Lire l`appel d`Olivier LOISEAU

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Lire l`appel d`Olivier LOISEAU
Enjeux L’événement
Artisanat
L’appel d’un petit patron « normal »
Contraint de démarrer l’année par des licenciements,
Olivier Loiseau témoigne de ses difficultés au quotidien
dans une lettre ouverte au président de la République.
O
livier Loiseau est un patron « normal ». A la tête d’une entreprise familiale créée en Vendée, en 1910, ce menuisiercharpentier fait partie de ces dirigeants dont le bâtiment peut
s’enorgueillir. Des crises, l’entreprise en a connu. En 1985, elle
a frôlé le dépôt de bilan, mais elle a rebondi sur le marché du
particulier, puis sur celui, prometteur, de la maison bois. Pourtant, l’avenir est à nouveau menacé. Après avoir tenté l’impossible pour faire survivre sa société, Olivier Loiseau a ­couché sur
le papier ce qu’il avait sur le cœur. Il s’en dégage un texte brut
et émouvant. La missive a été envoyée aux responsables politiques et économiques locaux. Depuis… plus rien. Contacté par
« Le ­Moniteur », Olivier Loiseau partage désormais son courrier
avec le plus grand nombre, sous la forme d’une lettre ouverte
au président de la République, ­François Hollande. Formulons
le vœu que cet appel, que nous ferons parvenir à l’Elysée, soit
pris en considération et qu’il aide nos dirigeants à mieux comprendre les entrepreneurs du BTP. Dossier réalisé par Jean-Philippe
•
­Defawe et Pierre Pichère (Le Moniteur Entrepreneurs et Installateurs)
➥➥Olivier Loiseau : 54 ans, président de Loiseau Menuiserie-Charpente (5 millions d’euros de CA, 33 salariés), à Chantonnay en Vendée.
JEAN CLAUDE MOSCHETTI/REA/LE MONITEUR
Signe particulier : A repris en 2007 l’entreprise familiale centenaire avec un neveu et une nièce, et se bat aujourd’hui pour la survie de l’entreprise.
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Le Moniteur 15 mai 2015
L’événement
Monsieur le Président,
Avant qu’elle ne disparaisse, je tiens à partager avec vous un petit bout de l’histoire de notre entreprise
familiale Loiseau menuiserie-charpente. Une histoire dans laquelle se reconnaîtront sans doute beaucoup de PME du bâtiment…
Créée par mon grand-père Auguste Loiseau, il y a plus d’un siècle, notre société de menuiserie artisanale
a connu des hauts et des bas au fil des décennies, et elle a toujours su aller de l’avant.
Mais aujourd’hui, il n’est plus possible d’envisager l’avenir sereinement.
En raison de l’effondrement des marchés de la construction, le début d’année 2015 a été marqué par
le licenciement de 4 personnes sur un effectif de 37 salariés, et il faudrait à présent supprimer 5 emplois
supplémentaires. Je ne peux m’y résigner. Mon personnel compte également 9 apprentis. Dans cette situation,
je sais que je ne pourrai pas les accompagner jusqu’à leur examen. Pour moi, c’est un véritable déchirement.
Je pense pourtant n’avoir pas démérité. Dès 1980, j’ai proposé aux salariés le congé de parternité
d’une semaine pour permettre au jeune papa d’être avec sa famille à l’arrivée du bébé… Dès 1996,
j’ai mis en place les 35 heures, avant que la loi nous y oblige. En 2000, j’ai été lauréat d’un concours
national sur la gestion des déchets, le tri et le recyclage. Là encore, bien avant les objectifs et
les obligations du Grenelle de l’environnement. En 2010, nous avons obtenu le label ECO Artisan.
Avec six entreprises des Pays de la Loire spécialisées dans la charpente et l'ossature bois,
j’ai également participé à la création du groupement Axe 303, une structure qui nous a permis de
soumissionner aux appels d'offres d’envergure, auxquels nous ne pouvions pas répondre seuls.
Aujourd’hui, Monsieur le Président, je m’interroge sur le sens des efforts que j’ai pu consentir tout
au long de ma vie professionnelle. Comme la plupart de mes collègues, je subis la crise de plein fouet et
les pouvoirs publics ne me sont d’aucun secours. Les annonces faites par le gouvernement (simplification,
mesures fiscales, réduction des charges) tardent à se concrétiser et de nouvelles menaces se profilent,
comme la réglementation sur la pénibilité…
Ceux qui font les lois n’ont-ils aucune connaissance des réalités ? Savent-ils combien il est difficile
d’appliquer un texte mal conçu ? Et que dire des dépenses colossales engendrées par des lois inefficaces ?
Je vous donne mon point de vue de simple artisan charpentier et menuisier. Je n’ai aucune
compétence politique, mais depuis trente-quatre ans, je suis devenu un « expert » de la survie au milieu
d’avalanches administratives. On nous demande sans cesse des garanties, des assurances, des tonnes
de qualifications, des certifications… Et tout ça pour se retrouver en appel d’offres face à des sociétés
dont l’origine et les pratiques sociales faussent la concurrence, en leur permettant de proposer des prix
toujours plus tirés vers le bas.
Comme tant d’autres, je suis aujourd’hui au bord du gouffre. Personnellement, je n’ai aucune
garantie de l’emploi, je n’ai pas droit au chômage… Mais soyez persuadé, Monsieur le Président, que je
vais tout faire pour sauver l’entreprise qui nourrit ma famille, celles de mes deux associés et de tous mes
compagnons. Mon seul patrimoine, c’est ma maison. Il y a deux ans, je me suis déjà porté caution à titre
personnel pour préserver la société. Avec un salaire mensuel de 2 500 euros/net, je ne dispose d’aucun
capital pour faire face à la situation. Tout mon personnel connaît ma situation. Chez nous, la transparence
a toujours été de rigueur. D’où cette lettre que je me permets de vous adresser. Si faire de la politique,
c’est agir, alors je veux bien participer au redressement de notre économie, mais avec des gens de terrain
et sur les vrais sujets qui concernent le monde de l’entreprise. Je suis prêt à en parler avec vous.
Un artisan abattu mais pas résigné,
Olivier Loiseau
→
15 mai 2015 Le Moniteur
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L’événement
Le blues des artisans du bâtiment
Après douze trimestres consécutifs
dans le rouge, les artisans ne voient
toujours pas le bout du tunnel.
B
onne nouvelle, la situation s’améliore ! Utilisant les mêmes effets de
style que pour commenter les chiffres
du chômage, les économistes évoquent
une « baisse du recul de l’activité ». De
fait, selon la Capeb, au cours du 1er trimestre 2015, le chiffre d’affaires global
de l’artisanat du bâtiment n’a reculé que
de 1 %. Il s’agit donc d’une amélioration
par rapport à 2014 (-2 %) et plus encore
au regard de l’année 2013 (-3 %), mais
c'est encore un recul : le douzième trimestre négatif consécutif. « Les carnets
de commandes qui ne représentent, en
moyenne, plus que soixante-six jours
d’activité, contre soixante-douze jours
début octobre, sont un des points inquiétants », estime Patrick Liébus, président de la Capeb.
Les TPE à bout de souffle. Pour les
très petites entreprises, la situation est
encore plus préoccupante. Selon la Fédération des centres de gestion agréés
(FCGA) qui analyse chaque année les bilans d’entreprises dont l’effectif moyen
est de 2 salariés, la chute de l’activité
est de 7,5 % en 2014. Les TPE, après plusieurs années extrêmement difficiles,
sont à bout de souffle », commente Yves
Marmont, président de la FCGA.
De fait, les petites entreprises, dont
la trésorerie exsangue ne suffit plus à
absorber une crise aussi longue, sont
les principales victimes. « Au premier
trimestre 2015, les défaillances ont progressé de 10 %, et elles montent à 31 %
pour les entreprises de 0 à 5 salariés »,
constate Jacques Chanut, président de
la FFB. « Elles sont les victimes d’une
course aux prix sans limites, alimentée
par les autoentrepreneurs et le travail
détaché », ajoute-t-il.
Pour 2015, la Capeb prévoit une activité globale à -1 % par rapport à 2014, le
neuf enregistrant un triste record (entre
-4 et -3 %) et l’entretien-amélioration un
timide +1 %. « En attendant, le secteur
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Le Moniteur 15 mai 2015
continuera à perdre des emplois, environ 8 000 », présage Patrick ­Liebus.
« Nos entreprises ont besoin d’oxygène,
les charges sont beaucoup trop lourdes
pour elles », ajoute-t-il.
La santé mise à mal. Pour les petites entreprises, l’enjeu actuel est de tenir la tête hors de l’eau, la santé en étant
souvent affectée. Selon le premier baromètre « Artisanté BTP » de l’Institut de
recherche et d’innovation sur la santé
et la sécurité au travail (Iris-ST), la particularité de l’entreprise artisanale réside
dans l’engagement patrimonial et émotionnel de l’artisan dans son activité. Cet
engagement, notamment en termes de
temps de travail (21 % déclarent travailler
plus de soixante heures par ­semaine),
se fait souvent au détriment de la vie
­familiale et sociale. « Dès que je sors du
chantier, je perds de l’argent, alors je
complète mes journées par de l’administratif, chaque soir, jusqu’à 21 heures et le
samedi matin », témoigne Angel Canet,
artisan-peintre, au Pontet (Vaucluse).
La crise joue un rôle de catalyseur
de ce phénomène en renforçant le sentiment d’insécurité (faible visibilité sur
les commandes, difficultés de trésorerie…) et en accentuant les difficultés
liées à la concurrence (multiplication
des demandes de devis, chute des prix,
contraintes de délais…). En dépit de facteurs protecteurs du stress telles leur
passion du métier ou l’autonomie, « plus
de la moitié des artisans déclarent souffrir d’un stress chronique qui met en
danger leur santé mentale et physique ».
C’est le tristement fameux burn out qui
conduit parfois au suicide. En Vendée, à
quelques kilomètres de l’atelier ­d’Olivier
Loiseau, trois artisans ont mis fin à leurs
jours en dix-huit mois. ­Christian Royer,
maçon à Foussais-­Payré, les connaissait
et n’avait pourtant pas vu leur mal-être.
Il veut désormais briser ce tabou. « L’artisan est fier d’avoir créé ou repris son
entreprise, mais lorsque surviennent
des problèmes, il en parle très peu, car il
a peur d’être montré du doigt », explique
l’entrepreneur qui multiplie les rencontres et envisage de créer une association et un site Internet pour que cette
souffrance soit reconnue.
Une relance possible. En attendant,
les artisans se raccrochent à l’espoir que
les récentes mesures gouvernementales (plan Pinel, aide à la rénovation
énergétique…) finiront par se traduire
par une hausse de l’activité du BTP dans
les prochains mois.
•
LANCELOT FREDERIC/SIPA
→
Une manifestation d’artisans en colère, à Toulouse, le 1er décembre 2014.
L’événement
685 396
salariés dans
les petites entreprises
60 % des salariés
du bâtiment travaillent
dans des entreprises
de moins de 20 salariés
(42 % ont moins de 9 salariés et 18 % ont moins
de 19 salariés).
Défaillances des PME (bâtiment et TP) en hausse
16 933
17000
15 791
16000
15000
14000
12000
11000
10 953
2007
Maçonnerie
Carrelage
SOURCE : SIRENE AU 1ER JANVIER 2013
Équipement
Électrique
et Électronique
21%
Peinture
Vitrerie
Revêtements
Charpente
Menuiserie
Agencement
13%
25 %
17 %
14%
Couverture
Plomberie
Chauffage
73 %
2012
2013
2014
2015
CA, par métiers, des entreprises du bâ­timent
(moins de 20 salariés),
en 2014 : 75 Md€
13%
Secteur
public
34%
Entreprises
privées
53%
Particuliers
12 trimestres consécutifs de baisse d’activité
5%
4%
3%
2%
1%
0%
-1%
-2%
-3%
-4%
-5%
-6%
-7%
-8%
1,5 %
0,5 %
-1,5 %
-3 %
-3 %
2015
4T14
3T14
2T14
2014
4T13
3T13
2T13
2013
4T12
3T12
2T12
2012
4T11
3T11
2T11
2011
des 3 120 artisans du BTP
interrogés par Iris-ST
se réservent les tâches
les plus à risques
afin de préserver leurs
salariés. Et parce que
les règles santé/sécurité
ne concernent pas
les chefs d’entreprises.
2011
des artisans
voient leur vie
professionnelle
empiéter
sur leur vie
familiale
et sociale.
Selon l’enquête
conduite par
Iris-ST mi–2014.
Métiers et Techniques
du Plâtre et de l’Isolation
6%
2010
SOURCE : CAPEB -I+C, TAUX DE CROISSANCE PAR RAPPORT
AU MÊME TRIMESTRE DE L’ANNÉE PRÉCÉDENTE
4%
2009
89 %
350 784 entreprises
du bâtiment de moins
de 20 salariés
Serrurerie Métallerie
2008
SOURCE : ESTIMATION CAPEB À PARTIR DES DONNÉES INSEE
10000
(DONNÉES ACCROSS/CAPEB)
SOURCE : BANQUE DE FRANCE
13000
15 mai 2015 Le Moniteur
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