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Carnets de voyage adapté du journal “Diarios de motocicleta” d’Ernesto Che Guevara Film argentin de Walter Salles © Diaphana Distribution. 䉴 En 1952, Ernesto Guevara de la Serna (Gael Garcia Bernal), celui qui allait devenir le Che, héros le plus pathétique et le plus populaire du tiers-monde progressiste, était encore étudiant en médecine, fils ordinaire de la bourgeoisie argentine. Avec son compère Alberto Granado (Rodrigo de la Serna), il décide une longue virée aventureuse à travers le continent latino-américain. La modestie de leur viatique, une poignée de dollars vite épuisée, comme la vétusté de leur moyen de transport, une Norton 500, baptisée par dérision “la Poderosa”, ne les mettent pas à l’abri des pénuries et des avaries dans ces territoires aux distances infinies et aux infrastructures rudimentaires. L’entreprise n’était à ses débuts qu’un projet d’adolescents, vaguement idéalistes mais sans engagement politique déterminé. Au contact des réalités qui mélangent anecdotes pittoresques assez prévisibles et prise de conscience de situations insoupçonnées, la Cinéma randonnée va se transformer en parcours initiatique où l’on peut penser que se profile et se modèle le personnage à venir. Mais le film qui conserve pour le public hispanique le titre volontairement anodin de Diarios de motocicleta, journal tenu par Ernesto et que le Che reprit ultérieurement, s’efforce d’occulter l’avenir. Il s’en tient au déroulement cahoteux du voyage à travers l’Argentine, le Chili et le Pérou, à l’éblouissement que provoquent des paysages grandioses, en opposition à la misère humaine. Ce sont ces contrastes, sublimement filmés, qui retiennent l’attention des deux personnages, Ernesto et Alberto, épris de justice et indignés par le malheur, mais pas au point de prôner la révolte ou l’insurrection. Pour se cantonner dans ce lyrisme des commencements, sans véritables prémisses révolutionnaires, les producteurs, sous la houlette du très humaniste et démocrate Robert Redford, ont choisi le réalisateur argentin Walter Salles, bouillonnant et visionnaire auteur de Central do Brésil (voir H&M n° 1219) et, pour l’interprétation, la nouvelle idole des écrans latinos, Gael Garcia Bernal (Amours chiennes, Y tu mama tambien, La mauvaise éducation). Il est difficile de ne pas du tout présager du devenir de Rodrigo, de l’avènement du Che, icône des combats futurs des damnés de la terre, au vu du charisme que déploie son jeune interprète. Et puis, allons plus loin, l’auteur n’a-til pas, comme à plaisir, disposé des signes et des “stigmates” tout au long de leur route, pour qu’on identifie mieux celui qui allait, comme Jésus, se transformer en icône ? Sur son chemin (de croix), Ernesto rencontre des larrons, des miséreux, des pécheresses, des disciples, il tombe plusieurs fois (de moto), il reste chaste alors que son compagnon succombe allégrement, il marche (nage) sur les eaux, il soigne les lépreux… Ce parcours christique ne vous rappelle-t-il vraiment rien ? On peut se dispenser de cette lecture iconoclaste pour aimer ce film aimable. Land of plenty Film américain de Wim Wenders 䉴 Le cinéma américain, même au temps des splendeurs hollywoodiennes, a souvent été réalisé par des migrants, des exilés ou des étrangers. Depuis Paris Texas (1984), on sait que l’Allemand Wim Wenders oriente souvent sa carrière internationale vers les États- 115 Unis où l’état des lieux lui offre d’intéressantes thématiques. Le réalisateur transfuge vient de réussir la prouesse d’offrir, pour l’heure, à l’Amérique, le film le plus poignant et le plus éloquent sur l’après-11 Septembre 2001, à moins que ce ne soit sur les séquelles de la guerre du Vietnam (1975). Parlant de Land of plenty (terre d’abondance), titre évidemment ironique emprunté à une ballade de Leonard Cohen, Wim Wenders avoue avoir fait ce film, plus que tout autre, avec ses tripes et sous le coup d’une émotion durable. Aux antipodes des réquisitoires manichéens et souvent caricaturaux de Michael Moore, et au risque de moins plaire à la vieille Europe qui aime les exécutions expéditives, son œuvre s’écarte, par les vertus de la fiction, l’humanité des personnages, de la polémique et des prises de position partisanes. Le constat n’en est que plus implacable. Au cours d’une plongée assez atroce dans le Los Angeles des laissés-pour-compte, l’une des faces obscures de l’Amérique, à quelques rues de la prospérité la plus clinquante, nous découvrons les deux héros. Lana (Michelle Williams) a vingt ans, la foi chevillée au corps et déjà une solide expérience de la misère du monde à cause d’une adolescence passée en Afrique et en Palestine. Depuis son retour, elle se dévoue sans compter dans une mission, genre Secours catholique, qui accueille les sans-abri et autres déshérités. Elle cherche aussi à renouer avec un oncle fantasque, son unique lien familial. L’oncle Paul, extraordinaire John 116 Diehl, est un vétéran de la guerre du Vietnam, un peu fêlé, et qui souffre des suites d’une contamination par l’agent orange. Il hante les mêmes quartiers délabrés que Léna, mais loin de ses préoccupations humanitaires et de solidarité. À bord d’une camionnette équipée d’une panoplie de gadgets électroniques plus proches du bric-à-brac que de la technologie de pointe et sous les claquements ostensibles de la bannière étoilée, il donne libre cours à sa paranoïa. Tout individu au faciès ou au costume oriental est suspect. Tout rassemblement sur la voie publique ourdit un complot qui menace la démocratie. Tout colis pourrait contenir de l’anthrax prêt à empoisonner les populations sans défense. La rencontre improbable de deux personnages aussi dissemblables aura lieu à la suite du meurtre d’un Pakistanais et d’un ahurissant transport de sa dépouille qui les conduit dans un autre no man’s land. Celui de l’Amérique rurale en déshérence, un hameau où se démantèlent toutes sortes d’épaves, mobile homes et hangars, carrosseries et machines agricoles, vieilles gens et clandestins… La nièce et l’oncle vont finir par communiquer. Mieux encore, les idées généreuses de Lana, même si son angélisme en a pris un coup au cours des dernières péripéties, auront finalement raison des dangereuses phobies de l’oncle Paul. Un film dont on sort durablement ébranlé, avec une sensibilité aiguisée que prolongent les entêtantes musiques de Thom, Gods and monsters, et de Leonard Cohen, Ten new songs, et une inquiétude tenace quant à l’avenir du plus puissant pays au monde. © Océan Films. Le soleil assassiné Film franco-algérien d’Abdelkrim Bahloul Quelque dix ans après l’aboutissement de la révolution algérienne, le poète Jean Sénac qui en avait clamé haut et fort les illusions 䉴 lyriques, était assassiné dans un entresol de la rue Élysée-Reclus, au cœur d’Alger, qui lui servait de refuge depuis sa disgrâce. Les auto- N° 1252 - Novembre-décembre 2004