Production et stockage d`eau purifiée à l`officine

Transcription

Production et stockage d`eau purifiée à l`officine
PHARMAZIE UND MEDIZIN
PHARMACIE ET MÉDECINE
Recommandations de la Commission des médicaments des pharmaciens suisses AKA
Production et stockage
d’eau purifiée à l’officine(1/2)
A
K
A
Forum
Marianne Beutler, La production et le stockage dans
les règles de l’art de l’eau, princiAldo Kropf,
pale matière première utilisée dans
Samuel Steiner
la préparation de médicaments et
l’exécution d’ordonnances médicales à l’officine, posent des exigences élevées. Une étude du laboratoire de contrôle des médicaments de l’Office du pharmacien
cantonal de Berne montre que les
exigences de qualité actuelles –
les règles des Bonnes Pratiques
de Fabrication (BPF) de médicaments en petites quantités – imposent une réadaptation des consignes de travail dans les pharmacies. En conséquence, la CMPS,
aidée en cela par des experts, a
élaboré des recommandations
pour la production et le stockage
d’eau purifiée. Dans cette première partie, le lecteur trouvera les
résultats des analyses d’eau ainsi
que des notions fondamentales
sur la qualité et l’utilisation de
l’eau dans la préparation de médicaments. Des recommandations
pour la production et le stockage
de l’eau purifiée (Aqua purificata,
AP) paraîtront dans le no 15 du
Journal suisse de pharmacie.
Si la préparation en officine d’eau possédant les qualités chimiques exigées ne
pose guère de problèmes, la production
d’eau ayant une qualité microbiologique
satisfaisante présente régulièrement des
difficultés. Aussi, les analyses de l’Office
du pharmacien cantonal à Berne se
sont-elles concentrées sur la qualité
microbiologique. Les tests concernaient
l’eau purifiée, qualité utilisée pour la
plupart des médicaments préparés par
le pharmacien à l’officine.
Etude du laboratoire de
contrôle des médicaments
de l’Office du pharmacien
cantonal
Quelle eau utilisez-vous pour la préparation des médicaments? Nous permettez-vous de prélever un échantillon de
cette eau pour une analyse microbiologique?
Ces questions ont été posées en
2001 à 52 pharmacies du canton de
Berne. Dans ces 52 pharmacies, 53
échantillons d’eau portant la dénomination d’eau purifiée (AP) ont pu être
collectés dans des récipients stériles.
Ils ont été conservés dans un caisson
réfrigérant (5–15°C) et analysés par le
laboratoire d’étude (Laboratoire cantonal de Berne et pharmacie de l’Hôpital de l’Ile) pour la présence de contaminations microbiennes le jour même
du prélèvement.
Journal suisse de pharmacie, 14/2003
506
Résultats (cf. fig. 1)
D’après la Ph. Eur. [1], la valeur limite
pour l’eau purifiée est de 102 UFC
(unités formant des colonies) par ml.
La valeur limite maximum admise, déterminée par la méthode 2.6.12 Ph.
Eur. doit être interprétée comme égale
à 5×102 UFC par ml. Sur les 53 échantillons analysés, deux tiers environ répondaient exigences de la Ph. Eur. Dixneuf échantillons (36,5%) accusaient
une charge de germes trop élevée, avec
des valeurs dépassant 500 UFC par ml.
Les 53 échantillons prélevés comprenaient:
– de l’eau purifiée provenant du commerce de gros (5 échantillons)
– de l’eau pour préparations injectables provenant du commerce de
gros et utilisée (parfois après avoir
été entamée) comme eau purifiée
– de l’eau déminéralisée par échangeur d’ions (13 échantillons, dont 3
stérilisés par filtration et 10 non stérilisés par filtration)
PHARMAZIE UND MEDIZIN
PHARMACIE ET MÉDECINE
– de l’eau distillée (31 échantillons)
Les résultats ont été communiqués à
toutes les pharmacies; celles dont les
échantillons présentaient plus de 500
UFC par ml se sont vu enjoindre de
prendre des mesures appropriées pour
améliorer la qualité de leur eau. Au vu
de leurs (mauvais) résultats, de nombreuses pharmacies ont renoncé à produire leur propre AP. Après communication des mesures prises par les officines désireuses de continuer à produire leur AP, de nouveaux échantillons
ont été prélevés et analysés dans ces
pharmacies. Les échantillons de trois
pharmacies ont fait l’objet d’une nouvelle réclamation. Ce n’est qu’à l’issue
d’une recherche conjointe des causes
possibles et des mesures à prendre
qu’une solution a été trouvée qui permettra à ces pharmacies de produire et
de stocker de l’AP en conformité avec
les spécifications.
L’étude ne visait pas en premier lieu
à déterminer les causes de ces défauts
de qualité, mais à acquérir une vue
d’ensemble sur le marché de la qualité
de l’AP dans les pharmacies. Cependant, à examiner de plus près les
causes des problèmes et les informations relatives aux mesures prises, on a
acquis l’impression qu’une production
non conforme aux règles de l’art et le
stockage incorrect (exposition prolonTableau 2:
Eau destinée aux
préparations
pharmaceutiques
Désignation
Eau potable
Aqua purificata
Eau purifiée
Qualité microbiologique
<100 germes/ml
Pas de
germes fécaux
gée à la température ambiante, récipients inappropriés) pouvaient être
des facteurs déterminants pour le niveau inadmissible de contamination
microbiologique.
Qualités de l’eau destinée à
un usage pharmaceutique
(cf. tableau 1)
Eau potable
D’après l’ordonnance sur les denrées
alimentaires [2], on entend par eau
potable l’eau qui, à l’état naturel ou
après traitement, convient à la
consommation, à la cuisson d’aliments, à la préparation de mets et au
nettoyage d’objets entrant en contact
avec les denrées alimentaires. Son goût,
Qualité chimique
valeurs limites pour
substances étrangères et
composants
<100 germes/ml
Pas de
germes fécaux
Conductivité <4.3 µS·cm–1
Valeurs limites: nitrate,
métaux lourds, chlorure,
sulfate, ammonium,
calcium magnésium, ainsi
que substances acides,
alcalines et oxydables
Aqua ad
<0.25 U.I.
Conductivité <1.1 µS·cm–1
iniectabilia
endotoxines
Valeurs limites pour subst.
Eau pour prépara- bactériennes/ml organiques et inorganiques
tions injectables Stérilisée
Valeur limite pour particules
AP = Aqua purificata, eau PPI = eau pour préparations injectables
507
son odeur et son aspect doivent être irréprochables, elle ne doit pas dépasser
les valeurs de tolérance ni les valeurs
limites fixées pour les substances
étrangères et les composants, et elle
doit répondre aux critères hygiéniques
et microbiologiques fixés pour l’eau
potable. Elle doit contenir au maximum 100 germes par ml à la source et
300 germes par ml dans le réseau de
distribution, mais ne doit pas contenir
de germes fécaux tels que E. coli, entérocoques et salmonelles [3, 4].
L’eau potable fait l’objet de contrôles
réguliers. On ne connaît toutefois pas
sa qualité au moment du prélèvement.
Il existe un risque, bien que faible, de
contamination de l’eau par des sub-
Utilisation
pharmaceutique
Utilisée pour
produire de l’AP et
de l’eau PPI
Reconstitution de
sirops antibiotiques
Préparations
pharmaceutiques
ne devant être ni
stériles, ni exemptes
de pyrogènes
Régulation
Ordonnance sur les
denrées alimentaires,
Ordonnance sur les
substances étrangères
et les composants
Ph. Eur.
Préparations pour admi- Ph. Eur.
nistration parentérale, collyres, solutions pour inhalation
Provisions d’AP
Schweizer Apothekerzeitung, 14/2003
PHARMAZIE UND MEDIZIN
PHARMACIE ET MÉDECINE
stances indésirables en raison de
conduites défectueuses ou lors de forte
pluie provoquant une pollution passagère des réserves d’eau – mentionnons,
pour mémoire, la contamination de
l’eau par des germes fécaux à La Neuveville en 1998. Il est par conséquent
déconseillé d’utiliser de l’eau potable
dans la préparation de médicaments,
excepté pour la reconstitution d’un sirop antibiotique selon les instructions
du fabricant.
Aqua purificata (AP) – eau purifiée
L’eau purifiée est destinée à la production de préparations pharmaceutiques
qui ne doivent être ni stériles, ni
exemptes de pyrogènes. Elle est produite à partir d’eau répondant aux critères exigés de l’eau potable, que l’on
débarrasse de ses sels par des méthodes appropriées. La qualité chimique est définie par la Ph. Eur. qui
fixe des valeurs limites pour les substances organiques et inorganiques. La
qualité microbiologique est définie par
le nombre maximum admis de 100
germes par ml, ce qui correspond aux
exigences en vigueur pour l’eau potable. L’AP doit être exempte d’additifs
(p. ex. chlore, agents conservateurs).
Aqua ad iniectabilia – eau pour
préparations injectables (eau PPI)
L’eau pour préparations injectables est
une eau destinée à la préparation de
médicaments pour administration parentérale. L’eau PPI est produite à partir d’eau potable ou d’AP. La méthode
prescrite par la Ph. Eur. est la distillaNous remercions vive- tion. Aux critères exigés de l’AP s’ajoument le Dr H.R. Widtent, pour l’essentiel, des valeurs limer, Senior Consulmites de conductivité plus basses ainsi
tant, Hôpital de l’Île
qu’un taux d’endotoxines bactériennes
Berne, et Mme Brigitta
inférieur à 0,25 U.I. (Le test d’endoSchär, pharmacienne
et membre de la CMPS, toxines bactériennes remplace l’ancien
Berne, de leur soutien test pyrogène chez le lapin dans le but
et de leurs précieux
d’éviter des expérimentations animales
conseils.
inutiles.) L’eau PPI stérilisée permet de
constituer des réserves. Elle doit être
Cet article a été rédigé conforme aux valeurs limites pour les
sur mandat de la CMPS taux de particules visibles et non visibles.
par Dr Marianne BeutL’eau PPI ne doit pas contenir d’additif.
ler, directrice de la
A l’officine, l’eau stérilisée pour prépaCMPS; Dr Aldo Kropf,
rations injectables sert surtout à promembre de la Commission suisse de
duire des préparations critiques du
pharmacopée (repoint de vue microbiologique (p. ex.
présentant de la SSPh);
collyres ou solutions pour inhalations)
r
D Samuel Steiner,
et à constituer des réserves d’AP.
pharmacien cantonal,
Notions fondamentales sur
les contaminations microbiennes de l’eau
La raison pour laquelle il est difficile de
maintenir un faible taux en germes dans
l’eau tient au fait que les germes typiques
des milieux aqueux (des germes Gram
négatifs, p. ex. Pseudomonas, entérobactéries, flavobactéries, chromobactéries et Acinetobacters) se distinguent
par une grande faculté d’adaptation à
des conditions extrêmes du milieu.
Leurs besoins nutritionnels sont minimaux (le CO2 contenu dans l’eau et le
NH3 de l’air leur suffisent) et il ont une
capacité énorme de se multiplier pour
une large plage de températures.
Un autre phénomène important est
le «biofouling» [5]. Ce terme désigne
l’accumulation de bactéries, de champignons et d’autres organismes à la
surface de certains matériaux, ce qui
entraîne la formation d’un biofilm. Les
biofilms peuvent se former à l’intérieur
de conduites, de tuyaux, de réservoirs,
dans les robinetteries, les échangeurs
d’ions, les filtres à charbon actif, et sur
les membranes filtrantes. Leur développement est favorisé par les surfaces
rugueuses ou poreuses sur lesquelles
les germes et les champignons se déposent plus facilement et sont plus difficiles à éliminer que sur les surfaces
lisses. Dans les tubes de silicone transparents, les dépôts de bactéries et de
champignons forment des taches
grises reconnaissables à l’œil nu. Les
biofilms posent surtout problème dans
les endroits difficiles à nettoyer (p. ex.
tuyaux).
Par chance, les germes des milieux
aqueux, aussi peu exigeants soient-ils,
ont aussi quelques points faibles [6]:
– ils ne survivent pas à la sécheresse
– ils peuvent tous être tués par
chauffage à des températures supérieures à 70°C
– les températures froides freinent
la croissance des bactéries sous
réfrigération (2–8°C), la croissance des germes des milieux
aqueux, Pseudomonas compris,
n’est plus qu’insignifiante.
Dans la pratique du pharmacien, cela signifie que le danger de prolifération microbienne guette partout
où il y a présence simultanée d’eau
(ou d’humidité) et de chaleur.
canton de Berne
Journal suisse de pharmacie, 14/2003
508
Vous pouvez commencer par vérifier
l’état de la production et du stockage
d’eau purifiée dans votre pharmacie à
l’aune de ces trois facteurs-clé. Les recommandations pratiques paraîtront
dans le no 15 du Journal suisse de
pharmacie.
■
Adresse de correspondance
Commission des médicaments des
pharmaciens suisses CMPS
Case postale 5247
3001 Berne
Tél. 01 994 75 63
Fax 01 994 75 64
E-mail: [email protected]
Bibliographie
[1] Pharmacopée Européenne, 4e édition
[2] Ordonnance sur les denrées alimentaires
(ODAl)
[3] Ordonnance sur l’hygiène (OHyg)
[4] Ordonnance sur les substances étrangères
et les composants (OSEC)
[5] van Gessel A. Wasser zu oft verkeimt –
Wege zur Abhilfe. Pharmazeutische Zeitung
1992; 137: 48
[6] Widmer HR. Mikrobiologie und Infektiologie für Ärzte und Apotheker. WVG Stuttgart,
1992

Documents pareils