IMPACTS VISUELS INSTANTANÉS DU TANISAGE SUR VINS
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IMPACTS VISUELS INSTANTANÉS DU TANISAGE SUR VINS
Vinification IMPACTS VISUELS INSTANTANÉS DU TANISAGE SUR VINS ROUGES FINIS DE GAMAY par Valérie Lempereur, Claudine Lapalus, Jean-Luc Berger Institut Français de la Vigne et du Vin 210, boulevard Vermorel BP 320 – 69661 Villefranche cedex INTRODUCTION Dans le cadre de son programme de recherche pour une utilisation raisonnée des intrants en œnologie, l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin) travaille sur les tanins œnologiques depuis plusieurs années, en collaboration avec la DGCCRF et sous l’égide de Viniflhor. Le premier axe de travail a concerné la caractérisation de tanins commercialisés(1), et l’étude des propriétés technologiques suivantes : précipitation des protéines, effets anti-radicalaire et anti-microbien, augmentation de l’intensité colorante du vin par copigmentation(2), élimination des thiols nauséabonds(3), chélation des métaux. Dans un objectif gustatif, les tanins sont connus pour une augmentation du volume en bouche, leur astringence et leur amertume. Chacune de ces propriétés s’exprime différemment selon le type de préparation commerciale de tanins, la dose pratiquée et le vin à taniser. D’un point de vue légal, le tanisage est autorisé sur moût et vin nouveau en fermentation en vue de faciliter le dépouillement et le collage, et sur vin en tant qu’additif. Il est précisé dans le Codex œnologique international que les tanins ne doivent pas modifier les propriétés olfactives et la couleur du vin. Le second axe de travail porte sur les conséquences organoleptiques du tanisage souvent utilisées comme arguments de vente par les fabricants et revendeurs. L’objectif ici est d’étudier les conséquences à court terme du tanisage sur l’aspect visuel du vin, dans le but de mieux le raisonner. Plusieurs origines botaniques de tanins sont testées à plusieurs doses, sur un cru du Beaujolais. 1.1 PRINCIPE 1.3 PRÉPARATIONS COMMERCIALES DE TANINS 1. M ATÉRIELS L’impact instantané des tanins sur la couleur a été étudié sur des vins modèles, et suite à un tanisage sur moût par le groupe national de travail, en 2002. L’étude ci-après vient complémenter ces résultats en se plaçant précisément dans le cadre d’un ajout de tanins sur vin fini, de manière à se rapprocher des conditions de tanisage avant mise en bouteille. Les facteurs origine botanique des tanins, dose de tanisage ont été étudiés sur une gamme de vins rouges d’intensité et de structure différentes. L’objectif est de vérifier, dans un premier temps, l’impact visuel mesuré par des dégustateurs avertis, puis d’expliquer ces impacts à l’aide de mesures physicochimiques des vins tanisés ou non. 1.2 LES VINS UTILISÉS L’objectif est de travailler sur cinq vins d’intensité colorante différente. Pour obtenir des vins de couleurs de répartition chromatique sensiblement identiques, un vin rouge à forte intensité colorante est dilué de 1/5 à 1 par une solution d’acide tartrique ajustée à pH 3,5. L'étude est effectuée sur vin fini après filtration dégrossissante. DÉCEMBRE 2008 / JANVIER 2009 N° 233 ET MÉTHODES L’étude est axée sur des préparations d’origines botaniques dites pures, non assemblées entre elles ou avec des polysaccharides. Les tanins testés sont issus de sept origines distinctes (Cf. Figure 1) : pellicules de raisins (PEL), pépins de raisins (PEP), chêne d’origine française (Limousin et Tronçais) (CHE), châtaignier (CHA), tara (TARA), quebracho (QUE), noix de galles (NdG). Figure 1 : Photographie de la préparations des tanins étudiés IMPACTS VISUELS INSTANTANÉS DU TANISAGE SUR VINS ROUGES FINIS DE GAMAY par Valérie Lempereur, Claudine Lapalus, Jean-Luc Berger 1. V IN IF IC A T IO N ARTICLE TECHNIQUE 1.4 LES DOSES Les fiches techniques préconisent des tanisages de 2 à 30 g/hl. Une gamme de doses croissantes de 0, 2.5, 5, 10, 25, 50, 75, 100 g/hl est testée. Lorsque les doses usuelles (2 à 30 g/hl) n’ont pas de conséquence sur la couleur, des doses plus importantes sont testées pour donner des références. Le nombre de doses testées doit rester raisonnable dans le cadre du test sensoriel choisi (classement visuel). La dose de 75 g/hl est jugée sans grand intérêt après le premier test sensoriel. 1.5 TESTS SENSORIELS L'objectif est de déterminer la dose à partir de laquelle le tanisage a des conséquences immédiates sur la couleur, en fonction de l'origine botanique, de la dose de tanins, et de l’intensité colorante du vin. L’épreuve de classement s’est avérée le test le plus pertinent compte tenu du nombre de modalités (8 doses croissantes sur chacune des 5 dilutions et 7 tanins). 8 à 12 dégustateurs, entraînés à la dégustation de vins du Beaujolais, ont participé aux tests. Il leur a été demandé de classer par ordre d’intensité colorante croissante 7 verres. Les vins sont présentés dans un ordre aléatoire, en verres INAO (à volume identique de 50ml), recouverts par un couvercle, pour éviter l’oxydation. Ils sont placés sur un fond blanc (Cf. Figure 2). La norme AFNOR(4) NF ISO 8587 a été respectée. 35 tests ont été nécessaires, organisés en 5 séances de 7 épreuves : le test visuel n’est pas fatigant pour le dégustateur, mais le nombre de modalités induit un temps d’analyse sensorielle relativement long. Les résultats d’analyse sensorielle sont traités par tests statistiques (test de Page, suivi d’un test de comparaisons multiples). Le test de Page permet de comparer le classement des sujets au classement théorique (ordre des doses croissantes), en se basant sur les sommes des rangs. Les valeurs critiques sont données par la table de référence AFNOR. Le test de comparaisons multiples, qui le suit et le complète donne la première dose X qui a été perçue significativement différente du témoin par les dégustateurs. 1.6 ANALYSES PHYSICO-CHIMIQUES Analyses sur les tanins à 1g/l en solution hydroalcoolique (12% vol, 5g/l d’acide tartrique ajustée à pH 3,2, filtrée sur membrane 0,45µm) : --> Ont été mesurés : pH, A420, A520, A620, ICM, teinte, IPT (A280), copigmentation, coordonnées chromatiques, turbidité, l’indice de pouvoir tannant (ou indice BSA), le coefficient d’extinction massique et le rendement de dissolution. --> L’IPT permet d’estimer la quantité de phénols totaux et la pureté des préparations. --> Le Codex propose d’exprimer la pureté en g (équivalent d’acide gallique) pour 100 g de préparation : % pureté = (IPT*10)*100 / (Eacide gallique ; 280 nm * t tanins). E280nm est le coefficient d’extinction massique à 280nm en l/10g/cm (Eacide gallique ; 280nm = 190 UI/l/10g/cm). --> L’identification de l’origine botanique a été réalisée par spectre UV sur les solutions diluées au 1/50ème, comme indiqué dans le Codex œnologique. Analyses des vins traités aux doses X et témoins : Elles ont permis d’établir des relations entre impacts visuel et analytique des tanins. Figure 2 : Vin d’IC 2,8 et doses croissantes de tanins de chêne 2.1 ANALYSE DES TANINS PURS Les méthodes usuelles ou de référence du Recueil des méthodes internationales des analyses des moûts et des vins (OIV) ont été utilisées pour les absorbances à 420 nm, 520 nm, 620 nm, l’ICM, la teinte, les coordonnées chromatiques et ∆E, l’IPT (mesures après centrifugation) et la turbidité avant centrifugation. 2. RÉSULTATS Les spectres de tanins de bois exotiques présentent un maximum d’absorption entre 270 et 280 nm, alors que les tanins d’autres bois ont des valeurs d’absorbance décroissantes entre 250 et 300 nm Ces résultats sont conformes à ceux obtenus par Chauvet et al.(6) (Cf. Figure 3). Les familles chimiques de tanins sont clairement différenciées, et les courbes régulières, avec un pic d’absorbance unique. La pureté des tanins ne semble pas compromise. COULEUR A l’état de poudre, l’aspect visuel des préparations laisse présager une couleur assez importante pour certains tanins en solution hydroalcoolique. Les tanins de chêne, de pellicules et de pépins de raisins ont une nuance jaune assez importante (Cf. Figure 4, page suivante). La couleur des solutions de tanins galliques de tara et noix de galles est, en revanche, presque inexistante. DÉCEMBRE 2008 / JANVIER 2009 N° 233 Figure 3 : Spectres UV des solutions de tanins IMPACTS VISUELS INSTANTANÉS DU TANISAGE SUR VINS ROUGES FINIS DE GAMAY par Valérie Lempereur, Claudine Lapalus, Jean-Luc Berger 2. V ARTICLE TECHNIQUE IN IF IC A T IO Les coordonnées colorimétriques confirment, avec peu de différence sur la variable a (nuance rouge), et de grandes différences dans le jaune (b) et sur la clarté (L). Les tanins galliques se distinguent à nouveau pour une clarté importante et une nuance jaune faible. Les tanins de chêne sont les plus sombres en solution hydroalcoolique. TURBIDITÉ Les tanins de châtaignier et de chêne (tanins ellagiques) se démarquent par une turbidité plus importante (Cf. Tableau 1). Ceux de tara et de noix de galles (tanins galliques) sont particulièrement limpides. Les tanins proanthocyanidiques ont une turbidité moyenne. Il semble donc que la turbidité des tanins en solution soit directement liée à leur nature moléculaire, qui influe sur leur capacité à la solubilisation en milieu hydroalcoolique. IPT ET PURETÉ Les pourcentages de pureté obtenus par la méthode du Codex œnologique sont aberrants (Cf. Tableau 2) et donc peu fiables, même pour les préparations de tanins galliques (alors que la 2.2 DOSES DE TANINS AYANT UN IMPACT VISUEL (DOSES X) Le classement des 7 verres (témoin et 6 doses de tanins) a été retrouvé par les dégustateurs. Pour toutes les épreuves de classement, sauf une (modalité PEL pour une ICM de 7,34 UA), le test de Page est non significatif au risque α de 5 %. La plus petite dose de tanins entraînant une différence visuelle, déterminée par le test de comparaisons multiples, est représentée sous le terme « dose X » (Cf. Tableau 3). Pour les doses de 2,5 et 5 g/hl, aucune préparation n’a d’impact visuel. Les tanins de chêne et de châtaignier apportent des différences perceptibles pour des doses faibles, inférieures à 25 g/hl, et entre 25 et 50 g/hl pour le tanisage par tanins de pépins de raisins et de Tara, quelle que soit l’intensité colorante du vin. Il faut des doses de tanins de noix de galles et de quebracho d’autant plus importantes que le vin à traiter est coloré pour avoir un impact visuel. Les conditions de luminosité peuvent expliquer que la dose de tanisage par tanins de noix de galles, sur le vin d’intensité colorante 4,31 UA tanisé, soit incohérente. En général, plus l’intensité colorante du vin est forte, plus la dose de tanins à ajouter pour avoir une différence perceptible est élevée. Tableau 1 : Turbidité des tanins en solution hydroalcoolique à 1 g/l Tableau 3 : Résultats des classements visuels: doses X en g/hl Tableau 2 : Estimation des phénols totaux des solutions hydroalcooliques à 1g/l de tanin et coefficient d’extinction massique DÉCEMBRE 2008 / JANVIER 2009 N° 233 IMPACTS VISUELS INSTANTANÉS DU TANISAGE SUR VINS ROUGES FINIS DE GAMAY par Valérie Lempereur, Claudine Lapalus, Jean-Luc Berger 3. N Figure 4 : Caractéristiques colorimétriques des solutions hydroalcooliques des tanins à 1 g/l référence choisie est l’acide gallique). Les coefficients d’extinction massique des préparations commerciales (E280nm) sont trop différents de celui de l’acide gallique pour s’y référer. L’utilisation de solutions purifiées de gallotanins, ellagitanins, catéchine comme références serait à tester pour s’approcher de façon plus juste de la pureté des préparations en tanins. Par ailleurs, il est possible que la mesure d’absorbance soit faussée par des impuretés solubles qui absorbent à 280 nm. De plus, l’état de galloïlation, de polymérisation et en général d’estérification, modifie les caractéristiques d’absorbance dans l’UV. Le dosage des tanins par DMACA et par butanolyse (qui permettraient en plus de connaître le degré de polymérisation), ou l’analyse fine et spécifique des préparations par HPLC seraient plus juste, à la fois qualitativement et quantitativement. Ces méthodes sont longues et coûteuses. V IN IF IC A T IO N ARTICLE TECHNIQUE 2.3 ANALYSE PHYSICO-CHIMIQUE DES VINS 6b INTENSITÉ COLORANTE ET COPIGMENTATION L’absorbance des vins tanisés est toujours supérieure aux témoins. La Figure 5 représente l’ICM du vin témoin cumulé avec l’écart entre la copigmentation mesurée dans le vin témoin et le vin tanisé, comparés à l’ICM du vin tanisé à la dose X. L’augmentation de couleur des vins tanisés est liée à l’absorbance propre des préparations de tanins proanthocyanidiques et ellagiques (tanins de pellicules et pépins, quebracho, puis de châtaignier et chêne). Pour les tanins galliques de tara et de noix de galle, l’augmentation d’intensité colorante est plus fortement liée à la copigmentation, avec une moyenne de + 0,182 à + 0,045 unités d’absorbance pour les autres tanins. MODIFICATION DE LA COULEUR DU VIN, DE LA TEINTE ET TURBIDITÉ Un tanisage perceptible à l’œil correspond à une augmentation moyenne de 8,7 % de l’ICM (Cf. Figures 6a et 6b) et à un ∆E moyen de 3.9, inférieur à 5 (valeur estimée minimale pour discriminer la couleur de 2 vins ). Les tanins de chêne, quebracho et noix de galle en particulier impliquent des différences perceptibles pour des écarts d’ICM faibles. Les tanins entraînent une augmentation de la teinte des vins, sauf pour les tanins galliques (Cf. Figure 7). Quand l’ICM du vin augmente, la teinte diminue dans le cas des tanins ellagiques et proanthocyanidiques, et reste constante pour les tanins galliques. L’absorbance à 420 nm varie très peu après tanisage par tanins de noix de galles et tara, et la copigmentation augmente l’absorbance à 520 nm. Cette variation de teinte peut donc être attribuée à la couleur propre des préparations. L’apport de turbidité est important pour les tanins de châtaignier, chêne et pépins de raisins (Cf. Figure 8), et relatif à la dose apportée. La nature ellagique des deux premiers peut expliquer ces résultats. 6a Figure 6a et b : % d’augmentation de l’ICM après tanisage à la dose X, selon les ICM témoins Figure 7 : Variation de la teinte pour les différents tanisages selon l’ICM des vins témoins Figure 5 : Comparaison des absorbances totales sur le vin 2 pour les 5 dilutions et les 7 tanins à la dose X Figure 8 : Variation de la turbidité des vins tanisés selon l’ICM des vins témoins DÉCEMBRE 2008 / JANVIER 2009 N° 233 IMPACTS VISUELS INSTANTANÉS DU TANISAGE SUR VINS ROUGES FINIS DE GAMAY par Valérie Lempereur, Claudine Lapalus, Jean-Luc Berger 4. V ARTICLE TECHNIQUE IN IF IC A T IO N CONCLUSION L’ajout de tanins œnologiques entraîne une augmentation d’intensité colorante. Elle provient principalement de la couleur intrinsèque des tanins proanthocyanidiques (pépin, pellicule et quebracho) dont l’utilisation induit également une augmentation de la teinte par apport de pigments jaunes. Les tanins galliques de noix de galle et de tara augmentent la copigmentation, donc la nuance rouge des vins ; la teinte est donc diminuée. L’impact sur la couleur est d’autant plus faible que l’intensité colorante du vin de base est forte. Les tanisages par tanins ellagiques de chêne et de châtaignier se distinguent par une forte turbidité, de même que les tanins de pépins de raisins. Les doses de tanisage sur vin fini ayant un impact visuel ne sont pas toujours compatibles avec les qualités gustatives et olfactives du vin : seuls les tanins de châtaignier et de chêne sont différenciés des témoins pour des doses inférieures ou égales à 25 g/hl quel que soit le vin. Dans tous les cas, aucune conséquence visuelle n’est perçue en deçà de 10 g/hl, dose raisonnable pour un vin fini issu de gamay. REMERCIEMENTS Cette étude a été menée avec le partenariat financier de Viniflhor. 1 2 3 4 5 6 7 BIBLIOGRAPHIE MOUTOUNET M., SOUQUET J.-M., MEUDEC E., LEAUTE B., DELBOS C., DOCO T., WILLIAMS P., LEMPEREUR V., 2004. Analyse de la composition de tanins œnologiques. Revue Française d’Œnologie, 208, p.22-27 LEMPEREUR V., BLATEYRON L., LABARBE B., SAUCIER C., KELEBEK H., GLORIES Y., 2002. Groupe national de travail sur les tanins œnologiques : premiers résultats. Effet bactériostatique des tanins œnologiques. Effet instantané du tanisage sur la couleur. Revue Française d’Œnologie, 196, p.23-29 CAYLA L., MASSON G., BLATEYRON L., CUENAT P., LORENZINI F., LEMPEREUR V., 2003. Effet du tanisage sur l’élimination des composés soufrés. Revue Française d’Œnologie, 199, p.18-21 AFNOR, 2001. Analyses sensorielles, Recueil et normes. 6ème édition DE FREITAS V. Recherche sur les tanins condensés : application à l’étude des structures et propriétés des proanthocyanidines du raisin et du vin. 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