Oui, parbleu : La place du traducteur est dans l`invisible ! C`est ce
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Oui, parbleu : La place du traducteur est dans l`invisible ! C`est ce
Eloge pour la plume de plomb : Par principe La Plume de plomb doit être glissée cette année dans la poche du veston (pas au revers, elle est trop lourde) d’un éditeur qui « par principe », à ce que j’entends, ne mentionnera jamais, au grand jamais, le nom d’un traducteur ou d’une traductrice sur la couverture d’un livre. Cette distinction va à Herr Doktor Dirk Vaihinger, directeur des éditions Nagel & Kimche, qui défend ce principe avec une rigueur inébranlable. Il peut naturellement partager sa plume de plomb avec tout un essaim de coreligionnaires, jusqu’à ce que le poids de plomb finisse par devenir une sorte de miette qui n’encombrera plus personne. Libre à lui. Il n’aura certainement aucune peine à trouver des compagnons d’armes pour lutter contre les revendications effrontées des traductrices et des traducteurs qui veulent à tout prix apparaître sur la couverture des romans et des recueils de poèmes ou d’essais qu’ils ont traduits. Parce qu’ils sont après tout les auteurs de ces traductions, comme ils disent. Jamais le nom d’un traducteur sur la couverture !, leur rétorque M. Vaihinger. « Par principe! » Je suis impressionnée ! Catégorique comme il l’est, ce principe montre pour ainsi dire au petit traducteur où Dieu se trouve. « Un principe », nous explique la version allemande de Wikipedia, « (… du lat. principium = commencement, origine) [...] représente une légitimité donnée, qui prime les autres légitimités (la notion de légitimité peut selon les cas être remplacée par des notions telles que loi, loi naturelle, règle, directive, règle de comportement, norme ou postulat). Au sens classique, le principe occupe toujours le premier rang... » Oui, parbleu : La place du traducteur est dans l’invisible ! C’est ce que semble vouloir nous dire M. Vaihinger, dont on peut supposer que, de son point de vue élevé, il a peut-être aussi une haute opinion de la fonction de traducteur. Après tout, ces gens ont aussi leur saint patron, dont ils devraient se montrer dignes. Donc : Qu’y a-t-il de plus beau, quoi de plus exaltant, que l’oeuvre désintéressée des traducteurs, qui restent inaudibles, invisibles, transparents, à l’arrière-plan ? Qu’y a-t-il de plus noble que pareil altruisme ? C’est l’auteur qui doit luire, non l’humble traducteur ! Vue dégagée sur l’auteur, telle est notre devise ! Oups ! Est-ce que je me trompe, ou est-ce que nous ne sommes pas tombés d’un coup en pleine rue ? Alors que tout avait pourtant commencé d’une certaine manière dans les sphères célestes. Vue dégagée sur l’auteur ! Cela me rappelle quelque chose. Sauf que quelque chose semble s’être inversé dans les proportions. Mais je ne vais pas approfondir. Car maintenant j’entends vraiment des voix ! Elles semblent venir de toutes parts. D’en haut, d’en bas ? Il y en a beaucoup. Eh là ! Non mais ! Vous voulez quoi au juste ? Vous n’avez pas assez de place à l’intérieur du livre ? Qu’est-ce que vous voulez faire sur la couverture ? Sur la couverture, le traducteur est un élément perturbateur ! Vous croyez peut-être qu’on vend des traducteurs ? J’en reste sans voix, sérieux ! Nous vendons des titres, des illustrations de couverture, nous vendons un auteur. Vous croyez quoi ? Nous ne vendons même pas de livres ! A l’intérieur des livres, en ce qui nous concerne, vous pouvez vous ébattre comme bon vous semble. Sous les couvertures, entre les pages, entre les lignes... Mais tout autour, et pour tout ce qui va avec, s’il vous plaît, laissez-nous faire ! Vue dégagée sur l’auteur, telle est notre devise ! Aha ! me dis-je, que ce soit là un soi-disant Dieu qui parle ou bien la rue, les deux me font un effet plutôt désagréable. J’ai normalement affaire à autre chose, à de délicates nuances qu’il faut saisir, tâter, soupeser, auxquelles il faut prêter l’oreille, et traduire en mots à partir d’un certain silence. La langue qui est parlée ici me paraît suspecte. Eh là ! Honnêtement : vous y connaissez quelque chose aux affaires ? Nous y voilà. Je m’en doutais un peu. Nous disons : Non ! On le voit déjà à vos honoraires de misère ! Pour faire des affaires avec les livres, il faut venir à bout des traducteurs ! C’est ainsi que nous voyons les choses ! En voilà assez ! Même le plus pacifique des petits traducteurs finit ici par exploser. Ecoutez, dis-je, et je m’extirpe enfin d’entre mes pages. Vous pouvez vous estimer heureux que nous, les traducteurs, ne prenions pas nos aises dans les textes des auteurs, et qu’il nous suffise d’une petite place sur la couverture. Lorsqu’un auteur dit : « par principe », je ne le traduis pas autrement que « aus Prinzip ». Tout comme la plupart de mes collègues ! Nous n’en faisons pas notre propre roman, avec un éditeur qui se prend pour Dieu ou avec des graphistes et des libraires qui manifestent dans la rue ! Imaginez un peu, si dans nos traductions nous extrapolions, interprétions et pérorions sans la moindre entrave ! Inimaginable, ce qui vous est épargné là ! Et c’est précisément pour cela que je plaide maintenant résolument pour que le nom du traducteur, de la traductrice, apparaisse PAR PRINCIPE sur la couverture du livre ! En plus petit que celui de l’auteur, bien sûr ! Nous lui laissons bien volontiers la priorité : c’est en cela que réside notre véritable professionnalisme ! Du reste, voyez-vous : comme ailleurs, là aussi, d‘une manière ou d’une autre, tout est lié. Au bout du compte, en matière de traducteurs et de traductions, il ne s’agit de rien d’autre que de ne plus faire passer un X pour un U ! Yla M. von Dach, traductrice littéraire Traduction : Christian Viredaz