Dossier pédagogique - Les Liaisons dangereuses
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Dossier pédagogique - Les Liaisons dangereuses
Saison 2015-2016 Dossier pédagogique Les liaisons dangereuses De Pierre Choderlos de Laclos Mise en scène Christine Letailleur Dates de représentation : Mercredi 20 janvier 2015 à 19h Jeudi 21 janvier 2015 à 20h30 Vendredi 22 janvier 2015 à 20h30 Durée de la représentation : 2h45 Saad BELLAJ Enseignant missionné Théâtre Ser vice Educatif : Scène Nationale de Sète. Courriel : [email protected] Tél : 06 22 18 08 17 1 Sommaire 1. Avant de voir le spectacle. 1.1 L’élève « spect-acteur » 1.2 Avant de voir le spectacle 2. Les liaisons dangereuses – Christine Letailleur. 2.1 L’auteur e t le metteur en scène. 2.2 L’œuvre et l’hor izon d’attente. 3. Pistes pédagogiques. 3.1. Du roman épistolaire à la pièce de théâtre : 3.2 Les femmes dans Les liaisons dangereuses 3.3 Mouvements et costumes dans la pièce 3.4 Le libertinage : un mouvement littéraire 4. Histoire des arts : une adaptation filmique. 5. Annexe : 5.1. Note de mise en scène. 5.2. Articles de presse . 2 1. Avant de voir le spectacle • L’élève « spect-acteur » Voir un spectacle est un temps fort dans l’année ; c’est l’occasion pour l’enseignant de partager avec sa classe la rencontre d’une œuvre. Les élèves se déplacent à l’extérieur de l’établissement, se retrouvent parmi d’autres personnes dans un lieu public. Un travail en amont sur le savoir être au théâtre pourra éviter à l’enseignant accompagnateur quelques déconvenues et lui permettra d’aborder plus sereinement ce moment de partage avec la classe. Il est possible d’accorder une ou plusieurs séances de cours à la question qu’est-ce qu’un « spect-acteur » ou spectateur accompli ? • L’enseignant peut s’appuyer sur un corpus littéraire varié pour aborder ou approfondir la question du spectateur : • Dario Fo, Le Gai savoir de l’acteur, l’Arche Editeur, 1990. : Le silence requis lors des représentations n’est pas une exigence arbitraire mais bien une composante essentielle du spectacle vivant. • Gustave Flaubert, Madame Bovary, (Chapitre XV) : l’évocation ironique de l’émotion d’Emma devant la représentation de Lucia di Lamermoor. • Marcel Proust, Du Côté de chez Swann, (Chapitre XXVI) : Le narrateur évoque l’attente du spectateur et ce qu’il imagine d’après l’affiche. • Jean-Michel Ribes, Tragédie in Théâtre sans animaux, Actes Sud, 2001 : mise en abyme par une discussion animée entre deux personnages (Jean-Claude et Louise) autour du rôle de Phèdre de Racine. • Agnès Jaoui, Le goût des autres, 2000 : un travail sur les impressions ressenties par le héros (Jean-Jacques Castella) joué par Jean-Pierre Bacri qui en une représentation, découvre à son corps défendant une émotion inattendue devant une comédienne (interprétée par Anne Alvaro) jouant le rôle de Bérénice. Le préambule « être spect-acteur » donne à l’enseignant l’occasion de s’attarder, selon le profil de sa classe, sur les comportements susceptibles de poser problème lors du déplacement au théâtre à fin d’en faire un objet éducatif : retard, agitation, bavardage, téléphone mobile, désire de boire ou manger. Un code de bonne conduite peut être établi avec les élèves sous une forme ludique et orientée par l’enseignant : ce qu’il ne faut pas faire / ce qu’on peut faire. Un carnet de bonne conduite peut être écrit par chaque élève sous la forme d’un abécédaire du jeune spectateur. 3 • Avant de voir le spectacle Il est indispensable de préparer la sortie au spectacle. En effet, ce dernier n’est pas à considérer comme un divertissement, mais comme une œuvre d’art à rencontrer. Il ne s’agit donc pas de le promouvoir, d’affirmer sa réussite ou de chercher à susciter d’avance une adhésion qui risque d’être déçue. En revanche, il faut rendre les élèves conscients que ce qu’ils vont voir est le résultat du travail conjugué de nombreux professionnels qui y ont investi des mois de travail et d’énergie. Ainsi, le travail en amont de la représentation a plusieurs objectifs : • • • • • Préparer les élèves à leur rôle de spectateur. Créer les conditions d’une bonne écoute. Susciter leur curiosité à l’égard du spectacle. Créer des horizons d’attente. Favoriser une optique d’observation curieuse. 2. Les liaisons dangereuses – Christine Letailleur. • L’auteur et le metteur en scène L’objectif de cette partie est double : faire la connaissance de l’auteur de l’œuvre et de la metteuse en scène ; et prendre conscience que la mise en scène est une lecture de l’œuvre. Activités : On pourra demander aux élèves d’effectuer des recherches documentaires. Elles pourront porter sur l’auteur Pierre Chaderlos de Laclos et/ou sur ses œuvres. La restitution de ces recherches pourra se faire à l’oral (sous la forme d’exposés) ou bien à l’écrit (affiches, panneaux à exposer…) Les sites proposés ci-dessous peuvent être une aide utile. http://www.alalettre.com/laclos-bio.php http://www.espacefrancais.com/pierre-choderlos-de-laclos/ • Les élèves peuvent également découvrir le rôle du metteur en scène en la personne de Christine Letailleur avec son parcours, ses multiples mises en scène et des vidéos… Voir le lien : http://www.lesarchivesduspectacle.net/?IDX_Personne=2606 4 • L’œuvre et l’horizon d’attente : Une sensibilisation des élèves au contenu de la pièce peut se faire de différentes manières : lectures d’extraits, observation et analyse des affiches, articles de presse1 … l’objectif de cette phase est de développer l’ « horizon d’attente » des élèves. Reportage de France 3 : http://culturebox.francetvinfo.fr/scenes/theatre/dominique-blancet-vincent-perez-jouent-des-liaisons-dangereuses-diaboliques-230193 Les élèves peuvent découvrir la pièce à travers les photographies présentées sur le site de la Scène Nationale de Sète (http://www.theatredesete.com/spectacle/les-liaisons-dangereuses ) 3. Pistes pédagogiques 3.1. Du roman épistolaire à la pièce de théâtre : Le respect du texte de Laclos Considérant la pièce davantage comme une adaptation que comme une réécriture, Christine Letailleur s'est efforcée de respecter le texte originel et de s'adapter à la vision de Laclos. Son texte suit donc le mouvement de la fable dans un souci de clarté et reprend fidèlement certains passages et expressions du roman. Reste ensuite à confronter l'adaptation à l'épreuve du jeu : certaines formules sont ainsi modifiées, allégées pour apporter plus de fluidité et de naturel à l'interprétation. « J’aime ciseler le texte au plateau »2 explique Christine Letailleur pour évoquer cette perpétuelle remise en question du texte. Un roman fortement influencé par le théâtre - Laclos a lui-même adapté pour la scène un autre roman épistolaire (adaptation sans succès du roman de madame Riccoboni (1713-1792), Ernestine (1765) en opéra comique), et il est l'auteur d'un texte de critique littéraire sur le roman théâtral. Il est donc amateur de théâtre et la dynamique du récit des liaisons dangereuses en garde la trace. - La structure du roman rappelle celle du drame : le récit des agissements de ces deux libertins dont le but est de causer la perte des personnes qui les entourent fournit une structure particulièrement dramatique. De nombreuses anecdotes et rebondissements émaillent l'intrigue. Par ailleurs, la dernière partie du roman condense les mécanismes du piège tragique comme une tragédie resserre la crise au moment où, toutes les forces étant posées, le 1 Voir les articles de presse parus dans France TV info, Le Point et Médiapart en Annexe. 2 Voir la note de mise en scène en Annexe. 5 dénouement n'a plus qu'à s'accomplir seul. Ces forces sont ici celles de l'orgueil. Elles opposent Valmont et Mme de Merteuil dans une lutte implacable pour affirmer la liberté de celle-ci. - Les deux protagonistes Valmont et Merteuil, par leur duplicité et leur habileté dans l'art de la comédie, sont souvent plus proches d'acteurs que de personnages romanesques. Les masques qu'ils revêtent, l'art de la manipulation dans lequel ils excellent, les rapprochent tantôt de l'acteur, tantôt du metteur en scène : ils sont l'illustration d'un monde où, comme au théâtre, les faux-semblants sont légion. - Certains personnages peuvent être rapprochés de figures classiques du théâtre. Le chasseur que l'adaptation des Liaisons dangereuses conserve, peut ainsi être apparenté au valet de comédie, personnage pittoresque par son parler populaire et sa spontanéité, il est le confident de Valmont et l'aide dans ses entreprises. Il apparaît comme le Sganarelle de Dom Juan qui aurait perdu ses scrupules et aurait cessé de voir dans son maître « un vrai Sardanapale ». - Les lettres du roman de Laclos fonctionnent parfois comme des didascalies, donnant à voir le contexte d'écriture. Par exemple, la célèbre lettre où Valmont décrit à la présidente la situation où il est en lui écrivant, et où le lecteur sait grâce à la lettre précédente qu'elle est écrite « du lit et presque d'entre les bras d'une fille ». La lettre, dans la mise en scène, n'est d'ailleurs pas évacuée : objet scénique, lue, déchirée, évoquée elle apparaît comme le témoin du texte originel. Activités proposées : On pourra proposer aux élèves de confronter certaines lettres du texte de Laclos à l'adaptation du texte de Letailleur. On leur fera remarquer comment les récits interposés deviennent dialogues, s'interroger sur le choix ou de conserver ou d'abandonner tel fait ou telle réplique Les élèves pourront penser et mettre en scène leur propre adaptation de scènes clefs des Liaisons Dangereuses, en transcrivant au préalable répliques et didascalies. 3.2. Les femmes dans Les liaisons dangereuses : L'observation de la liste des personnages permet de constater le nombre dominant de personnages féminins (7 pour seulement 4 rôles masculins). C'est le point de vue de la femme qui est privilégié par Christine Letailleur. L'adaptation des Liaisons dangereuses permet de poursuivre le traitement des passions et désirs féminins déjà amorcé dans Phèdre ou dans La philosophie dans le boudoir. 6 La critique de la condition féminine est déjà présente dans l'oeuvre de Laclos. De la jeune Cécile de Volanges à Madame de Rosemonde, les différents âges de la femme sont incarnés et leurs difficultés sont pointées. Est critiquée en particulier l'éducation que reçoivent les femmes de l'aristocratie au couvent et qui ne les prépare en rien à affronter le monde et ses hypocrisies. L'ingénue Cécile et la présidente Tourvel sont les victimes désignées de cet enseignement qui entretient les femmes dans l'ignorance du monde et la négation de leur sensualité. Laclos, un an après l'écriture des Liaisons dangereuses, rédige le Traité sur l'éducation des femmes dans lequel il enjoint les femmes de s'insurger contre le statut d'esclave que la société leur attribue. La marquise de Merteuil est la figure centrale de la pièce, personnage « fascinant» selon Christine Letailleur. Baudelaire voyait également en elle le personnage fort du roman « Tartuffe femelle, tartuffe de mœurs, Tartuffe du XVIIIe siècle. Toujours supérieure à Valmont, et elle le prouve ». Ayant su se forger elle-même une éducation à la dissimulation, elle maîtrise les codes de la société et les utilise à son profit. Activités proposées : On pourrait, pour évoquer la condition de la femme dans la pièce et son évolution dans la littérature, proposer une comparaison entre le personnage de Cécile et celui de Camille dans On ne badine pas avec l'amour d'Alfred de Musset. Toutes deux sorties du couvent en vue d'un mariage imminent, elles sont confrontées à leur ignorance et découvrent à leur dépens la duplicité et les codes amoureux qu'elles ne comprennent pas. Déçues ou trompées, elles retrouvent toutes deux le chemin du couvent à la fin de la pièce. On peut proposer aux élèves de créer un dialogue théâtral mettant en scène la rencontre de Cécile et de Camille et la confrontation de leurs points de vue sur l'amour et le monde. La scène pourra ensuite être jouée. 3.3 Mouvements et costumes dans la pièce : L'adaptation de Christine Letailleur est divisée en trois parties : Eté, automne, hiver. Le changement des saisons correspond à l'avancée temporelle de l'intrigue mais peut également être analysé comme la représentation symbolique de la chute progressive du couple libertin incarné par Valmont et Merteuil. Dans la mise en scène, le passage du temps est rendu sensible par les changements de tenues des personnages. Tous sont en costumes d’époque. Les coupes, les matières et les couleurs 7 illustrent également les caractères des personnages: Les couleurs pastel des tenues de la présidente contrastent ainsi avec les robes plus flamboyantes de La marquise de Merteuil. La mode vestimentaire du XVIIIème siècle. Les hommes avaient les cheveux relevés devant, en toupet, frisés sur le côté, longs derrière, serrés en catogan. Ils portaient une chemise, un gilet à manches longues, un habit à la française échancré sur le devant et souvent par dessus, une sorte de cape-manteau. Ils s’habillaient aussi d’une culotte dite « à la bavaroise » arrêtée au genou. Culotte et bas étaient serrés par des jarretières à boucles ; sous la culotte, ils portaient un caleçon de toile. Les femmes portaient des nœuds bouffants autour du cou et des rubans dans les cheveux. La robe, fendue jusqu’à la taille, s’écartait pour laisser voir la jupe, parfois de couleur différente. Les pans de la robe pouvaient être repoussés, et grâce à des fentes ménagées dans la jupe, enfoncés dans des poches. Manches et jupons étaient fixés à un corps à baleines (corset) très serré et lacé dans le dos. Sous ce corps à baleines, les femmes portaient une longue chemise, mais aucun sous-vêtement. Des bas étaient maintenus au-dessus du genou par une jarretière. Activités proposées : Une étude des tableaux suivants pourrait révéler aux élèves les détails de la tenue vestimentaire au 18éme siècle : Fragonard, Les Hasards heureux de l’escarpolette, 1767, Le Verrou, 1776. Watteau, L’Embarquement pour Cythère, 1718. Les élèves pourront choisir les tenues qui, selon eux, conviendraient le mieux aux rôles principaux, en argumentant sur leurs choix (réf Objet d’étude : Genre et formes de l’argumentation en classe de 2de) Les rôles féminins (la naïve et sensuelle Cécile, la pure Tourvel, La Merteuil) pourront faire l'objet d'une présentation particulière, mettant en avant l'adéquation de leur tenue et de leur caractère ou attitude. 3.4. Le libertinage : un mouvement littéraire : Le libertinage apparaît aux 16ème et 17ème siècles et revêt un sens négatif : « libertin » se met à désigner, dans le contexte des guerres de religion, ceux qui s’éloignent de la vraie religion et adoptent une attitude générale de distance par rapport au dogme. La stratégie de l'église romaine pour mieux confondre les libertins consiste alors à confondre l’hétérodoxie philosophique et la licence sexuelle. Les dictionnaires de l’âge classique assimilent donc le mot « libertin » à l’impie et au débauché, même s’ils concèdent un emploi anodin et mondain du mot : « un honnête libertin » est celui qui s’accorde plaisirs et divertissements. 8 Au 17ème Théophile de Viau, le chef de file des libertins parisiens est condamné à « être brûlé vif comme aussi ses livres brûlés ». Les libertins sont alors poursuivis comme sorciers et condamnés au feu. A cette époque, on distingue le libertinage de moeurs qui concerne surtout de grands aristocrates, que leur statut social met au-dessus des lois et qui blasphèment, ne respectent pas le carême, affectionnent les parties de débauche. Le Dom Juan de Molière symbolise ce libertinage de moeurs. Existe aussi un libertinage érudit qui constitue lui un mouvement de pensée et une attitude fondée sur la sociabilité intellectuelle et l’émancipation des dogmes. Ce libertinage montre la place de la superstition et l’influence du milieu dans les croyances de tous les hommes ; il condamne donc toute forme d’intolérance et de fanatisme et prône la nécessité de l’esprit critique. Le libertinage érudit s’achève dans la naissance de la philosophie des Lumières au XVIIIème siècle, qui oeuvre au grand jour pour la diffusion de l'instruction, de l'esprit critique et fait le pari de l’éducation et du progrès. Activités proposées : Les élèves peuvent découvrir l’évolution du libertinage dans la littérature à travers l’étude d’un groupement de textes : Nicolas Vauquelin, Sonnet, (1641) Molière, Dom Juan, Acte I, scène 2 (1682) Sade, La Philosophie dans le boudoir (1795) 4. Histoire des arts. Rapprochement avec l'adaptation filmique Les Liaisons dangereuses de Stephen Frears (1988). Avec John Malkovitch dans le rôle de Valmont et Glenn Close dans le rôle de la Marquise de Merteuil. Deux séquences peuvent être proposées : 9 La séquence d'ouverture La mise en scène de la séquence d'ouverture repose sur une grande théâtralité. L'intention d'une telle mise en scène est tout d'abord de rejoindre l'esthétique théâtrale du roman de Choderlos de Laclos qui utilise le théâtre comme référence et métaphore récurrentes. La mise en scène théâtrale qui orchestre la toilette et l'habillage de Mme de Merteuil ainsi que le lever et la préparation de Valmont, dresse le portrait des deux personnages principaux. La séquence les fait passer de leur sphère intime où régnaient précédemment la passion et le libertinage, à l'espace social qui ne doit être que mesure et dissimulation. Le ballet parfait des servantes et des valets qui évoluent autour d'eux vient pondérer les excès de la nuit tandis que la partition baroque qui rythme les plans leur confère une tonalité pleine de mesure. La passivité, l'air supérieur et le faste qui entourent Mme de Merteuil et Valmont révèlent leur rang élevé mais leur immobilité rappelle aussi celle des grands prédateurs dont l'économie de mouvement va de pair avec une excessive violence. Quand, à la fin de la séquence, Mme de Merteuil et Valmont, tels deux comédiens prêts à entrer en scène, s'avancent au devant du plan pour prendre la pose, leur gestuelle traduit alors parfaitement leur duplicité et annonce leurs manigances. Ils incarnent les deux faces d'un même prédateur: l'une se dresse, immobile, prête à bondir à la face du monde qui, injustement, l'a faite femme tandis que l'autre opère une sortie de champ selon un mouvement latéral glissant qui révèle son caractère nuisible. Cette puissance destructrice qu'ils retiennent encore atteint son point d'orgue dans le regard-caméra dont ils gratifient tous deux le spectateur. Cette remise en question du pacte de la fiction et de la représentation exprime le pouvoir sans limite qu'ils useront sur les autres. La séquence finale Le glissement de la séquence d'ouverture à la séquence de clôture engage par ailleurs une réflexion sur l'image et l'apparence. La question de la représentation se pose dès le premier plan où le visage de Mme de Merteuil de dos se reflète et nous apparaît dans le miroir où elle se contemple. Entre cette représentation faussée du personnage et l'épure du plan final où, face caméra et plein cadre, Mme de Merteuil se montre sans fard, c'est la quête de vérité du film qui apparaît. Le film passe ainsi du masque – emblème du mensonge et de la dissimulation qui obsède l'oeuvre – au visage enfin révélé de cette femme irrémédiablement bannie du monde de faux-semblants dont elle fut souveraine. Activités proposées On pourra faire lire aux élèves la scène finale du revers public de La Merteuil dans la version de Christine Letailleur. On leur montrera ensuite deux scènes de l'adaptation filmique de Stephen Frears : la scène d'ouverture (qui montre 10 Valmont et Merteuil préparant leur entrée dans le monde et dans le film) et la scène conclusive (qui montre Merteuil à l'opéra jusqu'à la fin). On leur demandera de montrer d'une part la théâtralité de l'adaptation filmique. D'autre part d'étudier le jeu de masques proposé par Stephen Frears. 5. ANNEXE : 5.1. Note de mise en scène Je souhaite, par le travail d’adaptation et de mise en scène, faire ressortir la théâtralité inhérente a l’œuvre. Bien que Les Liaisons dangereuses soient un roman épistolaire, compose en 175 lettres, l’œuvre est contaminée par le théâtre. Dès le début, les protagonistes nous sont présentés ainsi que les différents enjeux ; le cours des évènements suit une réelle progression digne d’une pièce de théâtre et avance à un rythme haletant, créant un suspens qui nous maintient en haleine jusqu’au bout. L’oeuvre se clôt de manière forte, inattendue, faite de rebonds et aboutit à une réelle fin dramatique. L’intrigue est astucieuse et très bien agencée. Construite en contrepoint, avec des parallélismes de situations, elle comprend, également, les récits des aventures libertines de Valmont et Merteuil mais aussi le récit de leur combat – combat qui nous apparait d’abord sous la forme d’un jeu de séduction et qui, peu à peu, se révèle être celui d’une rivalité destructrice. Quant aux personnages, loin d’être des figures froides et désincarnées, ils endossent la carrure de personnages dramatiques : chacun a son caractère, son propre langage et son propre style. Ainsi, les libertins ont un style qui varie en fonction de leurs interlocuteurs. On remarquera que Valmont ne s’adresse pas de la même manière à Cécile, à Mme de Tourvel ou à la marquise de Merteuil. Lorsqu’il s’adresse à son chasseur, personnage populaire charge d’épier Mme de Tourvel, il sait adopter un langage familier… On pourrait classer les personnages comme suit : les libertins, incarnés par Valmont et Merteuil ; les manipulés et victimes représentés par Cecile, Mme de Tourvel et Danceny ; les témoins directs de l’histoire étant Mme de Volanges et Mme de Rosemonde. Pour l’adaptation, j’ai choisi de suivre la fable en sa totalité, dans sa chronologie. Je travaillerai sur ses quatre parties en prenant en compte, les mouvements, les parallélismes de situations, les accélérations, les ressorts dramaturgiques et tout ce qui contribue à l’élaboration de l’action. Je garderai, bien évidemment, les deux acteurs principaux du drame : le couple Merteuil- Valmont, ainsi que les personnages indispensables au récit : Cécile, Tourvel, Danceny, et des figures secondaires comme Mme de Volanges et Mme de 11 Rosemonde qui apportent leur touche et nous révèlent le dénouement de l’histoire. Le chasseur est également un personnage secondaire que je garderai car il nous éclaire sur la mentalité de Valmont. Par ailleurs, il est assez drôle de voir dialoguer Valmont dans un langage familier avec lui. Les personnages secondaires, les petites scènes courtes et enlevées, comme la scène de Valmont et de la courtisane, les promenades de Tourvel et Rosemonde etc. créent du rythme, apportent des respirations et redynamisent l’action afin de mieux nous replonger, ensuite, dans la cérébralité du texte. Je travaillerai bien évidemment sur la langue du XVIIIème siècle. La langue est, ici, la sève même de l’œuvre. Les jeux de mots, les sous-entendus, les métaphores, les exagérations du langage, les points d’exclamations, etc. sont un réel plaisir, un divertissement de l’esprit. Je souhaite, en restant au plus proche de l’œuvre, en restaurer l’âme, tout en créant des scènes, des dialogues, des monologues et des tirades. Je souhaite, dans la mise en scène, garder trace des lettres. Elles sont le véritable matériau dramaturgique, elles stimulent l’action, l’engendrent. Elles sont, à la fois, une arme mais aussi celles qui dévoilent, nous renseignent sur la psychologie des personnages, leurs tactiques etc. Ainsi, des lettres circuleront, s’échangeront a vue, en cachette ; une lettre sera dérobée, une autre dictée, recopiée ou encore embrassée, jetée, déchirée… Les acteurs seront en costumes d’époque afin de replonger le spectateur dans l’univers historique et social auquel appartiennent Les Liaisons dangereuses : celui de l’aristocratie de la fin du XVIIIème siècle juste avant la Révolution. L’ouvrage de Laclos reflète les habitudes et la mentalité de cette noblesse. Les costumes (couleurs, formes, lignes) seront étudiés et travaillés en fonction des personnages ; ainsi, par exemple, Mme de Tourvel et Cécile porteront des couleurs dans les tons pastels, plus pales, plus discrets, que ceux des libertins… Les personnages évolueront dans un décor simple et dépouillé mais conçu selon une certaine géométrie qui permettra de mettre en scène plusieurs espaces (salon, boudoir, jardin...) dans un seul, d’avoir, également, une rapidité de circulation et de disparitions d’acteurs. Le décor sera doté de trois murs (un mur a cour, un a jardin et un au fond) et muni d’un étage, plus exactement, d’un balcon, sorte de corridor, qui permettra un jeu d’acteurs et des circulations sur deux niveaux, des tableaux simultanés… A cour et jardin, les balcons auront chacun un escalier afin qu’un acteur au premier étage puisse descendre, directement au plateau. Le mur du fond, sur ses deux niveaux, comportera des fenêtres (ouvertures dans les murs) pour créer du hors champs. Il y aura aussi des portes (ouvertures dans les murs) au premier étage et au plateau. Christine Letailleur 12 5.2. Articles de presse. France TV info - 1 er novembre 2015 A Rennes, Les Liaisons dangereuses ouvrent le festival Mettre en Scène L’artiste associée au Théâtre National de Bretagne Christine Letailleur ouvre le festival Mettre en Scène avec Les Liaisons dangereuses. Une œuvre libertine majeure portée par Dominique Blanc et Vincent Perez. © F3 Dominique Blanc et Vincent Perez en aristocrates libertins et pervers Les Liaisons dangereuses, c’est d’abord un texte majeur de la littérature française, écrit en 1780. Porté plusieurs fois à l’écran, il retrace les manipulations amoureuses et les perfidies de deux aristocrates libertins. “Chez le libertin, tout est dans l’art du langage ; Valmont et Merteuil se plaisent à se mettre en scène dans leurs récits, à se raconter leurs exploits, à s’écouter” écrit Christine Letailleur dans sa présentation. Le texte de Pierre Choderlos de Laclos, qui “fait de l’amour un champ de bataille”, est magnifiquement mis en valeur par Dominique Blanc et Vincent Perez. Les liaisons dangereuses à Mettre en Scène Les liaisons dangereuses mis en scène et adapté par Christine Letailleur artiste associée au TNB dans le cadre du festival "Mettre en scène" du 3 novembre au 9 décembre. Stéphane Grammont 13 5 novembre 2015 Les monstres des "Liaisons dangereuses" lâchent leur haine dévorante au théâtre Transposées au théâtre, Les Liaisons dangereuses offrent à Dominique Blanc et Vincent Pérez deux rôles de monstres "jouissifs" et "fascinants"... et aussi l'occasion de mener un combat féministe qui reste d'actualité trois siècles plus tard. En près de trois heures sans entracte, la pièce tirée du roman de Pierre Choderlos de Laclos (1741-1803) a fait un triomphe mardi à Rennes où se déroulait la première. La pièce y sera jouée jusqu'au 14 novembre avant une tournée dans toute la France jusqu'à fin mars, avec des arrêts à Paris au Théâtre de la Ville du 2 au 18 mars, ainsi qu'en Belgique et en Italie. Dominique Blanc y campe une Mme de Merteuil fascinante de froideur et de cruauté à mesure qu'elle tisse sa vengeance amoureuse en manipulant son cher vicomte de Valmont (Vincent Pérez), même si cela doit coûter l'honneur et la vie aux âmes faibles écrasées sur leur passage. "Mme de Merteuil, c'est une guerrière, une meurtrière", explique Dominique Blanc à l'AFP, au lendemain de sa longue prestation sur les planches du Théâtre national de Bretagne (TNB). "J'éprouve pour elle de l'horreur mais aussi de l'admiration. C'est quelqu'un qui invente sa propre liberté même si elle va s'y brûler les ailes. C'est pour cela que le personnage est fascinant à incarner", témoigne la comédienne, qui, à 59 ans, doit rejoindre l'an prochain la troupe de la Comédie française. Quant à Vincent Pérez, qui met du bouffon dans son Valmont, il savoure le côté "jouissif" de l'œuvre, y compris dans son moment le plus cruel, sa rupture avec la malheureuse Mme de Tourvel. "C'est un moment terriblement brutal, animal même, mais il y a de la jouissance dedans", observe le comédien suisse. La transposition du roman en pièce de théâtre est l'œuvre de la metteuse en scène Christine Letailleur, qui a travaillé un an sur l'adaptation. "On ne sait pas pourquoi mais on les aime ces deux-là, les deux monstres", avoue-t-elle. "Madame de Merteuil, je la défends. Elle s'est battue pour sa liberté, c'est une féministe. On peut dire que c'est un monstre, qu'elle manipule tout le monde, c'est vrai, mais j'aime cette femme battante", confesse-t-elle. "Elle a su pervertir les codes de son époque en utilisant l'hypocrisie et la dissimulation. Elle manipule des jeunes gens pour assouvir sa vengeance, ce n'est pas reluisant. Mais ce qui m'intéresse, ce n'est pas de juger un personnage, c'est de voir ses limites, ses contradictions", ajoute Mme Letailleur, qui fait évoluer ses acteurs dans un décor épuré où seuls les costumes rappellent que l'action se déroule au XVIIIe siècle. Mais pour elle, le message féministe de Choderlos de Laclos, qui n'avait lui-même rien d'un libertin, est toujours d'actualité, même s'il a été publié sept ans avant la Révolution. "Mme de Merteuil pose la question de l'égalité entre hommes et femmes et ça reste d'actualité: un homme de 60 ans qui courtise une femme de 20 ans est mieux accepté qu'une femme de 45 ans qui s'intéresse à un homme qui a vingt ans de moins qu'elle. Il reste des progrès à faire", remarque-t-elle. Vincent Pérez voit lui aussi un lien avec notre époque dans le souci de la "réputation" qui obsède les personnages de Choderlos de Laclos. "Les jeux de manipulation qu'on peut faire à travers les mails ou les textos, comment on travaille son image sur les réseaux sociaux, tout cela ressemble beaucoup au XVIIIe siècle", observe-t-il. A 51 ans, Vincent Pérez, qui n'était guère monté sur les planches depuis le début de sa carrière, confie qu'il avait à la fois "peur et follement envie" de refaire du théâtre. "C'est un moment important dans ma vie : je redécouvre pourquoi je voulais faire ce métier d'acteur", confie-t-il. Patrick BAERT 14 7 novembre 2015 Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos, Théâtre national de Bretagne à Rennes Les Liaisons dangereuses © Brigitte Enguérand Admirable Dominique Blanc Adapter et mettre en scène un roman, et qui plus est un roman épistolaire, n’est pas une entreprise aisée. Avec Choderlos de Laclos, Christine Letailleur a, sans aucun doute, réussi son nouveau pari. Pour son retour au XVIIIe siècle, après sa superbe Philosophie dans le boudoir de Sade (2007), Christine Letailleur a choisi les Liaisons dangereuses. Ce texte de Choderlos de Laclos publié en 1782, elle en fait le support d’un combat féministe avant l’heure. Selon elle, la marquise de Merteuil est « une intellectuelle, une femme autodidacte, engagée, qui combat pour sa liberté ; très jeune, elle a compris que pour vivre sa sensualité et sa sexualité, à l’égal de l’homme, elle devait détourner, pervertir les codes de sa société par la dissimulation et la feinte ». Toute son adaptation est construite à l’aune de ce parti pris. Christine Letailleur a des arguments pour avoir fait ce choix puisque Mme de Merteuil se dit elle-même « née pour venger [son] sexe » (lettre LXXXI). Ainsi envisagée, l’œuvre n’est donc pas trahie, elle n’en perd pas moins en épaisseur. Ce qui est, me semble-t-il, une réussite, c’est le rythme de la pièce qui fait alterner la confrontation physique des personnages et la lecture de lettres. Le texte est donc complètement théâtralisé. Le dispositif scénique y contribue malgré une austérité apparente. Les acteurs se tiennent soit sur le plateau, soit dans une architecture surélevée, avec des sortes de loges auxquelles on accède par un large escalier. Des éclairages fort subtils dévoilent ou cachent telle ou telle partie concourant ainsi à structurer l’espace et le temps. La question de la langue se pose évidemment. À titre personnel, je regrette que Christine Letailleur n’ait pas choisi de nous faire entendre plus souvent celle de Laclos. La modernisation me paraît parfois excessive. Mais il faut bien convenir que cela ne nuit pas à la perception des enjeux ni des conflits. Une oie blanche vite déniaisée Parmi les interprètes, il faut distinguer Fanny Blondeau (Cécile de Volanges) qui campe avec bonheur une oie blanche vite déniaisée, pour son malheur. Julie Duchaussoy est une présidente de Tourvel touchante dans son combat pour résister à l’amour que réussit à lui inspirer Valmont et tout à fait émouvante quand il la quitte après l’avoir déshonorée. Vincent Pérez est bien le vicomte de Valmont roué et libertin que dépeint Laclos. Pour autant, je n’ai pas totalement adhéré à son interprétation. Il lui arrive de déclamer, dans une sorte de prise de distance avec le personnage. Son Valmont manque de complexité. Chose qu’on ne peut reprocher à Dominique Blanc (Mme de Merteuil). Son jeu est un régal continu : nuances infinies de la voix, silences éloquents, déplacements et gestes qui suggèrent sans jamais imposer. Du grand art et une grande dame, assurément ! On réclame beaucoup à ceux qu’on aime beaucoup. Peut-être mes quelques réserves sur les Liaisons dangereuses adaptées par Christine Letailleur sont-elles trop pointilleuses. Jamais je ne me suis ennuyé pendant cette représentation qui dure plus de deux heures. Une fois plus, la metteuse en scène s’est affrontée à un texte exigeant et a réussi en faire un véritable objet théâtral. Les longues ovations du public témoignent qu’elle a su toucher le plus grand nombre. ¶ Jean-François Picaut 15