SAU 92 - RAP ACT 2012
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SAU 92 - RAP ACT 2012
SERVICE D’ACCUEIL D’URGENCE « SAU 92 » RAPPORT D’ACTIVITE 2 0 1 2 SERVICE D'ACCUEIL D'URGENCE AVVEJ "SAU 92" 45 Rue Labouret 92700 COLOMBES Tél. permanence éducative : 01 47 81 94 83 - 01 47 81 60 45 Tél. secrétariat : 01 47 81 60 15 Télécopie : 01 47 86 33 73 [email protected] ACCÈS SNCF RATP - Paris Gare St LAZARE - direction Ermont Eaubonne - station Colombes ; - Bus 304 Nanterre-Asnières-Gennevilliers Les Courtilles (M13) ; Bus 166 Pte Clignancourt (M4)-Gare Gennevilliers (RER C), Les Courtilles (M13)Gare de Colombes ; Bus 167 Nanterre-ville (RER A)-Pont de Levallois (M3) Descendre à « Vieille Eglise », ACCUEIL Pré-adolescents et adolescents de 12 à 17 ans révolus des deux sexes 24H/24H, 365 J/365 J Accueil collectif dit « SERVICE INTÉRIEUR » : 9 places, (5 filles, 4 garçons) Accueil individualisé en familles agrées (RP et province) dit « SERVICE EXTÉRIEUR » : 17 places MISSIONS Ce service accueille un effectif de 26 adolescent(e)s (et enfants) étant en profonde détresse et en rupture, tout au long de l’année, de jour comme de nuit, sur une durée très brève - de : une nuit à quelques jours - à une durée de 4 mois, -quand il s’agit d’effectuer une observation et une investigation approfondie de la situation du jeune, en tant qu’aide à la décision d’une orientation, prononcée par le juge ou le responsable ASE. Le S.A.U 92 répond en priorité à toutes les demandes à caractère d'urgence, présentées par l'Aide Sociale à l'Enfance, les Juges et le Parquet du département des Hauts-de-Seine, et ce dans la mesure des places disponibles. Le SAU 92 n’est pas sectorisé. Le SAU 92 s'adresse à l’enfant et à l’adolescent qui souffre d’une carence de sens à donner à sa vie et à ses actes et est en rupture de liens avec lui-même, sa famille, la société. Le placement a été décidé de son fait, soit du fait de ses parents, soit suite à un signalement. Outre de l’accueillir soit en petite unité de vie, soit en accueil familial, soit en alternance sur l’un et l’autre, et de lui apporter un réconfort, une protection et une sécurité, nous tentons une rencontre et de restaurer une relation de confiance brisée entre lui et le monde adulte. Nous recueillons les propos qui se tiennent sur lui et son histoire : les siens propres, ceux de ses parents, ceux des services sociaux, de son école, des unités de soins… Nous recueillons et assemblons les observations du quotidien sur son lieu de vie, à l’école, en formation, en famille qui seront la source d’un récit que nous élaborerons collectivement. Récit dans lequel nous formaliserons notre volonté et notre goût de comprendre pourquoi il en est arrivé à ce point de rupture, ainsi que notre confiance en ses capacités de grandir et ce, en lien avec les autres. Nous tracerons un chemin qui lui permette de poursuivre son histoire, avec les possibles, les perspectives à venir, les relais sur lesquels il pourra s’appuyer,… C’est ce récit qui lui sera raconté, ainsi qu’à ses parents. Nous faisons nos propositions d’orientation aux services de l’ASE et au juge, tissons les partenariats nécessaires et le maillage relationnel ainsi que l’étayage dont il aura besoin à sa sortie. Quand nos partenaires suivent nos indications d’orientation, nous participons activement avec eux à la recherche du lieu. ASSOCIATION VERS LA VIE ET L’EDUCATION DES JEUNES RECONNUE D’UTILITE PUBLIQUE 1, place Charles de Gaulle – 78067 St Quentin en Yvelines Cedex Téléphone : 01.30.43.26.00 – Télécopie : 01.30.43.98.25 Courrier électronique Direction générale : [email protected] -4- AGRÉMENTS – HABILITATIONS Aide Sociale à l'Enfance : 12 -17 ans révolus Habilitation Justice : 12-21 ans STRUCTURE Directrice : L.ROUBINET – Chefs de service (2 ETP) : P.BASSE, P.DORANLO Pédopsychiatre (0,57ETP) : Dr. C.PERROT-GALLIEN Psychologue (0,5ETP): N.JEANJEAN - Econome (1ETP) - Assistante de direction (1ETP) – Comptable (1ETP) Educateurs Spécialisés (12ETP) - ASFAMS agréés (15 ETP) - Educatrice Scolaire (1ETP) Cuisinière (1ETP) - 2 Agents d'entretien : {ménage (0,5ETP), chauffeur (0,75ETP) ASSOCIATION VERS LA VIE ET L’EDUCATION DES JEUNES RECONNUE D’UTILITE PUBLIQUE 1, place Charles de Gaulle – 78067 St Quentin en Yvelines Cedex Téléphone : 01.30.43.26.00 – Télécopie : 01.30.43.98.25 Courrier électronique Direction générale : [email protected] -5- SAU 92 OU BIEN... OU BIEN... Collectif sous la direction Laurence ROUBINET INTRODUCTION, par Laurence ROUBINET L’ODEUR NAUSÉABONDE par Jean-Christophe MORO, éducateur L’ENCOPRÉSIE ? JE NE CONNAIS PAS, mais si on m’offre le billet d’avion, j’veux bien y aller ! par Serge WOLF, éducateur VIOLENCE ET INSTITUTION par Nathalie JEANJEAN, psychologue clinicienne L’AGRESSION SENSORIELLE par Muriel DUPIRE, éducatrice L’AMBIVALENCE D’UNE JEUNE FILLE ENCOPRETIQUE par Ahmed BENATMANE, éducateur ENCOPRÉSIE !?... par Emeline ZINCK, éducatrice VIOLENCE DE L’ENCOPRÉSIE par le D.C. PERROT GALLIEN, pédopsychiatre CONCLUSION par L.ROUBINET, directrice S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 -6- S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 -7- OU BIEN... OU BIEN...1 Collectif sous la direction de Laurence Roubinet « Le fond de l’humeur sociale est une perplexité panique qui se cache à elle-même, et se venge d’elle-même, en infligeant aveuglément ces fameuses règles sous lesquelles nous gémissons ». Pierre Manent2 INTRODUCTION Laurence ROUBINET, Directrice Pourquoi écrire ? Pourquoi ne pas se satisfaire de dupliquer dans un rapport d’activité les chiffres et calculs tant attendus qui composent d’ailleurs le rapport budgétaire et de les illustrer de tableaux statistiques ? Pourquoi s’atteler, s’astreindre à cette tâche ardue, angoissante, qui peut même apparaître à plus d’un ennuyeuse, voire superflue ? Pourquoi ne pas suivre dans cet espace la logique des indicateurs et chiffres que notre société égrène à foison ? Ces « sacrosaints » chiffres qui détiendraient « la Vérité » et sont aujourd’hui, comme le dit le sociologue Albert Ogien, « la source des règles qui déterminent, de façon de plus en plus automatisée, l’orientation et le contenu des politiques publiques3 » : ce dont nous avons déjà eu un aperçu dans notre secteur4, comme évoqué dans notre rapport 2011. En effet, les politiques « du chiffre et de l’excellence dont l’instrument privilégié est l’évaluation5 », aidées par l’envahissement de pratiques, dispositifs, formalités et procédures bureaucratiques sont dorénavant notre quotidien. Nous devons nous y conformer et y conformer nos institutions et notre activité, mais pourronsnous pour autant y conformer notre réalité de terrain ? Pas si sûr. Les chiffres ont certes leur langage propre et affichent un aspect de la réalité qu’il ne s’agit pas de nier. Au SAU, ils tirent eux-mêmes déjà la sonnette d’alarme, à qui est attentif et veut bien le voir, sur un budget alloué revu à la baisse ne prenant plus en compte depuis plusieurs années déjà la valeur et le coût réel des choses (et cela a été accru à la mise en place de l’avenant 305 en 20116). Si malgré des charges fixes non réévaluées au coût réel depuis plusieurs années -soit en somme des postes budgétaires programmés chroniquement déficitaires- nous arrivons cependant avec ingéniosité et rigueur, pour une activité à 103% en 2012, à mener une gestion « saine » sur le groupe I avec un léger excédent7, nous réussissons difficilement à maintenir le groupe III à flot avec pour la première fois un déficit certes encore faible, mais qui annonce d’ores et déjà que nous ne pourrons aller au-delà dans le futur malgré notre bonne volonté. In fine, comme prévu et annoncé depuis au moins trois ans, le groupe II8 reste en déshérence 1 Titre emprunté à un ouvrage de Søren KIERKEGAARD, 1984, Ou bien...Ou bien..., Gallimard MANENT Pierre, 2012-2013, Séminaire « Recherches sur la loi et l’action », EHESS, philosophie politique. 3 OGIEN Albert, fév.2013, Désacraliser le chiffre dans l’évaluation du secteur public, Quae. 4 AVVEJ SAU 92, Rapport Activité 2011. 5 OGIEN Albert, ibid. 6 ... ce qui a provoqué des modifications de fond dans un budget original qui permettait une certaine souplesse et donc une inventivité, une réactivité fort intéressantes pour un établissement de ce type, et qui faisaient son originalité. De plus le budget des Assistants familiaux a subitement été réduit de 6%. : cf. AVVEJ SAU 92, Rapport Activité 2010 et 2 Rapport Activité 2011. 7 Groupe 1 : dépenses liées à l’activité, excédent de 21025€, Groupe 2 : dépenses liées au personnel, déficit de 107467€, épongé en partie (44500€) par les indemnités journalières des arrêts maladie ou maternité. Groupe 3 : dépenses liées à la structure, déficit de 7719€. 8 Le groupe 2 est censé financer la réactivité et la dynamique institutionnelle, la souplesse, la disponibilité et l’inventivité, soit la compétence, la prise d’initiative et le mouvement concomitants au fonctionnement d’un Service d’Accueil d’Urgence. S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 -8malgré nos avertissements répétés et affiche désormais un sérieux déficit déjà amorcé l’an dernier9. Au regard de la pratique, nous devons privilégier un principe. Soit nous voulons que cet établissement remplisse sa mission au mieux et fasse l’activité nécessaire pour répondre aux besoins d’un territoire mais, crise obligeant, aux conditions « normées » qui semblent dorénavant être les nôtres nous continuons à creuser le déficit de certains postes avant même que l’année de prise en compte de l’activité ne soit entamée, et ce sans plus pouvoir l’éponger en cours d’exercice10 : cet établissement perdra alors de fait définitivement son autonomie, sa destinée étant devenue d’accroître chaque année sa dette. Soit le SAU est effectivement assimilé à une simple MECS11 et son budget n’est donc plus qu’un « copier-coller » de cette catégorie : alors, frappé « d’incontinence normative12 », il perdra son goût du risque, sa réactivité et toute marge d’initiative, se laissera peu à peu gagner et figer par un système sclérosant. Il n’aura définitivement plus les moyens d’apporter son soutien -tout en maintenant son activité comptable-, qu’à un nombre très limité de jeunes (au lieu des 140 en moyenne que nous recevons habituellement par an pour un effectif de 26), et ce au détriment des besoins d’accueil d’urgence d’un territoire13. La façon dont sont interprétés et maniés les chiffres peut représenter un véritable fléau, dangereux pour la finalité d’une action et donc pour l’action elle-même. A l’heure où le CIMAP14 engage un programme pluriannuel de simplification des normes, le SAU vat-il être phagocyté par « l’inflation normative » que ce comité tente de réguler ? Si les chiffres se transforment en véritable obsession, s’ils prennent de plus en plus d’espace, si, par la façon dont ils sont appréhendés, ils norment peu à peu nos raisonnements, nos comportements et règlent nos actions, ils peuvent cependant ouvrir des perspectives. Les chiffres en effet, comme l’écrit la politologue Béatrice Hibou15, « opèrent des glissements sémantiques et transformations de sens » qui peuvent laisser place à des « possibilités d’interprétation » qu’il nous appartient, me semble-t-il, absolument de voir, de comprendre et de saisir si nous voulons continuer à exister. Ainsi, si nous sommes souvent perplexes et incrédules face à tant de surdité et d’aveuglement qui peuvent vite se transformer en absurdités et nous plonger dans un chaos d’incertitudes, d’obscurité et d’inconséquences, les chiffres autorisent curieusement des « marges de jeu » qui malgré tout peuvent nous ouvrir aux discussions. Car enfin si nous, praticiens, sommes également tiraillés, comme l’écrit encore Béatrice Hibou « entre les “valeurs“ et “principes“ du métier, la recherche de l’intérêt général ou du service public et, de l’autre, la raisonnable attention aux contraintes budgétaires et à l’économie en temps de crise, la recherche d’efficacité et de profit à court terme ou la nécessité de se conformer aux règles dominantes16 », nous devons reconnaître que l’imprévisibilité de la réalité physique qui s’impose à nous et ce, parfois avec crudité et violence, absorbe une grande part de notre énergie et de notre temps. En effet, quand il s’agit de faire face et d’assurer sa survie physique, les chiffres sont impuissants et ne peuvent régenter nos actions. C’est ainsi que nous pouvons être totalement absorbés par des vagues de nouvelles « pathologies sociales17 » qu’on ne voyait pas auparavant, qu’on découvre donc et dont il serait effectivement sage de discuter. Cette année par exemple, nous avons particulièrement été déconcertés par quelques préadolescents et adolescents aux comportements pour la plupart imprévisibles et fort insécurisants18 -pour ne pas dire dangereux- pour le groupe et les éducateurs, et auteurs de violences intrafamiliales19, 9 En 2010, ce groupe 2 était excédentaire de 9400€. En 2011 il était déjà déficitaire de 24000€, malgré des postes restés vacants. 10 Cette année, pour la première fois, le SAU affiche un résultat déficitaire de 45000€. 11 Maison à Caractère Social. Catégorie à laquelle le SAU est malencontreusement assimilé. 12 LAMBERT Alain, BOULARD Jean-Claude, Rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative, 26 mars 2013, 13 En 2012, sur 523 demandes comptabilisées de la région Ile de France, il y a eu 113 admissions (65 filles, 48 garçons), 115 sorties et donc 385 refus pour 138 jeunes accueillis (dont 124 du 92 sur 278 demandes provenant de ce même département). 14 CIMAP, Comité Interministériel pour la Modernisation de l’Action Publique 15 HIBOU Béatrice, 2012, La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, La Découverte. 16 HIBOU Béatrice, 2012, La bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, La Découverte. 17 HABER Stéphane (dir), 2010, Des pathologies sociales aux pathologies mentales, Presses Universitaires de Franche Comté. 18 S’ils peuvent faire peur, Ces jeunes sont par ailleurs exclusifs, « anthropophages », avides et mangeurs de temps et d’énergie, de cadre, mais aussi d’adultes incarnant une autorité distanciée et « juste ». 19 … dits « primo-délinquants », accueillis à partir de septembre 2012 à la demande du directeur départemental de la PJJ du 92 dans le cadre de notre habilitation justice (réunion à la DPJJ en août 2012 en présence du Directeur Général Adjoint de l’AVVEJ). S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 -9nommément accusés et inculpés de « violences sur ascendant »20, « tentative de meurtre », « viols » sur fratrie, etc. ..., ou par une vague d’adolescent(e)s encoprétiques. C’est sur ces derniers que nous avons choisi de nous concentrer dans la seconde partie de ce rapport. Même s’ils les taisent et s’ils les nient, les chiffres, protocoles et normes omnipotents ne peuvent cependant enrayer ni les « faits » ni la dimension relationnelle qui est au premier plan dans nos métiers. Même si les uns comme les autres sont empreints de passions et de sentiments, d’émotions et de sensations, d’intuitions et d’une nécessaire imagination, loin de tout critère de quantification, la réalité physique des faits n’en demeure pas moins -avec ce qui dicte nos actions- l’ingrédient essentiel de notre métier. Et si les chiffres ont leur langage, les faits comme l’action ont également le leur. Nous ne pouvons ainsi nous satisfaire des seuls chiffres et graphiques pour évoquer notre activité. Nous sommes obligés de dire avec des mots si nous voulons éclairer les chiffres afin que ces derniers reprennent leur fonction première d’aide à la décision. Les mots ne sont-ils pas d’ailleurs le matériau avec lequel nous travaillons quand nous sommes chargés d’éducation ? Matériau avec lequel comme le dit le philosophe Jean-Louis Chrétien, « notre voix prend forme et peut prendre la parole21» : cette parole sans laquelle nous ne pourrions entrer en contact avec des adolescents, tenter cette rencontre si primordiale et ce tissage de lien toujours fragile et prêt à rompre. Notre métier est ce long apprentissage d’une parole qui désigne et brise le silence dans lequel des vies sont emmurées et des sentiments, raisonnements et passages à l’acte fermentent. Nous sommes « appelés à parler22 », nous, éducateurs, thérapeutes, directeurs, chacun de notre place, « appelés par ce qui est à dire ». Et même si les mots sont souvent accaparés, galvaudés, dévalués, manipulés, détournés, nous devons dire. Mais, que devons-nous dire ? Que pouvons-nous encore dire ? Que sommes-nous encore autorisés à dire ? Que ce soit aux autorités qui légitiment et financent nos actions et qui se doivent de parler chiffres ? A une association qui s’est donnée pour mission de défendre les enfants et les adolescents dans le respect de certaines valeurs ? A des éducateurs perpétuellement agressés ? A ces adolescents à qui les mots manquent et qui ont déjà tant été trompés... par les mots justement ? Avec le temps une « vérité d’expérience » s’impose à nous et fait autorité. De même que la sagesse populaire d’antan énonçait « c’est en forgeant qu’on devient forgeron », nous pouvons dire aujourd’hui à l’instar de J.L Chrétien, « ce qui est à dire ne s’apprend et ne s’entend que dans la parole même ». Notre métier est parole, parole qui donne voix et fait sens. Donner voix à des jeunes « sans voix », qui n’ont à nous livrer qu’insécurité, angoisses, souffrances, incompréhensions, au travers de comportements qui souvent agressent, heurtent notre entendement, sidèrent. Cette parole est ce qui permet la rencontre et le lien entre un éducateur et un jeune, un éducateur et ses parents. Elle est toujours mise à l’épreuve mais peut aussi se confronter à un « impossible », ultime test parfois d’un lien ténu que nous tentons de tisser et qu’ils brisent. Nous sommes là à l’articulation de l’individuel et du collectif, et nous devons créer à notre humble niveau cette curieuse alchimie qui permet à l’un comme l’autre de prendre corps et de faire un tout. Notre parole ne peut donc faire fi de l’évolution du contexte et de l’environnement dans lesquels évoluent nos métiers, et au nom desquels nous la prenons. Revenons brièvement sur les faits marquants de ces deux dernières années : 201123 a en effet été une année charnière pour le SAU (mais aussi pour le secteur), et pas uniquement au plan budgétaire comme nous l’avons déjà évoqué précédemment. Sorte de coup de tonnerre où deux logiques se sont heurtées de plein fouet, entre une vieille tradition et de nouveaux modes de fonctionnement des pouvoirs publics, qui avec la mise en œuvre sur le terrain de la RGPP24 a 20 21 22 23 24 La violence passionnelle de certains jeunes avec leur mère interroge. Certains passent à l’acte, d’autres passent leur énergie à se protéger. Un jeune qui s’isolait et restait claustrer dans sa chambre depuis plusieurs semaines nous dira que c’était « pour ne pas en arriver à la tuer ». « Ne plus voir sa mère » est sa demande. La violence et la haine de certains duos mère-enfant dont le père est évincé ne peuvent que nous questionner sur l’émergence possible, voire probable, de futurs et réels matricides. CHRÉTIEN J.Louis, 1992, L’appel et la réponse, Éd. de Minuit. CHRÉTIEN J. Louis, Ibid AVVEJ SAU 92, Rapport Activité 2011 RGPP, Révision Générale des Politiques Publiques engagée en 2007. Remplacée en décembre 2012 par la MAP, Modernisation de l’Action Publique. S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 10 entraîné une mutation aussi radicale que brutale du paysage territorial mais aussi des esprits. Le SAU s’est également trouvé emporté dans le mouvement et se devait de voir l’évidence. C’était bel et bien « une gouvernance par les chiffres et une culture du résultat25 » qui prenait corps, et avec laquelle il aurait désormais aussi à faire. Il nous est en effet subitement et massivement apparu cette année-là que l’intensification de l’usage de la comptabilité, de règles, de procédures de codage, de normes qui amenait nos établissements depuis quelques années à se « moderniser » et à se doter à coût constant de nouvelles et chronophages compétences, concourait certes à l’organisation du contrôle des coûts, -ce qui s’impose d’autant plus en tant de crise-, mais que cet usage dans les politiques publiques, au nom de la « qualité », avait subrepticement pris le pas sur notre activité de terrain, sur notre mission première d’accueil physique et d’éducation. C’est ainsi qu’en 2012 l’intense activité bureaucratique faite de calculs de ratios et d’indicateurs, de prévisions sans cesse réactualisées, d’écritures de rapports, de validation de règles, de respect de normes, de réalisation d’évaluations et d’audits s’est confirmée au SAU. Ne se limitant pas à l’espace administratif, il a envahi tous les champs de l’établissement, y compris éducatif. Cette propagation dans l’espace et le temps n’a pas manqué de susciter moult incompréhensions du personnel et questionnements concernant le fonctionnement global de l’établissement, les fonctions et rôles de chacun, le but recherché, etc., créant ainsi un climat de suspicion. Et paradoxalement cet usage en a quasi mécaniquement porté une partie à exiger toujours plus de règles et de procédures formalisées pour « pouvoir » travailler et ce « en toute sécurité ». Nous encourions le risque certain et désastreux de voir certains se déresponsabiliser et se désengager au profit des droits et règles à respecter scrupuleusement, et ce au nom des normes. Le « hors norme » devenait la cible. Etrange situation dans laquelle se trouvent les établissements créés justement pour se charger d’appréhender le « hors norme » ! Le principe « évaluation » a donc continué à œuvrer et à occuper une place centrale. D’une mise en forme de l’évaluation interne et de l’attribution de l’autorisation de fonctionner par le CG 92 à l’audit qualité de la PJJ en tant qu’établissement habilité, les professionnels ont ainsi cette année été fortement mobilisés à renseigner les indicateurs servant à mesurer leur performance et celle de l’établissement. Cependant, ils se sont pliés avec amabilité mais aussi curiosité et citoyenneté aux exigences de ces dispositifs de quantification en se rendant disponibles pour répondre aux critères préétablis des contrôles qualité interne propres à la PJJ. Plutôt que de rester sur la représentation d’une technique d’organisation et de contrôle sur laquelle nous savons tous maintenant que repose le programme de modernisation de l’Etat, nous avons en effet choisi d’y voir une activité permettant de mieux identifier les composantes de notre environnement de travail. Nous avons d’ailleurs été aidés en cela par des agents et professionnels du service public toujours très sensibles au bien commun et à son amélioration, ce qui a facilité l’ensemble. Cette activité a eu au moins le mérite d’éclairer notre jugement pratique et de mettre en lumière nos choix, justifications, engagements collectifs et individuels. Elle complétait de fait harmonieusement le travail de réflexion que menait depuis le début de l’année l’ensemble des équipes sur leurs pratiques pour la réécriture du projet d’établissement26. Bien entendu, l’investissement et les tâches considérables de toutes les équipes pour répondre aux exigences des lois s’ajoutaient à l’investissement et aux tâches incontournables et irrépressibles de notre métier, qui n’ont pas décru pour autant. Ces dernières -pourtant le cœur du métier- étaient rendues quasi invisibles voire inexistantes, comme abrasées par les indicateurs et les chiffres. La nécessité de faire entrer nos activités ou nos jugements dans des grilles préétablies que l’on remplit en épurant la réalité non seulement modifie la vision mais également induit nos comportements, nos façons d’appréhender l’institution et ses missions et bien sûr aussi pour un directeur la manière de diriger. Ainsi, avec l’inflation des évaluations et autres démarches « qualité », et la « managérialisation » de notre activité qui en découle, voyons nous se transformer dangereusement nos métiers au détriment des savoirs qui en furent l’ossature et l’incontournable boussole, savoirs qui permettaient à un commandant de bord, le compas à la main, de choisir son cap, de tenir son équipage, et de mener le navire à bon port. Ironie du sort cependant, la « matière » dans ce qu’elle a de plus cru peut se rappeler à nous et ce, comme 25 26 CHRÉTIEN J. Louis, ibid Ce travail a été animé et encadré tout au long de l’année par le cabinet EQR. S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 11 nous le verrons dans les témoignages qui vont suivre, dans un rapport inversement proportionnel à l’effort d’aseptisation et d’annulation du vivant par nos sociétés. En 2012, le SAU92 a également participé au « pilotage » d’actions préconisées par le Schéma Départemental 2012-201627, lui-même instruit par les recommandations d’experts et de spécialistes en ingénierie sociale. Là encore il nous fut difficile de reconnaître notre réalité de terrain dans les préconisations qu’il nous était demandé de mettre en œuvre. Nous pûmes alors mesurer à quel point « la force de conviction que possède le chiffre désarme toute critique28 ». Toujours en 2012, les départements de la Région Ile de France ont mis en place par voie informatique des procédures règlementant sur leur territoire la trajectoire des flux des jeunes à accueillir en urgence (à défaut de débats, de négociations d’un accord et de protocoles qui eussent cependant permis de clarifier certains points d’ombre et de réfléchir à des solutions...). Et si chaque territoire a sa propre politique et édicte ses propres règles par rapport à une même loi, le service a pu néanmoins travailler plus sereinement avec les différentes administrations et appréhender de nouveaux repères. Reconnus dans nos spécificités et dans le soutien que nous pouvions apporter aux services de l’ASE voire de la PJJ dans des situations de jeunes singulières et particulièrement difficiles, nous avons mis en place ensemble, en intelligence et en confiance, de nouvelles modalités de travail qui prennent forme progressivement autour du renforcement d’une écoute et d’une solidarité de terrain en vue d’une action à mener. Car notre métier de terrain, celui qui fait que nous acceptons de prendre le risque de mener certaines actions afin d’accomplir nos missions est avant tout un métier de chair et de sang. Nous y engageons notre corps, notre énergie, notre imagination, nos sentiments, notre jugement. Il met à l’épreuve celui qui l’exerce, quel qu’il soit, au plus profond de lui-même et le confronte à une extrême solitude. Un service d’urgence est un excellent observatoire de l’évolution des mœurs et des impacts d’une société sur ses membres les plus vulnérables, ses enfants ou ses adolescents, mais aussi leurs parents. Des parents insécurisants, car eux-mêmes profondément insécurisés et en manque de repères dans une société en constante mutation, qui outre leur ambivalence ne savent plus à quelles règles se référer. Car ce sont les fonctions de parentalité et d’éducation qui sont aujourd’hui questionnées en profondeur. Les enfants nous mettent à l’épreuve, au défi, de savoir à quelles règles nous, éducateurs, nous nous reportons et de fait nous respectons pour être considérés comme « éducateur », adulte responsable. Si cette mise à l’épreuve fait souvent appel aux vertus (soit aux valeurs, au sens philosophique du terme) et au jugement des éducateurs face à l’éruption de comportements archaïques aussi soudains qu’improbables, comme nous le verrons au fil de ce rapport, elle éveille aussi des réactions réflexes massives de rejet et d’évitement de ces mêmes éducateurs. Il est donc fondamental qu’un service d’urgence soit aussi en permanence un lieu d’innovations. Lieu d’interrogations et de questionnements, lieu d’invention et de mise en place de dispositifs nouveaux pour comprendre, accepter et dépasser les mouvements intérieurs qui traversent immanquablement ses membres face à l’adversité psychosociale dans laquelle ils baignent, du fait même de la fonction d’accueil d’urgence. Et il s’agit là d’une question vitale, une question de survie psychique, de sécurité et de cohérence institutionnelle. Mais cet aspect des choses apparaît désormais brouillé. Avant qu’il ne soit totalement oublié par les décideurs, nous tenterons ici, à notre humble mesure, de le rappeler ou simplement de l’énoncer dans ce qu’il a de plus trivial. Si en effet la conduite des politiques de la Protection de l’Enfance est dorénavant « pilotée » par la LOLF29 à partir d’objectifs chiffrés et d’une comptabilité d’analyse des coûts du travail de ses propres administrations (auxquelles notre secteur associatif semble d’ailleurs désormais assimilé), nous devons éclairer à notre niveau, de notre place, les décideurs et les politiques. Des éducateurs, psychologue et psychiatre se sont donc éprouvés à l’écriture de quelques vignettes ou réflexions centrées autour de l’encoprésie, ce nouveau symptôme surgi dans l’établissement auquel les équipes se sont heurtées de plein fouet et qu’elles ont dû appréhender et physiquement et psychiquement, en plus de tout le reste naturellement. Et si le coût immédiat de l’action de la Protection de l’Enfance est aujourd’hui mis 27 28 29 Pilotage de la commission interne « Redéployer des places d’accueil d’urgence des jeunes filles de 13 à 18 ans »de l’Action n°4-9-1 « Améliorer la fluidité du dispositif d’accueil d’urgence » animée par le Chef du SCEAP (Service Contrôle des Etablissements d’Accueil et de Prévention OGIEN Albert, fév.2013, Désacraliser le chiffre dans l’évaluation du secteur public, Quae. Loi Organique relative aux Lois des Finances (01/01/2006), nouvelle constitution financière de l’Etat. S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 12 en exergue et questionné par les politiques publiques, il serait sage de prévoir le coût que va induire dans les toutes prochaines années, non seulement en termes de santé publique mais pour l’ensemble de la société, la quantification du social à laquelle il nous est demandé de contribuer activement. Mais là aussi, sous couvert d’économies, n’aurions nous pas d’ores et déjà gagé sur l’avenir un nouveau et lourd crédit ? Curieux paradoxe en effet que cette vie parallèle à laquelle nous devrions consacrer de plus en plus de temps et d’énergie et qui serait plus réelle que la réalité sensible dans laquelle les quelques témoignages qui vont suivre vont nous plonger. Nous pourrons d’autant mieux apprécier à quel point l’ingéniosité déployée à construire ce milieu chimérique oublie un détail : l’individu, le temps, le réel! L. Roubinet >>> L’ODEUR NAUSEABONDE Jean-Christophe MORO, Educateur Un après-midi, nous sentons une forte odeur nauséabonde provenant du hall d’entrée. Nous cherchons d’où provient cette odeur et nous nous dirigeons vers les toilettes du hall. Les toilettes sont propres nous pensons donc que c’est une remontée d’odeur de la fosse septique, d’autant plus que dans le passé elle avait été bouchée et des odeurs étaient apparues. Au cours de la journée, l’odeur devient de plus en plus forte et de plus en plus désagréable. Une de mes collègues qui sort des toilettes, m’annonce que quelqu’un a déféqué dans la poubelle des toilettes ! La forte odeur ne provenait donc pas des canalisations mais de la poubelle. Sans réfléchir, je vais dans les toilettes, coupe ma respiration et prend le sac poubelle sans regarder. Puis, je me dirige vers les poubelles extérieures pour jeter le sac dans la poubelle. Je reviens dans les toilettes, prends la poubelle en plastique, la remplis d’eau et d’eau de javel. Puis je me dirige dans la salle des jeunes où sont présents tous les adolescents du foyer. Ils m’avaient vu faire des allers-retours avec la poubelle. A cet instant, nous avions deux jeunes souffrant d’encoprésie. Pour ne pas les montrer du doigt, je décide de lancer un message à tout le groupe : « Merci de “faire caca“ dans les toilettes et non dans les poubelles. La poubelle sert à mettre les serviettes hygiéniques ou les mouchoirs. Les toilettes servent à faire ses besoins et y mettre le papier toilette usagé. Pensez à tirer la chasse !!! Merci ». Les jeunes rient, cherchent à savoir qui a pu faire ça, se moquent de cet « inconnu » qui fait ses besoins dans la poubelle. C’est étrange de constater comment ce sujet entraine à la fois une gêne et du dégoût qui se manifestent pour les jeunes à travers des rires, des termes tels que « c’est dégueulasse », « c’est sale », et chacun se justifie de ne pas en être l’auteur. Moi, je décide de garder ma position éducative, leur dis que je n’étais pas intéressé de savoir qui a pu faire ça mais de faire bien prendre conscience qu’il fallait bien utiliser les toilettes car des odeurs peuvent surgir et que ce n’est pas plaisant de nettoyer derrière eux. Le sujet fut clos, chacun a repris ses activités. Et l’incident ne s’est pas reproduit au cours de la journée. >>> S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 13 - L’ENCOPRESIE ? JE NE CONNAIS PAS, MAIS SI ON M’OFFRE LE BILLET D’AVION, J’VEUX BIEN Y ALLER ! Serge WOLF, éducateur C’était une matinée de cours pour plusieurs des jeunes du foyer. Comme une jeune n’était toujours pas sortie de sa chambre je suis rentré pour lui demander de se dépêcher : elle était habillée et elle était en train de se coiffer. J’ai réussi à la convaincre de finir de se préparer et elle est partie en cours. Quand je suis monté plus tard dans la chambre pour voir si les lits étaient faits et les armoires rangées, j’ai trouvé par terre, à l’endroit même où j’avais vu la jeune se coiffer cinq minutes plus tôt, une culotte souillée par un mélange de selles et d’urine. Il n’y a avait aucun moyen de rater cette culotte en plein milieu de la chambre. Je me suis demandé d’abord ce que cela signifiait : était-ce une manière pour la jeune de montrer de l’angoisse ? Etait-ce une forme d’opposition ou de sabotage? Etait-ce vraiment un acte délibéré ou seulement une négligence de sa part ? La jeune avait-elle déjà conscience de son acte, de l’effet qu’il aurait sur moi, sur la femme de ménage qui l’aurait trouvée, ou même sur ses camarades de chambre ? Mais ce qui m’a le plus décontenancé c’est l’attitude de la jeune quand j’ai voulu reprendre cette question à son retour : pour elle, cette culotte n’avait simplement jamais existé ! J’ai dû faire face à tellement d’hostilité de sa part du fait de devoir en parler que j’ai fini moimême par croire qu’elle ne réalisait peut être pas toute la portée de son geste, et peut-être même que pour elle, ce geste n’avait pas réellement existé… >>> VIOLENCE ET INSTITUTION Nathalie JEANJEAN, Psychologue clinicienne Comment la présence institutionnelle peut-elle devenir contenante au moment de la rencontre de cette souffrance-là ? L’adolescent n’est pas violent, il/elle montre de la violence. Lorsque l’institution est frappée par des démonstrations violentes, comment maintient-elle ses capacités de penser ? L’acte violent a pour effet d’attaquer les outils et les capacités internes de liaison tant au niveau institutionnel qu’au niveau individuel. Si l’on considère l’acte violent comme un symptôme, il peut se penser comme étant une solution transitoire, « trouvée » par le sujet en réponse à l’écho interne provoqué dans la relation à l’environnement. La relation à l’environnement –par exemple à l’institution- est complexe : elle mobilise, réveille, révèle, modifie, transforme, soutient la construction, pour un sujet, de son rapport au monde. La notion de “concern“, développée par Winnicott, éclaire aussi ces questions. Le “concern“ correspond à la notion d’altérité et se construit dans la temporalité et la dynamique relationnelle avec un environnement suffisamment bon. Une première étape correspond au moment d’indifférenciation soi-autre et au mode relationnel de satisfaction ou d’agression (quand il y a frustration) ; puis une étape est franchie avec la capacité de différenciation qui entraine une capacité de culpabiliser (et ainsi de réguler ses mouvements agressifs) ; enfin, la conscience des besoins propres et des conséquences sur l’environnement de ses propres désirs ouvre à la notion de réparation. Lorsque cette notion n’est pas encore intériorisée, le sujet maintien l’illusion de maîtriser son environnement de façon omnipotente, et montre une certaine intolérance à la frustration et une certaine incapacité à se soucier de l’autre (the concern), l’illusion de maîtrise normale dans S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 14 l’enfance, signale un type d’attachement précoce insécure lorsqu’elle domine la dynamique psychique plus tardivement. Aussi, pour Winnicott, la capacité de se soucier de l’autre est centrale car elle signe le fait que la mère (pour Winnicott ce terme désigne plus largement l’environnement) ait assuré à l’enfant la protection suffisante par rapport aux situations internes primitives. Lorsqu’un adolescent montre des mouvements de violence, il nous amène à l’observer à travers ce prisme déformant, à observer un aspect de sa construction de son rapport au monde et des interactions précoces avec son environnement. Ces situations confrontent les équipes, l’institution à leurs capacités de “holding“ (porter physiquement et psychiquement) et de “handling“ (donner des soins corporels), dans un après-coup, et à partir de la temporalité subjective de cet(te) adolescent(e). Ces situations confrontent une institution à ses capacités de penser, d’élaborer, c’est-à-dire de se décaler de l’urgence et des pressions pulsionnelles du sujet pour résister aux attaques des processus de liaison, résister à la peur, au clivage, au déni, à la sidération ou bien même aux passages à l’acte. Si ces mouvements traversent logiquement, presque « naturellement » une institution confrontée à des actes violents, elle doit en rester l’objet, mais qui ne peut pas être détruite par ces attaques. Elle doit rester le support des projections mais en même temps de support de construction des sujets adolescents qui lui sont confiés. Elle est pare-excitation et porteuse de sens. Les temps de réflexion, et les temps de réunions transdisciplinaires hebdomadaires sont les espaces physiques nécessaires pour ces élaborations collectives. L’institution apparaît alors comme un espace intermédiaire disponible, à travers lequel le sujet crée, retrouve et se réapproprie son histoire. La différenciation en termes d’espace et de pensée guide le travail du SAU. Le récit de ce que vit l’institution, et de ce que vit l’adolescent, constitue un repérage des investissements multiples de l’adolescent sur chaque adulte, sur l’institution, et aussi des membres de l’équipe sur l’adolescent. C’est un outil d’observation, d’évaluation, inscrit dans la temporalité de la prise en charge. On pourrait dire que le récit se situe entre deux temporalités (histoire subjective- histoires institutionnelles), entre deux espaces (interne-externe) : un entre soi et l’autre. Citons Pierre Delion : « …le patient actualise dans le transfert institutionnel les modalités selon lesquelles il s’est luimême construit. Toute la difficulté consiste à repérer et réunir ces investissements hétérogènes. » >>> L’AGRESSION SENSORIELLE Muriel DUPIRE, Educatrice En dehors des formes les plus courantes d’agression de type physique ou verbale, on peut être atteint par une violence sensorielle aussi déconcertante qu’inattendue. Nous accueillons au service une jeune fille de 13 ans que je nommerai Edith. Nous avions été alertés sur son odeur « dérangeante » tant par sa mère que par le collège. Une consultation en dermatologie nous a confirmé qu’Edith n’avait aucun problème de type hormonal nous renforçant ainsi dans l’idée qu’il s’agissait d’une manifestation d’angoisse. Edith est arrivée un après-midi au service accompagnée de l’assistante familiale qui l’héberge pour faire le point sur son évolution et ses projets. En tant qu’éducatrice référent j’ai accueilli Edith seule dans un premier temps, dans un bureau de petite taille. Assise à côté d’elle, j’ai été immédiatement assaillie par une irrépressible envie de partir, de fuir cette odeur insupportable ; J’ai vécu un charivari intérieur sans précédent, tiraillée par des sensations fortes, impérieuses commandant le recul et la protection immédiate. Dans le même temps j’étais clouée sur ma chaise par mon esprit et la conscience intense du cadre S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 15 professionnel dans lequel je me trouvais. La violence et la méconnaissance de ce que je vivais là, m’a prise au dépourvu ; Je pense avoir formulé quelques banalités à Edith « pour garder la face ». Mon esprit fonctionnait très vite comme dans les situations d’urgence. Mon cerveau bloquait sur une seule question : comment vais-je faire pour supporter l’entretien prévu, à quatre dans un petit bureau et durant plus d’une heure? Le sentiment d’être coincée, piégée, provoquait chez moi une angoisse aussi forte qu’incompréhensible. Je savais que l’odeur m’était insupportable mais l’afflux d’émotions d’un type aussi primaire m’a attaquée de plein fouet dans un premier temps. Passé quelques minutes, qui m’ont paru si longues, j’ai « forcé » mon esprit, ma réflexion à reprendre le dessus. Mon passé professionnel m’a appris de longue date à mettre à distance, à relativiser, à ne pas me laisser emporter par les dires et les agissements des adolescents. Je croyais, à tort, que mon vécu garantissait ma position professionnelle. Je suis parvenue à retrouver le cheminement de ma pensée et à réduire ce flot de sensations qui m’avaient submergée. Une autre idée a pu alors s’imposer : Edith m’exprimait à sa manière l’inquiétude que provoquait ce rendez-vous chez elle. J’étais à nouveau réceptive en tant qu’éducatrice à sa souffrance à elle, ce qui me libérait de mon propre ressenti. J’avais retrouvé « la position » qui permet à un éducateur de travailler. Mais que m’est-il arrivé dans cet intense partage d’angoisse ou seul le langage du corps et des sensations archaïques s’exprime ? Fallait-il que je vive la souffrance d’Edith jusque dans « mes tripes », pour être capable de l’accompagner pleinement ? Comment vivre les tornades émotionnelles qui empruntent un chemin où le langage des mots n’a pas sa place ? Comment fait un éducateur s’il ne peut plus parler avec des mots ? >>> L’AMBIVALENCE D’UNE JEUNE FILLE ENCOPRETIQUE Ahmed BENATMANE, Educateur Nous accueillons dans notre service Mathilde, jeune fille de 15 ans et demi qui souffre d'encoprésie. Dès les premiers jours de son arrivée au SAU, j'ai observé des symptômes contradictoires chez cette jeune fille : d’une part elle suscite le rejet et dégoût face à une puanteur, et en particulier une odeur d’excréments, d’autre part, paradoxalement elle se met en danger sexuellement, dans une sorte de jouissance de la séduction. En effet, il m'est arrivé d'accompagner Mathilde à ses rendez-vous scolaires ou médicaux et grande était ma stupéfaction en la voyant adopter des attitudes, porter des tenues et maquillages provocants alors que son corps dégageait une odeur insupportable. En tant qu'éducateur, j'étais tiraillé entre gêne et sidération face à ce comportement paradoxal et à cette « pathologie ». Je me suis senti démuni et perplexe par rapport à notre capacité à appréhender ce type d'agression inédit dans notre service, contrairement aux situations les plus courantes de violences comportementales ou verbales. De plus, j'ai été frappé par cette ambivalence qui m'étonne et m'interpelle en même temps, car depuis 7 ans que j'exerce la fonction d'éducateur, jamais je n'ai été confronté à cette problématique. Ce qui est également surprenant c'est lorsque je suis dans l'échange avec Mathilde, elle se montre agréable, respectueuse, suscitant empathie et compassion. Cependant, malgré les propos qu’on peut lui tenir et le rappel éducatif aux règles de bienséance : « va te changer, mets une tenue décente, prends ta douche... », Mathilde est dans sa « bulle », elle n'est ni consciente de ses symptômes, ni consciente de son corps. Tous ces signes paradoxaux me questionnent : Quel travail éducatif pour ce type de symptôme ? La parole a-t ’elle un impact ? Suffit-elle ? Sommes-nous suffisamment outillés au SAU pour faire face à cette « pathologie », accompagner et aider les jeunes qui en sont atteints ? >>> S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 16 - ENCOPRESIE !?... Emeline ZINCK, Educatrice (Ce mot cache de nombreuses significations pour les personnes qui en souffrent et beaucoup de questions pour celles qui les côtoient). Lorsque je me suis orientée professionnellement vers le champ de la protection de l’enfance notamment vers un public adolescent, je ne m’attendais pas à rencontrer la problématique de l’encoprésie. Ayant une expérience significative dans le milieu du handicap, cette difficulté autour des excréments faisait partie du quotidien. Cependant, c’est en arrivant au S.A.U. que j’ai appris que ce « symptôme » portait ce nom : l’encoprésie. Même si on ne s’y attend pas dans une institution comme un service d’accueil d’urgence accueillant des jeunes en danger ou en risque de l’être, nous avons accueilli plusieurs adolescents cette année avec cette problématique. Ainsi, nous devons adapter nos pratiques, réfléchir à notre intervention et lutter contre la répulsion que peut provoquer chez nous cette nouvelle difficulté rencontrée par certains jeunes. J’utilise le terme “répulsion“ car les excréments des jeunes provoquent une répugnance physique exacerbée par des réactions sensorielles de l’odorat, de la vue et parfois du toucher. En effet, l’encoprésie au S.A.U. ne se résume pas à des « accidents » dans le pantalon. Les jeunes peuvent faire leurs besoins dans les poubelles par exemple, les conserver dans des sacs plastiques, voire même laisser leurs vêtements souillés traîner dans leur chambre à la vue des adultes comme des jeunes. La première question que je me pose à cet instant est : Puisqu’il s’agit d’un « symptôme » du mal être psychologique ou psychiatrique du jeune, est-ce au médecin de traiter cela avec le jeune ? Ou a-t-on une légitimité à travailler cette problématique ? Différents facteurs rendent difficiles les échanges avec les jeunes encoprétiques : d’abord, notre compassion. En effet, on ressent la honte, honte que ce jeune pourrait éprouver. Malgré cette gêne, certains facteurs peuvent rendre l’approche de cette difficulté moins compliquée : notre sexe, celui du jeune et son âge. Par exemple, cette question m’a semblé moins délicate à aborder avec des enfants qu’avec des adolescents ou encore avec une adolescente plutôt qu’un adolescent, étant une éducatrice. Il a fallu l’intervention de la pédopsychiatre et de la psychologue de l’institution en réunion pluridisciplinaire pour que je puisse avoir une approche intellectuelle de l’encoprésie, en cerner quelque peu l’origine et dissiper tant soit peu ma gêne. Cependant, la première difficulté que j’ai rencontrée en rédigeant cet écrit se trouve dans les termes à utiliser : « caca », « excréments », « besoins », « déjection »… Ce qui est révélateur de la complexité de l’encoprésie chez ces jeunes. Aussi, de nombreuses questions restent en suspens : Comment supporter l’odeur ? Quel positionnement adopter entre un symptôme psychiatrique, psychologique (donc relevant davantage du médical) et la gestion de cette problématique au quotidien et sur une collectivité ? Comment aborder le sujet avec le groupe de jeunes qui est concerné autant que nous puisque vivant à temps complet avec ces jeunes encoprétiques ? Comment échanger avec les jeunes concernés et quel rôle éducatif avons-nous autour de cette problématique ? Aujourd’hui, je suis consciente que j’ai un rôle à tenir en tant qu’éducatrice sur cette question de l’encoprésie, mais il me faudra davantage de pratique, d’échanges et de réflexions avec l’équipe du S.A.U. pour mener à bien ce travail qui ne peut se faire, dans l’intérêt du jeune, qu’en équipe pluridisciplinaire >>> S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 17 - VIOLENCE DE L’ENCOPRESIE Docteur C. PERROT GALLIEN, Pédopsychiatre Je vous livre quelques réflexions sur l’encoprésie, la violence de l’encoprésie, ou ce qui fait violence dans l’encoprésie, type de souffrance à laquelle a été confronté le SAU en 2012: Cette année, il y a eu une vague d’adolescents ou préadolescents souffrant, entre autres, de ce symptôme. Il s’agissait le plus souvent de personnalités border line, ayant souffert de discontinuités, carences précoces, maltraitances physiques ou morales, perpétuées dans le cadre familial. Leurs mères étaient ambivalentes, gravement dépressives, ou présentant elles-mêmes une personnalité border line. Le père était absent, ou lointain, ou lui-même ambivalent. Ce profil parental est décrit classiquement en pédopsychiatrie dans les cas de figure familiale de l’enfant encoprétique. Avec la présence de troubles du comportement, l’adversité psychosociale est une des rares dimensions qui distinguent les encoprésies secondaires, alors qu’on retrouve significativement plus de troubles du développement et d’énurésie associés à l’encoprésie primaire30 Les cinq jeunes présentaient ces caractéristiques d’encoprésie secondaire, avec des troubles du comportement sévères, dont les fugues, les troubles d’apprentissages et le début de manifestations de délinquance, agressivité ou mises en danger d’eux-mêmes, y compris sexuellement, surtout chez l’une des jeunes filles. Tous ces adolescents nécessitaient des soins qui n’avaient jamais été mis en place, et que le placement au SAU a permis d’essayer d’amorcer. L’encoprésie était repérée avec à la fois banalisation (aucun soin mis en place), plainte et rejet, de la part de trois familles. Un enfant avait consulté à la demande de sa mère, consultation sans suite de soins à l’arrivée au SAU, avec simple utilisation de couches. Chez l’un des enfants, le plus jeune, il y a eu découverte dans le cadre du foyer d’accueil. Qu’est-ce que l’encoprésie ? C’est une défécation dans des lieux ou endroits inappropriés chez un enfant qui a dépassé l’âge habituel d’acquisition de la propreté (entre deux et trois ans)31. On distingue l’encoprésie primaire sans phase antérieure de propreté, et l’encoprésie secondaire, beaucoup plus fréquente, après une phase plus ou moins longue de propreté. Elle est presque exclusivement diurne. On compte une fréquence masculine plus élevée. L’âge d’apparition du symptôme se situe habituellement entre 5 et 7 ans. Elle est beaucoup moins fréquente que l’énurésie, à laquelle elle est fréquemment associée. Deux formes cliniques sont classiquement distinguées : - celle avec constipation et incontinence par débordement, appelée encoprésie par rétention ; - Celle sans constipation dénommée encoprésie sans rétention. Le rythme des selles est variable, l’encoprésie est souvent intermittente, scandée par les épisodes de la vie, vacances, changements de milieu, école, etc. Le caractère volontaire ou non de l’encoprésie est controversé, ainsi que la conscience de la défécation, différente suivant les cas. L’enfant est parfois indifférent à son symptôme, seule l’odeur qui incommode l’entourage en révèle l’existence. Souvent, il développe des conduites de dissimulation, voire d’accumulation. Le plus souvent, il conserve à la fois culottes et matières fécales. Rarement, il cherche à dissimuler l’encoprésie en lavant la culotte. Le plus souvent, ces conduites se déroulent avec un sentiment de honte, et sont cachées à l’entourage, sauf parfois à la mère. Il arrive plus rarement que l’enfant ait un comportement provocateur, exhibant son linge souillé, indifférent aux remarques et remontrances. 30 31 Foreman et Thambirajah, 1996, cités par D Marcelli et D Cohen. Le DSM 4 précise à une fréquence d’une fois par mois pendant au delà de l’âge de 4 ans. S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 18 La dimension relationnelle et psychologique est au premier plan dans l’encoprésie. D’autres facteurs peuvent intervenir : perturbations physiologiques, personnalité de l’enfant, et facteurs familiaux et psychosociaux. Dans les traits de personnalité décrits, on retrouve - des enfants passifs et anxieux, exprimant leur agressivité de manière immature ; - des enfants opposants, avec des traits obsessionnels, où l’encoprésie prend l’allure d’un refus de se soumettre à des normes sociales. L’encoprésie peut aussi s’inscrire dans le cadre d’une conduite fixée : régression ou fixation à un mode de satisfaction archaïque centrée à la fois sur la rétention puis l’érotisation secondaire de la conduite déviante. L’hypothèse éthologique peut nous éclairer “l’encoprétique“ avec comme modèle l’animal lémurien : Il est impossible de ne pas ressentir rejet, dégoût en face d’une puanteur, en particulier odeur excrémentielle, en raison de notre « neurologie », c’est à dire le fonctionnement de notre cerveau. Les odeurs vont directement au cerveau dit archaïque et déclenchent, de façon dite réflexe, des émotions et des ébauches de réponses réflexes plus ou moins contrôlées par la suite, en fonction du degré de l’acquisition de contrôle préfrontal du sujet qui reçoit les stimuli. Ce sujet reçoit avec l’odeur des renseignements archaïques inconscients, qu’il n’est plus à même de décrypter, étant donné notre degré de socialisation, mais cependant agissant. D’après le modèle naturaliste, ces odeurs renseignent sur le territoire. Au niveau de l’évolution, les lieux et endroits de défécation sont des marques sociales, signaux de présence et de territoire, comme l’urine. Chez les mammifères en particulier, les fonctions éthologiques naturelles des comportements d’expulsion physiologique ont souvent une fonction de marquage de territoire, voire du partenaire, et ils sont essentiels dans la lutte pour la survie. On ne peut négliger cet aspect, si l’on considère que l’homme n’est pas totalement affranchi de ces réflexes archaïques animaux. C’est particulièrement le cas chez des personnes en insécurité profonde depuis leur naissance, comme certains de ces jeunes qui arrivent en urgence, dans un contexte de protection. Le contexte d’insécurité peut évoquer la lutte pour la survie, et l’adolescent est, de toute façon, retraversé par la recherche de son propre territoire. Les marques et comportements territoriaux se sont, au fur et à mesure de l’évolution, très ritualisés, d’autant plus que l’homme est un “animal territorial“, comme le disent les psychiatres éthologues comme Albert Demaret, et que sa fonction de contrôle sur les instincts s’est particulièrement développée et s’est intensément socialisée. Albert Demaret dit que l’homme est plus anal, parce qu’il est resté, ou redevenu territorial. Il fait remarquer que notre mot préféré d’affirmation verbale est le mot de Cambronne, équivalent de défense du territoire. L’acquisition des rituels sociaux marque l’évolution développementale de l’enfant. Ils seront signaux de sa progression d’intégration sociale, et d’inscription dans le groupe social. « L’hypothèse d’une fonction biologique adaptative à l’origine d’un syndrome psychiatrique surprend souvent », dit ce même psychiatre, qui se dit lui-même « naturaliste ». Cette origine phyllogénétique est même évoquée par Freud, en 1938 : « avec les névrosés, on se croirait dans un paysage préhistorique ». S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 19 Quant à Mac Lean, neurophysiologiste, il voit dans beaucoup de manifestations psychopathologiques la libération de programmes enfouis dans le cerveau reptilien, partie la plus ancienne du cerveau sous-tendant l’installation des territoires, les parades sexuelles et agressives, la formation des couples et des hiérarchies. La propreté est la première marque de ritualisation sociale de l’enfant, signe nécessaire pour rejoindre l’école maternelle, première inscription sociale de l’enfant. L’apparition de la capacité à la propreté est contemporaine de la capacité de socialisation. Auparavant, les interactions étaient limitées à la famille. La propreté est également contemporaine de la capacité de séparation longue de la famille ou de la figure parentale de substitution (nounou). Cette capacité est évidemment traversée par l’aventure interactive relationnelle précédente de l’enfant. Du point de vue psychologique, le contrôle de la défécation marque la capacité de contrôle sur soi, lâcher retenir, abandon de la jouissance primitive du plaisir primaire passif de l’évacuation, en faveur du plaisir plus élaboré actif de maîtrise et contrôle de soi, et de l’inscription de ce contrôle dans le rituel social culturel de l’évacuation urinaire et fécale, apportant le plaisir élaboré de satisfaire la mère, ou la figure parentale, ou celui de s’opposer à elle et de l’équilibre dialectique entre les deux tendances. Du point de vue psychanalytique, c’est le contrôle de l’érotisme lié à l’expulsion rétention, par le « dressage sphinctérien ». Les conduites que les psychanalystes qualifient d’anales sont essentiellement considérées par eux comme le résultat d’un compromis plus ou moins réussi entre le comportement naturel de l’enfant confronté à ses besoins physiologiques naturels de déféquer, et les pressions parentales et sociales exigeant le dressage sphinctérien, contrôle de l’érotisme primitif anal. Dans le cas de l’attachement insécure32, une des hypothèses est que si la mère ou la figure parentale est ambivalente, quelqu’en soit la raison, la relation de l’enfant à cette figure, et donc à l’apprentissage de la propreté proposé par elle, est marquée de cette ambivalence, de façon temporaire ou définitive. Dans l’interaction d’attachement, l’enfant reçoit, dans le cas d’attachement insécure désorganisé, deux types de messages contradictoires : d’un coté les manifestations et signes d’attachement, de l’autre les signes contradictoires de peur, ou de rejet, ou d’insécurité de la mère : il y a paradoxe, et l’enfant réagit donc de façon paradoxale, et va intérioriser ces patterns. Cette étape d’apprentissage de la propreté sera traversée également par cette ambivalence : elle permet à l’enfant d’exprimer son opposition, son affirmation, et d’y trouver un équilibre avec l’autre tendance d’obéir (c’est à dire de satisfaire, de se soumettre mais d’être intégré). Il est pris, dans ce cas, en plus de cette dialectique d’opposition, consciemment ou non, (et plutôt inconsciemment), dans son ambivalence miroir de celle de la figure parentale, au travers de l’apprentissage de cette fonction corporelle. C’est sans doute pour cela que nous rencontrons des figures parentales insécurisantes, ellesmêmes dans l’insécurité et l’ambivalence, et des types d’attachement insécures désorganisés dans ce type de symptôme. Il n’y a pas que l’opposition volontaire et consciente de la tentative d’affirmation individuelle de l’opposition. Il y a « je veux et je ne veux pas », presque malgré moi, en face de cette ambivalence que je ressens sans pouvoir la nommer, la penser, parce que le cerveau n’est pas assez organisé pour le faire. Et justement cette organisation et sa mise en place dépendent de la relation avec cette figure d’attachement, source d’apprentissage, vers laquelle l’enfant ressent en même temps une attirance, un désir de rapprochement, et de lui plaire, et un désir 32 LIOTTI Giovanni, 2011, Séminaire « Attachement insécure, ambivalence dans la constitution des personnalités border line », Paris S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 20 d’éloignement ou d’évitement en miroir de ce qu’il ressent de cette figure : il ressent, par ses neurones miroirs, les réactions instinctives, la peur, l’insécurité ou l’abattement de la figure d’attachement. Cette empreinte précoce peut se fixer aussi dans les circuits neuronaux complexes des apprentissages. Ils pourront être réactivés ultérieurement, en cas de déstabilisation émotionnelle existentielle, tant que le contrôle ultérieur n’est pas totalement fixé et devenir un symptôme involontaire de son mal être ou de son opposition relationnelle. C’est là où l’hypothèse éthologique peut nous éclairer : il se trouve, comme le cite A Demaret, que l’encoprésie, et l’énurésie lui évoquent le modèle animal lémurien, un de nos lointains ancêtres où la signalisation de leur présence par l’urine, les fèces, ou des sécrétions glandulaires est la règle. A Demaret essaie de comprendre l’attitude d’un obsessionnel, et ses étranges conduites, avec ce modèle du lièvre, identique au Lémurien de ce point de vue comportemental. Je me demande donc, à l’identique, quel sens pourrait avoir l’étrange conduite de nos jeunes encoprétiques qui nous intriguent tant à semer de ci de là dans leur chambre, dans les poubelles, dans des endroits inattendus leurs petits bouts de matières enveloppées, cachées, et parsemées sur leurs lieux de vie successifs ? Demaret associe les bizarres conduites de l’obsessionnel au modèle animal qui en déposant passivement ou activement des marques odorantes dissuade, au moins dans une certaine mesure, les congénères rivaux de pénétrer sur son territoire, ou signale au contraire sa présence et son degré de disponibilité à un partenaire sexuel possible. Mais ces marques ont en même temps l’inconvénient de renseigner aussi les prédateurs, qui peuvent en les suivant parvenir jusqu’à leur auteur, et en faire leur proie. Dès lors, des stratégies anti prédateurs ont été développées, pour brouiller les pistes. Koenec décrit ce comportement : « Pour rejoindre son gite, le lièvre ne procède pas en ligne droite, mais d’une façon singulière, marquant son trajet compliqué : les prédateurs qui suivent à la trace les méandres de cette piste s’égarent ou sont repérés à temps par le lièvre. Ce comportement est programmé, le petit le présente déjà 33». Je m’interroge sur le déblocage archaïque chez nos petits humains, dont les mères sont poursuivies par des “prédateurs“, réels parfois, ou imaginaires, sur la réactivation de ces comportements archaïques de brouillages de piste des prédateurs. Dans l’insécurité, le monde extérieur devient prédateur, en termes de vécu intérieur. Le comportement animal implique l’imbrication d’une conduite de marquage destinée aux autres lièvres avec une stratégie anti prédatrice destinée à égarer le prédateur qui suivrait la piste. N’est ce pas ce que veulent nos jeunes, soumis à la fois à une recherche d’attachement, de sécurité, d’apaisement, et à une insécurité permanente ? Ne veulent-ils pas fuir le prédateur réel ou intériorisé ? A la fois trouver un partenaire d’attachement, et éloigner l’insécurité prédatrice ressentie très tôt au travers de la première figure d’attachement ? Cette première figure d’attachement qui leur a appris précocement leur insécurité consciente ou inconsciente. D’ailleurs, les comportements de fugues ou d’errances imprévisibles existent aussi chez eux. N’est-ce pas pour brouiller les pistes ?… Peut être, nos tentatives de protection sont-elles ressenties de manière ambivalente ! Nous sommes à la fois officiellement des protecteurs, mais peut être inconsciemment des prédateurs qui les séparons de leurs figures d’attachement maltraitantes ou insécurisantes, mais cependant reconnues comme figures d’attachement, “empreintées“, diraient les éthologues. Le placement et la séparation ne peuvent-ils pas également réactiver ces stratégies anti prédatrices ? Nous les constatons d’ailleurs intermittentes, avec modification en fonction des changements de lieux de placement. Je m’interroge également sur la compréhension éthologique possible de fuite du “Prédateur“ dans les fugues. Ne s’agit-il pas même de détourner l’attention du prédateur du nid, de se sacrifier au profit de la survie groupale et des autres petits plus jeunes ? 33 Koenen, Traité de Grizmek, 1974 S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 21 Je m’interroge sur la compréhension des conduites qui peuvent paraître masochistes, inadaptées ou sacrificielles dans nos explications de psychologie individuelle psycho dynamique classique en présence des comportements apparemment inadaptés chez les adolescents que nous accueillons. Tous ces comportements archaïques seraient peut être réactivés dans ce contexte d’insécurité fondamentale qui traverse l’histoire individuelle et psychosociale des jeunes que nous accueillons pour essayer de les comprendre, de les orienter, et de mettre en place les soins nécessaires avec l’aide de nos partenaires multi disciplinaires, de nos réseaux de soins psychosociaux et pédopsychiatriques. La question de la sécurité psychique est sans doute plus fondamentale que celle de les « caser », car l’insécurité les rend « incasables », les déstructure et représente un coût humain et financier important, autrement dit, si je peux me permettre, « c’est la merde » ! Le but anti prédateur archaïque est d’ailleurs obtenu par la réponse de dégoût et d’évitement qui vient de façon réflexe chez leurs interlocuteurs. La tolérance à l’odeur de l’urine, mais surtout des selles de l’enfant est limitée à quelques mois et limitée aux figures proches de soins. Les grimaces de dégoût, le non verbal du rejet, et les expressions verbales de rejet sont très précoces, même par la mère, ou la figure parentale. Cette tendance instinctive, réflexe, au rejet de l’odeur, a donc besoin d’être contrôlée par les structures cérébrales de contrôle, à l’origine des contrôles instinctuels, émotionnels, et comportementaux. Tous les soignants confrontés à l’exposition des odeurs excrémentielles, a fortiori dans leurs territoires (foyers ou familles) sont amenés à construire un système de contrôle puissant (d’autant plus puissant que l’instinct archaïque est fort) pour éviter dégoût et rejet de l’enfant qu’ils ont en charge de soigner. Ils sont obligés de se faire violence pour se contrôler pendant la prise en charge du jeune atteint de ce symptôme. L’assistant(e) familial(e) a également à subir les réactions instinctives de son entourage. La dynamique du groupe familial est donc fortement attaquée par ce symptôme à valeur archaïque régressive. La réponse éthologique archaïque d’éloignement est naturelle, et met à mal nos structures de refoulement de cet archaïque. Il est donc essentiel de soutenir très puissamment le personnel soignant soumis à ce type de symptôme pour éviter leur « burn out », ou leur réaction d’une violence qui se retourne contre eux-mêmes ou le groupe, lorsqu’elle ne peut raisonnablement et professionnellement être exprimée contre l’auteur du comportement. Il est très difficile d’oser exprimer le rejet et le dégoût d’un enfant, dans le contexte professionnel. C’est dire que la fréquence accrue de ce symptôme chez les jeunes accueillis amène à renforcer les dispositifs d’aide psychologique à l’exercice de ce métier d’éducateur ou de famille d’accueil. Dans les institutions où tous les jeunes ou presque sont susceptibles de souffrir de régression, le groupe est entièrement préparé à ces régressions (IME, institutions d’accueil des polyhandicapés, IMPRO...). Ce n’est pas le cas dans un SAU d’adolescents ou préadolescents. D’autre part, la possibilité d’exprimer son dégoût, encore plus que ses autres sentiments, est également atteinte par la réaction secondaire de refoulement des sentiments archaïques. D’autant plus qu’elle s’oppose aux valeurs d’accueil, très fortes dans l’institution. Même si les structures de soutien existent (réunions, contrôles...) les sentiments contre-transférentiels sont difficiles à exprimer devant les autres, par pudeur, et par crainte de rejet en miroir, dit ou nondit, ou simplement de jugement. Un service d’accueil d’urgence est traversé dans ses valeurs par le fantasme idéal de sauveur, de bon objet réparateur ou compréhensif, et la violence, particulièrement régressive, attaque l’image d’eux-mêmes que les membres de l’équipe soignante voudraient inconsciemment avoir, même s’ils savent consciemment que ce n’est pas possible. Il est très difficile d’accepter d’être traversé par des envies d’éliminer, de rejeter, d’abîmer etc., mais encore plus de le ressentir sans le comprendre ou l’accepter : c’est pourtant cette compréhension, acceptation de ces mouvements intérieurs psychiques, et leur partage qui va permettre de les dépasser de façon plus organisée, comme le montre par exemple, les travaux de Racamier sur les institutions. S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 22 Plus le sentiment ou le mouvement émotionnel est archaïque, primaire, régressif, en miroir des comportements des jeunes, plus les réactions sont vives, et s’exprimeront dans des mouvements divers de révolte, d’opposition à la hiérarchie, entre soignants, avec conflits en miroir de la problématique des jeunes, ou du groupe de jeunes présents dans l’institution. Les conditions du penser « autour de ça » ensemble seront donc essentielles, non seulement à la prise en charge du jeune, mais à la survie psychique de la cohérence institutionnelle. Une autre dimension viendra encore complexifier la situation, tout en fournissant également une autre possibilité de penser ensemble, de manière dialectique, ou « créativement » paradoxale : c’est le réseau pluridisciplinaire et le réseau inter institutionnel : C’est à dire la dimension projective sur les autres à un niveau individuel et groupal (« l’autre est moins bien ; l’autre est mieux ; l’autre est mauvais ; je me débarrasse sur le territoire de l’autre ; l’autre est dangereux… »). En miroir d’ailleurs de l’apprentissage territorial du rituel de mise en place des limites corporelles en jeu dans la propreté, et de son effet organisateur social : « Je ne suis pas là où est l’autre ». C’est la tolérance et intolérance autour du moi et non moi, en jeu instinctuellement corporellement dans la défécation, et en jeu de façon sublimée, plus évoluée au sens darwinien, dans nos distributions territoriales, quelles qu’elles soient, extra ou intra psychiques. La violence est signal de souffrance, quel qu’en soit le niveau, l’histoire et le processus d’apparition. >>> CONCLUSION Laurence ROUBINET, Directrice Pour éviter que l’institution, agressée de l’extérieur par les décisions prises dans la froideur et l’hermétisme des normes et des chiffres, attaquée de l’intérieur par des réactions instinctives archaïques et répulsives réactivées par une insécurité grandissante, ne soit elle-même minée par la violence et ne passe son temps et son énergie à son tour à « se venger d’elle-même », il s’agit de faire sens. Faire sens, c’est dire ce qui est à dire et donc s’autoriser et autoriser à prendre la parole. Faire matière, mettre des mots pour éclairer l’insoutenable, l’incompréhensible… Comprendre et travailler à un sens commun permet à une collectivité d’assurer sa cohérence et sa survie. Il faut du courage pour faire l’effort de matérialiser une parole. Notre parole ne peut être que celle qui émerge à partir de faits, faits concrets, objectifs, et de son vécu intérieur, l’un étant indissociable de l’autre dans nos métiers. De là peut émerger une pensée, pensée indispensable à notre travail d’éducation et donc d’humanisation. Le déferlement de défécations tous azimuts au vu et au su de tous dans l’établissement par des adolescents ne peut qu’interloquer. Vous en conviendrez, quoiqu’éloquents sur notre réalité, les faits décrits dans ce rapport sont ignorés par les règles de « quantification » de notre activité et par la bureaucratisation de nos institutions. Si l’économie et la finance furent pensées un temps34 comme étant des moyens au service des hommes, et donc les services administratifs de nos institutions au service des actions éducatives, le retournement aujourd’hui opéré d’asservir toute décision politique à la production de chiffres reconfigure totalement les manières de concevoir et de mettre en œuvre l’activité de nos établissements. Pourtant, si on y réfléchit un tant soit peu, ces principes premiers n’étaient pas des inepties. Ils avaient leurs fondements propres et s’ils avaient été pensés, affirmés et adoptés c’était « pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression35 », ni de recourir à des comportements archaïques. La règle ne peut 34 35 SUPIOT Alain, 2010, L’Esprit de Philadelphie : la justice sociale face au marché total, Paris, Seuil. Leçons sociales tirées de l’expérience des hommes de la période 1914-1945, in SUPIOT Alain, 2010, L’Esprit de Philadelphie, Seuil. S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 23 tout de même pas redevenir l’instinct primitif qu’ont désormais nos adolescents de signaler leur présence par « l’urine, les fèces, ou des sécrétions glandulaires ». Même si notre société s’organise pour alimenter la croyance que ces risques anciens sont éradiqués, le mini observatoire que représente un SAU (qui n’est certes pas l’ONED36) ne peut que questionner cette croyance et ses fondements. A définir l’efficacité d’une action en voulant ajuster exactement toute dépense engagée au résultat qu’elle produit au moindre coût, en réduisant donc toute action à un coût et tout individu à un objet, ne prenons-nous pas le risque de réduire à néant la marge d’autonomie essentielle à toute prise d’initiative et à toute créativité, et donc de paralyser les fonctions vitales d’une organisation, de compromettre sa cohésion sociale ? Certes, la mathématisation du monde social « nous livre une compréhension quantifiée et modélisable des ressorts et des conduites humaines, des actions collectives et des processus de prise de décision ». Elle a même « doté les sociétés rationalisées de manières de penser et de concevoir la présence et l’action de l’individu dans le monde dont on peut supposer qu’elles sont aujourd’hui tenues pour vraies37 ». Cependant, notre pratique et notre expérience nous font douter de la pertinence de gouverner les conduites individuelles et collectives au moyen exclusif du chiffre. « Gouvernance » qui à notre niveau dénie toute responsabilité d’adulte face à des adolescents et ne peut donc suffire à fonder une obligation. A cet humble niveau de praticiens, à l’instar d’Albert Ogien il nous semble en effet difficile d’accepter l’idée qu’une description de l’action qui négligerait la signification et l’intentionnalité puisse réellement rendre compte de sa réalité. Nous faisons également l’hypothèse que l’action humaine peut avoir « un caractère foncièrement imprévisible ». Cette hypothèse permet de travailler dans nos institutions et également de les faire tenir. Elle est aujourd’hui un moyen pour nous de poursuivre nos actions auprès de jeunes à qui la société demande pourtant de « s’autonomiser », faisant valoir par là la liberté essentielle de l’individu et donc sa responsabilité. Curieux paradoxe que nous devons dans nos métiers manier au quotidien. Ou Bien...ou Bien... ou Bien... Nos métiers nous placent au cœur de l’existence et de ses possibilités et donc du sens politique. Sens politique qui questionne aujourd’hui comme hier la profusion de lois : « Nous avons en France plus de lois que tout le reste du monde38 » disait déjà Montaigne en son temps. Complexité actuelle qui rend de plus en plus difficile la compréhension et donc un comportement cohérent. Si le devoir d’un directeur est d’opérer une gestion dans le respect des lois, de réaliser au mieux l’activité demandée et surtout que l’établissement qu’il dirige assure la mission qui lui est assignée, son devoir est également d’alerter quand la singularité fondant cette mission d’urgence, condition pourtant sine qua non de son exécution, se dissipe dans un paysage où nombre d’appuis et de relais indispensables se sont évanouis. Enfin, le devoir d’un directeur est aussi d’effectuer sa tâche éducative de formulation, d’autant plus face à l’apparition de nouveaux « symptômes » sociétaux, phénomène récurrent dans un SAU. Réfléchir, faire sens, agir de concert, cela passe indubitablement par les mots. Un directeur doit donc, à son niveau, faire des choix... et tenir une parole propre. Mais, à défaut du politique qui devrait faire cohérence dans une société, face à cette avalanche de chiffres, de normes et de procédures et moult règles diffuses qui sont les unes et les autres censées réguler nos comportements et donc notre action, quelle parole tenir ? Quelle parole tenir à des jeunes qui peuvent aujourd’hui en arriver à être réduits à leurs réflexes les plus archaïques? Quelle parole tenir à des adultes perdus, insécurisés et insécurisants, se vivant « dépossédés », « insignifiants » ? 36 37 38 Observatoire National de l’Enfance en Danger, créé par la loi n°2004-1 du 2 Janvier 2004. OGIEN Albert, fév.2013, Désacraliser le chiffre dans l’évaluation du secteur public, Versailles, QUÆ, p.28 MONTAIGNE, Essais III, 13, 1580 S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 24 Cette parole, pour être entendue présentement par ces uns et ces autres, doit nous semble-t-il pouvoir dire ce qui est, et aussi pouvoir témoigner de sa propre cohérence interne -ce qui engage d’autant la responsabilité de celui qui la prend-. Une parole qui s’adressant personnellement à chaque individu ne peut donc avoir la seule objectivité des chiffres uniquement préoccupée du résultat, ni être indifférente aux faits et au mouvement du monde, ni bien sûr faire fi de sa propre subjectivité. Cette parole doit donc « faire vérité pour soi ». Peut-elle d’ailleurs être envisagée autrement que comme un engagement, un choix, un projet, une volonté ? S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 25 - S.A.U. 92 RAPPORT D’ACTIVITE 2012 - 26 - Service d’Accueil d’Urgence « SAU 92 » 45, rue Labouret 92700 Colombes Téléphone 01.47.81.94.83 Télécopie 01.47.86.33.73 Courriel : [email protected] Association Vers la Vie pour l’Education des Jeunes Reconnue d’Utilité Publique Groupement Vers la Vie www.avvej.asso.fr