Caractéristiques et motivations des gangs transnationaux dans les
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Caractéristiques et motivations des gangs transnationaux dans les
Caractéristiques et motivations des gangs transnationaux dans les Amériques Nielan Barnes Maître de conférences en sociologie, California State University at Long Beach Selon les experts en sécurité nationale, les gangs de jeunes constituent une menace de plus en plus grave pour la sécurité urbaine dans les Amériques, en particulier au Guatemala, au Salvador et au Honduras (le « triangle nord »), ainsi que dans le sud du Mexique et dans certaines régions des États-Unis et du Canada1. On fait souvent état de l’amplification et de la gravité du problème, une perception qui s’inspire des reportages à sensation sur l’expansion transnationale des gangs de jeunes d’Amérique centrale et sur les liens entre les gangs urbains, la criminalité organisée et le narcotrafic2. À l’heure actuelle, il existe peu de travaux de recherche comparative qui fournissent une vision claire de la propagation de la violence attribuable aux gangs de jeunes en Amérique du Nord et en Amérique centrale3. S’agissant de gangs centraméricains, il faut distinguer entre les maras, groupes aux racines transnationales, et les pandillas, groupes locaux comme il y en a toujours eu dans les sociétés de la région4. Les recherches montrent que la plupart des gangs sont des « généralistes » plutôt que des « spécialistes » de la criminalité5 et que l’activité entrepreneuriale assortie d’une chaîne de commandement et de liens transnationaux avec le narcotrafic et le crime organisé n’occupe qu’une place plutôt marginale par rapport à la majeure partie de l’activité des gangs. On peut faire remonter les maras à la migration de Salvadoriens, puis de Guatémaltèques et de Honduriens, vers les États-Unis dans les années 1980. À Los Angeles, les jeunes Centraméricains ont adhéré à des gangs comme le Barrio 18, et en ont créé de nouveaux – la Mara Salvatrucha, par exemple. Au milieu des années 1990, la migration de retour de familles et de jeunes Centraméricains – migration involontaire dans certains cas, provoquée par la politique d’expulsion des États-Unis – a facilité la fécondation réciproque des cultures des gangs de Los Angeles et d’Amérique centrale. Les jeunes rapatriés faisaient face à l’urbanisation rapide, à la pauvreté persistante et au manque de bons emplois, de sorte que l’adhésion à un gang devenait l’une des rares options pour leur survie. Les gouvernements d’Amérique centrale ont réagi en adoptant des politiques de mano dura (le Plan Escoba au Guatemala, le Plan Mano dura au Salvador; Libertad Azul et Cero Tolerancia au Honduras) prévoyant des détentions massives de jeunes et des peines d’emprisonnement sévères. Ces politiques ont eu pour effet d’aider à institutionnaliser les maras en concentrant les chefs de gang dans les prisons. On peut observer sans difficulté un certain nombre de caractéristiques organisationnelles communes des gangs centraméricains. Tout d’abord, il y a trois niveaux d’implication des jeunes dans les maras et les pandillas : 1) la direction des maras correspond à une minorité d’individus, concentrés dans les prisons centraméricaines, qui ont des liens transnationaux avec le crime organisé et le narcotrafic; 2) les simples membres comprennent deux sous-groupes : les jeunes affiliés aux maras6 et ceux qui sont affiliés aux pandillas locales; la plupart des simples membres sont dans la fourchette d’âge des 14 à 26 ans, ce qui suggère une corrélation avec le phénomène de l’excédent de jeunes (youth bulge7); 3) les jeunes en situation de risque qui ne sont pas encore membres d’un gang. En second lieu, un grand nombre de membres sont impliqués dans la production et la consommation locales et à petite échelle de crack, mais ont peu de liens avec les gangs internationaux ou le narcotrafic. Troisièmement, sous l’effet des politiques de mano dura, la plupart des membres de maras et de gangs de jeunes sont devenus moins attachés à un territoire donné et plus mobiles, et ils ont enlevé leurs tatouages pour se rendre moins visibles aux yeux de la police et des autorités. Quatrièmement, les indices permettant de croire à l’implication possible d’un jeune dans un gang sont le sexe (mâle) et le fait d’être issu d’un milieu ouvrier ou d’un foyer monoparental. Les jeunes sont attirés vers les gangs en raison de l’absence de bons emplois, de l’affaiblissement des structures familiales (à la suite de la migration des parents) et de l’échec (ou de la non-existence) de l’État-providence8. En général, les membres des gangs n’obtiennent pas de bons résultats à l’école et sont attirés vers les gangs à un âge relativement jeune (de 10 à 12 ans). Cinquièmement, les avantages immédiats de l’adhésion à un gang sont sociaux et culturels, et non pas matériels ou économiques9. Les gangs apportent aux jeunes protection, respect, identité, sentiment d’appartenance et soutien social, ce dont ils sont souvent privés dans leur milieu urbain. Une fois qu’ils sont membres d’un gang, les motivations qui les incitent à y rester sont la fierté culturelle masculine, le statut et le pouvoir, la défense de leur territoire contre les gangs rivaux et la police, la possibilité de gains économiques plus élevés, et le besoin de financer leur consommation (ou abus) de stupéfiants. Au nombre des aspects négatifs de l’adhésion aux gangs de jeunes, il faut compter l’exposition précoce à la violence interpersonnelle, fatale ou non, perpétrée par d’autres gangs, ainsi qu’à la consommation de drogues; à cela s’ajoute la perte d’intérêt pour les études et l’apprentissage d’un métier, et le risque de devenir la cible de la violence policière et d’être incarcéré. Sixièmement, les corps policiers centraméricains traitent tous les gangs (pandillas et maras) comme une menace monolithique, qui ne mérite que la même action musclée. Au Honduras, au Guatemala et au Salvador, les politiques de mano dura ont servi à justifier l’épuration sociale de la jeunesse au moyen d’exécutions extrajudiciaires et d’incarcérations massives de jeunes hommes et de garçons10. De 2003 à 2007, par exemple, 65 000 jeunes ont été jetée en prison au Salvador sur présomption d’appartenance à un gang11. En outre, 3 700 jeunes de moins de 22 ans ont été exécutés par les services de sécurité entre 1998 et 2007, en raison de leur appartenance à des gangs, croit-on12. Certains jeunes sont détenus jusqu’à six mois sans être inculpés et sans bénéficier d’une procédure équitable, ce qui constitue une violation de leurs droits13. Ana Arana, « How the street gangs took Central America », Foreign Affairs, vol. 84, no 3, 2005; National Gang Intelligence Center, « National gang threat assessment », U.S. Bureau of Justice Assistance, 2009; Scot Wortley et Julian Tanner, « Criminal organizations or social groups? an exploration of the myths and realities of youth gangs in Toronto », première version, Université de Toronto, 2007; Washington Office on Latin America, Youth Gangs in Central America: Issues in human rights, effective policing and prevention, Washington, WOLA, 2006. 2 Connie McGuire, « Central American youth gangs in the Washington D.C. area », Washington, WOLA, 2006. 3 Malcolm Klein, « The value of comparisons in street gang research », Journal of Contemporary Criminal Justice, vol. 21, no 2, 2005, p. 135-152. 4 Oliver Jütersonke, Robert Muggah et Dennis Rodgers, « Gangs, urban violence, and security interventions in Central America », Security Dialogue, vol. 40, 2009, p. 379. 5 Wortley et Tanner, 2007, p. 19. 6 En gros, deux maras sont actives en Amérique centrale : la Mara Salvatrucha et les Dieciocho (18). Voir Jütersonke, Muggah et Rodgers, 2009, p. 379. 1 « Il est clair qu’il faut une masse critique de jeunes dans un quartier pour qu’un gang y émerge », selon Dennis Rodgers. « Living in the shadow of death: gangs, violence and social order in urban Nicaragua, 1996-2002 », Journal of Latin American Studies, vol. 38, 2006, p. 272. 8 Caroline Moser et Bernice Van Bronkhorst, Youth Violence in Latin America and the Caribbean: Costs, causes and interventions, LCR Sustainable Development Working Paper No 3, Urban Peace Program Series, Banque mondiale, 1999. 9 Wortley et Tanner, 2007. 10 WOLA, 2006. 11 Elin Cecilie Ranum, Session sur les gangs de jeunes d’Amérique centrale : nouveaux défis d’intervention, Conférence internationale d’ONU Habitat sur l'état de la sécurité dans les villes mondiales, du 1er au 5 octobre 2007, Monterrey (Mexique). 12 José Manuel Capellin, Session sur les gangs de jeunes d’Amérique centrale : nouveaux défis d’intervention, Conférence internationale d’ONU Habitat sur l'état de la sécurité dans les villes mondiales, du 1er au 5 octobre 2007, Monterrey (Mexique). 13 Casa Alianza Honduras, Informe de Ejecuciones y Muertes Violentas de Niños y Jóvenes Durante la Administración del Presidente Ricardo Maduro, Tegucigalpa, Casa Alianza, 2002. 7