“Je voulais sortir de ma zone de confort”
Transcription
“Je voulais sortir de ma zone de confort”
2 | L’avenir agricole Focus Vivre une expérience à l’étranger Plus enrichissant qu’imaginé “Bien malin qui sait ce qu’il fera après une expérience comme celle-là”. Thomas, Mayennais de 23 ans, en stage aux Etats-Unis. “Est-ce que je vais travailler dans le paragricole ? M’installer ? Prolonger ? Dans la ferme où je suis, il y a un projet de développement de 100 vaches de plus en septembre, cela peut être intéressant à suivre.” Il est parti voir à quoi ressemblait l’agriculture ailleurs mais aussi, se plonger dans une autre culture. “Les anciens stagiaires, même ceux de plus de 50 ans, reconnaissent avoir développé une ouverture d’esprit, par leur expérience à l’étranger”, raconte Jean-Marie Poirier, dont le métier est de placer stagiaires ou travailleurs saisonniers aux quatre coins du monde. “Au retour, ils mettent souvent du temps à comprendre ce que leur a vraiment apporté leur séjour. Cela dépasse largement le cadre professionnel.” Dans certaines formations, les stages à l’étranger sont obligatoires. Mais les dispositifs sont multiples pour voir du pays. Frédéric Gérard NO 1757/27 - 8 JUILLET 2016 “Je voulais sortir de ma zone de confort” TEMOIGNAGE //// De Vaiges (Mayenne), où son père est éleveur, Thomas Ragot a mis les voiles. Il vit actuellement une expérience professionnelle, avant de commencer une formation, aux Etats-Unis. Le jeune Mayennais (4e en partant de la gauche) travaille sur une ferme dans le Minnesota. Il pose ici avec ses patrons (aux extrémités), les employés et stagiaires de l’exploitation. Pourquoi partir si loin ? Depuis mon bac, je gardais l’idée d’aller à l’étranger. Là, je suis jeune, je n’ai pas d’attaches, c’était le moment ou jamais. On sait qu’une fois qu’on a un métier, c’est plus compliqué de partir. Après un BTS Acse, en 2014, j’ai travaillé dans une coopérative. Mais dans une agriculture hypermondialisée aujourd’hui, je trouvais dommage de rester en Mayenne. Il faut s’ouvrir au monde, voir de ses propres yeux. Et j’avais envie de développer ma débrouillardise, de sortir de ma zone de confort. Où êtes-vous précisément ? Je suis dans le Minnesota, au nord des Etats-Unis, dans la région des grands lacs, à environ 50 miles (80 km) de Minneapolis et de Saint-Paul (la capitale). C’est peut-être l’Etat le plus froid du pays. Cet hiver, il a fait -15 -20 °C mais d’habitude, ça peut descendre à -30 °C. C’est aussi l’une des régions américaines les plus fertiles : par exemple, ici (avec des sols sablo-limoneux), ils font cinq coupes de luzerne par an avec, à chaque fois, 5-6 t MS. C’est ce type de stage que vous recherchiez dès le début ? Mon premier souhait, c’était dans les grandes cultures, pour connaître cette expérience d’avancer sur des hectares et des hectares sans arrêter la moissonneuse. Mais mon souhait était aussi de partir un an, et en cultures, c’est plus difficile de trouver sur une durée aussi longue. Je me suis toujours intéressé au lait — depuis mes 16 ans je travaillais au service de remplacement durant les week-ends et vacances, même quelques soirs après l’école. Alors, comme la for- mation [un Mast, lire page suivante] était aux Etats-Unis, dans le nord, j’ai accepté. A quoi ressemble la ferme où vous vous trouvez en ce moment ? Je suis sur une exploitation avec 250 vaches, avec une production de 2,5 millions de litres de lait. Les vaches sont séparées en trois groupes, en fonction de leur productivité. Elles sont en logettes, sur sable. Le bâtiment n’a rien d’une cathédrale, c’est plutôt rationnel. C’est la moyenne du coin ? Oui. Un voisin a un troupeau de 1 000 vaches. Dans le Winsconsin, l’Etat le plus proche, avoir 2 000 ou 3 000 vaches, c’est commun. Ici, tout est démultiplié, “Dans une agriculture hypermondialisée, je trouvais dommage de rester en Mayenne” ils ont une capacité à s’agrandir sans limites, même si cela reste des exploitations très familiales. Mais un autre voisin a 150 vaches en système allaitant bio, tout en pâturage, sans OGM. Je n’aurais jamais pensé voir ça ici. C’est très opposé de ce que font les autres éleveurs ? Contrairement aux idées reçues, ils sont très rigoureux sur l’environnement, l’hygiène et la qualité du lait... Quelle est leur relation au travail ? Leur culture est très ancrée dans l’engagement au travail, sur les résultats, la performance. C’est très libéral. Ils font beaucoup d’heures. Mais il y a quand même de l’échange. Avec les voisins, il peut y avoir de l’entraide, si besoin. Les relations s’entretiennent aussi beaucoup à l’église. Les tâches sont très spécialisées. Mais le patron, qui a 70 ans, ne veut pas tomber dans la routine. Son fils, qui a la trentaine, est le manager : il supervise, maîtrise les charges, s’occupe de la maintenance, etc. Sa femme est surtout dans la gestion du troupeau. Deux Brésiliens, qui suivent le même programme que moi, ont en charge l’un, les veaux, l’autre, le paillage, le rabotage, etc. Deux employés sont à temps plein sur la traite. Je les remplace un week-end sur deux. Mais je suis plutôt spécialisé sur l’alimentation, et le matériel. Cela vous laisse peu de temps pour voir du pays... J’ai acheté une voiture (on est quand même aux Etats-Unis !) pour partir, m’évader. Je vais essayer de voir ailleurs, des élevages au Winsconsin, visiter. Pour sortir autour d’ici, il y a surtout des parcs nationaux. Comment votre famille vit cet éloignement ? Comme je suis fils unique, dix-huit mois, cela fait long... Jusqu’ici, mes parents partaient uniquement début juillet. Mais ils n’ont jamais pris l’avion. Pour eux, c’est aussi l’occasion de faire leur premier grand voyage. Propos recueillis par Frédéric Gérard