Livre Foncier et Notariat

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Livre Foncier et Notariat
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LIVRE FONCIER ET NOTARIAT par François Hubé
Le livre foncier est une institution de droit local alsacien-mosellan hérité du droit
allemand introduit dans le droit français par la loi du 1er juin 1924 qui a mis en
vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du
Haut-Rhin et de la Moselle, consécutivement au traité de Versailles du 28 juin 1919
au lendemain de l’armistice du 11 novembre 1918, à l’issue de la première guerre
mondiale.
La plus importante des branches du droit local recouvrant des matières aussi
différentes et intéressantes que le droit des successions, celui des partages judiciaires,
le droit de la chasse, le droit de la navigation sur le Rhin, le droit commercial, celui
des ventes judiciaires d’immeubles, de l’adjudication forcée immobilière, celui des
assurances et de la sécurité sociale, pour ne citer que les plus connues, a été conservée
en Alsace et en Moselle dans les tribunaux d’instance pour gérer les droits réels sur
les immeubles. On considère depuis son origine que le livre foncier, service judiciaire,
remplit l’office de l’état civil des immeubles cadastraux, comme étant un registre de
publicité légale dans lequel sont inscrits et conservés, par une décision d’un juge
statuant en matière gracieuse, les droits opposables au tiers, tels que le droit de
propriété, les baux, les charges restrictives, les hypothèques, les sûretés judiciaires et
les servitudes sur les immeubles, ainsi que leurs propriétaires et leurs bénéficiaires
respectifs.
Son organisateur, coordonnateur et décideur, est un magistrat judiciaire spécialisé,
le juge du livre foncier, sans qui rien n’est possible pour régler les litiges et faire
respecter les règles de droit applicables à la matière et qui sont complexes en ce
qu’elles touchent à une multitude de droits distincts dans la panoplie du droit positif
français et du droit local. Si le droit des contrats forme la majeure partie des règles
dont l’observance est requise dans l’intervention du juge, les règles de la procédure
civile et de la procédure pénale selon les saisines n’en sont pas exclues et ont une
importance décisive et conséquente dans le processus de la publicité foncière.
La publicité du livre foncier s’opère par des inscriptions, par des radiations
d’inscriptions ou encore selon le cas par des modifications d’inscriptions existantes, le
tout décidé après un contrôle sévère et un examen approfondi par le juge du livre
foncier des actes authentiques et des droits réels qu’ils contiennent. Le juge est saisi
par une requête et statue sur les droits qui doivent être inscrits, sur la capacité des
personnes qui formulent ces droits et leur représentation, notamment. Les actes
authentiques forment des contrats de droit privé entre des personnes physiques ou
morales. Ces actes sont passés au peigne fin pour conforter la réalité et la faisabilité
des opérations juridiques qu’ils contiennent par une opération que l’on appelle le
contrôle par le juge du principe de légalité.
Ainsi, le juge du livre foncier est le magistrat du contrat. Il est « le juge de la
régularité du contrat » qui, par sa décision rend opposable aux tiers les droits réels
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constitués dans un acte authentique dressé par un notaire, un tribunal ou une autorité
administrative. Dès la publication de ces droits au livre foncier, toute personne est
tenue par ces droits et ne peut en faire abstraction. Le juge du livre foncier est
personnellement responsable sur ses propres deniers, sur une action récursoire de
l’État, des fautes qu’il pourrait commettre ou des erreurs pouvant survenir par son fait
dans l’exercice de sa fonction.
Le notariat est le principal utilisateur des services du livre foncier, mais pas le seul.
Avocats, huissiers de justice et géomètres-experts concourent à alimenter le dépôt des
requêtes au livre foncier pour une part importante. Les requêtes déposées par les
titulaires de droits eux-mêmes viennent compléter la saisine du Bureau Foncier dans
une proportion significative. Le livre foncier peut être consulté sous conditions, soit
directement au greffe du Bureau Foncier de la situation de l’immeuble, soit par la voie
électronique en demande de copie des données sur le site Internet www.livrefoncier.fr
Les bureaux fonciers sont informatisés depuis l’année 2008 et les procédures sont
entièrement dématérialisées à ce jour. Tous les droits inscriptibles sont publiés dans
une base de données informatiques sécurisée, appelée AMALFI, adossée à un haut
niveau de conservation.
Les formes judiciaires ayant été remplacées par les formes notariées à
l’introduction en Alsace-Moselle de la loi civile française du 1er juin 1924, le notariat
s’est vu conférer un monopole de fait sur l’authentification des actes. Le recours à un
notaire est donc devenu indispensable et strictement nécessaire à la passation d’actes
de disposition, translatifs ou déclaratifs de propriété immobilière et les actes de
constitution des autres droits réels autres que la propriété, ainsi que pour le règlement
des successions en France.
Le pouvoir d’authentification, que les tribunaux judiciaires exerçaient auparavant
gratuitement en ce que l’administration française devait assurer un service public
général pour faciliter la vie des citoyens et résoudre les préoccupations légitimes des
administrés, a donc été confié à une profession corporatiste, les notaires, dont
l’organisation est héritée de l’Ancien Régime avec ses privilèges.
On peut rappeler que les greffiers des tribunaux judiciaires, agents de l’État, véritables
authentificateurs des actes de justice dans l’exercice de leurs fonctions de garants du
respect des procédures judiciaires, d’assistants des magistrats qui eux-mêmes
établissent les actes authentiques que sont les décisions et les jugements qu’ils rendent
sur saisines des administrés-justiciables, ont perdu cette compétence au profit du
notariat.
Historiquement, « la profession de notaire est elle-même issue d’une démarche
d’audit juridique du temps où l’on faisait vérifier les conventions par le juge et où
celui-ci, par manque de temps ou de goût, s’en était peu à peu déchargé sur ses
proches collaborateurs, les notaires ». (Gilles Rouzet, Précis de déontologie notariale,
PUB, 2004).
A rebours de ce constat en Alsace et en Moselle, le système local en vigueur a
réaffirmé la prééminence du juge par un contrôle qu’il effectue a posteriori sur les
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actes des notaires, au point que la question d’une authentification par le juge des actes
sous seing privé avait mis, un moment donné, la profession notariale en émoi.
Pour mémoire, avant l’année 1960 aucun diplôme ne fut nécessaire pour être
notaire en vieille France, c’est à dire en-dehors des trois départements du Bas-Rhin,
du Haut-Rhin et de la Moselle, et qu’il suffisait d’acheter la charge pour le devenir ?
Raoul de la Grasserie dénonçait, en 1989, le fait que « pour être notaire, il suffit de
savoir lire et écrire, rien de plus ». (In, L’état actuel de la réforme du notariat en
France, Paris, Fontemoing, 1989, p. 157). Depuis 1972 seulement, un diplôme en
droit est obligatoire pour être notaire.
La substitution de la forme notariée à la forme judiciaire de certains actes résultait
de la volonté politique d’enlever aux agents de l’État le pourvoir d’authentification
des actes et de le transférer à des auxiliaires de justice nommés par le gouvernement,
les notaires. Ainsi, la puissance publique a privatisé au profit d’une catégorie de
personnes physiques clairement identifiées dans le champ social comme étant des
habilités à recevoir et authentifier des actes à la place des services de l’État. Les 9802
notaires de France recensés au 1er janvier 2016 seraient délégataires de l’autorité
publique dans la fonction d’authentification, qualité qui néanmoins ne leur est pas
reconnue par une position prise par la plus haute juridiction de France, la Cour de
Cassation en 1999, la Commission Européenne allant dans le même sens, en ce
qu’« un notaire, qui n’est pas investi de prérogatives de puissance publique, n’a pas la
qualité d’agent de l’autorité publique ». La Commission européenne affirme que le
notaire n’exerce pas d’acte d’autorité au nom de l’État, en s’appuyant sur la
circonstance que « le notaire ne peut imposer de décision à l’encontre de la volonté
des parties qu’il conseille, c’est pourquoi il ne tranche pas et n’exerce donc pas
d’actes d’autorité au nom de l’État ». (CE, 12 octobre 2006, IP/06/1385). Nous
serions donc en présence de semi-fonctionnaires, mais avec un statut hybride, puisque
les notaires exercent leurs fonctions à la fois sous le contrôle du ministère de la justice
par le truchement des procureurs de la république et sous un régime libéral, leur
activité étant organisée selon un modèle calqué sur une activité libérale privée.
Le « notaire de famille » auquel les Français étaient très attachés semble être
tombé en désuétude dans les dernières décennies du fait qu’une certaine concurrence
s’est instaurée entre les notaires dans le monde des affaires. La pratique consacre
« l’intermédiation immobilière » qui est un concept à la mode dans le langage
notarial. L’intermédiation immobilière regroupe toutes les actions de nature à mettre
en contact ou en affaire, à rapprocher des acteurs juridiques, pour conclure des
contrats de toute nature, vente, bail, partage, hypothèque, contre une rémunération
tarifée composée d’un émolument fixe ou proportionnel à la valeur de la transaction et
d’un émolument de formalités qui recouvre les frais administratifs des demandes
d’actes d’état civil et autres actes authentiques déjà dressés et nécessaires à la
passation de l’acte authentique envisagé et ceux relatifs à son exécution ultérieure.
Le recours au notariat n’est pas exempt d’une charge de frais. La rémunération
tarifée des notaires consentie par les pouvoirs publics par un décret du 8 mars 1978,
régulièrement mis à jour et en dernier lieu par le décret du 26 février 2016 et l’arrêté
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ministériel de même date, a pris la forme d’une rente de situation. Cette rémunération
s’apparente à un impôt privé fixé par les pouvoirs publics. Sur une transaction
immobilière, le notaire se rémunèrerait entre 0,814% et 3,945 % hors taxes selon la
tranche de l’assiette dans laquelle est compris le prix de vente. Pour les actes non
tarifés, les honoraires sont librement fixés entre le notaire et son client.
Ces constatations conduisent bien naturellement à rechercher l’optimisation des
moyens pour réduire les dépenses afférentes à l’obligation de faire appel aux services
du notariat. Ces moyens existent. Ils sont légaux et tiennent essentiellement dans
l’exécution de certaines démarches ou encore à établir certains actes aux lieu et place
du notariat, à un prix moindre ou à un coût réduit. Les solutions apparaissent sous la
forme d’alternatives au recours au notariat pour assurer la publicité des droits
immobiliers au livre foncier d’Alsace -Moselle :
- Requête à la diligence d’une personne publique :
(cf. articles L. 1212-1 à L. 1212-7 du code général de la propriété des personnes
publiques et articles L. 1311-13 et L. 1311-14 du code général des collectivités
territoriales).
La pratique de l’acte administratif permet à l’État, aux collectivités territoriales et
locales et aux établissements publics de recevoir et d’authentiquer des transactions par
la voie administrative par opposition à la voie notariale. Elle est donc une variable
d’optimisation des dépenses publiques. Les collectivités, les administrations et les
établissements publics, sont à compétence technique identique à celle d’un notaire
pour assurer l’authentification des actes dans lesquels ils sont parties prenantes, ainsi
que pour en assurer la publicité légale.
(Au demeurant, pour ces personnes publiques, les éventuelles difficultés de rédaction
pourraient être dévolues à un magistrat avant la signature de l’acte, ce que la loi
pourrait facilement réorganiser. Les collectivités publiques devraient par conséquent
être astreintes à recourir chaque fois que cela est possible à l’établissement d’un acte
administratif lorsqu’il s’agit d’actes relatifs à leurs droits réels immobiliers assujettis
à la publicité foncière. Des économies conséquentes seraient ainsi réalisées dans les
budgets des administrations et des collectivités, sans pour autant concurrencer le
notariat qui resterait compétent pour tout autre acte étranger à une personne
publique et quand bien même la profession notariale ne cesserait d’attaquer la
pratique de l’acte administratif qu’elle considère comme une intrusion dans leur
monopole d’instrumenter.)
- Requête à la diligence du titulaire et/ou du bénéficiaire d’un droit réel
immobilier :
Le recours à un notaire est obligatoire pour la constitution des droits réels définis à
l’article 38 de la loi du 1er juin 1924. Mais le concours du notaire peut être limité à
l’authentification de l’acte, laissant ouvert le champ aux titulaires ou bénéficiaires de
droits réels de faire assurer eux-mêmes la publicité foncière de l’acte, sous les
conditions suivantes. Le décret n° 2009-1193 du 7 octobre 2009, relatif au livre
foncier et à son informatisation, précise que « l’inscription d’un droit sujet à publicité
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n’a lieu que sur requête formée par son titulaire. Ce titulaire est identifié dans les
conditions prévues par l’article 1316-4 du code civil ». Il ne fait aucun doute par
conséquent et la pratique tend à le confirmer, que toute personne physique ou morale
qui est titulaire ou bénéficiaire d’un droit pourra elle-même demander l’inscription de
son droit au livre foncier. Il suffit à cet effet qu’elle puisse être clairement identifiée.
Cette identification sera prouvée par la production pour une personne physique d’un
document officiel d’identité comportant sa signature, et pour une personne morale en
justifiant de son pouvoir de disposition ou d’administration de la société civile ou
commerciale par la présentation d’un extrait d’immatriculation de la société à un
registre du publicité légale (registre du commerce et des sociétés, par exemple) et la
production des statuts de la société.
La demande en inscription sera formalisée au moyen d’une requête (article 40 de la
loi du 1er juin 1924) en inscription normalisée, selon des formulaires qui sont
disponibles gratuitement sur le site internent : www.livrefoncier.fr (articles 61 et 76
du décret susvisé du 7 octobre 2009). Les formulaires dûment renseignés et signés
seront déposés au Bureau Foncier compétent, c’est à dire celui de la situation de
l’immeuble concerné, avec une copie authentique de l’acte qui constitue les droits à
inscrire accompagné des pièces justificatives et d’un extrait d’acte normalisé n°
2651-2 de la Direction Générale des Impôts, disponible auprès d’un Centre des
Impôts.
Cette procédure ne génère aucun coût, sauf à se procurer une copie authentique de
l’acte du notaire qui l’a dressé (et qui elle, est payante).
Ainsi, un titulaire ou bénéficiaire d’un droit pourra requérir lui-même l’inscription :
- de son droit de propriété sur un immeuble par suite de vente, partage, échange,
adjudication, donation, succession ou convention matrimoniale ;
- de son droit de propriété établi par un jugement en le produisant ;
- d’un usufruit, une restriction au droit de disposer, un bail, une hypothèque, une
sûreté judiciaire, en sa faveur ;
- de la radiation d’un droit d’usufruit au décès de son titulaire, en produisant l’acte de
décès ;
- de toute radiation d’un droit affecté d’un terme extinctif ou d’une date d’effet ;
Enfin, un acte peut être dressé et publié gratuitement ou en proportion du bénéfice
de l’aide juridictionnelle. En effet, l’article 25 de la loi du 10 juillet 1991 relative à
l’aide juridictionnelle précise que « le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle a droit à
l’assistance d’un avocat ou à celle de tous officiers publics ou ministériels dont la
procédure requiert le concours ». Cette formule englobe non seulement les avocats,
mais aussi les notaires et les huissiers de justice.
La gratuité des actes des notaires est prévue expressément par l’article 14 du décret
du 8 mars 1978 lorsque leur client bénéficie de l’aide judiciaire (juridictionnelle). Ce
texte dispose que : « sont reçus gratuitement par les notaires, les actes dans l’intérêt
des personnes admises au bénéfice de l’aide judiciaire (juridictionnelle) lorsque ces
actes sont passés à l’occasion ou en suites des instances dans lesquelles elles ont
figuré, mais seulement dans le cas où ils doivent être visés pour timbre et enregistrés
en débet ».
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La loi fait, par conséquent, obligation aux auxiliaires de justice, et les notaires n’y
échappent pas en principe, de prêter leur concours aux personnes bénéficiant de l’aide
juridictionnelle totale ou partielle, dès lors qu’un acte découle directement d’une
décision de justice et entre dans le champ d’application de l’aide juridictionnelle.
« L’émolument peut être supprimé. C’est alors le cas d’abord en présence d’actes
passés dans l’intérêt des admises au bénéfice de l’aide judiciaire, lorsque ces actes
sont passés à l’occasion ou en suites des instances dans lesquelles elles ont figuré ».
(Sagaut Jean-François et Latina Mathias, Manuel de déontologie notariale, Paris,
Defrénois, 2009, p. 117, n° 302).
La déontologie notariale devra prendre en compte les dispositions légales à cet
égard pour la passation notamment des actes de partage de communauté et de
liquidation du régime matrimonial d’époux dans le cadre d’un divorce ou d’une
séparation, dès lors que l’un ou l’autre des époux bénéficie de l’aide juridictionnelle.
CONCLUSION :
Cette brève étude n’est pas exhaustive du droit du livre foncier et ne détermine que
les modalités validant la recherche d’économies d’échelle sur le plan financier dans
les budgets des personnes publiques, uniquement dans une optique de réduction de
leurs dépenses et la maîtrise des coûts de gestion de leur patrimoine immobilier.
Elle tend aussi à définir dans le respect de la loi les actions qu’une personne
physique ou qu’une personne morale pourrait entreprendre afin de préserver ou
améliorer son pouvoir d’achat, en rapport à des dépenses superfétatoires dans la
gestion au quotidien de leurs biens patrimoniaux.
A ce stade l’on ne pourra que formuler le vœux d’encourager l’innovation dans les
rapports juridiques entre les différents intervenants du livre foncier et les acteurs
concernés par la publicité légale des droits réels immobiliers en général.
Bibliographie : outre les ouvrages visés dans le corps du texte :
Comprendre le livre foncier d’Alsace-Moselle et le pratiquer de François Hubé
aux Éditions Promoculture-Larcier, Collection Vademecum, qui décrit, après un
rappel historique du droit du livre foncier, le régime des droits fonciers
d’Alsace-Moselle et expose des éléments de pratique et de jurisprudence pour en tirer
un enseignement avisé et un fin savoir du droit local alsacien-mosellan du livre
foncier.
 François Hubé - 2016