Les filles et les gangs plusieurs réalités et subtilités - cedtc
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Les filles et les gangs plusieurs réalités et subtilités Par René-André Brisebois, M.Sc. Criminologie Centre d’expertise | Délinquance et troubles de comportement Centre jeunesse de Montréal Institut universitaire Coordonnateur du RÉSAL-MTL Les filles dans les gangs sont souvent perçues comme étant des victimes au sein du groupe. Pourtant, l’expérience des gangs de rue peut être différente d’une fille à l’autre, allant de la prostitution à la commission de délits avec violence. Tout compte fait, il importe de spécifier que les filles ne peuvent être uniquement définies par leur victimisation… tout comme les garçons ne peuvent l’être que par leurs délits et comportements répréhensibles. La réalité est bien plus nuancée. Attardons-nous aux filles, à leurs expériences et à leurs rôles dans les gangs. Les filles… et la délinquance! Bulletin numéro 4 du Réseau d’échange et de soutien aux actions locales Mars 2015 Ce bulletin est produit par le Centre d’expertise|Déliquance et troubles de comportement du Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire. Avec la contribution financière du ministère de la Sécurité publique Certaines filles participent, de leur plein gré, aux activités criminelles des gangs. Elles peuvent occuper divers rôles ou fonctions. Un des rôles qu’on leur reconnait de plus en plus est celui de « recruteuses », c’est-à-dire qu’elles recrutent d’autres filles afin que celles-ci participent à des activités de prostitution ou à la commercialisation du sexe. Trop souvent oubliées ou sous-estimées, ces filles « recruteuses » utilisent l’amitié pour arriver à leurs fins (contrairement aux garçons qui, eux, usent des pouvoirs du charme). En fait, le recrutement est une affaire de séduction, que ce soit une séduction amoureuse ou amicale. Mais, ces filles qui recrutent auprès d’amies ont un énorme avantage sur leurs comparses masculins puisqu’elles peuvent être beaucoup plus subtiles. Tant et si bien que les jeunes filles recrutées ne soupçonneront pas le stratagème de leurs « amies ». Ces recruteuses sont donc considérées comme des partenaires d’affaires et sont reconnues par les membres du gang. Elles possèdent d’ailleurs un statut important et la reconnaissance qui vient avec. Pour certaines de ces recruteuses, il s’agit en quelque sorte d’une stratégie de protection leur évitant d’être ellesmêmes recrutées à des fins d’exploitation sexuelle. D’autres filles, elles, possèdent un rôle similaire aux garçons, celles-ci étant reconnues pour leur implication dans des délits violents. Bien qu’elles soient beaucoup moins nombreuses que les garçons à ce chapitre, soulignons qu’elles peuvent faire toutes sortes de délits. On parle de voies de fait, vols qualifiés, utilisation d’armes, etc. Et le fait de s’associer à un gang de rue augmente grandement la probabilité de commettre des délits violents, et ce, tant chez les garçons que les filles. De plus, les jeunes filles ou les jeunes garçons, qui s’associent à un gang, vivent généralement plusieurs difficultés (facteurs de risque) sur les différents aspects de leur vie. On parle de problèmes familiaux (ex. : faible supervision parentale, peu d’affection), de difficultés scolaires (ex. : échecs, faible motivation), de fréquentations malsaines (ex. : pairs délinquants, pairs consommateurs), de vulnérabilités au plan personnel (ex. : consommation de drogue, sexualité à risque) et d’un environnement néfaste (ex. : criminalité, sentiment d’insécurité). Toutefois, deux aspects semblent plus présents chez les filles que chez les garçons : le fait de fuguer du domicile familial et celui d’avoir vécu des abus physiques ou sexuels. Soulignons que ces deux aspects peuvent parfois être associés, étant donné que les abus, physiques ou sexuels, amènent souvent les adolescentes à fuguer. Néanmoins, dépendamment du besoin des jeunes filles et de leurs réactions face aux conditions de vie difficiles, elles peuvent autant occuper un rôle similaire aux garçons membres d’un gang, qu’un rôle très distinct, en étant utilisées et exploitées par ceux-ci. Pour plus de renseignements concernant cette publication ou émettre des commentaires, visitez le site Internet du Résal au http://cedtc.cjm-iu.qc.ca/Fr/resal/ LE BULLETIN DU RÉSAL mars 2015 Les filles et les gangs : plusieurs réalités et subtilités (suite) Exploitation et manipulation de jeunes filles au profil plus vulnérable Avant d’aborder de front la question de prostitution juvénile, il faut souligner que les jeunes filles utilisées ou exploitées peuvent également participer à certaines activités criminelles ou, du moins, en être les complices (ex. : blanchiment d’argent, utilisation de fausse monnaie, transport ou dissimulation d’armes à feu, vol à l’étalage, etc.). En fait, avant de parler d’exploitation sexuelle, il nous faut parler d’exploitation au sens large. Les jeunes filles, souvent considérées par les membres de gang de rue comme vulnérables, naïves et en quête d’aventure, deviennent des proies faciles pour eux. Permettre à ces adolescentes d’accéder à un meilleur statut socioéconomique, de sortir dans les restaurants, d’avoir une garde-robe constamment renouvelée et de s’amuser dans de nombreuses fêtes organisées peut devenir le paradis pour plusieurs. Mais ce qui prime par-dessus tout, c’est qu’à leurs yeux, se cache, derrière toute cette mascarade, un homme charmant, attentionné, amoureux, dévoué et qui les font sentir uniques au monde. Ce sentiment d’exaltation est souvent lié au fait qu’elles ont vécu des difficultés familiales importantes et des abus à répétition, les amenant à trouver un moyen de s’échapper de cette dure réalité. Le recrutement opéré par les garçons amène les jeunes filles ciblées à tomber en amour. Il faut savoir qu’aux yeux d’une jeune fille, cette relation amoureuse se vit avec un homme charmant et extraordinaire, même si tout son entourage peut percevoir cet individu comme un «membre de gang/ proxénète ». Cette distinction est très importante puisque le regard critique et extérieur des gens conduit bien souvent les jeunes filles à vouloir couper les ponts avec leurs proches ou intervenants. Se sentir jugées ou sentir que l’homme qu’elles Page 2 aiment n’est pas accepté par leurs proches peut faire en sorte qu’elles cherchent délibérément à s’éloigner d’eux. Parfois, le «chum» en question utilisera lui aussi des moyens afin de montrer à « sa copine » que son entourage ne comprend pas leur amour, qu’ils sont jaloux et que pour ces raisons, elle devrait s’en détourner. Le résultat est le même : la jeune fille se retrouve isolée. Il s’agit d’une condition idéale pour assurer un certain contrôle sur celle-ci. Reste que la violence est rarement utilisée au début de ces « relations amoureuses », le but du proxénète étant d’amener les jeunes femmes à se prostituer ou offrir des services sexuels à d’autres membres du gang. Pour ce faire, le proxénète est davantage dans des stratégies de manipulation. Ce n’est qu’après un certain temps, lorsque les adolescentes en viennent à remettre en question la relation amoureuse ou, du moins, à remettre en question les services et activités sexuelles attendus, que la menace ou la coercition peuvent survenir. C’est à ce moment que certaines filles peuvent être contraintes, par la force et l’intimidation, à poursuivre leurs activités de prostitution. Alors que les jeunes filles peuvent être séduites par un jeune homme, elles risquent davantage d’être influencées par une amie. Certaines filles se laissent berner par leurs complices en fuguant avec elles et en allant se réfugier chez des amis qui sont habituellement de mèche avec la recruteuse (ex. : un proxénète). Les jeunes filles qui se font recruter par d’autres filles sont souvent exposées au milieu prostitutionnel (ex. : bar de danseuses). Cette méthode est déployée afin de les désensibiliser à cette réalité, les amener à banaliser la sexualité dans ce milieu et à leur faire voir qu’il s’agit d’un milieu extrêmement payant. Ces stratagèmes de recrutement sont plutôt utiles puisque les filles se méfient beaucoup moins de leurs « amies » que des éventuels hommes qui peuvent les aborder. Mentionnons que d’autres filles feront elles-mêmes les démarches auprès de membres de gangs ou proxénètes pour LE BULLETIN DU RÉSAL mars 2015 participer à des activités de prostitution. Que ce soit dans le but de faire de l’argent ou de vivre des aventures, ces adolescentes se croient bien souvent au-dessus des autres filles faisant l’expérience des gangs. Le fait d’aller « vers » les membres de gangs ou proxénètes est l’astuce qu’elles ont trouvée pour dénicher des contacts, connaitre les milieux où faire de l’argent, identifier les bonnes personnes à qui s’adresser, etc. Cependant, il est clair qu’une fois entrées dans ce milieu, ces jeunes filles se mettent grandement à risque de victimisation. Ce qui était jadis un besoin d’argent ou d’aventure peut rapidement virer au cauchemar. Malgré cette apparence de non-vulnérabilité et de contrôle de soi, se cache habituellement une faille ou une carence que les membres de gangs sauront rapidement exploiter ou utiliser. Intervention auprès des filles à risque… diverses stratégies! La question d’éducation à la sexualité et aux relations saines et égalitaires est non seulement de mise auprès de ces jeunes filles vulnérables, mais vient également répondre à d’importants besoins qu’ont ces jeunes filles. Celles-ci sont à risque de s’impliquer dans des activités de prostitution peuvent avoir vécu diverses expériences sexuelles à risque (ex. : sexualité précoce, relations sexuelles non protégées, partenaires multiples, partenaires occasionnels, etc.). De même, la banalisation des comportements sexuels à risque et l’hypersexualisation (comportements, attitudes, tenues vestimentaires, etc.) les placent comme des cibles de prédilection pour des membres de gangs cherchant à exploiter certaines jeunes filles. De la sorte, les intervenants doivent faire face à ce qui apparait « normal » ou « habituel » pour ces adolescentes plus vulnérables. Il importe donc pour les intervenants de sonder leurs perceptions de la sexualité et des relations amoureuses tout en ayant le souci de les amener à réfléchir sur l’importance du respect de soi, sur l’intimité amoureuse et sexuelle, sur leur intégrité physique et psychologique, sur la question du consentement libre et éclairé, sur une relation de couple égalitaire, sur la non-acceptation de la violence en contexte de relation amoureuse ou sexuelle, etc. Ces différentes thématiques permettent aux jeunes filles de réfléchir sur elles-mêmes, leurs valeurs et les situations qu’elles ne doivent pas tolérer ou accepter. Cette réflexion doit les amener à se questionner sur leurs comportements et leurs attitudes en contexte de relation amoureuse, et non uniquement en contexte de gangs de rue. Trop souvent, ces jeunes filles sont perçues uniquement comme des « victimes », ce qui leur enlève un certain pouvoir d’agir sur leur situation. Sans compter que pour certaines filles, cette vision de « victimes » peut rapporter gros. Cela leur permet de pouvoir manipuler leurs intervenants et demeurer actives dans leur délinquance. À cet égard, il est toujours intéressant et pertinent de saisir comment elles parviennent à justifier leurs comportements. En effet, certaines pourraient chercher à se victimiser, à blâmer l’autre et à se déresponsabiliser en tentant de manipuler leurs intervenants afin d’en tirer profit (ex. : cacher leur délinquance, obtenir des privilèges ou obtenir une attention particulière). D’autres pourraient, quant à elles, chercher à intimider, jouer aux « dures à cuire », aux délinquantes en souhaitant rejeter l’image de victime qu’on leur a accolée. Mais ces jeunes filles, qui tentent de rejeter cette étiquette, pourraient très bien vivre réellement de l’exploitation sexuelle. Ces stratégies défensives doivent être considérées pour aborder réellement et efficacement le fond du problème. Néanmoins, l’élément qui demeure le plus efficace pour savoir à quel profil correspond une jeune fille, et ce, dans le but de guider nos interventions futures, reste le motif l’ayant mené à fréquenter le milieu des gangs. Est-ce par besoin d’aventure, d’argent ou d’amour, cachant un profil plus vulnérable? Ou est-ce par besoin d’appartenance, de sécurité ou de reconnaissance démontrant un profil plus délinquant? Sources : Bjerregaard, B., et Smith, C. (1993). Gender differences in gang participation, delinquency, and substance use. Journal of Quantitative Criminology , 9: 329- 355. Dorais, M., avec la coll., de Corriveau, P. (2006). Jeunes filles sous influence: prostitution juvénile et gangs de rue. VLB Éditeur. Fredette, C. et Béliveau, S. (2014). Les filles et les gangs: un rapport complexe entre délinquance et exploitation. Dans. J-P. Guay et C. Fredette (Eds.). Le phénomène des gangs de rue : Théorie, évaluation, intervention. Montréal : Presses de l’Université de Montréal. Howell, J.C. (2012). Gangs in America’s Communities. Thousand Oaks: SAGE Publications. Enfin, il est souhaitable d’amener ces jeunes filles à se responsabiliser et à accepter les conséquences de leurs actions. LE BULLETIN DU RÉSAL mars 2015 Page 3