Dossier pédagogique

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création
Les Liaisons
Dangereuses
de
Pierre Choderlos de Laclos
adaptation et mise en scène
Christine Letailleur
© RMN - Grand Palais (musée du Louvre) - Daniel Arnaudet
Du 3 au 14 novembre 2015
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Sommaire
Sommaire ................................................................................................................................... 1
Distribution ................................................................................................................................. 2
Présentation ............................................................................................................................... 3
1. L’œuvre............................................................................................................................ 3
2. La pièce ............................................................................................................................ 5
Pistes pédagogiques ................................................................................................................... 9
1. Du roman épistolaire à la pièce de théâtre ........................................................................ 9
2. Les femmes dans Les Liaisons dangereuses ..................................................................... 10
3. Une pièce, 3 mouvements, 3 tenues............................................................................. 11
Ressources pédagogiques ........................................................................................................ 13
1. Histoire des arts : Le cinéma ......................................................................................... 13
2. Histoire des arts : un mouvement littéraire, le libertinage .......................................... 14
3. Histoire des arts : Un peintre, Fragonard (1732-1806) ................................................. 15
1. Extrait de l'adaptation des Liaisons dangereuses par Christine Letailleur ................... 17
2. Corpus de textes sur le libertinage ............................................................................... 20
3. Evolution du personnage de Cécile de Volanges .......................................................... 22
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Les Liaisons Dangereuses
TNB
Distribution
Les Liaisons dangereuses
de Pierre Choderlos de Laclos
Adaptation et mise en scène : Christine Letailleur
Avec :
Dominique Blanc - Mme de Merteuil
Vincent Pérez - Valmont
Fanny Blondeau - Cécile de Volanges
Stéphanie Cosserat - Une courtisane
Julie Duchaussoy - Mme de Tourvel
Manuel Garcie-Kilian - Danceny
Guy Prévost- Le curé
Karen Rencurel - Mme de Rosemonde
Richard Sammut - Le chasseur
Véronique Willemaers - Mme de Volanges
Scénographie : Emmanuel Clolus, Christine Letailleur
Lumières : Philippe Berthomé, en collaboration avec Stéphane Colin
Costumes : Thibaut Welchlin
Son : Manu Léonard
Assistante à la mise en scène : Stéphanie Cosserat
Christine Letailleur est artiste associée au Théâtre National de Bretagne – Rennes
Production déléguée : Théâtre National de Bretagne – Rennes
Coproduction : Fabrik Théâtre / Compagnie Christine Letailleur ; Théâtre de la Ville – Paris ;
Théâtre National de Strasbourg ; Prospero (Théâtre National de Bretagne/Rennes, Théâtre de
Liège, Emilia Romagna Teatro Fondazione, Schaubühne am Lehniner Platz, Göteborgs
Stadsteatern, Théâtre National de Croatie/World Theatre Festival Zagreb, Festival d'Athènes
et d'Epidaure)
Durée estimée : 2h45 environ
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Les Liaisons Dangereuses
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Présentation
1. L’œuvre
Résumé de l'œuvre - Les Liaisons dangereuses 1
La marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont se jouent de la société pudibonde et
privilégiée dans laquelle ils vivent. Se livrant à la débauche, ils ne cessent, tout au long du
livre, de se narrer leurs exploits au travers des lettres qu’ils s’envoient – car ils ne se
fréquentent pas ouvertement – et qui constituent le corps de l’intrigue. Mais, pour rivaux
qu’ils soient, ils n’en sont pas pour autant à égalité. Le vicomte de Valmont est un homme et,
à ce titre, il peut se montrer un libertin flamboyant au grand jour et sans retenue. Les lettres
qu’il écrit à la marquise de Merteuil ne sont que le récit triomphant de ses aventures.
Il n’en va pas de même pour cette dernière. Si elle se doit de rivaliser avec le vicomte sur le
terrain des aventures d’alcôve, la marquise de Merteuil, de plus, est contrainte à la
dissimulation. Son statut social (elle est marquise), matrimonial (elle est veuve) et son sexe
(elle est une femme dans un monde dominé par les hommes) l’obligent à la duplicité et à la
tromperie. Si le vicomte use aussi de ces armes, ce n’est que pour séduire puis pour perdre, en
les déshonorant, les femmes dont il fait la conquête. Il ne fait que prendre un chemin aisé qui
ne transgresse que la morale de son époque.
Pour être son égale, la marquise de Merteuil doit, en plus, réussir à s’extraire du rôle qui lui
est dévolu. Elle a déclaré la guerre aux hommes et, se voulant « née pour venger [son] sexe »
(lettre LXXXI), elle utilise toute son intelligence pour conserver son indépendance, ses
amants et sa réputation. Toute la force du roman réside dans la double narration de ces deux
intrigues entremêlées. Le récit de leurs aventures libertines respectives, de leurs stratégies et
de leurs péripéties mais aussi le combat qu’ils se livrent l’un contre l’autre. Un combat qui
apparaît tout d’abord comme un jeu de séduction pour ensuite se transformer en rivalité
destructrice. En définitive, les deux combattants se prendront mutuellement ce qu’ils ont de
plus précieux. Le vicomte mourra en duel après avoir succombé à l’amour de Madame de
Tourvel dont il aura pourtant causé la perte. Le brillant libertin agonisera en amoureux
désespéré d’avoir détruit celle qu’il aimait. La marquise de Merteuil perdra sa réputation, que
toute sa vie elle s’était attachée à préserver, sa fortune, en perdant un procès et sa féminité
qu’une petite vérole flétrira en la défigurant.
L'auteur : Choderlos de Laclos
Pierre-Ambroise-François Choderlos de Laclos est né le 18 octobre 1741, dans une famille de
petite noblesse, à Amiens. Bon élève, il se destine, dès l’âge de 18 ans, à une carrière
militaire. Il est élève à l’Ecole d’artillerie de La Fère (ancêtre de l’Ecole polytechnique) puis
intègre le Corps royal d’artillerie. Promu lieutenant à 21 ans, le jeune Choderlos de Laclos
rêve de conquêtes et de gloire. Il s’engage à la Brigade des Colonies afin de mener des
expéditions en outre-mer mais, en 1763, le traité de Paris met fin à la guerre de Sept ans. Ses
espoirs de combats et d’aventures sont ruinés.
S’ensuit une longue période de paix durant laquelle il mène une vie monotone en tant
qu’officier de garnisons : il fait des manœuvres et inspecte des fortifications à Toul,
1
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Liaisons_dangereuses
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Strasbourg, Grenoble, Besançon, Valence.
En 1778, il obtient le grade de capitaine en second de sapeurs : il est responsable de la
construction des infrastructures nécessaires aux armées de combat. En 1779, la France rentre à
nouveau en guerre contre l’Angleterre, il est envoyé à l’île d’Aix, près de la Rochelle afin de
travailler à la construction et à l’armement d’un fort ; c’est là qu’il commence « Les Liaisons
dangereuses ». En septembre 1781, il demande un congé, part pour Paris, termine son roman,
qui paraît au printemps 1782 ; il remporte immédiatement un large succès et fait scandale.
En mai 1782, il regagne l’île d’Aix, fait la connaissance de Marie Soulange Duperré dont il a
d’abord un fils et qu’il épousera quatre ans plus tard.
En 1788, Laclos entre au service du duc d’Orléans, hostile au régime et fervent défenseur
d’une constitution à l’anglaise ; il devient son secrétaire, rédige ses discours et l’assiste dans
ses diverses tentatives pour assurer la Régence. En 1789, il suit le duc d’Orléans, exilé en
Angleterre, puis, revient, un an plus tard, en France ; il devient membre du Club des Jacobins
et rédige Le journal des amis de la Constitution dans lequel il revendique une monarchie
constitutionnelle avec des ministres élus démocratiquement et une place pour les hommes de
mérite contre le privilège de la naissance. Par deux fois, et à cause de ses relations avec le duc
d’Orléans, il est emprisonné. Il échappe in extremis à la guillotine.
En 1799, Laclos appuie le coup d’Etat du 18 Brumaire qui permet au général Bonaparte de
devenir 1er Consul et réintègre l’armée. En 1802, Bonaparte le fait servir avec le grade
d’inspecteur général d’artillerie dans l’armée du Rhin, puis, en Italie. Il se fait remarquer pour
l’invention d’un nouveau modèle d’obus. Atteint de dysenterie, Laclos meurt à Tarente le 5
septembre 1803.
Laclos restera l’auteur d’un seul roman : « Les Liaisons dangereuses », chef d’œuvre attesté
de la littérature française du XVIIIème. Il composa, cependant, durant sa carrière militaire
quelques écrits sans grand intérêt littéraire : un livret d’opéra-comique ; quelques poésies ; des
Epîtres à des femmes célèbres de l’époque ; des contes en vers un peu lestes ou anticléricaux,
dans la tradition de La Fontaine. En 1787, il adresse à l’Académie française un Eloge de
Vauban qui s’avère être, en fait, un réquisitoire, ce qui lui vaudra d’être renvoyé de son poste,
à Metz. En 1783, il commence un traité sur les moyens de perfectionner l’éducation des
femmes, publié sous le titre : « De l’éducation des femmes » dans lequel il porte une critique
sévère à l’égard de ce que la société réserve aux femmes.
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2. La pièce
Note de Christine Letailleur - Les Liaisons dangereuses, « Une machine de guerre »
Laclos commença à rédiger, vers 1778/79, son roman épistolaire qu’il intitula « Le Danger
des Liaisons » mais qu’il publia, en 1782, sous le titre « Les Liaisons dangereuses ». Le
roman fit scandale et provoqua un flot de commentaires. La marquise de Conflans aurait
confié « avoir fermé sa porte à Laclos », avouant « qu’elle aurait eu peur de se retrouver avec
lui » ! Restif de la Bretonne note, avec ironie, que « des jeunes filles se prostituèrent pour
obtenir une copie des Liaisons dangereuses après que leurs mères leur avaient interdit de lire
le livre ». On a dit même que la reine, Marie-Antoinette, en gardait un exemplaire dans une
reliure rendue discrètement anonyme...
Après la mort de Laclos, le roman tombe dans l’oubli. Au XIXème siècle, il est rejeté par la
critique littéraire qui le regarde comme « une oeuvre licencieuse mineure, produit douteux de
la culture agonisante de l’Ancien régime ». A plusieurs reprises, il est poursuivi pour son
immoralité, interdit à la vente et à la diffusion. Même si Baudelaire, Nerval, les Goncourt se
repenchent sur le roman, il faudra attendre les années 1930 pour que Malraux et Gide le
fassent redécouvrir. Aujourd’hui, l’ouvrage, qui retrace les manipulations et les perfidies de
deux aristocrates libertins, est considéré comme une oeuvre majeure de la littérature française
du XVIIIème siècle – l’un des plus grands et l’un des meilleurs romans de la langue française
selon André Gide – il est largement diffusé et paraît à la Pléiade en 1979.
« Après avoir fait plusieurs adaptations dont, pour les plus récentes, « Hinkemann » d’Ernst
Toller, « Phèdre » de Ritsos, « Le Banquet » de Platon, j’ai choisi de revenir au XVIIIème
siècle avec Laclos. J’avais déjà, en 2006, adapté et mis en scène « La Philosophie dans le
Boudoir » de Sade. Le XVIIIème siècle est un siècle que j’affectionne tout particulièrement et
l’oeuvre de Laclos me passionne en son entièreté : son esprit, son intelligence, sa fable, sa
construction, son intrigue, ses personnages mais aussi sa langue, son style, son rythme
narratif. D’autre part, la cérébralité du texte me plaît beaucoup. Chez le libertin, tout est dans
l’art du langage ; Valmont et Merteuil se plaisent à se mettre en scène dans leurs récits, à se
raconter leurs exploits, à s’écouter. Mise à part, quelques scènes libertines de Valmont,
l’oeuvre fait montre d’un érotisme de tête… Enfin, l’épistolaire est un matériau sur lequel
j’avais envie de me pencher en tant qu’adaptatrice.
Laclos a conçu un roman brillant et fort : il a fait de la séduction et de l’amour, un champ de
bataille. Le roman est toujours d’actualité et soulève encore, aujourd’hui, des
questionnements sur le rapport amoureux ; au fond, les dilemmes de l’amour que révèlent les
personnages de Laclos restent encore les mêmes aujourd’hui…
Comme le dit très justement Biancamaria Fontana : « Le roman est construit sur un modèle
géométrique, sobre, classique, concis, époustouflant par son rythme narratif qui ne laisse
aucun espace vide. Certains l’ont comparé à une forteresse, à un iceberg, à une machine de
guerre. »
Christine Letailleur, Juin 2013
L'adaptation et la mise en scène
« Je souhaite, par le travail d’adaptation et de mise en scène, faire ressortir la théâtralité
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inhérente à l’oeuvre. Bien que « Les Liaisons dangereuses » soit un roman épistolaire,
composé en 175 lettres, l’oeuvre est contaminée par le théâtre. Dès le début, les protagonistes
nous sont présentés ainsi que les différents enjeux ; le cours des événements suit une réelle
progression digne d’une pièce de théâtre et avance à un rythme haletant, créant un suspens qui
nous maintient en haleine jusqu’au bout.
L’oeuvre se clôt de manière forte, inattendue, faite de rebonds et aboutit à une réelle fin
dramatique.
L’intrigue est astucieuse et très bien agencée. Construite en contrepoint, avec des
parallélismes de situations, elle comprend, également, les récits des aventures libertines de
Valmont et Merteuil mais aussi le récit de leur combat – combat qui nous apparaît d’abord
sous la forme d’un jeu de séduction et qui, peu à peu, se révèle être celui d’une rivalité
destructrice.
Quant aux personnages, loin d’être des figures froides et désincarnées, ils endossent la carrure
de personnages dramatiques : chacun a son caractère, son propre langage et son propre style.
Ainsi, les libertins ont un style qui varie en fonction de leurs interlocuteurs.
On remarquera que Valmont ne s’adresse pas de la même manière à Cécile, à Mme de Tourvel
ou à la marquise de Merteuil. Lorsqu’il s’adresse à son chasseur, personnage populaire chargé
d’épier Mme de Tourvel, il sait adopter un langage familier… On pourrait classer les
personnages comme suit : les roués et libertins, incarnés par Valmont et Merteuil ; les
manipulés et victimes représentés par Cécile, Mme de Tourvel et Danceny ; les témoins
directs de l’histoire étant Mme de Volanges et Mme de Rosemonde.
Pour l’adaptation, j’ai choisi de suivre la fable en sa totalité, dans sa chronologie. Je
travaillerai sur ses quatre parties en prenant en compte, les mouvements, les parallélismes de
situations, les accélérations, les ressorts dramaturgiques et tout ce qui contribue à
l’élaboration de l’action.
Je garderai, bien évidemment, les deux acteurs principaux du drame : le couple MerteuilValmont, ainsi que les personnages indispensables au récit : Cécile, Tourvel, Danceny, et des
figures secondaires comme Mme de Volanges et Mme de Rosemonde qui apportent leur
touche et nous révèlent le dénouement de l’histoire. Le chasseur est également un personnage
secondaire que je garderai car il nous éclaire sur la mentalité de Valmont.
Par ailleurs, il est assez drôle de voir dialoguer Valmont dans un langage familier avec lui.
Les personnages secondaires, les petites scènes courtes et enlevées, comme la scène de
Valmont et de la courtisane, les promenades de Tourvel et Rosemonde etc. créent du rythme,
apportent des respirations et redynamisent l’action afin de mieux nous replonger, ensuite, dans
la cérébralité du texte.
Je travaillerai bien évidemment sur la langue du XVIIIème siècle. La langue est, ici, la sève
même de l’oeuvre. Les jeux de mots, les sous-entendus, les métaphores, les exagérations du
langage, les points d’exclamations, etc. sont un réel plaisir, un divertissement de l’esprit. Je
souhaite, en restant au plus proche de l’oeuvre, en restaurer l’âme, tout en créant des scènes,
des dialogues, des monologues et des tirades.
Je souhaite, dans la mise en scène, garder trace des lettres. Elles sont le véritable matériau
dramaturgique, elles stimulent l’action, l’engendrent. Elles sont, à la fois, une arme mais aussi
celles qui dévoilent, nous renseignent sur la psychologie des personnages, leurs tactiques etc.
Ainsi, des lettres circuleront, s’échangeront à vue, en cachette ; une lettre sera dérobée, une
autre dictée, recopiée ou encore embrassée, jetée, déchirée…
Les acteurs seront en costumes d’époque afin de replonger le spectateur dans l’univers
historique et social auquel appartiennent Les Liaisons dangereuses : celui de l’aristocratie de
la fin du XVIIIème siècle juste avant la Révolution. L’ouvrage de Laclos reflète les habitudes
et la mentalité de cette noblesse. Les costumes (couleurs, formes, lignes) seront étudiés et
travaillés en fonction des personnages ; ainsi, par exemple, Mme de Tourvel et Cécile
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porteront des couleurs dans les tons pastels, plus pâles, plus discrets, que ceux des libertins…
Les personnages évolueront dans un décor simple et dépouillé mais conçu selon une certaine
géométrie qui permettra de mettre en scène plusieurs espaces (salon, boudoir, jardin...) dans
un seul, d’avoir, également, une rapidité de circulation et de disparition d’acteurs. Le décor
sera doté de trois murs (un mur à cour, un à jardin et un au fond) et muni d’un étage, plus
exactement, d’un balcon, sorte de corridor, qui permettra un jeu d’acteurs et des circulations
sur deux niveaux, des tableaux simultanés… A cour et jardin, les balcons auront chacun un
escalier afin qu’un acteur au premier étage puisse descendre, directement au plateau. Le mur
du fond, sur ses deux niveaux, comportera des fenêtres (ouvertures dans les murs) pour créer
du hors champs. Il y aura aussi des portes (ouvertures dans les murs) au premier étage et au
plateau. »
L'équipe artistique
Christine Letailleur
Christine Letailleur a suivi des cours au Conservatoire d’Art Dramatique d’Amiens ; elle est
titulaire d’une licence de philosophie, d’une maîtrise de sociologie et d’un DEA en études
théâtrales (sous la direction de Jean Jourdheuil et Robert Abirached).
Comme comédienne, elle a travaillé avec le Carquois d’Amiens dans les mises en scène de
Jacques Labarrière : Le prix Martin d’Eugène Labiche, Le Désir attrapé par la queue de
Picasso, Monsieur Bonhomme et les incendiaires de Max Frisch, La folle envie de
Maupassant… Elle a tourné un samedi sur la terre de Diane Bertrand…
Elle a reçu le premier prix du jury professionnel au Festival International de théâtre
universitaire (Amandiers de Nanterre) pour sa mise en scène de Matériau Müller, en 1994, et,
pour son adaptation et sa mise en scène de Poème brûlé d’après Vélibor Colic, en 1996. Elle a
travaillé sur La bataille d’Arminius de Kleist, montée par Jean Jourdheuil (1996) et a suivi les
ateliers de recherches de Stanislas Nordey aux Amandiers (1995/1998) dont elle a été
assistante à la mise en scène pour la Puce à l’oreille de Feydeau.
Elle a été permanente artistique au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis (1998/2002).
En 2001, elle a monté, au Théâtre Gérard Philipe de St-Denis, Médée de Hans Henny Jahnn,
mis en espace les Poésies et Forces d’August Stramm. Elle a adapté et créé Pasteur Ephraïm
Magnus de Hans Henny Jahnn au Théâtre National de Bretagne (1ère partie en 2004 et
intégrale en 2005) ; l’intégrale a été reprise au Granit de Belfort et au Théâtre National de
Gennevilliers (2006).Elle a conçu et mis en scène à la Maison de la poésie : Le nouvel ordre
socio-affectif selon Houellebecq (2005) et Houellebecq ou la souffrance du monde (2006).
Elle a adapté et mis en scène :
-La Philosophie dans le boudoir ou les instituteurs immoraux de Sade au TNB de Rennes et
au Théâtre de Gennevilliers en 2007. Tournée, en 2008, au TNS de Strasbourg, au Granit de
Belfort, aux Salins de Martigues, à la MC de Grenoble… Edition aux Solitaires Intempestifs.
-La Vénus à la fourrure ou les confessions d’un suprasensuel, d’après le roman de SacherMasoch au TNB à Rennes dans le festival Mettre en Scène 2008, reprise en 2009 au Théâtre
National de la Colline. Edition aux Solitaires Intempestifs.
- Hiroshima mon amour de Marguerite Duras : au Théâtre de Vidy-Lausanne et au Festival
Mettre en Scène en 2009. Tournée en 2010-2011, en France et au Baryschnikov Arts Center à
New York, aux Festivals de Perm (Russie), de Shizuoka (Japon). Reprise en 2012 à Rennes,
au Théâtre de la Ville de Paris et au festival de Zagreb (Croatie).
-Le Château de Wetterstein de Wedekind au Théâtre de Vidy-Lausanne et au Théâtre National
de Bretagne, au Festival Mettre en scène 2010. Première mise en scène du texte en France.
-Le Banquet, ou l’éloge de l’amour d’après Platon dans le cadre du festival Mettre en Scène
2012, reprise au TNB à Rennes et en tournée en mars-avril 2014.
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TNB
-Phèdre, d’après Yannis Rítsos, au TNB en 2013
-Hinkemann, d’Ernst Toller, au TNB en octobre 2014, repris au Théâtre National de la Colline
en mars-avril 2015.
Pour Radio France, elle a réalisé des enregistrements de La Vénus à la fourrure, d’Hiroshima
mon amour et, prochainement, du Château de Wetterstein et adapté des textes de George
Bataille et de Casanova.
Christine Letailleur est artiste associée au TNB depuis janvier 2010.
Dominique Blanc
Elle s’est construit une carrière de comédienne aussi exceptionnelle au cinéma qu’au théâtre,
où elle a notamment travaillé avec Antoine Vitez, Luc Bondy, Jean-Pierre Vincent, Marc
Paquien ; au cinéma avec Louis Malle, Claude Chabrol, Régis Wargnier, Michel Deville ou
encore Jeanne Labrune. Pour la télévision elle tourne avec, entre autres, Nina Companeez et
Claire Devers. À l’opéra elle est dirigée par Peter Sellars.
Régulièrement saluée pour ses interprétations (quatre Césars pour Milou en mai de Louis
Malle, Indochine de Régis Warnier, Ceux qui m’aiment prendront le train de Patrice Chéreau
et Stand-By de Roch Stéphanik), Dominique Blanc reçoit en 2008 le prix de la meilleure
interprète féminine à la Mostra de Venise pour son rôle de femme jalouse dans L’Autre de
Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard. Pour le théâtre, elle obtient deux Molières avec
Maison de Poupée d’Henrik Ibsen dans la mise en scène de Deborah Warner (1998) et La
Douleur mis en scène par Patrice Chéreau (2010). En 2011, elle reçoit le prix Plaisir du
théâtre pour l’ensemble d’un parcours pour lequel elle a abordé, avec une même exigence, des
rôles et des registres très différents, faisant d’elle une actrice entière et populaire.
Vincent Perez
Il a d’abord fait des études de photographie au Centre Doret à Vevey, puis étudie l'art
dramatique à Genève, puis au Conservatoire national supérieur d'art dramatique et à l'école
des Amandiers de Nanterre.
Il débute au cinéma en 1985 dans le Gardien de la nuit. Puis il joue ensuite dans Cyrano de
Bergerac de Jean-Paul Rappeneau (1991), pour lequel il est cité au César du meilleur espoir
masculin ; Indochine de Régis Wargnier (1991) ; La Reine Margot de Patrice Chéreau (1993) ;
Fanfan d’Alexandre jardin (1992) ; Le Bossu de Philippe de Broca (1998) pour lequel il est
cité au César du meilleur acteur dans un second rôle ; Ceux qui m'aiment prendront le train de
Patrice Chéreau (1998) pour lequel il est cité au César du meilleur acteur dans un second rôle
, Je reste ! de Diane Kurys (2003) ; Frankenstein de Marcus Nispel (2004) ; Monsieur Papa
de Kad Merad (2011) ; Ce que le jour doit à la nuit d'Alexandre Arcady (2012) ; Les Lignes
de Wellington de Raoul Ruiz (2012) ; Un prince (presque) charmant de Philippe Lellouche
(2013) ; The Price of Desire de Mary McGuckian (2014). Il joue aussi à la télévision dans
Paris enquêtes criminelles.
Pour le théâtre Vincent Pérez a joué sous la direction de Pierre Romans, Penthésilée de
Heinrich von Kleist, Catherine de Heilbronn de Heinrich von Kleist, Chroniques d’une fin
d'après-midi, spectacle composé de fragments d'oeuvres d'Anton Tchekhov ; Patrice Chéreau
dans Platonov d'Anton Tchekhov, Hamlet de William Shakespeare ; Lucian Pintilie, Il faut
passer par les nuages de François Billetdoux. Il joue et met en scène Le temps qui passe de
Karine Silla-Pérez.
En 1992, il fait ses débuts de réalisateur avec le court-métrage L'échange, nommé au Prix du
jury du court-métrage à Cannes. Il est revenu derrière la caméra en 1999 pour réaliser Rien
dire également cité à Cannes. En 2002, il réalise son premier long métrage Peau d'Ange dont
il est coscénariste, puis réalise, en 2007, Si j’étais toi.
Par ailleurs, Vincent Pérez est l'auteur du scénario de la bande dessinée La Forêt, en
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collaboration avec Tiburce Oger.
Pistes pédagogiques
1. Du roman épistolaire à la pièce de théâtre
Le respect du texte de Laclos
Considérant la pièce davantage comme une adaptation que comme une réécriture, Christine
Letailleur s'est efforcée de respecter le texte originel et de s'adapter à la vision de Laclos.
Son texte suit donc le mouvement de la fable dans un souci de clarté et reprend fidèlement
certains passages et expressions du roman. Reste ensuite à confronter l'adaptation à l'épreuve
du jeu : certaines formules sont ainsi modifiées, allégées pour apporter plus de fluidité et de
naturel à l'interprétation. « j'aime ciseler le texte au plateau » explique Christine Letailleur
pour évoquer cette perpétuelle remise en question du texte.
Un roman fortement influencé par le théâtre
- Laclos a lui-même adapté pour la scène un autre roman épistolaire (adaptation sans succès
du roman de madame Riccoboni (1713-1792), Ernestine (1765) en opéra comique), et il est
l'auteur d'un texte de critique littéraire sur le roman théâtral. Il est donc amateur de théâtre et
la dynamique du récit des liaisons dangereuses en garde la trace.
- La structure du roman rappelle celle du drame : le récit des agissements de ces deux libertins
dont le but est de causer la perte des personnes qui les entourent fournit une structure
particulièrement dramatique. De nombreuses anecdotes et rebondissements émaillent
l'intrigue.
Par ailleurs, la dernière partie du roman condense les mécanismes du piège tragique comme
une tragédie resserre la crise au moment où, toutes les forces étant posées, le dénouement n'a
plus qu'à s'accomplir seul. Ces forces sont ici celles de l'orgueil. Elles opposent Valmont et
Mme de Merteuil dans une lutte implacable pour affirmer la liberté de celle-ci.
- Les deux protagonistes Valmont et Merteuil, par leur duplicité et leur habileté dans l'art de la
comédie sont souvent plus proches d'acteurs que de personnages romanesques. Les masques
qu'ils revêtent, l'art de la manipulation dans lequel ils excellent, les rapprochent tantôt de
l'acteur, tantôt du metteur en scène : ils sont l'illustration d'un monde où, comme au théâtre,
les faux-semblants sont légion.
- Certains personnages peuvent être rapprochés de figures classiques du théâtre. Le chasseur
que l'adaptation des Liaisons dangereuses conserve, peut ainsi être apparenté au valet de
comédie, personnage pittoresque par son parler populaire et sa spontanéité, il est le confident
de Valmont et l'aide dans ses entreprises. Il apparaît comme le Sganarelle de Dom Juan qui
aurait perdu ses scrupules et aurait cessé de voir dans son maître « un vrai Sardanapale ».
- Les lettres du roman de Laclos fonctionnent parfois comme des didascalies, donnant à voir
le contexte d'écriture. Par exemple, la célèbre lettre où Valmont décrit à la présidente la
situation où il est en lui écrivant, et où le lecteur sait grâce à la lettre précédente qu'elle est
écrite « du lit et presque d'entre les bras d'une fille ». La lettre, dans la mise en scène, n'est
d'ailleurs pas évacuée : objet scénique, lue, déchirée, évoquée elle apparaît comme le témoin
du texte originel.
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Observation
On pourra proposer aux élèves de confronter certaines lettres du texte de Laclos à l'adaptation
du texte de Letailleur. On leur fera remarquer comment les récits interposés deviennent
dialogues, s'interroger sur le choix ou de conserver ou d'abandonner tel fait ou telle réplique
(voir documents annexes).
Action !
Les élèves pourront penser et mettre en scène leur propre adaptation de scènes clefs des
Liaisons Dangereuses, en transcrivant au préalable répliques et didascalies.
2. Les femmes dans Les Liaisons dangereuses
« Je suis sûre que si j'avais le bon esprit de le quitter à présent, il en serait au désespoir ; et
rien ne m'amuse comme un désespoir amoureux. Il m'appellerait perfide, et ce mot de perfide
m'a toujours fait plaisir ; c'est, après celui de cruelle, le plus doux à l'oreille d'une femme. »
Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses
L'observation de la liste des personnages permet de constater le nombre dominant de
personnages féminins (7 pour seulement 4 rôles masculins). C'est le point de vue de la femme
qui est privilégié par Christine Letailleur. L'adaptation des Liaisons dangereuses permet de
poursuivre le traitement des passions et désirs féminins déjà amorcé dans Phèdre ou dans La
philosophie dans le boudoir.
La critique de la condition féminine est déjà présente dans l'oeuvre de Laclos. De la jeune
Cécile de Volanges à Madame de Rosemonde, les différents âges de la femme sont incarnés et
leurs difficultés sont pointées. Est critiquée en particulier l'éducation que reçoivent les
femmes de l'aristocratie au couvent et qui ne les prépare en rien à affronter le monde et ses
hypocrisies. L'ingénue Cécile et la présidente Tourvel sont les victimes désignées de cet
enseignement qui entretient les femmes dans l'ignorance du monde et la négation de leur
sensualité.
Laclos, un an après l'écriture des Liaison dangereuses, rédige le Traité sur l'éducation des
femmes dans lequel il enjoint les femmes de s'insurger contre le statut d'esclave que la société
leur attribue (voir document annexe).
La marquise de Merteuil est la figure centrale de la pièce, personnage « fascinant» selon
Christine Letailleur. Baudelaire voyait également en elle le personnage fort du roman
« Tartuffe femelle, tartuffe de mœurs, Tartuffe du XVIIIe siècle. Toujours supérieure à
Valmont, et elle le prouve ». Ayant su se forger elle-même une éducation à la dissimulation,
elle maîtrise les codes de la société et les utilise à son profit.
Observation
On pourrait, pour évoquer la condition de la femme dans la pièce et son évolution dans la
littérature, proposer une comparaison entre le personnage de Cécile et celui de Camille dans
On ne badine pas avec l'amour d'Alfred de Musset. Toutes deux sorties du couvent en vue
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Les Liaisons Dangereuses
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d'un mariage imminent, elles sont confrontées à leur ignorance et découvrent à leur dépens la
duplicité et les codes amoureux qu'elles ne comprennent pas. Si Cécile apparaît ingénue et
idéaliste, Camille semble déjà désabusée. Victimes des tourments de l'amour et des jeux de
séduction, elles sont amenées à manipuler à leur tour. Déçues ou trompées, elles retrouvent
toutes deux le chemin du couvent à la fin de la pièce (voir documents annexes).
Action !
On peut proposer aux élèves de créer un dialogue théâtral mettant en scène la rencontre de
Cécile et de Camille et la confrontation de leurs points de vue sur l'amour et le monde. La
scène pourra ensuite être jouée.
3. Une pièce, 3 mouvements, 3 tenues
L'adaptation de Christine Letailleur est divisée en trois parties : Eté, automne, hiver.
Le changement des saisons correspond à l'avancée temporelle de l'intrigue mais peut
également être analysé comme la représentation symbolique de la chute progressive du couple
libertin incarné par Valmont et Merteuil.
Dans la mise en scène, le passage du temps est rendu sensible par les changements de tenues
des personnages. Tous sont en costumes d’époque. Les coupes, les matières et les couleurs
illustrent également les caractères des personnages : Les couleurs pastel des tenues de la
présidente contrastent ainsi avec les robes plus flamboyantes de La marquise de Merteuil.
La mode vestimentaire du XVIIIème siècle
A la fin du 18ème siècle, les hommes avaient les cheveux relevés devant, en toupet, frisés sur
le côté, longs derrière, serrés en catogan. Ils portaient une chemise, un gilet à manches
longues, un habit à la française échancré sur le devant et souvent par dessus, une sorte de
cape-manteau. Ils s’habillaient aussi d’une culotte dite « à la bavaroise » arrêtée au genou.
Culotte et bas étaient serrés par des jarretières à boucles ; sous la culotte, ils portaient un
caleçon de toile. Ainsi, dans la scène du Verrou, l’homme est en chemise et en caleçon. Il a ôté
culotte, souliers, et bas.
Les femmes portaient des nœuds bouffants autour du cou et des rubans dans les cheveux. La
robe, fendue jusqu’à la taille, s’écartait pour laisser voir la jupe, parfois de couleur différente.
Les pans de la robe pouvaient être repoussés, et grâce à des fentes ménagées dans la jupe,
enfoncés dans des poches. Manches et jupons étaient fixés à un corps à baleines (corset) très
serré et lacé dans le dos. Sous ce corps à baleines, les femmes portaient une longue chemise,
mais aucun sous-vêtement (C’est le sens d’un tableau de Fragonard Les Hasards heureux de
l’escarpolette, un amoureux découvre émerveillé ce qui se cache sous les jupons de sa mie,
perchée sur une balançoire). Des bas étaient maintenus au-dessus du genou par une jarretière.
Dans Le Verrou, la femme a perdu ses rubans, elle est décoiffée, les plis de sa robe sont sortis
de leur poche mais elle a encore tous ses vêtements sur elle.2
Action !
2
Point exécuté à partir d'une transcription de l'émission Palettes réalisée par Alain Jaubert et consacrée à
l'analyse du Verrou de Fragonard.
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Les élèves pourront, en se référant aux tableaux de Vateau ou de Fragonard, choisir les tenues
qui, selon eux, conviendraient le mieux aux rôles principaux, en argumentant sur leurs choix.
Les rôles féminins (la naïve et sensuelle Cécile, la pure Tourvel, La Merteuil) pourront faire
l'objet d'une présentation particulière, mettant en avant l'adéquation de leur tenue et de leur
caractère ou attitude.
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Ressources pédagogiques
1.
Histoire des arts : Le cinéma
Rapprochement avec l'adaptation filmique Les Liaisons dangereuses
de Stephen Frears (1988)
Avec John Malkovitch dans le rôle de Valmont et Glenn Close dans le
rôle de la Marquise de Merteuil.
Les Liaisons dangereuses ou le théâtre des apparences
La séquence d'ouverture
Le mise en scène de la séquence d'ouverture repose sur une grande
théâtralité. L'intention d'une telle mise en scène est tout d'abord de
rejoindre l'esthétique théâtrale du roman de Choderlos de Laclos qui
utilise le théâtre comme référence et métaphore récurrentes.
La mise en scène théâtrale qui orchestre la toilette et l'habillage de Mme de Merteuil ainsi que
le lever et la préparation de Valmont, dresse le portrait des deux personnages principaux. La
séquence les fait passer de leur sphère intime où régnaient précédemment la passion et le
libertinage, à l'espace social qui ne doit être que mesure et dissimulation. Le ballet parfait des
servantes et des valets qui évoluent autour d'eux vient pondérer les excès de la nuit tandis que
la partition baroque qui rythme les plans leur confère une tonalité pleine de mesure. La
passivité, l'air supérieur et le faste qui entourent Mme de Merteuil et Valmont révèlent leur
rang élevé mais leur immobilité rappelle aussi celle des grands prédateurs dont l'économie de
mouvement va de pair avec une excessive violence. Quand, à la fin de la séquence, Mme de
Merteuil et Valmont, tels deux comédiens prêts à entrer en scène, s'avancent au devant du plan
pour prendre la pose, leur gestuelle traduit alors parfaitement leur duplicité et annonce leurs
manigances. Ils incarnent les deux faces d'un même prédateur: l'une se dresse, immobile, prête
à bondir à la face du monde qui, injustement, l'a faite femme tandis que l'autre opère une
sortie de champ selon un mouvement latéral glissant qui révèle son caractère nuisible. Cette
puissance destructrice qu'ils retiennent encore atteint son point d'orgue dans le regard-caméra
dont ils gratifient tous deux le spectateur. Cette remise en question du pacte de la fiction et de
la représentation exprime le pouvoir sans limite qu'ils useront sur les autres.
La séquence finale
Le glissement de la séquence d'ouverture à la séquence de clôture engage par ailleurs une
réflexion sur l'image et l'apparence. La question de la représentation se pose dès le premier
plan où le visage de Mme de Merteuil de dos se reflète et nous apparaît dans le miroir où elle
se contemple. Entre cette représentation faussée du personnage et l'épure du plan final où,
face caméra et plein cadre, Mme de Merteuil se montre sans fard, c'est la quête de vérité du
film qui apparait. Le film passe ainsi du masque – emblème du mensonge et de la
dissimulation qui obsède l'œuvre – au visage enfin révélé de cette femme irrémédiablement
bannie du monde de faux-semblants dont elle fut souveraine.
Action !
On pourra faire lire aux élèves la scène finale du revers public de La Merteuil dans la version
de Christine Letailleur.
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On leur montrera ensuite deux scènes de l'adaptation filmique de Stephen Frears : la scène
d'ouverture (qui montre Valmont et Merteuil préparant leur entrée dans le monde et dans le
film) et la scène conclusive (qui montre Merteuil à l'opéra jusqu'à la fin). On leur demandera
de montrer d'une part la théâtralité de l'adaptation filmique. D'autre part d'étudier le jeu de
masques proposé par Stephen Frears.
2.
Histoire des arts : un mouvement littéraire, le libertinage
« Intus ut libet, foris moris est » (« A l’intérieur, comme il te plaît, à l’extérieur, selon la
coutume »).
Etymologiquement, le libertus ou le libertinus est à Rome un affranchi, un ancien esclave qui
a reçu sa liberté.
Le libertinage apparaît aux 16ème et 17ème siècles et revêt un sens négatif : « libertin » se met à
désigner, dans le contexte des guerres de religion, ceux qui s’éloignent de la vraie religion et
adoptent une attitude générale de distance par rapport au dogme. La stratégie de l'église
romaine pour mieux confondre les libertins consiste alors à confondre l’hétérodoxie
philosophique et la licence sexuelle.
Les dictionnaires de l’âge classique assimilent donc le mot « libertin » à l’impie et au
débauché, même s’ils concèdent un emploi anodin et mondain du mot : « un honnête libertin »
est celui qui s’accorde plaisirs et divertissements. Mme de Sévigné elle-même peut se dire
libertine quand elle improvise ses lettres et préfère la spontanéité à toute forme de règle.
Au 17ème Théophile de Viau, le chef de file des libertins parisiens est condamné à « être brûlé
vif comme aussi ses livres brûlés ». Les libertins sont alors poursuivis comme sorciers et
condamnés au feu.
A cette époque, on distingue le libertinage de mœurs qui concerne surtout de grands
aristocrates, que leur statut social met au-dessus des lois et qui blasphèment, ne respectent pas
le carême, affectionnent les parties de débauche. Le Dom Juan de Molière symbolise ce
libertinage de mœurs.
Existe aussi un libertinage érudit qui constitue lui un mouvement de pensée et une attitude
fondée sur la sociabilité intellectuelle et l’émancipation des dogmes. Ce libertinage montre la
place de la superstition et l’influence du milieu dans les croyances de tous les hommes ; il
condamne donc toute forme d’intolérance et de fanatisme et prône la nécessité de l’esprit
critique.
Le libertinage érudit s’achève dans la naissance de la philosophie des Lumières au XVIIIème
siècle, qui œuvre au grand jour pour la diffusion de l'instruction, de l'esprit critique et fait le
pari de l’éducation et du progrès.
Le libertinage de mœurs connait en revanche un véritable essor mais le terme désigne
désormais l’obsession de la séduction ou l’esthétisation de l’amour. Le libertinage de mœurs
évolue vers plus de subtilité qu’au siècle précédent : les réalités de la sexualité sont à la fois
omniprésentes et suggérées à travers la gaze d’un style allusif. Cette esthétique de l’amour
culmine dans Les Liaisons dangereuses.
Observation
On proposera aux élèves de retracer l'évolution du libertinage par la lecture de quelques textes
significatifs : un sonnet de Nicolas Vauquelin (1606), un extrait de l'acte 1 scène 2 de Dom
Juan de Molière, et un extrait de La Philosophie dans le boudoir de Sade (voir documents
annexes).
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3.
Histoire des arts : Un peintre, Fragonard (1732-1806)
Les hasards heureux de l'escarpolette, 1767.
Les curieuses,vers 1775-1780.
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Le
Verrou,
1776.
Fragonard, le reflet d'un siècle
Jean-Honoré Nicolas Fragonard (né le 5 avril 1732 à Grasse et mort le 22 août 1806 à Paris)
e
est un des principaux peintres français du XVIII siècle. Il fut peintre d'histoires, de genre et
de paysages.
Les tableaux de Fragonard sont rarement situés dans un contexte historique précis. Ils font
cependant écho aux mœurs plutôt libres du siècle. Le peintre, contemporain de Buffon ou des
encyclopédistes, raconte l’histoire naturelle de l’amour ou fait pénétrer le spectateur au sein
des alcôves (Le Feu aux poudres, La Chemise enlevée, Le Verre d’eau, Les Petites curieuses).
Les tableaux de Fragonard illustrent les mœurs des élégants de son temps, parfois de manière
provocante. Dans Les heureux hasards de l'escarpolette, la jeune femme juchée sur une
balançoire offre à son amant une vue imprenable. Le commanditaire, baron de Saint Julien,
aurait demandé que sa maîtresse soit ainsi représentée, poussée par un évêque, ce qui accentue
le caractère particulièrement leste de la scène.
Observation
On rapprochera le Verrou de la scène du viol de Cécile par Valmont. Dans le Verrou, la scène
oscille entre badinage amoureux et scène de viol. Le tableau est riche en symboles : la pomme
posée sur la table, la cruche à terre et les fleurs éparses sont autant de symboles de la vertu
mise à mal. Le titre oriente également le spectateur puisque l'expression « faire sauter le
verrou » est une expression imagée désignant le viol.
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Documents annexes
1.
Extrait de l'adaptation des Liaisons dangereuses par Christine Letailleur
Cette séquence correspond aux lettres 2, 4, 5 et 6 de la première partie du texte de Laclos.
Séquence 3
Valmont, arrive d’un pas alerte chez la Marquise, puis s’agenouille : Eh bien,
Marquise, me voilà ! Tel un esclave, tel le grand Hannibal, aux genoux de sa
maîtresse ! Me voilà à vos pieds, j’attends vos ordres !
Merteuil : Mon cher Vicomte, vous abusez de mes bontés même depuis que vous n’en
n’usez plus !
Valmont : Il ne tient qu’à vous, très chère…
Merteuil : Relevez-vous, je vous en prie, vous jouerez les preux chevaliers une autre
fois, le temps presse ! J’ai une affaire des plus urgentes à régler et je veux que vous
soyez le héros de cette aventure ! Madame de Volanges marie sa fille qui vient tout
juste de sortir du couvent. C’est encore un secret, elle me l’a confié hier soir. Et savez-vous
quel gendre elle a choisi ?
Valmont : Ma foi, je…
Merteuil : Le Comte de Gercourt ! Qui m’aurait dit que je deviendrais, un jour, la
cousine de cet imbécile de Gercourt ! Je suis dans une fureur ! Eh bien ! Ne devinez-vous
donc pas encore !
Valmont : Ma foi, je…
Merteuil : Oh, esprit lourd ! Monstre que vous êtes ! Lui avez-vous pardonné l’affront
qu’il nous fit, à vous et à moi ! Moi, je n’ai pas oublié qu’il m’a quittée pour cette
espèce de femme insipide, qui d’ailleurs à l’époque, permettez-moi de vous le
rappeler, était votre maîtresse et que cette femme vous laissa choir pour cet imbécile
de Gercourt !
Valmont : Disons que c’est de l’histoire ancienne ! Et puis, ce Gercourt m’a rendu un
immense service en me débarrassant de cette femme. C’est d’ailleurs grâce à cela,
Marquise, que nous nous sommes rencontrés et tant aimés !
Merteuil : Fi, Valmont ! Cessez de plaisanter et écoutez-moi ! Il me faut une
vengeance ! Vous connaissez Gercourt : ses ridicules préventions pour les éducations
cloîtrées et son préjugé plus ridicule encore, en la faveur de la retenue des blondes ! Je
parierais, et ce malgré les soixante mille livres de rente de Mademoiselle de Volanges,
qu’il n’aurait jamais fait ce mariage, si la petite eût été brune et si elle n’eût pas été au
couvent ! Prouvons-lui qu’il n’est qu’un sot ! Gercourt est un orgueilleux ! Il se
vantera et nous, nous prendrons bien du plaisir, une fois que vous aurez formé la
petite, à ce qu’il devienne la fable et la risée du tout Paris ! Au reste, l’héroïne de ce
nouveau roman mérite tous vos soins : Mademoiselle de Volanges est vraiment jolie ;
cela n’a que quinze ans ; un vrai bouton de rose ! A la vérité, gauche, comme cela n’est
pas permis et nullement maniérée mais, vous autres hommes, ne craignez point cela !
J’ajoute qu’un certain regard langoureux promet déjà beaucoup. Bref, je vous la
recommande, vous n’avez plus qu’à me remercier et m’obéir !
Valmont : Marquise, vos ordres sont charmants, votre façon de les donner est plus
aimable encore : vous feriez chérir le despotisme et ce n’est pas la première fois que je
regrette de ne plus être votre esclave ! Hélas, je me vois forcé de vous désobéir ! Car
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enfin, que me proposez-vous ? De séduire une fille qui n’a rien vu, qui ne connaît
rien ; et qui, pour ainsi dire, me sera livrée sans défense : quelle platitude ! Vingt
autres comme moi peuvent y réussir ! Et, en toute franchise, de plus grands projets
m’appellent ! Vous connaissez la Présidente de Tourvel ; sa dévotion, son amour
conjugal, ses principes austères. Voilà, ce que j’attaque ! Voilà, un ennemi digne de
moi !
« Et si de l’obtenir, je n’emporte le prix,
J’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris ! »
On peut citer de mauvais vers quand ils sont d’un grand poète comme Jean de la
Fontaine !
Merteuil : Savez-vous, Vicomte, que vous êtes d’une insolence rare et que je pourrais
me fâcher, vraiment, mais je crois que vous avez tout à fait perdu la tête. Car enfin,
qu’est-ce donc que cette femme ? Que lui trouvez-vous à cette Madame de Tourvel ?
Des traits réguliers, si vous voulez, mais rien de plus ! Elle n’a aucun attrait, nulle
expression : passablement faite, sans grâces et toujours mise à faire rire avec des
paquets de fichus sur la gorge et le corset qui lui remonte jusqu’au menton ! Souvenez-xvous
du jour où la prude faisait la quête pour les indigents sur le parvis de l’église St-Roch,
comme nous nous amusions de ce spectacle ridicule et affligeant. Tenez, je la
vois encore, donnant la main à son grand échalas de mari, prête à tomber à chaque pas,
avec son énorme panier sur la tête et rougissant à chaque révérence. Allons, Vicomte,
reprenez vos esprits, je vous en conjure, je vous promets le secret. Sérieusement, vous
m’inquiétez.
Valmont : Rassurez-vous, Marquise, je n’ai point perdu la tête ! Je veux cette femme !
Il me la faut et je l’aurai !
Merteuil : Mais quel rival avez-vous à combattre ? Pas même un amant, tout juste un
mari ! Ne vous sentez-vous donc pas humilié à ce seul mot ? Quelle honte si vous
échouez et combien peu de gloire dans le succès ! Si vous aviez connu cette femme un
peu plus tôt, sans doute, en auriez-vous pu faire quelque chose ; mais voilà, cela a déjà
vingt-deux ans et il y en a près de deux qu’elle est mariée ! Croyez-moi, mon cher
Vicomte, quand une femme s’est encroûtée à ce point, il faut l’abandonner à son sort ;
ce ne sera jamais qu’une espèce de…
Valmont : Au nom de l’amitié que j’ai pour vous, Marquise, attendez que j’aie eu cette
femme pour en médire. De quels traits osez-vous peindre Madame de Tourvel !
Madame de Tourvel n’a guère besoin d’apparat et d’illusion : pour être adorable, il lui
suffit d’être elle-même. Vous lui reprochez de se mettre mal, je le crois bien, toute
parure lui nuit ; tout ce qui la cache, la dépare et c’est dans l’abandon du négligé
qu’elle est vraiment ravissante. Sa figure, dites-vous, n’a nulle expression. Et que
voulez-vous qu’elle exprime quand rien ne parle à son coeur ? En vérité, elle n’a point
comme nos femmes coquettes, ce regard menteur qui séduit et trompe toujours. Elle ne
sait pas couvrir le vide d’une phrase par un sourire étudié et, quoiqu’elle ait les plus
belles dents du monde, elle ne rit que de ce qui l’amuse !
Merteuil : Les plus belles dents du monde ! Allons-bon ! Vicomte !
Valmont : Certes, elle est prude et dévote, et alors ! C’est pour cela que vous la jugez
froide et inanimée ? Détrompez-vous, Madame de Tourvel est d’une grande sensibilité,
en voici une preuve éclatante. L’autre jour, j’ai dirigé notre promenade, j’avais tout
prévu, tout étudié pour que nous ayons un large fossé à franchir car, comme vous le
savez, les prudes craignent de sauter les fossés. Lorsque nous sommes arrivés à
l’obstacle, j’ai, tout d’abord, porté ma vieille tante, ce qui fit beaucoup rire Madame de
Tourvel. Ensuite, j’ai proposé mes bras à ma dévote qui n’eut d’autre choix que de les
accepter. Dès que je me fus emparé d’elle, je fis semblant de trébucher pour l’effrayer,
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elle s’accrocha à mon cou. Je profitai alors du moment pour la serrer plus fortement, je
la pressai contre ma poitrine, je pressai son sein contre le mien, je sentis son coeur
battre, et vis une aimable rougeur colorer son visage. Ce modeste embarras m’apprit
que son coeur avait palpité non pas de crainte mais d’amour !
Merteuil : Et moi, je crois plutôt que son coeur a palpité non pas d’amour mais de
crainte, de la crainte de dieu ou du diable ou de je ne sais quelle chimère !
Valmont : Oserai-je vous le dire ? Je croyais mon coeur flétri, je me plaignais d’une
vieillesse prématurée. Madame de Tourvel m’a rendu les charmantes illusions de la
jeunesse. Auprès d’elle, je n’ai pas besoin de jouir pour être heureux. Et pour que je
sois vraiment heureux, il faut qu’elle se donne !
Merteuil : Eh bien, elle se donnera comme toutes les autres avec cette différence que
ce sera de mauvaise grâce ! Et je vous en dis plus : n’en espérez aucun plaisir, les
prudes ne vous offrent que des demi-jouissances ! Cet abandon de soi-même, ce délire
de la volupté, tous ces biens et ces excès de l’amour ne sont pas connus de ce genre de
femme. Votre prude est dévote et de cette dévotion de bonne femme qui la condamne à
une éternelle enfance !
Valmont : Voyez-vous, ma chère Marquise, au moment où je vous parle, je me sens
porté par un excès de reconnaissance pour les femmes faciles, ce qui m’amène, tout
naturellement, à vos pieds : je m’y prosterne pour obtenir votre pardon de ne point
pouvoir satisfaire votre vengeance. Adieu donc.
Il emprunte les escaliers pour sortir.
Merteuil, lui crie : Je crains que cette femme ne vous fasse perdre ce qu’il y a de plus
précieux en ce monde : votre réputation, Vicomte, votre réputation !
Valmont, même jeu : Notre métier, Marquise, n’est-il pas de conquérir le monde !
Merteuil, même jeu : Conquérir le monde, oui ! S’enticher d’une prude, non !
Valmont, au balcon, avant de sortir : Croyez-moi, j’aurai cette femme ; je l’enlèverai
au mari qui la profane : j’oserai la ravir au dieu même qu’elle adore ! Qu’elle me dise :
« Je t’adore » et je serai vraiment le dieu qu’elle aura préféré !
Il disparaît. Une sonnerie retentit plusieurs fois. Merteuil reconnaît qu’il s’agit là du
Chevalier Belleroche.
Merteuil : Ah ! Le Chevalier Belleroche, il ne manquait plus que lui, à cette heure !
La sonnerie retentit à nouveau avec insistance.
Valmont, apparaissant alors à l’une des fenêtres : Ce rouquin qui est à votre porte a
l’air bien pressé ! Serait-ce un de vos amants transis ?
Merteuil : Je suis dans une telle humeur que je crois que je vais, sur-le-champ, rompre
avec cet idiot de Belleroche !
Valmont, toujours à la fenêtre : A la bonne heure ! Vous me ferez le récit de cette
rupture, vous savez que je raffole de vos histoires d’amants désespérés !
Valmont disparaît. La sonnerie retentit à nouveau.
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2.
Corpus de textes sur le libertinage
Nicolas Vauquelin des Yveteaux (1567-1649) « Avoir peu de parents, moins de train que
de rente »
Nicolas Vauquelin des Yvetaux fut un proche du roi Henri IV. Disgracié sous la régence , il se retira
pour vivre en libertin une vie pleine de fantaisie et de plaisirs, affranchi des préoccupations sociales et
religieuses.
Avoir peu de parents, moins de train que de rente,
Et chercher en tout temps l'honnête volupté,
Contenter ses désirs, maintenir sa santé,
Et l'âme de procès et de vices exempte ;
À rien d'ambitieux ne mettre son attente,
Voir ceux de sa maison en quelque autorité,
Mais sans besoin d'appui garder sa liberté,
De peur de s'engager à rien qui mécontente ;
Les jardins, les tableaux, la musique, les vers,
Une table fort libre et de peu de couverts,
Avoir bien plus d'amour pour soi que pour sa dame,
Être estimé du Prince, et le voir rarement,
Beaucoup d'honneur sans peine et peu d'enfants sans femme,
Font attendre à Paris la mort fort doucement.
Molière, Dom Juan, I, 2 (1682)
Dom Juan, « grand seigneur méchant homme » devise avec son valet Sganarelle sur le bien fondé de
sa position libertine.
Dom Juan
Quoi ? tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu'on renonce au
monde pour lui, et qu'on n'ait plus d'yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer
d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir pour toujours dans une passion, et d'être mort
dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la
constance n'est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et
l'avantage d'être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions
qu'elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je
cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J'ai beau être engagé, l'amour
que j'ai pour une belle n'engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des
yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature
nous oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d'aimable ; et
dès qu'un beau visage me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous. Les
inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l'amour
est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le cœur
d'une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait, à combattre par des
transports, par des larmes et des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme qui a peine à rendre les
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armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose, à vaincre les
scrupules dont elle se fait un honneur et la mener doucement où nous avons envie de la faire
venir. Mais lorsqu'on en est maître une fois, il n'y a plus rien à dire ni rien à souhaiter ; tout le
beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquilité d'un tel amour, si
quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes
attrayants d'une conquête à faire. Enfin il n'est rien de si doux que de triompher de la
résistance d'une belle personne, et j'ai sur ce sujet l'ambition des conquérants, qui volent
perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il
n'est rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs : je me sens un cœur à aimer toute la
terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu'il y eût d'autres mondes, pour y pouvoir étendre
mes conquêtes amoureuses.
Sade, La philosophie dans le boudoir, Troisième dialogue (1795)
Ce texte se rattache à une double tradition : celle des conversations de courtisanes et celle du dialogue
philosophique. Sade y raconte l'éducation de la jeune Eugénie par une amie, le frère de celle-ci et
Dolmancé, libertin endurci dans ses vices.
A quel titre ménagerions-nous donc un individu qui ne nous touche en rien ?
A quel titre lui éviterions-nous une douleur qui ne nous coûtera jamais une larme, quand il est
certain que de cette douleur va naître un très grand plaisir pour nous ?
Avons-nous jamais éprouvé une seule impulsion de la nature qui nous conseille de préférer les
autres à nous, et chacun n’est-il pas pour soi dans le monde ?
Vous nous parlez d’une voix chimérique de cette nature, qui nous dit de ne pas faire aux
autres ce que nous ne voudrions pas qu’il nous fût fait ; mais cet absurde conseil ne nous est
jamais venu que des hommes, et d’homme faibles. L’homme puissant ne s’avisera jamais de
parler un tel langage. Ce furent les premiers chrétiens qui, journellement persécutés pour leur
imbécile système, criaient à qui voulait l’entendre : « Ne nous brûlez pas, ne nous écorchez
pas ! La nature dit qu’il ne faut pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu’il nous
fût fait. »
Imbéciles ! Comment la nature, qui nous conseille toujours de nous délecter, qui n’imprime
jamais en nous d’autres mouvements, d’autres aspirations, pourrait-elle, le moment d’après,
par une inconséquence sans exemple, nous assurer qu’il ne faut pourtant pas nous aviser de
nous délecter si cela peut faire de la peine aux autres ?
Ah ! Croyons-le, le croyons-le, Eugénie (1), la nature, notre mère à tous, ne nous parle jamais
que de nous : rien n’est égoïste comme sa voix, et ce que nous y reconnaissons de plus clair
est l’immuable et saint conseil qu’elle nous donne de nous délecter, n’importe aux dépens de
qui. Mais les autres, vous dit-on à cela, peuvent se venger… A la bonne heure, le plus fort seul
aura raison.
Eh bien, voilà l’état primitif de guerre et de destruction perpétuelle pour lequel sa main nous
créa, et dans lequel seul il lui est avantageux que nous soyons.
Pierre-Ambroise-François Choderlos de Laclos, Traité sur l'éducation des femmes (1783)
Ô femmes, approchez et venez m'entendre ! Que votre curiosité dirigée une fois sur des objets
utiles, contemple les avantages que vous avait donnés la nature et que la société vous a ravis.
Venez apprendre comment, nées compagnes de l'homme, vous êtes devenues son esclave ;
comment, tombées dans cet état abject, vous êtes parvenues à vous y plaire, à la regarder
comme votre état naturel ; comment enfin, dégradées de plus en plus par votre longue
habitude de l'esclavage, vous en avez préféré les vices avilissants, mais commodes, aux vertus
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plus pénibles d'un être libre et respectable. Si ce tableau fidèlement tracé vous laisse de sang
froid, si vous pouvez le considérer sans émotion, retournez à vos occupations futiles. Le mal
est sans remède, les vices se sont changés en mœurs.
Mais si au récit de vos malheurs et de vos pertes, vous rougissez de honte et de colère, si des
larmes d'indignation s'échappent de vos yeux, si vous brûlez du noble désir de ressaisir vos
avantages, de rentrer dans la plénitude de votre être, ne vous laissez plus abuser par de
trompeuses promesses, n'attendez point les secours des hommes auteurs de vos maux : ils
n'ont ni la volonté, ni la puissance de les finir, et comment pourraient-ils vouloir former des
femmes devant lesquelles ils seraient forcés de rougir ? apprenez qu'on ne sort de l'esclavage
que par une grande révolution. Cette révolution est-elle possible ? C'est à vous seules à le dire
puisqu'elle dépend de votre courage. Est-elle vraisemblable ? Je me tais sur cette question ;
mais jusqu'à ce qu'elle soit arrivée, et tant que les hommes régleront votre sort, je serai
autorisé à dire, et il me sera facile de prouver qu'il n'est aucun moyen de perfectionner
l'éducation des femmes. Partout où il y a esclavage, il ne peut y avoir éducation ; dans toute
société, les femmes sont esclaves ; donc la femme sociale n'est pas susceptible d'éducation. Si
les principes de ce syllogisme sont prouvés, on ne pourra nier la conséquence. Or, que partout
où il y a esclavage il ne puisse y avoir éducation, c'est une suite naturelle de la définition de ce
mot ; c'est le propre de l'éducation de développer les facultés, le propre de l'esclavage est de
les étouffer ; c'est le propre de l'éducation de diriger les facultés développées vers l'utilité
sociale, le propre de l'esclavage est de rendre l'esclave ennemi de la société.
3.
Evolution du personnage de Cécile de Volanges
Extraits de l'adaptation des Liaisons dangereuses par Christine Letailleur
Scène d'ouverture
Partie 1
Séquence 1
Tôt le matin.
Cécile, en chemise de nuit, une lettre à la main : Sais-tu, ma chère Sophie, que depuis
ma sortie du couvent, maman me traite comme une vraie demoiselle ! J’ai un cabinet,
un très joli secrétaire dont on m’a remis la clef et, enfin, j’ai une femme de chambre, à
moi toute seule ! Chaque jour, je me dois de rejoindre maman pour les repas ; le reste
du temps, je fais de la harpe, quelques vocalises et je lis comme au couvent, si ce n’est
qu’ici, il n’y a pas d’horrible soeur supérieure pour me gronder ! Enfin, je suis en paix !
Figure-toi, que l’autre jour, un carrosse s’est arrêté devant la maison. Un Monsieur,
tout de noir vêtu, en sortit et vînt toquer à la porte. J’ai, alors, demandé à ma femme de
chambre qui était ce Monsieur, elle me répondit, que ce Monsieur était Monsieur
le C. ! Monsieur le C., ai-je dit. Oui, Monsieur le C., Cécile, Monsieur le C., insista-telle,
tout en prenant un de ces airs qui me fit rougir jusqu’aux oreilles ! Ah ! Mon
Dieu, ai-je pensé, voici celui à qui je suis promise ! Le coeur battant, je me suis
précipitée dans le salon pour aller saluer ce Monsieur le C., et lui de dire à maman :
« C’est que la Demoiselle a l’air bien effarouchée ! », et de me dire à moi :
« Mademoiselle, s’il vous plaît, donnez-moi votre pied ! » A ces mots, j’ai cru
m’évanouir ; je me suis jetée dans le fauteuil tant j’avais honte. A peine, étais-je assise,
qu’il se mit à genoux et me redemanda mon pied ! J’étais si affolée que j’ai crié de
toutes mes forces, comme un tonnerre, ameutant ainsi toute la maison ! C’est alors que
maman me dit : « Allons, mon enfant, donnez donc votre pied à Monsieur ! » Oh, ma
Sophie, j’ai honte car sais-tu qui était ce Monsieur le C. ? Ce Monsieur le C. n’était
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point celui que je croyais qu’il devait être : ce Monsieur le C. était tout bonnement
Monsieur le cordonnier ! Au souper, j’ai entendu la cuisinière dire à la femme de
chambre, « Dame, c’est que la petite est sacrément cruchonne ! » Crois-moi, quand je
serai mariée, je ne me servirai plus de cette cuisinière-là ni de ce cordonnier-là ! (Une
sonnerie retentit.) Ah, mon Dieu ! Il est près de six heures, il faut que l’on m’habille !
(En sortant, elle appelle sa femme de chambre.) Joséphine ! Allez donc remettre cette
lettre au couvent pour Sophie Carnay ! Joséphine ! Joséphine !
Partie 3
Séquence 4
Une nuit. Cécile en chemise de nuit. Valmont débraillé.
Cécile, tenant un chandelier dans une main et, de l’autre, tirant Valmont qui traîne les
pieds : Allons, Monsieur, allons ! Venez !
Valmont : Ah, Mademoiselle, je suis, comme dirait mon chasseur, sur les rotules !
Cécile : Allons à l’étage ! Je veux me dévergonder ! Je veux me dévergonder !
Valmont : J’étais loin de m’imaginer que la demoiselle avait un tel tempérament !
Bientôt l’élève dépassera le maître !
Cécile, l’entraînant toujours : Je veux connaître tous les dévergondages de votre
catéchisme afin de les montrer, le jour de mes noces, à Monsieur de Gercourt ! Je lui
dirai, comme selon vos mots : « Mon époux, regardez, je ne suis pus celle que vous
croyez ! Je suis libertine, débauchée et corrompue à tous les vices ! »
Valmont : Ah sacredieu, de tels propos me revigorent ! Ce n’est pas à l’étage mais
c’est au grenier qu’il faut aller !
Un « témoignage » de la vie au couvent
Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour, acte II scène V (1834)
Camille a donné rendez-vous à Perdican devant la petite fontaine où ils ont passé leur enfance
et veut lui prouver qu’elle fait bien d’aller au couvent.
CAMILLE
Savez-vous ce que c’est que les cloîtres, Perdican ? Vous êtes-vous jamais assis un jour entier
sur le banc d’un monastère de femmes ?
PERDICAN
Oui ; je m’y suis assis.
CAMILLE
J’ai pour amie une sœur qui n’a que trente ans, et qui a eu cinq cent mille livres de revenu à
l’âge de quinze ans. C’est la plus belle et la plus noble créature qui ait marché sur terre. Elle
était pairesse du parlement, et avait pour mari un des hommes les plus distingués de France.
Aucune des nobles facultés humaines n’était restée sans culture en elle ; et, comme un
arbrisseau d’une sève choisie, tous ses bourgeons avaient donné des ramures. Jamais l’amour
et le bonheur ne poseront leur couronne fleurie sur un front plus beau ; son mari l’a trompée ;
elle a aimé un autre homme et elle se meurt de désespoir.
PERDICAN
Cela est possible.
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CAMILLE
Nous habitons la même cellule, et j’ai passé des nuits entières à parler de ses malheurs ; ils
sont presque devenus les miens ; cela est singulier, n’est-ce pas ? Je ne sais trop comment cela
se fait. Quand elle me parlait de son mariage, quand elle me peignait d’abord l’ivresse des
premiers jours, puis la tranquillité des autres, et comme enfin tout s’était envolé ; comme elle
était assise le soir au coin du feu, et lui auprès de la fenêtre, sans se dire un seul mot ; comme
leur amour avait langui, et comme tous les efforts pour se rapprocher n’aboutissaient qu’à des
querelles ; comme une figure étrangère est venue peu à peu se placer entre eux et se glisser
dans leurs souffrances, c’était moi que je voyais agir tandis qu’elle parlait.
Quand elle disait : “ Là, j’ai été heureuse ”, mon cœur bondissait ; et quand elle ajoutait : “ Là,
j’ai pleuré ”, mes larmes coulaient.
Mais figurez-vous quelque chose de plus singulier encore ; j’avais fini par me créer une vie
imaginaire ; cela a duré quatre ans ; il est inutile de vous dire par combien de réflexions, de
retours sur moi-même, tout cela est venu. Ce que je voulais vous raconter comme une
curiosité, c’est que tous les récits de Louise, toutes les fictions de mes rêves portaient votre
ressemblance.
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Contact :
Julie Fouqué – Professeure conseillère-relais au TNB [email protected]
Lucie Benquet – Chargée des relations avec les publics (lycées, cohésion sociale, théâtre
amateur) 02.99.31.55.33 / [email protected]
Servane Jarnier – Chargée des relations avec les publics (publics jeunes : écoles primaires,
collèges, centres de loisirs, formation enseignants) 02.99.31.55.33 / [email protected]
Adeline Fiolleau – Chargée des relations avec les publics (Accessibilité, mobilité des publics,
danse amateur, arts du spectacle) 02 99 31 55 33 / [email protected]
Miléna Bas – Attachée aux relations avec les publics 02 99 31 55 33 / [email protected]
Gwenola Drillet – Secrétaire générale adjointe – Direction des relations avec les publics
02.99.31.55.33 / [email protected]
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