant, dépourvu de la protection des murailles :
Salammbô : « Ses yeux, un instant, parcoururent l’horizon ». (p.67)
Hamilcar : « Ses yeux plongèrent dans l’extrême horizon ». (p.145)
Mais outre qu’ils lancent le regard au-delà des murs de la cité, l’héroïne et son père partent
effectivement aux antipodes de leur “Communauté”. Ils vont au désert, entrent dans le camp des
mercenaires, dans le monde “non-propre”. De plus, ils en reviennent vivants à Carthage, alors qu’en
théorie, dans cet univers binôme, la communication est totalement coupée entre les deux espaces ;
et l’aller-retour devrait en être impossible. Ils sont d’ailleurs les seuls parmi les Carthaginois qui
réussissent à établir un lien avec les ennemis barbares. Salammbô magnétise ces hommes farouches,
lors du festin, avec son récit mystérieux. Et la seule apparition d’Hamilcar suffit pour que 300
barbares déposent les armes. Entraînés « par la crainte ou par la fidélité », les transfuges se rendent
volontiers à l’ancien maître (p.183). Le suffète, à son tour, sent « l’envie de se jeter dans les
Barbares pour les conduire sur elle », sur Carthage, sur son monde d’origine (p.215).
Par contre, dans la troupe des mercenaires, les rares personnages qui sont attachés aux
antipodes de leur monde d’origine sont Mâtho et Spendius, qui font pendant à Salammbô et
Hamilcar.
trouve dans le scénario du roman, msgg9,fo 12v, reproduit dans Plans et scénarios de Madame
Bovary, présentation, transcription et notes par Yvan LECLERC, coll. « Manuscrits » C.N.R.S.,
1995.
1
François LAFORGE, « Salammbô : les mythes et la révolution », Revue d’histoire littéraire de la
France, 1985, no 1, p.34-35.
2
Le terme « bourgeois » apparaît dans les scénarios, pour désigner les Carthaginois. Voir l’édition
du Club de l’Honnête Homme de Salammbô, p.288-291.
« De ce point de vue, la situation de Mâtho et de Spendius est symétrique par rapport à celle
d’Hamilcar et de Salammbô. Tout en appartenant au monde extérieur, ils entretiennent des
rapports privilégiés avec le monde clos de la Cité. Seuls de tous les mercenaires, ils
pénétreront dans Carthage, après l’Expulsion (chapitre V) » 1 .
Nous remarquons ici surtout Mâtho, qui ressemble bien à Bouvard et Pécuchet. Comme eux, il est
d’origine “non-propre” et désire entrer dans la “Communauté”. Il ne cherche sur l’horizon que
l’ombre de Carthage :
« il essuyait avec son bras sa figure éclaboussée de sang, et, tourné vers Carthage, il regardait
l’horizon. » (p.126)
« Souvent il s’en allait du côté de Carthage pour tâcher d’apercevoir les troupes d’Hamilcar. Il
dardait ses yeux sur l’horizon ». (p.186)
Sa volonté est ferme pour regagner la ville, puisque « le génie même de Carthage » lui semble être
incarné par Salammbô (p.363). Et Mâtho y réussit deux fois ; d’abord lorsqu’il pénètre dans le
temple de Tanit avec Spendius pour enlever le voile ; ensuite quand il est entraîné dans la ville
comme captif.
Il est pourtant vrai que Hamilcar et Spendius gardent leur place dans leur ancien monde ; le
Suffète reste une élite carthaginoise et l’esclave libéré demeure dans le désert avec les barbares.
Pourtant, Salammbô et Mâtho deviennent, eux, de vrais “apatrides”. La première est exclue de la
Cité, puisqu’elle transgresse le tabou en touchant le voile et se lie secrètement à un barbare. Mais,
en même temps, elle ne peut pas partir vivre dans le désert, en tant que nomade ; elle reste “Autre”
dans le monde des mercenaires. De même, Mâtho se sépare de ses camarades “non-propres”,
puisqu’il aime Salammbô ; il devient “celui qui l’aime” ; son individualité se distingue sur le fond
uni des masses. Néanmoins, il ne devient jamais un Carthaginois. Le héros et l’héroïne finissent par
être exclus à la fois de leur univers natal et de leur monde désiré.
*
Ainsi, la plupart des héros flaubertiens finissent comme “apatrides”. Ils vivent le même sort,
étant aliénés à la fois du monde rêvé et du monde d’origine. Pourtant, nous pouvons diviser ces
“Autres” en trois catégories, selon leurs évolutions. D’abord, il existe les saints qui choisissent euxmêmes de vivre sans engagement, de n’appartenir à aucun lieu dans l’univers. Ils sont représentés
par les ermites comme Saint Antoine. Deuxièmement, certains personnages s’évadent effectivement
vers le monde désiré et tâtonnent dans les ténèbres pour s’y intégrer ; mais à la suite de leurs efforts,
ils se retrouvent exclus de ce nouveau monde comme de l’univers d’origine. Les représentants en
sont Bouvard et Pécuchet. Enfin, le troisième type d’“apatrides” sont ceux qui restent à la frontière
des deux mondes, comme les héros de Salammbô, Madame Bovary et des textes de jeunesse. Ils ne
font jamais une escapade réelle pour vivre aux antipodes de leur univers d’origine. Ils ne
connaissent aucun tâtonnement pour s’insérer dans le monde inconnu. Ils plongent seulement dans
leur rêverie, en pensant à l’utopie idéale, opposée à leur quotidien. Et ils sont tous morts, étouffés,
comme Emma, Salammbô et Mâtho, et les héros des textes de jeunesse, Djarioh, Garcia, Mazza
(l’héroïne de Passion et Vertu) et le fou.
(4) Frédéric.
1
François LAFORGE, Ibid., p.35.
Le faux-ami.
Cependant, outre Bouvard et Pécuchet, il reste un héros qui ne se contente pas de rester dans
son pays d’origine, ou de se retirer du monde comme un ermite. Il s’en va réellement de l’univers
natal et tâtonne dans le nouveau monde pour s’y intégrer. Nous parlons du héros de l’Éducation
sentimentale. Frédéric Moreau est un vrai faux-ami de Bouvard et Pécuchet. Son parcours est
symétrique au leur, plus que tous les autres itinéraires que nous venons de décrire. Sur ce sujet,
Albert Thibaudet est très clair :
« le plan et le sujet de cette Éducation intellectuelle rappellent ceux de l’Éducation
sentimentale. Bouvard et Pécuchet répondent à Frédéric et à Deslauriers. » 1
L’Éducation sentimentale fait pendant à Bouvard et Pécuchet. Beaucoup de critiques montrent les
coïncidences surprenantes entre les deux romans. Nous pouvons citer le même décor du Canal Saint
Martin au premier chapitre, la même situation historique de la révolution 48, la presque même
amitié qui lie les deux hommes et qui dure longtemps malgré toutes leurs différences 2 . Les deux
amis de l’Éducation comme Bouvard dorment dans deux chambres contiguës, entre lesquelles la
porte est ouverte pour qu’ils bavardent de loin dans leur lit 3 . Nous percevons dans les deux textes
« les mêmes promenades sans but, les mêmes rêves de voyages, le même état d’attente vague, de
disponibilité parfaite » 4 . Et finalement, il y a le même héritage de l’oncle.
Pourtant, la différence est aussi saillante entre les deux romans. Étant l’épreuve négative des
deux bonshommes, Frédéric leur est autant opposé que similaire ; s’il est obscur, ils sont clairs ; s’il
se tourne à droite, ils suivent le même mouvement à gauche. D’ailleurs, leurs origines sont déjà
contrastées. Frédéric est né avec tout ce qui manque aux deux copistes. Il a ses racines dans sa
province, alors que les deux bonshommes sont déracinés dans la capitale. Son nom est connu de
tout le village, alors que les deux héros sont anonymes. Il est un membre honorable de la
“Communauté”, alors que les deux Parisiens ne sont que des éléments constituants des masses. La
naissance privilégiée de Frédéric devient évidente, quand le texte révèle que sa mère est « la
personne du pays la plus respectée » :
« On la consultait sur le choix des domestiques, l’éducation des jeunes filles, l’art des
confitures, et Monseigneur descendait chez elle dans ses tournées épiscopales. » (p.56-57)
Les villageois la consultent sur diverses affaires, puisqu’elle connaît mieux que personne la
« manière » correcte de la “Communauté”. Elle sait même « l’art des confitures », comme notre
Mme Bordin qui a le secret des recettes de conserves. Mais en plus, Mme Moreau est une vraie noble.
1
Albert THIBAUDET, « Bouvard et Pécuchet », Gustave Flaubert, coll.« Tel », Gallimard, 1935,
p.211.
2
Outre Thibaudet, voir aussi : Anne-Marie BIJAUI-BARON, « Le thème bureaucratique chez
Flaubert et Maupassant », Flaubert et Maupassant, écrivains normands, Presses universitaires de
France, 1981, p.66-67. Ingrid SPICA, Le statut romanesque de Bouvard et Pécuchet de Flaubert,
Spica édition, 1982, p.249. Franca Zanelli QUARANTINI, « Sur deux incipit flaubertiens »,
Gustave Flaubert 3, mythes et religions (2), Lettres Modernes, 1988, p.159. Yvan LECLERC, La
Spirale et le Monument, SEDES, 1988, p. 21 et p.24.
3
BP,p.73 et ES,p.104.
4
Anne-Marie BIJAOUI-BARON, « Le thème bureaucratique chez Flaubert et Maupassant »,
Flaubert et Maupassant, Écrivains normands, PUF, 1981, p.66.
« Elle sortait d’une vieille famille de gentilshommes, éteinte maintenant » (p.56). Son “nom” de
jeune fille est tellement « illustre » que M. Roque, son voisin, en est fort impressionné :
« Dans ce temps-là, vous auriez été un seigneur, puisque votre mère s’appelait de Fouvens. Et
on a beau dire, allez ! c’est quelque chose, un nom ! » (p.147)
Et voici les informations complémentaires sur les noms parentaux de Frédéric :
« Mme Moreau étant la fille d’un comte de Fouvens, apparentée, d’ailleurs, aux plus vieilles
familles champenoises, les Lavernade, les Étrigny. Quant au Moreau, une inscription
gothique, près des moulins de Villeneuve-l’Archevêque, parlait d’un Jacob Moreau qui les
avait réédifiés en 1596 ; et la tombe de son fils, Pierre Moreau, premier écuyer du roi sous
Louis XIV, se voyait dans la chapelle Saint-Nicolas. »
(p.308-309)
Le “nom” de jeune fille de Mme Moreau, de « Fouvens », est célèbre, apparenté à de vieilles
familles champenoises. Mais, le nom de «Moreau » ne l’est pas moins. Il est écrit deux fois, sur
l’inscription gothique et sur la tombe dans la chapelle. Le fait donne un choc à M. Roque, «fils
d’un ancien domestique », né “non-propre”. (p.309) Pour lui, qui veut être admis dans la commune,
le “nom” inscrit est « quelque chose ». Les patronymes écrits ? soit un nom de constructeur des
moulins, soit un nom trouvé sur une tombe dans « la chapelle » ? lui paraissent assurer les
propriétaires d’une renommée. Cette révérence de M. Roque pour le nom écrit nous rappelle la
naïveté de Pécuchet, qui respecte lui-même les noms écrits des trois fondateurs de « la chapelle »
(BP.p.333). Du reste, ces deux hommes se ressemblent fort physiquement. Nous pourrions dire que
M. Roque est un sosie de Pécuchet. Voici le portrait :
« Quand il ôtait sa casquette, on apercevait un visage presque féminin avec un nez
extrêmement pointu ; ses cheveux de couleur jaune ressemblaient à une perruque ». (p.147)
Une « casquette », une certaine «féminité », un « nez pointu » et des cheveux ressemblant à une
« perruque », tous ces attributs sont aussi ceux de Pécuchet.
Paris.
Ainsi, né dans un milieu différent des deux héros de Bouvard, le jeune campagnard caresse un
rêve contraire au leur. Frédéric est attiré par l’antipode de sa province, Paris, le monde de la masse ;
« car, dans ses idées, l’art, la science et l’amour (ces trois faces de Dieu, comme eût dit Pellerin)
dépendaient exclusivement de la Capitale » (p.145). Vivant retiré dans la Campagne, « il regrettait
jusqu’à la senteur du gaz et au tapage des omnibus » (p.146). Quand il pense ne jamais sortir de son
pays natal, de la province, le désespoir le submerge : « Il maudissait le sort, il aurait voulu battre
quelqu’un » (p.144). Or, au premier chapitre de notre roman, les deux copistes ressentent la même
douleur, pensant ne jamais sortir de leur monde d’origine, de la Capitale. Frédéric pourrait crier
comme eux : « Quelle situation abominable ! Et nul moyen d’en sortir ! Pas même d’espérance ! »
(BP.p.62)
La « situation » de Frédéric est semblable à celle de Madame Bovary ; le fils du notable aspire
à la vie parisienne autant que la femme du médecin de campagne. Pourtant, si Emma, cloîtrée dans
sa province, ne suit le labyrinthe de Paris que « du bout du doigt » sur la carte, Frédéric peut aller à
l’antipode de son univers natal grâce à l’héritage providentiel, tout comme les deux héros de
Bouvard peuvent s’installer dans le monde inconnu, grâce à l’héritage 1 . Et Frédéric va se perdre
complètement dans l’univers qui lui est inconnu, comme les deux bonshommes qui tâtonnent dans
les ténèbres. En effet, la Capitale est tout le contraire de sa Campagne natale, calme et ordonnée.
L’époque est à la révolution. Les foules déferlent sur les boulevards, envahissent le palais, forment
un fleuve uni. La massification se généralise. Le désordre est à son comble. Là-bas, les
conservateurs parlent comme les socialistes (p.469). Une bourgeoise comme Mme Dambreuse imite
une « cocotte » Rosanette, alors que celle-ci décore sa maison à la manière des bourgeoises, Mme
Dambreuse et Mme Arnoux2 . Quant à M. Dambreuse, il abandonne dès 1825, peu à peu, « sa
noblesse et son parti ». Il ne s’appelle plus le comte d’Ambreuse (p.66). À sa place, les ouvriers
deviennent nobles. La confusion va ainsi s’étendre dans toute la capitale.
Les amis “non-propres”.
Frédéric commence ses tâtonnements pour s’intégrer dans ce Paris en désordre. Ils découvre
avant tout la “non-propriété” qui caractérise plus ou moins les habitants de cette grande ville. Parmi
ses connaissances, le typique représentant en est Sénécal, socialiste. Il incarne à lui seul tous les
esprits “non-propres” des masses parisiennes. Il s’oppose à l’individu : « il ne considérait que les
masses et se montrait impitoyable pour les individus » (p.258). Il déteste la “propriété” éminente, la
distinction et l’originalité : « Les titres nobiliaires, les croix, les panaches, les livrées surtout, et
même les réputations trop sonores le scandalisaient, ? ses études comme ses souffrances avivant
chaque jour sa haine essentielle de toutes distinction ou supériorité quelconque » (p.193). Et il
adopte l’imitation :
« comme chaque personnage se réglait alors sur un modèle, l’un copiant Saint-Just, l’autre
Danton, l’autre Marat, lui, il tâchait de ressembler à Blanqui, lequel imitait Robespierre. »
(p.374)
À la fin, il aura « Disparu ! »; personne ne saura ce qui le saisit (p.507). En effet, la disparition de
Sénécal est tout à fait logique. Lui, qui énonce un grand “Non” à l’égard de la “propriété”, ne
pourra que nier, finalement, sa propre existence. Il parviendra ainsi à s’effacer lui-même.
Il est vrai que les autres amis parisiens de Frédéric sont moins catégorique que cet homme de
foi. Seulement, ils ressemblent à Bouvard et Pécuchet, déracinés, anonymes, copistes et “nonpropres”. Hussonnet est un « bohème » (p.96) ; à l’avenir, il occupera une haute place au théâtre et
dans le journalisme, occupations symboliques dans la société de masse. Dussardier est « bâtard » et
vit sans famille (p.80), comme les deux anciens copistes. Quant à Pellerin, il collectionne les mêmes
objets que les deux bonhommes, à savoir « une tête de mort sur un prie-Dieu, des yatagans, une
robe de moine » (ES.p.86) ; de fait, Bouvard et Pécuchet se procurent une « tête de mort » pour
pratiquer la magie (BP.p.294) ; Bouvard s’agenouille devant « le prie-Dieu », « affublé d’une
couverture de laine » qui servit de « robe de moine » (BP.p.172) ; Pécuchet porte lui aussi « la robe
de moine », à l’époque religieuse (BP.p.331) ; et ils possèdent une « hallebarde » au lieu des
« yatagans » (BP.p.170). La situation familiale du peintre est aussi semblable à celle des deux
héros ; Pellerin « vivait sans maîtresse », comme Pécuchet qui « vivait complètement seul sans
parents, sans maîtresse » (BP.p.59). Quand le peintre parcourt les livres, il poursuit le même objectif
1
Cf. Albert Thibaudet, op.cit., p.211. « Pour Frédéric, provincial, le monde que lui permet cet
héritage, c’est Paris. Pour Bouvard et Pécuchet, Parisiens, c’est la vie indépendante à la
campagne. »
2
p.189 et p.202. Cf. Philippe DUFOUR, Flaubert et le Pignouf, Presses Universitaires de
Vincennes, coll.« L’Imaginaire du Texte », 1993, p.112.
que les Bouvard et Pécuchet :
« Pellerin lisait tous les ouvrages d’esthétique pour découvrir la véritable théorie du Beau,
convaincu, quand il l’aurait trouvée, de faire des chefs-d’oeuvre. » (p.86)
Effectivement, les deux hommes fouillent les textes esthétiques, convaincus eux aussi de « faire des
chefs-d’oeuvre » quand ils auront répondu à la question : « qu’est-ce que le Beau ? » (BP.p.219)
Autre rapprochement : les deux bonshommes ont des connaissances contradictoires, alors que
l’érudition de Pellerin, « ses connaissances, ramassées pêle-mêle, rendaient ses paradoxes
amusants » (ES.p.87). Finalement, le peintre a le même destin que Bouvard et Pécuchet :
« Pellerin, après avoir donné dans le fouriérisme, l’homéopathie, les tables tournantes, l’art
gothique et la peinture humanitaire, était devenu photographe et sur toutes les murailles de
Paris, on le voyait représenté en habit noir avec un corps minuscule et une grosse tête. »
(p.506)
Il finit comme photographe, après avoir essayé de trouver quelque chose de propre à lui. Il diffuse
des copies photographiques et remplit les murs de ses portraits, à moins qu’il ne remplisse les murs
de ses noms écrits à la manière d’une certaine Mme Pauline Viardot. Or, Bouvard et Pécuchet
finissent eux-mêmes par reprendre la copie, après avoir tenté toutes les entreprises possibles, y
compris « le fouriérisme » et « les tables tournantes » 1 .
L’échec.
Au premier abord, il semble que Frédéric apprenne la « manière » des citadins, à l’exemple de
ces amis de Paris. Le héros vagabonde dans la ville, sans destination, comme flâneur ou nomade :
« il faisait dans Paris des courses interminables. » (p.73)
« Il remontait, au hasard, le quartier latin ». (p.116)
« Alors, il vagabonda dans les rues. » (p.129)
« il flâna aux alentours de l’hôtel de ville ». (p.129)
« Frédéric dîna seul, puis flâna sur les boulevards. » (p.140)
« Puis la toile baissée, il erra dans le foyer ». (p.141)
« Il erra d’escalier en escalier, de bureau en bureau. » (p.158)
« une interminable flânerie de la Bourse à la Madeleine, et de la Madeleine au Gymnase ».
(p.159)
Ainsi errant, Frédéric se comporte apparemment comme Regimbard, qui se déplace d’un café à un
autre, depuis huit heures du matin jusqu’à une heure du lendemain matin. Ou bien, le héros
ressemble à Bouvard et Pécuchet ; il parcourt les collections du Louvre, va au spectacle (p.69),
exactement comme le font les deux bonshommes ; il entre même dans une salle du Collège de
France afin d’écouter une leçon de chinois ou d’économie politique (p.73), alors que les deux
bonshommes assistent au cour d’arabe de la même école. Pourtant, malgré une apparence similaire,
l’errance sans fin de Frédéric est fort différente de celle des Parisiens. Tandis que les citadins
comme Bouvard et Pécuchet nagent librement dans la capitale, Frédéric y est presque noyé, perdu.
1
Voir : Claudine GOTHOT-MERSCH, « Le roman interminable : un aspect de la structure de
Bouvard et Pécuchet », Nouvelles recherches sur Bouvard et Pécuchet, Paris, SEDES-CDU, 1981,
p.14.
La Capitale est pour lui comme un labyrinthe obscur. Il ne sait ni où il est, ni d’où il vient. Il
continue seulement son tâtonnement dans les ténèbres.
Ainsi, « Paris n’est donc jamais présenté à Frédéric comme une totalité, une synthèse, lorsqu’il
l’aborde » 1 . Les rapports entre les Parisiens lui semblent d’autant plus incompréhensibles. Il est
surpris par les petites anecdotes de la capitale qui lui paraissent mystérieuses, alors que les autres en
sont parfaitement informés. Chez Dambreuse, on parle de personnes que le héros ne reconnaît pas et
ne connaîtra jamais (p.186). Il ne comprend pas pourquoi Arnoux est si sombre au retour de la
soirée de Rosanette (p.183) et pourquoi Mme Arnoux devient triste du souvenir du soir de SaintCloud (p.191). Il ne peut pas deviner si Rosanette aime Arnoux, si elle déteste la Vatnaz (p.207). Du
reste, Frédéric ne comprend pas ce que veut dire « la tête de veau », jusqu’à la fin. En effet, « Paris
est un système de rapports et de références à la fois si fluide et depuis si longtemps constitué que
Frédéric n’en acquerra jamais absolument la maîtrise » 2 . Nous pouvons nous souvenir de
l’ignorance de Bouvard et Pécuchet concernant les affaires chavignollaises. Bien qu’au village les
relations ne soient pas vraiment «fluides », ils n’arrivent pas à la « connivence » privilégiée des
habitants 3 . Ils restent des “autres”. Et les “autres” n’arrivent jamais à cette « connivence ».
Or, les Parisiens pour leur part n’acceptent pas Frédéric, un “intrus”. Lors de la conférence
politique, les auditeurs l’expulsent, en le considérant comme «Aristo » (p.380). Même ses amis lui
deviennent hostiles, quand il leur offre le déjeuner après son héritage. Le héros se sent isolé :
« Frédéric était resté seul. Il pensait à ses amis, et sentait entre eux et lui comme un grand
fossé plein d’ombre qui les séparait. » (p.200)
L’apatride.
Frédéric reste étranger dans la Capitale. Et comme toujours, l’“autre” est « dégoûté » ou
« fatigué » du monde qui ne l’accepte pas. De même que les deux bonshommes veulent s’en aller de
Chavignolles vers leur univers d’origine, Frédéric veut partir de Paris et retourner à son pays natal :
« Frédéric était un peu fatigué ; la province et la maison maternelle le délasseraient. Il partit. »
(p.307)
Mais à peine arrivé, il s’ennuie. Et il s’en va à nouveau à Paris :
« D’ailleurs, la nostalgie du boulevard commençait à le prendre » 4 . (p.320)
En effet, le héros ne peut plus vivre paisiblement dans son milieu d’origine, car depuis qu’il a désiré
en partir, il a changé. Il n’est plus le jeune garçon provincial qu’il était. Il est “étranger” à la
Campagne en même temps qu’à la Capitale. Il n’est de nulle part. Ainsi, à la fin, il ne cesse ses
allers et retours entre Paris et l’ailleurs, comme le dit le texte :
« Il voyagea. »
« Il revint. » (p.500)
1
Marie Claire, BANCQUART, « L’espace urbain de l’Éducation sentimentale : intérieurs,
extérieurs », Flaubert, la femme, la ville, PUF, 1983, p.147.
2
Jean BORIE, Frédéric et les amis des hommes, Grasset, Paris, 1995, p.99.
3
Jean BORIE, ibid., p.97. L’italique est dans le texte.
4
Cf. Anne GREEN, « Flaubert : Paris, Elsewhere », Romance Studies, no 22, Autumn, 1993, p.7-15.
Frédéric devient “apatride”.
La raison de l’échec.
Pourquoi alors est-il exclu de Paris, bien qu’il ait la volonté de s’intégrer ? La question se
pose naturellement. Nous pouvons en supposer la réponse, à l’exemple de Bouvard et Pécuchet. Il
est en effet possible de dire que Frédéric ne s’intègre pas, puisqu’il ne suit pas la « manière »
correcte respectée par les foules, à cause de son résidu de la “propriété”. En effet, le héros ne suit
pas le conseil de Deslauriers d’imiter Rastignac. Contrairement à des gens “non-propres”, Frédéric
n’est pas expert dans la mimêsis qui serait, pourtant, bien utile pour s’intégrer dans le monde
justement “non-propre”. Né avec son “propre” nom, Frédéric pense pouvoir se faire admettre à
Paris, par son propre talent inné (certes latent), par son existence même. Et cette « confiance
inexplicable » (p.220) le fait se dégager des amis imitateurs. D’ailleurs, même s’il se dirige souvent
selon les conseils de ses amis dans l’univers qui lui est obscur, il n’imite personne en ce qui
concerne son grand désir, son grand amour pour Mme Arnoux. Malgré l’indifférence de son meilleur
ami, il insiste, et continue à l’aimer ; par contre, Deslauriers finit par imiter Frédéric : vêtu comme
ce dernier, citant son nom, il tente de séduire Mme Arnoux (p.311-312).
*
Le roman finit par la scène où Frédéric et Deslauriers résument leur vie respective. Ils la
considèrent comme un échec. Selon eux, Frédéric a échoué à cause d’un « défaut de ligne droite »,
alors que son ami a échoué à cause de « trop de logique ». Nous sommes d’accord pour Deslauriers.
Né “non-propre”, l’homme a voulu se faire un “nom” et devenir membre de l’élite. En réalité, il
reste anonyme et démuni, sans famille ni fortune. Sa femme l’a quitté, à la manière de la femme de
Bouvard. Il change sans cesse de métier, comme Pécuchet change d’activité avant de devenir
copiste ; Deslauriers devient successivement « chef de colonisation en Algérie, secrétaire d’un
pacha, gérant d’un journal, courtier d’annonces, pour être finalement employé au contentieux dans
une compagnie industrielle » (p.506). Cet homme évoque ainsi Barberou, ami “non-propre” des
deux héros, qui pendant vingt ans a connu « toutes sortes de fortunes » (BP.p.337). Effectivement,
la « logique » de Deslauriers ne sert pas à l’insérer dans le cercle des élites.
Mais, en ce qui concerne Frédéric, nous pouvons considérer que son désir est comblé malgré
tout, car après être passé par son époque “apatride”, il parvient finalement à devenir Parisien,
lorsqu’il abandonne son amour pour Mme Arnoux. Quand il la quitte, il perd tout ce qui le fait luimême, sa raison d’être, sa preuve d’existence. Il oublie sa “propriété” et devient “non-propre”. Il
apprend alors à se fondre dans la masse, à traverser à son aise les rues fluides de la grande ville. Il
arrive à appartenir à la Capitale, même si son destin ne correspond pas tout à fait à ce qu’il a jadis
imaginé.
Conclusion.
Reprenons ici la question, que nous avons posée au début de cette deuxième partie. Comment
Bouvard et Pécuchet tâtonnent-ils dans les ténèbres, pour s’insérer dans la “Communauté” ? La
réponse est maintenant claire. En effet, pour devenir membres sociétaires, les protagonistes essaient
d’atteindre deux objectifs différents. D’abord, ils tentent de s’individualiser, d’être uniques et les
meilleurs dans le village. Dans ce but, ils portent des chapeaux singuliers. Ils se spécialisent dans
les domaines inconnus aux notables. Mais en même temps, les deux nouveaux venus s’efforcent
d’apprendre la «manière » de vivre propre à la “Communauté”. Ils abordent les « bases » de la
société. Ils tentent de trouver les lois de la nature et d’éliminer les désordres apparents, comme le
font les spécialistes du village. Ainsi, le texte entier est structuré suivant leurs essais d’intégration.
Cependant, l’entreprise des protagonistes finit par l’échec. Car, même s’ils réussissent tant
bien que mal à se spécialiser, première condition d’entrée, ils n’apprennent pas le mode de vie
communautaire, qui est aussi nécessaire pour l’intégration. Ils ne comprennent pas que les notables
donnent la priorité au respect de l’ordre social. Et il semble que Bouvard et Pécuchet sont
incapables de s’instruire à la manière campagnarde, à cause de leur souvenir de la vie précédente.
Les deux hommes gardent encore les habitudes urbaines, qui les empêchent d’acquérir la manière
de vivre à la chavignollaise. Pourtant, il est évident qu’ils ne vivent pas non plus à la parisienne. Ils
ne sont pas purement des citadins “non-propres” comme ils l’étaient avant leur rencontre. En fait,
ils ne sont ni des campagnards ni des citadins. Ils n’appartiennent ni à l’élite du village, ni aux
masses “non-propres”. Ils deviennent “apatrides”.
Or, ce sort tragique de Bouvard et Pécuchet est vécu aussi par les autres héros de Flaubert.
Emma Bovary, Salammbô et Frédéric deviennent eux-mêmes “apatrides”. Le sujet de notre roman
philosophique est ainsi apparu, repris, modifié dans les autres romans de l’écrivain ; en fait, ses
textes racontent presque toujours l’exclusion des individus du monde entier. Nous pouvons dire que
l’apatride est un thème primordial dans la « philosophie » de Flaubert.
Troisième Partie
La désillusion et le nouveau départ.
Introduction.
Dans la partie précédente, nous avons constaté que Bouvard et Pécuchet sont fatigués voire
dégoûtés de Chavignolles, puisqu’ils ne peuvent pas s’y intégrer, à tel point qu’ils rêvent de s’en
aller ailleurs. Pourtant, une question se pose à ce sujet : est-ce que le fait d’échouer à s’assimiler
explique entièrement leur dégoût du village normand ? En effet, l’insuccès de l’intégration ne
semble pas suffire à expliquer que la « Campagne » répugne tellement aux deux hommes, d’autant
plus que les personnages d’origine campagnarde éprouvent eux-mêmes le même dégoût que les
deux ex Parisiens envers le monde rural. Emma et Frédéric veulent partir aux antipodes de leur
commune natale dont ils sont les membres sociétaires. En effet, ces campagnards sont dégoûtés de
leur Campagne, puisqu’elle n’est en rien utopique.
Dans notre texte aussi, Bouvard et Pécuchet se découvrent désillusionnés par le village, en
même temps qu’ils se trouvent isolés dans ce même village normand, à la suite de leurs tentatives
d’intégration. Plus ils avancent dans les essais, plus ils aperçoivent les aspects inattendus et
décevants de Chavignolles. La première bonne impression va vite se dégrader. Les deux hommes
réalisent qu’ils ont jadis commis une erreur de choix. Chavignolles, qu’ils ont choisi parmi d’autres
sites, ne correspond pas à leur utopie tant rêvée. Le village a de grands défauts impardonnables pour
les deux hommes comme pour les autres héros flaubertiens : les habitants de la province ne
possèdent ni la “propriété” ni la manière commune de vivre. Ils manquent de ces deux conditions
nécessaires pour être membres de la “Communauté” idéale. Les élites campagnardes ne se
différencient pas au fond des masses “non-propres”. Le texte dit :
« Bouvard et Pécuchet furent dégoûtés du petit nombre comme du grand. La plèbe en somme,
valait l’aristocratie ». (p.243)
Dans notre troisième partie, nous examinons, successivement, ces deux défauts des Chavignollais,
qui passaient pourtant inaperçus au début, grâce aux apparences favorables et trompeuses du
village.
I. La“ non-propriété”.
1. Le défaut de Chavignolles.
(1) Les journaux.
D’abord, nous constatons le manque de “propriété” chez les habitants. Ce défaut est confirmé,
surtout lorsque la révolution éclate. À cette époque, les villageois commencent à lire les journaux.
Or, selon Flaubert, « la Presse est une école d’abrutissement, parce qu’elle dispense de penser » 1 .
Les lecteurs sont amenés à faire tout « ce que l’on fait dans le monde », à s’habiller « d’après le
journal de modes » 2 , et à tourner « comme des girouettes, tous les matins, selon ce que on dit » 3 .
Autrement dit, la presse est un vrai outil de la massification. Elle est donc une ennemie de premiers
rangs pour les individus éminents. L’écrivain affirme que les journaux « sont par essence hostiles à
1
Corr.IV, p.376, lettre à George Sand, 8 septembre 1871. Cf. Serge MOSCOVICI, L’Âge des foules,
Fayard, 1981, p.41.
2
Corr.II, p.519, lettre à Louise Colet, 29 janvier 1854.
3
Corr.15, p.509, lettre à sa nièce, 9 décembre 1876. Flaubert souligne.
toute personnalité un peu au-dessus des autres. L’originalité, sous quelque forme qu’elle se montre,
les exaspère » 1 . De fait, dans le texte, plus les villageois lisent les journaux, plus ils sont influencés
par les masses. La “Communauté” chavignollaise s’approche du monde “non-propre”, alors que
jadis, les deux endroits semblaient être éloignés l’un de l’autre 2 . Le texte dit :
« Chavignolles reçut le contrecoup des agitations de Paris. Les bourgeois s’abonnèrent à des
journaux. » (p.229)
« et comme à Paris on plantait des arbres de la liberté, le Conseil municipal décida qu’il en
fallait à Chavignolles. » (p.226)
Notons que plus tard, les villageois se précipitent pour déplanter ces arbres de la liberté, quand ils
apprennent que l’opinion publique évolue vers la réaction (p.244). Maintenant, grâce à la presse,
aucun événement de la capitale n’échappe plus aux villageois :
« On croyait aux purées d’ananas de Louis Blanc, au lit d’or de Flocon, aux orgies royales de
Ledru-Rollin ? et comme la province prétend connaître tout ce qui se passe à Paris, les
bourgeois de Chavignolles ne doutaient pas de ces inventions, et admettaient les rumeurs les
plus absurdes. » (p.234)
Les villageois se comportent justement comme la foule qui « ne peut avoir d’intelligence » (p.242),
qui avale la presse populaire, qui croit même aux « rumeurs les plus absurdes ». Ils n’ont pas leur
propre discernement, ni d’opinion personnelle hors de l’emprise de l’opinion publique. Ils ne sont
pas des individus. Lors des élections, d’ailleurs, les Chavignollais votent tous pour Bonaparte
« comme un troupeau » (p.242), afin de participer aux six millions de voix, afin de se fondre dans
les masses “non-propres”. Il est évident que les villageois manquent d’un élément primordial pour
résister à l’effet massificateur de la presse quotidienne. Ils n’ont pas la “propriété”, émanation de
leur être unique, synonyme d’originalité et de singularité.
(2) Les personnages tertiaires.
Considérons ici comment apparaît la “non-propriété” des Chavignollais dans le texte. Nous
remarquons d’abord les nouvelles populations qui, selon le scénario, apparaissent dans le village au
fur et à mesure que la fin s’approche 3 . Ces « personnages tertiaires » peuvent être qualifiés
effectivement de masses. Ils croissent progressivement, pour changer le village petit à petit en un
repaire de foules. Déjà, au deuxième chapitre, 300 personnes anonymes viennent assister à
l’incendie des champs (p.92). À l’occasion de la révolution, les « ouvriers » viennent de l’extérieur.
Les « paysans » de l’agglomération, qui sont « plus nombreux » que les ouvriers (p.231),
s’attroupent sur la place publique. Le texte dit :
« Des ouvriers passèrent sur la route, en chantant la Marseillaise. » (p.228)
1
Corr.15, p.479, lettre à Guy de Maupassant, août 1876.
Cf. Roger BELLET, Presse et journalisme sous le Second Empire, Armand Colin, 1967, p.30 :
« l’industrie, sous le Second Empire, a peuplé les villes et transformé les campagnes : le journal va
s’insérer de plus en plus dans la vie quotidienne des populations moins disséminées et plus avides
de connaître le monde. Les journaux, même en province, vivent des villes. »
3
msgg10,fo 47r,p,170.
2
« Les ouvriers d’Acqueville,
Chavignolles. » (p.234)
Liffard,
Pierre-Pont
et
Saint-Rémy
marchaient
sur
« Des paysans et leurs femmes, des ouvriers des fabriques voisines, des gamins, se tassaient
par derrière ». (p.227)
Et à la fin du texte, la masse inonde la maison de Bouvard et Pécuchet : « Affluence progressive de
la foule » 1 .
Les autres « personnages tertiaires », qui ne forment pas le troupeau, sont aussi “non-propres”
que l’assemblage des paysans et ouvriers. Ces gens apparaissent dans le texte, sans noms, désignés
exclusivement par leurs appartenances sociales. Voici la liste de ces personnages, que nous
énumérons dans l’ordre de leur apparition :
? Plusieurs cultivateurs et aubergistes, qui refusent de vendre le fumier de cheval. (p.77)
? Des faneuses, un domestique et 14 moissonneurs, un berger, un domestique, les gens de
travail chez le comte. (p.79-82)
? 2 charretiers, 2 femmes, un valet, un berger, que les héros emploient pour leur ferme.
(p.83)
? un serrurier, un quincaillier, un charpentier. (p.95)
? un boulanger, un épicier. (p.112)
? un bouquiniste. (p.122)
? un forgeron. (p.128)
? une voisine qui prête un bouc. (p.141)
? un valet d’écurie chez Castillon. (p.160)
? un vétérinaire et un charron. (p.284)
? un couturier (p.294)
? un tailleur et un cordonnier. (p.309)
? un maçon et un couvreur. (p.312)
? un conducteur. (p.316)
Contrairement aux notables dont nous connaissons les noms dès le début, ces nouveaux villageois
restent anonymes à jamais, et ne révèlent que leurs professions. Ils ne montrent pas leurs pensées,
leurs situations familiales, leurs savoirs ni leurs croyances. Ils ne sont pas personnalisés. D’ailleurs,
à la différence des élites villageoises, ces gens anonymes ne parlent même pas. Ici, l’absence de la
“propriété” est une évidence. Ils sont indiscutablement “non-propres” ; ils ne font qu’augmenter la
population chavignollaise, compléter la liste démographique du village. Ils ne se distinguent pas des
masses de la capitale.
De fait, ces « personnages tertiaires » du village ressemblent de près aux Parisiens du premier
chapitre. Nous pouvons même dire que la liste de ces Chavignollais anonymes est la suite de la
nomenclature des Parisiens. Les deux inventaires sont identiques, même si l’un enregistre les
métiers ruraux, et l’autre les métiers urbains. Voici la liste des citadins anonymes, désignés
exclusivement par leur professions :
? un « mariée » et un « collégien ». (p.53)
1
msg2253 ,fo 288v,p.263. Voir aussi msg2253 ,fo 316,p.267.
?
?
?
?
?
?
?
?
un « fille de joie » et un « soldat ». (p.53)
un « prêtre ». (p.54)
des « consommateurs ». (p.55)
un « garçon » de restaurant et un « limonadier ». (p.56)
un « professeur » du Collège de France. (p.61)
un « facteur ». (p.62)
des « commis ». (p.63)
des « collègues ». (p.67)
Les campagnards anonymes sont semblables aux citadins “non-propres”. La « Campagne »
ressemble à la « Capitale ». Bouvard et Pécuchet ont raison de s’en désespérer.
(3) Les notables.
Cependant, à première vue, les notables semblent, eux, se différencier de ces masses. Ils ne
semblent pas être “non-propres”, car, ils gardent leurs particularités, à la différence des
« personnages tertiaires ». Chacun a son trait distinctif. Chacun a son nom propre. Chacun s’instruit
dans une science, se charge d’une fonction unique, met un vêtement caractéristique et se sert d’une
terminologie spéciale, pour marquer son propre territoire face aux voisins. Jeufroy, Marescot et
Faverges se distinguent les uns des autres, ne se transforment pas en masses uniformes. En fait,
malgré leur nom et leur rôle particulier, ces notables sont au fond identiques aux foules
impersonnelles, désignées exclusivement par les métiers. Ils sont en réalité dépourvus de
“propriété” autant que les masses. Leur dite particularité ne dérive pas de leur individu éminent,
mais seulement de la profession qu’ils exercent. Même leur façon de parler ne montre pas leur
personnalité, mais seulement leur métier. Marescot exprime l’avis du notaire, au lieu de montrer son
avis personnel. L’officier Heurtaux soutient l’opinion de l’officier, alors que le garde champêtre
Placquevent émet justement le discours du garde. Le progressisme de M. Vaucorbeil ne concerne
pas son propre discernement, mais son métier de médecin. Quant à leurs chapeaux caractéristiques,
à leurs choix d’une terminologie spécifique, ils n’individualisent pas les notables, mais les
catégorisent selon leurs statuts sociaux. Une « calotte » ne désigne pas l’individu Jeufroy, mais fait
savoir son “métier” de curé ; en fait, M. Jeufroy s’habille comme un ecclésiastique en général. De
même, Coulon adopte un style de juge. Le maire arbore un genre de magistrat réactionnaire. Le
comte devient une “espèce” de gentilhomme agronome à l’air anglais, en s’habillant avec une
certaine élégance et en se servant de paroles hautaines. À vrai dire, ces notables ne montrent jamais
leur originalité, proprement dite.
Prenons pour exemple M. Jeufroy. Cet homme est reconnu dans le village seulement en tant
qu’homme à soutane. Il n’est au fond qu’un curé typique et caricatural, exactement semblable aux
autres ecclésiastiques. Il partage les mêmes avis que ses collègues, si bien que son opinion dite
personnelle est en réalité toujours l’opinion collective. Il est d’ailleurs certain qu’existent,
« jusqu’aux antipodes » (p.319) de Chavignolles, d’autres Jeufroy desquels le nôtre ne se distingue
pas. Son éventuelle personnalité, qui le rendrait singulier même parmi des milliers
d’ecclésiastiques, est éclipsée par son professionnalisme. Autrement dit, son statut ecclésiastique
prive M. Jeufroy de son éventuelle “propriété”, pour lui donner en retour une “non-propriété” et le
changer en monsieur tout le monde. Voici l’article de Philippe Dufour sur ce sujet :
« Vous croyez choisir un métier, il vous impose un langage. L’être privé est aliéné à l’être
public, le pour soi au pour autrui. L’identité sociale fabrique celle de l’individu. » 1
Selon Flaubert, de fait, lorsqu’un homme obtient un emploi raisonnable ou fonde un foyer
convenable, il rejette sa propre personnalité qui le différencierait des autres. Pour lui, avoir la
“profession” ne signifie rien d’autre que perdre la “propriété”. Ainsi dit-il :
« je serai comme un autre, comme il faut, comme tous, un avocat, un médecin, un sous-préfet,
un notaire, un avoué, un juge tel quel, une stupidité comme toutes les stupidités, un homme du
monde ou de cabinet ce qui est encore plus bête. » 2
Or, étant « un juge tel quel », M. Coulon est «bête », “non-propre” ou « comme tous », alors que
l’existence de M. Larsonneur se résume à sa fonction d’« avocat ». M. Marescot est un « notaire »,
mais rien de plus. Quant à M. Vaucorbeil, il n’existe plus en tant qu’individu qui jouit du libre
choix : il est contraint de se conduire comme « un médecin », « comme un autre » ou comme «un
homme du monde ou de cabinet ». En effet, dès le moment qu’ils s’établissent dans leurs
professions, ces notables rejettent leur éventuelle originalité, et commencent à se comporter
convenablement, « comme il faut », suivant les manières correctes de leurs nobles métiers. Ils sont
contraints de reprendre les idées reçues, pour « avoir l’air » du curé, l’air du notaire et l’air du
maire. Ils deviennent les moules impersonnels des campagnards. En ce sens, ils ne se distinguent
nullement des « personnages tertiaires », à savoir un « conducteur » anonyme, un « couvreur » muet
et un « couturier » sans visage.
Cette identification entre les notables et les masses est confirmée surtout dans les scénarios :
la nomenclature de ces élites est à l’origine l’exacte copie des éventails des masses “non-propres”.
Tout comme les campagnards anonymes (moissonneurs, cultivateurs, etc.) et les citadins
impersonnels (mariés, collégiens, etc.), les notables sont eux-mêmes anonymes, muets et désignés
exclusivement par leurs appartenances sociales (médecin, notaire, etc.) Leur ressemblance avec les
foules est indéniable dans le scénario. Voici cet inventaire originaire des célébrités chavignollaises :
«?
?
?
?
?
?
la Veuve
le médecin ?
un ouvrier socialiste
le fermier
Le Curé
le notaire qui <leur> a vendu la propriété. » 3
Certes, apparemment, dans le texte publié, cette similitude entre les notables et les masses
anonymes semble dissimulée, car les membres de l’élite y sont plus ou moins personnalisés. Ils ont
leur propre nom, leurs propres mots, et leur propre physionomie, même si dans le scénario, ils sont
de simples termes dans une nomenclature. Néanmoins, le plan originel laisse une trace ineffaçable
dans le texte publié, à tel point que nous retrouvons, dans Bouvard publié, la liste des moules
campagnards, comparable à l’inventaire du scénario. En effet, il suffit de juxtaposer les paragraphes
notant les premières apparitions des notables dans Bouvard et Pécuchet. Nous constatons que dans
le texte publié aussi, la similitude est indéniable entre les notables nommés et les masses anonymes.
1
Philippe DUFOUR, « Flaubert et la parole de l’autre : citer dans la correspondance », Romantic
review, mai 1992, p.331.
2
Corr.I, p.49, lettre à Ernest Chevalier, 23 juillet 1839. Flaubert souligne.
3
msgg10,fo 33,p.23. Voir aussi msgg10,fo 46r,p.167.
Voici cet inventaire des notables, qui évoque à la fois l’énumération de leurs prototypes dans le
scénario et les deux listes des foules (rurales et citadines) dans le texte définitif :
? « c’était M. Vaucorbeil, un docteur fameux dans l’arrondissement. » (p.74)
? « Les autres notables étaient le comte de Faverges, autrefois député, et dont on citait les
vacheries, le maire M. Foureau qui vendait du bois, du plâtre, toute espèce de choses, M.
Marescot le notaire, l’abbé Jeufroy, et Mme veuve Bordin, vivant de son revenu. » 1 (p.7475)
? « le fermier, maître Gouy ». (p.75)
? « M. Foureau, le maire, en écharpe tricolore » 2 . (p.92)
? « sur M. Hurel, son factotum » (p.103)
? « Marianne la serva nte de Mme Bordin » (p.103)
? « M. Girbal, directeur des Contributions ». (p.155)
? « le capitaine Heurtaux, propriétaire ». (p.155)
? « Beljambe l’aubergiste ». (p.155)
? « Langlois l’épicier ». (p.155)
? « Mme Castillon la fermière. » (p.198)
? « Coulon le juge de paix ». (p.227)
? « Alexandre Petit le nouvel instituteur ». (p.227)
? « Placquevent, le garde champêtre » (p.228)
? « Chamberlan, le bedeau ». (p.281)
? « Migraine, le maçon ». (p.281)
? « la fille du père Barbey, un ancien capitaine au long cours ». (p.282)
? « Reine, la servante de M. le curé. » (p.330)
? « M. le baron de Mahurot, ingénieur ». (p.341)
? « Mme de Noaris leur dame de compagnie ». (p.345)
? « Sorel, le garde-chasse ». (p.361)
? « Canot, le coiffeur ». (p.374)
? « un certain Dauphin savetier ». (p.398)
? « le père Aubain, commissionnaire dans les villages ».(p.398)
? « Eugène, domestique chez M. Marescot ». (p.399)
? « Voisin filateur, Oudot gérant d’un laminoir et Mathieu orfèvre l’industrie nationale »
(p.404)
Dès leur première apparition dans le texte, les notables sont désignés par leurs statuts sociaux,
systématiquement et sans exception. Aucun d’eux n’apparaît dans le texte sans être associé à un
métier, alors qu’aucun ne dévoile une vraie “propriété”.
Il s’avère donc que le village n’est ni un refuge, ni l’antipode de la Capitale, ni une
“Communauté” d’individus où chacun détient une singularité. Les habitants réels n’ont pas
l’originalité. Ils ne sont que des professionnels typés. Ils ne se distinguent pas des foules qui
traînent dans les rues de la grande ville. Bouvard et Pécuchet sont, en effet, naïfs de croire s’être
éloignés définitivement des masses, lors de leur déménagement. Ils ont beau avoir fui les Parisiens
et s’être installés à Chavignolles en espérant y trouver les nouveaux compagnons ayant, eux, la
1
2
Il s’agit du commentaire de Germaine.
L’apparition réelle du maire dans le texte, hors du commentaire de Germaine.
“propriété”, ils retrouvent à la campagne le même entourage qu’à la ville. Les villageois ne se
distinguent pas de collègues copistes. Or, comme nous l’avons vu, désespérés de cette découverte
autant que de leur isolement, les deux amis tentent plusieurs fois de s’en aller ailleurs. Ils rêvent de
l’antipode de leur Campagne, de pays lointains et exotiques, de l’utopie qui existerait quelque part,
à moins qu’ils n’imaginent de rentrer à la Capitale. Cependant, le texte montre que, pour le malheur
des héros, il en va de l’ailleurs comme de Chavignolles. Le monde entier est en réalité comme le
village normand. La “propriété” est partout expropriée. Où qu’ils aillent, les deux protagonistes ne
pourraient jamais fuir les entourages “non-propres”. Ils découvriraient toujours des professionnels
typés. Même « à l’autre bout de la France », ils rencontreraient « sous des noms différents, le
même curé, le même recteur, le même préfet ! » (p.247) Et il existe «jusqu’aux antipodes d’autres
Coulon, d’autres Marescot, d’autres Foureau » (p.319). Au demeurant, nos deux héros ne peuvent
jamais fuir « le même encrier, les mêmes plumes et les mêmes compagnons » qu’ils ont supportés à
Paris (p.62).
2. L’univers “non-propre” selon Flaubert.
L’univers entier s’avère maintenant “non-propre” ; même « aux antipodes » (p.319), même « à
l’autre bout de la France » (p.247), il n’existe pas de lieu utopique, dont les habitants possèdent
l’originalité ou la “propriété”. La découverte de Bouvard et Pécuchet évoque inévitablement la
vision du monde de Flaubert, qui déplore lui-même l’inondation infinie de la masse, l’effacement
des individualités et l’impossibilité de retrouver une “Communauté” idéale. En fait, à travers le
parcours des deux protagonistes, à travers le roman philosophique, nous apercevons les réflexions
de l’écrivain, répétées maintes fois dans sa Correspondance.
Les idées de Flaubert deviennent plus claires, lorsque nous considérons la situation politique
et sociale de son époque. Les «capacitaires », alors censés être capables de juger, de décider et
d’élire les députés par leur propre discernement, se révèlent influençables. Selon l’écrivain, ces gens
dits “éclairés” ne possèdent pas en réalité d’intelligence ou d’individualité. Ils ne sont que des gens
possédant une richesse imposable. Ils sont des bourgeois, qui seront absorbés finalement dans les
masses uniformes. Après la révolution de 1848, de fait, le droit de décision est donné formellement
à la masse anonyme. Le cercle des individus d’élite a bel et bien disparu. En effet, pour Flaubert,
l’arrivée du suffrage universel symbolise la “non-propriation” générale de la société moderne, qu’il
traduit en propagation du « bourgeoisme ».
« Moi, je comprends dans ce mot de « bourgeois » les bourgeois en blouse comme les
bourgeois en redingote. » 1
Tout le monde devient « bourgeois », ce qui implique « l’humanité entière maintenant, y compris le
peuple » 2 . Car, le peuple « lit les mêmes journaux et a les mêmes passions » que le bourgeois 3 ,
« lequel bourgeois n’est même plus bourgeois, car depuis l’invention des omnibus la bourgeoisie est
morte ! oui, elle s’est assise là, sur la banquette populaire, et elle y reste, toute pareille maintenant à
la canaille, d’âme, d’aspect et même d’habit ! » 4 Pour l’écrivain, le phénomène signifie la
disparition de l’individualité, plutôt que la diminution d’analphabètes et l’élargissement de l’égalité.
Voici la lettre ouverte à la municipalité de Rouen, dans laquelle Flaubert dénonce le plus clairement
1
Corr.III, p.642, lettre à George Sand, 17 mai 1867.
Corr.II, p.179, lettre à Louise Colet, 22 novembre 1852.
3
Corr.IV, p.384, lettre à George Sand, 7 octobre 1871.
4
Corr.II, p.518. lettre à Louise Colet, 29 janvier 1854. Flaubert souligne.
2
la “non-propriation” de la société :
« La noblesse française s’est perdue pour avoir eu, pendant deux siècles, les sentiments d’une
valetaille. La fin de la bourgeoisie commence parce qu’elle a ceux de la populace. Je ne vois
pas qu’elle lise d’autres journaux, qu’elle se régale d’une musique différente, qu’elle ait des
plaisirs plus relevés. Chez l’une comme chez l’autre, c’est le même amour de l’argent, le
même respect du fait accompli, le même besoin d’idoles pour les détruire, la même haine de
toute supériorité, le même esprit de dénigrement, la même crasse ignorance ! » 1
Toutes les distinctions ont disparu. À présent, nobles ou bourgeois, les hommes caressent « le même
amour de l’argent ». Ils sont motivés par « la même haine de toute supériorité ». Le nivellement
s’étend à la société entière.
Ceci a un effet déplorable dans le domaine littéraire. La “Communauté” des artistes se fond
elle-même dans la masse. Par conséquent, alors qu’en 1844, Flaubert pouvait encore rêver d’une
utopie d’écrivains, d’« un petit cénacle de bons garçons, tous gens d’art » 2 , en 1878, il déclare que
ses collègues ne sont plus des artistes proprement dit, qu’il ne trouve plus un seul poète dans son
entourage :
« Je crois que personne n’aime plus l’Art, l’Art en soi. Où sont-ils ceux qui trouvent du plaisir
à déguster une belle phrase ? » 3
Les artistes d’aujourd’hui lui semblent avoir perdu leur noblesse. Ils poursuivent le succès mondain
ou pécuniaire, en pensant seulement au nombre de vente de leurs livres. Ils sont influencés
complètement par l’opinion du public-masse. Ils deviennent des marchands :
« Ce qui m’indigne c’est [le] bourgeoisme de nos confrères ! Quels marchands ! quels plats
crétins ! » 4
Les artistes ne se distinguent même plus des « épiciers » :
« Il y a plus de bourgeois[is]me pur dans les gens de lettres que dans les épiciers. Que font-ils
en effet, si ce n’est de s’efforcer par toutes les combinaisons possibles de flouer la pratique, et
en se croyant honnêtes encore ! (c’est-à-dire artistes), ce qui est le comble du bourgeois. » 5
Ainsi, «tous les gens de lettres d’aujourd’hui » sont des «bourgeois » 6 . Et « des gens de talent »
qui sont en réalité « médiocres » 7 . Il en est pour les lecteurs comme pour les écrivains. Le public,
1
« Lettre de M. Gustave Flaubert à la municipalité de Rouen au sujet d’un vote concernant Louis
Bouilhet », Pour Louis Bouilhet, textes édités et annotés par Alan Raitt, University of Exeter Press,
1994, UK, p.21.
2
Corr.I, p.209, lettre à Louis de Cormenin, 7 juin 1844.
3
Corr.16, p.50, lettre à Mme Roger des Genettes, 27 mai 1878. Voir aussi Corr.16, p.60, lettre du 9
juillet 1878.
4
Corr.II, p.576, lettre à Louis Bouilhet, 30 mai 1855. Flaubert souligne.
5
Corr.II, p.91, lettre à Louise Colet, 15-16 mai 1852. Voir aussi Corr.IV, p.625, lettre à George
Sand, 12 déc. 1872 : « Toute sa noblesse sociale maintenant consiste à être l’égal d’un Épicier. »
6
Corr.15, p.546, lettre à Mme Roger des Genettes, 3 mars 1877. Flaubert souligne.
7
Corr.II, p.15, lettre à Louise Colet, 3 novembre 1851.
« on », est imbécile, dépourvu de tout jugement personnel : « On est un immense sot collectif. Et
pourtant, ô misère, nous travaillons pour amuser on » 1 .
De fait, à partir des années 1860 où se développe la scolarisation obligatoire, la littérature
cesse d’être le privilège d’une petite élite 2 . Le public s’accroît considérablement. Et la production
en masse de romans a commencé. Le cénacle des artistes perd son sens. Le cercle des cultivés à la
manière du 18e siècle n’existe plus. Selon Jean Dubois, d’ailleurs, « lorsque ce sent iment de
supériorité intellectuelle perdra de sa justification avec la pénétration de l’instruction dans la classe
ouvrière et que les structures sociales se modifieront, les termes de « classes éclairées »,
« intelligentes », « instruites » ou «pensantes » deviendront désuets. » 3 Les lecteurs comme les
écrivains deviennent des masses. Ils ne sont plus des gens privilégiés de l’art. Ils ne sont pas les
membres de la “Communauté”, à proprement parler.
(1) Harel Bay.
L’apocalypse flaubertienne se résume donc dans la formule suivante : la masse uniforme
inonde le monde entier, détruit toutes formes de supériorité et d’originalité ; il n’existe nulle part
une “Communauté” d’individus, qui résiste à cette inondation ; la fin est d’ailleurs annoncée, avec
l’arrivée du suffrage universel. Cette vision se retrouve notamment dans le projet du roman intitulé
Harel Bay. En effet, son « grand roman social » devait synthétiser les arguments sur la “nonpropriation”, posés dans ses deux autres romans, « roman historique » et « roman philosophique ».
Voici le plan décrit dans le carnet de travail :
« Le grand roman social à écrire (maintenant que les rangs et les castes sont perdus) doit
représenter la lutte ou plutôt la fusion de la barbarie et de la civilisation ; la scène doit se
passer au désert et à Paris, en Orient et en Occident. Opposition de moeurs, de paysages et de
caractères tout y serait, et le héros principal devrait être un barbare qui se civilise « près d’un
civilisé qui se barbarise » » 4
Le civilisé se barbarise et le barbare se civilise. La distinction entre la cité et le désert n’existe plus.
Les murailles à la carthaginoise ont complètement disparu. Il n’existe pas non plus de distance
“bouvardienne” entre la Campagne et la Capitale, entre la Communauté et la masse. Il reste
simplement la « fusion » entre la « barbarie » et la « civilisation », ou entre les gens “non-propres”
et les gens dits éclairés. Une lettre de l’écrivain explique clairement cette vision :
« Je voudrais faire un civilisé qui se barbarise et un barbare qui se civilise, développer ce
contraste des deux mondes finissant par se mêler. » 5
En effet, les « deux mondes », qui sont opposés dans Salammbô et qui se rapprochent l’un et l’autre
dans Bouvard et Pécuchet, devraient « se mêler » dans Harel Bay, fin de la trilologie. Il n’y
1
Corr.IV, p.866, lettre à Edma Roger des Genettes, 26 septembre 1874. Flaubert souligne.
Voir : Christophe CHARLE, La crise littéraire à l’époque du naturalisme. Roman, théâtre et
politique, Presses de l’école normale supérieure, 1979, p.42.
3
Jean DUBOIS, La vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872. Larousse, 1962, p.1516, la rubrique « classe ». Cf. Gretchen Van Slyke, « Les épiciers au musée : Baudelaire et l’artiste
bourgeois », Romantisme, no 55, 1987, p.55.
4
Carnet 2, fo 5v, Carnet de travail, édition de Pierre Marc de Biasi, 1988, Balland, p.213.
5
Corr.16, p.15, lettre à Mme Roger des Genettes, 10 novembre 1877.
2
existerait plus une Cité antique ou une Campagne qui peut s’éloigner de la masse. L’univers entier
deviendrait homogène, monotone, “non-propre”. Le binôme flaubertien a disparu. L’uniformité se
généralise.
(2) L’apatride.
Flaubert se trouve ainsi seul dans cet océan de masses. Comme nous l’avons vu dans la
première partie, il se compare à Noé :
« Je me sens submergé par le flot de bêtise qui la [la France] couvre, par l’inondation de
crétinisme sous laquelle peu à peu elle disparaît. Et j’éprouve la terreur qu’avaient les
contemporains de Noé, quand ils voyaient la mer monter toujours. » 1
Pourtant, il a beau chercher un lieu de refuge, il sait maintenant que l’abri n’existe plus.
Personne ne peut fuir cette inondation universelle qui ne finit jamais : « Mais où s’arrêtera le
débordement de la Stupidité publique ?... » 2 Flaubert ne peut pas devenir Noé, car il n’a pas son
« Arche », sa “Communauté”. D’ailleurs, il n’a personne à sauver. La plupart de son entourage
semble content de se mêler dans la masse. Le reste a déjà disparu :
« J’ai enterré presque tous mes amis ou du moins les plus intimes. Et voici la liste : Bouilhet,
Sainte-Beuve, Jules de Goncourt, Duplan, le secrétaire de Cernuschi, et ce n’est pas tout !
Mon entourage intellectuel n’existe plus. Je me trouve seul comme en plein désert. » 3
La liste est close par Gautier, qui meurt, selon Flaubert, en étouffant dans cette uniformité de
masse : « Théo est mort empoisonné par la charognerie moderne. Les gens exclusivement artistes
comme lui n’ont que faire dans une société où la plèbe domine. » 4 Gautier est mort, parce qu’il ne
pouvait pas échapper à la société des masses, parce qu’il ne pouvait pas appartenir à une utopie
d’individus. Laissé seul, Flaubert se retrouve plus que jamais solitaire face à l’océan. Il se sent
justement “apatride” :
« je me sens étranger au milieu de mes compatriotes » 5 .
« Et il est triste de faire de la littérature au XIXe siècle ! On n’a ni base, ni écho. ? On se
trouve plus seul qu’un Bédouin dans le désert. » 6
« J’appartiens à un autre monde. Les gens de mon métier sont si peu de mon métier ? » 7
Maintenant, à la place de l’opposition entre les masses et la “Communauté” d’élites, apparaît le
contraste entre l’univers “non-propre” et l’apatride. Le binôme se trouve, non pas entre la
1
Corr.IV, p.814, lettre à Edma Roger des Genettes, 17 juin 1874.
Corr.IV, p.625, lettre à Ivan Tourgueneff, 12 décembre 1872.
3
Corr.IV, p.208, lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, 8 juillet 1870. Flaubert souligne.
4
Corr.IV, p.600, lettre à Ivan Tourgueneff, 30 octobre 1872. Flaubert souligne. Voir aussi Corr.IV,
p.598, lettre à George Sand, 28 octobre 1872.
5
Corr.II, p.100, lettre à Louise Colet, 29 mai 1852.
6
Corr.II, p.538, lettre à Louise Colet, 19 mars 1854.
7
Corr.IV, p.894, lettre à George Sand, 2 décembre 1874.
2
« Campagne » et la «Capitale », mais entre le monde entier et quelques rares exclus. L’écrivain
peut se comparer à Bouvard et Pécuchet, qui, en pensant de la mondialisation de la “non-propriété”,
sentent « peser sur eux comme la lourdeur de toute la terre » (p.319). L’écrivain peut même
affirmer : « Bouvard, c’est moi », en signant ses deux lettres du nom de « BOUVARD » 1 .
3. Le “nom non-propre”.
Pourtant, nous devons poser les questions justement sur le “nom” : admettons que les
Chavignollais manquent de “propriété”, que représentent leurs noms ? De quelle fonction se
chargent ces nombreux patronymes des villageois ? Comment les définir ? Pour y répondre,
revoyons d’abord les définitions du nom propre et du nom commun. Comme nous l’avons vu, le
nom “propre” est défini comme le représentant unique de la “propriété”. Il est l’unique appellation
de cette qualité essentielle d’un individu, puisqu’aucun autre moyen n’est suffisant pour le
représenter. Des milliers d’adjectifs et de substantifs pourraient être utilisés, en vain, pour décrire ce
qui rend un homme singulier. Au mieux, ces mots indiquent une partie de la “propriété”, et au pire,
ils comparent celle-ci avec d’autres choses qu’elle-même. En effet, les vocables ne servent qu’à des
métaphores et métonymies, qui ne peuvent pas par définition saisir la “propriété” incomparable,
incompatible et indivisible d’un individu. Seul le “nom propre” peut désigner la “propriété” ; il est
son seul représentant possible. Logiquement, ce nom ne doit évoquer rien d’autre que cet essentiel ;
il ne doit pas signifier ni suggérer de notions communes. Il ne doit pas devenir synonyme ou
antonyme d’autres mots. Aussi, le “nom propre” ne doit pas faire partie d’un paradigme dans lequel
il est articulé par rapport à d’autres termes. Il doit rester singulier. Il doit exister en soi, s’identifier
en soi et s’isoler de toutes sortes de relations extérieures, pour désigner exclusivement la
“propriété” unique.
Le “nom commun” se définit comme la notion contraire de ce “nom propre”. Tandis que les
noms uniques doivent être exempts de toutes sortes d’associations, les “noms communs” sont
identifiables seulement dans un paradigme, dans un système de différence. Ces noms sont donc
dépendants de la nomenclature, dans laquelle ils sont articulés par rapport à d’autres noms. Aucun
d’entre eux ne serait plus valable ni signifiable, hors de ce système de différences. De fait, dans le
texte, Bouvard et Pécuchet prétendent, en vain, que la liste est peu importante, qu’elle est
superficielle, qu’elle ne leur apprend que les différences entre les espèces :
« Et puis la nomenclature les irritait. » (p.149)
« D’ailleurs, la nomenclature est le moins important de la Botanique. » (p.384)
Chaque fois qu’ils rejettent ainsi une nomenclature, ils doivent renoncer à apprendre les vocables
eux-mêmes. Il est évident que la classification est indispensable pour qu’ils acquièrent les savoirs ;
sans elle, aucun phénomène ne serait plus identifiable. Un « gneiss » ou un « argile » se fond dans
« la variété des couleurs et du grenu », si l’inventaire de « l’argile et la marne, le granit et le gneiss,
le quartz et le calcaire » n’est pas établi (p.149). Les héros ne peuvent jamais « savoir les noms des
roches » (p.149). De même, Bouvard et Pécuchet ne peuvent pas identifier un nom de nuée,
lorsqu’ils arrêtent de catégoriser les signes nuageux « d’après la classification de Luke-Howard » et
de « distinguer les nimbus des cirrus, les stratus des cumulus » dans un système de différences
(p.88). En ce qui concerne les noms de plantes, ils ne seraient pas identifiables non plus, tant que la
1
Corr.15, p.613, lettre à Edmond Laporte, 23 octobre 1877 et Corr.16, p.11, lettre du 1 novembre
1877.
distinction minutieuse entre les genres n’est pas établie ; pour avoir « plaisir à nommer tout haut les
légumes », il leur est indispensable de distinguer les « carottes » des « choux » (p.72). Du reste, au
dernier chapitre, Pécuchet doit arrêter l’étude botanique elle-même, quand il renonce à acquérir la
nomenclature. Enfin, comme nous l’avons vu, les protagonistes aperçoivent seulement « un amas
inextricable », s’ils n’apprennent pas la classification médicale constituant en « des pédoncules et
des ventricules, des arcs, des piliers, des étages, des ganglions, et des fibres de toutes les sortes, et le
foramen de Pàcchioni, et le corps de Pacini » (p.121).
Or, il est clair que, comme les noms de « bourgeois » ne représentent pas la “propriété”, ils ne
doivent pas être “propres”, mais “communs”. Aussi, ils ne doivent pas être singuliers. Ils doivent
être articulés dans un paradigme par rapport à d’autres noms, d’autres vocables. Examinons d’abord
le nom de Ernest Chevalier que Flaubert note dans sa lettre. Selon l’écrivain, en effet, ce «brave
Ernest » devient justement « bourgeois », puisqu’il est « marié, établi et toujours magistrat par
dessus le marché ! » Il perd sa “propriété” qui le rendait jadis «artiste » original. Il devient “nonpropre”. Il se fond dans la masse. Flaubert écrit :
« Quelle balle de bourgeois et de monsieur ! Comme il va bien plus que jamais défendre
l’ordre, la famille et la propriété ! » 1
Logiquement, lorsque M. Chevalier parle de « l’édifice, de la base, du timon, de l’hydre » 2 , son
patronyme cesse d’être l’appellation unique de l’être unique. Le nom est exproprié. Voici l’article
de Philippe Dufour sur ce sujet :
« Ernest ayant perdu son prénom pour devenir bourgeois-monsieur-magistrat, devra “tonner
contre” et employer les mots obligés, l’elocutio réactionnaire, résumée comme dans les
romans par l’italique. » 3
Le prénom est maintenant classé dans le paradigme de « bourgeois – monsieur - magistrat »,
dans lequel il est articulé par rapport à d’autres noms de bourgeois, comme « Garçon » ou
« Homais ». Ainsi, le nom d’« Ernest » devient égal à celui de «Descambos », le seul patronyme
connu au premier chapitre de notre texte, excepté Dumouchel et Barberou (p.59). Rappelons que cet
unique nom ne représente jamais la “propriété” unique. Étant l’autre nom de « Garçon »,
« Descambos » est déjà et toujours “exproprié”. Il est catégorisé à jamais dans le paradigme de
« bourgeois », pour représenter uniquement cette appartenance sociale, au lieu de la “propriété”
singulière. Au fond, le nom ne se distingue pas de l’anonymat des autres Parisiens, qui représentent
eux-mêmes les statuts sociaux dont la « mariée », le « soldat », la « fille de joie » et le « prêtre ».
Il en va exactement de même pour les noms des Chavignollais. Les patronymes de ces
villageois-clichés ne peuvent être, en aucun cas, “propres” au sens propre du terme. Ils doivent être
“non-propres” voire “communs”, puisqu’ils n’ont pas la “propriété” à représenter. Certes,
contrairement aux Parisiens anonymes, les campagnards possèdent leur nom particulier, même s’ils
n’apparaissent qu’une fois dans le texte. Pourtant, comme nous l’avons vu, dès qu’ils apparaissent
dans le texte, tous ces noms sont catégorisés selon leurs professions. «Canot » est classé dans le
groupe de «coiffeur », dès sa première apparition. « Sorel » est tout de suite catégorisé dans le
« garde-chasse ». Et le prénom « Reine » est classé dans « la servante », où il se juxtapose avec les
1
Corr.I, p.721, lettre à sa mère, 15 décembre 1850.
Ibid.
3
Philippe DUFOUR, ibid., p.331. L’italique est dans le texte.
2
autres prénoms de servantes comme «Germaine », « Mélie », « Marianne » ou « Félicité » 1 . Voici
l’inventaire des noms des notables, que nous avons catégorisés d’après la nomenclature du
scénario :
STATUT
CHAVIGNOLLAIS D’AUTRES PERSONNAGES
Veuve
Bordin,
Bovary, Moreau, Aubain.
médecin
Vaucorbeil,
Blin, Canivet, Bovary.
ouvrier
Gorgu,
Sénécal, Deslauriers.
fermier
Faverges,
Rouault.
Curé
Jeufroy,
Lienard, Bournisien.
notaire
Marescot,
Tardivel.
Mme « Bordin » est classée dans la catégorie de « La Veuve » avec d’autres noms comme la mère
« Bovary », la mère « Moreau » et Mme « Aubain ». Le nom de «Vaucorbeil » est articulé dans le
paradigme du « médecin », comprenant « Blin » 2 , « Canivet » (MB,p.394) ou « Bovary », etc.
Quant aux noms de « Gorgu », « Sénécal » et « Deslauriers », ils sont permutables dans le
paradigme de l’« ouvrier socialiste », dans la mesure où ils désignent par principe le même type
d’ouvrier et qu’aucun d’entre eux ne représentent sa “propriété” unique. De même, le nom du curé
pourrait être « Lienard » 3 ou « Bournisien » (MB,p.155) ou « Jeufroy », ou n’importe quel nom qui
se trouve dans le paradigme du «curé », car, comme le dit notre texte, il existe « sous des noms
différents, le même curé, le même recteur, le même préfet ! » (p.247) Et finalement, le nom
« Marescot » doit être catégorisé dans le paradigme de « notaire » avec le nom «Tardivel » ; mais
en même temps, le patronyme est différencié dans la nomenclature des « Chavignollais », par
rapport à « Vaucorbeil », « Foureau » et « Jeufroy ». Au demeurant, capturés dans ces réseaux, les
noms des notables ne sont jamais autonomes, indépendants ou “propres”. Ils ne peuvent pas
s’identifier par eux-mêmes, hors de tous ces paradigmes complexes.
(1) La nomenclature des noms propres.
Dans le texte, outre les noms des villageois, l’“expropriation” est aussi constatée pour d’autres
noms de bourgeois ; leurs patronymes sont catégorisés dans des paradigmes, pour représenter
exclusivement leur appartenance sociale. Citons d’abord les noms écrits auxquels Pécuchet donne
toute sa dévotion. Il s’agit de l’inventaire des miraculés de Notre-Dame de la Délivrande :
« On cite parmi ceux qu’elle a guéris d’affections irrémédiables Mlle de Palfresine, Anne
Lorieux, Marie Duchemin, François Dufai, et Mme de Jumillac, née d’Osseville. » (p.334)
Aux yeux de notre héros pieux, tous ces noms paraissent « illustres » ; ils lui semblent représenter
quelque chose de précieux et de singulier. En réalité, les patronymes n’évoquent jamais les
“propriétés” qui n’existent pas. Ils sont “expropriés”, et constituent seulement le paradigme de
« ceux qu’elle a guéris d’affections irrémédiables », dans lequel ils se différencient d’autres noms
voisins. Ils sont semblables aux noms communs de roches et de plantes, qui doivent être articulés
dans la classification pour être identifiés. De fait, « Anne Lorieux » n’est identifiable qu’en se
1
Marianne est la servante de Mme Bordin. Quant à Félicité, il s’agit de la femme de chambre de
Emma, et de l’héroïne d’Un Coeur simple.
2
msgg10,fo 8,p.43.
3
msgg10,fo 9,p.47.
différenciant de « Mlle de Palfresine » et de « Marie Duchemin » dans la nomenclature des
miraculés. Remarquons une autre nomenclature concernant les fondateurs de « la chapelle » :
« Elle a été fondée au commencement du IIe siècle par saint Régnobert premier évêque de
Lisieux, ou par saint Ragnebert qui vivait au VIIe, ou par Robert le Magnifique au milieu du
XIe. » (p.333)
Encore une fois, Pécuchet croit l’épigraphe. Pour notre dévot, chaque nom est éblouissant et montre
quelque chose d’indéniable et d’unique. En fait, le patronyme de « saint Régnobert » n’est ni
“propre” ni singulier ; il est permutable avec les autres noms similaires comme « saint Ragnebert »
ou « Robert le Magnifique » ; il ne représente pas la “propriété” qui le rendrait unique ; il n’existe
que dans la comparaison avec les autres patronymes des fondateurs. Dans cette nomenclature, en
effet, nous apercevons plus la différence entre ces trois noms que les “noms propres” proprement
dit.
Il en va de même pour les noms d’auteurs inconnus. Bouvard et Pécuchet ont beau supposer
que ces patronymes représentent quelque chose de singulier, les noms ne constituent qu’un
paradigme. Le texte dit :
« Ils voulaient parcourir les originaux, Grégoire de Tours, Monstrelet, Commines, tous ceux
dont les noms étaient bizarres ou agréables. » (p.189)
Les noms ne représentent jamais la “propriété” unique des auteurs. Au contraire, ils s’associent par
la ressemblance des sons avec d’autres vocables, par l’intermédiaire desquels sont évoqués des
significations « bizarres ou agréables ». En ce sens, « Grégoire de Tours, Monstrelet, Commines »
sont semblables aux “noms communs” de plantes « merveilleux », que Bouvard et Pécuchet
énumèrent dans une « nomenclature » :
« ils cherchèrent dans leurs livres une nomenclature de plantes à acheter ; ? et ayant choisi
des noms qui leur paraissaient merveilleux, ils s’adressèrent à un pépiniériste de Falaise ».
(p.95)
Les “noms communs” de ces plantes suggèrent le « merveilleux » par association avec d’autres
mots, tandis que les patronymes d’auteurs évoquent des choses « bizarres et agréables ». Ces noms
sont impliqués toujours dans des réseaux lexicaux. Ils ne sont jamais indépendants.
Les exemples des “noms non-propres” se trouvent aussi dans les scénarios de Bouvard et
Pécuchet. Il s’agit d’abord de l’anecdote du nom « Lefèvre » 1 . Selon les scénarios, en effet, les
héros auraient écrit une histoire sur tous les hommes qui portent ce patronyme :
« idée d’ouvrages qu’ils veulent écrire : « si nous faisions une histoire de tous les hommes
célèbres qui se sont appelés Lefèvre. » ? écrire aux maires des différentes communes p. avoir
des détails sur les Lefèbvre ? ou Lefebure qui peuvent se trouver dans leur pays. »
Bouvard et Pécuchet veulent établir un inventaire des «Lefèvre », en y notant les personnages et
leurs particularités. Pourtant, quoique « célèbres » localement, tous ces patronymes de «Lefèvre »
sont en fait “expropriés”, puisque ces hommes ne possèdent pas la “propriété” éminente. Aucun
nom ne représente l’individu par lui-même. Aucun nom n’évoque les exploits ou l’existence illustre
1
msgg10,fo 42v,p.155. Voir aussi msgg10,fo 30,p.105 et fo 35,p.28.
d’un M. Lefèvre. Or, sans représenter la “propriété” en soi, le patronyme s’associe avec d’autres
noms « Lefèvre », pour constituer le paradigme de « tous les hommes célèbres qui se sont appelés
Lefèvre ». Et évidemment, dans ce paradigme, un «Lefèvre » se substitue à un autre «Lefèvre »
qui se substitue lui-même à un autre. Nous ne pouvons jamais désigner un individu unique en
évoquant son nom « Lefèvre ».
Voyons une autre anecdote dans le scénario. Il est question de noms de patrons. En effet, selon
un scénario, à peine arrivés à Chavignolles, Bouvard et Pécuchet « donnent les noms de leurs chefs
à des choses inanimées » pour « le plaisir de les insulter » 1 . Ici, les deux hommes lient les noms de
leurs patrons aux “noms communs” de « choses inanimées », d’autant plus facilement que ces chefs
de copistes n’ont pas une “propriété” ou une “originalité”, susceptible de s’opposer à une telle
association. Alors que les vrais “noms propres” doivent résister à toutes les implications dans les
paradigmes, les patronymes des patrons deviennent synonymes des noms communs de « choses
inanimées », inertes voire mortes. L’insulte est forte, « le plaisir » des héros aussi.
Ainsi, dépourvus de “propriété” à représenter, ces noms des bourgeois sont inclus dans des
catégories. Ils ne sont jamais indépendants. Et maintenant que l’humanité entière devient
bourgeoise, il s’avère que tous les êtres vivants ne portent que des “noms non-propres”.
(2) L’expropriation du “nom propre”.
Cependant, ici nous devons encore poser une question. En admettant que les noms de
bourgeois soient “non-propres”, est-ce qu’alors les noms des vrais artistes peuvent être “propres” ?
Leur nom peut-il représenter leur “propriété” ? Est-ce que, du reste, le “nom” peut être l’appellation
unique de la “propriété” unique ? La réponse est négative, selon notre texte. En fait, aucun nom ne
peut représenter la “propriété”, qui n’est d’ailleurs pas de nature à être représentée. Tous les noms,
même les plus illustres, ne sont pas au fond “propres” ; ils ne sont jamais indépendants ni
autonomes. Soit « Pauline Viardot, née Garcia », « Arcet », « Ernest », « Foureau » et « Marescot »,
soit « Hugo » ou « Sand » ou même « Flaubert », tous ces patronymes sont déjà et toujours insérés
dans des systèmes de différences. Ils sont identifiés seulement par rapport à d’autres noms, d’autres
vocables.
Dans le texte, de fait, les noms de « personnages considérables » sont traités souvent comme
de simples termes permutables dans la nomenclature. Voici les noms de célébrités qui visitent la
chapelle de la Délivrande :
« Des personnages considérables l’ont visitée : Louis XI, Louis XIII, deux filles de Gaston
d’Orléans, le cardinal Wiseman, Samirrhi, patriarche d’Antioche, Mgr Véroles, vicaire
apostolique de la Mandchourie ; ? et l’archevêque de Quélen vint lui rendre grâce pour la
conversion du prince de Talleyrand. » (p.334)
Théoriquement, comme ces individus sont plus ou moins connus, leur nom devrait pouvoir
représenter quelque chose de propre à eux. Le nom « Louis XI » devrait évoquer l’essence du roi,
ne devrait pas nécessairement devenir un élément dans la nomenclature. «Talleyrand » aurait pu
rester indépendant, se dégager de cette liste, ou briser ce réseau, par sa “propriété” éminente
représentée par son nom. En fait, enregistrés dans la liste nominale, les noms « Louis XI », « Louis
XIII » et « Talleyrand » deviennent des éléments échangeables, plutôt que les représentants de la
“propriété”. Le nom de « Gaston d’Orléans » est identifié par sa place dans la nomenclature. Le
nom de «Quélen » est articulé et différencié par rapport à d’autres noms princiers. En ce sens, ces
1
msgg10,fo 3r,p.8.
noms illustres sont identiques aux noms communs, noms de roches ou de plantes ou de nuées.
Voyons un autre exemple :
« Tite-Live attribue la fondation de Rome à Romulus. Salluste en fait honneur aux Troyens
d’Énée. Coriolan mourut en exil selon Fabius Pictor, par les stratagèmes d’Attius Tullus, si
l’on en croit Denys ; Sénèque affirme qu’Horatius Coclès s’en retourna victorieux, Dion qu’il
fut blessé à la jambe. Et La Mothe le Vayer émet des doutes pareils, relativement aux autres
peuples. » (p.188-189)
Dans cet éventail, les historiens célèbres sont considérés par rapport aux autres savants. « TiteLive » est identifié en contraste avec «Salluste ». « Fabius Pictor » est différencié de « Denys ».
Ces “noms propres” sont inclus dans un système de différences, alors qu’ils ne devraient, en théorie,
lier aucune relation avec les autres noms.
Ainsi, il est clair que, ramassés dans une nomenclature, les noms des célébrités deviennent
facilement équivalents aux noms communs. Ils deviennent même comparables à des représentants
de foules anonymes, des chiffres. En effet, au chapitre IX, les noms célèbres de « Hypatie, Jérôme
de Prague, Jean Huss, Bruno, Vanini, Anne Dubourg » ne se distinguent pas des victimes anonymes
d’« Albigeois », d’Hugunos de la Saint-Barthélemy et de la Révocation de l’édit de Nantes (p.350351). Aussi, les noms de « saint Siméon », « saint Ignace », « Sainte Blandine », « Sainte Juliette »,
« Saint Taraque, saint Probus et saint Andronic » (p.352) constituent un éventail de martyrs, dans
lequel ils sont juxtaposés avec les chiffres d’« une vingtaine de millions » de victimes et « dix
persécutions depuis Néron jusqu’au César Galère » (p.350). Voici un autre inventaire de saints
martyrs :
« saint Étienne, saint Laurent, Cyprien, Polycarpe, une foule de missionnaires ». (p.351)
Les “noms” de saints ne se distinguent plus de chiffres de la « foule » anonyme ; soit les noms ou
les nombres, ils sont de simples données permutables dans une liste. Ils ne représentent jamais la
“propriété” de chaque individu. Il en résulte que, quand Bouvard et Pécuchet imaginent « remplacer
le nom de famille par un numéro matricule » (p.404), ils n’inventent au fond rien de nouveau. Le
« nom de famille », même le plus illustre, ne peut pas désigner un individu, non plus qu’un
« numéro matricule ».
(3) Le nom d’origine.
Le texte note aussi les tentatives désespérées de Bouvard et Pécuchet pour chercher de vrais
“noms propres”. Ils cherchent des noms isolés, autonomes et indépendants, liés exclusivement à la
“propriété”. En fait, leurs entreprises, qui aboutissent toujours à l’échec, confirment davantage la
“non-propriété” générale du nom. Il s’avère que dès l’origine, dès le moment de la nomination, les
noms sont oblitérés et “expropriés” ; ils sont déjà et toujours raturés dans la classification. Voyons
d’abord le baptême de la liqueur, que Bouvard et Pécuchet inventent au deuxième chapitre. Ils
cherchent effectivement un nom unique pour leur boisson originale :
« Mais sous quel nom l’offrir au commerce ? Car il fallait un nom facile à retenir, et pourtant
bizarre. Ayant longtemps cherché, ils décidèrent qu’elle se nommerait « la Bouvarine » ! »
(p.113)
Pourtant, malgré la longue réflexion des deux bonshommes, ce nom est loin d’être l’idiome unique
pour la boisson unique. Il ne montre rien sur la particularité de la liqueur. Au contraire, au lieu d’en
mettre au point la “propriété”, le nom glisse ailleurs. Il suggère d’autres choses que ce qu’il devrait
représenter ; il oriente vers d’autres lexiques, par l’effet de la métonymie. Ainsi, « Bouvarine » est
renvoyée tout de suite au nom de « Bouvard », au lieu de représenter l’originalité de cette boisson
spéciale. Ou alors, le nom désigne son appartenance à l’inventaire des éléments chimiques, dans
lequel il est juxtaposé avec la « caféine », l’« aspirine », la « cocaïne » et l’« héroïne ».
« Bouvarine » peut faire partie aussi du paradigme de l’adjectif féminin, dans lequel il voisine avec
« féminine », « masculine », « enfantine » ou « serpentine ». Le nom de la boisson n’est
certainement pas “propre”. Il n’est pas lié exclusivement à la “propriété”. Il est inclu dans des
réseaux, dès le moment de sa naissance.
Une autre entreprise des protagonistes concerne leur recherche des mythes. Ils veulent
remonter à l’origine du “nom propre”. Théoriquement, en effet, à l’origine, le nom doit être lié
exclusivement à l’être nommé. Il doit être encore indépendant, même si après, dans l’usage
quotidien, il sera usurpé, sera associé avec d’autres lexiques dans une nomenclature. Néanmoins,
Bouvard et Pécuchet échouent de nouveau dans cette recherche. Au lieu de retrouver l’appellation
unique de l’être unique, ils ne découvrent que le même effet métonymique qu’ils connaissent pour
la « Bouvarine », à moins qu’ils n’obtiennent l’effet métaphorique. Voyons leur étude
archéologique. Les deux savants s’intéressent à l’origine des patronymes. Ils se demandent s’il
existe « une parenté entre Marin-Onfroy, qui importa au XIIe siècle une nouvelle espèce de
pommes, et Onfroy gouverneur d’Hastings, à l’époque de la conquête » (p.168). En fait, Bouvard et
Pécuchet substituent un nom à un autre, «Marin-Onfroy » à « Onfroy gouverneur d’Hastings » et
vice versa, exactement comme ils le font pour les noms obscurs de « Lefèvre ». Un patronyme est
remplacé par d’autres patronymes qui sont à leur tour remplacés par d’autres. Dans cet
enchaînement de noms, la “propriété” est complètement refoulée. L’analyse des deux archéologues
n’éclaircit jamais qui est ce « Onfroy ».
Il en va de même pour le nom de «Caen », dont la légende de baptême émerveille les deux
archéologues :
« Des canards qu’on y avait introduits reparurent à Vaucelles, en grognant : ?
can » d’où est venu le nom de la ville. » (p.167)
« Can can
Au premier abord, l’origine mythique du nom semble être rétablie ; le nom de la cité est dérivé du
cri des canards ; « Caen » vient de « Can can can ». Il est, pourtant, évident que la fable ne révèle
rien sur le rapport exclusif entre le “nom” de la ville et sa “propriété”. Nous y retrouvons seulement
l’effet “expropriant” de la métaphore. En effet, le nom de « Caen » s’associe aux « Can can can » de
canards, dès le moment de la nomination ; et par cet effet de la condensation, « Caen » évoque le cri
d’oiseaux, ou une rumeur non fondée, au lieu de la “propriété” de la cité qui est complètement
oblitérée. Nous pouvons décrire ce phénomène, en empruntant le schéma lacanien pour la
métaphore1 :
1
S1
s1
Cancan
la voix de canards (une rumeur non fondée)
S2
s2
Caen
la propriété de la cité
Jacques LACAN, Les Psychoses, séminaire, livre III (1955-1956), Paris, Seuil, 1981. Cf. Joël Dor,
Introduction à la lecture de Lacan, t.1, Denoël, col.« L’espace analytique », 1985, p.55.
S1
s1
s2
S2
S2
s2
S1
s1
La “propriété” de la cité (s2) est refoulée ; elle n’est pas évoquée par l’appel du nom « Caen » (S2).
À sa place, la voix des canards est confisquée (S1/s1).
L’exemple confirme que le nom est associé, dès le début, aux autres signes qui n’ont rien à
voir avec la “propriété” qu’il doit représenter. Dans notre texte, nous pouvons encore observer la
même substitution métaphorique, concernant les noms de rois « Clovis » et « Childéric » :
« Pâris frappe l’imagination au moyen de rébus ; un fauteuil garni de clous à vis donnera :
Clou, vis ç Clovis ; et comme le bruit de la friture fait « ric, ric » des merlans dans une poêle
rappelleront Chilpéric. » (p.189)
Ici, Pâris, savant spécialisé dans la mnémotechnie, nous enseigne à associer « Clovis » avec de
« Clous, vis », et «Chilpéric » avec les «« ric, ric » des merlans dans une poêle ». Grâce à ces
condensations, le nom du roi «Clovis » évoque « un fauteuil garni de clous à vis ». Et le nom de
« Chilpéric » évoque « le bruit de la friture ». Dans toutes ces démarches, les “propriétés” des rois
sont refoulées. Il en va de même pour le nom « Undecemilla » :
« et les onze mille vierges de sainte Ursule, dont une compagne s’appelait Undecemilla, un
nom pris pour un chiffre ». (p.350)
Le nom « Undecemilla » est associé aux chiffres d’« onze mille », pour ne rien évoquer sur la
“propriété” de cette « compagne » de sainte Ursule. Les chiffres apparaissent à l’appel du nom, à la
place de la “propriété” qui est à jamais refoulée.
Ainsi, contrairement aux Carthaginois mythiques qui peuvent évoquer le pouvoir divin par le
simple appel du nom de dieu, les deux bonshommes du roman moderne ne peuvent jamais évoquer
la “propriété” unique. Soit ils s’associent à d’autres noms voisins, soit ils sont piégés par les
métaphores. Dans cet univers non-utopique, la “propriété” n’est pas représentable. Elle est une
chose innommable.
(4) Mr. Angoulême.
Toutefois, Bouvard et Pécuchet font de nombreuses tentative pour retrouver cette “propriété”
qui reste cachée. L’exemple en est leur entreprise pour écrire l’histoire du duc d’Angoulême. À
partir du nom du prince écrit sur « le pot à beurre » (p.165 et p.192), les héros veulent restituer son
existence unique. Certes, le seigneur est ignoré par le monde, et son nom est tombé dans l’obscurité.
Pourtant, selon la logique des protagonistes, le nom ne doit pas être tout à fait «obscur » ou vide,
puisqu’il est écrit sur la faïence, puisque l’écriture doit pouvoir assurer l’existence de la “propriété”
unique. « Angoulême » pourrait donc représenter “quelque chose” de singulier. Bouvard et Pécuchet
supposent que le prince a joué un rôle important dans l’histoire française, mais il est
malheureusement méconnu :
« celui-là, peut-être, tenait le rouage des affaires. » (p.192)
Et dans cette hypothèse, ils décident de combler le vide en cherchant des documents, pour déceler
ce “quelque chose” caché du prince. Ils veulent reconstituer sa vie personnelle, sa passion, son
sentiment oublié, pour rendre le nom à nouveau « illustre ». Néanmoins, malgré leur effort,
Bouvard et Pécuchet n’y réussissent jamais. Leur entreprise est destinée à l’échec. En effet, dans
leurs notes de préparation, au lieu de rétablir la personnalité unique du prince, au lieu de combler le
manque de sa “propriété”, les deux hommes n’établissent que la nomenclature de personnages
autour de ce seigneur :
« Un de ses gouverneurs est l’abbé Guénée, l’ennemi de Voltaire. »
« il étudie les campagnes de Charles VIII. »
« 1815. Bonaparte le surprend. »
« le petit-fils de Henri IV ».
« Marmont lui apprend l’état des affaires ». (p.193-194)
À ces hommes célèbres, succèdent des noms de lieux : « Turin », « Bordeaux », « Toulon »,
« Midi », « Angleterre », etc. (p.193) Ici, les deux historiens ne font qu’amasser les noms, les lier
les uns aux autres, et établir des nomenclatures dans lesquelles la singularité du « Monseigneur le
duc d’Angoulême » n’est jamais décelée. Bouvard et Pécuchet ont beau suivre l’enchaînement d’un
nom à un autre, ils n’aboutissent jamais à leur fin.
Nous trouvons aussi une autre tentative des protagonistes pour redonner la “propriété” au
nom. Il s’agit de leur Salon :
« Ils écrivent des Salons, ou plutôt copient toutes les rengaines des critiques d’art en laissant
les noms propres en blanc. La première fois qu’ils iront à Paris, ils iront à l’exposition et
mettront des noms propres idoines aux articles faits d’avance. » 1
Autrement dit, dans leurs Salons, la “propriété” artistique est décrite par les rengaines. Et les
“noms propres” de peintres sont inclus, dès le début, dans la nomenclature, dans l’inventaire de
« l’exposition ». La tentative des protagonistes est donc symbolique. Elle montre bien que le “nom
propre” est raturé dès l’origine dans la nomenclature, qu’à la place de la “propriété”, nous
retrouvons toujours des substituants, copies ou rengaines.
(5) L’oblitération.
Ainsi, nous ne pouvons plus dire naïvement que le nom est commun et «obscur », quand la
personne nommée manque d’originalité. En fait, tous les noms, même les plus « illustres », ne
représentent que des substituants de la “propriété”. Ils n’en sont jamais les appellations uniques. Ils
sont inclus dès le début dans le réseau avec d’autres lexiques, comme le simple “nom commun”.
L’argument évoque forcément les thèses de Jacques Derrida, qui, dans De la Grammatologie,
affirme que « le nom propre est raturé dans un système » 2 . Dans le passage intitulé “La guerre des
noms propres”, de fait, le philosophe dit successivement : « les noms propres ne sont déjà plus des
noms propres », « leur production est leur oblitération », « le nom propre n’a jamais été, comme
appellation unique réservée à la présence d’un être unique, que le mythe d’origine d’une lisibilité
1
Carnet 19, fo 29, Carnet de travail, édition critique et génétique établie par Pierre-Marc de Biasi,
Balland, 1988, p.280.
2
Jacque Derrida, De la Grammatologie, col.« Critique », 1967, Éditions de Minuit, p.159.
transparente et présente sous l’oblitération », « le nom propre n’a jamais été possible que par son
fonctionnement dans une classification et donc dans un système de différences, dans une écriture
retenant les traces de différence ». Autrement dit, le no m comme représentant de la “propriété” n’est
qu’un mythe. Dès la naissance, le nom est enregistré dans un « jeu de différence », dans un système
des appellations. Il fonctionne seulement et toujours dans la « classification », par rapport à d’autres
noms dits “propres”, dans un réseau qui cache mal la « non-propriété d’origine » 1 . Aussi, Derrida
prononce la mort du “nom” :
« La mort de l’appellation absolument propre, reconnaissant dans un langage l’autre comme
autre pur, l’invoquant comme ce qu’il est, c’est la mort de l’idiome pur réservé à l’unique. » 2
Mais en même temps, se dévoile inévitablement l’autre mort, mort de la “propriété” ellemême, qui ne peut jamais apparaître ici-bas, qui doit rester innommable à jamais, contrainte d’être
dans le silence éternel. À sa place, les noms représentent « ce qui dès lors faisait fonction de propre,
le soi-disant propre, substitut du propre différé, perçu par la conscience sociale et morale comme le
propre, le sceau rassurant de l’identité à soi, le secret. » 3 Autrement dit, au lieu de représenter la
“propriété” innommable, qui n’apparaît que comme lapsus ou béance, le nom désigne
l’« appartenance et classification linguistico-sociale » du nommé 4 . Rappelons que les noms des
Chavignollais indiquent, effectivement, les statuts sociaux. Et les noms des miraculés de NotreDame de Délivrande ne représentent que « ceux qu’elle a guéris d’affections irrémédiables »
(p.334). Tous ces noms exposés dans Bouvard et Pécuchet sont, en fait, de vagues parodies de
“noms propres” mythiques, qui devraient être, eux, représentants uniques des êtres uniques. Aussi,
ces “noms non-propres” sont comparables aux noms d’ancêtres de Gargantua, que Rabelais
énumèrent dans son premier volume ; en parodiant la nomenclature mythique de l’Ancien
Testament qui note les noms “sacrés”, “vrais”, “uniques” et “propres”, l’auteur favori de Flaubert
établit l’inventaire de noms illusoires, qui ne peuvent pas être les représentants uniques des êtres
uniques, mais qui sont déjà inclus dans un système de différences.
Au demeurant, nous pouvons même dire que, soit dans Bouvard et Pécuchet publié où sont
étalés les noms de toutes sortes de célébrités, soit dans les scénarios où sont effacés les noms de
références, notre écrivain ne fait que marquer les ratures, ratures du “propre”, ratures de la
“propriété”5 .
(6) Les noms dans la Correspondance.
1
Ibid., p.159.
Ibid., p.162.
3
Ibid., p.165. L’auteur souligne.
4
Ibid., p.164.
5
Cf. Flaubert écrit dans son carnet de travail : « ironie de toutes les lois sur la propriété littéraire
? ». Carnet 19,fo 142, 13v, 14v, BP.p.444. Sur l’« anonymisation » dans les scénarios, voir : Yvan
Leclerc, Spirale et Monument, 1988, SEDES, p.126 : « La comparaison entre le travail préparatoire
et la version «définitive » de Bouvard montre une forte tendance à l’effacement de l’origine des
citations, par disparition progressive des noms d’auteurs. » Voir aussi : Jean-Pierre MOUSSARON,
“Une étrange greffe”, Nouvelles recherche sur Bouvard et Pécuchet de Flaubert, CDUS et SEDES
réunis, 1981, p.89-109. Anne HERSHBERG-PIERROT, “Sur les notes de lecture de Flaubert”,
Flaubert, l’autre, Pour Jean Breneau, textes réunis par F. Lecercle et S. Messina, Presses
Universitaires de Lyon, 1989, p.34-39.)
2
Ainsi, dans notre texte, diverses anecdotes font penser que l’“expropriation” du nom est une
idée centrale de la « philosophie » de Flaubert. Il semble certain que l’écrivain pressent lui-même la
“non-propriété” de l’origine du nom. Cette thèse s’oppose, cependant, aux témoignages de la
Correspondance. Flaubert n’y exprime jamais son doute sur le “nom propre”. Au contraire,
l’écrivain y confirme le “propre” du nom. Il déclare son adoration pour les noms «illustres », et
expose sa conviction naïve que les patronymes désignent les existences même des individus. Selon
ses lettres, d’ailleurs, pour lui, non seulement dans le monde réel mais aussi dans le roman, le nom
doit représenter la personnalité unique du personnage. Même le titre doit indiquer la “propriété” du
livre. Rappelons qu’il tient à «Bouvard », nom qui lui semble évoquer tout le caractère de son
protagoniste principal. Et il choisit le titre d’« Éducation sentimentale », qui lui semble montrer le
mieux la conception du livre. Bref, dans ses lettres, l’écrivain insiste pour que le nom soit “propre”
en toute occasion, tandis que dans son dernier roman, la “non-propriété” du nom est clairement
indiquée. Bouvard démontre le “nom non-propre”, quand la Correspondance soutient ardemment le
“nom propre”.
Pourtant, malgré le contraste apparent, les paroles dans les lettres ne contrarient pas au fond la
thèse exposée dans le roman philosophique. Le nom se dit toujours “non-propre”, dans Bouvard
comme dans la Correspondance. En fait, dans les lettres, le soutien si ardent de l’écrivain pour le
“nom propre” fait transparaître son doute latent sur ce même “nom propre”. Ainsi dit Derrida :
« La non-prohibition, la conscience ou l’exhibition du nom propre, ne fait que restituer ou
découvrir une impropriété essentielle et irrémédiable. Quand dans la conscience, le nom se dit
propre, il se classe déjà et s’oblitère en s’appelant. Il n’est déjà plus qu’un soi-disant nom
propre. » 1
En effet, notre écrivain prétend à haute voix que le nom est “propre” et unique, lorsque ce nom a
déjà paru “exproprié” dans son subconscient. Ou plutôt, puisqu’au fond le nom lui paraît déjà et
toujours “commun”, classé dans une nomenclature, Flaubert doit étaler sa croyance pour
l’appellation unique de l’être unique. Il insiste dans ses lettres sur le fait que les noms représentent
les caractères mêmes des héros, puisqu’il sent la “non-propriété” générale des patronymes. Le doute
profond sur le “nom propre” s’exprime, en fait, par l’« exhibition » ostensible du même “nom
propre”.
Pourtant en même temps, le doute est révélé aussi par la « prohibition ». Dans la
Correspondance, en effet, l’interdiction des noms fait pendant à leur étalage. D’une part, l’écrivain
par le ouvertement à ses correspondants de son effort pour trouver le bon nom, représentant unique
de son protagoniste unique. Mais d’autre part, il s’interdit de leur dévoiler ce même nom avant la
publication du roman. Il garde en secret les appellations uniques de ses personnages, en employant
les noms d’emprunt. En ce qui concerne les patronymes de Bouvard et Pécuchet, pendant la
rédaction, il ne les révèlent qu’à peu de ses intimes. La prononciation publique de ces deux noms
est formellement interdite. Flaubert veut même que les initiales «B.P. » ne soient pas révélées au
grand public, avant la date de publication :
« En tout cas, j’en veux au con inconnu qui livre au public les initiales de mes deux
bonshommes et qui soutient que j’ai prôné Rochefort ! » 2
Il est possible, pour une part, que sa réticence ait pour cause sa précaution quasi
1
2
Jacques DERRIDA, ibid., p.161. L’auteur souligne.
Corr.16, p.291, lettre à Edmond de Goncourt, 2 janvier 1880.
obsessionnelle contre le plagiat. Mais, la prudence n’explique pas toutes les manies de l’écrivain.
Prenons pour exemple les lettres de Flaubert à George Sand. Malgré sa crainte du plagiat, il n’hésite
pas à exposer à son « maître » la « conception » du roman, à en expliquer les projets et même les
sujets de chapitres, à raconter ses lectures. Il lui parle de « l’affreux bouquin » 1 ou d’« une grande
oeuvre » 2 . Il lui présente même ses « deux bonshommes » 3 , ses « deux cloportes » 4 . Pourtant,
Flaubert ne révèle jamais à Sand les noms de « Bouvard et Pécuchet », ni leurs initiales de « B.P. ».
D’ailleurs, l’écrivain ne dévoile jamais à la romancière, au moins dans leur correspondance connue,
les noms de ses personnages avant la publication, sauf les noms bibliques et saints qui viennent du
patrimoine culturel et qui sont plus “collectifs” et “communs” que “propres”. Ainsi, il lui parle sans
difficulté de « Saint Antoine »5 , de « Saint Julien » 6 , et de « saint Jean-Baptiste » ou « Hérodiade »,
même avant la publication des livres 7 . Aussi, il parle de « Bovary » et de « Salammbô », noms déjà
imprimés maintes fois sur les couvertures de livres et les journaux ; il s’agit de noms quasi
“communs” et publics. En revanche, il ne révèle jamais « Félicité », même s’il énonce plusieurs fois
le titre de « Histoire d’un coeur simple » 8 . Il ne prononce pas non plus « Frédéric Moreau », alors
qu’il parle de l’« Éducation sentimentale ». En effet, l’écrivain cache attentivement les “noms
propres” des protagonistes, dont la prononciation lui devient tabou. Nous y voyons quelque chose
de plus que la crainte du plagiat.
En fait, l’interdiction du nom révèle la “non-propriété” de l’origine du nom, de la même
manière que l’exhibition du nom la révèle. En empruntant les mots de Derrida, la « prohibition » du
nom propre, autant que son « exhibition », fait « découvrir une impropriété essentielle et
irrémédiable ». Le nom se dit déjà exproprié, quand il est interdit. Voyons l’exemple donné par le
philosophe. Il s’agit de la société des Nambikwara, étant selon Lévi-Strauss, « indigènes nomades
qui sont parmi les plus primitifs qu’on puisse rencontrer dans le monde ». Le texte dit :
« L’emploi du nom propre est chez eux interdit. » 9
Or, en gardant secret leur vrai “nom propre”, ces hommes s’identifient seulement par des
pseudonymes ou par des « noms d’emprunt » ; ce qui nous rappelle forcément que notre écrivain
cache les noms de Bouvard et Pécuchet, pour les appeler « les deux bonshommes ». Les
Nambikwara, comme Flaubert, protègent ainsi le vrai “nom propre”, empêchent qu’il soit éculé par
l’usage quotidien et mélangé avec d’autres vocables. Pour eux, en effet, il est inadmissible que leur
nom perde sa relation exclusive et magique avec la “propriété” et devienne un simple élément
différencié dans la nomenclature sociale. Au contraire, leur vrai nom doit rester le représentant
unique de l’être unique. Leur vrai nom ne doit pas devenir pareil à « Marescot » ou « Foureau ».
Car, quand le “nom propre” se réduit à un simple terme échangeable dans la nomenclature, le
1
Corr.IV, lettres du 4 novembre 1874 (p.883), et du 10 mai 1875 (p.925).
Corr.15, p.435, lettre du 6 février 1876.
3
Corr.IV, lettres du 24 avril 1873 (p.657), du 31 mai 1873 (p.669), du 8 avril 1874 (p.789), du 3
juillet 1874 (p.824), du 3 octobre 1875 (p.971).
4
Corr.15, p.437, lettre du 18 février 1876.
5
CorrIV, lettres du 24 juin 1869 (p.60), du 15 août 1869 (p.89), du 17 décembre 1869 (p.141).
6
Corr.15, lettres du 6 février 1876 (p.435), du 18 février 1876 (p.437).
7
Correspondance. Gustave Flaubert / George Sand, Flammarion, 1981, p.533, lettre du 29 mai
1876.
8
Corr.15, p.445, lettre du 3 avril 1876. Et Correspondance. Flaubert / Sand, ibid., p.533, lettre du
29 mai 1876.
9
Jacques DERRIDA, ibid., p.157 et p.162. Il s’agit de la citation de Derrida de Lévi-Strauss.
2
représenté de ce nom devient forcément relatif voire douteux. La “propriété” telle quelle ne peut
plus être repérée. Autrement dit, quand le nom “propre” se révèle “exproprié”, les valeurs
primordiales de la « société primitive » (opposée à la « société moderne »), dont notamment
l’individu unique, l’originalité et l’indépendance, deviendraient illusoires. Il est donc dans la
logique des choses que la prononciation du nom devienne un tabou chez eux. Cependant,
l’interdiction dans le « conscient » décèle toujours l’existence inconsciente d’un manque ou d’une
mort refoulée. Le tabou des Nambikwara trahit lui-même leur prémonition de la “non-propriété”, de
la mort du nom unique, mort de l’être unique, mort de la “propriété”. Autrement dit, la «société
primitive » interdit les noms, puisqu’elle sait que les “noms propres” sont déjà et toujours
expropriés, qu’ils ne peuvent jamais représenter les êtres uniques et “propres”.
Or, il est intéressant ici de revoir le tabou de Salammbô, de notre société antique de Carthage.
Il est question du nom de Tanit. Comme nous l’avons vu, en effet, « le nom mystérieux » de la
déesse est caché au public, alors qu’il est censé représenter la divinité elle-même. Étant tabou, il est
connu seulement d’une poignée de prêtres (S,p.223). La plupart des profanes n’en sont pas
informés, et utilisent un nom d’emprunt ou un « nom commun qui désignait la lune » (S,p.225).
Ainsi, tout comme la « société primitive » des Nambikwara, la société antique des Carthaginois
interdit l’usage du vrai “nom propre”, pour qu’il ne soit pas usurpé et ne soit pas inclu dans la
classification ordinaire. Le nom ne doit pas devenir semblable aux noms typiques de la «société
moderne », à savoir « Garçon » ou «Descambos » ou «Foureau » ou «Marescot ». Néanmoins,
l’interdiction du nom décèle inévitablement le pressentiment de la société sur la “non-propriété”
d’origine. Le tabou montre que dans Carthage aussi, le nom apparaît déjà “exproprié”, raturé dans la
classification ; la divinité s’y trouve aussi morte, comme elle ne peut pas exister sans son
représentant unique. Par conséquent, la société carthaginoise, qui paraissait jadis comme la
“Communauté” idéale dont les membres respectent l’individualité et l’originalité, se révèlent autant
“non-propre” que la société chavignollaise. Dans le monde moderne comme dans le monde antique,
la “propriété” reste toujours “oblitérée”. Partout, elle est insaisissable, irréalisable, impossible à
représenter voire inexistante. Au bout du compte, dépourvus de la “propriété”, les Carthaginois sont
aussi « bourgeois » que les notables de Chavignolles1 .
Revenons aux lettres de Flaubert. Nous comprenons maintenant pourquoi l’écrivain s’y
interdit la prononciation des noms de ses personnages. En effet, il proscrit les noms des héros dans
ses lettres, puisque justement il pressent l’expropriation originelle des noms. Au fond de lui, les
noms des protagonistes se disent déjà et toujours “non-propres”, se classent déjà et toujours dans la
classification. Ils sont usurpés dans la nomenclature. Flaubert a beau élaborer et ensuite cacher les
noms de « Bouvard » et « Pécuchet », il sait que par aucun moyen ces noms ne peuvent être
uniques, se distinguer des noms « Foureau » et « Marescot » et « Faverges », etc.
(7) Le nom inscrit.
La “non-propriété” du nom est donc confirmée, dans ses lettres comme dans le roman
philosophique. Aucun patronyme ne représente la “propriété” d’un individu. Dès l’origine, dès
qu’ils sont inscrits ou prononcés pour la première fois, les noms sont classés dans la nomenclature.
Ils sont tous raturés, expropriés. Même le nom de « Flaubert » ne fait pas exception. Depuis la
première apparition publique, ce patronyme se révèle “non-propre”, se classe dans la nomenclature
1
Notons que dans les scénarios, les Carthaginois sont qualifiés de « bourgeois ». Cf. Claude
MOUCHARD, Jacques NEEFS, Flaubert, Balland, 1986, p.199-200. Et aussi Peter M.
WETHERILL, « Flaubert : l’histoire de la fiction », Flaubert e il pensiero des suo secolo,
Università di Messina, 1985, p.40.
où il est articulé par rapport à d’autres. Le phénomène est d’ailleurs décrit par Flaubert lui-même
dans une de ses lettres :
« La Revue de Paris du 1er août m’a annoncé. Mais incomplètement, en écrivant mon nom
sans L (je te laisse à faire le calembour) : « Madame Bovary (moeurs de province), par
Gustave Faubet. » C’est le nom d’un épicier de la rue Richelieu, en face le ThéâtreFrançais. » 1
Le nom de « Flaubert » est classé dans la nomenclature, dans le système de différences. Le
patronyme de l’écrivain y est situé au côté de « Faubet ». Et il n’existe qu’un seul « L » qui
distingue le nom de l’« écrivain » du nom de l’« épicier », à tel point que le nom d’artiste et le no m
de bourgeois sont facilement confondus. En effet, le patronyme «Flaubert » ne représente pas la
“propriété” unique et incompatible qui refuserait telle liaison, telle comparaison. Et si « Faubet » est
pris pour l’auteur de Madame Bovary, il n’est pas étonnant que «Flaubert » soit identifié comme
l’« épicier de la rue Richelieu ».
Nous comprenons maintenant l’ironie flaubertienne envers les gens qui veulent écrire leur
nom sur les murs, sur les couvertures de livres, sur les tombes. Les artistes-bourgeois tentent de
faire imprimer les noms, pour révéler l’expropriation originelle de leurs noms. M. Rock, en
admirant les noms inscrits, n’estime que les ratures dans la classification. Pécuchet veut en vain
immortaliser son nom sur les murs, il rature en fait davantage son nom. Et en inscrivant leur nom
dans les chapeaux, les deux protagonistes ne font que mettre en lumière la “non-propriété”
d’origine. De même, en écrivant son nom sur les murs, Mme Viardo née Pauline Garcia ne fait que
réinscrire son “nom non-propre” dans le système de différences ; elle restaure la classification
originaire, rend son nom davantage permutable. Et Arcet assimile son nom à un pur signifiant, demi
effacée, qui sera confondu avec les autres taches, et qui ne pourra même pas représenter le substitut
du “propre”. Ici, il est nécessaire d’évoquer les Sottises dans le Seconde volume de Bouvard et
Pécuchet. Il s’agit d’une section intitulée « Nomenclatures et Bizarreries ». Citons-en une
nomenclature, tirée par Flaubert de l’ouvrage de Frédéric Pluquet, Bayeux et son arrondissement :
« Nomenclature.
Liste des princes malheureux qui sont venus à Cherbourg :
Aigrold, roi de Danemark, chassé de ses états.
Mauger, archevêque de Rouen, oncle de Guillaume le Conquérant. En 1145, Mathilde, fille de
Henri Ier.
Charles de Navarre. (1355).
Pierre de Lusignand, roi de Chypre.
Le duc de Glocester, frère de Henri V.
Marguerite d’Anjou.
François et Henri II en 1532.
Jacques II, roi d’Ecosse.
Le dernier des Condé en 1781.
Louis XVI en 1786.
En mai 1786 et en 1830, le Comte d’Artois.
Napoléon et Marie Louise en 1811.
En 1814, le duc de Berry.
1
Corr.II, p.622, lettre à Louis Bouilhet du 3 août 1856. Flaubert souligne.
En 1817, le duc d’Angoulême.
En 1831, Don Pedro grava son nom sur un hêtre.
Frédéric Pluquet, Bayeux et son arrondissement. »1
Il est sot, d’abord, de classer diverses noms en une seule catégorie de « princes malheureux qui sont
venus à Cherbourg ». Les noms sont ainsi répartis dans un paradigme où ils sont articulés par
rapport à d’autres. La bêtise appartient donc à ce Frédféric Pluquet. Mais, plus bête est le prince
« Don Pedro », que nous voyons à la fin de la liste. En gravant son propre nom sur un hêtre, le
prince rature en fait son nom, et prouve par là sa “non-propriété” d’origine.
II. La manière communautaire.
Ainsi, il s’avère que les Chavignollais ne satisfont jamais la première condition des membres
idéaux. Les villageois ne sont pas singuliers, comme tous les êtres humains d’ailleurs ; leur nom ne
représente pas leur “propriété”, qui n’est pas de nature à être représentée. Ils sont seulement des
bourgeois, dépourvus d’intelligence et de discernement personnel. Ils ne sont pas les individus rêvés
par les deux protagonistes. Logiquement, il devient maintenant fort douteux que ces bourgeois
remplissent la deuxième condition des membres idéaux, celle de la « manière » de vivre
communautaire. Outre la “propriété”, en effet, les habitants de l’utopie doivent partager une sorte de
décalogue qui règle a priori leur mode de vie. Il s’agit d’un guide de conduite, qui doit donner une
cohérence à leur existence.
1. La conduite illogique.
De fait, dans le texte, au cours de leurs tentatives d’intégration, Bouvard et Pécuchet doutent
eux-mêmes que la manière de vivre des Chavignollais soit réglée a priori par les lois, puisque,
d’abord, aucun villageois ne sait ce qu’est le décalogue qu’il prétend respecter. Personne ne définit
concrètement les principes dits sacrés de la commune, ne précise les obligations et interdictions. Les
bourgeois ne font que répéter l’idée reçue suivante :
« Principes : Toujours indiscutables. On ne peut en dire la nature, ni le nombre ; n’importe,
sont sacrés. » (p.548) 2
En plus, la méfiance des deux protagonistes s’accentue, à cause de leur échec d’apprentissage : ils
ne réussissent pas, eux-mêmes, à découvrir le décalogue chavignollais, alors qu’ils le cherchent et
étudient pour l’adopter. Les héros voient, seulement, que les villageois soutiennent, sans règle ni
cohérence, la monarchie censitaire, le suffrage universel, l’empereur et l’ancien régime, avant de
rejeter ces principes un à un au hasard des circonstances. « Telle chose défendue maintenant sera
par la suite applaudie » (p.241), et vice versa. Ainsi, plus les deux protagonistes avancent dans les
essais d’intégration, plus ils aperçoivent la conduite illogique des villageois, et plus ils soupçonnent
ces derniers de manquer de principes. Surtout après le chapitre V, lorsque leurs études se tournent
vers la spéculation (l’esthétique, la politique, la métaphysique et la religion), les deux héros
concluent que le monde des bourgeois fonctionne sans règles précises, ni logique visible. Le
scénario affirme :
1
Le Second volume de Bouvard et Pécuchet. Le Projet du “Sottisier”, édition par Alberto Cento et
Lea Caminiti Pennarola, Liguori Éditore, 1981, p.15, (I 275L).
2
Il s’agit de la rubrique « Principes » dans Le Dictionnaire des idées reçues.
« La logique ne gouverne pas le monde ou du moins notre logique » 1 .
À la fin du chapitre VIII, désespérés, les deux hommes ne se donnent plus la peine de chercher les
lois éventuelles de la “Communauté”. Pour eux, la bêtise consiste à chercher les règles dans les
comportements des membres ; et plus absurde est de vouloir les adopter et s’y conformer, dans le
but de s’intégrer dans la société.
Cet avis de Bouvard et Pécuchet évoque l’opinion de Flaubert, concernant la conduite des
Rouennais. L’écrivain ne reconnaît, lui-même, aucun principe dans les comportements changeants
des Normands :
« Les bons Normands, qui sont les gens les plus conservateurs du monde, inclinent vers la
Gauche, très fortement ! » 2
« Qu’il est difficile de porter un jugement sur l’opinion publique ! Ainsi les bons Rouennais
(qui ne sont pas bons, du tout) sont presque tous pour le centre gauche, fort peu dévots, et
nullement cléricaux, ce qui n’empêche pas que hier les Processions de la Fête-Dieu ont été
splendides. Les rues regorgeaient de monde. ? Et deux généraux (par ordre supérieur, il est
vrai) accompagnaient l’Archevêque. Tirez donc une conclusion ! » 3
Comme les Chavignollais, ces Rouennais se conduisent sans logique. Ils sont tantôt à droite, tantôt
à gauche, tantôt cléricaux. Ils peuvent même devenir révolutionnaires, à un certain moment. En
effet, à peine une règle est-elle reconnue dans leur conduite générale, que tous les citoyens
commettent par hasard une nouvelle conduite, pour invalider cette règle elle-même, et ainsi de suite.
Leurs principes de comportement restent toujours introuvables. Pour Flaubert, il est même inutile,
voire « chimérique », de chercher quelques règlements dans la réaction de ces bourgeois, dans le but
de s’y conformer. L’écrivain dit :
« Ah ! le monde est drôle, et vouloir se régler d’après son opinion me semble chimérique. » 4
Selon lui, les Rouennais comme les Chavignollais ne doivent, dans aucun cas, suivre un mode
de vie réglé.
2. Les principes.
Cependant, ici, nous sommes tentés de faire une objection à Bouvard et Pécuchet (et
Flaubert), puisque leur argument ne semble pas nécessairement démentir l’existence de lois qui
décident a priori la « manière » de vivre des Chavignollais. Certes, les villageois ne peuvent pas
préciser leur décalogue. Certes, les deux protagonistes ne peuvent pas eux-mêmes le découvrir.
Mais pour nous, il semble toujours possible que tous ces bourgeois respectent les règles muettes de
la “Communauté”, qui restent incompréhensibles pour les étrangers. Les villageois pourraient, eux,
assimiler parfaitement les lois locales, à tel point qu’ils les suivent sans en avoir conscience. De fait,
chaque fois qu’il survient un incident imprévu dans la commune, ces habitants se conduisent sans
1
msgg10,fo 43v,p.159.
2
Corr.IV, p.620, lettre à George Sand, 4 décembre 1872. Flaubert souligne.
3
Corr.IV, p.809, lettre à la Princesse Mathilde, 8 juin 1874.
4
Corr.IV, p.800, lettre à George Sand, 26 mai 1874.
hésitation, comme s’ils savaient par coeur comment réagir en tant que membres sociétaires ; et ils se
retrouvent effectivement en accord avec tous les autres villageois. Aussi, chaque fois qu’il est
question d’un jugement, les notables réagissent avec détermination « sans qu’on puisse en fournir
de preuves », comme si le mode de pensée communautaire était pour eux a priori évident ; et
effectivement, chaque fois, il s’avère que « tout le monde est d’accord » (p.343) pour soutenir ou
démentir le jugement en question. Rappelons donc des exemples de ces réactions unanimes :
« tout le monde dans Chavignolles suçait des tuyaux de plume. » (p.129)
« au 10 décembre, tous les Chavignollais votèrent pour Bonaparte. » (p.242)
« Tous réclamaient un Sauveur. » (p.251)
« Toutes les bourgeoises, maintenant leur envoyaient le pain bénit. » (p.328)
« tous regrettaient l’ancien régime ». (p.359)
Même si aux yeux de Bouvard et Pécuchet, ces comportements des notables paraissent incohérents,
il est imaginable qu’un observateur plus compétent que ces deux hommes réussisse à déceler les
systèmes qui règlent en secret la manière de vivre chavignollaise. Il pourrait ainsi éclaircir la
cohérence cachée de la vie de la “Communauté”.
De fait, dans notre deuxième partie, nous avons cru trouver, nous-mêmes, les principes qui
définissent le mode de vie des villageois. À notre avis, leur « manière » de vivre consiste à défendre
l’ordre public. Rappelons que tous les Chavignollais soutiennent le gouvernement du moment qui
semble protéger l’ordre social, et critiquent les constitutions qui en sont incapables. Ils respectent
les frontières, s’arrêtent « sur le seuil » et défendent les « bases » sociales. Sédentaires, ils ne
voyagent pas, veulent même bloquer l’entrée de la commune, et contrôler la communication avec
l’extérieur, qui est source de désordres. Il semble dès lors incontestable que tous leurs
comportements sont réglés par des « principes » conservateurs. Cette impression est confirmée par
l’avis de Flaubert, définissant les bourgeois comme amis de l’ordre :
« les bourgeois se sont rangés du côté des agents de police » 1 .
« Ces bons bourgeois, qui ont nommé Isidore pour défendre l’ordre et la propriété, n’y
comprennent plus rien ! » 2
« la bêtise du Bourgeois ! Résumée actuellement par le grand parti de l’Ordre » 3 .
La vie de ces bourgeois-notables nous semble ainsi bien cohérente : « il y a des principes » (p.318)
dans leur conduite.
Néanmoins, comme le dit Flaubert lui-même dans une autre lettre, il « serait temps de se
défaire « des Principes » et d’entrer dans la Science, dans l’Examen » 4 . En effet, il est maintenant
nécessaire de démolir le mythe du décalogue qui règle a priori la conduite des membres. Voyons
d’abord comment, dans le texte, nos protagonistes se défont eux-mêmes de ces «Principes », de ces
lois mythiques considérées comme origine des comportements communs des sociétaires. Bouvard
dit :
1
Corr.VI, p.57, lettre à sa nièce Caroline, 20 juin ? 1869.
Corr.III, p,502, lettre à sa nièce Caroline, 19 mai 1866.
3
Corr.15, p.593, lettre à Maurice Sand, 29 août 1877. Voir aussi Corr.15, p.591, lettre à Madame
Brainne, 23 août 1877.
4
Corr.IV, p.314, lettre à George Sand, 30 avril 1871.
2
« Ils ne font que résumer des connaissances acquises, et nous reportent vers ces notions, qui
précisément sont discutables. » (p.318-319)
De fait, il est nécessaire d’admettre que les « Principes » de la “Communauté”, y compris ceux de
Chavignolles, sont toujours reconnus d’après les « connaissances acquises ». Nous avons formulé,
nous-mêmes, les règles conservatrices des notables, en faisant synthèse de leurs comportements
déjà connus ; nous déduisons, en effet, que les principes de ces villageois consistent à respecter
l’ordre public, puisqu’ils observent toujours les frontières, puisqu’ils accusent toujours les désordres
naturelles comme sociaux. Ici, il est évident que, comme le dit Bouvard, ces principes ne font que
« résumer » a posteriori la conduite déjà acquise des villageois. Mais en aucun cas, ces lois ne
peuvent composer un décalogue qui définit a priori les comportements à tenir des Chavignollais.
Nous ne pouvons donc pas dire qu’à cause de ces lois conservatrices, tous les Chavignollais sont
obligés de respecter les frontières, d’arrêter « sur le seuil » et de s’abstenir communément du
voyage. Du reste, comme le dit Bouvard, dès que nous considérons ces principes comme origine de
la conduite commune des membres, dès que nous mystifions ainsi les règlements, nous sommes
reportés « vers ces notions, qui précisément sont discutables ».
Voyons une lettre de Flaubert qui résume tout cet argument :
« Si les sciences morales avaient, comme les mathématiques, deux ou trois lois primordiales à
leur disposition, elles pourraient marcher de l’avant. Mais elles tâtonnent dans les ténèbres, se
heurtent à des contingents et veulent les ériger en principes. [...] Quelle découverte ce serait
par exemple qu’un axiome comme celui-ci : tel peuple étant donné, la vertu y est à la force
comme trois est à quatre ; donc tant que vous en serez là vous n’irez pas là. » 1
Évidemment, aucun observateur ne découvre « deux ou trois lois primordiales », décalogues qui
définissent a priori la manière de vivre des membres. Il ne trouve pas non plus un « axiome »,
suivant lequel il peut démontrer pourquoi, depuis toujours, tous les hommes se conduisent ainsi et
non pas autrement dans une société 2 . L’« axiome » est introuvable, puisqu’il est un mythe. En
réalité, la naissance d’une coutume sociale n’est pas a priori contrôlée par quelque loi
mathématique. Au contraire, une habitude s’enracine dans une société, à cause de contingences ou
d’un « triomphe de la routine et du hasard ! » 3 Elle s’y installe, lorsque tous les habitants répètent
une même conduite, gratuitement, sans savoir eux-mêmes pourquoi. Par conséquent, dans le
domaine des « sciences morales », les savants doivent renoncer à la quête d’axiomes. Comme
l’affirme l’écrivain, ils sont obligés d’observer seulement la coutume gratuite, pour l’ériger a
posteriori en principe.
L’idée de Flaubert est d’ailleurs bien exprimée dans son roman philosophique : les
Chavignollais se conduisent communément, non pas parce qu’ils partagent a priori le décalogue, ni
parce qu’ils sont guidés par les « axiomes » du comportement, mais effectivement à cause
d’éléments « contingents ». D’après le texte, il est purement hasardeux que ces bourgeois se
retrouvent en accord avec les autres, alors que chacun d’entre eux ne fait que « ce qu’il est enclin à
faire » 4 . Voici un des exemples de ces hasards :
1
Corr.II, p.378-379, lettre à Louise Colet, 7 juillet 1853.
Dans la même lettre, Flaubert veut savoir les lois, qui expliquent notamment « pourquoi y a-t-il, et
y a-t-il toujours eu, des harems en Orient ». Ibid., p.378.
3
msgg10,fo 37,p.136.
4
Saul KRIPKE, Règles et langage privé, introduction au paradoxe de Wittgenstein, Seuil,
2
« Et tous regrettaient l’ancien régime, Hurel par bassesse, Coulon par ignorance, Marescot,
comme artiste. » (p.359)
Il est évident que le regret unanime de ces villageois ne dérive pas de quelque décalogue de leur
“Communauté” ; car, manifestement, chacun n’écoute que sa propre inclination, la « bassesse »,
l’« ignorance » et le snobisme, pour se retrouver par hasard en accord avec les autres. Il en va de
même pour le vote de l’élection. Les notables choisissent unanimement Bonaparte, alors qu’ils
suivent en fait chacun leur intérêt personnel. M. de Faverges, un aristocrate réactionnaire, veut
« rétablir l’obéissance » et l’autorité (p.251) ; Petit, le socialiste du village, a un penchant pour le
totalitarisme ; le curé est prêt à accepter n’importe quel gouvernement, pourvu que la religion soit
protégée ; M. Vaucorbeil est un libéral, qui réclamait jadis « l’adjonction des capacités » (p.109)
mais qui est plus tard « revenu de tout », y compris en politique (p.257). Évidemment, leur choix
commun ne doit pas dépendre de quelques règles politiques qu’ils partagent a priori. D’ailleurs,
d’après l’étude de Bouvard et Pécuchet, il peut arriver que tous les citoyens considèrent une pièce
de théâtre comme excellente, alors qu’ils ne partagent pas les mêmes principes esthétiques, et
n’entendent pas de la même façon ce que signifie l’excellence. Les critiques comme les amateurs se
contrarient et se déchirent face à la simple question « qu’est-ce que le Beau » (p.219). Ils
considèrent la beauté selon leur vision personnelle, selon leur opinion incompatible avec les idées
des autres. Aussi, seul le hasard explique que tous ces publics considèrent un même drame comme
« Beau ».
La constatation est donc formelle : les notables ne suivent a priori aucun règlement de
conduite commun, même s’ils se retrouvent toujours en accord avec les autres. Ils sont, en ce sens,
comparables aux joueurs de balle, décrits par Wittgenstein dans ses Investigations philosophiques :
« Nous pouvons fort bien imaginer que des personnes s’amusent sur un pré à jouer à la balle
de façon à commencer divers jeux habituels, sans en terminer quelques-uns, et que dans
l’intervalle elles se mettent à lancer la balle à l’aventure, à se pourchasser à coups de balle,
etc. Et voici que quelqu’un affirme : pendant tout ce temps-là ces gens ont joué un jeu de balle
et partant, à chaque coup ils se sont conformés à des règles précises. »
« Et n’y a-t-il pas aussi le cas où nous jouons et « make up the rules as we go along » ? Et
même le cas où nous les modifions ? as we go along. » 1
Comme ces joueurs, en effet, les membres communautaires se comportent communément, malgré
eux et gratuitement. Leurs réactions concordent, leurs avis s’accordent. Mais ils ne partagent pas a
priori la même règle de jeu. En fait, seul le « quelqu’un », observateur optimiste, prétend que vu les
concordances nombreuses de leurs réactions, ces sociétaires ont la même «manière » de vivre, et
partant ils doivent à leur insu suivre les mêmes règles, chaque fois qu’ils choisissent une décision
commune. Il peut arriver que cet observateur établit les « principes » qui expliquent bien le mode de
comportement des membres, d’autant plus que ce savant part de l’idée préconçue que la société doit
fonctionner avec les lois définies. Néanmoins, ces règles ne constituent jamais l’origine de la
conduite commune. D’ailleurs, il est inévitable qu’au fur et à mesure, tous ces membres-joueurs
prennent une nouvelle habitude, qui ne se conformera plus aux principes que l’observateur a cru
deviner.
coll.« L’ordre philosophique », 1996, p.104.
1
Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus suivi de Investigations philosophiques,
Gallimard, coll.« Tel », 1961, p.155-156.
3. Les exceptions des conduites chavignollaises.
Il en va de même pour les « principes » conservateurs que nous avons décelés. Ces lois, qui
résument bien le mode de vie déjà acquis des notables, peuvent être invalidés à tout moment, si par
hasard, toute la commune commence à se conduire autrement. De fait, pendant la révolution de
1848, au chapitre VI qui se situe juste au milieu du texte, nos « principes » ne peuvent plus
expliquer la « manière de vivre » des Chavignollais. À cette époque, les villageois changent
radicalement leur comportement. Ils se montrent immigrés, déracinés, nomades, hostiles à la
frontière. Ils sèment eux-mêmes les désordres. Ils ne sont plus des amis de l’ordre public. Voici
donc la constatation de cette métamorphose.
D’abord, lors de la révolution, les villageois virent au socialisme, tout comme les bourgeois
de l’Éducation :
« Les conservateurs parlaient maintenant comme Robespierre. » (p.242)
« Les conservateurs parlaient maintenant comme Sénécal » 1 . (ES,p.469)
M. de Faverges distribue lui-même les brochures qui « réclamaient le suffrage universel » (p.225).
Lors de la plantation des arbres de la liberté, le comte se déclare même « charmé de la Révolution ».
Il s’écrie : « tout pour le peuple, désormais ! » (p.228) Or, en temps normal, cet aristocrate compare
la révolution à «Satan » (p.359), et affirme : « il était plus heureux, ce pauvre peuple, quand les
seigneurs et les évêques tempéraient l’absolutisme du roi » (p.359).
En même temps, les Chavignollais commencent à communiquer avec le dehors, qui était jadis
considéré comme source de désordre. D’abord, ils s’abonnent aux journaux pour savoir les
nouvelles de Paris. Et puis, ils échangent des correspondances avec les étrangers : « le matin, on
s’encombrait au bureau de la poste, et la directrice ne s’en fût pas tirée sans le Capitaine, qui
l’aidait, quelquefois » (p.229). Ils ne sont plus sédentaires. M. de Faverges se rend lui-même à
Cherbourg, pendant les journées de Juin (p.239) 2 . De plus, à l’occasion de la secousse
révolutionnaire, certains membres de l’élite s’avèrent immigrés de la capitale. Ils expriment même
leur nostalgie pour la vie citadine :
M. Vaucorbeil : « Fruit sec des concours, il regrettait Paris ». (p.231)
Mme Marescot : « C’était une Parisienne qui s’ennuyait à la campagne » 3 (p.241)
Ces anciens Parisiens veulent retourner à la capitale, aux antipodes de la campagne. Selon le
scénario 4 , la famille du notaire déménagera effectivement à Paris : « Marescot a quitté
Chavignolles, p. Le Havre ? a fait des spéculations et est notaire à Paris ». Notons qu’outre
Marescot et Vaucorbeil, Beljambe est aussi venu du dehors, ayant été jadis « ancien chef à Lisieux »
(p.103).
Et puis, dans cette confusion générale, les villageois ne respectent plus les frontières. Surtout,
les gardes nationaux de Chavignolles, dont la mission consiste à défendre l’ordre, violent largement
la propriété privée et sèment des troubles inquiétants. Ils ne respectent même pas les règlements, ne
s’arrêtent plus « sur le seuil ». La surveillance de la frontière n’est qu’un travail ennuyeux :
1
Notons que ce Sénécal « tâchait de ressembler à Blanqui, lequel imitait Robespierre. » (ES,p.374)
Le comte se trouve d’ailleurs à Paris, lorsqu’au début, les héros offrent le dîner (p.103).
3
Voir aussi p.105.
4
msgg10,fo 67r, p.124.
2
« On tirait les sonnettes des maisons, par facétie ; on pénétrait dans les chambres où des
époux ronflaient sur le même traversin ». (p.238-239)
« le factionnaire qui s’ennuyait à la porte l’entrebâillait à chaque minute. L’indiscipline
régnait, grâce à la mollesse de Beljambe. » (p.239)
Cette indifférence des villageois envers l’ordre social s’observe clairement dans leur
discussion sur les travaux publics, lors d’une séance du conseil municipal. Pour calmer les colères
des ouvriers insurgés, les notables proposent des plans de travaux, qui témoignent tantôt de leur
manière conservatrice ordinaire, tantôt de leur opposition à l’ordre actuel. Voici une de ces
propositions ambiguës :
« On pouvait curer la mare ? ce n’était pas un travail suffisant ! ou bien creuser une seconde
mare ! mais à quelle place ? » (p.235)
De fait, qu’il s’agisse de « curer la mare » ou de « creuser une seconde mare », il est toujours
question de percer un trou et de l’inonder. Or, en état normal, le percement et l’inondation font
partie plutôt de la thématique des “autruis” barbares que de celle des membres conservateurs du
village.
Voyons un autre plan proposé, qui confirme cette fois leur « manière » de vivre normale.
Nous y trouvons leur hostilité aux liquides libres, et leur affinité pour les murs et les digues :
« Langlois était d’avis de faire un remblai le long des Mortins, en cas d’inondation. » (p.235)
Ici, Langlois préfère maîtriser la fleuve et l’enfermer entre les digues, plutôt que de percer des trous
sur les murs et les frontières. L’idée est l’antithèse même du projet précédent. Entre ces deux plans
opposés, entre la « mare » et le « remblai », le conseil municipal reste indécis, jusqu’au moment où
Girbal propose une tout autre idée, qui semble concilier ces deux propositions :
« Girbal proposa un chemin d’Angleville à Tournebu. Celui de Bayeux rendait absolument le
même service. » (p.235)
Notons d’abord que la construction des routes est a priori embarrassante pour les provinciaux
enfermés, qui considèrent la communication extérieure comme dangereuse, voire nuisible, pour
l’ordre de la commune. La proposition de Girbal semble en ce sens opposée à leur penchant général.
En fait, l’homme propose un compromis, qui réconcilie le penchant nomade avec le penchant
sédentaire. Il s’agit de doubler la route, de construire le « chemin d’Angleville à Tournebu » dont le
service est « absolument le même » que celui de Bayeux. L’idée semble convaincante pour les
autres notables. Ils décident de prendre une variante de ce plan, proposée par Hurel :
« Le chemin de Tournebu aurait un embranchement sur Angleville, et qui mènerait au château
de Faverges. » (p.237)
Autrement dit, au lieu de construire le nouveau chemin permettant la nouvelle communication, les
conseillers municipaux choisissent de reproduire le chemin de « Bayeux », en reliant «Angleville »
et « Tournebu ». Ils décident d’établir la route qui n’aboutirait pas à l’endroit inconnu, mais qui
« mènerait au château de Faverges ».
Ainsi, l’argument aboutit à une conclusion claire : dans Chavignolles, il n’existe pas un
décalogue qui ordonne ou interdise a priori certains comportements aux membres. Il n’existe pas
une « manière » de vivre a priori définie. Aussi, pour les deux protagonistes, il est bien établi que le
village manque de cette deuxième condition de la “Communauté” idéale dont nous avons parlé au
début de ce chapitre.
4. Le contour retracé.
(1) La certitude.
Cette conclusion des protagonistes est pourtant inacceptable pour les notables, puisque
comme le dit Marescot, elle « donne carrière à tous les débordements, excuse les crimes, innocente
les coupables » (p.318). En effet, lorsque Bouvard et Pécuchet prétendent qu’il n’existe pas une
« manière de vivre » des membres a priori définie, ils affirment, en même temps, qu’il est
impossible de distinguer a priori la bonne conduite des sociétaires et la mauvaise conduite des
“étrangers”. Selon eux, personne ne peut dire « quelle démarcation établir entre les phrases
innocentes et les coupables » (p.241). Aussi, personne ne peut différencier a priori les membres dits
honorables et les “autruis” barbares comme Touache ou Gorgu ; car, tous ces gens ne font
finalement que ce qu’ils sont enclins à faire. Ainsi dit Bouvard :
« Le malheureux qui suit ses appétits est dans son droit, comme l’honnête homme qui écoute
la Raison. » (p.318)
Or, les Chavignollais sont scandalisés de cet argument, puisqu’ils se considèrent, eux, comme
honnêtes hommes à part entière, différents par nature des «malheureux ». Ils se convainquent de
suivre le mode de vie correct. En effet, ils prétendent respecter les lois de la société, d’abord, sous
prétexte que leurs réactions concordent depuis toujours avec celles de la collectivité, avec le sens
commun. M. Jeufroy, par exemple, justifie sa maîtrise des doctrines chrétiennes, en disant que ses
avis sont toujours agréés par la “Communauté” ; il dit : « Dans l’embarras recourons à l’Église. Elle
est toujours infaillible » (p.348). En même temps, les villageois prétendent suivre une bonne
conduite, en se référant à leurs sens personnels ; selon eux, ils sont des membres honorables,
puisque leur raison, leur mémoire et leurs cinq sens assurent qu’ils le sont.
Néanmoins, toujours d’après Bouvard et Pécuchet, ces notables doivent tôt et tard admettre
que leur conviction n’est pas fondée, que leur certitude n’est pas justifiable. En effet, d’après les
deux héros, la concordance avec la collectivité ne prouve rien, le « sens commun » n’est pas le
« critérium de la certitude » 1 . Car, comme nous l’avons vu, il peut être purement hasardeux que les
villageois se retrouvent souvent en accord avec la collectivité. Mais en même temps, les villageois
ne peuvent pas non plus justifier leur certitude, en citant leurs « sens » personnels. Selon nos deux
protagonistes, il est inutile de « se fier au témoignage des sens » qui semble confirmer une certitude,
puisqu’« ils trompent parfois, et ne renseignent jamais que sur l’apparence » (p.307). La raison
personnelle n’est pas non plus sûre : « Rien ne prouve que celle-là soit juste » (p.307) ; aussi, même
si votre raison assure que vous suivez absolument le mode de vie correct, rien ne prouve que votre
certitude en soit assurée. Bouvard affirme : « D’une sensation confuse, une loi défectueuse sera
induite, et qui plus tard empêchera la vue nette des choses » (p.308). Il est du reste préférable de ne
1
msgg10,fo 43r,p.157 : « quel sera le criterium de la certitude ? Le sens commun ! » Flaubert dit
aussi dans sa lettre : « le critérium de la certitude est dans le sens commun, autrement dit dans la
Mode et la Coutume ». Voir Corr.IV, p.758, lettre à George Sand, 31 décembre 1873. Flaubert
souligne.
pas « admettre deux connaissances », « celle du corps qui a senti, celle de l’intelligence qui a
perçu », de ne pas « admettre le Sens et la Raison, témoignages humains, et par conséquent
suspects » (p.308). Et finalement, la mémoire ne peut pas non plus confirmer une certitude : un
membre ne peut pas justifier sa conviction de maîtriser le mode de vie correct, en se souvenant qu’il
reste toujours un membre honnête de la “Communauté”. En effet, cet homme peut être un malade
mental qui croit depuis toujours être citoyen honnête, alors qu’il est un criminel condamné ; sa
certitude concernant sa conduite est, dans ce cas-là, erronée depuis toujours. Or, selon nos deux
chercheurs, « une erreur, fût-elle vieille de cent mille ans, par cela même qu’elle est vieille ne
constitue pas la vérité » (p.307). Ou bien, il est probable que cet homme croit se conduire
correctement, par l’effet du magnétisme. Hypnotisé, il pourrait s’imaginer avoir le sens correct,
alors qu’en réalité, il commet toujours des erreurs. Rappelons qu’au chapitre VIII, les deux
protagonistes apprennent que certains « Possédés » se convainquent aveuglément de « voir, les feux
errants des cimetières, la forme des fantômes » sous l’effet de « l’od, un nouvel impondérable, une
sorte d’électricité », ou « un agent secret et universel » (p.292) ; ces hypnotisés peuvent aussi croire
à « la Revalescière, la pommade Dupuytren, l’eau des châtelaines, etc. » (p.242). Au demeurant, la
conviction d’un villageois ne prouve rien, puisque selon Bouvard et Pécuchet, ses critériums ne sont
jamais fiables. Le scénario conclut : « bref, pas de critérium » 1 .
Ainsi, pour les deux héros, il est établi que les notables ne partagent pas a priori les mêmes
principes de vie. Aucun mur culturel ne les distingue a priori des barbares extérieurs, même si les
bourgeois sont convaincus du contraire. Le problème est qu’en réalité, même sans décalogue ni
sociétariat, ni muraille solide, les villageois constituent ensemble une “Communauté”,
Chavignolles, qui se discerne bel et bien de l’extérieur. Ici, il est question de savoir comment ce
phénomène est possible.
(2) La contraposition.
Prenons pour exemple la “Communauté” des soi-disant normaux, comme le fait Flaubert luimême dans le texte. Il est évident que cette “Communauté” n’a pas a priori de frontière définie.
Personne ne peut dire rigoureusement qui sont les membres, quelle est le mode de vie sain ou quel
décalogue est à respecter pour en rester sociétaires, d’autant plus que selon les circonstances, les
prétendus normaux peuvent réagir exactement comme les aliénés, et vice versa. Du reste, même si
en dépit de ce manque de critère, ces soi-disant membres se convainquent de leur bonne santé
mentale, leur certitude n’est pas justifiable. De fait, nous ne pouvons pas prouver notre normalité,
sous prétexte que nos réactions concordent toujours avec celles des autres ; la concordance peut
résulter de hasards répétitifs. Nous ne pouvons pas prouver notre santé morale, non plus, sous
prétexte que notre raison personnelle nous en convainc ; la raison personnelle peut être erronée.
Dans cette condition, il est même naturel que Flaubert ne reconnaisse pas la différence entre
les fous et lui-même :
« Oh ! comme on se sent près de la folie quelquefois, moi surtout ! Tu sais mon influence sur
les fous et comme ils m’aiment ! » 2
Ici, l’écrivain souligne la singularité de sa relation avec les fous, comme s’il était le seul
homme dans le monde qui sente une affinité avec les aliénés. Or, en théorie, se sentir « prés de la
folie » ne devrait pas être l’exclusivité d’un artiste. Au contraire, tous les individus devraient se
1
msgg10,fo 30,p.105.
2
Corr.II, p.219, lettre à Louise Colet, 27 décembre 1852.
sentir quelque part « fous ». Il leur devrait même être impossible de se distinguer des malades.
Néanmoins, en réalité, les gens dits normaux s’identifient entre eux, se différencient des fous.
En fait, il n’est pas nécessaire pour ces hommes de connaître la condition de la normalité, de
justifier leur certitude d’être sains, afin de constituer ensemble une “Communauté”. Surtout, ils
n’ont pas besoin de dire : nous respectons une telle « manière de vivre », donc nous sommes des
membres normaux (et les autres sont les fous). Ils doivent dire simplement : ceux qui ne sont pas
des membres normaux ne respectent pas la « manière de vivre » normale. Ils utilisent la
“contraposition”. En empruntant les mots du Dictionnaire des idées reçues, nous pouvons résumer
ce changement d’expressions suivant le schéma :
« Tous ceux qui pensent comme vous : normaux. »
?
« Imbéciles : Tous ceux qui ne pensent pas comme vous. » (p.530)
Autrement dit, pour constituer une “Communauté”, « vous » n’avez pas besoin de définir le mode
de pensée propre à « vous ». Il ne « vous » est pas nécessaire non plus de préciser votre identité, de
justifier votre certitude d’être membres. Il «vous » suffit d’indiquer au hasard quelques individus
maladroits, et de conclure que vus leurs nombreuses bavures, ces « imbéciles » ne partagent pas la
même « manière » de penser que « vous ». Le contour de la “Communauté” est ainsi tracé, sans que
le sociétariat soit mentionné.
De fait, dans la vie réelle, un fou est facilement désigné, alors qu’il est impossible de définir
l’identité de l’« honnête homme » (p.318). Ainsi, un « malheureux » (p.318), dont les
comportements ne concordent pas assez souvent avec ceux des autres, est considéré tout de suite
comme un “fou”, possédant une mentalité différente de celle des autres :
« Un déviant, dont les réponses ne concordent pas assez souvent avec celles de la collectivité,
ne sera pas considéré par celle-ci comme suivant ses règles : il se peut même qu’on le tienne
pour fou, et comme ne suivant en fait aucune règle cohérente. » 1
Par exemple, un enfant illettré passe pour un idiot, à cause de ses vocables peu communs : « Victor
distinguait ses lettres, mais n’arrivait pas à former les syllabes. Il en bredouillait, s’arrêtait tout à
coup, et avait l’air idiot » (p.371). Aussi, un artiste sain mais excentrique peut être considéré comme
un fou par les bourgeois, qui, pourtant, ne savent donner « aucune définition raisonnable de la santé,
de la maladie, de la diathèse, ni même du plus ! » (p.134) Flaubert en témoigne dans sa lettre :
« J’ai appris ces jours-ci l’internement à Saint-Yon (maison de fous de Roue n) d’un jeune
homme que j’ai connu au collège. Il y a un an, j’avais lu de lui un vol[ume] de vers stupides.
Mais la préface m’avait remué comme bonne foi, enthousiasme et croyance. J’ai su qu’il
vivait comme moi à la campagne, tout seul et piochant tant qu’il pouvait. Les bourgeois le
méprisaient beaucoup. Il était (disait-il) en but à des calomnies, à des outrages. Il avait tout le
martyre des génies méconnus. Il est devenu fou. Le voilà délirant, hurlant et avec des
douches. ? Qui me dit que je ne suis pas sur le même chemin ? Où est la limite de
l’inspiration à la folie, de la stupidité à l’extase ? Ne faut-il pas, pour être artiste, voir tout
d’une façon différente à celle des autres hommes ? [...] Ce serait un joli livre à faire que celui
qui raconterait l’histoire d’un homme sain (il [l’] est peut-être, lui ?) enfermé comme fou et
1
Saul KRIPKE, ibid., p.109.
traité par des médecins imbéciles. » 1
En effet, puisqu’on ne peut pas fixer a priori « la limite de l’inspiration à la folie, de la stupidité à
l’extase », puisque la santé n’est pas a priori définie, tous les individus sains peuvent passer pour
fous dangereux, si par hasard, sur divers sujets, leurs réactions sont systématiquement en désaccord
avec celles des autres. Tous ces «malheureux » sont considérés comme imbéciles, qui voient les
choses « d’une façon différente à celle des autres hommes ». Ils peuvent être enfermés dans un
hôpital psychiatrique, pour que la “Communauté” normale s’en distingue ; or, en réalité, ces
malheureux sont comme ces honnêtes hommes qui font eux-mêmes tout ce qu’ils sont enclins à
faire.
Bouvard et Pécuchet sont exactement comme ce « fou » malheureux raconté par Flaubert.
Comme cet homme dont les comportements ne se distinguent pas de ceux d’un artiste sain, la
conduite des protagonistes ne se différencie pas de celle des notables. Nous ne pouvons plus dire,
par exemple, que la vie des notables est réglée a priori par les principes sédentaires, tandis que
l’existence des deux protagonistes est guidée par le nomadisme. En fait, leur conduite réciproque
n’est pas réglée par une règle de jeu définie. Ils se conduisent tous comme ils le veulent, pour se
montrer, selon les circonstances, tantôt nomades ou sédentaires, tantôt citadins ou campagnards,
tantôt soucieux ou indifférents aux frontières. Du reste, le texte montre d’étonnantes ressemblances
entre les deux protagonistes et les Chavignollais. M. Vaucorbeil évoque Bouvard, car, comme notre
héros, le médecin n’est « pas un catholique » (p.158). Il est pédantesque et sceptique, comparable à
Pécuchet : « il jugeait les choses avec scepticisme, comme un homme qui a vu le fond de la science,
et cependant ne tolérait pas la moindre contradiction » (p.105). Quant à Mme de Noaris, « avec son
nez pointu », elle ressemble fort à Pécuchet (et donc à M. Rocque) (p.345). Son activité évoque
l’ancien travail des deux héros : elle passe son temps « à répandre des photographies du SacréCoeur », séries de cliché, de copies (p.355). Mme Bordin ressemble aussi aux deux bonshommes,
puisqu’elle pénètre dans la propriété des autres, tout comme les deux arpenteurs envahissent les
maisons des voisins au dernier chapitre.
Cependant, les réactions de Bouvard et Pécuchet, qui ne sont en rien aberrantes par ellesmêmes, ne correspondent pas assez souvent malheureusement avec les comportements des
villageois. Autrement dit, la conduite des deux hommes est qualitativement assimilable avec celle
des villageois, mais quantitativement dissemblable. Par conséquent, alors que ces deux hommes
« ne sont pas précisément des imbéciles » 2 , ils sont considérés comme des malades mentaux, dont la
« manière de vivre » est différente de celle des normaux. Ainsi, à propos de Pécuchet, « Vaucorbeil
le crut fou » (p.314). Le Préfet s’inquiète de savoir « si B et P n’étaient pas des fous dangereux » 3 ,
alors que le docteur lui répond que « ce sont deux imbéciles inoffensifs » 4 . Bouvard et Pécuchet
deviennent aussi « suspects », inspirent même « une vague terreur » dans toute la commune :
« ? et il se forma contre eux une sourde coalition, entretenue par l’abbé Jeufroy, Mme Bordin,
et Foureau. »
« Leur manière de vivre ? qui n’était pas celle des autres
? déplaisait. Ils devinrent suspects ; et même inspiraient une vague terreur. » (p.296)
1
Corr.II, p.165-166, lettre à Louise Colet, 1-2 octobre 1852. Flaubert souligne. Cf. Corr.III, p.59,
lettre à Ernest Feydeau, 29 novembre 1859 : « voilà longtemps que je médite un roman sur la folie,
ou plutôt sur la manière dont on devient fou ! » (Flaubert souligne).
2
msgg10,fo 2r,p.4-5.
3
msgg10,fo 32,p.116. Aussi msgg10,fo 67,p.125.
4
msgg10,fo 19,p.73-74. Aussi msgg10,fo 46v,p.168.
En fait, ici, en affirmant que les deux immoraux ne suivent pas la « manière de vivre » correcte, ces
bourgeois se disent qu’ils sont, eux, des gens moraux, appartenant à une même “Communauté”
morale. Les notables forment ainsi une « sourde coalition » entre eux, sans préciser les principes
moraux qu’ils sont censés partager.
Voyons aussi un scénario qui montre le même mécanisme :
« Bien montrer l’hostilité publique parce qu’ils ne sont pas comme les autres. » 1
Ici aussi, la “Communauté”, ou « hostilité publique », est formée, lorsque le mode de vie des
protagonistes est considéré comme différent de celui des autres villageois, mais non pas lorsque ces
villageois constatent qu’ils partagent, eux, telle ou telle manière de vivre commune entre eux. La
“Communauté” est constituée, sans qu’un décalogue ou une condition de sociétariat soit défini.
Au demeurant, nous ne pouvons plus dire que la définition de la “Communauté” est a priori
faite, donc que la démarcation est possible entre les membres et les “autruis”. Plutôt, nous devons
dire que la marginalisation des “autres” est faite, donc que la frontière de la “Communauté” est
retracée tant bien que mal2 .
(3) La “Communauté” religieuse.
Cette méthode, efficace pour fabriquer une “Communauté”, n’est évidemment pas une
exclusivité des Chavignollais. Elle est utilisée par tous les prétendus membres, afin de définir leur
société qui manque a priori de sociétariat. Dans le texte, M. Jeufroy y a recours, pour définir sa
Communauté chrétienne. En effet, le contour de cette société est flou. Il n’existe pas de murailles
toutes faites qui séparent a priori l’intérieur de l’extérieur. Il n’existe pas une « manière » de penser
chrétienne déjà fixée. Certes, un sociétariat peut être défini a posteriori à l’occasion des conciles.
Mais selon Bouvard et Pécuchet, cette éventuelle condition d’entrée peut être à tout moment
démentie, selon les circonstances. Les héros affirment :
« Mais souvent les conciles diffèrent, témoin ce qui se passa pour Athanase et pour Arius ».
(p.348)
Par conséquent, pour déterminer la “Communauté” chrétienne, M. Jeufroy ne peut pas dire : ceux
qui respectent un tel mode de vie sont les chrétiens (donc, les autres sont des hérétiques).
Également, il doit éviter de dire : ceux qui vivent de «manière » honnête sont les chrétiens. Car
d’abord il ne peut pas expliquer en quoi consiste l’honnêteté. Et puis, selon Bouvard et Pécuchet,
« les patriarches, les mormons, les musulmans » peuvent se conduire exactement comme les
catholiques, dans les mêmes occasions (p.364). L’abbé ne peut pas dire non plus : ceux qui
possèdent le savoir sacré sont les croyants ; car, selon les deux bonshommes, les non-croyants sont
aussi des savants excellents, d’autant plus que le curé ne dit pas ce que signifie le savoir. Enfin, M.
Jeufroy ne peut pas dire : les martyrs sont des membres ; car, le curé ne connaît pas la définition
précise des martyrs, et selon les deux hommes, la mort des hérétiques est semblable à celle des
chrétiens : ils se sont voués tous à leur cause. Il en résulte que l’ecclésiastique emploie
systématiquement la contraposition, pour discerner la société chrétienne de l’extérieur. Il dit :
1
msgg10.fo 25,p.18.
Notons que même dans Salammbô, la “Communauté” punique est formée par rapport aux
“autruis” : « la commune entière » s’unit, seulement lorsqu’elle rejette les barbares au dehors.
2
« qui n’est pas chrétien n’est pas honnête ! » (p.364)
« Monsieur, on n’est pas savant, si l’on n’est chrétien. » (p.347)
« « Et quand même » objecta le Prêtre, en secouant de colère son parapluie « on ne peut les
appeler des martyrs. Il n’y en a pas en dehors de l’Église. » » (p.353)
Dans ces trois cas, le curé désigne d’abord les malchanceux (Spinoza, Hypatie, Jérôme de Prague,
Jean Huss, Bruno, Vanini, Anne Dubourg, etc.) dont les réactions ne concordent pas assez souvent
avec celles de la collectivité. Ensuite, l’abbé qualifie ces hommes d’“autruis”, pour conclure : les
“autruis” ne peuvent pas suivre la « manière de vivre » de la “Communauté”.
(4) La chance.
Ainsi, grâce à la contraposition, les prétendus membres retracent le contour de leur
“Communauté” qui manque a priori du sociétariat ; autrement dit, grâce à cette méthode, ils
peuvent discriminer les “autres” qui sont en fait semblables à eux-mêmes. Néanmoins, il est évident
que la division n’est jamais vraiment fixée, par ce moyen, entre les dits sociétaires et les étrangers.
La frontière de la “Communauté” peut être retracée. Et il n’existe aucune garantie que les membres
actuels demeurent à jamais des sociétaires honorables de la commune. En fait, ces hommes restent
membres, dans la seule mesure où ils se retrouvent fortuitement en accord avec les autres, quand ils
se conduisent selon leurs inclinations personnelles, quand ils font ce qu’ils sont enclins à faire 1 . Or,
le hasard peut vouloir qu’ils se retrouvent un jour isolés, lorsqu’ils se comportent comme ils en sont
tentés, même si jusqu’à maintenant, ils se retrouvaient toujours par chance en accord avec les
autres. Ils peuvent même être expulsés de la “Communauté”, considérés comme « fous »
dangereux. De fait, dans le texte, Bouvard et Pécuchet voient que Foureau se retrouve justement
isolé, lorsqu’il défend le mariage civil contre le mariage religieux que tous les Faverges sacralisent
(p.364). Heurtaux se retrouve aussi en minorité, lorsqu’il approuve avec Bouvard l’expédition en
Pologne ; selon le texte, excepté ces « deux Polonais », « tout le monde » est hostile à l’expédition
(p.229). Et Vaucorbeil pourrait être critiqué par tous les autres, car c’est un matérialiste, sceptique,
non-catholique, donc opposé à la « base » religieuse (p.158).
Par contre, les “autruis” peuvent, pour leur part, devenir des sociétaires honorables à tout
moment, si seulement ils répondent, par hasard, correctement dans les circonstances adéquates. Ici,
considérons l’ascension sociale de Gorgu, afin de savoir comment un “étranger” peut être légitimé
dans une “Communauté”. A priori, cet homme ne peut pas s’illusionner sur sa capacité à se
conduire correctement. Il ne peut pas avoir confiance ni dans ses paroles, ni dans ses décisions. Car,
il ne s’est jamais trouvé en accord avec les autres villageois. Néanmoins, il ne cherche pas les
principes qui règlent la « manière » de vivre des villageois, pour s’y conformer. Gorgu tente juste sa
chance. Il choisit la réponse qui lui semble bonne, exprime l’avis qui lui semble correct, sans savoir
par avance s’il sera en accord avec tout le monde. Il continue à engager des paris ; tantôt il perd,
tantôt il gagne. En premier lieu, quand il apparaît comme un vagabond et demande un verre à
Bouvard et Pécuchet, il est considéré comme un marginal dangereux : « son obstination à rester là
causait une sorte d’effroi » (p.108). Mais quand il réapparaît comme un menuisier et donne à son
tour un verre à Bouvard et Pécuchet, il est déjà reconnu par le monde chavignollais (p.160). Lors de
la révolution, il devient même un héros. Pourtant, Gorgu commet une grave erreur, en quittant le
1
Cf. Saul Kripke, ibid., p.25.
pays juste avant les journées de Juin (p.238). Tous les autres villageois restent à la maison, et se
contentent d’exprimer leur envie d’aller à Paris. Le texte dit :
« Quand éclatèrent les journées de Juin, tout le monde fut d’accord pour « voler au secours de
Paris », mais Foureau ne pouvait quitter la mairie, Marescot son étude, le Docteur sa clientèle,
Girbal ses pompiers. M. de Faverges était à Cherbourg. Beljambe s’alita. Le capitaine
grommelait : « On n’a pas voulu de moi, tant pis ! » et Bouvard eut la sagesse de retenir
Pécuchet. » (p.239)
Revenant au village, Gorgu doit payer cette erreur de trois mois de prison. Il est considéré
comme un danger social par toute la “Communauté” (p.240). Pourtant, cet homme réussit de
nouveau à attirer la sympathie des autres, en réapparaissant à l’église le jour de la communion, sans
barbiche, « les bras en croix sur la poitrine, d’une manière fort édifiante » (p.341). Il offre un prieDieu gothique aux futurs époux, Mlle de Faverges et M. de Mahurot, pour obtenir une place de
surveillant du cailloutage (p.366). Enfin, il s’allie à « l’autorité et l’opinion publique » (p.413), en
chargeant Bouvard de la pension alimentaire de l’enfant de Mélie. De son côté, Mélie, la petite
bonne de Bouvard et Pécuchet, accomplit elle aussi une ascension remarquable. Renvoyée par les
deux protagonistes, elle entre chez Beljambe comme servante (p.403). Elle épouse l’aubergiste, et
après la mort de son époux, « elle se remarie à Gorgu et trône à l’auberge » 1 . En bref, le couple agit
« à l’aveuglette », pour se retrouver assez souvent en accord avec tous les autres. Il gagne
finalement le pari. Maintenant, ces deux anciens “autruis” peuvent se considérer, eux-mêmes,
comme maîtres des « principes », au même titre que les notables.
Au demeurant, il s’avère que l’explication mécanique ne convient plus pour décrire la
constitution du village normand. La “Communauté” chavignollaise n’est pas comparable à une
machine, car elle n’est pas constituée par les pièces dont les nombres et types sont déterminés
(membres) ; elle ne fonctionne pas no n plus selon les lois mécaniques a priori définies (décalogue).
En fait, elle n’a même pas un contour fixé, une forme propre à elle 2 . Aussi, contrairement à ce
qu’affirment les Chavignollais, la Société bourgeoise ne devient plus le modèle de la Nature idéale,
ordonnée, réglée, dépourvue de désordres fortuits. L’homologie entre la société et la nature, étant
l’idée officielle chavignollaise, est complètement déniée par Bouvard et Pécuchet.
5. L’enfermement.
Il nous reste maintenant un seul problème à examiner : pourquoi Bouvard et Pécuchet ne
parviennent-ils pas à se comporter comme les autres villageois, à se conformer à la conduite des
Chavignollais ? Pourquoi les réactions des héros n’arrivent-elles pas à concorder avec celles des
autres, à tel point qu’ils sont considérés comme fous ? La raison principale en est certes déjà
connue : les deux hommes sont incapables de s’adapter à la vie campagnarde, parce qu’ils sont
ancrés encore dans leur vieille habitude parisienne. Pourtant, à proprement parler, nous ne pouvons
pas dire que Bouvard et Pécuchet sont prédisposés à mener la vie urbaine, qu’ils sont guidés par
quelques « axiomes » internes, pour se conduire toujours à la parisienne. En fait, à Paris, les deux
hommes prennent des habitudes urbaines gratuitement et malgré eux, au fur et à mesure qu’ils
communiquent avec les autres citadins. Aussi, ils pourraient en théorie s’habituer à la vie
1
msgg10, fo 67r,p.124.
2
Nous pouvons dire que, selon l’analyse des deux protagonistes, la constitution de Chavignolles est
comparable plutôt à l’organisme vivant, qui se munit de son propre système immunitaire, pour
distinguer les “autruis” intrus et les membres intérieurs.
provinciale, puisqu’ils séjournent dans le village plus d’une trentaine d’années. Ils pourraient se
comporter comme l’attend la collectivité chavignollaise, même s’ils gardent quelque souvenir de
leur existence antérieure. Rappelons que Marescot et Vaucorbeil sont intégrés parfaitement dans la
localité, alors que ces anciens Parisiens regrettent encore le monde urbain. Et Mélie et Gorgu,
individus issus d’un milieu déraciné, réussissent avec le temps à s’intégrer, à se conduire comme les
autres villageois. Ici, il est donc question de savoir pour quelles raisons Bouvard et Pécuchet
doivent garder leurs habitudes citadines, et rester incapables de s’accoutumer à la vie
chavignollaise.
En premier lieu, nous constatons deux contre-indications à observer, pour réussir l’intégration.
D’abord, il vaut mieux éviter la recherche du décalogue qui définit a priori la conduite des
habitants ; car, comme nous l’avons vu, ces membres ne respectent a priori aucune règle de jeu. Ils
font tous ce qu’ils sont enclin à faire, lorsqu’ils se retrouvent gratuitement en consensus omnium.
En deuxième lieu, les nouveaux venus doivent s’abstenir de chercher a postériori les conventions
qui résument la conduite des membres, en espérant s’y conformer. En effet, tant qu’ils observent les
comportements des sociétaires et y cherchent les règles, ils ne peuvent pas se conduire comme le
font spontanément les membres. Par exemple, pendant que les “étrangers” consultent la grammaire,
ils ne peuvent pas parler comme les locuteurs natifs, qui en prennent à leur aise avec les
règlements ; rappelons qu’au chapitre X, à force de vouloir respecter les règles de la prononciation,
Bouvard et Pécuchet ne peuvent plus parler couramment : « les deux bonshommes surveillaient
leurs discours jusqu’à en être incommodés » (p.380). En fait, les nouveaux découvrent qu’ils se
conduisent comme les autres membres, seulement lorsqu’ils n’ont plus besoin d’analyser la
coutume des membres, de chercher le décalogue.
Ainsi, pour s’intégrer dans une “Communauté”, les personnes “neuves” font mieux d’écouter
ce que dit le curé, au lieu de chercher les règlements. Voici les conseils de l’ecclésiastique :
« Pratiquez d’abord. » (p.328)
« Adorons sans comprendre ». (p.344)
« À vouloir tout approfondir, on court sur une pente dangereuse. « (p.343)
Autrement dit, les nouveaux venus doivent juste tenter leur chance. Ils doivent engager le pari, se
conduire aveuglément, sans savoir a priori si leurs réactions seront acceptées par la collectivité.
Or, Bouvard et Pécuchet font tout sauf respecter les leçons du curé. Ils veulent déceler les
« principes » de la société qui ordonnent a priori la conduite à tenir. Ils veulent «comprendre » le
mode de vie communautaire, avant de « pratiquer » et de passer à l’acte à l’aveuglette. Ils veulent
« tout approfondir » (p.343), tout étudier ; par conséquent, ils sont effectivement « sur une pente
dangereuse ». En effet, à force d’étudier les règlements, les deux hommes découvrent qu’il manque
à Chavignolles les règlements en question. Ils comprennent que les habitants ne suivent a priori
aucune règle précise, mais se conduisent selon leur inclination personnelle, pour se retrouver
fortuitement en accord avec les autres. Bouvard et Pécuchet sont naturellement désespérés de
l’illogisme de la société.
Ainsi, déçus, les deux hommes n’essaient même plus de communiquer avec les autres
villageois, dont les comportements sont, selon eux, chimériques ou imbéciles :
« Dégoûtés du monde, ils résolurent de ne plus voir personne, de vivre exclusivement chez
eux, pour eux seuls. » (p.110)
« Ils ne sortaient plus, ne recevaient personne. » (p.319)
Et plus ils refusent de communiquer avec les autres, plus ils se rapprochent l’un de l’autre. Et plus
ils «s’embrassent », moins ils sortent de leur maison. La relation avec les autres Chavignollais,
dont surtout les femmes, devient un obstacle qui obscurcit leur amitié parfaite. Ils disent : « c’était
le désir d’en avoir qui avait suspendu leur amitié » (p.271). Ils finissent par s’enfermer dans leur
duo.
« Et dans leur émotion, ils s’embrassèrent. » (p.103)
« Et ils s’embrassèrent avec attendrissement. » (p.272)
« et charmés de la découverte, ils s’embrassèrent avec attendrissement. » (p.373)
Le problème est que dans cette fusion amicale, Bouvard et Pécuchet n’agissent jamais à
l’aveuglette. Au contraire, chacun agit avec la garantie qu’il est compris absolument par son double.
En effet, les deux hommes sont des jumeaux spirituels et chacun ne fait que compléter l’autre. Le
texte dit : « Chacun en écoutant l’autre retrouvait des parties de lui-même oubliées » (p.54).
Bouvard, en parlant à Pécuchet, ne parle qu’au fond à lui-même, et vice versa. Leur communication
n’est donc jamais « un saut injustifié dans l’inconnu » 1 .
Le cercle vicieux est fermé. Plus ils recherchent la « manière » communautaire, plus ils en
sont déçus et refusent de s’engager dans la communication sans garantie avec les autres. Et plus ils
s’enferment, plus ils s’approchent l’un de l’autre. Ils finissent par communiquer exclusivement avec
leur double, selon leurs habitudes parisiennes déjà acquises. Ils n’apprennent pas comment parler
aux campagnards qui leur sont “autruis”, n’arrivent pas à se conduire comme ces Chavignollais. Les
deux hommes sont ainsi obligés de garder toujours leurs vieilles coutumes parisiennes.
III. La nouvelle “Comunauté” .
Voici donc le bilan catastrophique des essais de Bouvard et Pécuchet, à la fin du chapitre IX.
En premier lieu, ils sont isolés dans Chavignolles. Ils ne réussissent pas à être acceptés par les
villageois. Ils sont considérés même comme fous. En deuxième lieu, les deux protagonistes doivent
essuyer une forte déception, puisque le village normand n’est en rien utopique. En réalité, il s’agit
d’un rassemblement de personnes “non-propres”. Certes, chaque habitant étudie un savoir dont il
est le seul spécialiste dans la commune. Et chacun emploie une terminologie pour marquer son
territoire. Néanmoins, les villageois n’ont pas l’individualité. Ils ne sont pas originaux. Ils ne
diffèrent pas au fond des copistes de Paris. En plus, les Chavignollais n’ont pas de décalogue défini.
Leur conduite ne suit a priori aucune règle de jeu commune. Seulement, les habitants se retrouvent
souvent en accord avec la collectivité, à tel point qu’ils s’imaginent voir, penser et parler de la
même façon que leurs concitoyens. Mais en fait, ils peuvent se retrouver en désaccord à tout
moment, juste fortuitement.
Il est dès lors dans la logique des choses qu’après avoir accumulé tant d’échecs et de
désillusions, les deux protagonistes abandonnent, au chapitre dernier, toutes les actions pour
s’intégrer dans le village, pour imaginer leur propre “Communauté” idéale :
« Leur utopie à eux, ce qu’ils feraient s’ils avaient le pouvoir, comment ils désirent que les
choses se passent » 2 .
Ils « rêvent de fonder » plus tard « un penitencier » pour « les jeunes détenus, une colonie semi
1
2
Saul KRIPKE, ibid., p.25.
msgg10,fo 35,p.29, fo 14,p.62, fo 16,p.68, fo 44v,p.163.
agricole, semi industrielle » 1 . Ils pensent aussi aux « utopies les plus célèbres », celles de «Platon,
Morus, Campanella, Salente, Basiliade, le pays de Zamet » 2 . Pourtant, Bouvard et Pécuchet ne se
contentent pas de se plonger dans la rêverie. Ils se lancent dans deux tentatives concrètes pour bâtir
leur nouvelle société utopique. En premier lieu, ils essaient de former de futurs membres, leurs
concitoyens. Ils pensent à une éducation spéciale. En deuxième lieu, ils établissent la constitution de
leur utopie. Ici, nous allons examiner ces deux essais, un à un, pour en constater l’échec inévitable.
1. L’éducation et son échec.
(1) Le projet.
Comme l’affirme le scénario, en effet, « dès le commencement du » chapitre X3 , Bouvard et
Pécuchet éduquent les deux orphelins, essaient de les changer en citoyens de leur “Communauté”.
Au début, pourtant, malgré leur objectif clair, les protagonistes doivent tâtonner dans les ténèbres,
parce qu’ils ne savent rien sur l’éducation. Ils ignorent quelles instructions sont à donner aux futurs
membres de la “Communauté”. Ils se demandent eux-mêmes :
« Mais quel amusement leur donner ? » (p.372)
« Maintenant qu’ils savaient écrire et lire, que leur apprendre ? » (p.372)
« Convient-il de leur enseigner les langues ? » (p.373)
Une chose est néanmoins certaine : les élèves, futurs concitoyens de l’utopie, doivent ressembler
aux deux bonshommes, partager avec eux la même perspective scientifique, le même mode de vie
dévoué à la recherche, le même idéal artistique, et échapper définitivement à la situation de
bourgeois imbéciles, à moins de se métamorphoser en vrais individus originaux. Or, selon la théorie
de Comte, l’« éducation doit être la manière d’apprendre à vivre pour autrui par l’habitude » 4 . De
fait, pour accoutumer les enfants à leur propre vision du monde, les deux hommes enseignent, au
fur et à mesure, les disciplines qu’ils ont étudiées eux-mêmes auparavant, à savoir le langage, la
géographie, la morale, etc. Flaubert en témoigne dans sa lettre :
« le Xe [traitera] de l’éducation et de la morale, avec application au bonheur général de toutes
les connaissances antérieurement acquises. » 5
En empruntant le mot du scénario, leur essai d’éducation doit être « le summum de toutes leurs
études » et expériences 6 .
De fait, cette nouvelle tentative de Bouvard et Pécuchet suscite en nous indéniablement une
impression de déjà vu, car ici, non seulement Victor et Victorine étudient les mêmes matières que
les protagonistes ont jadis étudiées, mais aussi, ils se comportent effectivement comme les deux
apprentis d’autrefois. Ils prennent la même habitude que leurs maîtres de l’époque précédente. Tout
comme ces derniers, en effet, les enfants deviennent curieux, méfiants même, n’adoptent pas
1
msgg10,fo 18,p.111.
msgg10,fo 35,p.29, fo 14,p.62, fo 16,p.68, fo 44v,p.163.
3
msgg10,fo 46v,p.168.
4
msg2253 ,fo 280,p.215.
5
Corr.16, p.184, lettre à Mme Roger des Genettes, 7 avril 1879. Voir Claudine Gothot-Mersch, « Le
roman interminable : Un aspect de la structure de Bouvard et Pécuchet », Flaubert et le comble de
l’art, CDU et SEDES, 1981, p.9-22.
6
msgg10,fo 17,p.72.
2
aveuglément les explications des professeurs. Ils veulent savoir toujours davantage, tout
approfondir, tout comprendre. Ils demandent pourquoi ils doivent respecter telle ou telle obligation,
d’où vient un principe. Ainsi, lors d’un cours de morale, tout comme les deux protagonistes
d’autrefois, les enfants rejettent l’enseignement, refusent d’avaler les truismes des maîtres, d’autant
plus que ces derniers ne disent pas pourquoi il faut « être toujours loyal, débonnaire, et même
fraternel », d’où viennent ces obligations. Le texte affirme : « Les enfants ne comprenaient pas »
(p.388). Ils pourraient même répéter la même phrase, énoncée par les deux apprentis au chapitre
VIII :
« ? « Et la morale, dans tout cela ? »
? « Ah ! tant pis ! »
« Elle manque de base, effectivement » » (p.316)
Aussi, lors de l’étude linguistique, Victorine demande pourquoi elle doit prononcer un mot ainsi et
non pas autrement :
« Victorine posait des questions. D’où vient que ch dans orchestre a le son d’un q et celui d’un
k dans archéologie ? On doit par moments joindre deux voyelles, d’autres fois les détacher.
Tout cela n’est pas juste. Elle s’indignait. » 1
Son attitude évoque celle de Bouvard d’autrefois, qui demande à M. Jeufroy « où est le signe
de la grâce » (p.343), et déclare, à propos du péché originel : « ce dogme bouleverse mes notions de
justice ! » (p.343) Quant à Victor, il trouve le désordre, chaque fois que les maîtres lui montrent un
système ordonné. Dans un atlas, par exemple, le garçon ne voit que la confusion :
« Au moyen d’un atlas, Pécuchet lui exposa l’Europe ; mais ébloui par tant de lignes et de
couleurs, il ne retrouvait plus les noms. Les bassins et les montagnes ne s’accordaient pas
avec les royaumes, l’ordre politique embrouillait l’ordre physique. » (p.381)
Victor ne reconnaît rien de significatif dans ce plan. Il y voit surtout l’anarchie. D’ailleurs, dans tous
les domaines, l’enfant ne reconnaît que du chaos :
« Victor confondait les hommes, les siècles et les pays. » (p.381)
« Victor eut beaucoup de peine à lire couramment les notes, et à ne pas confondre les termes
adagio, presto, sforzando. » 2
Ainsi, Victor se conduit exactement à la manière des deux bonhommes d’autrefois, qui
découvraient partout le désordre. Enfin, les deux enfants remarquent les exceptions, qui démentent
l’ordre de la nature, soutenu par les professeurs. Lors d’un cours de la botanique, alors que les
maîtres enseignent que « toute plante a des feuilles, un calice, et une corolle enfermant un ovaire ou
péricarpe qui contient la graine » (p.384), les orphelins découvrent les plantes qui n’ont pas de
calice. Et lorsque le manuel explique que faisant exception, la plupart des « liliacées » manquent de
calice, les élèves trouvent « une shérarde » qui en a un (p.385). Évidemment, l’attitude des enfants
nous rappelle celle des deux apprentis d’autrefois qui, à chaque étude, découvraient des exceptions,
1
2
p.371. Flaubert souligne.
p.395. Flaubert souligne.
à tel point qu’ils ne croyaient plus à la vision d’une nature ordonnée, affirmée par tous les notablessavants 1 .
Ainsi, apparemment, les enfants apprennent à se conduire comme les héros eux-mêmes. Ils
pourraient à l’avenir devenir les semblables de ces derniers. Du reste, d’après la perspective de
Bouvard et Pécuchet, au bout de l’éducation, Victor doit devenir « un adolescent curieux de vos
idées, dont on observe les progrès, qui devient un frère plus tard » et Victorine serait « une fille, de
quinze ans à peu près, l’âme délicate, l’humeur enjouée, ornant la maison des élégances de sa
jeunesse » (p.391). Étant adultes, la fille deviendrait « une sous-maîtresse » et le garçon serait « un
piqueur de travaux » (p.408). Ensemble, avec les protagonistes, ils constitueraient des sociétaires
honorables de la nouvelle “Communauté”.
Or, selon le « rêve magnifique » de Bouvard et Pécuchet, « s’ils menaient à bien l’éducation
de leurs élèves, ils fonderaient un établissement ayant pour but de redresser l’intelligence, dompter
les caractères, ennoblir le coeur » (p.376-377). Bouvard émet d’ailleurs « des idées drôles sur
l’instruction primaire. On aurait dû, en sortant de l’école, pouvoir soigner les malades, comprendre
les découvertes scientifiques, s’intéresser aux Arts ! » (p.404) Les deux hommes imaginent aussi
« d’établir un cours d’adultes » (p.409), pour instruire les bourgeois de Chavignolles, pour leur
transmettre le mode de vie rationnel. Bouvard et Pécuchet devraient former ainsi massivement des
membres de leur utopie.
(2) L’échec prévisible.
Néanmoins, même avant le commencement de leur tentative, même sans en constater le
moindre résultat, l’échec de leur projet est prévisible, à cause de la structure « spirale » qui
caractérise notre texte : le chapitre X doit succéder aux autres chapitres dans une même échelle, tout
en maintenant sa propre dimension. En effet, la caractéristique propre à ce chapitre consiste dans le
changement de rôles des protagonistes. Ici, si Victor et Victorine jouent le rôle des deux
protagonistes d’autrefois, apprentis-étrangers, Bouvard et Pécuchet incarnent, eux, le rôle des
Chavignollais d’autrefois, membres-maîtres de la “Communauté” ; comme ces notables de
l’époque, nos deux professeurs se convainquent d’avoir une vision du monde absolument correcte.
Pourtant, ici comme dans la partie précédente, il est toujours question de la même incapacité des
membres-maîtres et de la même incompréhension des élèves-autruis. Et il est dans la logique des
choses qu’à ce chapitre, nos deux professeurs ne parviennent pas à changer les deux petits
“étrangers” en citoyens de leur “Communauté”, de la même manière que les notables ne pouvaient
pas jadis métamorphoser les deux “autruis” en sociétaires du village normand.
De fait, les enfants n’apprennent pas à se conduire comme les professeurs, tout comme
Bouvard et Pécuchet n’arrivaient pas à se comporter comme les notables. Dans tous les cas, les
élèves ne voient pas le monde de la même façon que les maîtres. Ils restent des “autres”. Ils sont
comme ces « aveugles » qui ne se rendent pas à l’« évidenc e » 2 . D’ailleurs, Victor et Victorine ne
comprennent même pas ce que les maîtres appellent la lumière. Le texte dit : « la lumière, c’était
pour eux la lampe, et elle n’avait rien de commun avec l’étincelle d’un caillou, la flamme d’une
1
Cf. Ingrid Spica, Le statut romanesque de Bouvard et Pécuchet de Flaubert, Spica édition, 1982,
p.404 : « Il est vrai que Victor et Victorine répètent à leur tour les bonshommes, des actes que ces
derniers avaient commis alors qu’ils n’étaient encore que l’exutoire vengeur des sarcasmes de
Flaubert. Bouvard et Pécuchet ont volé une cuve druidique, furent cruels envers les animaux,
d’abord avec le chien qu’ils ensanglantent de leurs aiguilles, ensuite avec les pigeons, chats et oie
soumis à de pénibles, voire létals traitements. »
2
DIR, p.515 : « Évidence : Vous aveugle, quand elle ne crève pas les yeux. »
bougie, la clarté de la lune » (p.383). Aussi, les enfants n’arrivent pas à reconnaître la notion du
Bien comme l’entendent les professeurs, même si ces derniers leur racontent « des historiettes
tendant à inspirer l’amour de la vertu » (p.389). Victor ne veut toujours pas se comporter comme les
gens moraux, membres utopiques, même si les deux maîtres suspendent « aux murs de sa chambre
des images, exposant la vie du Bon Sujet, et celle du Mauvais Sujet » (p.389). Quant à Victorine,
elle n’entend pas les leçons religieuses comme les deux maîtres s’y attendaient ; elle ment, vole,
devient hypocrite, tout en voulant suivre le jeûne, en décorant le reposoir de juliennes, et en mettant
vingt sols dans le plat du sacristain (p.394). Ainsi, les orphelins ne s’habituent toujours pas à la
manière de vivre de Bouvard et Pécuchet, tout comme ces derniers n’arrivent pas à se conduire
comme les Chavignollais.
En fait, ces échecs confirment, outre l’entêtement des enfants, l’incapacité des maîtres euxmêmes. Il leur est a priori impossible d’indiquer ce que les élèves doivent faire, pour se conduire
comme les sociétaires. Les deux hommes ne peuvent pas dire à leurs disciples que s’ils
comprennent telle définition du Bien, s’ils suivent tel décalogue, ils peuvent devenir des gens
moraux, membres de la “Communauté”. En effet, les deux protagonistes sont incompétents,
puisqu’ils ne savent pas eux-mêmes comment et selon quel critère ils distinguent le Bien et le Mal ;
ils ne savent pas « quelle démarcation établir entre les phrases innocentes et les coupables »
(p.241) ; selon Pécuchet, le Bien n’est définissable par personne, même si « on le sent » (p.389). Il
est évident que ces membres prétendus moraux se convainquent de reconnaître le Bien, dans la
seule mesure où, chaque fois qu’ils le sentent, tout le monde en est d’accord avec eux, par hasard.
Il en va de même pour l’enseignement du langage. Bouvard et Pécuchet échouent à apprendre
la grammaire « aux enfants dès le plus bas âge comme étant une chose claire et facile » 1 . En fait, les
deux hommes ne savent pas eux-mêmes en quoi consiste leur propre manière de parler, le langage
qu’ils utilisent pourtant quotidiennement. Au fond, ils parlent librement, sans jamais penser à des
règlements. Il leur est donc impossible de dire : si les enfants-aut ruis suivent telle ou telle règle
précise, ils parviennent à parler comme les membres.
Au demeurant, Bouvard et Pécuchet ont beau essayer, au début, de faire oublier aux enfants
tout « ce qu’ils avaient appris » jadis chez M. de Faverges (p.370), les deux hommes leur donnent
en fait le même enseignement que le comte et d’autres villageois. Comme ces notables, de fait, les
deux maîtres insistent pour que leurs élèves se conduisent comme eux-mêmes, comme les membres
idéaux. Et tout comme ces Chavignollais, Bouvard et Pécuchet doivent échouer, puisqu’ils ignorent
comment définir leur propre manière de vivre, qui n’est pas a priori réglée. Au fond, les deux
hommes prennent une habitude, un mode de vie, au fur et à mesure et fortuitement, sans même
penser à un règlement. Par conséquent, ils sont obligés d’utiliser la contraposition, encore comme
les notables, pour exprimer le sociétariat de leur “Communauté”. Ainsi, concernant l’enseignement
moral, Bouvard et Pécuchet concluent que « les leçons de morale ne convie ndraient qu’aux gens
moraux » (p.389), sous-entendant que les enfants-autruis ne comprennent pas la morale des
sociétaires2 . De même, lors de la leçon de langage, les deux hommes doivent utiliser la
contraposition, en disant : les “autruis” ne respectent pas la règle des membres. Ainsi concluent-ils :
« la grammaire ne peut être comprise des enfants » (p.379-380).
2. Le décalogue de la “Communauté” idéale.
(1) La convention et les nouvelles lois.
1
DIR, la rubrique « Grammaire », p.524.
Cf. « Les enfants n’auraient-ils aucune notion du juste ? Peut-être. » (p.388) « L’enfant n’a pas de
responsabilité, ne peut être moral ou immoral. » (p.391)
2
Ainsi, l’éducation des orphelins a échoué, exactement comme l’apprentissage des héros avait
raté. Dans tous les cas, les professeurs ne peuvent apprendre aux élèves leur propre manière de se
conduire, puisqu’ils en sont ignorants eux-mêmes ; au fond, leur mode de vie est né et s’est élaboré
naturellement, au fur et à mesure que les habitudes s’installaient. En d’autres termes, ici, la structure
de l’utopie, imaginée naïvement par Bouvard et Pécuchet, s’avère identique à celle du village
normand. Ni dans une “Communauté” rêvée ni dans le Chavignolles réel, n’existe le décalogue qui
ordonne a priori la conduite des membres. Le critère de sociétariat n’est pas clairement exprimé.
Cette ressemblance est pourtant embarrassante voire paradoxale, parce que par définition, la
“Communauté” idéale doit être radicalement différente du Chavignolles réel, qui a déçu tant
Bouvard et Pécuchet. En effet, pour les deux hommes, le projet de l’utopie doit faire pendant à la
destruction de la commune actuelle. Ils veulent avant tout abolir les systèmes absurdes qui
fonctionnent à ce moment, pour vivre à l’avenir dans un environnement juste et sain. Lors de la
conférence, de fait, avant de se livrer à la description de la future utopie (ou au contraire, de la pire
société qui puisse advenir), les protagonistes attaquent d’abord la société actuelle : le premier jour
de la réunion est consacré à la critique de la convention actuelle (p.410), alors que le deuxième jour
est réservé à la prédiction du monde dans un avenir proche (p.412). Pécuchet dénonce surtout les
« Sottises du gouvernement et de l’administration », et Bouvard critique les « Préjugés »
contemporains, à savoir « célibat des prêtres ? futilité de l’adultère ? émancipation de la femme »
(p.411). Ils proposent des « réformes judiciaires », « administratives » et « religieuses », et la
« Destruction du gibier » 1 . Ils veulent aussi supprimer les cultes actuels, pour « établir une religion
nouvelle » ou « un christianisme épuré » 2 , qui ressemblerait à la « Philosophie » 3 . De plus,
lorsqu’ils préparent les « projets d’embellissement pour Chavignolles », Bouvard et Pécuchet
planifient la destruction complète du village actuel, afin de réaliser plus tard « un Chavignolles
idéal » (p.405). Voici leur projet :
« Les trois quarts des maisons seraient démolies ; on ferait au milieu du bourg une place
monumentale, un hospice du côté de Falaise, des abattoirs sur la route de Caen et au pas de la
Vaque, une église romane et polychrome. » (p.405)
Pourtant, il est maintenant évident que pour réaliser une vraie utopie, les deux protagonistes
ne doivent pas se contenter de détruire le village actuel, d’abolir la convention absurde et d’insister
pour que les autres villageois se conduisent comme eux-mêmes. En effet, non seulement pour
éduquer les futurs citoyens, mais aussi et surtout pour différencier leur “Communauté” de la
commune actuelle, ils doivent désamorcer l’influence de « contingences », « de la routine et du
hasard ». Dans leur nouvelle “Communauté”, en effet, il ne devrait plus arriver qu’une coutume
gratuite devienne le mode de vie des membres. Aussi, les deux protagonistes sont obligés d’établir
un décalogue. Ils doivent définir, minutieusement, les obligations et interdictions que tous les
membres doivent respecter.
De fait, au chapitre dernier, après avoir tenté, en vain, l’éducation des orphelins, Bouvard et
Pécuchet essaient d’instaurer des principes minutieux, pour définir et régler en détail la manière de
vivre des futurs membres idéaux. Dans leur projet, ils esquissent notamment « trois conceptions »
(p.404) constitutionnelles de leur “Communauté” :
« Remplacer le nom de famille par un numéro matricule. »(p.404)
1
msg2253 , fo 295v, p.248.
msg2253 , fo 295v, p.247, et aussi fo 295v, p.248, fo 310, p.250, fo 311, p.251, fo 306, p.257.
3
msg2253 , fo 314, p.261.
2
« Hiérarchiser les Français, ? et pour conserver son grade, il faudrait de temps à autre, subir
un examen. » 1 (p.404)
« Plus de châtiments, plus de récompenses, mais dans tous les villages une chronique
individuelle qui passerait à la Postérité. » (p.404)
D’abord, le “nom non-propre” conventionnel doit être remplacé purement et simplement par le
chiffre ; la “non-propriété” de l’être humain doit être ainsi clairement indiquée ; désormais, aucun
patronyme ne doit donner l’illusion sur l’individualité ou l’originalité d’une personne nommée. En
deuxième lieu, les membres de la “Communauté” sont hiérarchisés selon leurs intelligences et
capacités ; les classes sociales actuelles, issues de coutumes contingentes, doivent être abandonnées.
Enfin, chaque individu doit enregistrer sa raison d’être dans une chronique, pour montrer sa vie à la
postérité. En fait, ces trois lois ne sont que les plus fondamentales. L’utopie devrait être munie de
plus de principes, plus de règlements, pour définir la conduite propre aux membres.
Malheureusement, notre texte est interrompu juste avant la description de l’utopie. Inachevé, il ne
raconte pas grand chose sur le projet concret de Bouvard et Pécuchet.
La suite de leur entreprise est pourtant imaginable, à l’instar des tentatives des autres penseurs
de la “Communauté”. En effet, tous les utopistes, déçus de la société réelle, veulent baser leur
utopie sur de nouvelles lois qui définissent a priori la « manière » de vivre des sociétaires. Pour eux
aussi, il ne doit plus arriver qu’une coutume contingente devienne le mode de vie de leur
“Communauté”. Remarquons d’abord « les grammairiens » qui rêvent de l’« utopie du mot » 2 . Ces
hommes sont déçus de la “Communauté” linguistique réelle, dont la manière de parler n’est pas a
priori réglée. Certes, il existe des principes que tous les locuteurs semblent respecter. Mais en fait,
ces règles sont rédigées a posteriori à partir des coutumes et moeurs gratuites. Elles sont donc
pleines d’injustices et de contradictions : « la syntaxe est une fantaisie et la grammaire une
illusion » (p.218). Voici quelques exemples de ces conventions défectueuses :
« Le sujet s’accorde toujours avec le verbe, sauf les occasions où le sujet ne s’accorde pas. »
(p.217)
« leur, pronom s’emploie pour les personnes mais aussi pour les choses, tandis que où et en
s’emploient pour les choses et quelquefois pour les personnes. » 3
En plus, ces dits principes peuvent être invalidés à tout moment, car le langage naturel évolue
librement, au fur et à mesure que l’habitude change. Les emplois de mots exceptionnels peuvent
devenir des tendances dominantes, lorsque tous les locuteurs en sont d’accord fortuitement. De
nouveaux vocables, de nouvelles prononciations peuvent naître, pour démentir les conventions
antérieures. Le texte affirme : « sous Louis XIV, on prononçait Roume et M. de Lioune pour Rome
et M. de Lionne ! » 4 « Racine et Boileau ne voyaient pas la différence » entre «autour » et «à
l’entour ». Pour Massillon et Voltaire, les verbes « imposer » et « en imposer » étaient synonymes.
La Fontaine, qui « savait reconnaître un corbeau d’une grenouille », confondait « croasser » et
1
Voir aussi msgg10, fo 18, p.112.
msgg10, fo 27, p.96. Les autres scénarios disent : « « le Français » est une utopie » (msgg10, fo 10,
p.139, msg2252 , fo 33v, p.214).
3
p.217. Flaubert souligne.
4
p.218. Flaubert souligne.
2
« coasser » (p.217). Ainsi, Littré affirme lui-même « que jamais il n’y eut d’orthographe positive, et
qu’il ne saurait y en avoir » (p.218). En d’autres termes, personne, même les spécialistes, ne peut
dire a priori comment il faut écrire, pour être accepté dans la “Communauté” des lettrés. La
condition de sociétariat n’est pas exprimable, sauf en contraposition. En effet, au lieu de dire que les
sociétaires emploient tel langage, les savants doivent se contenter de dire : les « étrangers »
n’utilisent pas la bonne « manière de parler », mais parlent le « Baragouin » 1 .
Le rêve extrême des grammairiens consiste donc à abolir cette langue réelle, issue de
coutumes contingentes, pour lui substituer un nouveau langage parfait qu’ils créent eux-mêmes
artificiellement. Voici leurs plans :
« Ménage au lieu de lentilles et cassonade préconise nentilles et castonade. Bouhours
jérarchie et non pas hiérarchie, et M. Chapsal les oeils de la soupe. » 2
Leur nouveau langage doit être rationnel et logique, mais surtout, il doit être défini minutieusement.
Son usage doit être clair, ne doit laisser aucune ambiguïté. Il ne doit plus arriver que les locuteurs ne
sachent eux-mêmes comment employer ou prononcer les mots, qu’ils restent indécis devant les
questions suivantes :
« Doit-on dire « cette femme a l’air bon » ou « l’air bonne » ? ? « une bûche de bois sec » ou
« de bois sèche » ? « ne pas laisser de » ou « que de » ? « une troupe de voleur survint », ou
« survinrent » ? » (p.217)
Autrement dit, dans l’utopie des grammairiens, tout le monde doit connaître les obligations et
interdictions à respecter, pour être accepté dans la “Communauté”.
Il en va de même pour les entreprises des socialistes. Pour eux aussi, il est impératif de
supprimer les conventions absurdes de la société actuelle, issues des habitudes gratuites des
bourgeois, pour instaurer ensuite les règles justes :
« Louis Blanc, dans l’intérêt des ouvriers veut qu’on abolisse le commerce extérieur, La
Farelle qu’on impose les machines, un autre qu’on dégrève les boissons, ou qu’on refasse les
jurandes, ou qu’on distribue des soupes. Proudhon imagine un tarif uniforme, et réclame pour
l’État le monopole du sucre. » (p.254)
Mais en même temps, ces socialistes insistent pour que leur utopie soit protégée contre l’influence
des nouvelles «contingences », contre le nouveau « triomphe de la routine et du hasard ». Selon
eux, en effet, il ne doit plus arriver que les habitants de la “Communauté” prennent de nouvelles
habitudes absurdes, qui pourraient dénaturer le mode de vie idéal déjà défini. Or, une coutume
s’installe dans la société, lorsque tous les membres la prennent spontanément. Autrement dit, pour
éviter qu’une mauvaise habitude s’enracine dans la “Communauté”, il est primordial d’empêcher
que les futurs membres ne se trouvent en accord unanime par hasard, lorsqu’ils se comportent à leur
gré, selon leur libre arbitre. De fait, pour éliminer de possible consensus omnium fortuit, et pour
étouffer l’arbitraire des sociétaires, tous les utopistes détaillent les articles de leur décalogue,
définissent exhaustivement les comportements des futurs membres. « Ils nous proposent comme
exemple, les Esséniens, les Frères Moraves, les Jésuites du Paratuay, et jusqu’au régime des
1
« Baragouin : Manière de parler des étrangers. Toujours rire de l’étranger qui parle mal le
français. » (DIR, p.492)
2
p.218. Flaubert souligne.
prisons. » (p.254) Voici donc leurs plans :
« Saint-Simon : les publicistes soumettront leurs travaux à un comité d’industriels. »
« Pierre Leroux : la loi forcera les citoyens à entendre un orateur. »
« Auguste Comte : les prêtres éduqueront la jeunesse, dirigeront toutes les oeuvres de l’esprit,
et engageront le Pouvoir à régler la procréation. » (p.255)
En Icarie, utopie de Cabet, « le déjeuner se fait en vingt minutes, les femmes accouchent à l’hôpital.
Quant aux livres, défense d’en imprimer sans l’autorisation de la République » (p.254).
(2) L’échec.
Cependant, la tentative des utopistes est dès le début vouée à l’échec, car il est par nature
impossible de tout régler, de tout définir, de prévoir toutes les situations possibles que les futurs
citoyens pourraient rencontrer dans la vie quotidienne ; il arrivera tôt ou tard les occasions où les
membres interprètent librement la conduite à tenir. Ainsi dit Wittgenstein :
« Mais qu’est-ce qu’un jeu que des règles limitent en toute occasion ? dont les règles
préviennent toute équivoque, lui bouchent tous les trous. ? Ne pourrions-nous imaginer une
règle qui règle l’application de la règle ? Et une équivoque que supprime cette règle, ? et
ainsi de suite ? » 1
De plus, à supposer que les utopistes réussissent à réglementer le mode de vie communautaire
en détail, ils ne peuvent pas pour autant appliquer leurs lois, puisqu’elles ne sont pas soutenues par
les hommes ordinaires qui vivent, eux, bel et bien dans la société actuelle pleine de contingences.
Ces gens n’éprouvent guère de sympathie pour les plans utopistes, qui ne sont pour eux en rien
évidents, contrairement à la coutume actuelle qu’ils suivent spontanément depuis toujours. En effet,
peu d’hommes, hormis des utopistes eux-mêmes, acceptent de suivre la « manière » de vivre réglée,
à moins qu’ils n’y soient forcés ou qu’ils soient hypnotisés ; or, il est contradictoire que l’utopie soit
composée d’individus forcés ou magnétisés. Ainsi, pour les gens qui vivent dans la société
bourgeoise, il paraît que les socialistes « demandent toujours la tyranie » (p.254). Flaubert dit luimême :
« L’idéal de l’état, selon les socialistes, n’est-il pas une espèce de vaste mo nstre absorbant en
lui toute action individuelle, toute personnalité, toute pensée, et qui dirigera tout, fera tout ?
Une tyrannie sacerdotale est au fond de ces coeurs étroits : « Il faut tout régler, tout refaire,
reconstituer sur d’autres bases », etc. » 2
« Le socialisme moderne pue le pion. » 3
D’ailleurs, n’importe quelle “Communauté” peut virer à la tyrannie, si elle impose un mode de vie a
1
Ludwig Wittgenstein, ibid., paragraphe 84, p.156. L’auteur souligne.
Corr.II, p.90, lettre à Louise Colet, 15-16 mai 1852.
3
Corr.III, p.400, lettre à Amélie Bosquet, 19 juillet 1864. Flaubert souligne.
2
priori défini. Un collège, par exemple, devient une constitution typiquement tyrannique, lorsqu’il
impose aux élèves les règlements, censés définir leur manière de vivre correcte. Flaubert dénonce
toutes ces lois, au nom de la liberté :
« La médiocrité chérit la Règle ; moi je la hais. » 1
« Je hais le troupeau, la règle et le niveau. » 2
« Moi, j’exècre tout ce qui est obligatoire, toute loi, tout gouvernement, toute règle. » 3
« Je hais la discipline. Esprit de mathématicien esprit étroit. » 4
Dans le texte, la tentative des grammairiens est déniée par les locuteurs ordinaires, exactement
pour la même raison. Alors que les savants veulent établir des lois rationnelles pour régler en détail
la « manière de parler », les parleurs du français n’y voient que des règles artificielles absurdes et
irréalisables ; ils n’y trouvent aucune loi convaincante. Le texte dit :
« Pécuchet surtout fut ébahi par Génin. Comment ? des z’annetons vaudrait mieux que des
hannetons, des z’aricots que des haricots [...] ! » 5
En effet, cette « manière » artificielle de parler est difficile à imposer, puisque, paradoxalement, elle
supprime les contingences, puisqu’elle est a priori réglée, logique et cohérente. Quant à l’entreprise
de Bouvard et Pécuchet, les Chavignollais n’apprécient pas leurs idées non plus :
« On dédaigna leur système. » (p.404)
La conférence est franchement catastrophique ; le premier jour, « la séance est levée dans le plus
grand tumulte », et le lendemain, elle est interrompue par l’« entrée des gendarmes ». Et « tout le
monde se tourne contre eux » 6 .
(3) Le christianisme et l’utopie.
Pourtant, il semble possible d’imaginer une astuce, qui permette aux utopistes de convaincre
les autres de suivre leurs principes. Il suffit, en effet, de familiariser les gens ordinaires avec le
décalogue artificiel, en comparant ces lois aux conventions actuelles que ces hommes suivent
depuis toujours. Les socialistes emploient tous cette stratégie. Louis Blanc, par exemple, prétend
bâtir son utopie sur les décalogues, qui ne dérivent de rien d’autre que des conventions religieuses.
Flaubert dit ainsi dans sa lettre :
« « Ce système (le sien) n’est pas un système de désordre. Car il a sa source dans l’Évangile,
et de cette source DIVINE ne peuvent découler la haine, les guerres, le froissement de tous les
1
Corr.II, p.428, lettre à Louise Colet, 7 septembre 1853.
Corr.II, p.515, lettre à Louise Colet, 23 janvier 1854.
3
Corr.II, p.719, lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, 18 mai 1857.
4
Souvenirs, Notes et pensées intimes, fo 14r, p.364.
5
p.218. Flaubert souligne.
6
msg2253 , fo 295v, p.248. Voir aussi msgg10, fo 18, p.113, fo 17, p.71.
2
intérêts, car la doctrine formulée de l’Évangile est une doctrine de paix, d’union et d’amour »
(L. Blanc). » 1
Ici, l’intention du socialiste est appréciable. Il s’appuie sur le christianisme, pour que son décalogue
soit suivi sans condition, à la manière dont les doctrines religieuses sont suivies. Cependant, il est
évident que sa méthode est en contradiction avec son objectif d’origine. En effet, à l’origine, le but
de l’utopiste doit consister à établir une “Communauté” dont le mode de vie est indépendant de la
coutume actuelle injuste. Or, en fondant son utopie sur des principes qui évoquent les conventions
religieuses, Louis Blanc ne fait que restaurer la société bourgeoise actuelle, sous une couverture
socialiste. Les mêmes coutumes injustifiées y seraient de nouveau installées, en tant que
« principes » incontestables. Flaubert en est indigné :
« Je suis indigné de plus en plus contre les réformateurs modernes, qui n’ont rien réformé.
Tous, Saint-Simon, Leroux, Fournier et Proudhon, sont engagés dans le Moyen âge jusqu’au
cou : tous (ce qu’on n’a pas observé) croient à la révélation biblique. » 2
« Tout cela nous prouve que bourgeois et socialistes sont à fourrer dans le même sac. » 3
« Les Socialistes et les Bourgeois se valent, ou plutôt, il n’y a rien que des Bourgeois » 4 .
Du reste, comme nous l’avons vu, l’écrivain montre clairement, dans notre roman
philosophique, cette confusion entre les bourgeois et les socialistes : au cours de l’étude de Bouvard
et Pécuchet, trois régimes ? le système de la société actuelle soutenu par les Chavignollais, le
système du paradis d’anges décrit par le curé et le système de l’utopie socialiste ? s’avèrent
constitués de la même façon hiérarchique. Selon le scénario, les deux protagonistes mélangent
même « les socialistes aux catholiques » 5 .
Au bout du compte, Bouvard et Pécuchet doivent abandonner tous leurs projets utopiques. Ils
doivent renoncer à définir la « manière » de vivre des membres, à établir une condition d’entrée.
Car, quoiqu’ils fassent, Bouvard et Pécuchet bâtissent tout sauf une utopie ; ils créeraient soit une
constitution tyrannique dont les lois sont imposées aux membres, soit un sosie de la société
bourgeoise dont les règlements sont semblables aux conventions actuelles injustifiées. En d’autres
termes, pour réaliser leur “Communauté” idéale, ils doivent d’abord se passer de lois, de sociétariat
défini. Ainsi dit Flaubert :
« Les républicains de toutes nuances me paraissent les pédagogues les plus sauvages du
monde, eux qui rêvent des organisations, des législations, une société comme un couvent. Je
crois au contraire que les règles de tout s’en vont, que les barrières se renversent, que la terre
se nivelle. » 6
1
Corr.III, p.770-771, lettre à George Sand, 5 juillet 1868. Flaubert souligne.
Corr.III, p.401, lettre à Edma Roger des Genettes, l’été 1864. Flaubert souligne. Notons que quand
Flaubert prépare l’Éducation sentimentale, il exprime partout dans ses lettres l’indignation contre le
« néocatholicisme républicain » (Corr.IV, p.13, lettre à Jules Michelet, 2 février 1869).
3
Corr.IV, p.279, lettre à Raoul-Duval, 7 février 1971.
4
Corr.16, p.72, lettre à Madame Brainne, 15 août 1878.
5
msg2253 , fo 295v, p.247.
6
Corr.II, p.152, lettre à Louise Colet, 4 septembre 1852.
2
Selon l’écrivain, en effet, dès qu’il existe des règlements, des conditions d’entrée, la
“Communauté” cesse d’être utopique ; aussi, il tient à qualifier le cercle de ses amis d’artistes, avec
des mots comme « nous », « famille », « cercle », « bande » et « entourage », qui connotent la
spontanéité des membres 1 . Il évite surtout le mot «école », qui évoque une « manière » de vivre
définie, des règles minutieuses, des obligations et interdictions fixées, un sociétariat strict et des
« pions » tyranniques :
« À propos de mes amis, vous ajoutez « mon école ». Mais je m’abîme le tempérament à
tâcher de n’avoir pas d’école ! A priori, je les repousse toutes. » 2
« A bas les Écoles quelles qu’elles soient ! A bas les mots vides de sens ! A bas les
Académies, les Poétiques, les Principes ! » 3
Pour l’écrivain, il est indispensable que ses amis se conduisent chacun selon leur propre inclination,
sans jamais penser aux règlements. Ils constituent une “Communauté”, dans la seule mesure où au
fur et à mesure, ils établissent spontanément une même habitude, tout en faisant ce qu’ils sont
enclins à faire.
Au demeurant, l’utopie de Bouvard et Pécuchet pourra un jour se réaliser, lorsque tous leurs
concitoyens partageront une même coutume rationnelle avec eux, sans y être forcés. Les deux
protagonistes doivent donc attendre, juste attendre que les futurs membres naissent un jour, ici ou
ailleurs. Comme le dit Flaubert lui-même souvent dans ses lettres :
« Que savons-nous s’il n’y a pas à cette heure, dans quelque coin des Pyrénées ou de la BasseBretagne, un pauvre être qui nous comprenne ? On publie pour les amis inconnus. » 4
« Je pense souvent avec attendrissement aux êtres inconnus, à naître, étrangers, etc., qui
s’émeuvent ou s’émouvront des mêmes choses que moi. Un livre, cela vous crée une famille
éternel le dans l’humanité. » 5
« Car j’écris (je parle d’un auteur qui se respecte) non pour le lecteur d’aujourd’hui, mais pour
tous les lecteurs qui pourront se présenter, tant que la langue vivra. » 6
Conclusion.
« Ainsi tout leur a craqué dans les mains. » 7 Toutes leurs tentatives ont échoué. La plus grande
défaite est certainement leur exclusion de Chavignolles : Bouvard et Pécuchet ne réussissent pas à
1
Par exemple, « la petite bande » (Corr.IV, p.115, lettre à George Sand, 14 octobre 1869), « mes
amis intimes » (Corr.IV, p.598, à George Sand, le 28 octobre 1872. Flaubert souligne), «pauvres
nous » (Corr.IV, p.411, à George Sand le 14 novembre 1871 et Corr.15, p.520, à Edmond de
Goncourt, le 31 décembre 1876, Flaubert souligne), « cette petite fête de famille » (Corr.15, p.562,
à Tourgueneff, le 7 mai 1877).
2
Corr.IV, p.1000, lettre à George Sand, la fin décembre 1875.
3
Corr.16, p.308, lettre à Léon Hennique, 3 février 1880.
4
Corr.II, p.482, lettre à Louise Colet, 18 décembre 1853.
5
Corr.II, p.541, lettre à Louise Colet, 25 mars 1854.
6
Corr.IV, p.619, lettre à George Sand, 4 décembre 1872.
7
msg2253 , fo 316, p.267.
s’intégrer dans le village ; ils y sont marginalisés. Mais en même temps, ils doivent maintenant
essuyer la grave conséquence de leur première erreur : ils se sont jadis trompés dans leur choix de
site. Chavignolles n’est pas en fait leur utopie. Ses caractéristiques qui les faisaient tant rêver
s’avèrent illusoires.
Tout d’abord, les héros doivent reconnaître que les villageois ne sont pas des individus, même
s’ils monopolisent chacun un statut particulier dans la commune. Ils ne sont que des types, clichés
de professions rurales. Leurs noms propres eux-mêmes ne se différencient pas de l’anonymat des
masses, car ces patronymes désignent seulement des métiers ; ils ne représentent jamais l’originalité
des personnes nommées. À vrai dire, aucun nom propre, même le plus célèbre, ne peut être
l’appellation de la “propriété”, qui n’est pas de nature représentable. Ainsi, Bouvard et Pécuchet ont
beau tenter de devenir des êtres uniques dans le village pour l’intégration, les Chavignollais ne sont
pas des êtres uniques.
En deuxième lieu, il s’avère que le village normand manque d’un décalogue, qui ordonne a
priori la conduite des membres, et qui sert à démasquer les barbares profanes. En fait, à
Chavignolles, aucune muraille culturelle ne distingue a priori les habitants et les “étrangers”. Ils
font tous ce qu’ils sont enclins à faire. Seulement, les Chavignollais se retrouvent souvent en
consensus omnium, grâce aux hasards répétés, tandis que les “autruis” se retrouvent
malheureusement souvent en désaccord avec la collectivité. Il est donc naturel que ces villageois
eux-mêmes ne puissent pas préciser le sociétariat, expliquer pourquoi ils sont des membres. Ils ne
peuvent pas dire : puisque nous respectons de telles obligations, nous sommes des membres
légitimes. En effet, pour justifier leur statut de membres, pour se distinguer des “autres”, les
Chavignollais sont obligés d’exprimer le sociétariat en contraposition. Ils disent toujours : les
“autruis” ne respectent pas les règles intérieures, règles des membres. Ici, il devient évident que les
deux protagonistes ont perdu leur peine, lorsqu’ils ont tenté de satisfaire la condition d’entrée de
Chavignolles, qui n’existe pas a priori.
Ainsi, il s’avère que pendant des années, Bouvard et Pécuchet ont essayé de s’intégrer dans
une commune, qui n’était pas en fait l’utopie dont ils avaient rêvé. Tous leurs efforts du passé se
sont révélés inutiles. Pourtant, le malheur des héros n’est pas fini. Ils doivent essuyer encore un
échec, lorsqu’au chapitre X, ils se lancent dans la construction de la nouvelle “Communauté”, leur
utopie à eux. Ils échouent d’abord à élever les futurs concitoyens. Ils ne peuvent pas métamorphoser
les orphelins en semblables d’eux-mêmes. Les enfants restent “autruis”. En effet, les deux maîtres
ne peuvent pas transmettre aux élèves leur propre mode de vie, puisqu’ils n’en connaissent pas euxmêmes la définition précise. Bouvard et Pécuchet ne peuvent pas dire : puisque nous respectons de
telles règles, nous menons une vie utopique. En réalité, ils forment leur manière de vivre par
habitude, au fur et à mesure et gratuitement, sans qu’ils s’aperçoivent eux-mêmes les règlements. À
précisément parler, ils font toujours ce qu’ils sont enclins à faire. Par conséquent, les deux
protagonistes sont obligés d’exprimer la condition des membres idéaux en contraposition, comme le
faisaient jadis les notables aux chapitres précédents. Ils disent : les enfants-“autruis” ne respectent
pas le mode de vie de la “Communauté”.
Il est donc dans la logique des choses qu’à la suite de cet insuccès, les deux utopistes veuillent
préciser les conditions de sociétariat, éclaircir la démarcation entre les membres et les barbares. Ils
veulent supprimer les contingences dans leur “Communauté”. En effet, dans leur utopie, le mode de
vie ne doit pas se former et évoluer gratuitement au fur et à mesure, selon la coutume changeante
des membres. Ici, le hasard ne doit plus être susceptible d’influencer la manière de vivre des
membres. Aussi, Bouvard et Pécuchet tentent, non seulement d’établir le décalogue, mais surtout de
le détailler, pour définir méticuleusement ce qui est la vie communautaire. Leur tentative est
pourtant vouée à l’échec, puisqu’il est impossible par nature de tout régler, de tout définir, de
prévoir toutes les situations que les futurs citoyens peuvent rencontrer dans la vie quotidienne ;
l’arbitraire des membres reste toujours présent. D’ailleurs, même si les deux utopistes réussissent à
établir des lois minutieuses, ils n’en bâtissent qu’une constitution tyrannique, puisque personne,
hormis ces utopistes eux-mêmes, ne veut respecter tous les règlements imposés, ni renoncer à son
jugement personnel. Au demeurant, les tentatives de Bouvard et Pécuchet s’avèrent inutiles. Leur
“Communauté” se réalisera, seulement lorsque tous les villageois réagiront spontanément comme
eux-mêmes, et prendront au fur et à mesure une même coutume, une même manière de vivre
rationnelle.
Ainsi, à la fin du texte, les deux protagonistes se trouvent-ils dans l’impasse. Ils ne savent
plus « que faire » 1 dans la vie, n’ayant plus d’objectif à poursuivre. Maintenant, ni l’intégration à la
“Communauté”, ni la construction de l’utopie ne peut plus être leur raison d’être. « Ils n’ont plus
aucun intérêt dans la vie. » (p.414) Cependant, une idée leur vient comme un miracle : une « bonne
idée nourrie en secret par chacun d’eux : Copier » 2 . Ils se mettent d’abord à copier « tout ce qui leur
tomba sous la main » 3 . Et plus tard, « ils font le Dictionnaire des idées reçues, et le Catalogue des
idées chic » 4 . En effet, cette entreprise est faite justement pour les deux hommes désabusés.
Désormais, ils vont copier les idées reçues, clichés, au lieu de poursuivre la “propriété” qui n’existe
pas. Ils noteront les phrases toutes faites des savants-notables, pour établir le « spécimen de tous les
styles », à savoir celui d’« agricole, médical, théologique, classique, romantique, périphrases » 5 , au
lieu de chercher à devenir eux-mêmes des scientifiques éminents. Mais en même temps, désormais,
au lieu de chercher le décalogue qui n’est qu’un mythe, Bouvard et Pécuchet enregistreront
simplement toutes les coutumes gratuites du village. Ils copieront les clichés des notables, sans
jamais demander d’où vient qu’un tel style est prisé par le savant-notable de telle science, pourquoi
une telle formule est utilisée par tel orateur. Également, les deux hommes noteront « ce qu’il faut
dire » et « ce qu’il faut paraître » dans la société 6 , sans jamais demander pourquoi telles bienséances
doivent être respectées. Ainsi parle la lettre de Flaubert sur ce sujet :
« On y trouverait donc, par ordre alphabétique, sur tous les sujets possibles, tout ce qu’il faut
dire en société pour être un homme convenable et aimable. » 7
De fait, les deux protagonistes savent, maintenant, qu’il est inutile d’interroger pourquoi une
telle habitude ? y compris les convenances et les idées reçues ? est installée dans une société ; ils
savent qu’une coutume est née et façonnée gratuitement, sans aucune raison précise. Ils ne poseront
donc plus jamais les questions suivantes, dont les réponses sont a priori suspendues :
« Qui est-ce qui a établi scientifiquement comment, pour tel besoin de l’esprit, telle forme doit
apparaître, et suivi cette forme partout, dans les divers règnes humains ? [...] Pourquoi les
peuples qui n’ont pas de soleil ont-ils des littératures mal faites ? » 8
Les deux protagonistes ne s’interrogeront pas non plus pour savoir selon quel critère, «on »
distingue le comportement correct de la barbarie, le bien du mal, l’excellence de la banalité, «ce
1
msg2253 , fo 316, p.267.
msg2253 , fo 288v, p.263, et fo 316, p.267.
3
msgg10, fo 67r, p.124.
4
msgg10, fo 32, p.115.
5
msgg10, fo 67r, p.124.
6
Corr.II, p.209, lettre à Louise Colet, 16 décembre 1852. Flaubert souligne.
7
Corr.II, p.208, lettre à Louise Colet, 16 décembre 1852. Flaubert souligne.
8
Corr.II, p.378, lettre à Louise Colet, 7 juillet 1853.
2
qu’il faut faire » et ce qu’il ne faut pas faire ; ils savent, maintenant, qu’il n’en existe pas la
démarcation a priori établie. Voici la phrase qui résume le mieux cette nouvelle attitude des deux
protagonistes :
« Allons ! pas de réflexions, copions tout de même. Il faut que la page s’emplisse, que «le
monument » se complète. ? égalité de tout, du bien et du mal, du Beau et du laid, de
l’insignifiant et du caractéristique. Il n’y a de vrai que les phénomènes ! » 1
Et en ce faisant, ils acquièrent enfin une certaine sagesse, comme le dit Raymond Queneau dans son
article :
« Ils ne deviennent sages (et ne s’identifient pleinement à leur créateur) que lorsqu’ils
compilent leur album et leur dictionnaire et cessent de vouloir conclure » 2 .
Au demeurant, le Dictionnaire des idées reçues et les Sottises sont l’aboutissement naturel et
logique du parcours des deux protagonistes, raconté dans le premier volume de notre roman.
Flaubert l’affirme dès le début :
« Tu fais bien de songer au Dictionnaire des Idées Reçues. Ce livre complètement fait et
précédé d’une bonne préface où l’on indiquerait comme quoi l’ouvrage a été fait dans le but
de rattacher le public à la tradition, à l’ordre, à la convention générale, et arrangée de telle
manière que le lecteur ne sache pas si on se fout de lui, oui ou non, ce serait peut-être une
oeuvre étrange, et capable de réussir, car elle serait toute d’actualité. » 3
De fait, les dix chapitres du premier volume indiquent clairement comment le deuxième volume « a
été fait », pourquoi aucune synthèse, aucune règle ne se trouve dans ce deuxième volume.
L’ensemble constitue « une oeuvre étrange », à la fois « toute d’actualité » mais aussi intemporelle ;
il met en cause les rapports entre la masse et l’individu, entre la société et les sociétaires, entre les
membres et les “étrangers”, le problème de l’exclusion et de l’intégration.
1
msgg10, fo 32, p.115. Voir aussi msgg10, fo 67, p.125.
Raymond QUENEAU, Bâtons, Chiffres et Lettres, Gallimard, coll. « Idées », 1965, p.123.
3
Corr.I, p.678-679, lettre à Louise Colet, 4 septembre 1850. Flaubert souligne.
2
Conclusion
« Je vais enfin dire ma manière de penser » 1 .
« Ce sacré bouquin me fait vivre dans le tremblement. Il n’aura de signification que par son
ensemble » 2 .
Au début de l’argument, dans l’“Introduction”, nous avons posé deux objectifs principaux à
poursuivre : retrouver une histoire dans Bouvard et Pécuchet, et redéfinir la philosophie de
l’écrivain, sa « manière de penser » qui ne se résume pas en une simple formule de nihilisme. Notre
ambition consistait en effet à rétablir la « signification » du roman et celle de la pensée
flaubertienne, au lieu d’en remarquer le non-sens qui est devenu avec le temps une idée reçue.
1. L’histoire retrouvée.
De fait, il est maintenant évident que le roman a une histoire, l’histoire de l’intégration des
deux hommes dans une “Communauté”. Ce « fil de collier » se déroule dans tout le texte, pour lier
les dix chapitres, dix tableaux apparemment isolés les uns des autres. Voici donc cet enchaînement,
qui commence par le premier chapitre.
Tout d’abord, il est nécessaire de constater que le premier chapitre a un rôle particulier, par
rapport au reste du texte. Comme le dit Flaubert lui-même, il s’agit d’une « Introduction » 3 qui
prélude à l’histoire principale de l’intégration. Par ce chapitre, nous sommes informés des futurs
tâtonnements des deux bonshommes, qui « esquissent dans leur vagabondage ce qu’ils [vont]
approfondir plus tard » 4 ; ils discutent de politique, de femme, de religion, visitent les musées et
vont en excursion, comme ils le feront à l’avenir à la campagne 5 . Mais en même temps, dans ce
prologue, nous sommes renseignés sur l’identité des deux protagonistes, sur leur naissance, sur leur
milieu, et surtout sur la raison de leur émigration à Chavignolles. En effet, ils sont dégoûtés de
« Paris », et veulent s’en aller à la « Campagne » qui est l’antipode de la capitale et qui leur semble
incarner leur idéal de société, une “Communauté” d’individus éminents.
En d’autres termes, la vraie histoire ne démarre qu’au chapitre II, lorsque les deux
protagonistes entament leur premier essai d’intégration dans la “Communauté”6 . Bouvard et
1
Corr.IV, p.583, lettre à Léonie Brainne, 5 octobre 1872.
Corr.15, p.609. lettre à Émile Zola, 5 octobre 1877.
3
msgg10, fo 69v p.206.
4
msgg10, fo 2r, p.5.
5
Cf. Claudine GOTHOT-MERSCH, « Le roman interminable : Un aspect de la structure de
Bouvard et Pécuchet », Flaubert et le comble de l’art, CDU et SEDES, 1981, p.9-22.
6
Dans sa lettre, de fait, Flaubert considère le chapitre de l’agriculture comme le premier chapitre, et
le chapitre de Paris comme un prologue. Il dit à sa nièce : « J’espère avoir fini ce Ier chapitre ou
introduction à la fin de la semaine prochaine » (Corr.IV, p.874. le 8 octobre 1874.) Le même jour à
Tourgueneff, il dit : « Bouvard et Pécuchet viennent d’arriver dans leur maison [de] campagne !
j’aurai fini le premier chapitre à la fin de la semaine prochaine. » (Ibid., p.875.) Trois jours après, le
11 octobre 1874, à sa nièce : « J’aurai le temps, d’ici là, de mettre bien en train mon premier
chapitre (celui de l’agriculture), […] Mon Prologue sera fait demain!. (Ibid. , p.876-877.) Au 15
octobre 1874, à sa nièce : « Je prépare actuellement mon Ier chapitre (l’agriculture et le jardinage).
L’introduction est faite. » (Ibid., p.878.)
2
Pécuchet tentent ici l’agriculture, prennent pour modèle l’agronome renommé du village ; ils
apprennent à respecter la « propriété », une des « bases » incontestables de la société. Au chapitre
III, les deux hommes étudient la chimie et la médecine, veulent remplacer Vaucorbeil. Au chapitre
IV, ils abordent l’archéologie, domaine officiel du village ; ils construisent aussi leur musée, petite
maquette de la “Communauté”, pour montrer leurs connaissances acquises sur la manière de vivre
des Chavignollais. Au chapitre V, ils essaient de se spécialiser dans un domaine inédit au village, à
savoir la littérature et le théâtre. Au chapitre VI, juste au milieu du texte, la révolution éclate ; et
lors d’un débat politique, Bouvard et Pécuchet réalisent pour la première fois que les notables ne
sont pas des membres idéaux, mais sont en fait de simples bourgeois. Au chapitre VII, les deux
hommes tentent de se marier, de fonder une « famille », à la manière des villageois ; le projet des
deux protagonistes rate pourtant, et ils s’enferment davantage dans leur amitié fusionnelle. Au
chapitre VIII, devenant philosophes, ils mettent en cause les conventions sociales, ne veulent plus
s’intégrer dans Chavignolles, cette commune bourgeoise. Au chapitre IX, convertis, ils abordent la
« religion », « base » la plus prestigieuse de la société ; ils tentent ainsi leur dernière chance, pour
être accueillis par les villageois.
Néanmoins, les essais d’intégration ont échoué. Bouvard et Pécuchet sont exclus du cercle des
notables à la fin du chapitre IX. Aussi, au chapitre X, les deux hommes arrêtent tous leurs essais
d’intégration, pour imaginer une nouvelle “Communauté” qui remplace Chavignolles. Ils tentent
d’abord d’élever les futurs citoyens, « avec application au bonheur général de toutes les
connaissances antérieurement acquises » 1 . Et puis, ils essaient d’établir une constitution utopique,
en utilisant leur érudition en matière politique. Autrement dit, dans ce chapitre qui correspond à
l’épilogue (ou selon le scénario, au « summum de toutes leurs études ») 2 , les deux protagonistes
répètent ce qu’ils ont tenté jadis pour s’intégrer dans Chavignolles. Pourtant, ils ont échoué,
exactement comme ils ont échoué jadis lors des études antérieures.
Ainsi, il s’avère finalement que le texte ne ressemble pas à une encyclopédie dont les
rubriques se classent arbitrairement. En effet, dans Bouvard et Pécuchet, outre une histoire ou un
« lien logique » ininterrompu, il existe aussi une structure qui ordonne les dix chapitres, les dix
tableaux d’études apparemment disparates. Il s’agit d’une construction du genre romanesque, qui
consiste en un prologue (le chapitre I), en un texte principal (les chapitres de II à IX), en un
épilogue (chapitre X) et de plus en un résumé (une lettre de Vaucorbeil) 3 . Il est donc évident que
dans aucun cas, notre roman philosophique ne peut être qualifié d’anarchique, d’absurde ou de nonsens.
2. La philosophie flaubertienne.
En deuxième lieu, il est question de la «signification » de la philosophie flaubertienne, qui
devient maintenant aussi claire que celle de l’histoire du roman. Essentiellement, en effet, la
« manière de penser » de l’écrivain consiste à démentir toutes les valeurs substantielles, à savoir le
Bien irréductible, le Beau absolu, la Morale transcendante et la normalité incontestable. Il s’agit des
mythes illusoires que Flaubert dénie haut et fort dans son roman comme dans ses lettres. L’écrivain
s’oppose, de fait, à l’idée que la Nature est a priori ordonnée selon la providence, pour que les
phénomènes normaux et ceux d’anormaux soient identifiés. Il réfute aussi l’idée que les critères
1
Corr.16, p.184, lettre à Mme Roger des Genette, 7 avril 1879.
msgg10, fo 17, p.72.
3
« La lettre est une espèce de rapport confidentiel expliquant que leur manie est douce et que ce
sont deux imbéciles inoffensifs. Elle résume et juge B et P. et doit rappeler au lecteur, tout le livre. »
(msgg10, fo 32, p.116)
2
esthétiques sont donnés du ciel, pour que les beautés (et laideurs) soient reconnues unanimement et
instantanément. De plus, l’écrivain nie qu’il existe des principes moraux a priori établis, qui
enseignent aux gens dits moraux comment se comporter dans tel ou tel cas concret. Et finalement il
nie qu’il existe une définition du Bien, indiquant a priori les bons comportement et les paroles
convenables. En fait, selon Flaubert, soit pour la beauté, ou pour la normalité ou pour la moralité,
les critères ne sont donnés que par le consensus gratuit de la société. Par conséquent, certains
phénomènes naturels deviennent normaux, si seulement ils présentent des intérêts par hasard pour la
société. Et certains comportements deviennent socialement corrects, dans la seule mesure où la
majorité des gens les honorent au hasard des circonstances. Et certaines pièces de théâtre
deviennent excellentes, seulement lorsque le public les applaudit, gratuitement.
En d’autres termes, selon ce point de vue, il est inutile voire absurde de chercher à savoir, par
les réactions d’un individu, si celui-ci est moral ou immoral, de gauche ou de droite, révolutionnaire
ou réactionnaire, radical ou conservateur. Il est notamment aberrant de chercher à positionner
moralement et politiquement Flaubert, afin d’éclaircir sa « manière de penser » 1 . Car cette
recherche ne repose sur rien d’autre que des mythes. Elle suppose, en effet, que la manière de vivre
de la gauche (ou de la droite) est a priori définie, qu’il existe a priori des règles de conduite
révolutionnaire (ou réactionnaire) qui ordonnent aux gens radicaux de se comporter ainsi et non pas
autrement dans un tel ou tel cas concret. De plus, selon cette vision, pour connaître la
“Communauté” politique à laquelle appartient le romancier, il suffit d’examiner les !axiomes! qu’il
suit, de gauche ou de droite. Or, Flaubert affirme que les « axiomes » sont illusoires, qu’il n’existe
dans un groupe politique aucun décalogue qui définit a priori la conduite des membres. Tous ces
dits sociétaires ne partagent a priori aucune règle de jeu avec leurs semblables. Ils font chacun ce
qu’ils sont enclins à faire, pour se retrouver gratuitement en accord avec les autres. Leur manière
commune de se conduire est d’origine contingente. Certes, il est possible qu’un observateur
découvre a posteriori quelques principes qui résument leur mode de conduite commun. Mais les
règles seront à tout moment invalidées, lorsque les membres politiques commencent à se conduire
de façon complètement différente, selon les circonstances.
Du reste, l’écrivain prétend clairement qu’il fait ce qu’il est enclin à faire, qu’il ne suit pas des
règles de jeu a priori établies. Ainsi le dit il, en répondant à George Sand :
« Quant à moi, vous me dites : « Soyons logiques », mais c’est là le difficile. » 2
« Il me manque « une vue bien arrêtée et bien étendue sur la vie ». Vous avez mille fois
raison ! Mais le moyen qu’il en soit autrement ? Je vous le demande. » 3
« Vous partez de l’a priori, de la théorie, de l’idéal. De là votre mansuétude sur la vie, votre
sérénité et, pour dire le vrai mot, votre grandeur. [...] Si je voulais prendre votre manière de
voir l’ensemble du monde, je deviendrais risible, voilà tout. » 4
Pour l’écrivain, de fait, il est absurde d’exiger d’un homme, qu’il parle « de l’a priori, de la
théorie », d’être toujours fidèle soit au socialisme, soit au conservatisme soit au communisme. Car il
1
D’ailleurs, aucune des critiques ne semble réussir à trancher la question. Voir Claudine GOTHOTMERSCH, « Introduction » de son édition l’Éducation sentimentale, Flammarion, coll. « GF »,
1985, p.21-21.
2
Corr.IV, p.625, lettre du 12 décembre 1872.
3
Corr.IV, p.1001, lettre de la fin décembre 1875.
4
Corr.15, p.435, lettre du 6 février 1876. Flaubert souligne.
n’existe aucun moyen pour savoir préalablement comment respecter cette « théorie », face aux
problèmes concrets. Et personne ne peut prédire comment se conduire en tant que socialiste ou
conservateur, dans telle ou telle occasion précise. En réalité, un homme reconnaît son propre camp,
seulement a posteriori lorsque la société lui fait savoir la « théorie » qu’il suit, en le qualifiant soit
de socialiste, soit de conservateur.
Cependant, Flaubert devient ambivalent, lorsqu’il s’agit de l’Art. En effet, tout en niant les
critères absolus du Bien et de la Morale et surtout l’a priori, l’écrivain veut croire au grand Art, à la
Littérature. Il veut croire que la valeur artistique est absolue, indépendante des jugements de la
société, que la grandeur des génies est incontestable, même s’ils sont méconnus, même s’ils sont
considérés comme fous par la collectivité. Autrement dit, Flaubert veut penser qu’à la différence
des honnêtes hommes, des gens moraux ou des hommes politiques, les artistes sont a priori
“artistes”, avant même d’être reconnus socialement, dans la mesure où ils possèdent une
“propriété”, des qualités intrinsèques, un don personnel qui les fait briller. Néanmoins, il est évident
que la “propriété” est elle-même un mythe. En réalité, un talent original ne peut pas se faire
reconnaître par lui-même ; il est identifié toujours par rapport à d’autres. Autrement dit, un génie a
besoin d’être différencié des autres par une tierce instance. En ce sens, l’Art n’est pas indépendant
des jugements sociaux, de l’opinion publique et de l’avis de la majorité. D’ailleurs, tout en
réclamant l’indépendance de la littérature par rapport à la dimension sociale de son époque,
Flaubert doit supposer lui-même une future société qui va juger correctement les artistes méconnus ;
il est obligé de penser à une utopie, à une meilleure “Communauté”, qui se composera d’individus
éminents. Ainsi il dit dans la préface aux “Dernières Chansons”, poésies posthumes de Louis
Bouilhet :
« La postérité nous déjuge. Elle rira peut-être de nos dénigrements, plus encore de nos
admirations ; car la gloire d’un écrivain ne relève pas du suffrage universel, mais d’un petit
groupe d’intelligences qui, à la longue, impose son jugement. » 1
Au demeurant, la philosophie de Flaubert, de cet ermite de Croisset, confirme,
paradoxalement, qu’un individu vit toujours avec ses semblables, que l’homme est un être social,
par nature. D’où vient le désespoir de l’écrivain solitaire ; en fait, il veut bien que les individus
vivent par eux-mêmes, pour eux-mêmes, sans intervention de la société.
1
« Préface aux Derniers Chansons », Pour Louis Bouilhet, textes édités et annotés par Alan Raitt,
University of Exeter Press, 1994, p.29.
Bibliographie
I. Éditions des oeuvres de Flaubert
1. Bouvard et Pécuchet
A. Bouvard et Pécuchet
Oeuvres complètes de Gustave Flaubert. Tome 5-6. Bouvard et Pécuchet, oeuvre posthume
augmentée de La Copie. [1. Scénarios de Bouvard et Pécuchet. 2. Les Deux Greffiers.] Paris,
Club de l’Honnête Homme, 1972, 2 tomes en 1 vol. de 850p.
Gustave Flaubert. Bouvard et Pécuchet. Édition critique par Alberto Cento, précédée des scénarios
inédits, Naples, Istituo Univeritario Orientale, et Paris, A.Z.Nizet, 1964, 596p.
Gustave Flaubert. Bouvard et Pécuchet avec un choix de scénarios, du Sottisier, l’Album de la
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B. Le Seconde volume
BOLLEME (Geneviève)
Gustave Flaubert. Le Seconde volume de Bouvard et Pécuchet. Documents présentés et choisis
par Geneviève Bollème, Paris, Denoël, Coll. “Dossier des Lettres Nouvelles”, 1966, 318p.
CAMINITI (Lea)
Le Dictionnaire des idées reçues. Édition diplomatique des trois manuscrits de Rouen par Lea
Caminitii. En appendice : “Les idées reçues dans l’oeuvre de Flaubert”, Naples, Liguori et Paris,
A.Z.Nizet, 1966, 345p.
CENTO (Alberto) et CAMINITI PENNAROLA (Lea)
Gustave Flaubert. Le Second volume de Bouvard et Pécuchet, le projet du Sottisier.
Reconstitution conjecturale de la “copie” des deux bonshommes d’après le dossier de Rouen,
Édition par Alberto Cento et Lea Caminiti Pennarola, Naples, Liguori, 1981, 744p.
2. Carnets
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Balland, 1988, 1000p.
« Le voyage de Flaubert en Basse-Normandie. Présentation du Carnet 11 », établi par Pierre-Marc
de Biasi et Yvan Leclerc, Études Normandes, no 3, « Flaubert », 1987, p.15-35.
Carnet de voyage à Carthage, texte établi par Claire-Marie Delavoye, Publications de l’Université
de Rouen, 1999, 208p.
DURRY (Marie-Jeanne)
Flaubert et ses projets inédits [Carnet 19, le Carnet 20, le Carnet 17.] établi par Marie-Jeanne
Durry, Paris, Nizet, 1950, 413p.
3. Oeuvres de jeunesse
Oeuvres complètes de Gustave Flaubert. Tome 10-11. Par les champs et par les grèves. Voyages et
carnets de voyages. Oeuvres de jeunesse. Éditions nouvelle établie d’après les manuscrits inédits
de Flaubert. Paris, Club de l’Honnête Homme, 1973, 1974, 614p. et 691p.
Flaubert. Mémoires d’un fou. Novembre et autres textes de jeunesse. Édition critique établie par
Yvan Leclerc, Paris, Flammarion, 1991, 538p.
Gustave Flaubert. La Première Éducation sentimentale. Préface et dossier critique de Martine
Bercot, Librairie Générale Française, 1993, 444p.
4. Madame Bovary
Oeuvres complètes de Gustave Flaubert. Tome1. Madame Bovary. [Scénarios, variantes.] Paris,
Club de l’Honnête Homme, 1972, 557p.
Madame Bovary. Moeurs de Province. Sommaire biographique, introduction, note bibliographique,
relevé des variantes et notes par Claudine Gothot-Mersch. [Manuscrits et éditions. Histoire du
texte. Variantes. Variantes de ponctuation.] Éditions Garnier, Coll. “Classiques Garnier”, 1971,
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Gustave Flaubert. Plans et scénarios de Madame Bovary, présentation, transcription et notes par
Yvan Leclerc, CNRS Éditions, Coll. “Manuscrits”, 1995, 197p.
5. Salammbô.
Oeuvres complètes de Gustave Flaubert. Salammbô. Tome 2. [1. Scénarios et plans de Salammbô et
notes diverses de Flaubert. 2. Querelle de Salammbô. 3. Sources générales de Salammbô. 4.
Salammbô sources et méthode.] Paris, Club de l’Honnête Homme, 1971, p.263-303.
Salammbô!. Chronologie et préface par Jacques Suffel, Paris, Flammarion, Coll. “GF”, 1992, 380p.
6. L’Éducation sentimentale.
Oeuvres complètes de Gustave Flaubert. L’Éducation sentimentale. Histoire d’un jeune homme.
[Notice. Notes; les ébauches, le manuscrit définitif. Index. Variantes d’après l’édition originale.
Opinion de la presse.] Paris, Louis Conard, 1923, 704p.
Oeuvres complètes de Gustave Flaubert. Tome3. L’Éducation sentimentale. Histoire d’un jeune
homme. [1.Scénarios. Documentation de Flaubert pour L’Éducation sentimentale. Article de
Barbey d’Aurevilly.] Paris, Club de l’Honnête homme, 1971, 478p.
L’Éducation sentimentale. Histoire d’un jeune homme. I [-II]. Texte présenté et commenté par Alan
Raitt [Plans du Carnet 19]. Illustrations de Mac’Avoy. Paris, Imprimerie Nationale, Coll. “Lettres
française”, 1979, 343 et 364p.
L’Éducation sentimentale. Histoire d’un jeune homme. Texte établi, sommaire biographique,
préface, bibliographie, notes, variantes, dossier de l’oeuvre par Peter Michael Wetherill. Paris,
Garnier, Coll. “Classique Garnier”, 1984, 647p.
L’Éducation sentimentale. Histoire d’un jeune homme. Édition établie et présentée par Claudine
Gothot-Mersch. [Histoire du texte. Notes. Premier scénario connu de L’Éducation sentimentale.]
Paris, Flammarion, Coll. “GF”, 1985, 567p.
7. La Tentation de saint Antoine. Trois Contes
Oeuvres complètes de Gustave Flaubert. Tome 4 . La Tentation de saint Antoine. Trois Contes. [1.
Scénario de La Tentation de saint Antoine. 2. Documentation de Flaubert pour La Tentation de
saint Antoine. 3. Mémento mythologique de Flaubert pour La Tentation de saint Antoine. 4.
Scénarios de Trois Contes. 5. Documentation de Flaubert pour les Trois Contes.] Paris, Club de
l’Honnête Homme, 1972, 621p.
La Tentation de saint Antoine. Édition présentée et établie de Claudine Gothot-Mersch, Paris,
Gallimard, Coll. “Folio”, 1983, 346p.
Trois Contes. Édition établie, Introduction, notes, bibliographie et chronologie par Pierre-Marc de
Biasi, Paris, Flammarion, Coll. “GF”, 1986, 188p.
8. Théâtre
Oeuvres complètes de Gustave Flaubert. Tome 7. Théâtre. Le Château des coeurs. Le Sexe faible.
Le Candidat. [1. Pièces inachevées. 2. Ébauches et scénarios. 3. Le Tableau VI du Château des
coeurs d’après le manuscrit de Flaubert] Paris, Club de l’Honnête Homme, 1972, 589p.
Gustave Flaubert. Le Candidat. Édition présentée par Yvan Leclerc, Le Castor Astral, 1987, 101p.
9. Divers
Voyage en Égypte. Édition intégrale du manuscrit original établie et présentée par Pierre-Marc de
Biasi, Bernard Grasset, 1991, 462p.
Par les champs et par les grèves. Édition critique par Adrianne J. Tooke, Genève, Librairie Drox,
1987, 834p.
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Gustave Flaubert, Paris, Gallimard, Coll. “tel”, 1935, 290p.
III. Études sur la société du temps de Flaubert
1. Témoignages contemporains
BAUDELAIRE (Charles)
Spleen de Paris. La Fanfarlo, Paris, Flammarion, Coll. “GF”, 1987, 224p.
DU CAMP (Maxime)
Mémoire d’un suicidé, édition présentée et annotée par Rodolphe Fouano, Paris, Édition de
Semptembrte, 1991, 268p.
Paris, ses organes, ses fonctions, sa vie jusqu’en 1870, Monaco, G.Rondeau, 1993, 762p.
Souvenirs littéraires, préface de Daniel Oster, Paris, Aubier, 1994, 628p.
MAUPASSANT (Guy de)
Sur l’eau, préface de Jacques Dupont, Gallimard, Coll. “Folio”, 1993, 213p.
RENAN (Ernest)
Qu’est-ce qu’une nation ? et autres essais politiques, textes choisis et présentés par Joël Roman,
Paris, Presses Pocket, Coll. “Agora les classiques”, 1992, 314p.
TOCQUEVILLE (Alexis de)
De la démocratie en Amérique, t.I, II, Paris, Flammarion, Coll. “GF”, 1981, 569p, 414p.
2. Études sur la société moderne
AGULHON (Maurice)
Le cercle dans la France bourgeoise. 1810-1848, Armand Colin, 1977, 107p.
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Sur la connaissance des masses, essai de psychologie politique, Presses universitaires de
Grenoble, 1994, 224p.
ROSANVALLON (Pierre)
Le moment Guizot, Paris, Gallimard, Coll. “Bibliothèque des Histoires”, 1985, 414p.
Le sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard, Coll.
“Bibliothèque des Histoires”, 1992, 490p.
TOURNIER (Maurice)
« Le mot “Peuple” en 1848 : désignant social ou instrument politique », Romantisme, no 9, “Le
Peuple”, 1975, p.6-20.
VIALLANEIX (Paul)
La voie royale. essai sur l’idée de peuple dans l’oeuvre de Michelet, Thèse pour le Doctorat ès
lettres, présentée à la Faculté des Lettres de l’Université de Paris, Librairie Delagrave, 1959,
541p.
IV. Les autres textes
ARENDT (Hannah)
Condition de l’homme moderne, traduit de l’anglais par Georges Fradier, préface de Paul Ricoeur,
Paris, Presse Pocket, Coll. “Agora”, 1961 et 1983, 404p.
Colloque Hannah Arendt, Politique et pensée, Paris, Payot, Coll. “Petit Bibliothèque”, 1996,
312p.
ARISTOTE
La Politique, Librairie philosophique, Paris, 1995, J. Vrin, p.595.
BARTHES (Roland)
Le plaisir du texte, Paris, Seuil, Coll. “Points”, 1973, 105p.
Critique et vérité, Paris, Seuil, Coll. “Tel Quel”, 1966, 79p.
Littérature et réalité, Rolan Barthe et al., Paris, Seuil, Coll. “Points”, 185p.
BATAILLE (Georges)
Oeuvres complètes, VII, VIII, Paris, Gallimard, 1976, 618p, 683p.
BOUVERESSE (Jacques)
La Force de la Règle. Wittgenstein et l’invention de la nécessité, Paris, Les Éditions de Minuit,
Coll. “Critique”, 1987, 175p.
COLAS (Dominique)
La pensée politique, Paris, Larousse, Coll. “Textes essentiels”, 1992, 768p.
DELEUZE (Gilles)
Spinoza et le problème de l’expression, Paris, Les éditions de minuit, Coll. “Arguments”, 1968,
332p.
Spinoza, philosophie pratique, Paris, Les éditions de minuit, 1986, 177p.
Le Pli, Leibniz et le baroque, Paris, Les éditions de Minuit, Coll. “Critique”, 1988, 192p.
DELBOS (Victor)
Le spinozisme, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1993, 215p.
DERRIDA (Jaques)
De la Grammatologie, Paris, Les Éditions de Minuit, Coll. “Critique”, 1967, 448p.
Marges de la philosophie, Paris, Les Éditions de Minuit, Coll. “Critique”, 1972, 396p.
La voix et le phénomène, PUF, Coll. “Quadrige”, 1993, 119p.
FOUCAULT (Michel)
Les mots et les choses, Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, Coll. “tel”,
1966, 400p.
Histoire de la folie, à l’âge classique, Paris, Gallimard, Coll. “tel”, 1972, 585p.
KRIPKE (Saul)
Règles et langage privé, introduction au paradoxe de Wittgenstein, traduit de l’anglais par
Thierry Marchaisse, Paris, Seuil, 1996, 171p.
KRISTEVA (Julia)
Étrangers à nous-mêmes, Paris, Gallimard, Coll. “Folio”, 1988, 294p.
LACAN (Jacques)
Écrits, Paris, Seuil, 1966.
PLATON
La république, Paris, GF-Frammarion, 1966, 510p.
SPINOZA (Baruch)
L’Éthique. Oeuvres 3, Paris, Flammarion, Coll. “GF”, 1965, 379p.
VOLTAIRE
Dictionnaire philosophique, Paris, Gallimard, Coll. “Folio”, 1994, 545p.
WITTGENSTEIN (Ludwig)
Tractatus logico-philosophicus, suivi de Investigations philosophiques, traduit de l’allemand par
Pierre Klossowski, introduction de Bertrand Russell, Paris, Gallimard, Coll. “tel”, 1961, 365p.
Remarque philosophiques, Édition posthume due aux soins de Rush Rhees, traduit de l’allemand
par Jacques Fauve, Paris, Gallimard, Coll. “tel”, 1975, 331p.

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