Ces dossiers qui inter pellent la Pla

Transcription

Ces dossiers qui inter pellent la Pla
8
Enquête
www.agefiactifs.com
du 23 octobre au 5 novembre 2015 / N°
Assurance vie
662
Ces dossiers qui inter
v La Place
demeure
attentive
aux suites qui
seront données
à la consultation
publique sur
l’Eurocroissance
v De leur côté,
les autorités
scrutent la mise
en œuvre
de la loi Eckert
et du fichier des
souscripteurs
au 1er janvier
2016
Par Nicolas ducros
@NDucros
+ E-MAIL [email protected]
E
n situation de recherche permanente d’économies mais aussi pour tenir compte des besoins
de financement budgétaires, les pouvoirs publics regardent toujours plus volontiers vers
l’assurance vie et ses 1.600 milliards d’euros d’encours. En
cette fin 2015, ces enjeux se matérialisent dans les travaux
du Trésor, de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), mais aussi du législateur qui entend demeurer
force de proposition. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la Commission des Finances du Sénat, a d’ailleurs
évoqué certaines pistes de travail (lire l’entretien pp. 11 et 12).
RELANCE DE L’EUROCROISSANCE
Cette piste est actuellement à l’étude du côté du Trésor.
En cause : le démarrage décevant d’une formule dont le
résultat mensuel de 100 millions d’euros de collecte n’est
pas en ligne avec l’objectif fixé à terme de 130 milliards
d’euros investis en actions. Sur cette base, l’administration
a retenu une des pistes évoquées dans le rapport sur le
financement des entreprises publié en août 2015 et soutenue par une partie de la profession consistant à mutualiser
les réserves latentes des fonds en euros et des supports
Eurocroissance. Pour rappel, depuis la parution de ce document, son auteur, François Villeroy de Galhau, est devenu
le nouveau gouverneur de la Banque de France en charge
de la présidence de l’ACPR. L’initiative de l’administration
a pris corps récemment avec la mise en consultation, du
30 septembre au 15 octobre 2015, de deux projets de décret
visant à autoriser les transferts de certains actifs en plusvalues latentes jusqu’au 1er janvier 2019.
L’appauvrissement des assurés en question.
Pour Anne-Sophie Musset, directeur chez Périclès Actuarial, « la première option qui consiste à transférer des actifs du
fonds euros ainsi que leur richesse latente vers le fonds Eurocroissance, à hauteur du montant arbitré par l’assuré, demeure la
plus simple à appréhender. Elle impose que le taux de plus-value
latente après transfert soit supérieur ou égal à celui appliqué
avant transfert. Les épargnants restant sur le fonds euros ne sont
pas dépossédés de leur richesse latente ».
Un point sur lequel s’accorde Corinne Jehl, actuaire et
practice leader épargne au sein d’Optimind Winter : « Les
assureurs sont tenus de veiller à ce que le taux de plus-value
latente transféré n’excède pas le taux de plus-value latente global.
Les actifs sont alors comptabilisés en valeur d’achat et la plusvalue latente vient doter la provision collective de diversification
différée », l’équivalent de la provision de participation aux
bénéfices. La conversion est réalisée « sans appauvrissement
relatif » du support en euros, confirme Valéry Jost, associé
chez Forsides : « Le transfert des encours de l’assuré depuis le
fonds euros vers l’Eurocroissance déclenche un transfert parallèle
– celui d’une part de la plus-value latente correspondant aux
encours transférés – qui quitte la richesse commune du fonds
en euros. »
L’efficacité de la seconde option comporte des
limites. L’autre cas de figure soumis à consultation prévoit que le montant du transfert ne se limite plus au montant arbitré par l’assuré mais soit complété par le montant
des prestations versées à partir du fonds euros. « A l’occasion de leur règlement, une partie de la plus-value latente ne
sera pas conservée dans le fonds en euros où elle aurait été redistribuée au fil du temps mais dirigée vers le support Eurocroissance », détaille Valéry Jost. D’après lui, cette option serait
beaucoup plus efficace « en ce qu’elle permet de mobiliser une
N°
662 / du 23 octobre au 5 novembre 2015
Enquête
www.agefiactifs.com
pellent la Place
D’autres, à l’image de l’Association nationale des conseils
diplômés en gestion de patrimoine (ANCDGP), orientent le
débat sur le terrain du devoir de conseil. Dans un courrier
adressé au Trésor, l’association s’interroge sur la question
du positionnement d’un conseiller à l’égard d’un fonds en
euros ou d’un fonds Eurocroissance si celui-ci n’a pas accès
« à la situation bilantielle en matière de dotation/reprise de
provisions et de prélèvement/mise en réserve ». Reste que, « sans
cette initiative, l’Eurocroissance ne peut pas, dans le contexte de
marché actuel, jouer à armes égales avec le fonds euros, rappelle
Valéry Jost. Sa création obéit à la volonté de prolonger l’euro.
Le Trésor étend un principe de gestion qui a toujours prévalu
sur l’euro, avec une mutualisation intergénérationnelle et une
liberté de gestion de la participation au bénéfice ».
En dernier lieu, il reviendra au gouvernement de
prendre ses responsabilités et « de trancher rapidement la
question en prenant la mesure des réactions », a-t-on appris
d’une source proche du dossier.
PhB
APPLICATION DE LA LOI ECKERT ET DU FICOVIE
part plus importante des plus-values latentes – mais limitée à
10 % de l’encours Eurocroissance chaque année – et qui ne sera
pas diluée par les nouveaux versements ». En contrepartie, elle
traduit bien, selon l’expert, un « appauvrissement relatif » du
fonds en euros.
Anne Sophie Musset considère de son côté que « cette
option permettrait à l’Eurocroissance de bénéficier d’une richesse
latente plus importante mais sans déséquilibre supplémentaire
pour l’assuré du fonds euros. En effet, au lieu d’épuiser la
richesse latente en vendant des actifs pour obtenir une liquidité
suffisante permettant le règlement, cette richesse du fonds euros
est transférée à l’Eurocroissance ».
Une opposition de vues. Depuis l’annonce de cette
consultation, une ligne de front s’est fait jour à l’encontre
du projet. Au niveau des assurés, et en dépit des garanties
avancées, c’est bien le risque d’un réel appauvrissement
des assurés du fonds en euros qui est pointé. On s’interroge aussi du côté distributeurs sur la durée effective de
l’avantage temporaire dont bénéficieraient les fonds Eurocroissance si leur relance s’enlisait une nouvelle fois en
dépit des efforts gouvernementaux.
Les mises en œuvre, à compter du 1er janvier 2016,
des dispositions de la loi Eckert visant l’assurance vie en
déshérence et du fichier des souscripteurs (Ficovie) constituent un autre témoignage de l’attention manifestée par les
pouvoirs publics. Un intérêt qui est d’autant plus justifié,
selon Albéric de Montgolfier, que « les sociétés d’assurances
ont longtemps manqué de rigueur dans la constitution et le
suivi de leurs bases de données ». Pour le parlementaire, « il
est grand temps qu’elles fassent le ménage. Tant mieux si c’est à
l’occasion de la mise en œuvre de Ficovie ».
Des partenariats pour tenir compte de la loi
Eckert. Pour les compagnies d’assurances, le travail de
mise en conformité nécessaire pour respecter la loi du
13 juin 2014 « a eu une incidence importante sur l’évolution
de leurs outils de gestion, les référentiels clients/contrats, les
flux avec la Caisse des dépôts et des consignations (CDC) et la
relation clients/ayants droit », confirment Philippe Anquetil
et Éric Vernhes, fondateurs associés du cabinet de conseil
Aurexia. Pour tracer l’activité d’un contrat, ils ont constaté
que « les établissements les plus avancés sollicitent désormais
des acteurs spécialistes de la gestion de données (Big data) et
gèrent de façon coordonnée la gestion de certains projets, dont
le Ficovie ».
Sur le terrain, quantité de prestataires de services ont été
mis à contribution pour identifier les bénéficiaires (L’Agefi
Actifs n°657, p. 16 et n°658, p. 14). C’est le cas également de

9
10
www.agefiactifs.com
Enquête
du 23 octobre au 5 novembre 2015 / N°
662
Assurance vie
Ces dossiers qui interpellent la Place

Mister Doe, le projet incubé dans le Mazars lab, la structure
dédiée aux start-up du cabinet de conseil. Son dirigeant,
Vladimir Nguekam, s’est lancé dans ce projet après avoir
remarqué, à l’occasion de son passage chez Axa France
puis au sein du cabinet de conseil EY, que « peu d’assureurs
sont capables de connaître, au millier près, le nombre d’assurés
dans leurs bases ».
Déployée pour le moment sur les contrats d’assurance
vie collectifs, la solution qu’il a développée permet, selon lui,
« d’obtenir une vision de l’ensemble des assurés présents dans les
portefeuilles clients. Il s’agit également d’accélérer le traitement
du reporting tel qu’il est fixé par l’ACPR, en permettant de
détailler chaque étape de recherche dont le nombre de relances,
de centenaires hommes ou femmes et la gestion des échéances
auxquelles l’assureur doit se conformer ».
Blocage au niveau de l’utilisation du NIR. Du
côté des compagnies, une demande récurrente adressée
au législateur pour accélérer la recherche des bénéficiaires
porte sur l’ouverture de l’accès au numéro d’inscription au
répertoire (NIR) – le numéro de Sécurité sociale – attribué
à chaque personne inscrite au Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP). Jusqu’à présent
en effet, le recours à ce numéro est contrôlé par la Cnil
(Commission nationale de l’informatique et des libertés)
qui en limite l’accès aux activités d’assurance maladie,
maternité et invalidité complémentaire.
Le Ficovie en déploiement. Le 1er janvier 2016 verra
également la mise en application du fichier des souscripteurs. Outre le fait que les compagnies s’interrogent toujours sur le périmètre exact du dispositif et la typologie
des contrats concernés en dépit du cahier des charges
communiqué à la Place (L’Agefi Actifs n°652, p. 20), certains observateurs considèrent qu’elles éprouvent toujours
des difficultés à identifier leurs assurés. Selon Vlamimir
Nguekam, « il n’est pas rare que des contrats soient encore gérés
manuellement dans d’anciens systèmes via des fichiers Excel.
Or, en l’absence de visibilité sur le nombre exact d’assurés, les
assureurs ne seront pas en mesure d’effectuer des déclarations
exhaustives sur le Ficovie, notamment pour ce qui concerne
les acteurs les plus importants qui ont une quantité massive
d’informations à traiter. En revanche, au vu des moyens mis
en œuvre, certaines compagnies devraient pouvoir atteindre cet
objectif d’ici à l’année prochaine ».
Reste que certains établissements demeurent exclus de
ces dispositifs et que cette situation ne passe pas inaperçue.
« Je signale que les contrats d’assurance vie luxembourgeois,
même souscrits auprès de filiales de groupes français via des intermédiaires français, ne figureront pas dans ce fichier, annonce
Albéric de Montgolfier. Il faudra voir si l’échange automatique
de données qui doit être mis en place avec le Luxembourg à partir
du 1er janvier 2017 permettra de pallier cette lacune. S’agissant
de la problématique des contrats en déshérence, la réponse à cette
question est probablement négative. »
CONFORMITÉ DES CONTRATS LUXEMBOURGEOIS
De son côté, le Sénat demeure particulièrement attentif
au succès commercial rencontré par les contrats luxembourgeois. C’est d’ailleurs sur cette base que, dans la loi Macron,
les sénateurs ont procédé à l’extension de l’option en faveur
du paiement en titres négociables aux titres non négociables
(L’Agefi Actifs n°651, p. 16 et n°657, p. 12). En revanche, la
question de la validité des apports de titres financiers reste
entière. En la matière, une prise de position était attendue
de la part de la Cour de cassation en octobre 2015 dans une
affaire portant sur la renonciation au contrat luxembourgeois d’un épargnant français. Les observateurs, qui ont
attendu avec impatience cet arrêt pour les besoins duquel
documentation a été fournie par les services du Trésor et
de l’ACPR, devront s’en remettre à un autre contentieux,
l’assureur mis en cause s’étant finalement désisté.
Sur le sujet de l’éligibilité des titres détenus dans ces
contrats, les assureurs luxembourgeois ont pu se rassurer
en lisant les propos de l’ancien secrétaire général de l’ACPR
selon lequel la liste détaillée des unités de compte éligibles,
définie à l’article R. 131-1 du Code des assurances, « ne peut
s’appliquer telle quelle » (L’Agefi Actifs n°635, p. 8). Toutefois,
la question se pose de savoir comment réagiraient ces
compagnies si la France suivait l’exemple belge. Aux termes
des articles 19 et 20 de la loi du 14 avril 2014, cet Etat a
limité les actifs éligibles et le preneur d’assurances résident
belge ne peut plus se voir proposer que des parts d’OPC
belges ou dotés du passeport européen, ou des actifs qui
eux-mêmes seraient éligibles dans ces OPC dès lors qu’ils
respecteraient les mêmes exigences en matière de politique
d’investissement.
Marc Gouden, de Philippe & Partners Avocats, rappelle
que « des assureurs luxembourgeois considèrent que ce n’est
pas à la Belgique de limiter la liste des actifs éligibles en ce qu’il
revient au Luxembourg, au titre du ‘home country control’,
de définir cet aspect. La démarche belge leur apparaît comme
étant contraire au droit européen. C’était d’ailleurs la position
que soutenait le Conseil d’Etat belge mais que le législateur n’a
pas entendu. Le marché est désormais divisé entre ceux qui
ont maintenu leurs offres commerciales conformes au droit
luxembourgeois et les acteurs qui, par souci de conformité avec
la législation du pays de résidence, proposent uniquement des
actifs conformes aux exigences de l’article 20 ».
LUTTE ANTIBLANCHIMENT
L’ACPR a eu l’occasion de sanctionner des assureurs
en 2015. « Elle doit continuer les contrôles et, si les circonstances
le justifient, prononcer des sanctions réellement dissuasives »,
avance Albéric de Montgolfier. Le rapporteur de la Commission des Finances du Sénat a d’ailleurs déposé une
proposition de loi qui tend notamment à permettre à
l’ACPR d’imposer une pénalité pouvant aller jusqu’à 15 %
de leur chiffre d’affaires.
N°
Enquête
662 / du 23 octobre au 5 novembre 2015
www.agefiactifs.com
11
« Les enjeux de l’assurance vie
sont considérables »
vContrats Eurocroissance, déshérence, Luxembourg... autant de sujets d’actualité sur lesquels
revient Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des Finances du Sénat
dr
Tout ceci me semble peu lisible pour les assurés et
L’Agefi Actifs. - Que pensez-vous de l’initiative
contestable sur le plan des principes. Les plus-values latentes
tendant à faciliter la commercialisation des
ont été accumulées grâce à l’épargne des assurés et garancontrats Eurocroissance ?
tissent la solidité des fonds euros. Le gouvernement peutAlbéric de Montgolfier. - Vous remarquerez que cette
il vraiment autoriser les assureurs à déshabiller les fonds
mesure avait été évoquée « en avant-première » lors de
euros pour essayer de relancer un produit qui connaît de
la table ronde organisée par la commission des Finances
grandes difficultés ?
du Sénat le 6 mai dernier. Elle avait ensuite été reprise
La réorientation de l’épargne vers l’investissement propar François Villeroy de Galhau dans son rapport sur le
ductif est un objectif que je partage. Toutefois, cela ne peut
financement de l’investissement des entreprises.
pas se faire par des moyens qui sapent la confiance des
Sur le fond, le sujet est particulièrement compliFrançais en leur donnant le sentiment que le gouvernement
qué. Tout d’abord, il ne me semblerait pas acceptable
change la règle du jeu au mépris des contrats conclus, cela
de transférer purement et simplement une partie de la ririsque d’être contre-productif.
chesse des fonds euros vers les contrats
Je crois qu’il appartient avant tout aux
Eurocroissance et donc de l’offrir à de
assureurs d’être plus raisonnables dans
nouveaux souscripteurs.
leur politique de rémunération des fonds
Cependant, le projet est plus subtil.
euros, comme l’Autorité de contrôle pruUne des options soumises à consultadentiel et de résolution (ACPR) les y
tion vise plutôt le cas où des assurés
engage régulièrement, de profiter de la
transfèrent une partie de leurs droits
souplesse qu’offrent les contrats Eurod’un fonds euros vers un contrat Eucroissance pour rechercher du renderocroissance, comme la loi l’autorise,
ment et de réellement faire la promotion
sans remise en cause de l’antériorité
de ce nouveau produit.
fiscale. Il s’agit alors de permettre à ces
assurés « d’emporter avec eux » une
En décembre 2014, le législateur
partie des plus-values latentes du fonds
avait déjà pris des initiatives...
euros. Actuellement, si un assuré sort
- Vous faites référence à l’exigence de
d’un fonds euros, ses droits lui sont
bonne foi qui conditionne désormais
payés mais il ne touche rien au titre des Albéric de Montgolfier,
rapporteur général,
l’exercice de la faculté de renonciation
plus-values latentes, qui constituent les
Commission des Finances
au-delà du délai de trente jours. Cette
réserves du fonds et n’ont pas encore
du Sénat
mesure était destinée à rassurer certains
été affectées aux assurés. Autoriser
assureurs un peu échaudés par des renonciations exercées
que ces réserves soient ponctionnées au moment où un
très tardivement par des clients avertis qui ont ainsi échappé
assuré quitte le fonds contrevient au principe de mutualià d’importantes moins-values.
sation. Pour autant, ce principe s’appliquerait à nouveau
Mais cela n’a rien fait pour améliorer l’attractivité des
au sein du fonds Eurocroissance qui bénéficierait de ce
contrats Eurocroissance auprès des épargnants. Cette
transfert de richesse, dont une partie profiterait donc aux
attractivité se fonde avant tout sur les rendements offerts.
nouveaux entrants, qui n’apportent rien d’autre avec eux
C’était d’ailleurs l’objet même du contrat Eurocroissance
que leurs primes.
que d’offrir de meilleurs rendements que les fonds euros
L’autre option permet en plus aux assureurs de
en échange d’une garantie à terme plutôt qu’à tout instant.
transférer des plus-values latentes à raison des prestaSimplement, les taux sont actuellement très bas et les fonds
tions payées depuis le fonds euros, et pas seulement en
euros bénéficient de leur antériorité.
cas de conversion d’engagements.

12
www.agefiactifs.com
Enquête
du 23 octobre au 5 novembre 2015 / N°
662
Assurance vie
« Les enjeux de l’assurance vie sont considérables »

Quelles suites comptez-vous donner à la table
ronde organisée par le Sénat sur le thème de
l’assurance vie, le 6 mai 2015 ?
- La commission des Finances va continuer de travailler sur
ce thème. Les enjeux sont considérables. L’assurance vie
doit s’adapter au contexte de taux actuel, qui risque de durer, faire face à la concurrence européenne et mieux contribuer au financement de l’économie, ce qui conforterait le
régime fiscal de faveur dont elle bénéficie aujourd’hui.
Au cours de cet événement, le cas des contrats
d’assurance vie luxembourgeois a été évoqué...
- La directive 2002/83 du 5 novembre 2002 prévoit que, par
défaut, la loi applicable aux contrats d’assurance vie est la loi
de l’Etat de la résidence habituelle du preneur d’assurance.
Les Etats membres peuvent cependant offrir aux parties la
possibilité de choisir la loi applicable au contrat. Ce n’est pas
le cas de la législation française qui exclut cette possibilité.
L’article L. 183-1 du Code des assurances dispose ainsi que
« lorsque l’engagement est pris, au sens de l’article L. 310-5, sur le
territoire de la République française, la loi applicable au contrat
est la loi française, à l’exclusion de toute autre ». Or, même
s’il ne l’interdit pas explicitement, le Code des assurances
ne prévoit pas qu’un contrat d’assurance vie puisse être
constitué sous forme d’apport de titres. Les primes sont
toujours définies comme des « sommes versées ».
Pour autant, il est avéré que des contrats d’assurance
vie souscrits en France par des résidents français auprès
de sociétés luxembourgeoises ont reçu des versements
sous forme de titres. Cette modalité d’alimentation du
contrat d’assurance vie est même mise en avant dans la
documentation commerciale des assureurs et des intermédiaires qui distribuent ces contrats en France. Il y a donc de
quoi s’interroger, notamment sur la passivité des autorités
françaises face à un phénomène qui prend de l’ampleur.
Comptez-vous faire des propositions en vue de
légiférer sur ce point ?
- La question est : faut-il aligner le droit français sur le
droit luxembourgeois ou, au contraire, renforcer notre
législation pour proscrire ce type de montage ? L’apport
de titres constitue-t-il un élément de souplesse bienvenue
ou un abus à combattre ? Il me semble que ce n’est pas
l’apport de titres en soi qui est condamnable mais le fait
de conserver des droits sur ces titres et de pouvoir les récupérer ou les transmettre alors que l’assurance vie repose
en principe sur une logique de mutualisation. Vendre des
titres pour verser le produit sur un contrat ou les céder à
l’assureur pour alimenter un contrat n’est pas si différent,
dès lors que le souscripteur abandonne tout droit sur ces
titres et que la plus-value est imposée, ce qui ne semble pas
être le cas actuellement s’agissant de l’apport de titres. En
revanche, un contrat d’assurance vie n’est pas un PEA. Si
l’administration fiscale ne s’en mêle pas, l’apport de titres
sur un contrat luxembourgeois permet de disposer d’une
sorte de compte titres bénéficiant du régime avantageux de
l’assurance vie, dont ce n’est pourtant pas l’objet.
C’est pourquoi, à mon avis, il faut faire respecter le droit
français et veiller à ce que les versements se fassent exclusivement en numéraire. A défaut, il ne s’agit plus d’assurance
vie au sens français et il n’y a pas de raison de faire bénéficier
le souscripteur ou son bénéficiaire du régime fiscal normalement associé à ce type de contrat. Si on finit par reconnaître
que l’apport de titres ne constitue pas une irrégularité, alors
il faudra légiférer soit pour interdire, soit pour encadrer cette
pratique et ainsi éviter les abus.
Quelle est votre position vis-à-vis de l’éligibilité des
titres accessibles sur ces contrats ?
- Il s’agit là en partie d’un autre sujet, mais je pense également qu’il faut tout d’abord faire respecter le droit français
et donc veiller à ce que les contrats souscrits en France par
des résidents français soient investis dans des titres autorisés
par le Code des assurances. Ceci dit, on peut légitimement
se demander s’il ne serait pas utile de faire évoluer ces règles
pour redonner un peu de compétitivité aux contrats français.
Il me semble que ceux-ci doivent pouvoir offrir les mêmes
possibilités d’investissement que les contrats luxembourgeois dès lors que les exigences de « protection suffisante »
de l’épargne sont respectées. S’il apparaît que certaines possibilités d’investissement interdites en France et autorisées
au Luxembourg ne permettent pas cette « protection suffisante », alors il appartient aux autorités compétentes d’agir
et, à tout le moins, d’avertir les épargnants français tentés
par la souscription d’un contrat luxembourgeois des risques.
Le règlement des dossiers en déshérence est un
autre sujet d’actualité. Comptez-vous donner des
suites au rapport devant être rendu en 2016 ?
- Il faudra attendre de voir si les assureurs ont joué le jeu et
ont fait de vrais efforts pour retrouver les bénéficiaires des
fonds en déshérence avant le transfert à la Caisse des dépôts
et consignations (CDC). Je rappelle que c’est la commission des Finances du Sénat qui a voulu que la loi impose à
l’ACPR de préparer le rapport que vous évoquez. L’objectif
était de pousser les assureurs à mettre à profit la période
précédant l’entrée en vigueur, prévue le 1er janvier 2016, de
la loi du 13 juin 2014 pour apurer au maximum le stock des
contrats d’assurance vie en déshérence.
A cette date, les fonds correspondant à ce stock seront
déposés à la CDC. Les assureurs seront alors libérés de toute
obligation de recherche et d’information des souscripteurs
et bénéficiaires de ces contrats. La CDC ne sera quant à elle
obligée qu’à la publicité de l’identité des souscripteurs. Il
importe donc que, d’ici au 1er janvier 2016, les assureurs
mettent tout en œuvre pour que la plus grande part possible
des sommes susceptibles d’être prochainement déposées
auprès de la CDC soit plutôt versée à leurs destinataires.
La profession a pris des engagements. Il faudra la tenir
responsable si elle ne les tient pas.