Juillet-Août-Septembre 2012 - Université de Pau et des Pays de l

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Juillet-Août-Septembre 2012 - Université de Pau et des Pays de l
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Juillet-Août-Septembre 2012
Mourad Oulmi
Pdg de Sovac
Introduire un dossier sur le thème de la
convergence des pratiques RH dans les entreprises, et en particulier dans les filiales des
grands groupes au Maghreb, n’est pas chose
aisée tant les réalités sont complexe, et en
perpétuelle mutation. Développer l’idée que
les pratiques RH s’homogénéisent à travers le
monde questionne les managers du Maghreb.
Une chose est sure: partout au Maghreb comme
à travers le monde la fonction Ressources Humaines est devenue une fonction capitale au
cœur du développement de l’entreprise, mais
sous des formes qui peuvent être spécifiques
au contexte local. On a trop longtemps perçu
la fonction des Ressources Humaines comme
une simple fonction de support reproductible
d’un contexte à un autre. Heureusement, nous
n’en sommes plus là. C’est aujourd’hui incontestablement à la fois une fonction stratégique
protéiforme et la principale richesse de l’entreprise sans laquelle aucun développement n’est
possible. En tant que PDG d’une entreprise qui
connaît un taux de croissance annuel conséquent dans l’importation et la distribution automobile qui a connu, depuis 2007, une période
de crise inédite, j’ai bien conscience que les RH
sont un vecteur d’excellence, de qualité et de
cohésion comme partout au plan international.
Chez SOVAC (importateur exclusif de marques
allemandes du groupe Volkswagen : VW, AUDI,
SKODA, SEAT, Porsche), nous connaissons une
croissance à deux chiffres depuis trois années
à travers un réseau de distributeurs étoffé qui
couvrent quasiment la totalité du pays tout en
développant une stratégie de proximité, de service et une orientation client systématique. Cette
expérience nous amène à penser qu’il n’y a de
succès qu’à travers une gestion de proximité des
ressources humaines par une présence forte des
managers RH au plus près de nos personnels.
Si notre souci permanent est celui de l’efficacité, de l’efficience et de la performance, nous
sommes aussi conscients que le succès de notre
groupe passe d’abord par le degré d’engagement et d’implication des ressources humaines.
Etre à l’écoute des salariés, de nos collaborateurs, de leurs aspirations ou de leur projet est
une mission cruciale qui garantit à l’entreprise
sa cohésion et son développement durable, notamment dans la relation partenariale que nous
entretenons avec les enseignes prestigieuses
que nous représentons.
Mais les RH sont aussi un défi permanent
pour nous. La qualité, l’efficience et la performance sont des mots d’ordre qui exigent donc
de nos responsables RH un management de
l’excellence qui comprend une forte présence,
un appui et une écoute sans faille aux employés
pour que chaque collaborateur se sente impli-
qué, accompagné et valorisé. L’engagement de
nos salariés est une condition sine qua non de
nos attentes en termes de qualité, et cet objectif est une véritable gageure aujourd’hui. Notre
perception de la performance RH est en effet
liée à des actions de standardisation des processus et à des indicateurs de qualité de service
et d’efficacité économique en termes de chiffre
d’affaires. La performance RH s’inscrit donc
dans une chaîne de valeur interne à laquelle
participent tous nos salariés.
Même si nous avons des particularismes
locaux dans nos méthodes, notre stratégie RH
reste basée sur une gestion des compétences
et des talents, et notre souci permanent est de
favoriser un encadrement jeune, motivé et facilement imprégnable de la culture d’excellence
du groupe VW. Nous recrutons massivement de
jeunes diplômés de grandes écoles et entretenons une proximité avec les universités et les
grandes écoles en ce sens: participation aux
portes ouvertes, salons de recrutement, jobday...
Par ailleurs, et c’est assez nouveau dans des
pays en transition, nous nous employons aussi
à construire une culture du mérite qui se traduit principalement par une politique salariale
transparente et motivante. Nous avons mis sur
pied des systèmes de rémunération des salariés
perçus par eux comme motivants, même s’ils
ne sont pas aussi complets qu’en Europe ou en
Amérique du nord (actionnariat, intéressement,
participation, épargne salariale).
En Algérie deux des problèmes récurrents sont
ceux de la qualification et du turn-over. C’est la
raison pour laquelle nous pouvons nous enorgueillir d’avoir mis sur pied un style de management participatif et une politique qui a consisté
à maitriser ce phénomène particulièrement au
niveau de l’encadrement, notamment par une
politique d’évaluation de la performance, par
la formation et l’animation soutenues: formations techniques/formations dédiées au management, tant au niveau corporate qu’individuel.
Ce numéro spécial de la Business Management Review répond à de nombreuses interrogations et nous ouvre des champs de réflexion
qui permettent de mieux comprendre nos difficultés, nos défis et les orientations envisageables pour se conformer sans trahir nos spécificités culturelles et socioéconomiques.
Mot de la Rédaction
Hadj NEKKAEDITORIAL
Johannes SCHAAPER La GRH au sein des filiales des multinationales implantées au
Boualem ALIOUAT Maghreb : De l’altérité à l’hybridation des pratiques
Zahir YANAT
Johannes SCHAAPER
Les politiques de GRH internationale dans les firmes
Jacques JAUSSAUD
multinationales : Entre expatriation et localisation des postes
Belkis BOUSSETTA KECHIDA Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les
Zeineb B. AMMAR MAMLOUK filiales tunisiennes de multinationales : Entre contingence, convergence et hybridation
Omar TIJANI
Camal GALLOUJ Hadj NEKKA Kaabachi SOUHEILA
Boualem ALIOUAT
La capacité d’absorption et le transfert des connaissances : rôle de la GRH dans les filiales des FMN du secteur aéronautique au Maroc
Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse
à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc
Khaled AROUS Les pratiques de la gestion des compétences dans les multinationales en Tunisie
Khaled TAHARI Malik MEBARKI GRH et Mondialisation : La question de la diffusion du modèle
de gestion dans les entreprises en Algérie
Abir BESBES Boualem ALIOUAT
Houcine KHEMIRI Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la
performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel
et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes)
REGARD CROISE
Zahir YANAT
Itinéraire d’un enseignant chercheur : une question de méthode
Mohamed AKLI ACHABOU
L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au défi de la transition vers l’économie de marché
REVIEW
BUSINESS
MANEGEMENT
BMR
Numéro ISSN
Papier : ISSN 2170-1679
En ligne : ISSN 2170-1687
BMR
REVIEW
BUSINESS
MANEGEMENT
REDACTION :
Brahim BENABDESLEM
DIRECTEUR GENERAL DE LA REVUE
Boualem ALIOUAT
Rédacteur en chef
BMR
LE COMITE SCIENTIFIQUE – EDITORIAL BOARD
Boualem Aliouat
Université de Nice Sophia Antipolis, CNRS (France)
Marie-José Avenier
CNRS et Université Pierre Mendès-
France, Grenoble (France)
Brahim Benabdeslem
MDI Business School (Algeria)
Sid Ahmed Benraouane
University of Minnesota, Carlson School of Management (USA)
Faouzi Bensebaa
Université de Reims (France)
Francis Bidault
European School of Management and Technology (Germany)
Jean-Pierre Boissin
IAE de Grenoble (France)
Christina Butler
Kingston University, London (United Kingdom)
Thomas Durand
Ecole Centrale Paris (France)
Alain Fayolle
EM Lyon (France)
Michel Ferrary
HEC Genève (Switzerland)
Louis Jacques Filion
HEC Montréal (Canada)
Faiz Gallouj
Université de Lille 1 (France)
Yvon Gasse
Université Laval (Canada)
Widad Guechtouli
MDI Business School (Algeria)
Michel Ghertman
GREDEG –CNRS/UNS, Nice (France)
Yvonne Giordano
Université de Nice Sophia Antipolis (France)
Taïeb Hafsi
HEC Montréal (Canada)
Jean-Pierre Helfer
IAE Paris 1 – Sorbonne (France)
Ahmed Hammadouche
MDI Business School (Algeria)
Isabelle Huault
Université Paris Dauphine (France)
Marc Ingham
ESC-Dijon (France)
Laoucine Kerbache
HEC Paris (France)
Martin Kupp
European School of Management and Technology (Germany)
Benoît Leleux
IMD International de Lausanne (Switzerland)
Jacques Liouville
EMS-Université de Strasbourg (France)
Pierre Louart
IAE de Lille (France)
Alain-Charles Martinet
Université Jean Moulin, Lyon (France)
Ulrike Mayrhofer
Université de Lyon 3 (France)
Bachir Mazouz
ENAP, Université du Québec (Canada)
Teresa V. Menzies
Brock University, Faculty of Business, Ontario (Canada)
Karim Messeghem
Université de Montpellier 1 (France)
Caroline Mothe
Université de Savoie (France)
Robert Paturel
IAE de Brest (France)
Véronique Perret
Université Paris Dauphine (France)
Jean-Marie Perretti
Université de Corse Pasquale Paoli, Corté (France)
Christophe Roquilly
EDHEC Business School (France)
Jonathan Story
INSEAD (France)
Zhan Su
Université Laval (Canada)
Zahir Yanat
BEM Bordeaux Business School
Eric LamarqueUniversité de Bordeaux IV
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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LE COMITE D’EVALUATION
• Michel Bernasconi
SKEMA Business School
• Laure Cabantous
University of Nottingham, UK
• Jamil Chaabouni
Université de Sfax
• Denis Chabault
IAE Tours
• Valérie Chanal
IAE de Grenoble
• Regis Coeurderoy
Université Catholique de Louvain
• Christophe Collard
EDHEC Business School
• Nabyla Daidj
Université de Paris Sud
• Didier Danet
Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr
• Faridah Djellal
Université de Lille 1
• Régis Dumoulin
Université d’Angers
• Laurent Fontowicz
Université de Lille 2
• Camal Gallouj
Université de Paris XIII
• Gilles Guieu
Université de la Méditerranée
• Muriel Jougleux
Université Paris Est, Marne la Vallée
• Catherine Léger-Jarniou
Université Paris Dauphine
• Frédéric Le Roy
Université de Montpellier 1
• Christophe Loué
Advancia
• Christian Marmuse
Université de Lille 2
• Jérôme Maati
Université de Lille 1
• Ariel Mendez
Université de la Méditerranée
• Pierre-Xaviier Meschi
IAE d’Aix en Provence - Skema Business School
• Patrick Micheletti
Euromed Business School
• Hadj Nekka
Université d’Angers
• Franck Petit
Université d’Avignon
• Belgacem Rahmani
HEC Montréal
• Vincent sabourin
Université du Québec à Montréal
• Eric Séverin
Université de Lille 1
• Abdenour Slaouti
Université d’Ottawa
• Julie Tixier
Université Paris XII-Val-de-Marne
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
NOTE
AUX
AUTEURS
OBJECTIFS EDITORIAUX
PRESENTATION DES ARTICLES
• La Business Management Review entend établir un dialogue entre les chercheurs dans le domaine du management
des organisations, et les managers et entrepreneurs.
• Son objectif est d’offrir aux praticiens et aux enseignantschercheurs des lieux d’échanges d’analyses critiques et des
modèles renouvelés.
• La revue prend ancrage dans un contexte euro-méditerranéen d’où émergent des problématiques spécifiques mais
aussi des organisations et des formes de coopération ou
de concurrence nouvelles. Elle entend donc privilégier les
contributions qui tiendront compte de ce contexte original et
œuvreront à mieux comprendre et à valoriser ces milieux.
• Elle s’adresse aux enseignants et étudiants en Sciences de
gestion, en Economie et même par extension en droit des affaires, ainsi qu’à un large public de praticiens désireux d’enrichir leur propre champ de connaissance des organisations.
• Les articles publiés dans la BMR doivent respecter les principes de rigueur scientifique et être écrits de façon à être accessibles aux lecteurs les plus larges qui ne sont pas toujours
des spécialistes de telle ou telle discipline ou méthode de
recherche. L’accent est plutôt mis sur les implications managériales du sujet abordé. Une conclusion propositionnelle est
impérative en fin de chaque article soumis à évaluation.
• Les articles proposés à la BMR sont envoyés à l’adresse
électronique de la revue : [email protected] .
• Les noms, institutions, adresses postales et électroniques
de(s) auteur(s) sont clairement indiqués.
• Ils sont rédigés en version Word et en simple interligne, et
ne mentionnent les noms et affiliations des auteurs que sur
la première page.
• Les articles ont une longueur maximale de 15 pages de
2400 signes chacune (40 lignes x 60 signes).
• Les contributions comprennent une bibliographie d’une
longueur maximum de deux pages, ou 4000 signes, et sont
précédées d’un bref résumé de 400 signes maximum (en
anglais, en français et en espagnol) qui met en évidence
l’intérêt ou l’originalité de l’article, et de 3 à 6 mots clés également dans les trois langues.
• L’auteur accorde l’essentiel de son développement à ses
résultats de recherche et les analyses ou les modèles nouveaux qu’il propose, après avoir présenté son socle théorique
et méthodologique. L’article est de nature propositionnelle à
destination d’un double public académique et managérial ou
entrepreneurial.
• Les articles ne comportent pas d’annexes : l’ensemble
des tableaux, schémas et encadrés est inséré dans le texte.
Les notes sont placées en bas de page et numérotées dans
l’ordre d’insertion. Leur nombre ne doit pas excéder trois
lignes par page.
• Les références bibliographiques (quelque soit le support)
sont rédigées selon le modèle suivant :
COMITE D’EVALUATION
• Tout article adressé à la BMR est évalué à l’aveugle par
deux membres compétents du comité d’évaluation.
• Les résultats de l’évaluation amènent le comité de rédaction
à décider de son acceptation, de son refus ou de son acceptation sous réserve de modifications majeures ou mineures.
• L’auteur reçoit copie des observations des membres du
comité de lecture.
PARUTION DE LA REVUE
• Lorsqu’un article est définitivement accepté, l’auteur fournit
à la BMR une version électronique mise en forme finale.
• Les articles acceptés pour publication sont publiés dans
l’ordre des dates d’acceptation sauf impératifs de regroupement thématique ou d’équilibre des numéros de la revue.
• L’auteur s’engage à ne pas publier son article dans un autre
support.
• Chaque auteur reçoit un exemplaire du numéro de la BMR
auquel il a contribué.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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- Nom de l’auteur, Initiale du prénom. (date de publication),
Titre de la référence, Editeur, Lieu d’édition, ou Titre de la
revue, Vol. x, No. X, (pages) 20-35.
Exemples:
Porter M.E. (1998), Clusters and the New Economics of Competition, Harvard Business Review, November-December, Vol.
76 Issue 6, 77-90.
Porter M.E. (1980), Competitive Strategy, Free Press, New
York.
• La revue se réserve le droit de la mise en forme définitive.
• Tout article dérogeant aux règles de la BMR est susceptible
d’être renvoyé aux auteurs pour mise en conformité avant
soumission au comité d’évaluation.
http://www.bmr.mdi-alger.com
AIMS AND SCOPE OF THE BMR
OBJECTIFS DE LA BMR
The Business Management Review is a quarterly academic journal covering different topics related to
organization studies (Strategy, Finance, Human Resources, Entrepreneurship, Control and Governance,
Marketing, Business case Management, Supply chain,
Business Ethics,...).
This Review aims to build bridges between management re- search and the different worlds of practice,
managers and entrepreneurs. This international review is written in French, but may occasionally receive
papers written in English.
The Business Management Review is published and
distributed in tangible and electronic forms by MDI
Business School (4 issues per year, plus a special issue). It includes an Editors Board, an Editorial Board,
a Reviewers Board and an anonymous reviewing by
academic peers. This review also includes international experts committee in various fields of management.
Papers published in the Business Management Review
must meet academic and scientific requirements while
addressing audiences of entrepreneurs. They must
be accessible to non- specialists as well as experts in
each discipline.
The Business Management Review is a source of information on recent research and best practices. It is
also open to the views of entrepreneurs, managers
or consultants who develop high level thinking and
original actions. The journal also publishes communications in the form of research notes or comments
from readers on published papers .
The Business Management Review focuses also on
research dealing with issues concerning businesses in
transition economies and developing countries. Case
studies and re- search integrating companies around
the Mediterranean area are particularly sought.
La Business Management Review est une revue académique trimestrielle recouvrant des domaines assez
larges liés au Management (Stratégie, Finance, GRH,
Entrepreneuriat, Contrôle-Gouvernance, Marketing,
Gestion de projet, Supply chain, Compliance, Ethique
des affaires,…).
La Business Management Review a pour ambition
d’établir des passerelles entre la recherche en management et le monde de la pratique et des entrepreneurs. Cette revue internationale est francophone,
mais peut occasionnellement accueillir des articles
écrits en anglais. Elle est éditée et distribuée sous
forme matérielle et électronique par MDI Business
School, à raison de 4 numéros par an, plus un numéro spécial. Elle comprend un comité de direction
éditorial, un comité scientifique, un comité d’évaluation et une évaluation anonyme des soumissions. Elle
accueille en ses comités des experts internationaux
traitant de différentes questions du management.
Les articles publiés dans la Business Management Review doivent répondre à des exigences académiques
et scientifiques tout en s’adressant à des publics
d’entrepreneurs. Ils doivent être accessibles à des
non spécialistes autant qu’à des experts de chaque
discipline. La revue est une source d’information sur
les développements récents de la recherche et des
meilleures pratiques. Elle est également ouverte à
des points de vue d’entrepreneurs ou des consultants
de haut niveau qui développent des réflexions et des
actions originales.
La Business Management Review privilégie les recherches traitant de questions pouvant intéresser des
entreprises dans des économies en transition ou en
développement. Les études de cas et les recherches
intégrant des entreprises du pourtour méditerranéen
sont particulièrement recherchées.
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Mot de la Rédaction
PRATIQUES DE GRH ENTRE CONTINGENCE
LOCALE ET ISOMORPHISME INSTITUTIONNEL:
EXISTE-T-IL UN MODELE MEDITERRANEEN
CONTINGENT ET AUTONOME ?
Boualem ALIOUAT
Rédacteur en chef
Paul Dimaggio et Walter W. Powell posaient, en
1983, les bases d’une sociologie néo-institutionnelle
où le besoin d’isomorphisme revisite complètement
la théorie des organisations. Les entreprises et les
pratiques managériales et organisationnelles ont
une propension forte à se ressembler, laissant peu de
place finalement à la diversité ou à la singularité. Ce
mimétisme s’observe également à l’échelle internationale et semble accompagner et servir le questionnement de la globalisation (versus localisation). Les
pratiques RH au Maghreb n’y font pas exception. Mais
l’universalisme des pratiques RH est-il réaliste ? ou au
contraire la culture est-elle plus contingente ?
Après de multiples réformes économiques et institutionnelles, les pays du Maghreb se sont engagés dans
des programmes de mise à niveau d’entreprises qui
englobent en grande partie la gestion des ressources
humaines. La GRH est en effet perçue comme un
moyen d’atteindre une meilleure compétitivité, de
meilleurs niveaux de qualité, une performance supérieure et des capacités d’innovation nouvelles. Points
de faiblesse continuellement mis en avant par les
grandes instances de la nouvelle économie comparative et du développement que sont la Banque mondiale, le World économique forum, le FMI, et autres
agences de rating ou assureurs crédit, mais aussi par
les donneurs d’ordres occidentaux ou les entrepreneurs maghrébins eux-mêmes.
Les pratiques de GRH dans les économies en
transition s’inscrivent donc inlassablement au point
de rencontre de l’économie du développement, de
la nouvelle économie comparative, des sciences
de gestion, de socio-économie pragmatique et de
psychologie cognitive en lien à l’entrepreneuriat. Le
point d’équilibre se situe constamment entre compétitivité institutionnelle et performance organisationnelle. Entre incantation politique, vision pragmatiste
et observations scientifiques. Les enjeux de la GRH
sont multiples, certes, mais surtout de plus en plus
cruciaux à la fois pour les entrepreneurs locaux et les
firmes multinationales qui souhaitent s’implanter dans
ces pays. Certaines d’entre elles (les FMN) ont d’ailleurs des expériences tout à fait intéressantes que ce
numéro BMR met en perspective.
Tantôt inspirées par les modèles rationnels européens, tantôt influencées par un modèle anglo-saxon
par mimétisme ou transposition hasardeuse, les pratiques de GRH au Maghreb sont aussi circonvenues
par les pratiques de l’oralité, le traditionnalisme, les
influences cultuelles, les réflexes tribaux, le lien social et même parfois par le fatalisme. Et ce, même
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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lorsque l’entreprise est occidentale. Les responsables
de GRH sont donc constamment confrontés à la mise
en tension d’ago-antagonismes, entre déterminisme
et contingence. Entre divergence pratique et convergence des pratiques.
Ces modèles sont-ils pour autant voués à l’échec,
au retard économique, à l’exclusion du monde des
affaires et de la compétition mondiale ?
Ou au contraire, ces modèles de GRH au Maghreb
sont-ils sources d’inspiration pour les pratiques bien
connues de management participatif, de flexibilité, de
structure organique, d’implication et d’engagement,
d’entreprise-réseau, d’entreprises apprenantes, de
consensus social, de partage du pouvoir entre parties
prenantes,… ?
Ce numéro de la Business Management Review
souhaite apporter une contribution au débat malheureusement trop peu traité dans l’espace euroméditerranéen de l’émergence d’un modèle de Gestion des
Ressources Humaines adapté au contexte maghrébin.
Un modèle qui allie parfois avec justesse et équilibre
les influences rationnelles européennes ou anglosaxonnes et ses propres spécificités managériales,
démographiques, institutionnelles, culturelles, historiques et géographiques.
Qu’il s’agisse de politique d’expatriation, d’hybridation des pratiques RH, de knowledge Management,
de la gestion des compétences, du benchmarking des
pratiques RH ou des formes spécifiques d’apprentissage organisationnel et de capacités d’innovation, ce
numéro BMR investit plusieurs champs de recherche
théoriques et empiriques qui donnent tous à penser
que les contingences l’emportent sur le mimétisme
déterministe.
Sans renier certaines convergences de pratiques
évidentes entre modèles occidentaux et pratiques
maghrébines, les travaux exposés n’observent aucune
duplication obséquieuse, mais relèvent en revanche
des phénomènes d’accumulation, de consolidation
et de combinaison de pratiques porteuses de processus autonomes et inédits. A condition que la fonction
GRH ne soit pas confisquée ou instrumentalisée dans
les entreprises maghrébines, comme l’observait Aline
Scouarnec en 2005 en s’interrogeant sur le devenir
du DRH au Maroc. Faut-il espérer que la fonction
RH dans les entreprises maghrébines ou dans les
filiales de FMN au Maghreb soit enfin portée à la
liste des pratiques managériales et organisationnelles
majeures. A ce niveau, l’alignement sur les pratiques
européennes ou anglo-saxonnes ne serait-il pas une
opportunité ?
EDITOR’S FEW WORDS
HRM PRACTICES BETWEEN LOCAL CONTINGENCY
AND INSTITUTIONAL ISOMORPHISM: IS THERE A
CONTINGENT AND AUTONOMOUS PATTERN FOR
THE MEDITERRANEAN’S FIRMS?
Paul DiMaggio and Walter W. Powell posed in
1983, the foundations of a sociological neo-institutionalism where the need for isomorphism revisits
completely organizational theory. Firms and their
managerial and organizational practices have a large
tendency to look alike, ultimately leaving little place
for diversity or uniqueness. This mimetism is also observed internationally and seems to accompany and
serve the questioning of globalization (versus location). HR practices in the Maghreb are no exception.
But the universality of HR practices is it realistic? or on
the contrary is culture more contingent?
After many economic and institutional reforms, the
Maghreb countries have embarked on various programs to upgrade companies, including human resource management. HRM is indeed seen as a means
to achieve greater competitiveness, higher levels of
quality, superior performance and new capabilities
for innovation. These weaknesses are continually
highlighted by large instances of the new comparative and development economics such as the World
Bank, the World Economic Forum, the IMF, and other
rating agencies and credit insurers, but also by the
Western contractors and North African entrepreneurs
themselves.
HRM practices in transition economies fall so tirelessly at the intersection of development economics,
the new comparative economics, and management
science, pragmatic socio-economic and cognitive
psychology in relation to the entrepreneurship. The
balance point is always between institutional competitiveness and organizational performance. Between
political visions, pragmatist point of view and scientific observations. HRM issues are multiple and complexes, of course, but also increasingly crucial for both
local businesses and multinational companies wishing
to set up in these countries. Some of them (MNCs)
have also experiences quite interesting that this issue
of BMR puts into perspective.
Sometimes inspired by rational European models,
sometimes influenced by Anglo-Saxon model by mimetism or hazardous transposition, HRM practices in
the Maghreb are also circumvented by the practices of
oral tradition, traditionalism, cult influences, reflexes
of tribal and social ties, and even fatalism. Even in the
case of Western MNCs. HR managers are constantly
faced with the tensioning of ago-antagonism between
determinism and contingency. Between useful divergence and need to convergence of RH practices.
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These models are they therefore doomed to failure,
or to the economic backwardness, or to the exclusion
from the business world and global competition?
Or conversely, the HRM models in the Maghreb are
they sources of inspiration for the well known practices
of participative management, flexibility, organizational
structure, involvement and commitment, businessnetwork, learning companies, social consensus, sharing of power between stakeholders...?
This issue of Business Management Review seeks
to make a contribution to the debate unfortunately
too unheeded in the Euro-Mediterranean space for
the emergence of a model of human resource management adapted to the Maghreb context. A model
that combines sometimes with accuracy and balance
rational European or Anglo-Saxon models and its
own specific managerial, demographic, institutional,
cultural, historical and geographical patterns.
Whether expatriation policy, hybridization HR
practices of knowledge management, management
skills, benchmarking HR practices or specific forms
of organizational learning and innovation capabilities, this BMR issue invests several fields of theoretical
and empirical research all suggest that contingencies
outweigh deterministic mimetism.
Without denying some obvious practical convergences between Western models and RH practices
in Maghreb, all the authors observe no obsequious
duplication, but phenomena of accumulation, consolidation and combination of RH practices which procure autonomous and original processes. As long as
the HRM function is not confiscated or instrumentalized in Maghreb companies, as observed in 2005 by
Aline Scouarnec wondering about the future of HRD
in Morocco. It is hoped that the HR function in the
Maghreb companies or subsidiaries of MNCs in the
Maghreb is finally increased to the list of major organizational and managerial practices. At this point the
alignment with European or Anglo-Saxon practices
would it not an opportunity?
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Editorial
La GRH au sein des filiales des multinationales implantées au
Maghreb : De l’altérité à l’hybridation des pratiques
Hadj NEKKA
Université d’Angers
Johannes SCHAAPER
Bordeaux Ecole de Management
Centre de Recherche et
d’Etudes en Gestion (CREG)
Boualem ALIOUAT
Université de Nice Sophia
Antipolis
CNRS GREDEG UMR 7321
Entre nécessité de convergence (ou
d’isomorphisme) des pratiques RH et intelligence de prise en compte des divergences contingentes, une voie nouvelle
semble s’affirmer dans les recherches
comparatives en matière de pratiques RH
au niveau international : celle de l’hybridation des modèles. Un métissage pragmatique certes, mais qui laisse encore
des champs d’interrogation ouverts quant
à ses fondements théoriques, ses mécanismes de mise en action et la démonstration de son efficacité et son efficience
pour une performance et une compétitivité accrues.
Le recrutement, la gestion et la valorisation des ressources humaines est au
cœur des préoccupations des entrepreneurs des pays du Maghreb. La donnée
RH apparaît de plus en plus comme une
variable stratégique de performance et
de compétitivité dans ces pays où les facteurs structurels primaires ou les facteurs
d’efficience l’emportent très largement sur
les facteurs d’innovation comme nous le
rappelle le dernier rapport du World Economic Forum à propos de la compétitivité
des pays arabes. Les déficits de ressources
humaines et des facteurs sensés générer
des pratiques RH compétitives posent
plus largement la question des enjeux de
développement pour ces pays, mais aussi
pour les entreprises locales et celles qui
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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Zahir YANAT
BEM Bordeaux
Business School
souhaitent s’y implanter. Ce numéro de
la Business Management Review
traite principalement de cette question
pour les entreprises implantées au Maghreb, avec un éclairage spécifique sur la
gageure que représente cet enjeu pour les
firmes multinationales.
Les firmes multinationales (FMN) jouent
un rôle central dans l’économie mondiale
et soulèvent des interrogations, tant pour
les praticiens que pour les chercheurs. La
montée de la mondialisation oriente souvent les FMN vers plus de centralisation
qui induit une complexité croissante des
relations entre les sièges et ses filiales.
En effet, les FMN sont obligées de surveiller leur efficience mondiale par des
politiques fortement centralisées au siège,
tout en accordant de la liberté et de l’autonomie de décision à leurs filiales implantées dans le monde entier, afin que cellesci répondent rapidement aux contraintes
et opportunités locales. Etudier les pratiques de GRH dans les filiales des FMN
dans le contexte maghrébin constitue un
enjeu majeur. Pour ne retenir que le cas
tunisien, le Forum Davos 2010-2011
attribue à ce pays le 32e rang mondial
en termes d’accueil des filiales des FMN.
En outre, le débat sur la contingence et la
convergence de la GRH dans les (FMN),
objet de ce dossier, a déjà suscité l’inté-
rêt de plusieurs chercheurs, et plusieurs travaux ont déjà traité le sujet dans le contexte
maghrébin. Cependant, malgré une littérature
importante, le sujet des pratiques RH au sein
des FMN situées au Maghreb, à notre avis, est
sous-étudié. Plusieurs raisons justifient notre
intérêt pour ce thème :
• Un intérêt théorique :
Les travaux sur la globalisation mobilisent
régulièrement un cadre d’analyse néo-institutionnaliste. Ce cadre comporte deux courants
de pensée qui méritent d’être distingués (Barabel et al., 2006). Le premier courant se situe
dans la lignée des travaux néo-institutionnalistes sur la diffusion mimétique des modèles
organisationnels (DiMaggio et Powel, 1983)
et présente une limite qui consiste à négliger les mécanismes d’adaptation locale aux
modèles globaux. Ici les modèles organisationnels et les pratiques ont tendance à s’uniformiser mondialement pour pouvoir ensuite
expliquer comment l’unification des modèles
cognitifs soutient cette globalisation (Barabel et al, 2006, p. 20). Le second courant
regroupe, tout en s’inscrivant dans un cadre
néo-institutionnel, les travaux qui insistent sur
la résilience des institutions en place. Les auteurs qui s’inscrivent dans cette seconde ligne
de pensée ont la conviction que les pratiques
et les modèles ne se diffusent pas tels quels,
mais sont réadaptés dans chaque contexte
national spécifique.
• Un intérêt empirique :
Les FMN sont des acteurs centraux dans la
diffusion des pratiques de gestion standardisées à travers le monde (Meyer et al., 1997).
Dans un contexte de globalisation généralisée
et de diffusion d’un modèle de capitalisme
financier, les organisations adoptent des pra-
tiques RH de plus en plus homogènes alors
qu’en même temps, les organisations se composent d’individus, de méthodes et de valeurs
différents qui résistent parfois à cette convergence (Livian, 2011). Dans ce contexte, tenu
compte du manque de travaux empiriques sur
ces questions, il est nécessaire d’engager la
réflexion à partir d’un terrain, comme celui
des filiales des FMN implantées au Maghreb.
Ce travail est d’autant plus le bienvenu du fait
du caractère dual du néo-institutionnalisme.
En effet, la contradiction dans les deux perspectives néo-institutionnalistes, à l’heure de la
globalisation des pratiques de GRH, mérite
d’être éclairée par les études empiriques.
• Un intérêt
institutionnel :
Il s’agit de fédérer les chercheurs pour explorer une thématique porteuse en Sciences
de gestion et plus particulièrement en GRH.
Cette thématique engagée par la Business
Management Review réunit des chercheurs algériens, marocains, tunisiens et français qui pour la majorité d’entre eux se sont
exprimés lors d’un colloque organisé en collaboration entre l’Université de Rabat Suissi,
l’Université d’Angers et Bordeaux Ecole de
Management (BEM). Le dossier est donc composé de travaux liés à ce colloque et d’autres
articles connexes qui y ont été associés dans le
cadre d’un appel à contribution.
Les participants en présence au colloque
susvisé avaient exprimé le vœu de se fédérer
autour d’une thématique prégnante qui serait
à la fois au cœur du débat scientifique au niveau international et qui solliciterait de façon
claire la contribution du contexte maghrébin,
de ses particularités et des attentes fortes d’un
terrain entrepreneurial constitué d’entreprises
magrébines et étrangères au Maghreb. Les
13 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Editorial
La GRH au sein des filiales des
multinationales implantées au Maghreb :
De l’altérité à l’hybridation des pratiques
participants rejoignent donc d’autres auteurs
pour constater que le néo-institutionnalisme
s’est beaucoup plus préoccupé d’expliquer
la diffusion des institutions (globalisation)
que d’expliquer leur maintien (ordres institutionnels locaux). Ils partagent tous l’idée
que le terrain maghrébin constitue une opportunité pour étudier le comportement des
acteurs, dont l’importance a été minorée par
les travaux néo-institutionnalistes.
solution montre l’importance d’une GRH
locale cohérente, qui est au cœur de la
problématique de ce dossier. Celle-ci ne
passera certainement pas par la voie de
la convergence des pratiques RH.
Ils admettent tous qu’une meilleure compréhension de la globalisation ne sera
possible que si l’on accorde de l’intérêt
aux actions menées par les acteurs qui
favorisent la diffusion des institutions dans
des contextes différents, tout en prenant en
compte les stratégies des acteurs qui refusent la globalisation et s’efforcent d’adapter l’ordre traditionnel en place. Dans cette
perspective, si la résilience constitue l’une
des caractéristiques les plus importantes
des institutions pour les néo-institutionnalistes, l’étude de ses mécanismes concrets
constitue un projet de recherche à la fois
fédérateur et prometteur .
Deux contributions fondées sur le terrain tunisien succèdent à cet article. Belkis Boussetta Kechida et de Zeineb
B. Ammar Mamlouk considèrent que le
sujet de la convergence des pratiques de
GRH reste particulièrement intéressant en
Tunisie, notamment suite à la révolution du
14 janvier 2011, où la revendication sociale
et politique a vite migré de la rue vers l’intérieur de l’entreprise, touchant notamment les
entreprises étrangères, et occasionnant en
quelques mois la perte de 80 000 emplois.
Les auteurs se saisissent de cet événement
pour s’interroger sur les pratiques RH dans
les filiales des multinationales en Tunisie.
Leur objectif consiste à comprendre s’il y a
convergence de ces pratiques avec celles de
la maison mère, contingence en fonction du
contexte local, ou bien hybridation de cellesci dans les filiales en Tunisie.
Le premier article de ce dossier, celui de
Johannes Schaaper et de Jacques
Jaussaud, porte sur la globalisation
des politiques de GRH dans les firmes
multinationales, dont l’expatrié constitue le socle. Comme l’expatriation n’est
pas toujours possible et coûte cher, les
FMN sont à la recherche de formes nouvelles de GRH internationale. L’article
passe en revue un ensemble de solutions
alternatives à l’expatriation classique et
nous propose une analyse critique intéressante. La solution durable, comme le
montre les auteurs, reste le transfert des
responsabilités techniques et de management à des managers locaux. Cette
A partir d’une recherche empirique dans
trois filiales tunisiennes appartenant à des
multinationales françaises et exerçant dans
les secteurs du textile, de la fabrication
d’équipements d’automobiles et de l’électronique, leur recherche aboutit à une classification des pratiques RH, allant de la plus
contingente à la moins contingente. Il paraît
ainsi que la rémunération est la pratique la
plus contingente. Tout en ne neutralisant pas
la thèse de convergence de ces pratiques,
leur étude met cependant en relief la nécessité de tenir compte du contexte local et de
ses contraintes culturelles et institutionnelles
dans la pratique de la GRH au sein des filiales en Tunisie.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
14
Autrement dit, les pratiques RH dans les
filiales tunisiennes des multinationales françaises se situent entre le local et le global.
D’une part, les similitudes entre les cadres
institutionnels des deux pays (législation du
travail, histoire commune, effet de dominance et relations économiques) peuvent
être des facteurs explicatifs de la convergence des pratiques. D’autre part, les divergences, essentiellement culturelles et de
niveaux de vie, peuvent expliquer les tendances contingentes de ces pratiques. Il est
à noter également que le degré de contingence ou de convergence des pratiques
de GRH peut varier dans une même filiale,
d’une catégorie de personnel à une autre,
comme il peut varier dans un même cadre
institutionnel d’une filiale à une autre, en
fonction des choix stratégiques de la multinationale, ou de l’âge de la filiale et de son
stade d’évolution.
Vient ensuite l’article, signé par Khaled
Arous, qui aborde la thématique à partir
d’un thème porteur en GRH à savoir la gestion des compétences. L’auteur suppose que
celle-ci a occupé depuis les années 90 une
place importante dans les politiques RH et se
trouve désormais au cœur des stratégies de
GRH des FMN. Une telle situation s’explique
notamment par l’existence d’un comportement, qui semble irréversible dans les FMN,
qui consiste à transférer de plus en plus de
postes à responsabilité à des managers locaux. Cela pose la question de la gestion
et du développement des compétences des
employés locaux dans les filiales des FMN
en Tunisie. Sa recherche tente d’apporter
une réponse à la question suivante :
Quelles sont les pratiques de GRH que les
FMN mettent en place en vue de développer
les compétences des collaborateurs tunisiens
? Une revue de la littérature lui permet, d’une
part, d’identifier sept pratiques de GRH permettant de détecter, de gérer et de développer les compétences des salariés. Il s’agit
de la description des fonctions, le recrutement, l’évaluation, la formation, la gestion
des carrières, la rémunération et l’autonomie. D’autre part, de retenir quatre modes
de gestion des compétences : une gestion
purement administrative, une gestion administrative des compétences, une gestion vers
les compétences et une gestion des compétences. A partir d’un travail empirique fondé
sur quatre études de cas, l’auteur distingue
deux entreprises qui gèrent leur personnel à
travers une gestion des compétences, une
entreprise qui gère son personnel à travers
une gestion purement administrative et une
entreprise qui gère son personnel à travers
une gestion administrative des compétences.
Parmi les quatre cas étudiés, deux grandes
multinationales pétrolières ont véritablement
mis en place une gestion des compétences,
basée sur cinq pratiques de GRH, que sont
la description des fonctions et des compétences, le recrutement par les compétences,
l’évaluation individuelle, le plan de formation et la gestion des carrières. En revanche,
la rémunération n’est pas basée sur les
compétences de même que l’autonomie et
l’initiative personnelle sont inexistantes pour
l’ensemble des quatre firmes multinationales
étudiées. Les deux autres cas, qui sont des
multinationales du secteur de l’électronique
et de l’automobile, n’ont pas mis en place
une gestion des compétences, mais, respectivement, une gestion administrative des
compétences et une gestion purement administrative. L’auteur, conscient des limites de
sa recherche, souhaite poursuivre son investigation sur d’autres FMN implantées en
Tunisie, et plus généralement au Maghreb.
15 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Editorial
La GRH au sein des filiales des
multinationales implantées au Maghreb :
De l’altérité à l’hybridation des pratiques
Il considère que la gestion des compétences est en pleine croissance dans les
pays de l’Afrique du Nord et veut saisir cette
opportunité pour réaliser une recherche
quantitative sur la base d’un questionnaire
détaillé envoyé à un grand nombre de
FMN en Tunisie et au Maghreb. Toujours
à partir d’une expérience tunisienne, Abir
Besbes, Boualem Aliouat et Houcine
Khemiri engagent une réflexion à propos de la relation directe présumée entre
les pratiques de la Gestion des Ressources
Humaines (GRH) et la performance supposée des entreprises. Ces auteurs observent
que peu de travaux empiriques solides
justifient cette relation et c’est précisément
dans le cas tunisien, pays où l’innovation
est établie comme une priorité de développement national, qu’ils construisent leur
cadre d’étude, cherchant à fournir un modèle d’enchâssement entre pratiques RH,
apprentissage organisationnel, innovation,
compétitivité et performance d’entreprise
(étude empirique menée sur un échantillon
de 351 entreprises tunisiennes). Leur travail
met en exergue les effets médiateurs de certaines variables situées entre les pratiques
RH et l’avantage compétitif pour établir une
relation complexe entre Pratiques RH et performance multiple de l’entreprise.
Le terrain marocain est soumis à contribution également par deux articles. Celui
d’Omar Tijani qui mobilise le concept de
la capacité d’absorption en tant qu’atout
organisationnel, permettant aux filiales
marocaines du secteur aéronautique de
devenir innovantes et autonomes vis-àvis de leurs maisons mères. L’orientation
technologique et les exigences en termes
de qualité dans le secteur aéronautique au
Maroc ont incité l’auteur à s’intéresser à la
question de recherche suivante : comment
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
16
les entreprises marocaines, en situation de
partenariat avec des FMN, mettent-elles
en place des dispositifs de GRH en vue
de développer une capacité d’absorption technologique ? Il postule dans cette
recherche que la GRH est indispensable
pour réussir le processus de transfert des
connaissances d’une société mère vers
ses filiales. Le recours à la littérature académique lui permet d’identifier les politiques GRH qui stimuleraient la capacité
d’absorption, dont surtout l’amélioration
des compétences et de la motivation des
employés. Son étude empirique s’appuie
sur un échantillon de treize filiales du secteur aéronautique au Maroc.
Il a choisi de mobiliser un modèle théorique développé par Minbaeva et al.
(2003) pour formuler trois hypothèses.
Cette étude renforce la problématique
développée par Khaled Arous dans
le cas tunisien. Elle révèle que le défi de
l’acquisition de la capacité d’absorption pour les firmes marocaines est crucial. Dans le cas marocain, au-delà de
l’intérêt premier de l’augmentation de la
capacité d’absorption pour l’innovation
et le développement organisationnel des
firmes, elle constitue un challenge pour
retenir le personnel et diminuer le taux du
turnover. La répétitivité des tâches ou le
manque d’opportunités d’apprentissage
et de progrès cognitif sont des sources de
départ des salariés, notamment les ingénieurs et les cadres managériaux, cherchant à satisfaire le besoin de réalisation
de soi et le développement de leurs carrières. Sans le développement approprié
de la capacité d’absorption, les directeurs
des sociétés industrielles au Maroc auront
toujours des démissions des jeunes cadres
talentueux sur leurs bureaux.
Un autre résultat de cette recherche réconforte la thèse de la divergence des pratiques
RH et concerne l’accès au même poste de
responsabilités entre des cadres français et
marocains ayant les mêmes qualifications.
En effet, l’auteur constate que les maisons
mères sont souvent trop hâtives quant à la
volonté de transférer des connaissances et
des procédures et ne prennent pas assez le
temps d’accompagner progressivement la
filiale. Les sociétés mères veulent gagner
du temps dans ce processus de transfert et
économiser des coûts.
Elles envoient fréquemment des ingénieurs et des techniciens, mais rarement
des cadres managériaux et des formateurs
pédagogiques. Une cadence élevée et peu
accompagnée du transfert des connaissances dans les sociétés de l’aéronautique
au Maroc conduit à une précipitation dans
les carrières des collaborateurs marocains.
Face au manque de compétences, ils se
retrouvent dans des postes hiérarchiques
sans en avoir répondu pleinement aux
exigences, en termes de compétences et
d’expérience. Au contraire, les cadres français prennent plus le temps et accèdent à la
hiérarchie lorsqu’ils ont accumulé un réel
capital humain.
Ce travail est suivi par l’article de Camal Gallouj, Hadj Nekka, Kaabachi
Souheila et Boualem Aliouat qui
aborde indirectement la problématique de
convergence/divergence des pratiques RH
en mettant essentiellement l’accent sur le
rôle d’un acteur agissant dans l’environnement des entreprises marocaines et donc
dans celui des filiales des FMN implantées
au Maroc. Il s’agit des services rendus aux
entreprises (SRE) qui constituent, depuis
plus d’une trentaine d’années, un des sec-
teurs les plus dynamiques des économies
occidentales. Si les auteurs font remarquer
l’intérêt croissant des chercheurs pour ces
activités de service dans les économies du
Maghreb, dont en particulier l’économie
marocaine, ils constatent en même temps
qu’au sein des SRE, les services et prestataires privés de l’emploi (PPE) apparaissent
très largement négligés.
Cette catégorie figure parmi les moins
investiguées comparativement aux autres
activités de SRE et son développement
semble largement contraint. L’objectif de
ce travail consiste à proposer des éléments
de cadrage des PPE et à préciser les enjeux
d’un marché local des PPE, tout en insistant sur le rôle de ces derniers dans la diffusion d’outils et méthodologies favorisant
la « mise à niveau de l’économie nationale
» marocaine. Les premiers éléments d’analyse semblent associer les PPE à la thèse de
la convergence des pratiques RH des filiales
des FMN au Maroc. D’une part, elle met
l’accent sur les raisons du faible développement des PPE au Maroc. Ces raisons
tiennent encore aujourd’hui prioritairement
à un faible poids relatif des problématiques
RH au sein des entreprises marocaines et
plus spécifiquement à une structuration et
autonomisation de la fonction qui reste encore balbutiante.
D’autre part, les filiales des FMN suivent
en général les pratiques RH de leur siège
lesquelles sont souvent considérées comme
des exemples de bonnes pratiques , en
offrant des conditions d’emploi nettement
supérieures à celles qui prévalent habituellement sur le marché (rémunérations
supérieures, opportunités de carrière, formation, développement des compétences,
etc.). Elles sont également à l’origine de
17 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Editorial
La GRH au sein des filiales des
multinationales implantées au Maghreb :
De l’altérité à l’hybridation des pratiques
l’intégration et de la diffusion au sein des
entreprises marocaines de pratiques et de
stratégies RH modernes. Ces filiales sont
également fortement consommatrices de
PPE qui contribuent ainsi largement à la
mise à niveau des pratiques RH. Les PPE
accompagnent le DRH dans les politiques
d’harmonisation des modes et pratiques de
gestion et en particulier dans l’adoption de
comportements et pratiques en cohérence
avec ce qui se fait au niveau du groupe.
C’est enfin au tour du terrain algérien
d’être questionné. L’article de Khaled Tahari et Malik Mébarki nous présente
la GRH en Algérie selon différentes configurations, dont deux s’inscrivent clairement
dans la problématique centrale de ce dossier. Ce choix nous paraît cependant pertinent compte tenu la particularité de ce pays
par rapport à la Tunisie et au Maroc. Nos
deux auteurs discutent la thèse de la convergence des pratiques RH dans un contexte
de changement dans lequel ils constatent
une GRH politique en situation d’échec. Les
entreprises publiques, lorsqu’elles ne sont
pas privatisées, sont contraintes de changer leur GRH dans le sens du respect de la
contrainte budgétaire et donc dans l’impossibilité d’être déficitaires.
Autrement, leur dissolution est envisagée
par les nouvelles règles du droit commercial. Dans ce contexte, les auteurs réalisent trois études de cas pour aborder la
problématique de l’évolution de la GRH
en Algérie. Le premier cas porte sur deux
entreprises d’Etat qui ont subi différents
changements dans leur gouvernance et organisation depuis les réformes des années
90. Le cas Bati-Oran montre l’importance
de l’action stratégique menée par la direction de l’entreprise, laquelle a permis la
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
18
survie de l’entreprise dans un contexte de
globalisation. Egalement, grâce à l’aide de
l’Etat, une GRH efficace a été mise en place
pour régler notamment le problème du sureffectif. Le cas ERCO montre comment ce
groupe public s’est organisé pour trouver
une solution à la question de l’efficacité de
ses différentes filiales.
Une privatisation partielle du capital, et
surtout de la gestion, a permis de redonner
une profondeur stratégique aux différentes
unités concernées, de relancer la production
et de faire évoluer la GRH d’une conception
politique vers une conception plus recentrée
sur les objectifs économiques. Le deuxième
cas étudie une unité publique privatisée,
d’abord partiellement puis totalement, au
profit d’un groupe étranger où le repreneur
était obligé de déconstruire une GRH politique dont il avait hérité pour reconstruire
sa propre GRH en fonction de ses objectifs
stratégiques. Enfin, le dernier cas concerne
l’unité du groupe Saoudien SAVOLA /AFIA
Algérie qui produit des huiles de table, une
entreprise nouvellement créée par un investissement direct.
Le deuxième cas montre qu’une reprise
d’une entreprise publique par des capitaux
privés appelle une remise en cause du modèle de gestion dont héritent les repreneurs
et on assiste à une construction d’une nouvelle GRH à partir d’une GRH ancienne et
politique. Le troisième cas illustre la mise en
place d’une GRH conforme aux objectifs de
l’entreprise multinationale et aux attentes de
ses parties prenantes. Les auteurs indiquent
que seulement les entreprises appartenant
au deuxième cas sont concernées par
l’adaptation en raison de l’existence d’une
culture d’entreprise forte et des habitudes
au niveau du comportement des salariés.
En revanche, dans le troisième cas, la filiale
s’aligne totalement sur la politique RH de la
maison mère. La dernière contribution est
de Zahir Yanat, que nous considérons
comme un témoignage et une prise de partie méthodologique. A travers son parcours,
il montre l’évolution faible de la GRH en
Algérie. Par la mobilisation de l’ethnométhodologie, qu’il développe, Zahir Yanat
nous invite à questionner ce qui est considéré comme universel face à la richesse des
situations et leur complexité.
Compte tenu du nombre encore relativement faible de recherches académiques
dans le champ de la GRH avec étude
empirique sur le terrain maghrébin, on ne
peut que se féliciter de la publication de ce
numéro auquel les chercheurs de l’OPRAGEM offrent une contribution significative
et invitent à davantage de recherches en ce
terrain fécond.
Dans cette perspective, nous prenons la
mesure de la difficulté de la problématique
des divergences et convergences des pratiques analysées à partir des cas de filiales
de FMN implantées au Maghreb. L’idée de
la hiérarchie des pratiques RH en termes
de convergence ou de divergence est sans
doute une piste de recherche pertinente,
favorisant l’existence d’une sorte d’hybridation qui nous semble à la hauteur des enjeux et dont l’ethnométhodologie proposée
par Zahir Yanat constitue la voie saisissante.
In fine, ce numéro de la Business Management Review produit une étude antithétique, ou complémentaire à la marge, de
Mohamed Akli Achabou sur l’industrie sucrière en Algérie. Cette analyse empirique
examine le cas d’entreprises confrontées
au défi de la transition vers l’économie de
marché. L’objectif principal de cet article est
d’évaluer l’importance des changements
institutionnels qui accompagnent la transition de l’Algérie vers l’économie de marché
dans la stratégie des entreprises locales.
L’originalité de ce travail est d’attribuer un
rôle déterminant aux changements institutionnels au détriment du rôle joué par
les ressources et les compétences qui demeurent secondaires.
19 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
Johannes SCHAAPER
Bordeaux Ecole de Management
Centre de Recherche et d’Etudes en
Gestion (CREG)
Jacques JAUSSAUD
Université de Pau et des Pays de l’Adour
Faculté de Droit, Economie et Gestion
Centre de Recherche et d’Etudes en Gestion (CREG)
RESUME
ABSTRACT
Cet article expose la politique de GRH globalisée que firmes multinationales mettent en place
pour gérer leurs filiales dans le monde entier.
L’expatrié constitue le socle de cette politique.
Cependant, il n’est pas toujours efficace et
coûte cher. Comme les FMN ne disposent pas
d’un nombre suffisant d’expatriés pour développer leurs affaires globalisées, elles sont à la
recherche de formes nouvelles de GRH internationale et alternatives à l’expatriation classique.
Les experts itinérants remplacent les expatriés sur
des missions précises. Puis, les filiales emploient
sur des contrats locaux améliorés des personnes
originaires du pays de la FMN, dont les exexpatriés. Puis, l’expatriation féminine, le retour
d’immigrés de seconde génération, les missions
navette et les équipes internationales virtuelles
sont des solutions complémentaires. Les sièges
régionaux réduisent également le besoin en
expatriés dans les filiales d’une région. Enfin,
la solution la plus durable est le transfert des
responsabilités techniques et de management à
des managers locaux. Ce transfert requiert que
les FMN mettent en place une politique GRH
locale cohérente.
This article sets out the globalized HRM policy
which multinational firms develop to manage
their subsidiaries worldwide. The expatriate is
the cornerstone of this policy. However, he is
not always successful and rather expensive.
Also, as MNCs do not have a sufficient number
of expatriates to expand their global business,
they are looking for new forms of international
HRM and alternatives to traditional expatriation.
Travelling experts replace expatriates on specific
assignments. The subsidiaries employ on local
contracts managers originally coming from the
home country of the MNC, including former
expatriates. Female expatriates, second-generations, international commuting assignments and
international virtual teams are complementary
solutions. Regional headquarters also reduce
the need for expatriates in the subsidiaries of a
region. Finally, the most promising solution is the
transfer of technical and management responsibilities to local managers, which requires that
the MNN set up a comprehensive HRM policy
towards local managers.
MOTS-CLES: Multinationales, politiques de
IHRM, expatriation, missions de court terme,
localisation de postes-clés
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
20
KEYWORDS: Multinationals, IHRM policies,
expatriation, short-term assignments, localization
of key responsibilities
Introduction
Les firmes multinationales (FMNs) sont
des acteurs clés de la globalisation économique. Elles localisent leurs centres de production dans différents pays et réexportent
une partie ou la totalité des produits dans
d’autres. Bien que décriées parfois, elles
contribuent ainsi largement au développement économique des pays qu’on qualifie
d’« économies émergentes », dont les pays
du Maghreb font partie.
Une multinationale est une entreprise, le
plus souvent d’une grande taille, laquelle
à partir d’une base nationale implante plusieurs filiales à l’étranger, dont elle détient
tout ou une partie du capital. Si au départ les
filiales à l’étranger peuvent avoir seulement
des fonctions de service ou commerciales,
on ne parle véritablement de firme multinationale que lorsqu’elle localise des filiales
de production dans plusieurs pays, avec
une stratégie et une organisation conçues à
l’échelle régionale ou mondiale (Rugman et
Verbeke, 2008).
En raison du développement des technologies de communication (téléphone, intranet, email…), de l’intégration mondiale des
systèmes d’information (MRP, ERP…), de
la diminution des coûts de transport et de
la disparition progressive des barrières au
commerce international (grâce au GATT,
puis l’OMC), la globalisation s’accélère
depuis 20 à 30 ans. Les firmes multinationales décomposent désormais leurs chaînes
de valeur et localisent des tâches spécifiques
dans tel ou tel pays en fonction des coûts, de
la proximité des fournisseurs ou des marchés
de ventes porteurs. Il se pose alors la question de la gestion des filiales à l’étranger, de
plus en plus nombreuses, et du contrôle sur
leurs opérations internationales. Cela renvoie à la problématique de la gestion internationale des ressources humaines, acteurs
de la gestion des filiales. La question de recherche de cet article se pose ainsi comme
suit : quelle est la politique de GRH globalisée qui accompagne la mondialisation à
marche forcée des FMNs ?
Au départ, dans les années ‘80, la littérature académique s’intéresse le plus souvent
à l’expatriation dans une optique qui oppose
des stratégies polycentriques à des stratégies
ethnocentriques, selon la classification de
Perlmutter et Heenan (1974). Aujourd’hui,
en raison de la multiplication rapide des implantations dans le monde entier, la question
de la GRH globalisée devient plus complexe.
Les FMNs sont à la recherche d’un équilibre,
difficile à trouver, entre la présence de ressources humaines en provenance de la
maison mère et le transfert des responsabilités, partiel ou en entier, sur des managers
locaux. En outre, grâce au développement
des technologies de communication et du
transport aérien, les modes de présence des
ressources humaines issues du pays d’origine de la FMN se diversifient. Désormais,
les FMNs cherchent à mélanger l’expatriation traditionnelle avec de nouvelles formes
de travail international.
Cet article de recherche se fonde sur trois
grandes sources de données. D’abord, nous
synthétisons les observations de recherches
empiriques récentes, qui traitent de la ques-
21
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
tion des ressources humaines à l’international, publiées dans des revues académiques
comme l’International Journal of Human
Resource Management, parmi d’autres.
Puis, nous avons dirigé et fait soutenir un
certain nombre de recherches doctorales
sur le sujet (Liu, 2003 ; Abdellatif, 2007 ;
Song, 2009 ; Tijani, 2011 ; Arous 2011).
Enfin, depuis dix ans, dans le cadre de nos
recherches personnelles, nous avons effectué plusieurs enquêtes quantitatives et une
centaine d’entretiens en face à face avec des
cadres expatriés en poste dans des filiales
ou aux sièges régionaux à l’étranger. Les
discours de nos interlocuteurs ont largement
nourri nos analyses.
Cet article se compose de trois parties. La
première traite de l’expatriation classique
alors que la deuxième développe les nouvelles formes de présence de ressources
humaines à l’international, qui sont autant
d’alternatives à l’expatriation. Enfin, la troisième partie porte sur la localisation des
postes clés de management.
expatriés « à plein temps », faisant carrière
par des expatriations successives dans différents pays, pour une très longue période,
parfois supérieure à 20 ans, sans jamais retourner dans le pays d’origine de leur FMN.
Lasserre (2007) parle alors d’un manager «
global ». Plusieurs recherches académiques
concluent de manière concordante, quoique
portant sur des données d’avant la crise
économique de 2008, à l’augmentation de
l’emploi de cadres expatriés (Bonache et
al., 2010 ; Kühlmann et Hutchings, 2010).
Expatriation et globalisation sont corrélées.
L’expatriation soulève de nombreuses
questions : pourquoi les expatriés constituent-ils le socle de la globalisation des
FMNs ? Combien en faut-il pour bien gérer
une filiale ? Quelles sont les qualités qu’un
manager doit posséder pour tenter l’aventure d’une expatriation ? Quelle est la durée
optimale d’une expatriation ? Enfin, quelles
sont les limites que rencontre l’expatriation
traditionnelle ?
1 Expatriation
1.1 Pourquoi faut-il des expatriés dans une filiale ?
Le manager expatrié est le socle de la
globalisation des firmes multinationales.
L’expatriation à proprement parler consiste
à envoyer des managers dans un autre
pays pour une période de temps suffisamment longue pour que leur conjoint et la
famille se déplacent avec lui (Mayerhofer
et al., 2004). Cependant, l’employeur et
l’employé s’accordent pour que l’affectation
ne dure pas plus de quelques années. Les
expatriés classiques vivent dans un pays non
natif pour une période déterminée, mais retournent ensuite dans le pays d’origine de la
FMN, le plus souvent en occupant un poste
au siège, en attendant une nouvelle expatriation. Certains expatriés deviennent des
La nomination de cadres expatriés sur des
postes clés de management d’une filiale à
l’étranger est un moyen essentiel de développement des activités nouvelles dans le
pays considéré. Elle est également un moyen
indispensable du contrôle qu’un siège souhaite exercer sur une telle filiale (Perlmutter
et Heenan, 1974 ; Edström et Galbraith,
1977 ; Ando et al., 2008 ; Lam et Yeung,
2010). La littérature académique et empirique donne plusieurs raisons pour nommer au moins un expatrié dans une filiale
à l’étranger. D’abord, comme le soulignent
Jaussaud et Schaaper (2006a, 2006b), et
plus récemment Schaaper et al. (2011), les
expatriés occupent en priorité les fonctions
Les entretiens se sont déroulés à l’étranger, sur le lieu de travail des cadres expatriés, grâce au financement de l’Agence
Nationale de la Recherche pour le projet « MNC Control » (2009-2011).
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
22
Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
de directeur général et de directeur administratif et financier. Le poste de directeur de la
production est également confié à un expatrié dans les filiales pour lesquelles la qualité
de la production est un enjeu majeur ou la
protection de certaines technologies est cruciale et difficile à assurer.
Ces fonctions demandent un degré élevé
de centralisation par la multinationale, et
donc d’interaction avec les managers du
siège. Les réseaux informels développés
au cours d’une carrière par un manager
expatrié y contribuent largement. Ensuite,
les fonctions de directeur général ou de directeur financier des filiales requièrent une
connaissance intime des pratiques et des
modes de raisonnement du siège et, au sens
plus large, de la culture de l’entreprise, que
notamment les cadres expatriés ont pu réellement intégrer. Ce besoin s’accentue dans
des filiales de création récente (Jaussaud et
Schaaper, 2006b ; Schaaper et al., 2011).
Dans la plupart des multinationales, les
cadres expatriés alternent postes à l’étranger
et postes au siège, tout en enchaînant le cas
échéant plusieurs missions outre-mer, assez
souvent dans des pays différents sur des
durées variant entre trois et six ans. Ainsi,
comme les managers expatriés et les managers du siège se connaissent, la communication informelle est facilitée.
1.2 Quel est le bon nombre
d’expatriés à envoyer dans
une filiale ?
La question du « bon nombre » d’expatriés
à détacher dans une filiale à l’étranger est
assez ancienne et s’est introduite dès les premières recherches académiques sur les processus d’internationalisation des firmes. La recherche statistique de Harzing (2001) montre
que le nombre d’expatriés qu’une firme
détache dans une filiale dépend de nombreuses variables, que l’auteure regroupe
en plusieurs catégories. D’abord, le nombre
d’expatriés varie selon le pays d’origine de
la maison mère. Par exemple, les FMNs japonaises et allemandes sont connues pour
leur forte culture d’expatriation, alors que les
FMNs anglaises et françaises, et plus généralement la plupart des FMNs européennes,
transfèrent plus facilement des responsabilités à des cadres locaux.
Le second groupe de variables concerne
le pays d’accueil de la filiale. Les FMNs
envoient par exemple davantage de cadres
expatriés lorsque le niveau d’éducation dans
le pays d’accueil est relativement bas, car la
filiale aura dans ce cas du mal à trouver du
personnel local dûment qualifié pour occuper des postes clés d’une filiale. Jaussaud et
al. (2001) trouvent que lorsque le niveau de
développement, exprimé en PIB par tête, du
pays d’implantation est bas, les FMNs ont
une tendance à y détacher plus de cadres
expatriés. Les sièges envoient également
plus de cadres expatriés lorsque la distance
culturelle et institutionnelle entre le pays de
la FMN et le pays d’implantation est grande.
Harzing (2001) constate ainsi que les FMNs
occidentales envoient plus d’expatriés dans
des filiales situées en Amérique Latine, en
Afrique et au Moyen et Extrême-Orient alors
qu’elles envoient moins d’expatriés lorsque
la filiale est localisée en Europe de l’Ouest
ou au Canada.
Le troisième groupe de variables concerne
la filiale elle-même. Harzing (2001) établit
que la taille de la filiale et/ou le pourcentage
de capital que détient la maison mère dans
celle-ci influencent positivement le nombre
d’expatriés qu’elle y détache. Nos propres
recherches, fondées sur des échantillons
successifs très différents, confirment que les
FMNs détachent plus d’expatriés dans des
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
filiales qu’elles détiennent à 100%. Dans les
coentreprises, gérées avec des partenaires
locaux, au contraire, la tendance à la localisation des postes clés de management est
plus forte, surtout lorsque le partenaire étranger détient un faible pourcentage du capital.
Enfin, le nombre d’expatriés dans une filiale
est plus élevé lorsque celle-ci a des activités de production (Jaussaud et al., 2001 ;
Jaussaud et Schaaper, 2007 ; Jaussaud et
al., 2012). Amann et al. (2011) montre que
le nombre d’expatriés peut différer considérablement d’un cas à l’autre, à partir d’un ou
deux expatriés par filiale jusqu’à 40 ou plus.
Même au sein d’une même FMN, ce nombre
peut varier considérablement d’un pays
d’implantation à l’autre et dans certains cas
même au sein d’un même pays d’accueil. Les
FMNs envoient beaucoup d’expatriés lorsque
les filiales d’accueil ont de grands projets à
mettre en place dans une période de temps limitée ou lorsqu’elles ont des parts de marché
à augmenter rapidement dans des marchés
à croissance rapide où la concurrence est
forte. Dans de telles situations, les multinationales n’ont pas assez de temps pour former
suffisamment de talents locaux de sorte que
l’expatriation demeure nécessaire.
1.3 Les qualités d’un bon
expatrié
Berthier et Roger (2011), sur la base d’entretiens avec 39 cadres expatriés employés
par trois FMNs françaises, décrivent quatre
compétences complémentaires que des candidats à l’expatriation doivent posséder pour
réussir leur mission internationale. Premièrement, les expatriés doivent avoir de solides
compétences interculturelles, c’est-à-dire la
capacité à comprendre des personnes d’origines différentes, y compris dans une langue
étrangère, et à s’approprier leur manière de
penser. Ensuite, les expatriés doivent pos-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
24
séder des compétences interpersonnelles,
notamment l’ouverture d’esprit, la prise de
recul et la connaissance de soi. Puis, les
expatriés doivent également avoir de solides
compétences managériales, dont le management d’une équipe et l’expertise en finance. Et enfin, ils doivent avoir des compétences sociales. Cela se traduit notamment
par le développement d’un réseau personnel informel qui soit bénéfique à la fois pour
l’expatrié et pour l’entreprise.
En plus de ces compétences propres au
candidat, pour que l’expatriation réussisse, il
faudra que plusieurs conditions supplémentaires soient réunies. D’abord, l’expatrié doit
avoir envie de résider dans le pays où il s’établit pour une longue période. Puis, il faudra
régler les questions familiales, dont notamment la scolarité des enfants et, éventuellement, la situation du conjoint. Cet ensemble
de compétences et conditions nécessaires
pour réussir une expatriation est difficile
à rassembler, surtout en nombre suffisant
pour pourvoir d’au moins un expatrié chacune des filiales du réseau d’une FMN. C’est
pourquoi, dans un premier temps, les FMNs
envoient des candidats à l’étranger sans
que l’ensemble des compétences soit acquis
et les conditions supplémentaires soient
remplies. C’est alors la porte ouverte à un
échec, complet ou partiel. Dans un deuxième
temps, la FMN cherche des solutions pour
réduire l’expatriation proprement dite tout en
gardant une présence sous une forme ou une
autre d’un représentant de la maison mère.
1.4 La durée optimale d’une
expatriation
La durée optimale d’une expatriation
dépend de plusieurs facteurs. D’abord, elle
dépend de la complexité du pays d’accueil
et du temps nécessaire pour comprendre ses
Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
règles et son fonctionnement culturel et institutionnel. Puis, elle dépend des difficultés
et conditions de vie dans le pays d’accueil.
Enfin, elle dépend de l’importance de la
tâche que l’expatrié doit accomplir et de
la nécessité de transférer plus ou moins de
compétences à des managers locaux.
La durée optimale d’une expatriation est
un compromis entre la nécessité pour un
expatrié de s’intégrer dans l’environnement
local du pays d’accueil, ce qui demande du
temps, et la nécessité de maintenir une vision
globale des affaires de la FMN, ce qui demande au contraire d’alterner des périodes
de dépaysements et des périodes de rapatriement au siège. Ainsi, dans la plupart des
multinationales, la durée de l’expatriation
est d’environ 3 à 4 ans par pays. Lorsque
l’expatriation est d’une durée plus courte,
le manager ne s’insère pas réellement dans
l’environnement local et n’accomplit pas
forcément correctement sa tâche. Une expatriation plus longue porte le risque que le
manager expatrié se localise trop et perde
la vision globale et les valeurs de la FMN.
En langage courant, on dit que l’expatrié se
« tropicalise ».
1.5 L’expatriation rencontre
des limites
L’expatriation pose de nombreux problèmes que les multinationales ont du mal à
résoudre. Premièrement, elle coûte extrêmement cher (Latta, 1999). L’écart par rapport
au coût que représente le même cadre dans
son pays, fréquemment recalculé par les
organismes professionnels et par les chercheurs, peut aller jusqu’à 10 fois, voire plus
(Wong et Law, 1999 ; Selmer, 2003). C’est
qu’en effet au salaire de l’expatrié s’ajoutent
souvent une prime d’expatriation proportionnelle au sacrifice que représente pour
le cadre d’accepter de partir travailler dans
un pays étranger, plus un ensemble d’allocations visant à éviter que ce départ ne se
traduise pour lui par des coûts à sa charge
(logement, frais de transport pour le cadre et
sa famille entre le pays d’origine et celui où
il est affecté, protection sociale dans le pays
d’accueil, frais de scolarisation des enfants
éventuels, etc.). Deuxièmement, l’expatriation s’avère fréquemment peu efficace. Un
cadre qui aura donné pleine satisfaction
dans son pays d’origine, ou dans des pays
proches géographiquement, peut être désorienté et peu performant dans un contexte
culturellement ou institutionnellement différent, comme celui du Maghreb.
Tung (1981) estime le taux d’échec de l’expatriation entre 10 % et 20 %. Il faut cependant tenir compte du fait que l’échec peur
revêtir plusieurs formes : lorsque l’échec est
total, l’expatrié est rapatrié après plusieurs
mois seulement. Lorsque l’échec est partiel,
l’expatrié retourne à la maison avant la fin
de son contrat.
Enfin, l’expatriation peut sembler réussie,
mais être insatisfaisante lorsque l’expatrié est
resté en place pour la durée de son contrat,
mais n’a pas bien rempli sa mission. La FMN,
dans ce cas, a investi lourdement dans un
manager sans que celui-ci n’obtienne les résultats qu’on attendait de lui. En définissant
ainsi de manière moins stricte « l’échec de
l’expatriation », Black et al. (1991) trouvent
des taux allant de 16 % à 50 %. Or le coût
d’un tel échec est considérable, même s’il
est difficile à estimer, car il est constitué de
dépenses effectives (rapatriement du cadre
et de sa famille, sélection et expatriation
d’un remplaçant, etc.), de coûts cachés (dysfonctionnements de la filiale résultant de la
mission mal remplie) et de coûts d’opportunité (opportunités non saisies du fait des
faibles performances du cadre).
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
Beamish et Inkpen (1998) soulignent que
les multinationales s’efforcent de réduire
le recours à l’expatriation, pour des raisons de coûts et de faibles performances.
Schaaper et al. (2011) trouvent qu’une
large proportion de FMNs, mais pas toutes,
étaient engagée dans une politique de réduction structurelle du nombre d’expatriés,
notamment en transférant des compétences
sur des managers locaux. En raison de la
crise économique de 2008 et 2009, cette
politique s’insère désormais dans le cadre
d’une réduction globale des coûts sur une
échelle mondiale.
Cependant, les filiales que Schaaper et
al. (2011) ont interrogé soulignent, qu’en
raison de cette même crise économique,
un grand nombre de marchés européens,
selon les secteurs d’activités, stagnent. Les
maisons mères exigent fréquemment que
leurs filiales développent très rapidement
de nouveaux marchés, notamment dans des
économies émergentes, moins touchées par
la crise économique, en Asie, en Amérique
latine, mais également dans des pays du
Moyen-Orient. Pour certaines d’entre elles,
ces marchés sont devenus les sources de
croissance les plus importantes dans leur
portefeuille d’activités. Or, pour développer des marchés rapidement, ou entrer sur
de nouveaux marchés, la présence d’expatriés dans les filiales est indispensable. C’est
pourquoi beaucoup de FMNs affirment vouloir développer les affaires sur des marchés
émergents avec un nombre « stabilisé » ou
« contenu » d’expatriés. Quelques FMNs,
de plus petite taille ayant eu peu recours à
l’expatriation, affirment même vouloir augmenter le nombre d’expatriés.
Or, les candidats qualifiés pour l’expatriation, qui satisfont toutes les conditions pour
réussir leur mission internationale, commencent à manquer. Les FMNs qui étendent
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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leurs opérations globalisées cherchent à
résoudre une problématique contradictoire,
à savoir comment assurer une présence de
la maison mère dans les filiales tout en réduisant les coûts liés à l’expatriation. Deux
catégories de solutions s’offrent : développer
des formes nouvelles et alternatives à l’expatriation classique, qui sont pour la plupart
d’entre-elles moins coûteuses (§2) et transférer des responsabilités de management sur
des cadres issus des pays d’implantation des
filiales, sur la base d’une véritable politique
de GRH cohérente en vue de développer et
fidéliser les talents locaux (§3).
2 Nouvelles formes
et alternatives
à l’expatriation
classique
Les développements récents en matière de
déplacements à grande vitesse autour du
globe et de technologies de communication
ont changé de façon spectaculaire la nature
du travail international. Il est difficile de
s’imaginer qu’il y a seulement quelques dizaines d’années, il fallait plusieurs jours pour
un expatrié pour atteindre son pays d’ac-
Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
cueil. Lors de son séjour, il était alors hors de
contact avec son siège autrement que par La
Poste et par téléphone. Aujourd’hui presque
tous les pays peuvent être atteints en moins
d’une journée et les pays en Europe sont
distants de quelques heures seulement. De
même, la communication se fait désormais
en temps réel, dans la seule contrainte des
décalages horaires. Dans ces circonstances,
les FMNs peuvent organiser leurs ressources
humaines à l’international autrement que
seulement par l’expatriation.
De nouvelles formes de travail international ont vu le jour, dont les missions de court
terme et les voyageurs professionnels (2.1)
et l’auto-expatriation ou self-initiated expatriates (2.2). En plus de ces nouvelles formes
de travail international, comme réponse au
manque de candidats qualifiés, les FMNs
développent des alternatives à l’expatriation
classique, dont l’expatriation féminine, les «
secondes générations », les « navettes » ou
commuting teams et les équipes virtuelles
(2.3). Enfin, une dernière tendance forte
sont les centres régionaux de management,
comme structure intermédiaire entre les maisons mères et les filiales dans une région, où
est décentralisée la GRH locale et régionale
(2.4). La recherche académique s’intéresse
de plus en plus au mélange judicieux de ces
différentes formes de présence à l’international en utilisant le terme anglais global staffing mix.
2.1 « Flexpatriés » : missions
à l’étranger de court terme et
voyageurs professionnels
Afin de limiter le recours massif à l’expatriation, une première démarche consiste
à envoyer des experts en provenance de
la maison mère, ou d’autres filiales du réseau de la multinationale, sur des missions
de courte durée, allant de quelques jours
à plusieurs mois. Ces experts sont devenus
des professionnels du voyage. Leur expertise
s’est globalisée. Tel problème de production
dans une usine en Chine se produit également dans l’usine au Brésil. Ou encore, les
normes de consolidation des comptes sont
identiques pour les filiales à Buenos Aires, à
Jakarta ou à Tanger. Les experts font ainsi de
fréquents allers-retours entre le siège et les
filiales dans le monde entier. Ces missions de
court terme, bien que variable d’une FMN à
une autre, se sont très fortement développées durant la dernière décennie (Jaussaud
et Schaaper, 2006a, 2006b, 2007 ; Schaaper et al., 2011).
La durée d’une mission de courte durée
varie beaucoup selon son objectif, la FMN et
les secteurs d’activité. Selon Tahvanainen et
al. (2005), seules les missions de moins d’un
an peuvent réellement être classées comme
missions de court terme. Dans la plupart des
cas, elles seront de plus courte durée. Dans
de nombreux pays de résidence des experts
missionnaires, l’absence de moins de trois à
six mois permet de rester dans les systèmes
de sécurité sociale, de retraite et fiscal de
leur pays. Aussi, la présence de moins de
trois mois dans le pays où se trouve une
27
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
filiale permet au missionnaire d’y fonctionner sans permis de travail. Souvent, il
loge à l’hôtel évitant ainsi des difficultés de
lui trouver un logement. Les familles sont
rarement transférées, les salaires continuent à être versés dans le pays d’origine
de la FMN et les avantages hors salaires,
bien que généralement supérieurs au seul
salaire à domicile, sont moins importants
que ceux d’un expatrié. Un missionnaire de
court terme à la fois coûte moins cher et
est plus flexible qu’un expatrié traditionnel,
alors qu’il exécute une partie de ses fonctions. C’est pourquoi on parle d’un flexpatrié (Mayerhofer et al., 2004).
Les missions de court terme ont d’indéniables avantages. Elles sont relativement
simples à gérer administrativement. Elles
permettent à une filiale dans un pays donné
de disposer d’un large éventail de compétences, lesquelles lui font défaut mais sont
disponibles dans l’ensemble du réseau de la
multinationale. Elles permettent de résoudre
rapidement des problèmes techniques, de
lancer de nouvelles productions, d’auditer
les systèmes en place... Aussi, missionnaires
contribuent au partage des connaissances
dans le réseau d’une FMN. L’accumulation
d’expériences de court terme dans différents
endroits à travers le monde renforce les compétences internationales d’une personne.
De ce fait, la répétition de missions de
courte durée dans un pays donné est un excellent moyen de préparer un collaborateur
à une expatriation future vers ce pays. Enfin,
Jaussaud et Schaaper (2006b) soulignent
que les missions de court terme favorisent les
échanges informels entre cadres expatriés,
en poste dans les filiales, et avec les managers au siège. Ces échanges permettent de
résoudre les problèmes que soulève par
exemple le contrôle formel et d’en traiter les
causes sous-jacentes, qu’un reporting finan-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
28
cier ne met pas forcément en évidence. Les
missions de court terme renforcent les liens
entre le siège et le réseau de filiales de la
multinationale.
Les missions de court terme comportent
cependant quelques inconvénients. Contrairement à l’expatriation, dans la plupart des
FMNs les missions de court terme ne sont
pas gérées pas le département GRH mais
plutôt par les lignes hiérarchiques fonctionnelles (Brewster et al., 2001). Cela implique
que des managers à l’international au sein
de la même organisation, a fortiori les expatriés et les missionnaires de court terme,
subissent des différences de traitements parfois substantielles (Bonache et al., 2010).
Cela engendre des sentiments de manque
de confiance et de motivation, voire des
réticences à partir sur des missions de court
terme. Un second inconvénient est que les
experts, du fait qu’ils ne restent qu’un temps
limité dans une filiale, ne s’intègrent pas entièrement dans les équipes locales. Le transfert de connaissances peut ainsi ne pas se
faire convenablement. Par exemple, ils résolvent rapidement un problème technique de
production, sans expliquer aux techniciens
locaux comment ils l’ont fait. Si le problème
réapparaît, l’expert doit revenir. Enfin, inhérent à la courte durée de leurs missions, les
experts peuvent sous-estimer les spécificités
culturelles et les contraintes de l’environnement local d’une filiale.
2.2 Les auto-expatriés ou self
initiated expatriates
Alors que le terme « expatriation » s’emploie dans le cas d’affectations internationales de long terme initiées par une entreprise, le plus souvent avec un généreux
« contrat d’expatrié », les auto-expatriés
trouvent par leurs propres moyens un emploi
Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
à l’étranger, généralement avec un contrat
local (Suutari et Brewster, 2000). Une première catégorie d’auto-expatriés sont les
expatriés qui, à la fin de leur contrat, souhaitent rester dans le pays d’accueil, pour
des raisons personnelles comme la rencontre d’une âme sœur locale par exemple,
ou professionnelles telles que des perspectives moroses de réintégration dans le pays
d’origine. La FMN lui offre alors un « contrat
local amélioré », composé d’une rémunération locale complétée par des allocations ad
hoc, et le plus souvent par une couverture
sociale renforcée, dans le pays d’exercice et
dans le pays d’origine.
Une variante assez répandue est le recrutement sous forme d’un contrat local d’un
VIE après la fin de sa mission. Les avantages
d’un tel prolongement de contrat sont évidents. Le plus souvent l’ex-expatrié possède
l’ensemble de compétences requises pour
accomplir la mission que le siège attend de
lui. Puis, de toute évidence, les conditions
complémentaires pour une expatriation
réussie, intégration personnelle et familiale
dans le pays d’accueil, sont réunies. En plus,
le contrat local que la maison mère lui offre,
bien qu’amélioré, est moins onéreux qu’un
véritable contrat d’expatrié. Cependant, le
risque d’un prolongement à durée indéterminée dans un pays donné est que progressivement l’ex-expatrié perde son réseau
international et se localise trop en termes de
vision stratégique.
Une seconde catégorie d’auto-expatriés
sont les jeunes diplômés, avec ou sans première expérience professionnelle (Bonache
et al., 2010). Comme la crise économique
persiste à peser sur l’emploi en Europe,
nombre de ces jeunes diplômés ont du mal
à trouver un emploi intéressant à la hauteur
de leurs compétences et envies. En plus,
leurs cursus d’études se sont internationali-
sés, traitent davantage des sujets comme le
commerce international, la finance internationale… et incluent l’enseignement des langues vivantes. Aussi, la plupart des étudiants
effectuent désormais une partie de leurs
études à l’étranger. C’est bien connu : une
fois qu’on a goûté aux délices du voyage et
de la rencontre d’autres cultures, il n’y a plus
de retour en arrière.
Ainsi, en espérant trouver un emploi un
peu plus excitant que celui qu’on leur offre
en Europe, nombre de jeunes partent vers
des destinations comme Hong-Kong, Singapour, Rio, Buenos Aires. Arrivés sur place, ils
posent directement leur candidature auprès
des filiales des multinationales. Les chefs
d’entreprise expriment de bonnes raisons
pour donner une chance à ces jeunes diplômés, pourtant peu expérimentés. D’abord,
pour développer les affaires, il faut aller sur
le terrain, en Chine, en Inde, en Argentine
et ailleurs, à la rencontre des clients potentiels. Et pour cela, des jeunes « baroudeurs »
sont les bienvenus. Puis, ils sont marqués par
leur culture d’origine, française ou d’autres
nationalités européennes, ce qui est nécessaire sur de nombreux marchés où les pratiques d’affaires sont parfois très éloignées
du standard des firmes européennes (www.
transparence-france.org, 2012).
Or, les chefs d’entreprises disent tous
qu’avec des jeunes européens, ils courent
moins le risque que les limites acceptables
soient franchies qu’avec des jeunes marqués par leur culture locale. Enfin, ces
jeunes qui sont arrivés par leurs propres
moyens, sont généralement employés
sur des contrats de travail aux conditions
locales, plus quelques avantages supplémentaires, qui n’ont rien à voir avec les
contrats confortables dont bénéficient les
expatriés. La multinationale qui doit réduire ses coûts y trouve donc son compte.
(2) Aussi appelé un « contrat local plus »
29
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
2.3 D’autres viviers d’expatriés
à considérer
Lorsqu’il s’agit de trouver des expatriés
dans un nombre suffisant pour développer
les affaires à l’international, l’expatriation
féminine, celle des « secondes générations »,
ainsi que le recours aux missions navettes et
aux équipes virtuelles internationales constituent autant de nouvelles solutions à considérer.
Expatriation féminine
Bien que dans la plupart des pays occidentaux elles constituent à peu près la moitié
des salariés dans l’ensemble des entreprises
, seulement 14% à 16% des expatriés sont
des femmes (ORC, 2005). Ce faible pourcentage reflète cependant la proportion de
femmes qui sont employées comme cadres
dans une entreprise.
Altman et Shortland (2008) sur la base de
169 articles académiques publiés entre 1975
et 2007, dont 46 au cœur du sujet, font une
méta-analyse sur le thème de la « femme et
l’affectation internationale ». Ils considèrent
qu’en trois décennies les mentalités en matière d’expatriation féminine ont évolué. Dans
les années ‘80, il était admis que les femmes
ne souhaitaient pas s’expatrier, que les FMNs
y étaient opposées et que, de toute manière,
dans un grand nombre de pays d’accueil il
n’était pas pensable d’envoyer des femmes
sur des postes clés de management. Dans
les années ‘90, il s’est avéré que les femmes
souhaitaient autant que les hommes partir
travailler à l’étranger et, de surcroît, dans la
plupart des pays d’accueil les femmes pouvaient travailler correctement. Cependant,
les maisons mères continuaient à faire de la
discrimination sur le genre en matière d’expatriation. Enfin, depuis 2000, la recherche
académique s’intéresse aux barrières à
l’expatriation féminine et aux biais dans la
sélection de candidats, alors que certains
auteurs (Tung, 2004 ; Guthrie et alli, 2003)
suggèrent que les femmes réussissent mieux
à l’expatriation que les hommes. Envoyer des
femmes dans des filiales à l’étranger induirait
un avantage concurrentiel.
Parallèlement à cette évolution des mentalités, dans les faits, le pourcentage de femmes
qui partent sur des postes à l’étranger s’accroît lentement mais sûrement depuis une
dizaine d’années. Cependant, les femmes
restent encore largement sous-représentées
à l’international. La méta-analyse d’Altman
et Shortland (2008) évoque un ensemble de
raisons pour expliquer pourquoi ce plafond
de verre continue à exister. D’abord, il y a
des explications qui se fondent sur la nature
féminine, dont le manque d’engagement
dans leur carrière professionnelle, une faible
affirmation de soi-même et la subordination
de leurs perspectives de carrière à celles de
leurs partenaires masculins.
Ces barrières sont renforcées par des
barrages organisationnels et sociaux, dont
le manque de mentors féminins dans les
entreprises, le modèle masculin dominant
dans le partage des rôles, la faiblesse des
réseaux sociaux organisationnels féminins et
le manque de soutien lors de promotions et
de l’accès à des postes à haute responsabilité. L’ensemble de ces raisons complémentaires fait que les femmes, face à ce plafond
de verre, ont une tendance à abandonner et
à se mettre en retrait. Cependant, alors que
les bonnes candidatures masculines à l’expatriation dans un grand nombre de FMNs
commencent à manquer sérieusement, les
femmes constituent un réservoir important de
candidatures potentielles. Les jeunes diplômées, qu’on désigne par « la génération X
», sont davantage orientées vers la réussite
Par exemple : l’INSEE calcule que la proportion de femmes dans l’emploi total, salarié et non-salarié, en
France en 2009 est de 48% contre 52% pour les hommes.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
30
Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
de leurs carrières que leurs aînées. Lors de
leurs études, elles partent désormais autant
que les jeunes hommes en stage à l’étranger
et acquièrent ainsi une première expérience
à l’international. Tout semble indiquer que
l’expatriation féminine progressera dans les
années à venir. Cela constitue sans doute
une des solutions valides pour les FMNs pour
réussir leurs opérations à l’international.
Les « secondes générations »
Une alternative à l’expatriation traditionnelle vient de la « seconde génération »
d’immigrés, dont les parents sont originaires
du pays d’accueil des filiales, mais dont les
enfants sont nés dans le pays d’origine de
la FMN. C’est par exemple largement le cas
de l’immigration maghrébine en France.
Considérons l’exemple de la Chine. Au départ, pour s’établir en Chine, les FMNs ont
largement recruté des Chinois de seconde,
voire troisième génération dans des pays
tiers à forte concentration chinoise, notamment Singapour, et dans des quartiers des
grandes villes, qu’on appelle fréquemment
des Chinatowns, de leur pays d’origine. Une
telle démarche avec la seconde génération
maghrébine en France est tout à fait logique.
On mesure bien l’intérêt d’une telle opération. La multinationale peut ainsi envoyer,
dans le pays de ses parents, un manager,
qu’elle connaît bien pour l’avoir employé
depuis plusieurs années sur des postes dans
le pays d’origine de la multinationale.
Ce candidat potentiel à l’expatriation
connaît souvent la langue du pays d’accueil,
sa culture, sa géographie. Il peut avoir de
fortes motivations pour redécouvrir le pays
de ses parents et d’y trouver une place active. Pour toutes ces raisons, il sera souvent
moins exigeant qu’un candidat classique à
l’expatriation et rencontrera probablement
moins de difficultés d’adaptation. Mais cette
démarche présente aussi des risques, dont
notamment le problème de l’acceptation de
l’expatrié ré-immigré par les vrais locaux, qui
ne sont jamais partis (Fayol-Song, 2011).
Une variante aux « secondes générations »
sont les « rapatriés ». Il s’agit essentiellement
d’étudiants étrangers qui retournent dans
leur pays d’origine après un séjour assez
conséquent dans un pays occidental, notamment pour y faire des études supérieures
et, éventuellement, un début de parcours
professionnel. Les avantages d’un tel profil
semblent évidents. A priori, ces jeunes sont
bien formés et ont montré une vraie capacité d’adaptation culturelle. Le plus souvent
ils maîtrisent plusieurs langues. Cependant,
certains prétendent au contraire que ce profil n’a ni les qualités d’un véritable expatrié ni
les qualités d’un excellent local.
Les missions navette
Une autre alternative à l’expatriation sont
les international commuting assignments ou
missions navette. Il s’agit de missions à l’international où les managers font la navette
entre le pays où se trouve la maison mère,
ou un pays tiers où se trouve un siège régional, et une filiale à l’étranger. Les allersretours se font généralement sur une base
hebdomadaire ou bi-hebdomadaire, alors
que la famille du missionnaire reste à domicile (Mayerhofer et al., 2004).
Une variante assez proche sont les rotational assignments ou « missions rotationnelles
», où les employés alternent des missions
à l’étranger pour une courte durée et des
périodes de vacances dans leurs pays de
résidence (Welch et al., 2003). Les missions
rotationnelles sont entre autres utilisées sur
des plateformes de pétrole.
31
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
Bonache et al. (2010) affirment que les
missions navettes sont relativement fréquentes pour deux raisons. D’abord, pour
bien exécuter leurs tâches, certains managers doivent être dans deux endroits en
même temps. C’est en effet un avantage
indéniable qu’un responsable d’une filiale,
ou d’un réseau de filiales dans un pays, rencontre fréquemment des managers au siège.
Ensuite, certains pays d’accueil présentent
trop de difficultés, voire de dangers, pour y
installer la famille d’un manager international. Celui-ci se résout alors à faire de fréquents allers-retours.
Jaussaud et Schaaper (2006a) observent
que les missions navette sont fréquemment
pratiquées par les FMNs japonaises pour
la gestion de leurs filiales de production en
Chine. Mayrhofer et Scullion (2002) confirment que les ingénieurs allemands dans l’industrie du textile travaillent en semaine en
Europe de l’Est, mais passent leurs weekends
en famille en Allemagne.
Collings et al. (2007) généralise en parlant d’Eurocommuting, où les managers
d’un pays européen travaillent en semaine
dans un autre pays européen, tout en rentrant le weekend à domicile.
La proximité géographique, en termes
d’heures de vol, et le faible décalage
horaire entre l’Europe et l’autre rive de la
Méditerranée rendent cette option une alternative valable à l’expatriation au Maghreb.
Cependant, Dowling et Welch (2004) avertissent que si les missions navettes s’étendent
sur une période prolongée, l’intensité accumulée des voyages produit du stress et peut
avoir des conséquences négatives sur les
relations interpersonnelles du missionnaire.
Les missions navettes ne devraient pas durer
trop longtemps.
Les équipes virtuelles
internationales
Les technologies de communication du 21e
siècle ont rendu possible le travail international à distance. De nombreuses FMNs créent
désormais des équipes transfrontalières virtuelles dont les membres sont dispersés géographiquement et coordonnent leur travail
par des technologies électroniques de communication, comme les visioconférences et
l’email (Collings et al., 2007). Les membres
des équipes virtuelles exercent leurs responsabilités internationales en étant localisés à
la maison mère sans s’établir à l’étranger.
L’organisation virtuelle permet ainsi d’exercer
des fonctions à l’international sans en rencontrer toutes les limites ni en supporter les
coûts habituels. Par exemple les managers
n’ont pas à s’installer dans un pays lointain
avec toutes les difficultés que cela entraîne.
Aussi, un manager international virtuel, qui
travaille quotidiennement au siège, risque
moins de perdre de vue les intérêts globaux
de la FMN qu’un manager expatrié loin des
regards (Welch et al., 2003).
Cependant, Mayrhofer et al. (2008) soulignent les difficultés de la communication
interculturelle virtuelle. Dans de nombreuses
cultures, la communication comporte des
non-dits qui sont inaudibles à distance. Le
courrier électronique, par exemple, est un
excellent moyen pour transférer des documents écrits, mais est réputé pour engendrer des malentendus, voire des mésententes. Alors qu’il est déjà difficile de créer
de la confiance dans des équipes multiculturelles, cette difficulté s’accroît lorsque les
membres de l’équipe ne se rencontrent que
rarement ou jamais. Cette problématique de
confiance à distance est d’autant plus difficile à résoudre que chaque équipe subit
localement des pressions par sa hiérarchie
Aussi appelées « missions alternantes » ou « missions par roulement ».
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
respective. C’est pourquoi Collings et al.
(2007) estiment que le travail virtuel international est le plus approprié pour exécuter des
fonctions de routine, lesquelles demandent
une coordination en face à face. Welch et
al. (2003) pensent également que les missions virtuelles internationales prendront leur
importance dans les années à venir, mais ne
remplaceront jamais entièrement l’expatriation traditionnelle.
2.4 La régionalisation de la
GRH
Les multinationales s’internationalisent
progressivement, en s’implantant pays par
pays, à des périodes différentes, et rarement
dans une logique d’entrée de jeu régionale.
Chaque filiale développe ses activités dans
le contexte concurrentiel, culturel et institutionnel particulier dans le pays où elle est
implantée. La disparité des degrés de développement des différents pays d’accueil,
la diversité de leurs situations politiques et
sociales conduisent à un éclatement de la
GRH dans les pays où une FMN implante
ses filiales. Les pratiques locales de GRH
sont différentes au sein des filiales en Allemagne, au Maroc ou en Argentine. Par
exemple, les contrats de travail, les niveaux
de rémunération, la couverture sociale, les
règles d’évaluation, etc., diffèrent considérablement d’un pays à l’autre.
Les FMNs, lorsqu’elles se développent, se
structurent par grandes zones géographiques
mondiales, comme l’Amérique du Nord,
l’Asie-Pacifique, l’Afrique et le Moyen Orient
par exemple, ou parfois avec des regroupements moins attendus. Au sein de ces zones,
des sous-ensembles plus fins (clusters) sont
dessinés par proximité géographique ou
en fonction de la nature et de l’importance
des marchés. Les FMNs implantent à l’inté-
rieur de ces zones géographiques un siège
régional qui pilote le développement dans
les pays de la zone considérée. Les différents centres de management régionaux ont
des fonctions plus ou moins étendues. Alors
que les plateformes logistiques ont essentiellement des fonctions opérationnelles en
matière d’achat et de distribution, les sièges
régionaux ont des fonctions élargies dont le
développement des activités des filiales, la
gestion des ressources humaines (l’organisation de réunions, les missions de courte
durée, la GRH locale, la socialisation des
managers) ou encore la comptabilité locale
et la consolidation des comptes des filiales
dans la région. Les fonctions qui incombent
habituellement aux expatriés en place dans
les filiales sont partiellement regroupées au
niveau des sièges régionaux. Cela induit des
synergies et réduit le besoin en expatriés dans
les filiales, tout en y gardant une présence
réelle du management de la maison mère.
Au niveau des sièges régionaux, on trouve
fréquemment un responsable des ressources
humaines ayant plusieurs tâches régionales complémentaires. D’abord, il intervient en support des directions des filiales,
qui gèrent elles-mêmes l’emploi local sans
être nécessairement passées à une véritable
GRH. La demande pour un soutien apparaît
en général dès lors que les effectifs d’une
filiale dépassent quelques dizaines de salariés. Ensuite, un responsable des ressources
humaines régionales permet, partant de
pratiques de gestion de l’emploi disparates
au sein des filiales dans la région, d’introduire des règles et outils de GRH communs
en matière de recrutement, d’évaluation,
de formation et de promotion. Troisièmement, un centre de management régional
permet d’organiser des formations précises,
qui ne concernent qu’un nombre limité de
personnes dans chaque pays. En outre, les
déplacements internationaux, certes dans
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
la sous-région, amplifient l’effet motivant
de la formation, et renforcent l’identification des cadres à la multinationale. Ils permettent également la constitution de réseaux
de relations entre filiales qui se situent dans
différents pays au sein d’une même FMN.
Enfin, dans certains pays, en matière de
recrutement et d’évaluation, les relations et
réseaux personnels ont un poids inhabituel,
parfois excessif selon les critères de la multinationale. Dans ce cas, la délégation des
décisions à un DRH régional, non résident
dans le pays de la filiale, atténue les pressions locales.
filiale lorsque les postes à pouvoir exigent
une bonne connaissance locale et lorsque la
distance culturelle entre le pays d’origine de
la FMN et le pays d’accueil est grande.
Ainsi, si une firme multinationale souhaite
se développer rapidement dans un pays d’accueil alors qu’elle ne dispose tout simplement
pas de suffisamment d’expatriés pour pourvoir les postes clés du management d’une
filiale, le recours à des managers locaux est
a priori une très bonne solution. Jaussaud et
Schaaper (2006b) montrent que les managers locaux occupent en priorité des fonc-
3 Transfert des
responsabilités à
des managers et
techniciens locaux
Bien que les formes nouvelles et alternatives à l’expatriation, évoquées dans le paragraphe précédent, réduisent les besoins en
expatriation, le moyen le plus prometteur
consiste à transférer les responsabilités, techniques et de management, à des employés
locaux (Wong et Law, 1999 ; Kühlmann et
Hutchings, 2010 ; Lam et Yeung, 2010). Ce
processus de substitution d’expatriés par des
managers locaux est fréquemment désigné
par le terme « localisation des postes ». En
plus de réduire les besoins en expatriés, il y
a d’autres bonnes raisons pour localiser les
postes et fonctions. Les managers locaux,
issus du pays d’accueil de la filiale, ont plus
facilement accès à des ressources locales, ont
une bonne compréhension des procédures
administratives, parlent la (ou les) langue(s)
du pays d’accueil et ont une meilleure
connaissance des systèmes de distribution.
Harzing (2001) confirme qu’il est pertinent de
nommer plus de managers locaux dans une
tions de marketing et ressources humaines
locales, car ces fonctions demandent une
grande connaissance des pratiques locales.
Ces fonctions sont complémentaires à celles
qu’occupent en priorité les expatriés, qui
sont, rappelons-le, les fonctions de directeur
général, directeur administration-finance, et
dans les cas où la qualité des produits est
une priorité, responsable de la production.
Cependant, la localisation des fonctions nécessite qu’un ensemble de conditions (3.1.)
soient remplies, et notamment qu’une véritable politique de GRH envers les cadres et
employés locaux (3.2) soit mise en place au
niveau de la filiale.
(5) Amann et al. (2012) produisent un inventaire des termes utilisés par des expatriés, travaillant pour 49 FMNs françaises pour
désigner leur(s) centre(s) régional(ux) de management, soient : centre de ressources, centre de formation, plate-forme logistique, centre
d’approvisionnement, plate-forme de distribution, centre de soutien marketing, bureau de représentation, bureau régional, direction
régionale, siège régional.
(6) « HCN », soit des Host Country Nationals, terme opposé aux « PCN », soit des Parent Country Nationals.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
3.1. Conditions d’une
politique de localisation des
fonctions
Pour que le nombre d’expatriés diminue au
profit de la localisation des postes, Amann
et al. (2011) stipulent qu’un ensemble de
quatre conditions doit être réuni. D’abord,
il ne faudra pas que la filiale occupe une
place vitale dans la chaîne de valeur de la
firme multinationale. Par exemple, elle ne
fabrique pas un produit final, ou des composants intermédiaires qui entrent dans des
chaînes d’assemblage final, à destination
mondiale (world mandate subsidiary). Ou
encore, le rôle de la filiale ne doit pas être
au cœur d’une stratégie de développement
national ou régional de plus haute importance pour la maison mère. Si une filiale
est vitale pour une FMN, la maison mère
y détachera beaucoup d’expatriés. Deuxièmement, la concurrence sur le marché
d’implantation de la filiale, notamment si
elle doit assurer des ventes, n’est pas particulièrement forte de sorte que la filiale ne
court pas le risque de perdre des parts de
marché. Si au contraire, la maison mère
considère qu’il est crucial de développer
rapidement les ventes sur un marché donné,
elle y enverra des expatriés pour développer
les opérations commerciales.
Troisièmement, pour localiser avec succès
les postes clés de management d’une filiale,
il faudra que l’organisation formelle de la
filiale ait été correctement mise en place. Par
exemple, Jaussaud et al. (2012) expliquent
qu’une grande multinationale, sous-traitant
du secteur de l’automobile qui a implanté
plus de 200 usines dans une trentaine de
pays, lorsqu’elle ouvre une nouvelle usine,
elle y détache un cadre expatrié pour une
période de 8 à 10 ans. Au terme de cette
période de transfert de compétences, une
équipe locale dûment formée prend la suite,
sous la supervision à distance d’un manager expatrié en place ailleurs dans le même
pays. En plus de l’organisation des filiales en
question, l’organisation de la FMN dans le
pays considéré, ou éventuellement dans la
région, doit être mise en place. Par exemple,
la création d’un holding pays ou d’un siège
régional (voir §2.4), qui supervise les activités des filiales dans la zone, est un moyen
pour réduire les besoins en expatriés. Enfin,
quatrièmement, la localisation des postes se
fera avec succès si la FMN a mis au point
une politique cohérente de GRH en direction
des cadres et employés locaux. Ce point fera
l’objet du paragraphe suivant.
3.2 La politique de GRH pour
les cadres et employés locaux.
La localisation des postes de management ne peut se faire avec succès si la FMN
conçoit et met en œuvre une politique GRH
cohérente envers les cadres locaux au niveau des filiales (Kühlmann et Hutchings,
2010). Cette politique doit comporter plusieurs volets complémentaires, dont la formation, la rémunération, l’évaluation et la
gestion de la carrière. Fayol-Song (2011),
pour le cas de la localisation des postes par
des FMNs françaises établies en Chine, souligne en outre que les cadres expatriés en
place dans les filiales, dont les fonctions ont
vocation à être localisées, doivent adhérer et
porter une attention particulière à ce processus. Ils sont es acteurs clés. Avant de devenir des candidats potentiels pour des postes
clés de management, les employés locaux
doivent être formés, en particulier lorsque la
filiale est située dans des pays en voie de
développement où les ressources humaines
qualifiées sont rares. Toutefois, la formation
locale des managers à potentiel n’a pas
de sens si la filiale ne peut pas les retenir
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
après leur formation. Ceci est d’autant plus
pertinent dans des pays où il y a une forte
concurrence pour employer des ressources
humaines bien formées, que ce soit entre
multinationales étrangères ou avec les entreprises locales.
Amman et al. (2011) montrent que la formation des employés locaux, quel que soit leur
niveau de responsabilités, est très développée
dans la plupart des FMNs françaises de leur
étude. Les futurs managers des filiales en particulier sont formés localement, mais aussi
ailleurs comme aux Etats-Unis ou en Europe.
Jaussaud et al. (2012) indiquent les objectifs
majeurs que les FMNs poursuivent lorsqu’ils
forment des cadres et employés locaux. Le
premier but est l’amélioration des compétences et des qualifications, notamment dans
les domaines de la production, de la gestion,
de la qualité et de la sécurité. En second
objectif, la formation vise à encourager les
employés locaux à comprendre et à adopter
la culture d’entreprise de la firme multinationale de manière à ce qu’ils réagissent selon
ses valeurs et normes. Le partage des valeurs
permet d’orienter les comportements des
employés alors qu’ils se trouvent à l’étranger sans n’avoir jamais fréquenté la maison
mère de la multinationale. Enfin, un dernier
objectif est la fidélité, notamment des cadres
locaux qui pourraient prendre en charge des
postes clés du management. Jaussaud et Liu
(2006b, 2011) confirment que pour accroître
la loyauté des cadres locaux, surtout à l’issue
d’une longue période de formation, la FMN
devra motiver et à cette fin savoir rétribuer les
efforts et les compétences, ce qui nécessite de
pouvoir les identifier et les évaluer.
En plus de la formation, pour sélectionner,
promouvoir et retenir les meilleurs employés
locaux, la politique GRH envers les cadres
locaux doit s’articuler autour de la rémunération, l’évaluation, la motivation et la socia-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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lisation. Il est nécessaire de sélectionner soigneusement les managers à former, puis de
les évaluer à l’issue de la formation. Selon
Amann et al. (2011) certaines FMNs évaluent régulièrement tous les employés locaux
alors que d’autres FMNs évaluent seulement
les équipes de management. Ce constat est
confirmé par Arous (2011) pour le cas des
firmes multinationales établies en Tunisie.
Enfin, pour motiver et fidéliser les employés
locaux, il faut donner des perspectives de promotion et de carrière. Pour localiser avec succès des postes clés du management, et réussir
le transfert des responsabilités des expatriés
vers les cadres locaux, il faut mettre en place
localement une politique de GRH complète.
Conclusion
Acteurs au centre de la globalisation économique, les firmes multinationales implantent
un nombre croissant de filiales dans le monde
entier. Cet article expose la politique de GRH
globalisée que les FMNs mettent en place
pour gérer l’ensemble de leurs filiales et pour
garder le contrôle de leurs opérations internationales. Le cadre expatrié, que la maison mère envoie pour une longue période
à l’étranger, constitue le socle de cette politique. Il est la courroie de transmission entre
la stratégie globale de la maison mère et les
opérations quotidiennes des filiales. Il occupe
les fonctions qui demandent une forte interaction formelle et informelle avec les cadres au
siège. Il est le garant de la culture d’entreprise. Il est délicat de laisser le management
d’une filiale dans un pays éloigné, géographiquement, culturellement ou institutionnellement, uniquement entre les mains des
cadres locaux, surtout si cette filiale occupe
une place vitale dans les stratégies mondiales
de la multinationale. Le cadre expatrié doit
posséder des compétences managériales,
interculturelles et interpersonnelles qui sont
Les politiques de GRH internationale dans les
firmes multinationales :
Entre expatriation et localisation des postes
difficiles à trouver, surtout en nombre suffisant, pour accompagner le développement
international à marche forcée des firmes
multinationales. C’est pourquoi l’expatriation n’est pas toujours efficace et ne produit
pas toujours les effets escomptés. En plus,
un expatrié coûte cher alors que dans cette
période de difficultés économiques sur de
nombreux marchés occidentaux, les firmes
multinationales sont obligées de maîtriser
leurs coûts. Elles sont par conséquent à la
recherche de formes nouvelles et alternatives
de ressources humaines internationales qui
soient efficaces et, si possible, coûtent moins
cher que l’expatrié traditionnel.
Grâce au développement rapide des technologies et des moyens de transport aérien,
mais aussi en raison de l’évolution récente
des mentalités et convictions en matière de
missions internationales, des solutions à la
problématique du manque d’expatriés se
développent. D’abord, des experts sur des
missions de courte durée prennent en charge
des fonctions qui incombent habituellement
aux expatriés, sans s’installer pour autant
dans le pays d’implantation d’une filiale.
Puis, les filiales embauchent, sur des contrats
locaux parfois améliorés, des personnes originaires du pays de la FMN, mais qui sont venues dans le pays d’accueil d’une filiale par
leurs propres moyens, y compris les jeunes
diplômés, ou des managers qui souhaitent y
rester à l’issue d’une période d’expatriation
ou de Volontariat International en Entreprise
(VIE). Les missions de courte durée et ce
qu’on appelle les auto-expatriés constituent
à l’heure actuelle une tendance forte dans les
politiques de GRH internationale des FMNs.
Il y a également toute une série de formes
nouvelles et alternatives à l’expatriation traditionnelle qui sont implantées de manière plus
prudente ou sur une plus petite échelle, dont
l’expatriation féminine, le retour d’immigrés
de seconde génération dans le pays d’ori-
gine de leurs parents, des missions navette
ou encore le travail en équipe internationale
virtuelle. La littérature académique s’intéresse
depuis peu à ce global staffing mix, c’est-àdire le mélange judicieux de tous ces modes
de présence des ressources humaines, en
provenance de la maison mère, dans les
opérations internationales.
Un autre axe qui permet de mieux gérer
la multiplication des activités internationales
consiste à repenser et faire évoluer l’organisation mondiale de la multinationale.
Lorsqu’elles grandissent et multiplient l’implantation des filiales dans le monde entier,
les FMNs établissent au centre des grandes
zones mondiales comme l’Asie-Pacifique,
l’Amérique Latine, etc., des sièges régionaux,
où un certain nombre de fonctions des expatriés sont concentrées et des experts régionaux itinérants sont stationnés. Les centres
régionaux de management induisent des
synergies et réduisent le besoin en expatriés
dans les filiales, tout en y gardant une présence réelle du management en provenance
de la maison mère. Enfin, la solution la plus
durable à long terme pour réduire le besoin
en expatriation, tout en gardant le contrôle
sur les opérations des filiales dans des pays
lointains, est le transfert des responsabilités
techniques et de management à des managers locaux à qui la maison mère peut faire
confiance. Pour développer un vivier de managers locaux compétents et loyaux, la FMN
doit mettre en place une politique de ressources humaines de long terme cohérente
envers les employés locaux, articulée autour
de plusieurs composantes complémentaires,
dont la sélection des candidats à haut-potentiel, la formation locale et internationale,
l’évaluation des compétences acquises, un
plan de carrière et un système de rémunération motivant, parmi d’autres. C’est le prix à
payer pour un développement international
maîtrisé et harmonieux.
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales :
entre contingence, convergence et hybridation
Belkis BOUSSETTA KECHIDA
Université de Tunis (LARIME)
Zeineb B. AMMAR MAMLOUK
Université de Tunis (LARIME)
RESUME
ABSTRACT
Le débat sur la contingence et la convergence de
la GRH dans les multinationales a déjà suscité
l’intérêt de plusieurs chercheurs et plusieurs
travaux ont déjà traité le sujet dans le contexte
maghrébin, pourtant, la question des pratiques
RH au Maghreb reste toujours d’actualité.
Cet article identifie les pratiques, de la plus
contingente à la moins contingente, et ce, à
partir d’une recherche empirique dans trois
filiales tunisiennes de multinationales françaises
exerçant dans les secteurs du textile, de la
fabrication d’équipements d’automobiles et de
l’électronique. L’étude des pratiques RH a permis
de comprendre la convergence de ces pratiques
avec celles de la maison mère, contingence en
fonction du contexte local, et parfois hybridation
dans les filiales.
The debate on contingency and convergence of
HRM in multinational firms has already attracted
the interest of many researchers and several
studies have already dealt with the subject in the
Maghreb context, however, the issue of HR practices in the Maghreb is still relevant. This article
identifies the practices, from the more contingent to the less contingent, from an empirical
research in three Tunisian subsidiaries of French
multinationals operating in textile, manufacturing
of automotive equipment and electronics. The
study of HR practices has allowed us to understand the convergence of these practices with
those of the parent company, the contingency
according to the local context, and sometimes
the hybridisation within subsidiaries.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
42
INTRODUCTION
Les principaux travaux sur l’état de la GRH
et ses pratiques au Maghreb ont révélé la
persistance et la dominance de son aspect
administratif au détriment de la dimension
stratégique, malgré une image positive
d’une GRH en développement dans cette
zone (Peretti et Frimousse, 2005). Elle revêt
parfois une dimension stratégique dans les
grandes entreprises où elle apparait le plus
présente. A cet égard, Matmati (2005) parle
d’une GRH à double aspect dans les entreprises du Maghreb: absente dans les entreprises du secteur informel et existante, mais
sous différents niveaux dans les grandes
entreprises (nationales ou internationales).
En effet, les mutations économiques et
sociales et le développement des stratégies
d’internationalisation des firmes ont joué un
rôle considérable dans la sensibilisation des
entreprises de cette région à l’égard de la
GRH. En Tunisie entre autres, cette dualité
de la GRH est confirmée. Parmi les premiers
travaux sur le sujet, Ben Hamouda (1992)
et Ben Ferjani (1998) ont mis l’accent sur
le retard des entreprises tunisiennes dans le
domaine de la GRH et la pratique d’une gestion administrative du personnel, malgré une
conscience de l’importance de la GRH. Plus
tard, Zghal (2003) explique la négligence
de la GRH en Tunisie par la dominance des
petites et moyennes entreprises qui donnent
toujours la priorité aux aspects financiers.
Dans une recherche ultérieure, Zghal
(2005) parle de persistance de pratiques de
GRH traditionnelles dans les entreprises tunisiennes, avec une tendance de changements
révélateurs de développement de la fonction
RH, mais à caractère adaptatif et réactif
aux exigences de l’internationalisation des
firmes dans le pays. Sur la même lignée, Frimousse et Peretti (2005) affirment que le
développement de l’internationalisation des
entreprises dans les pays du Maghreb peut
contribuer, sous certaines conditions, au développement des firmes locales ainsi qu’à la
diffusion des bonnes pratiques de GRH. Les
auteurs s’interrogent sur la convergence des
pratiques ou l’affirmation des particularités
locales, l’incompatibilité ou l’indissociabilité de la convergence et de la contingence,
l’hybridation des pratiques de GRH.
Par ailleurs, les pratiques RH dans les multinationales au Maghreb ont été et sont l’objet
d’autres recherches. Ainsi, Matmati (2005)
s’interroge sur les pratiques de management
et de GRH dans certaines des grandes entreprises en Tunisie et au Maroc qui sont des
filiales de groupes internationaux et affirme
que, dans ce type d’entreprises, les méthodes
et outils de management de la maison mère
sont transposés et mis en œuvre avec des
adaptations au contexte local.
Dans le même champ de recherche,
Yahiaoui (2007), a mis l’accent sur l’hybridation des pratiques RH transférées dans
les filiales tunisiennes de multinationales
françaises. Son travail a porté sur quatre
pratiques, à savoir : le recrutement, la rémunération, l’évaluation et la gestion des
carrières. Zghal (2005), quant à elle a insisté
sur les pratiques de recrutement, rémunération, développement des RH (la formation et
l’appréciation du personnel) et les relations
avec les employés et la communication. Par
ailleurs, Matmati (2005) a attiré l’attention
sur les pratiques de : gestion de l’emploi, formation et développement des compétences,
rémunération et gestion des carrières.
43
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales :
entre contingence, convergence et hybridation
Ainsi, si le débat sur la contingence et la
convergence de la GRH dans les multinationales a déjà suscité l’intérêt de plusieurs
chercheurs (Yahiaoui, 2011; Yahiaoui et
Chebbi, 2008, Rosenzweig et Nohria, 1994
; Myloni et al., 2004) et si plusieurs travaux
ont déjà traité le sujet dans le contexte maghrébin (Zghal, 2001, Peretti et Frimousse,
2005 ; Yahiaoui et Golli, 2010 ; Yahiaoui,
2008), la question des pratiques RH au
Maghreb reste toujours d’actualité. Elle est
particulièrement intéressante en Tunisie,
après la révolution du 14 janvier 2011,
où la revendication sociale et politique a
vite fait de migrer de la rue vers l’intérieur
de l’entreprise, touchant notamment les
entreprises étrangères, et occasionnant en
quelques mois la perte de 80 000 emplois.
Ceci nous conduit à nous interroger sur les
pratiques RH dans les filiales des multinationales en Tunisie afin de voir et comprendre
s’il y a convergence de ces pratiques avec
celles de la maison mère, contingence en
fonction du contexte local, ou bien hybridation dans les filiales.
Notre travail identifiera les pratiques, de
la plus contingente à la moins contingente,
et ce, à partir d’une recherche empirique
dans trois filiales tunisiennes de trois multinationales françaises exerçant dans les
secteurs du textile, de la fabrication d’équipements d’automobiles et de l’électronique.
Ces trois études de cas ont été réalisées sur
la base de 28 entretiens semi-directifs avec
différentes catégories de répondants : des
managers, des responsables ressources humaines, ainsi que des membres des services
RH dans les filiales.
Dans ce qui suit, nous allons commencer
par rappeler les thèses de convergence et de
divergence relatives aux pratiques managériales à l’international tout en évoquant les
facteurs explicatifs de contingence, en insis-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
44
tant sur le cas de la Tunisie et ses spécificités
culturelles et institutionnelles. Puis, nous présenterons l’hybridation traduisant la fusion
du modèle global et du modèle local. Par
la suite, nous exposerons notre étude empirique, l’échantillon et la méthodologie utilisée, avant de présenter les résultats relatifs
aux pratiques de GRH dans les filiales des
multinationales en Tunisie.
1. Les différentes
approches abordant
les pratiques de
GRH dans les
multinationales:
1.1. Les pratiques RH dans
les multinationales, entre
convergence universaliste et
contingence particulariste
Toujours en quête d’efficience et de performance, l’utilisation des capacités organisationnelles à l’échelle mondiale, représente
pour les entreprises une source d’avantage
compétitif (Bartlett et Ghoshal, 1989). Ainsi,
les multinationales jouent un rôle considérable dans le transfert des compétences et la
transmission des modes organisationnelles
et des techniques performantes (Laval et al.,
2000 ; Ameziane et al., 1999), notamment
dans la région du Maghreb.
Selon Peretti et Frimousse (2005), il
semble que pour se développer dans ces
pays, la GRH a besoin de l’apprentissage
stratégique, défini par Delaville et Grimaud
(2001) comme le mouvement d’accumulation, d’acquisition, de consolidation et de
combinaison des ressources et compétences
Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre
contingence, convergence et hybridation
clés et qui peut être assuré par les expatriés
par exemple (Cerdin, 2003). Par ailleurs, Vo
(2008) rappelle que les pratiques de GRH
supérieures représentent une source réelle
ou potentielle d’avantage compétitif pour
les entreprises à capitaux étrangers par rapport aux entreprises locales. Par conséquent,
les multinationales ont tendance à transférer
et diffuser les pratiques RH qui constituent
un avantage compétitif vers leurs filiales,
via l’apprentissage stratégique. La question de transfert de pratiques RH vers les
filiales des multinationales continue à faire
l’objet de plusieurs recherches et à susciter
beaucoup de débats dans le domaine de la
GIRH. Allant de l’opposition entre les thèses
de convergence et de contingence, nuancée par le concept d’hybridation de ces
pratiques avec ses différentes significations
comme solution à ce dilemme, jusqu’aux
questions sur les modalités de transfert et
d’apprentissage stratégique des pratiques
de GRH:
Y-a-t-il adaptation, exportation ou intégration (pour le processus de transfert) et
y a-t-il intégration, adaptation ou résistance (pour le processus de réception) ?
Dans le contexte spécifique du Maghreb,
les chercheurs sont allés jusqu’à proposer
un modèle des pratiques de GRH dans les
entreprises de cette région. Dans ce même
esprit, nous focalisons notre attention sur les
caractéristiques des pratiques RH dans les
multinationales en Tunisie.
Les approches portant sur le transfert des
pratiques de GRH dans les multinationales
tournent autour de deux thèses. La première
est celle de la mondialisation, de l’universalisme ou de la convergence qui soutient
l’universalité des modes de gestion à l’international. Pfeffer (1994, 1998) parle de
l’adoption de pratiques de GRH « universelles » à la recherche de compétitivité.
A l’égard du « meilleur modèle » proposé
par Bartlett et Ghoshal (1989) à adopter
par les entreprises pour être compétitives
à l’échelle mondiale, les adeptes de la
logique de convergence des pratiques de
GRH croient au « one best way ». En d’autres
termes, sous l’effet de l’internationalisation,
les pratiques managériales dans les entreprises se ressemblent de plus en plus au détriment des modèles nationaux ou locaux de
gestion. Les firmes multinationales disposent
du même modèle d’organisation et des
mêmes « bonnes pratiques » à adopter par
toutes leurs filiales, afin de contrecarrer les
mêmes pressions concurrentielles. Comme
résultat, il y a homogénéisation de ces pratiques (Fenton-O’Creevy, 2003).
En revanche, la deuxième thèse de contingence ou de divergence considère qu’il n’y
a pas de « bonnes pratiques » de gestion
applicables partout et pas de convergence à
cause des différences institutionnelles et de
la culture, des exigences sectorielles, des facteurs spécifiques reliés aux organisations et
des systèmes de GRH (Bae et Rowley, 2001).
Dans ce cadre, les multinationales restent des
entreprises nationales, mais c’est leur activité
qui est internationale (Hirst et Thompson,
1999). Huault et Charreire (2002) considèrent qu’il n’y a pas un modèle organisationnel unique qui permet la performance à
toutes les entreprises. Par ailleurs, le risque
d’exporter des pratiques universelles en négligeant les spécificités locales a été mis en
relief par Lawrence et Lorsch (1969), les premiers adeptes du courant de contingence.
En effet, selon ce courant, les multinationales rencontrent des difficultés d’ordre
technique et financier, mais aussi culturel
dont elles doivent tenir compte. D’où, l’essai
d’uniformiser les pratiques managériales en
négligeant les particularités locales, notamment culturelles, constitue un énorme risque
pour les multinationales.
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales :
entre contingence, convergence et hybridation
L’approche contingente appelle donc les
multinationales à prendre en considération
non seulement leurs variables internes, mais
aussi les contraintes de leur environnement
et à adopter les politiques et pratiques managériales appropriées (Zghal , 2000).
Par conséquent, à l’opposé de l’approche
convergente, la thèse de contingence soutient l’idée de garder des modèles organisationnels hétérogènes qui prennent en
considération le contexte local des filiales
et les variables qui l’affectent. Vo (2008)
considère qu’il y a trois différents niveaux
de variables qui affectent simultanément les
pratiques RH, à savoir :
• le niveau macro, c’est-à-dire national,
aussi bien du côté du pays d’origine que
de celui du pays hôte, en mettant l’accent
sur les distances institutionnelle et culturelle
entre le pays hôte et le pays mère
• le niveau méso ou sectoriel
• et le niveau micro ou organisationnel,
comportant la stratégie d’affaires internationales, l’héritage administratif ainsi que la
nature de la filiale.
Ces trois niveaux sont relatifs aux approches, culturalistes et institutionnalistes,
mais aussi néo-institutionnalistes constituant
les principes de la thèse de divergence des
pratiques de management et de GRH d’une
façon particulière.
a. L’approche culturelle ou
culturaliste
Les culturalistes (Hofstede, 1987 ; D’Iribarne, 1989 ; Hall, 1979) soutiennent
tous, chacun à sa façon, l’idée de l’impact
de la culture sur les styles de gestion et
comportements managériaux au sein des
organisations.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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Child (2002) établit un lien entre les différences des valeurs et postulats nationaux
et les différents comportements et croyances
managériaux. De même, les fameux travaux
de Hofstede (1980, 1983, 1987) mettent en
relief les différences culturelles du management. En positionnant différents pays selon
les quatre dimensions culturelles de : contrôle
de l’incertitude, distance hiérarchique, féminité vs masculinité et individualisme vs collectivisme, l’auteur insiste sur l’impact des
différences entre les cultures nationales
sur le management dans différentes filiales
d’une même multinationale. Ainsi, Laurent
(1986) considère qu’une même pratique de
GRH peut être interprétée différemment par
des groupes culturellement différents.
D’Iribarne (1989) quant à lui, défend l’idée
que les pratiques managériales découlent
d’une logique nationale. Sur la même lignée, Myloni et al. (2004) trouvent que,
puisqu’elles sont basées sur les croyances
culturelles, les pratiques de GRH reflètent les
prétentions et les valeurs de la culture nationale dans laquelle l’organisation se trouve.
Par ailleurs Adler et al. (1986) mentionnent
que malgré la ressemblance entre les entreprises à l’échelle macro-économique, le
comportement de leurs membres à l’échelle
micro-économique obéit à des bases culturelles différentes
Dans ce cadre, nous rappelons certains
traits de la culture tunisienne qui doivent être
pris en considération par les responsables des
filiales de multinationales. Si nous nous référons aux dimensions culturelles de Hofstede,
la culture nationale tunisienne semble plutôt
collectiviste avec une faible distance hiérarchique et un faible contrôle de l’incertitude
caractérisé par une forte croyance au destin.
Par ailleurs, elle se caractérise par une dominance du flou et de la déréglementation et
un recours à la communication orale. Le pa-
Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre
contingence, convergence et hybridation
ternalisme, le respect de l’affectivité dans les
rapports sociaux, de l’égalité, de la dignité,
ainsi que le sentiment de fierté et de prestige
social, sont autant de traits caractérisant la
culture tunisienne (Zghal 1995, 2000). La
prise en compte de ces traits de la culture
tunisienne de la part des managers dans les
filiales de multinationales, notamment françaises, est indispensable vu les différences
culturelles entre les deux pays. En outre, les
pratiques de GRH dans les multinationales
peuvent aussi être affectées par des facteurs
d’ordre institutionnel.
b. L’approche institutionnaliste
L’approche institutionnaliste prend en
compte certains facteurs négligés par l’approche culturaliste. Elle met l’accent sur
l’impact des pressions institutionnelles, telles
que les politiques gouvernementales, les
règles et les règlements des relations industrielles, la force des groupes de pression,
l’adhésion aux accords et des institutions
régionales et globales (Powell et DiMaggio
1983, Tayeb, 1998) sur les choix organisationnels notamment en matière de GRH.
A cet égard, Hall et Soskice (2001) mettent
l’accent sur l’adoption par les entreprises
des modes de coordination appuyés par les
institutions, y compris l’Etat, des structures
régulatrices, des intérêts de groupe, de l’opinion publique et des normes.
Cette approche essaye d’expliquer l’impact des faits sociaux sur les faits économiques. Selon Philip Selznick (1957, 1969,
cité par Rojot, 2003), considéré comme le
père fondateur de la théorie institutionnelle,
les organisations s’adaptent, non seulement
au contexte interne, mais aussi aux valeurs
de la société externe. Le souhait d’être ou
de ressembler à une autre institution, les
normes, valeurs et attentes ainsi que les lois
ou les règles explicites exercent respectivement des influences d’ordre social, culturel
et politique. Dans ce cadre, les théoriciens
institutionnels ont remarqué que les filiales
étrangères sont à la fois soumises à des
pressions pour s’adapter au pays d’accueil
et pour incorporer un comportement isomorphe aux autres filiales (Rosenzweig et
Singh 1991).
Il y a plusieurs explications de l’adaptation
des filiales à leur contexte local. L’environnement local est perçu comme spécifique
quand il présente une situation dans laquelle
les politiques et les pratiques de l’entreprise
mère sont perçues comme inadaptées, ce
qui correspond à une situation d’incertitude
au sens de Di Maggio et Powell (1983).
Dans des situations où l’environnement local
est perçu comme hautement spécifique, on
peut supposer que les politiques adoptées
par les dirigeants des filiales, notamment en
matière de pratiques de GRH, empruntent
largement au modèle local dominant.
Certains chercheurs comme Hrebiniak
et Joyce (1985) insistent sur les contraintes
économiques, stratégiques et concurrentielles de l’environnement, alors que Powell
et Di Maggio (1983, 1991), principaux auteurs en néo-institutionnalisme, se réfèrent
plutôt à l’isomorphisme institutionnel, qu’ils
définissent comme « un processus contraignant qui force un élément d’une population à ressembler aux autres éléments qui
font face aux mêmes conditions environnementales ». Cette approche se distingue par
rapport à l’institutionnalisme par une prise
en compte à la fois des facteurs légaux et
normatifs pour analyser l’environnement
organisationnel (Livian et Baret, 2002)
et l’analyse des systèmes inter-organisationnels. Les deux auteurs développent les
contraintes de nature institutionnelle et en
identifient trois types:
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales :
entre contingence, convergence et hybridation
• Les contraintes coercitives d’influence
légales et politiques : l’isomorphisme lié à la
coercition résulte de pressions à la fois informelles et formelles exercées par les autres
organisations situées dans l’environnement
conduisant à un rituel de conformité.
• Les contraintes institutionnelles normatives d’influence culturelle issues de pressions exercées par la professionnalisation
qui consiste en la lutte collective d’une occupation quelconque pour définir les méthodes
et conditions de l’exercice de leur travail.
• Les contraintes institutionnelles mimétiques à influence sociale, qui préconisent de
faire face à l’incertitude, implique l’imitation
d’autres structures
et l’utilisation de
modèles conçus par d’autres organisations
en réponse à cette incertitude.
Ainsi, la compréhension du mode de
transfert des pratiques de GRH dans les filiales tunisiennes nécessite l’analyse de leur
contexte institutionnel.
En effet, la Tunisie a connu l’implantation
de plusieurs multinationales qui ont apporté
leurs propres pratiques managériales. Ceci
a provoqué l’augmentation de la concurrence sur le marché du travail et spécialement celui des cadres à haut potentiel.
Par ailleurs, depuis les années quatrevingt-dix, plusieurs mesures gouvernementales ont été prises au niveau, d’une part,
des systèmes éducatif et de la formation professionnelle en vue d’améliorer le niveau de
qualification des employés, et d’autre part
du code du travail dans le but de protéger
l’emploi, à l’heure d’une demande accrue
de flexibilité de la part des entreprises. Enfin, les programmes de mise à niveau, les
démarches qualité, les accords de libreéchange avec l’Union Européenne (1995)
ont favorisé le développement de la GRH.
1.2. L’hybridation : une solution à la dualité institutionnelle
A l’issue de cette confrontation entre les
deux thèses de convergence et de contingence des pratiques de GRH dans les multinationales, nous ne pouvons pas trancher.
En effet, face à la convergence, il y a toujours des particularismes locaux qui persistent. Pour le cas des filiales tunisiennes de
multinationales françaises, nous rappelons
qu’il y a des différences contextuelles considérables entre les deux pays, surtout d’ordre
culturel, tirant les pratiques de GRH vers la
contingence, mais en même temps, il y a
des ressemblances d’ordre institutionnel les
ramenant vers la convergence.
Le benchmarking des « bonnes pratiques
» universelles évoquées plus haut est possible mais son efficacité nécessite la prise en
considération du contexte local et de ses spécificités sociales, économiques et politiques
(Boyer et Yamada 2000 ; Livian et Barret,
2002). Sur la même lignée, Peretti (2002,
2004) affirme que malgré la conformité des
pratiques de GRH, leur interprétation et leur
utilisation diffèrent d’un contexte à un autre.
Les deux approches de convergence et
de contingence ne sont donc ni totalement
opposées, ni incompatibles, au contraire,
elles coexistent (Peretti et Frimousse, 2005).
Ainsi apparaît le « mix global/local » (Tregaskis et al., 2001) correspondant au modèle «
glocal » proposé par (Louart et Scouarnec,
2005) comme la combinaison harmonieuse
permettant de satisfaire des exigences économiques « globales » grâce à la valorisation
de facteurs clés de succès locaux. D’où le recours au phénomène d’hybridation comme
processus traduisant la fusion du global et
du local et moyen de satisfaction de la dualité institutionnelle de la filiale (Flood et al.,
(1) La diffusion ou l’imposition peut être définie comme le processus par lequel une maison mère essaie de maintenir sa propre pratique
et ses connaissances centralisées dans chacune de ses filiales, alors que l’adaptation relève plutôt d’un ajustement des pratiques aux
spécificités institutionnelles du pays d’accueil.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre
contingence, convergence et hybridation
2003), tout en facilitant la résolution d’éventuelles tensions entre la maison-mère et la
filiale (Livian, 2004).
est aussi perçue un moyen de satisfaction à
la fois des besoins isomorphes de la maison
mère et de l’environnement institutionnel de
la filiale (Flood et al., 2003). En effet, face
aux pressions mises en relief par l’approche
néo-institutionnaliste, l’hybridation permet
une transformation, voire une « réinvention
», aux termes de Rogers (2003), des pratiques diffusées à la suite de leur combinaison avec les spécificités locales des filiales.
Apparu au début, comme concept relatif
au transfert et à l’internationalisation des
modèles productifs (Abo, 1994 ; Boyer,
1998 ; Djelic, 1998), le concept d’hybridation s’est rapidement propagé vers le domaine du management et de la GRH. Dans
une recherche portant sur les pratiques de
GRH dans des contextes internationaux différents, Yahiaoui (2007) définit l’hybridation
comme « un processus qui donne naissance
à un nouveau modèle de management suite
à la rencontre de deux systèmes ou de deux
forces (la diffusion ou l’imposition et l’adaptation) , menés par l’entreprise dans un
contexte international.
Les différentes approches de
transfert des pratiques de GRH de la
maison mère vers la filiale
Nous rappelons que dans cette recherche,
nous nous référons au transfert des pratiques
de GRH de la maison mère vers la filiale.
Or, dans le transfert, il y a le processus de
transfert, mais aussi celui de réception. Les
pratiques de GRH appliquées dans la filiale
vont dépendre de ces deux processus.
Elle ajoute que ce processus, qualifié de «
bricolages successifs », dénaturalise les pratiques de GRH (transférées ou locales) de leur
principe initial, suite à des interactions entre
des acteurs issus de la maison mère et de la
filiale et répond aux besoins isomorphes et
aux intérêts de ces acteurs ».Loin d’être synonyme de l’adaptation, qui consiste à abandonner totalement les pratiques d’origine de
la multinationale en réaction aux pressions
locales du pays d’implantation, l’hybridation
D’une part, il y a trois orientations adoptées par les multinationales (Taylor et al.,
1996), à savoir : l’adaptation, l’exportation et l’intégration que nous distinguons en
fonction du degré de centralisation, d’autonomie de la filiale, de cohérence interne
avec le reste de l’entreprise et de cohérence
externe avec l’environnement. Le tableau 1
présente ces trois approches.
Tableau 1 : Les orientations des multinationales dans le transfert des pratiques de GRH
Approche
Adaptation
Exportation
Intégration
Caractéristiques
Cohérence interne faible
Cohérence externe forte
Cohérence interne forte
Cohérence externe faible
Cohérence interne forte
Cohérence externe modérée
Degré de centralisation
Faible
Pratiques locales adaptées
à l’environnement local
Fort
Forte intégration du système de GRH de la filiale à
celui de la maison mère
Solution RH optimale à
partir de la combinaison du
système RH filiale et maison
mère
Degré d’autonomie de
la filiale
Forte
Faible
Partage de responsabilités
de conception entre maison
mère et filiale
Source : adapté de Taylor et al. (1996)
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales :
entre contingence, convergence et hybridation
D’autre part, Taylor et al. (1996) indiquent
que la distance culturelle et institutionnelle
constituent les plus fortes contraintes à « l’exportabilité contextuelle » des pratiques RH et
c’est la charge de la filiale de garder l’équilibre entre les attentes du siège et les pressions locales. A cet égard, la filiale a le choix
entre les trois alternatives suivantes (Barmeyer et Davoine, 2006) qu’il est possible
de rapprocher respectivement des pratiques
de «convergence, divergence, hybridation»:
posantes institutionnelles du pays d’accueil
et celles du pays hôte qui entravent la diffusion des pratiques. Les deux autres types
correspondent à des pratiques totalement ou
partiellement nouvelles qui ne s’inspirent ni
des pratiques d’origine, ni du répertoire des
formes institutionnelles locales et qui ont lieu
quand il n’y a aucun équivalent fonctionnel
à cause de l’importance des contraintes institutionnelles et des exigences des pratiques
transférées.
• L’intégration : consiste à accepter et intégrer les politiques et pratiques de GRH du
siège par les filiales sans résistance et sans
adaptation au contexte local.
Degré de contingence et de convergence varié des pratiques de GRH
• L’adaptation : tient compte de l’isomorphisme avec l’environnement institutionnel
(Dimaggio et Powell, 1991). Elle est le résultat des processus de négociation avec les
différents environnements. Selon les études
sur le transfert des pratiques de GRH, un
minimum d’adaptation est nécessaire.
• La résistance : consiste à refuser l’implémentation des politiques du siège et à résister
à la centralisation, à cause des contraintes
et opportunités institutionnelles du système
d’affaires du pays d’accueil.
Dans le même cadre, en se référant aux
différents types d’hybridation proposés par
Boyer (1998), il y a quatre formes d’hybridation des pratiques de GRH au niveau
des filiales, en fonction de leur processus
d’adaptation au contexte local. Les deux
premiers types consistent à faire des reconstitutions d’un ensemble de composantes institutionnelles locales jusqu’à l’obtention d’un
équivalent fonctionnel complet ou partiel
au dispositif qui assure la performance de
la même pratique d’origine et ce dans les
cas où, il y a des différences entre les com-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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Nous précisons que la question de transfert
des pratiques de GRH dans les filiales ne peut
être abordée d’une façon globale. En effet,
dans une même filiale, certaines pratiques
peuvent être convergentes, et d’autres divergentes. A cet égard, Rosenzweig et Nohria
(1994) précisent que les multinationales sont
constituées de réseaux de pratiques différenciées mais interconnectées.
Ils considèrent comme pratiques contingentes les formes de contrats de travail, la
fixation des salaires et des heures de travail,
les décisions de départ à la retraite et d’accord de congés ; alors que la conception des
postes, l’accord de promotions et la structure
des salaires sont considérées comme des
pratiques convergentes. Par ailleurs, Schmitt
et Sadowski (2003) voient que les relations
industrielles sont les moins centralisées, la
paie variable et la participation des employés
à l’actionnariat sont modérément centralisés,
alors que la formation est la pratique la plus
centralisée.
Après avoir précisé le cadre théorique de
notre recherche et avant d’exposer notre
travail empirique, nous rappelons que notre
objectif est de voir si les pratiques de recrutement, de formation, d’évaluation et de ges-
Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre
contingence, convergence et hybridation
2.1. Méthodologie de la
recherche
tion des carrières dans les filiales tunisiennes
de multinationales françaises sont contingentes, convergentes ou hybrides ? Quelles
sont celles qui sont les moins convergentes
et celles qui sont les plus convergentes ?
Enfin, nous cherchons à savoir si les pratiques transférées sont adaptées, intégrées
ou rejetées de la part des filiales visitées ?
Pour répondre à ces questions, nous allons
commencer par présenter la méthodologie
adoptée et l’échantillon choisi avant de présenter les résultats de cette recherche.
Trois études de cas ont été menées durant
le troisième trimestre 2011 dans des filiales
tunisiennes de multinationales françaises
de différents secteurs. En effet, pour cerner
les pratiques de GRH, nous avons choisi de
mener une étude exploratoire et qualitative
permettant de mieux expliquer et établir les
causalités. Nous nous sommes ainsi placées
dans une logique qualitative inductive qui,
par le recours à des techniques d’interprétation, nous a permis de décrire et décoder la
signification des différentes pratiques.
2. Les pratiques
de GRH entre
contingence et
hybridation : cas de
trois filiales tunisiennes
de multinationales
françaises
Le tableau 2 présente notre échantillon
constitué d’entreprises de grande taille et
appartenant à différents secteurs d’activité.
Toutefois, la taille de notre échantillon ne
permet pas d’étendre les analyses et les interprétations sur l’ensemble des multinationales en Tunisie.
Tableau 2 : L’échantillon de la recherche (2)
Filiale 1 : Equipement auto
Filiale 2 : Electronique
Filiale 3 : Textile
Effectif total
1182
614
700
Nombre de
répondants
10
14
4
Profil des
répondants
1 DRH et 9 managers
Le Directeur du service RH
et 6 de ses membres, le général
manager, 6 managers d’autres
services
1 DRH
et 3 managers
Les données ont été colligées à l’aide
d’une série d’entretiens semi-directifs avec
28 membres des 3 filiales. La GRH étant
partagée entre la direction des ressources
humaines et les managers dans les filiales,
nous avons développé plusieurs grilles d’entretien appropriées aux différentes catégories de personnes interviewées responsables,
non seulement des décisions mais aussi des
pratiques relatives à la GRH, à savoir : les
trois DRH des filiales, les membres du service RH, ainsi que les managers des différents services dans la filiale.
Etant en interaction avec les répondants et
travaillant à partir de leurs perceptions, les
connaissances produites sont relativement
subjectives et constituent le résultat d’un
contexte culturel et institutionnel spécifique.
(2) Afin de garder l’anonymat des réponses, nous avons désigné les filiales visitées par leur activité. La première correspond à la filiale d’une
multinationale française qui fabrique les équipements d’automobiles, sise à Ben Arous. La deuxième, dans le secteur de l’électronique se trouve
à Hammam Zriba dans le gouvernorat de Zaghouan. Et enfin, la troisième, dans le domaine du textile est localisée dans la ville de Monastir.
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales :
entre contingence, convergence et hybridation
Nous avons choisi l’analyse qualitative et
de formaliser les relations entre les différents
thèmes contenus dans une communication
afin d’en traduire la structure. L’importance
à accorder à ces thèmes, mots ou concepts
ne se mesure pas au nombre ou à la fréquence, mais plutôt à l’intérêt particulier, la
nouveauté ou le poids sémantique par rapport au contexte (Aktouf, 1987).
Une analyse qualitative « dont l’objectif est
d’apprécier l’importance des thèmes dans le
discours plutôt que de la mesurer, en mettant
l’accent sur « la valeur d’un thème » et non
sur « le nombre de fois », tel que c’est le cas
dans une analyse quantitative.
Elle va aussi chercher à interpréter la présence ou l’absence d’une catégorie donnée,
en tenant compte du contexte dans lequel
le discours a été produit (Thiétart et coll.,
2007). Notre analyse de contenu a été thématique, consistant à découper transversalement tout le corpus selon des thèmes représentant des fragments de discours jusqu’à
l’obtention de thèmes significatifs (Bardin,
2001), qui permettent de répondre à nos
questions de départ.
Ainsi, il s’agit à la fois d’une analyse thématique « verticale » (sur le discours) consistant à relever les thèmes et questions abordées dans le guide d’entretien avec chaque
répondant et mettre en valeur la particularité
de chaque cas analysé, mais aussi et surtout
une analyse « horizontale » (thématique),
dans la mesure où nous cherchons aussi les
différentes formes d’apparition d’un même
thème dans les différents entretiens (Ghiglione
et Matalon, 1978) ce qui permet
d’identifier les points communs et les différences entre les entretiens. Les lignes de la
grille comportent donc les thèmes alors que
les répondants sont organisés en colonnes.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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2.2. Hétérogénéité des pratiques de GRH dans les filiales
tunisiennes des multinationales françaises
Un premier constat à partir de l’analyse
des entretiens est que la GRH loin d’être
stratégique, est restée archaïque et revêt un
aspect purement administratif même dans
des filiales de multinationales sensées avoir
atteint un stade plus avancé. En effet, même
si les DRH dans les trois filiales en question
font partie du comité de direction, ceci ne
signifie pas une contribution effective dans
la stratégie et la politique globale de l’entreprise. La place accordée à la GRH se
reflète dans la structure réservée au service
ressources humaines dans l’une des filiales
(Textile) qui se réduit à la seule Directrice
des Ressources Humaine, chargée de tout,
avec pour seul collaborateur, un membre du
service comptabilité concernant les rémunérations: « C’est vrai que j’assiste à toutes
les réunions du comité de direction et tout,
mais c’est moi aussi qui ai la charge de la
gestion de tout le personnel de la filiale : du
recrutement, aux décisions de promotion, de
sanctions, aux formations, etc… seulement
pour le calcul des salaires, c’est un cadre
Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre
contingence, convergence et hybridation
du service comptabilité qui s’en charge c’est
trop, je me sens vraiment débordée… »
(DRH, Textile).
Nous soulignons également que la directrice des ressources humaines dans cette filiale n’a aucune qualification particulière en
GRH, à part son expérience de travail depuis
23 ans dans la filiale. Ceci n’est pas le cas
dans les deux autres filiales qui présentent
une structure développée du département
ressources humaines avec des membres diplômés en GRH. Nous constatons là une volonté de la filiale d’assurer une convergence,
voire une standardisation par rapport au
siège. Toutefois, le nombre réduit d’expatriés dans ces filiales : deux dans « Textile »,
un seul dans « Electronique » et trois dans
« Equipement auto», reflète un fort degré
d’autonomie de la filiale et une décentralisation de ses activités par rapport au siège.
En se référant aux différentes approches de
transfert des pratiques de GRH adoptées
par les multinationales, ces constats nous
amènent à dire qu’il s’agit plutôt d’une stratégie d’adaptation, autrement dit de
contingence.
Rejoignant cette approche, la plupart des
interviewés affirment que les pratiques de
GRH ne peuvent être indifférentes à l’environnement local dans lequel elles sont
appliquées. Ils jugent indispensable de
prendre en considération les contraintes de
l’environnement local tunisien dans les différentes pratiques RH : « Mais on ne peut
pas penser à quoi que ce soit sans tenir
compte du contexte tunisien… si vous allez
recruter, il faut penser au marché de travail
ici, les compétences disponibles, les moyens
de recherche de candidature, etc… si vous
allez payer les gens, il y a des normes, un
SMIG, des réglementations imposées par
le droit tunisien… d’un autre côté, si vous
allez décider de la carrière des gens, une
mutation, une promotion ou autre ou si vous
allez l’évaluer, vous ne pouvez pas échapper
à certaines normes culturelles tunisiennes.
Alors, même si ce sont les mêmes documents, les mêmes procédures que dans la
maison-mère, il y a toujours une marge de
manœuvre due à des contraintes contextuelles » (DRH, Equipement auto). Ce premier extrait met en relief l’approche contingente des pratiques de GRH. En effet, le
cadre réglementaire et la dimension culturelle sont les facteurs de contingence les plus
cités par les répondants.
« C’est un travail centralisé mais on gère
notre travail avec notre propre management dont on garde les grands titres et procédures et on les applique souvent avec
des modifications selon la situation…La
prise de décision de toute modification doit
être faite par notre responsable hiérarchique
et le responsable du site » (assistante d’accueil, service RH, service informatique).
« Les programmes de formation nous
proviennent du siège, mais parfois quand
les managers voient qu’il y a un besoin de
formation dans n’importe quel domaine, ils
avisent la direction et les programmes sont
établis à l’échelle de la filiale. Le choix des
stagiaires, mais aussi des formateurs est fait
au niveau de la filiale aussi, sauf quand il
s’agit de formations dans la maison-mère,
surtout pour les cadres occupant des postes
importants » (Formation, informatique). « On
nous envoie les grilles d’évaluation avec le
détail près, plusieurs documents standardisés nous sont envoyés par le siège, mais
quand on les transmet aux responsables
directs des personnes à évaluer, tout dépend… Vous savez, il y a un écart entre le
prescrit et le réel. Il y a d’autres variables
qui entrent en considération, nos habitudes,
notre façon de se comporter avec un subordonné plus âgé que nous par exemple, vous
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales :
entre contingence, convergence et hybridation
comprenez… ces choses là font que même
si c’est la même grille utilisée dans toutes les
filiales, elle ne l’est pas de la même façon »
(DRH, informatique). On retrouve dans ces
extraits des indications sur la coexistence
d’une centralisation, c’est-à-dire d’une
convergence et d’une décentralisation évoquant la contingence des pratiques de GRH
dans la filiale. Il n’y a donc pas d’abandon
total des pratiques transférées par le siège,
mais plutôt celles-ci sont adaptées avec des
modifications par la filiale, ce qui revient
à l’hybridation des pratiques RH telle que
présentée dans la première partie de ce travail. A cet égard, nous ne sommes ni dans
l’approche d’intégration des pratiques par la
filiale, ni dans celle de résistance, mais plutôt entre les deux, c’est-à-dire celle d’adaptation confirmant le mix global / local et
relative à l’hybridation des pratiques. Cette
filiale illustre donc parfaitement l’hybridation
des pratiques RH.
En revanche, les résultats de l’analyse
confirment plutôt une stratégie de résistance
et de contingence des pratiques pour le cas
de Textile. En effet la DRH affirme : « Tout est
fait au niveau de la filiale, que ce soit pour
le recrutement, la formation, la rémunération ou même l’évaluation, on ne demande
pas l’avis de la maison mère et on prend
les décisions à notre niveau…on sait faire
tout tous seuls, ce n’est pas la peine de les
consulter à chaque fois ».
Par ailleurs, la philosophie de la direction, le stade de développement de la filiale
et sa situation ainsi que la place du service ressources humaines dans la structure
organisationnelle sont autant de facteurs
de contingence interne cités par les répondants et agissant de manière significative sur
l’évolution et la convergence des pratiques
de GRH : « Avant, on nous programmait des
formations au niveau du siège, mais depuis
qu’on a été racheté par ce groupe, tout ce
qu’ils cherchent c’est le profit en minimisant
les coûts. Pour eux, il n’y a pas besoin de
recruter quelqu’un d’autre dans mon service, puisque je peux tout faire et ça coûte
moins cher…en fin de compte c’est ça ce
qu’ils cherchent en venant ici, ça ne peut pas
être pareil en France… Mais bon, on ne sait
jamais peut être ça va changer après le 14
Janvier ?! » (DRH, Textile). La fin de ce passage traduit des attentes et les espoirs que
la révolution a fait naître. Cela pourrait faire
l’objet de recherches ultérieures.
En effet, après le 14 Janvier 2011, on
s’attend à ce qu’il y ait des changements
majeurs dans le cadre institutionnel tunisien, concernant la règlementation, le système d’éducation, etc…Tous les axes de la
GRH vont être touchés par ce changement
: le marché de travail et par conséquent le
recrutement, les lois concernant les salaires,
la formation et par voie de conséquence le
recrutement et la formation.
Une idée importante ressort de l’analyse approfondie des différents entretiens,
c’est que le degré de centralisation ou de
convergence des pratiques de GRH dans
les filiales varie en fonction de la catégorie
d’employés en question. Autrement dit, s’il
s’agit de cadres occupant des postes clés
à haute responsabilité, leur recrutement,
formation, gestion des carrières et évaluation dépendent en grande partie du siège.
Les mêmes politiques et procédures sont
réservées aux cadres expatriés et cadres
locaux. La divergence se trouve par contre,
au niveau de leurs rémunérations. Alors
que les salaires des cadres expatriés sont
alignés sur le pays d’origine , les cadres
locaux ayant le même niveau hiérarchique,
voire occupant les mêmes postes sont payés
selon la législation locale et le niveau des
rémunérations en Tunisie :
(3) Les lecteurs souhaitant avoir une idée plus claire sur toutes les méthodes de fixation des salaires des
expatriés, peuvent se référer à Cerdin (1999).
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre
contingence, convergence et hybridation
« Pour les postes très importants, tels que
celui de général manager ou de responsables de départements, ils sont affectés
par le siège avec parfois notre coordination.
La gestion de leurs carrières, l’appréciation
de leurs résultats ainsi que les programmes
de formation dont ils bénéficient, sont établies au niveau du siège, avec la coordination avec la filiale. Par contre pour d’autres
postes, de cadres moyens ou de simples
employés, les décisions concernant le recrutement ou autre sont prises au niveau de la
filiale » (Chef du service RH, Electronique).
A partir de cette dernière constatation, il
était difficile pour les personnes interrogées
dans les différentes filiales visitées de classer
les pratiques de GRH sur lesquelles a porté
cette étude de la plus à la moins convergente. En effet, la même pratique peut être
convergente pour une catégorie de cadres
et contingente pour une autre comme le
montre l’exemple concernant la rémunération dans la citation précédente.
Par ailleurs, les répondants autres que
DRH dans les filiales étaient incapables de
nous classer les différentes pratiques par
ordre de convergence ou de contingence.
Les DRH eux-mêmes ont trouvé une difficulté
à le faire car tiraillés entre universalisme et
particularisme de ces pratiques.
Compte tenu des résultats issus de cette
recherche, nous constatons que les trois
filiales présentent des pratiques de GRH
à caractère distinct avec différents degrés
de contingence ou de convergence. Ainsi,
nous pouvons positionner les trois filiales
(voir figure 1) par rapport à deux axes de
contingence et de convergence, puisque
comme nous l’avons déjà remarqué dans
l’analyse des données collectées, il n’y a
pas de pratiques totalement convergentes
ou totalement contingentes dans les filiales
de multinationales. Mais ces résultats nous
laissent supposer que ces pratiques ont une
tendance plus convergente ou au contraire
plus contingente.
Figure 1 : Positionnement des trois filiales en fonction du
degré de contingence ou de convergence de leurs pratiques de GRH
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales :
entre contingence, convergence et hybridation
Enfin, nous rappelons qu’il s’agit d’un travail exploratoire ayant un objectif d’observer
et de voir l’état de la GRH et de ses pratiques
dans les filiales tunisiennes des multinationales françaises. Ainsi les résultats et constatations faites ne peuvent être généralisés sur
l’ensemble des multinationales en Tunisie,
mais elles ouvrent quand-même la piste sur
d’autres travaux de recherche sur le même
thème pour un échantillon plus grand.
Conclusion
Cette étude met une fois de plus en relief
la nécessité de tenir compte du contexte
local et de ses contraintes, qu’elles soient
culturelles ou institutionnelles, dans la pratique de la GRH au sein des filiales. En
même temps, elle ne neutralise pas la thèse
de convergence de ces pratiques. Autrement dit, les pratiques RH dans les filiales
tunisiennes de multinationales françaises se
situent entre le local et le global. D’une part,
les similitudes entre les cadres institutionnels
des deux pays (législation du travail, histoire
commune, effet de dominance et relations
économiques) peuvent être des facteurs
explicatifs de la convergence des pratiques.
D’autre part, les divergences essentiellement
culturelles et du point de vue du niveau de
vie, peuvent expliquer les tendances contingentes de ces pratiques. Il est à noter également que le degré de contingence ou de
convergence des pratiques de GRH peut
varier dans une même filiale d’une catégorie
de personnel à une autre, comme il peut varier dans un même cadre institutionnel d’une
filiale à une autre, en fonction des choix stratégiques de la multinationale, ou aussi de
l’âge de la filiale et de son stade d’évolution.
Il paraît également, à l’issue de cette recherche, que la rémunération est la pratique
la plus contingente.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
56
Malgré l’éclairage qu’a pu nous apporter
cette recherche sur les pratiques de GRH dans
les multinationales en Tunisie, elle comporte
quelques lacunes. D’abord, la taille de notre
échantillon (28 entretiens seulement dans trois
filiales) est loin de nous permettre de généraliser ces constatations sur l’ensemble des multinationales implantées en Tunisie. Ensuite, il
semble intéressant d’interroger les DRH des
sièges sur les pratiques RH dans ces filiales,
afin de pouvoir classer celles-ci selon le degré
de convergence ou de contingence et de comparer leurs réponses à celles des membres des
filiales, pour que les résultats soient confrontés
à la politique générale de la multinationale.
Une requête supplémentaire des données
auprès des maisons-mères semble intéressante pour compléter le présent travail, qui
a permis d’explorer les pratiques de GRH de
certaines multinationales en Tunisie et qui
ouvre d’importantes pistes de recherche, surtout à l’heure actuelle à laquelle le contexte
tunisien post-révolution et son cadre institutionnel subissent des changements considérables qui ne peuvent être sans effet sur les
entreprises, entre autres les multinationales.
Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre
contingence, convergence et hybridation
Annexe : guide de
l’entretien
I. Identification du répondant :
Nom, Age, Sexe, Nationalité, Poste occupé, Ancienneté dans la filiale, Ancienneté
dans le poste.
• Présentation de la multinationale
Nom
Activité
Nationalité
Nombre d’implantations dans le monde
Effectif total
Age
• Présentation de la filiale
Date d’implantation en Tunisie
Statut d’implantation
Effectif
Chiffre d’affaires
Importance par rapport aux autres filiales
Degré d’indépendance par rapport à la maison mère
Organigramme
• Place de la fonction RH dans la
filiale
Appellation : service, département, division ou autre ?
Indépendante ou liée à un autre service ?
Structure du département RH (organigramme)
Nombre d’employés sous cette division ?
Est-ce la même structure dans la maison
mère ou les autres filiales ?
I. Le recrutement :
• Le recrutement dans votre filiale se fait-il
suivant une GPEC?
• Décrivez-nous comment se fait un recrutement chez vous (ses étapes).
• Est-ce que cette procédure est dictée par
la maison mère?
• Est-ce fait par la filiale elle-même, ou
par d’autres organismes spécialisés?
• Quelles sont les sources de recrutement
auxquelles vous avez recours?
• Selon quels critères choisissez-vous les
candidats ?
• Est-ce qu’ils sont fixés par la maison
mère ?
• Quels sont les moyens utilisés pour le tri
et la sélection des candidats ?
• Sont-ils fixés par la maison mère ou élaborés par la filiale ?
• Quelles sont les formes de contrats de
travail que vous utilisez ?
• Sont-elles les mêmes au niveau du siège
et des autres filiales ?
• Quels sont les facteurs qui expliquent
l’adoption de telles formes de contrats de
travail?
• Pour les postes de cadres à haute responsabilité dans la filiale, est-ce que ce sont
toujours des expatriés ou des locaux?
• Est-ce la même chose dans les autres
filiales?
• Les dossiers de candidature sont-ils traités au niveau de la filiale ou du siège?
• La décision finale d’embauche est-elle
prise au niveau de la filiale ou du siège ?
• Les pratiques de recrutement sont-elles
identiques à celles dans la maison mère ?
• Expliquez les facteurs de divergence ou
de convergence.
II. La rémunération :
• Comment se fait la fixation de salaires
dans la filiale ?
• Est-ce qu’elle se fait de la même façon
que dans la maison mère ?
• Quels sont les critères selon lesquels la
grille de salaires est établie ?
• Les éléments constitutifs des salaires sontils déterminés par la filiale ou par le siège ?
• Est-ce que ce sont les mêmes que dans
le siège et dans les autres filiales ? Expliquez?
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales :
entre contingence, convergence et hybridation
• Est-ce qu’il y a des différences entre les
salaires des expatriés et ceux des locaux occupant les mêmes fonctions ? Si oui, expliquez pourquoi ?
• Quelle est la méthode utilisée pour la
fixation des rémunérations des expatriés
(pays d’origine, pays d’accueil, mixte, pays
tiers ou internationale) ?
• Est-ce que vous utilisez un logiciel pour
le calcul des salaires etc… ? si oui, est-il
commun avec le siège (et les autres filiales) ?
• Les pratiques de rémunération sont-elles
identiques que celles dans la maison mère ?
oui, comment expliquez-vous cela ?
• Expliquez les facteurs de divergence ou
de convergence.
• Est-elle fixée par le siège ou élaborée au
niveau de la filiale ?
• Est-ce qu’il y a élaboration de plans de
carrières ?
• Par qui sont fixés les critères de promotion, mutation, mobilité géographique, départ à la retraite, congés ou autre?
• Par qui sont fixés les décisions de promotion, mutation, mobilité géographique,
départ à la retraite, congés?
• Les pratiques de gestion de carrière
sont-elles identiques à celles dans la maison
mère ?
• Expliquez les facteurs de divergence ou
de convergence.
III. L’évaluation :
VI- Conclusion
• La fréquence, les méthodes d’évaluation, ainsi que l’évaluateur sont-ils fixés par
le siège ou choisis librement par la filiale ?
Expliquez?
• Les critères et grilles d’évaluation sontils identiques à ceux utilisés dans la maison
mère et les autres filiales ? Expliquez?
IV. La formation :
• Avez-vous un service formation interne
à la filiale ?
• Avez-vous recours à des formateurs externes ?
• Le choix des stagiaires, des formateurs,
des programmes et des moyens de formation, ainsi que l’évaluation des formations
sont-ils faits au niveau de la filiale ou de la
maison mère ?
• Est-ce qu’il y a des programmes de formation en commun entre toutes les filiales?
• Expliquez les facteurs de divergence ou
de convergence.
V. La gestion des carrières
• Est-ce qu’il y a une GPEC dans la filiale ?
• Est-ce la même chose dans le siège (et
les autres filiales) ?
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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• Pouvez-vous classer par ordre ces pratiques (le recrutement, la rémunération,
l’évaluation, la formation et la gestion des
carrières), de la plus standardisée à la plus
adaptée au contexte local tunisien.
Les pratiques de gestion des ressources humaines
dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre
contingence, convergence et hybridation
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
La capacité d’absorption et le transfert des connaissances : rôle de la GRH dans les filiales des FMN du
secteur aéronautique au Maroc.
Omar TIJANI
Université Abdelmalek Essaadi
Faculté polydisciplinaire de Larache
Centre de Recherche et d’Etudes en Gestion (CREG)
RESUME
ABSTRACT
La GRH est indispensable pour réussir le processus de transfert des connaissances d’une société
mère vers ses filiales, surtout lorsque les filiales
doivent développer une capacité d’absorption
qui permet à la filiale d’assimiler, de transformer
et d’exploiter les connaissances transférées. Cet
article pose la question de savoir comment les
entreprises marocaines, partenaires de firmes
multinationales, mettent en place des dispositifs de GRH pour développer une capacité
d’absorption technologique. Selon la littérature
académique l’amélioration des compétences et
de la motivation des employés stimuleraient la
capacité d’absorption. Trois hypothèses théoriques sont examinées dans ce sens. Treize entretiens semi-directifs avec des responsables filiales
opérant dans le secteur aéronautique au Maroc
montrent que la capacité d’absorption est plus
influencée par la compétence que par la motivation des employés et qu’elle est proportionnelle
avec la taille de l’entreprise ainsi qu’avec la
nature technologique de ses activités.
HRM is essential for successful transfer of knowledge from a parent company to its subsidiaries,
especially when these subsidiaries must develop
an absorptive capacity allowing the subsidiary to
assimilate, transform and exploit the transferred
knowledge. This article raises the question how
Moroccan companies, partners of multinationals,
implement HRM tools to develop a technology
absorptive capacity. According to the academic
literature, the absorption capacity is stimulated
by the development of skills and the motivation
of employees, leading to three hypotheses. Thirteen semi-structured interviews with managers of
subsidiaries operating in the aeronautical sector
in Morocco show that the absorptive capacity is
more influenced by the skills development than
by the motivation of employees, and that the
absorption capacity is proportional to the size of
the company and to the technological nature of
its activities.
MOTS-CLES: GRH, motivation, compétences,
capacité d’absorption, firmes multinationales,
Maroc
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
62
KEYWORDS: HRM, motivation, skills, absorptive
capacity, multinationals, Morocco
INTRODUCTION
La GRH est indispensable pour réussir le processus de transfert des connaissances d’une société mère vers ses filiales.
C’est notamment le cas lorsque les filiales
doivent développer en interne une capacité
d’absorption par la mise en œuvre d’un
ensemble de dispositifs organisationnels,
pour que les ressources humaines de la
filiale acquièrent, assimilent, transforment et
finalement exploitent de nouvelles connaissances qui lui sont transférées. La capacité
d’absorption est « la capacité d’une entreprise à reconnaître la valeur d’une nouvelle
information externe, l’assimiler, et l’appliquer à des fins commerciales » (Cohen et
Levinthal, 1990 : 128).
La littérature académique montre que
développer la capacité d’absorption implique deux éléments complémentaires :
les connaissances antérieures et l’intensité
de l’effort (Cohen et Levinthal, 1990 ; Kim,
1998 ; Zahra et Georges, 2002 ; Minbaeva
et alii, 2003). En conséquence, le processus
d’acquisition de cette capacité doit agir sur
deux volets, à savoir les compétences des
salariés et leur motivation.
En raison de l’orientation technologique
et les exigences en termes de qualité dans
l’ensemble de la filière, les enjeux de la
capacité d’absorption sont manifestes dans
le secteur aéronautique au Maroc. Celui-ci
connaît une dynamique remarquable (Benhar et alii, 2008 ; Tijani, 2011). Le pacte
National pour l’Emergence Industrielle, établi par le gouvernement marocain, place ce
secteur comme un des piliers du décollage
économique . Les intérêts entre l’Etat marocain et les professionnels marocains, d’une
part, et les groupes internationaux du secteur, d’autre part, sont mutuels. L’industrie
aéronautique marocaine s’oriente vers la
production, profitant de l’apport d’un savoirfaire technique dans la maintenance aéronautique, civile et militaire, en provenance
de grands groupes étrangers, ou majoritairement étrangers, qui sont quant à eux, à
la recherche de la diversification de leurs
sources d’approvisionnement, de la réduction des coûts, d’une diminution des risques
de logistique, et de l’innovation. Le pôle de
compétitivité aéronautique est composé
majoritairement par des filiales établies par
des groupes étrangères au Maroc. Ainsi, il
se pose la question du transfert des connaissances et de l’autonomie technologique des
filiales marocaines.
Cet article pose la question de recherche
suivante : comment les entreprises marocaines, en situation de partenariat avec des
firmes multinationales, mettent-elles en place
des dispositifs de GRH en vue de développer
une capacité d’absorption technologique ?
Pour apporter des réponses à cette question de recherche, nous avons suivi une
méthodologie qualitative. A travers des entretiens semi-directifs avec des responsables
de treize (13) filiales opérant dans le secteur
aéronautique au Maroc, nous examinons
trois (3) hypothèses, issues d’un modèle
théorique. Les résultats montrent que la
capacité d’absorption est plutôt influencée
par la compétence que par la motivation
des employés et qu’elle est proportionnelle
avec la taille de l’entreprise ainsi qu’avec la
nature technologique de ses activités.
C’est-à-dire que les filiales appartenant
aux grands groupes internationaux, pratiquant des activités avec une grande densité
technologique, auront plus de chances d’acquérir, d’assimiler et d’exploiter les connaissances et le savoir-faire de leurs partenaires,
que les entreprises isolées.
63
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
La capacité d’absorption et le transfert des
connaissances : rôle de la GRH dans les filiales
des FMN du secteur aéronautique au Maroc.
1.1 Transfert de connaissances
et capacité d’absorption
une filiale, notamment à l’international, cet
objectif se transforme en défis. Il s’agit de
réussir le processus de transfert de connaissances. Cependant, pour éviter une trop
grande dépendance technologique de la
maison-mère, les filiales doivent acquérir en
interne une capacité d’innovation autonome
(Stock et alii, 2001). Pour cela, elles doivent
créer des capacités dynamiques (dynamics
capabilities ; Teece et alii, 1997 ; Winter,
2002) qui permettront de développer et de
redéployer les nouvelles connaissances provenant des partenaires. Et ce par le biais des
ressources humaines (Amit et Schoemaker,
1993 ; Minbaéva et alii, 2003), car, si la
réussite du transfert des connaissances est
une responsabilité partagée entre la maisonmère et la filiale, l’utilisation de ces connaissances dans son propre processus de production est la tâche de l’entreprise réceptrice
de connaissances, en l’occurrence la filiale.
Ceci revient à se doter de capacités internes,
considérées comme la meilleure façon d’absorber les connaissances externes. Cette
aptitude de l’entreprise est désignée par le
terme « capacité d’absorption » (Cohen et
Levinthal, 1990). Ainsi, selon cette conception, les capacités internes et la collaboration externe sont perçues comme étant
complémentaires (Vinding, 2000 : 3). Au
niveau organisationnel le concept de la capacité d’absorption est relativement simple
à définir, « c’est la capacité d’une entreprise
à intégrer et appliquer des connaissances
extérieures dans l’objectif de l’innovation »
(Schmidt, 2005 : 4). Daghfous (2004) prévient que le manque de capacité d’absorption peut priver les entreprises d’avantages
concurrentiels.
L’apprentissage organisationnel est un des
objectifs majeurs qui incite les firmes à entrer dans des alliances stratégiques (Kogut,
1988 ; Inkpen, 1998). Or, dans une relation de partenariat entre une maison-mère et
Néanmoins, le transfert des connaissances
entre les partenaires peut parfois se révéler
difficile (Szulanski, 1996), notamment lorsque
ces connaissances sont tacites et enracinées
dans les routines et le processus de l’entre-
Cet article est structuré en trois parties. La
première partie présente une courte revue
de littérature montrant comment la GRH
contribue à l’acquisition d’une capacité
d’absorption. La deuxième partie développe
notre méthodologie de recherche. Enfin, la
dernière partie est consacrée aux résultats,
qui seront discutés, avant de terminer par
une conclusion générale.
1. Revue de littérature
Dans cette revue de littérature, nous aborderons en premier lieu, le lien entre transfert
de connaissances et capacité d’absorption
(1.1). Ensuite, nous développerons le concept
de la capacité d’absorption, ses composants
et ses déterminants (1.2.). Enfin, nous expliquerons comment la GRH peut contribuer à
améliorer la capacité d’absorption (1.3).
(1) Les détails de ce plan sont disponibles sur le site web : http://www.emergence.gov.ma/
(2) Les pôles de compétitivité sont aussi reconnus par les termes : pôles de compétence, pôle d’attraction, système productif localisé ou encore clusters. Ce dernier concept est toutefois plus
connu, grâce aux travaux de M. Porter (1998 ; 2000) est défini comme « un groupe de compagnies et d’institutions géographiquement proches et associées dans un domaine particulier, lié
par des activités communes et complémentaires » (Porter, 2000, p.16).
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
64
La capacité d’absorption et le transfert des
connaissances : rôle de la GRH dans les filiales
des FMN du secteur aéronautique au Maroc.
prise émettrice. Le concept de la capacité
d’absorption s’appuie sur la distinction entre
les connaissances codifiées et les connaissances tacites. Ces dernières nécessitent pour
leur transfert un travail particulier et pertinent
entre les deux partenaires (Lane et Lubatkin,
1991), basé sur l’apprentissage par l’action,
par l’usage et par l’interaction : « learning by
doing, learning by using, learning by interacting » (Bellon et alii, 2000 : 28).
Les déterminants de la capacité d’absorption diffèrent significativement selon le type
de connaissances à absorber (Schmidt,
2005). Par ailleurs, l’entreprise réceptrice
ne doit pas se contenter de recevoir des
connaissances, mais aussi de savoir les gérer et les manager afin de les transformer
en savoir-faire interne. C’est là où réside la
véritable tâche des gestionnaires, en l’occurrence, les responsables RH. En effet, dans
le but d’assimiler et d’utiliser ces connaissances de manière efficace, des recherches
académiques montrent que l’augmentation
des capacités internes de l’entreprise est un
moyen d’absorber des connaissances de
l’extérieur (Vinding, 2000). Le transfert des
connaissances est donc une fonction de
la capacité d’absorption (Kim, 1998 : 3).
Celle-ci est donc centrale dans tous processus de transfert de connaissances entre les
firmes étrangères et leurs filiales dans le secteur aéronautique au Maroc.
1.2. Composants et déterminants
de la capacité d’absorption
Le terme « capacité d’absorption » est
défini par plusieurs auteurs . Néanmoins,
toutes ces définitions cadrent dans celle
proposée par les pionniers, à savoir Cohen
et Levinthal (1989 ; 1990). Cependant, une
des rares définitions innovantes est vraisemblablement celle de Zahra et George
(2002 : 186) qui la définissent comme « un
ensemble de routines et processus organisationnels par lesquels l’entreprise acquiert,
assimile, transforme et exploite les connaissances pour produire une capacité organisationnelle dynamique ».
Cette définition est plus complète et
conçoit la capacité d’absorption comme
un ensemble de composants, exprimant des
étapes opérationnelles complémentaires,
qui attribuent à l’entreprise une capacité
d’absorption dans le cadre d’une capacité dynamique cohérente. Ces composants
(l’acquisition, l’assimilation, la transformation et l’exploitation) sont complémentaires
et expliquent comment la capacité d’absorption influence les performances organisationnelles. Les deux premières composantes
reflètent une « capacité d’absorption potentielle », car ils permettent de reconnaître
et d’assimiler les nouvelles connaissances
externes sans pourtant garantir leur exploitation. Tandis que les deux dernières composantes indiquent une « capacité d’absorption
réalisée », car elles reflètent la capacité de
l’entreprise à tirer parti des connaissances
absorbées. Elles constituent donc l’expression de la vraie valeur ajoutée de la capacité d’absorption (Zahra et George, 2000 ;
2002). Par conséquent, on parle de capacité d’absorption quand la filiale dépasse la
simple imitation statique du savoir du partenaire vers un apprentissage concrétisé par
l’innovation et la créativité.
Une telle vision de la capacité d’absorption, potentielle et réalisée, contribue à la
réflexion aux conditions nécessaires en vue
de la détention de cette capacité. Ainsi, en
vue de reconnaître et assimiler de nouvelles
connaissances (capacité d’absorption potentielle), la société « réceptrice » doit posséder des connaissances antérieures (firm’s related prior knowledge ; Cohen et Levinthal,
(3) Outre la définition de Cohen et Levinthal (1990) et Daghfous (2004) citées plus haut, c’est le cas de Vinding (2001) ; Minbaeva et alii (2003).
65
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
La capacité d’absorption et le transfert des
connaissances : rôle de la GRH dans les filiales
des FMN du secteur aéronautique au Maroc.
1990 ; Kim, 1998 ; Minbaeva et alii, 2003),
c’est-à-dire le stock de connaissances préalablement en possession de la filiale ; car,
les nouvelles informations en provenance du
partenaire ne doivent pas être totalement
originales, ou en totale discontinuité avec les
connaissances antérieures dans la filiale. Un
certain lien avec le savoir-faire actuel doit
être respecté. Ceci est dû au fait que l’apprentissage est cumulatif, et la performance
de la connaissance est plus grande quand
l’objet de l’apprentissage est en relation
avec ce qui est appris avant.
Dans la même mesure, en vue de transformer et exploiter les connaissances (capacité d’absorption réalisée), il est insuffisant
d’exposer simplement des individus à des
connaissances, la filiale doit procéder à
l’intensification des efforts. Elle se réfère à la quantité d’énergie physique, intellectuelle et émotionnelle dépensée par les
membres de l’organisation pour résoudre
les problèmes et intérioriser les connaissances auxquelles ils sont exposés (Kim,
1998 ; Ernst et Kim, 2002). Cette deuxième
condition implique l’engagement collectif,
l’intensification des essais d’entraînement
dans la résolution de problèmes ainsi que la
conversion des connaissances et leur utilisation dans le cadre d’un apprentissage par
action. Ernst et Kim (2002 : 15) affirment
que l’intensité de l’effort est même plus
importante que la base des connaissances
antérieures et détermine le niveau de la capacité d’absorption globale.
Dans ce sens, l’intensité de l’effort fait
référence à l’importance de la gestion des
ressources humaines. Cette fonction est mise
en avant pour appuyer, développer et retenir
des ressources humaines hautement qualifiées, pour développer leur base de connaissances, et pour internaliser les nouvelles
connaissances (Ernst et Kim, 2002). La motivation des employés est par conséquent une
condition obligatoire dans le déploiement
des compétences et pour la concrétisation
de leurs capacités. Minbaeva et alii (2003
: 589) affirment que « même si l’entreprise
est composée de personnes ayant une
grande capacité d’apprendre, l’utilisation
des connaissances absorbées sera faible si
leur motivation est faible ou absente ». En
résumé, la capacité et la motivation sont
dissociables. Ces deux aspects représentent
en fait les deux revers de la médaille de la
capacité d’absorption (tableau 1).
Tableau 1 : les éléments de la capacité d’absorption selon différents auteurs
La capacité
d’absorption
=
Cohen et
Levinthal
(1990)
Acquisition et assimilation des connaissances
(Compétence)
Connaissances
antérieures
+
Transformation et exploitation des connaissances
(Motivation
+
Intensité de
l’effort
Zahra et
George
(2002)
Capacité
d’absorption
potentielle
+
Capacité
d’absorption
réalisée
Minbaeva et
alli (2003)
Compétence
des employés
+
Motivation à
apprendre
Kim (1995, 2001)
Capacité d’assimiler des
connaissances existantes
(imitation)
+
Capacité de résolution de
problèmes et création de
nouvelles connaissances
(innovation)
donne alors immédiatement le droit aux créanciers de rompre le contrat à leur avantage. Sous l’angle de la valeur de l’entreprise, une situation d’insolvabilité est manifeste quand la valeur actuelle
nette des cash-flows attendus est inférieure à la valeur totale des dettes, échues ou non.
Le « défaut » constitue l’incapacité d‘une entreprise à satisfaire une échéance de dette (principal et/ou intérêts) ou le viol d’une clause du contrat de financement (autres que celles portant sur le
montant).
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
66
La capacité d’absorption et le transfert des
connaissances : rôle de la GRH dans les filiales
des FMN du secteur aéronautique au Maroc.
1.3. Rôle de la GRH dans le
développement de la capacité
d’absorption
1.3.1 Modélisation de la capacité
d’absorption
La GRH est un moyen privilégié pour développer la capacité d’apprentissage (Kamoche,
1997 ; Kamoche et Mueller, 1998 ; Eneroth et
Larsson, 1996 ; Lado et Wilson, 1994). Argyris
(2003) atteste « qu’une entreprise ne peut devenir apprenante que si elle parvient à diffuser
une philosophie centrée sur les acteurs (people
first) ». Toutefois, le rôle de la GRH dans l’appropriation des connaissances et l’acquisition
d’une capacité d’absorption a besoin d’être
établi plus explicitement (Kamoche et Muller,
1998). Car « notre connaissance de la façon
dont la GRH influe sur la capacité d’absorption et le transfert des connaissances reste
encore très rudimentaire » (Minbaeva, 2003
: 587), en dépit de l’existence des études,
telles que celle de Schuler et Jackson (1987)
démontrant que certains comportements particuliers du personnel contribuent à la mise en
œuvre des objectifs stratégiques. Ils peuvent,
en effet, être sollicités dans le cadre de l’alignement des pratiques de la GRH, et leur harmonisation au contexte stratégique de la firme
(Guérin et Wils, 1990).
Au vu des éléments de la capacité d’absorption (tableau 1), le rôle de la GRH se
trouve surtout dans la deuxième composante
du tableau 1 (ligne 3). Par le moyen de ses
fonctions de motivation des employés à apprendre, d’évaluation des efforts individuels
d’apprentissage, de système de récompense,
etc., la GRH est une partie prenante dans
la réalisation de l’objectif de l’apprentissage. Ainsi, Minbaeva (2005) affirme que «
l’emploi extensif et approfondi des pratiques
de GRH, en particulier celles qui touchent
l’amélioration de la compétence et la motivation chez les receveurs des connaissances,
favorise l’environnement de l’apprentissage,
et améliore le transfert de connaissances au
sein des entreprises ».
Notre conception du rôle de la GRH dans la
dotation des filiales marocaines d’une capacité d’absorption va reposer essentiellement
sur le modèle de la capacité d’absorption
conçue par Minbaeva et alii (2003 ; figure
1). Ce modèle évoque les mécanismes organisationnels et les pratiques managériales
relevant de la GRH qui stimulent la capacité
d’absorption de la filiale (Inkpen et Crossan,
1995). A notre connaissance, la littérature
académique ne fournit pas d’autre cadrage
théorique aussi pertinent. En plus, les éléments constitutifs du modèle sont observables
et mesurables dans les filiales marocaines.
Figure 1 : modèle de la capacité d’absorption selon Minbaeva et alii (2003 ; P. 591)
Formation
Evaluation de la
performance/compétence
Compétence
des employés
H1
Capacité
d’absorption
Rémunération basée sur
la performance
H3
Motivation des
employés
Promotion basée sur le
mérite
Communication interne
H2
Influence
67
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
La capacité d’absorption et le transfert des
connaissances : rôle de la GRH dans les filiales
des FMN du secteur aéronautique au Maroc.
1.3.2. Les mécanismes fonctionnels orientés vers la compétence
des employés
Selon notre modèle de recherche, deux
mécanismes influencent la compétence des
employés, à savoir, la formation et l’évaluation de la performance/compétence. Le fait
d’associer l’évaluation de la performance à
la formation pour constituer la compétence
renvoie à une approche pragmatique du
concept de la compétence. La compétence
n’est pas liée uniquement aux connaissances
(savoir), elle additionne à cet élément les
pratiques (savoir-faire) et les attitudes (savoirêtre) (Durand, 2000). Dans le même ordre
d’idées, Pemartin (2005) atteste que la compétence n’a de valeur opérationnelle que
dans la mesure où elle est au service des
objectifs de l’entreprise. On retrouve ici l’approche dynamique de la compétence individuelle et organisationnelle, qui doit s’aligner
aux enjeux stratégiques de l’organisation.
Hypothèse 1 : En contexte marocain, la formation et l’évaluation de
la performance et des compétences
sont positivement liées aux compétences des employés.
1.3.3. Les mécanismes fonctionnels orientés vers la motivation des
employés
Trois outils de GRH sont susceptibles
d’orienter la motivation des employés vers
l’objectif de l’acquisition du savoir-faire, à
savoir la rémunération basée sur la performance, la promotion basée sur le mérite et
la communication interne. La rémunération
peut influencer directement le comportement des employés vers un objectif organisationnel, en l’occurrence, l’acquisition
des connaissances (Emery et Gonin, 2009).
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
68
Selon la théorie Y de Mc Gregor, l’engagement des employés vis-à-vis des objectifs de
l’organisation est fonction des récompenses
associées à leur réalisation. La rémunération
doit, en effet, être un signe de reconnaissance dans le cadre d’une approche contribution/rétribution (Peretti, 2010).
Hypothèse 2a : En contexte marocain, la rémunération basée sur la
performance est positivement liée
à la motivation des employés.
Par ailleurs, l’alignement stratégique de la
politique de promotion interne suppose que
celle-ci soit organisée et planifiée dans le
cadre d’une gestion de carrière, et non pas «
au coup par coup » (Peretti, 2010). Cependant, l’élément capital concernant l’attribution d’une promotion doit être le mérite, qui
se mesure selon des critères implicites (la
confiance en soi, la volonté d’assumer la
responsabilité, l’implication,...) et explicites
(le rendement, l’assiduité, le relationnel,…).
La filiale doit être capable de classer son
personnel dans des catégories de mérite de
promotion. Par ailleurs, les entretiens d’évaluation ne doivent pas être la source unique
d’informations concernant le degré de mérite. L’observation permanente et les contacts
personnels sont des sources indispensables
complémentaires à l’évaluation des salariés
destinés à la promotion.
Hypothèse 2b : En contexte marocain, la promotion basée sur le mérite est positivement liée à la motivation des employés.
Finalement, la filiale doit favoriser la communication interne dans tous ses aspects :
communication formelle/informelle, ascendante/descendante, horizontale/verticale.
En outre, elle doit faire part à son personnel de sa stratégie et de ses objectifs, afin
La capacité d’absorption et le transfert des
connaissances : rôle de la GRH dans les filiales
des FMN du secteur aéronautique au Maroc.
d’obtenir, par la suite, son implication. Par
ailleurs, la société doit enlever les barrières
qui empêchent la communication, que ce
soit des barrières organisationnelles liées
aux considérations hiérarchiques et à la
bureaucratie, ou des barrières comportementales et attitudinales comme la rétention
d’informations, la méfiance et l’opacité des
émetteurs de connaissances (ingénieurs,
cadres, middle management). Les barrières
à la communication peuvent être amoindries
grâce à des moyens tels que la constitution
des réseaux d’équipes, le travail en projet,
l’évaluation collective, la résolution des
conflits, etc. Dans la même mesure, la société ne doit pas négliger le rôle des nouvelles
technologies de l’information et de communication (NTIC), d’une valeur inestimable
actuellement. La société peut en faire sa part
en développant des forums de discussion sur
internet, l’intranet, Facebook, etc.
qu’elle a accompli les étapes du processus
de la capacité d’absorption. Pour estimer le
niveau de la capacité d’absorption au sein
de la filiale, notre attention se dirigera, par
conséquent, à la mesure dans laquelle la
filiale utilise les nouvelles connaissances de
son partenaire. Cette proposition inspirée de
l’article de Dutta et alii (2005) reflète une
vision pragmatique du concept de la capacité d’absorption, et constitue un apport aux
tentatives actuelles de proposer une mesure
opérationnelle de la capacité d’absorption
(Chauvet, 2003 ; Dali, 2008).
Hypothèse 3 : En contexte marocain,
les bonnes pratiques de GRH liées
aux compétences et à la motivation
des employés sont positivement
liées à la capacité d’absorption
Hypothèse 2c : En contexte marocain, la communication interne est
positivement liée à la motivation
des employés.
1.3.4. L’influence de la compétence et la motivation sur la capacité d’absorption
Nous venons de voir que deux facteurs
sont déterminants quant au processus
d’acquisition d’une capacité d’absorption,
à savoir, la compétence et la motivation ;
ceci est induit du fait que la capacité d’absorption est divisée en capacité d’absorption potentielle (acquisition + assimilation)
et réalisée (transformation + exploitation).
Or, le terme « capacité » est étroitement lié
à l’efficacité de l’usage final des nouvelles
connaissances. En effet, dans la mesure où
la filiale utilise et exploite des connaissances
externes déjà acquises nous pouvons induire
2. Méthodologie
qualitative
Certains champs disciplinaires du management, tels que la stratégie d’entreprise et
la GRH, étudient des phénomènes dont la
régularité des comportements ne permet pas
d’établir des lois où des théories générales.
Ce sont plutôt des construits sociaux ou des
69
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
La capacité d’absorption et le transfert des
connaissances : rôle de la GRH dans les filiales
des FMN du secteur aéronautique au Maroc.
solutions autonomes et artificielles (Crozier
et Freidberg, 1997 : 15 ; 97 ; Usunier et alii
: 33- 34).
Le paradigme positiviste peut être mal placé pour traiter des sujets relevant du champ
social. Par ailleurs, la question du transfert
des connaissances dans le contexte des alliances stratégiques au Maroc reste, jusqu’à
l’instant, un terrain de recherche inexploré. Il
y a par conséquent beaucoup à apprendre
dans ce domaine. Dès lors, le recours à une
méthodologie qualitative peut s’avérer fortement productif (Jaussaud, 2003 ; Jaussaud
et Schaaper, 2006). C’est pourquoi nos trois
hypothèses seront testées sur la base d’entretiens en face à face avec des directeurs ou
des directeurs des ressources humaines des
filiales marocaines appartenant à des sociétés françaises (tableau 2).
Plus précisément, nous avons mené des
entretiens en profondeur, de type semi - directif, durant lequel les interviewés s’expriment librement, mais sur des questionnements précis, généralement des questions
ouvertes (Wacheux, 1996). Les entretiens
semi-directifs sont un moyen efficace d’accès à la réalité, particulièrement dans le
domaine des sciences sociales. Par ailleurs,
Jaussaud (2003) atteste que les entretiens
semi-directifs sont efficaces quand l’acteur
est suffisamment familiarisé avec le langage
et la culture du pays.
Les entretiens révèlent les pratiques de
GRH en rapport avec le transfert de connaissances au sein des filiales des sociétés françaises de l’industrie aéronautique au Maroc
et permettent de confronter les hypothèses
préétablies à la réalité du terrain. Les entretiens se sont déroulés selon un guide d’entretien, qui reprend les hypothèses sous forme
de questions. Chaque hypothèse est testée
à travers des variables. Par exemple, pour
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
70
l’hypothèse 1, nous essayons de mesurer,
pour chacun des cas étudiés, l’importance
des pratiques de formation et d’évaluation,
d’un côté, et le niveau des compétences,
d’autre côté.
L’analyse a été faite en deux temps.
D’abord, nous avons procédé à une analyse thématique cas par cas. Il s’agit de «
procéder systématiquement au repérage,
au regroupement et, subsidiairement, à
l’examen discursif des thèmes abordés dans
chaque cas » (Paillé et Mucchielli, 2008 :
162). Nous avons donc réalisé cette analyse en restant lié aux concepts théoriques
qui ont constitué les hypothèses (Yin, 2003
: 111-112), c’est-à-dire une analyse thème
par thème et sous-thème par sous-thème,
et ce, pour chaque société étudiée. L’étape
suivante était l’analyse transversale qui nous
a permis une comparabilité inter-site afin de
révéler des contrastes et similitudes vis-àvis des thèmes étudiés (Miles et Huberman,
2003). Cette seconde étape nous permettra
d’apporter des réponses à la question de
recherche principale et de tenter d’expliquer
l’éventuelle diversité de situations. « Dans ce
cas, il ne s’agit plus seulement de repérer
des thèmes, mais également de vérifier s’ils
se répètent d’un cas à l’autre cas » (Paillé et
Mucchielli, Op. Cit.).
La capacité d’absorption et le transfert des
connaissances : rôle de la GRH dans les filiales
des FMN du secteur aéronautique au Maroc.
Tableau 2 : échantillon - liste des sociétés étudiées
Entreprise
CA
en
M€
Structure
du capital
Activité dans l’aéronautique
Personne
interrogée
Alpha
>
300
21
100% étranger
Fabrication et assemblage d'éléments aéronautiques : aérostructures
métalliques et composites, aménagements intérieurs, maintenance,
engineering, support clients.
DRH
Safsel
Maroc
400
85
100% étranger
Assemblage de composants de nacelles et fabrication de pièces en
composites.
DRH
SSM
130
4
100% étranger
Développement et maintenance opérationnelle de logiciels de technologies de l'information. Développement des systèmes d'’identification et d'authentification biométrique.
Directeur de
site
SES
400
50
100% étranger
Bureau d'études en aéronautique, calcul et conception mécanique.
DRH
Daléo
400
20
100% étranger
Fabrication de sous-ensembles aéronautiques : conduits de conditionnement d'air, carénages, sous-ensembles structuraux.
Directeur de
site
Socaero
72
1,2
100% étranger
Assemblage d'aérostructures métalliques.
Directeur de
site
Smiling
360
4
100% étranger
Assemblage des connecteurs pour applications aérospatiales, industrielles et militaires.
Directeur de
site
Sermp
102
6
100% étranger
Réalisation de pièces et ensembles mécaniques pour l’aéronautique.
DRH
Segaplast
67
3
100% étranger
Transformation de matières plastiques, tampographie, soudure.
Automobile. Electricité. Equipement pneumatique et hydraulique.
Aéronautique.
DRH
AML Microtech-nique
Maroc
25
0,8
100% étranger
Sous-traitance mécanique, métallurgique, électronique, défense,
espace, télécommunications. Conception et réalisation de composants pour les hyperfréquences. Etude et réalisation de boîtiers et
échangeurs thermiques, des composants électroniques.
Directeur de
site
Excelsa
60
4
100% marocain
Fabrication de produits en composite.
Directeur de
site + DRH
Adetel
Maroc
40
0,7
75% français,
25% marocain
R&D, conception logiciel, conseil électronique, fabrication de carte
électronique et câblage.
DRH
Belectronique
300
2,6
75% marocain, 25%
français
Sous-traitance pour le câblage des cartes électroniques à forte densité technologique, le câblage filaire et l’assemblage des ensembles
ou sous-ensembles électromécanique pour l’aéronautique.
DRH
Comme précisé plus haut, toutes les sociétés à capital 100% étranger appartiennent à des partenaires français.
71
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
La capacité d’absorption et le transfert des
connaissances : rôle de la GRH dans les filiales
des FMN du secteur aéronautique au Maroc.
3. Résultats
Les résultats de cette étude sont résumés dans le tableau 3.
Tableau 3 : validation des hypothèses
Hypothèse
Résultat
Remarques
Hypothèse 1 : En contexte marocain, la formation et l’évaluation
de la performance et des compétences sont positivement liées aux
compétences des employés.
Validée
– La formation est une condition nécessaire pour la compétence, car il n’y a pas de
développement des compétences sans formation. En revanche, elle n’est pas suffisante
; il peut y avoir une bonne formation sans qu’il y ait développement de compétences.
– La formation influence la compétence plus que l’évaluation.
Hypothèse 2a : En contexte marocain, la rémunération basée sur la
performance est positivement liée
à la motivation des employés.
Validée
– La motivation est influencée en premier lieu par la communication interne ;
ensuite par la rémunération basée sur la performance tandis que la promotion
interne n’a qu’une influence minime sur la motivation.
Hypothèse 2b : En contexte
marocain, la promotion basée sur
le mérite est positivement liée à la
motivation des employés.
Non Validée
– Des sociétés appartenant à des groupes internationaux de renommée sont caractérisées par un faible état de motivation des employés marocains. En revanche, des
sociétés en partenariat avec des groupes moins connus arrivent mieux à mobiliser leurs
salariés.
Hypothèse 2c : En contexte marocain, la communication interne est
positivement liée à la motivation
des employés.
Validée
– L’état de motivation dépend de plusieurs facteurs : facteurs personnels (concernant
le salarié seul et/ou son groupe), facteurs organisationnels (culture de l’entreprise,
activités, leadership, …) et extra organisationnels (SMIC, marché de travail, conditions
politico- économiques…).
Hypothèse 3 : En contexte
marocain, les bonnes pratiques de
GRH liées aux compétences et à
la motivation des employés sont
positivement liées à la capacité
d’absorption.
Validée Partiellement
– La capacité d’absorption est plus influencée par la compétence que par la motivation
des employés.
– La capacité d’absorption est proportionnelle avec la nature technologique des
activités de l’entreprise. Les sociétés dont les activités sont d’une grande contenance
technologique ont réussi à assimiler et exploiter les connaissances en provenance de
leurs partenaires étrangers.
– La capacité d’absorption est proportionnelle avec la taille de l’entreprise. La plupart
des sociétés appartenant aux grands groupes internationaux ont développé une capacité d’absorption.
– Les filiales marocaines qui ont su développer une capacité d’absorption demeurent
liées à leurs partenaires étrangers par des relations d’échanges d’information et de
conseils dans les domaines techniques et managériaux.
Figure 2 : le modèle de Minbaeva (2003) testé dans les filiales marocaines
Formation
++
Evaluation de la
performance/compétence
+
Rémunération basée sur
la performance
+
Promotion basée sur le
mérite
0
Communication interne
++
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Compétence
des employés
++
H1
Capacité
d’absorption
H3
72
Motivation des
employés
H2
+
Influence
La capacité d’absorption et le transfert des
connaissances : rôle de la GRH dans les filiales
des FMN du secteur aéronautique au Maroc.
4. Discussion des
résultats
Les résultats qui sont apparus au cours de
nos analyses permettent de valider l’hypothèse 1 et de valider partiellement les hypothèses 2 et 3. Ainsi, concernant la première
hypothèse, qui stipule qu’« en contexte
marocain, la formation et l’évaluation de
la performance/compétence sont positivement liées aux compétences des employés
», nous avons pu constater que la formation
est une condition nécessaire pour le développement de la compétence des employés
mais pas suffisante en soi. L’évaluation,
quoi que moins développée au Maroc,
reste une pratique essentielle pour stimuler le développement des compétences.
Elle porte, chez la plupart des sociétés, sur
le rendement et la performance des salariés, mais également sur leur savoir-être
(attitudes sur les lieux de travail, sociabilité,
communicabilité, transparence, etc.). Par
ailleurs, nous avons constaté que l’intensité technologique et la nature productrice
et transformatrice des activités constituent
des facteurs déterminants dans le niveau
des compétences des salariés des filiales de
notre échantillon.
Concernant la deuxième hypothèse, qui
stipule qu’« en contexte marocain, la rémunération basée sur la performance, la
promotion basée sur le mérite, et la communication interne sont relativement liées
à la motivation des employés », les résultats montrent que la motivation ne dépend
pas des trois variables réunies mais plutôt
de la communication interne, moins de la
rémunération basée sur la performance,
alors que la promotion interne n’influence
pas le degré de motivation. Ces résultats soulignent le rôle déterminant de la
culture d’entreprise, basée sur le partage
d’information, la délégation de pouvoir
et le management de proximité, sur l’état
de motivation des salariés. Nous avons pu
constater que certaines sociétés ont trouvé
des moyens innovants pour communiquer
avec leurs salariés. Cependant, le niveau
de salaire garde un effet sur le tempérament motivationnel des salariés marocains.
Enfin, l’examen de la troisième hypothèse, qui avance qu’« en contexte marocain, les bonnes pratiques de GRH liées
aux compétences et à la motivation des
employés sont positivement liées à la capacité d’absorption », permet de constater
que la capacité d’absorption est davantage
influencée par la compétence que par la
motivation des employés.
En plus elle est proportionnelle avec la
taille des entreprises et la nature technologique de celle-ci. C’est-à-dire que les
filiales des grands groupes internationaux,
qui pratiquent des activités avec une densité technologique élevée, auront plus de
chances d’acquérir, d’assimiler et d’exploiter les connaissances et le savoir-faire de
leurs partenaires que les filiales de petits
groupes à production moins technologique. Ceci s’explique par l’importance des
moyens déployés par les grands groupes
Le régime de production linéaire est le stade où les taux de productivité et les quantités de production commencent à se stabiliser après une durée d’accroissement continue.
73
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
La capacité d’absorption et le transfert des
connaissances : rôle de la GRH dans les filiales
des FMN du secteur aéronautique au Maroc.
pour réaliser le transfert de savoir-faire en
peu de temps, dans l’objectif de réduire
rapidement les coûts.
D’autres observations découlent de cette
recherche. Nous avons remarqué que les
maisons mères sont hâtives quant à la
volonté de transférer des connaissances
et procédures et ne prennent pas souvent
le temps d’accompagner progressivement
la filiale.
Soucieuse de vouloir gagner du temps
dans ce processus de transfert, et d’économiser les coûts du contrôle des filiales,
les sociétés mères envoient souvent des
ingénieurs et des techniciens, mais rarement des cadres managériaux et des formateurs pédagogiques. Dans la même
mesure, la durée de temps donnée à la
filiale pour arriver à un régime de production linéaire est généralement courte. Il en
résulte que le nouveau savoir-faire détenu
par la filiale est prématuré. De ce fait, la
filiale restera durablement dépendante de
son allié étranger.
Une cadence élevée et peu accompagnée du transfert des connaissances dans
les sociétés de l’aéronautique au Maroc
conduit à une précipitation dans les carrières des collaborateurs de ce secteur.
Face au manque de compétences, les
cadres se retrouvent dans des postes hiérarchiques sans en avoir répondu pleinement
aux exigences, en termes de compétences
et d’expérience. Le décalage est remarquable entre la durée requise pour arriver
au même poste de responsabilité dans leurs
sociétés entre des cadres français et marocains, ayant les mêmes qualifications ; les
premiers prennent largement le temps et
accèdent à la hiérarchie lorsqu’ils ont accumulé un réel capital humain.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
74
Finalement, cette étude empirique révèle
que le défi de l’acquisition de la capacité
d’absorption pour les firmes marocaines
est crucial, plus qu’il ne l’est décrit dans la
littérature. Ainsi, outre l’intérêt de la capacité d’absorption pour l’innovation et le
développement organisationnel des firmes,
il constitue un challenge afin de pouvoir
retenir le personnel et diminuer le taux du
turnover.
La répétitivité des tâches ou le manque
d’opportunités d’apprentissage et de progrès cognitif peuvent être des sources de
départ des salariés, notamment les ingénieurs et les cadres managériaux, cherchant à satisfaire le besoin de réalisation de
soi et le développement de leurs carrières.
Les sociétés doivent trouver des débouchés à ces aspirations professionnelles en
acquérant une capacité d’absorption qui
à son tour permettra aux sociétés d’être
des entités dynamiques en apprentissage
continu. Sans cette capacité les directeurs
des sociétés industrielles au Maroc auront
toujours des démissions des jeunes cadres
talentueux sur leurs bureaux.
Conclusion
Par cette recherche nous pensons avoir
aidé à mieux comprendre le concept de la
capacité d’absorption en tant qu’atout organisationnel, permettant aux filiales marocaines du secteur aéronautique de devenir
innovantes et autonomes vis-à-vis de leurs
maisons mères. Aussi, nous avons identifié
dans la littérature académique des politiques
GRH qui stimuleraient la capacité d’absorption, à savoir l’amélioration des compétences des employés et leur motivation.
Aussi, la littérature souligne que la capacité
d’absorption nécessite des connaissances
antérieures et une intensité de l’effort.
La capacité d’absorption et le transfert des
connaissances : rôle de la GRH dans les filiales
des FMN du secteur aéronautique au Maroc.
Nous nous sommes posé la question de savoir comment les pratiques GRH contribuent
à l’acquisition d’une capacité d’absorption
en nous fondant sur un échantillon de treize
filiales du secteur aéronautique au Maroc.
Nous avons constaté que les pratiques GRH
destinées à développer la compétence des
salariés, dont en particulier la formation, influencent la capacité des filiales marocaines
à acquérir et appliquer les connaissances
externes plus que les pratiques centrées
sur la motivation. Concernant ce deuxième
volet, la communication interne influence
la motivation en premier lieu, suivie de la
rémunération basée sur la performance.
Ce travail de recherche présente des limites. Malgré le fait que nous avons fourni
un cadrage théorique sur la capacité d’absorption, en rapport avec la GRH, nous
avons emprunté un modèle de la littérature
académique. Nous aurions pu dégager des
hypothèses nouvelles issues de cet état de
l’art. Aussi, nous avons ignoré peut-être les
réalités de la GRH dans les sociétés marocaines en utilisant, peut-être abusivement,
un modèle issu de recherches sur des pays
développés. Ce modèle lui-même montre
la faiblesse de ne pas prendre en considération des leviers de capacité d’absorption
qui puissent avoir un même niveau d’importance que la compétence et la motivation, par exemple la culture et la structure
d’entreprise (voir Fombrun et alii, 1984 et
Durand, 2000).
Au niveau de la recherche empirique,
l’échantillon est spécifique, limité au secteur de l’aéronautique. Par conséquent, tout
effort de généralisation doit se faire avec
prudence. Le modèle de la capacité d’absorption que nous proposerons dans nos
prochaines recherches tiendra en compte
ces limites.
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77
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires
privés de l’emploi au Maroc
Camal Gallouj
Université de Paris 13
Sorbonne Paris cité
Hadj Nekka
LUNAM Université
Université d’Angers (GRANEM)
Kaabachi Souheila
EBS Paris
Boualem Aliouat
Université de Nice
CNRS GREDEG- UMR 7321
RESUME
ABSTRACT
Cette contribution s’intéresse à un type d’acteur
important mais négligé dans la littérature, celui
des prestataires privés de l’emploi (PPE). Plus
encore, leur développement semble largement
contraint. En effet, si dans les pays européens et
en particulier en France, les PPE ont connu dès
les années 80 un développement remarquable,
dans les pays du Maghreb, et en particulier au
Maroc, ce n’est que depuis les années 2000
que l’on observe un réel développement de ces
acteurs spécifiques. Cet article propose des éléments de cadrage des PPE en les resituant dans
une perspective historique et précise les enjeux
d’un marché local des PPE. Il insiste en particulier sur le rôle de ces derniers dans la diffusion
d’outils RH. Nos propos rejoignent, d’une part,
la thèse de la convergence en abordant en quoi
ces outils RH favorisent la « mise à niveau de
l’économie nationale » marocaine. Et, d’autre
part, la thèse de la divergence en cherchant à
comprendre les raisons du faible développement
des PPE au Maroc. Ainsi, ce travail se focalise
sur l’environnement des entreprises pour contribuer à la problématique de la convergence et de
la divergence des pratiques RH.
This paper focuses on one important type of
actor, yet neglected in the literature, the private
providers of employment (PPE). Moreover, its
development seems largely constrained. Indeed,
while in European countries and in particular in
France, PPE have known a remarkable development since the 80s, in the Maghreb, especially
in Morocco, it is only since the 2000s that there
is a real development of its specific actors. This
paper proposes framing elements of PPE by
placing them back in a historical perspective and
outlines the challenges of a PPE local market. It
particularly emphasizes the role of the latter in
the dissemination of HR tools. Our comments
concur, on the one hand, on the convergence
thesis by addressing how these tools promote
«upgrade of the national economy» of Morocco.
And, on the other hand, on the divergence thesis
by seeking to understand the reasons for the slow
development of PPE in Morocco. Thus, this work
focuses on the business environment to contribute to the issue of convergence and divergence
of HR practices.
MOTS-CLES: Prestataires privés de l’emploi,
Convergence des pratiques RH, Mise à niveau,
Entreprises marocaines
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
78
KEYWORDS: Private providers of employment,
Convergence of HR practices, Upgrade, Moroccan Enterprises
INTRODUCTION
Les services rendus aux entreprises (SRE)
constituent, depuis plus d’une trentaine d’années, un des secteurs les plus dynamiques
des économies occidentales. Pour rationaliser leur gestion et se recentrer sur leur cœur
de métier, les entreprises externalisent en effet certaines tâches peu spécialisées d’aide
à la production qu’il s’agisse d’activités de
prestations annexes comme celles du transport de fonds, de la surveillance-sécurité, ou
du nettoyage, ou encore d’activités de soustraitance comme l’audit, la communication,
la logistique, le conditionnement ou le routage par exemple. Plus personne ne peut
aujourd’hui sérieusement contester le rôle
central que jouent ces services dans l’innovation et la modernisation des firmes en
général, dans l’anticipation et l’adaptation
au changement. Plus précisément, disposer
d’un tissu dense et diversifié de SRE contribue clairement aux enjeux de compétitivité,
de modernisation et de rattrapage pour les
économies du Sud et en particulier pour les
pays du Maghreb.
Depuis quelques années, on a donc pu
observer un intérêt croissant des chercheurs
pour ces activités de service dans les économies du Maghreb et en particulier dans
l’économie marocaine. Pourtant, on peut
paradoxalement constater qu’au sein des
SRE, les PPE apparaissent très largement
négligés. Ainsi, cette catégorie figure parmi
les moins investiguées comparativement aux
autres activités de SRE. Plus encore, son
développement semble largement contraint.
En effet, si dans les pays européens et en
particulier en France, les prestataires privés
de l’emploi ont connu dès les années 80 un
développement remarquable (et ce malgré
quelques périodes de repli conjoncturel),
dans les pays du Maghreb, et en particulier
au Maroc, ce n’est que depuis les années
2000 que l’on observe un réel développement de ces acteurs spécifiques.
Plus fondamentalement, ce constat
convoque une problématique sous-jacente
qui a trait à la convergence et la divergence
des pratiques RH dans les entreprises au Maroc eu égard aux considérations normatives
des travaux néo-institutionnalistes portant sur
la globalisation au sens large, et en particulier ici sur les pratiques de GRH à l’échelle
internationale. Le concept d’isomorphisme
institutionnel par une approche cognitiviste
constitue le socle commun de ces travaux.
Ces recherches comportent deux courants
de pensée qui méritent d’être distingués.
Le premier courant portant sur la diffusion
mimétique des modèles organisationnels
(DiMaggio et Powel, 1983) néglige les mécanismes d’adaptation locale des modèles
globaux, et considère que les modèles organisationnels et les pratiques ont tendance à
s’uniformiser mondialement pour pouvoir
ensuite expliquer comment l’unification des
modèles cognitifs soutient cette globalisation (Barabel et al., 2006). Le second courant insiste sur la résilience des institutions
en place. Les auteurs ont la conviction que
les pratiques et les modèles ne se diffusent
pas tels quels mais sont réadaptés dans
chaque contexte national spécifique. D’ailleurs, le maintien des spécificités locales est
ici considéré comme un facteur explicatif de
différentiel de performance. Dans le cas précis des prestataires privés de l’emploi (PPE)
au Maroc, la thèse de la convergence des
pratiques RH ou des besoins isomorphes
présente des opportunités certaines de déve-
79
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH entre convergence et
spécificité : Une analyse à partir du cas des
prestataires privés de l’emploi au Maroc
loppement sectoriel d’activités, mais soulève
à l’inverse des interrogations sur la nécessité
de l’adaptation des pratiques au contexte
marocain. Dans cet article, nous cherchons
dans un premier temps à proposer des éléments de cadrage des PPE en les resituant
dans une perspective historique. Dans un
deuxième temps, nous revenons sur les enjeux d’un marché local des PPE. Nous insistons en particulier sur le rôle de ces derniers
dans la diffusion d’outils et méthodologies
favorisant la « mise à niveau de l’économie
nationale » marocaine. Enfin, dans un troisième temps, nous cherchons à comprendre
les raisons du faible développement des
PPE au Maroc. Ces raisons tiennent encore
aujourd’hui prioritairement à un faible poids
relatif des problématiques RH au sein des entreprises marocaines et plus spécifiquement
à une structuration et une autonomisation de
la fonction qui reste encore balbutiante.
1. Le développement
des services au Maroc :
des SRE aux PPE
Les PPE regroupent l’ensemble des prestataires, qu’ils relèvent des services opérationnels (intérim, location de main d’œuvre…)
ou des services de conseil (conseil en recrutement, conseil en GRH, outplacement avocats
en droit social…), qui agissent d’une manière
ou d’une autre sur le marché du travail. Ces
acteurs sont émergents sur le marché marocain des prestations de services et correspondent à ce que l’on pourrait appeler la
quatrième vague de développement des SRE
au Maroc. En effet, on a pu observer quatre
grandes vagues de développement des SRE
au sein de l’économie marocaine. La première a été dominée par les services techniques d’ingénierie ; la deuxième a quant à
elle marqué l’avènement de la communicaNovec, créé en 1959, emploie par exemple 650 salariés dont plus de 250 ingénieurs.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
80
tion et de la publicité d’un côté et de la comptabilité et de l’audit de l’autre. La troisième
vague a concerné l’organisation et le management dans son ensemble et enfin la quatrième touche aux problématiques de l’emploi
et de la GRH.
• 1ère vague (l’ingénierie) :
Le secteur de l’ingénierie s’est développé au
Maroc dès les années 60-70. Durant cette
période, le secteur est largement dominé par
« l’ingénierie importée », signifiant une large
dépendance locale vis-à-vis de l’ingénierie
étrangère (française en particulier). Dans les
années 70, on assiste cependant à un réel développement du secteur qui s’autonomise de
plus en plus par rapport à la tutelle étrangère.
Le secteur a ainsi connu un développement
remarquable passant de 45 cabinets en 1970
à un peu plus de 90 vingt ans plus tard pour
atteindre plusieurs centaines dans les années
2000. Aujourd’hui le secteur de l’ingénierie
compte en effet près de 800 cabinets dont
plus de 650 sont agréés. Le secteur de l’ingénierie a cherché très tôt à se structurer. Ainsi,
l’association marocaine des bureaux d’étude
et du conseil (AMABEC) a-t-elle été créée en
1972, suivant de quelques années l’association des ingénieurs conseil et bureau d’études
techniques (AICBET). Ces deux associations
fusionneront pour créer l’AMCI en 1976,
devenue FMCI depuis lors et qui compte plus
de 200 structures. Néanmoins, il semble que
le marché soit ici très fortement concentré, en
ce sens que les 4 ou 5 premières structures
(dont Novec, CID ou encore Team) réalisent
plus de 80% du chiffre d’affaires du secteur.
• 2ème vague (marketing-communication et audit-comptabilité) :
La deuxième vague de développement des
SRE au Maroc a été semble-t-il portée d’un
Les pratiques de GRH entre convergence et
spécificité : Une analyse à partir du cas des
prestataires privés de l’emploi au Maroc
côté par la fonction commerciale (marketing,
communication, publicité) et de l’autre par
la fonction comptable (et dans une moindre
mesure fiscale). Dans le premier cas, l’objectif était de « faire savoir », de faciliter l’accès
aux produits et aux services sur le marché,
et dans le second il était de répondre à des
contraintes réglementaires. Si l’essentiel des
grandes agences qui dominent aujourd’hui le
marché marocain a été créé dans les années
80, l’essor véritable de l’offre de conseil en
communication date plutôt des années 90
(Gallouj, 1992).
audit, voire même agences de publicité…).
Dès les années 2000, nous avons assisté à
un processus de remontée stratégique des
cabinets de conseil en organisation qui est
parallèle à un intérêt croissant des grands
cabinets internationaux de conseil en stratégie pour les marchés émergents. Ainsi, après
CRCI en 2000, nombre de cabinets internationaux de stratégie dont McKinsey et Roland
Berger se sont implantés au Maroc.
On dénombre aujourd’hui plus d’une cinquantaine d’agences localisées majoritairement à Casablanca. Néanmoins, là encore,
l’essentiel du chiffre d’affaires du secteur est
réalisé par moins d’une dizaine de structures.
L’audit et l’expertise comptable présentent un
profil similaire à celui des agences de publicité et communication. Si le marché commence
à se développer dès les années 80, c’est à
partir du milieu des années 90 qu’il connaît
un véritable essor avec l’implantation ex nihilo (parfois), mais le plus souvent au travers
du rachat ou de l’association avec des cabinets locaux, de la plupart des grands réseaux
internationaux. Ces grands réseaux ont par
ailleurs étendu leur offre à partir du milieu
des années 90 en proposant des services de
conseil en organisation ou encore en GRH.
L’offre de conseil liée aux RH (autrement
dit les PPE) correspond bien à la vague la
plus récente du développement du conseil
et plus généralement des SRE. Au sein des
PPE, on peut également distinguer un certain nombre de trajectoires et tendances. Les
premiers acteurs à être actifs sur le marché
marocain ont été les entreprises de travail
temporaire qui pendant longtemps se sont
focalisées sur la mise à disposition (pour
l’industrie) d’une main d’œuvre relativement
peu qualifiée. Dès les années 90, dans le
cadre de l’accompagnement du mouvement
de modernisation de l’économie marocaine,
nous avons observé une structuration d’une
offre spécialisée en GRH.
• 3ème vague (l’organisation et le
management) :
Le conseil en organisation a connu un véritable essor entre le milieu des années 90 et
le début des années 2000. Ce marché s’est
développé selon deux trajectoires : des ouvertures ex nihilo (autrement dit la création
de nouveaux cabinets sur le marché) et des
extensions de l’offre (autrement dit la diversification) de cabinets et prestataires issus
d’autres domaines du conseil (ingénierie,
• 4ème vague (les problématiques
de l’emploi et de la GRH) :
Cette offre a d’ailleurs été très largement
marquée par une dominante formation. Il
faudra attendre le début des années 2000
pour que commence à se structurer une offre
de services dédiée au recrutement. Dans le
milieu des années 2000, malgré l’étroitesse
évoquée du marché, les cabinets de chasseurs de têtes se sont implantés. En effet, ces
cabinets, tout comme c’était le cas pour les
cabinets de conseil en stratégie, ont un territoire ou une zone d’activité (de chasse) qui
déborde largement les frontières du Maroc
(pour couvrir l’ensemble du Maghreb et
même une partie du marché africain).
81
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH entre convergence et
spécificité : Une analyse à partir du cas des
prestataires privés de l’emploi au Maroc
2. Les enjeux du
développement d’un
marché des PPE au
Maroc
confronté depuis plusieurs années à la problématique du chômage des diplômés. En
effet, de manière paradoxale et contrairement à ce que l’on peut observer dans les
pays occidentaux, le taux de chômage a tendance à s’accroître avec le niveau d’étude.
Au sein des SRE, les PPE constituent sans
doute une catégorie spécifique à bien des
égards. En effet, au delà des discours parfois de circonstance (et souvent empreints
de marketing et communication institutionnelle) sur l’importance des RH pour le
développement économique en général et
le développement des entreprises en particulier, il nous semble que l’on peut relever
au moins deux apports fondamentaux liés au
développement d’un marché local des PPE
: la contribution à l’emploi et à l’insertion
des diplômés et la contribution à la modernisation des firmes et plus généralement à la
mise à niveau de l’économie nationale.
Tableau 1 : Taux de chômage (en %) selon le
diplôme (en milieu urbain)
2.1. Les PPE comme moyen
d’acquisition des nouvelles
compétences et de création
d’opportunités d’emploi
Personne ne peut aujourd’hui sérieusement
contester la contribution remarquable des
PPE à l’emploi. Au sein des SRE, les PPE
figurent parmi les plus dynamiques en matière de création d’emploi. Dans le cas du
Maroc, les PPE jouent (et devraient jouer) un
rôle important dans la problématique des
diplômés chômeurs. Par ailleurs, au delà du
recrutement pour leurs clients, ils contribuent
également à la dynamique de l’emploi en
recrutant pour leur propre compte.
• Les PPE comme facilitateur de recrutement
des diplômés chômeurs : Le Maroc, comme
un certain nombre de pays du Maghreb, est
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
82
Sans
diplôme
Niveau
moyen
Niveau
supérieur
1985
12
19,1
4,8
1991
11
27,1
10,9
1993
10,7
24,8
-
1996
10,5
26,2
25,8
1997
9,6
26,7
23,8
2002
5,6
22,4
26,5
2004
5,4
22,2
26,6
2006
4,5
24,8
30,1
2010
4,6
24,2
28
Source : Direction des statistiques :
Activité, emploi et chômage
Ainsi, le diplômé chômeur est devenu
une catégorie omniprésente dans le paysage contestataire marocain (Bougroum et
Ibourk, 2002 ; Emperador, 2010). S’il est
clair qu’une part du phénomène est lié soit
à un décalage important entre les compétences attendues par le marché et celles
qui sont possédées par les chômeurs, il
n’en demeure pas moins qu’une partie relève également de ce que les économistes
appellent le chômage frictionnel ou encore
de fortes asymétries informationnelles face à
une offre de formation faiblement lisible par
les entreprises. Dans ces conditions, les PPE
peuvent jouer un rôle certain dans le processus d’appariement, autrement dit dans le
Les pratiques de GRH entre convergence et
spécificité : Une analyse à partir du cas des
prestataires privés de l’emploi au Maroc
rapprochement de l’offre et de la demande.
En ce sens, Katz et Krueger (1999) ont ainsi
montré que les intermédiaires de l’emploi
et en particulier l’intérim ont permis un déplacement vers la gauche de la courbe de
Beveridge, reflétant ainsi une meilleure efficience dans la mise en correspondance des
demandes et des offres d’emploi.
Eymard-Duvernay et Marchal (2000), dans
le cadre d’une approche théorique alternative considèrent que les intermédiaires (PPE)
contribuent également à une meilleure correspondance en prenant en compte la diversité des registres d’évaluation, permettant
ainsi une appréciation plus juste de la qualité du travail.
• Les PPE comme recruteur pour leur propre
compte : Les PPE peuvent également jouer
un rôle comme recruteur pour leur propre
compte. En effet, ce secteur, qui a connu
un développement remarquable sur les dernières années est lui-même un « gros recruteur » de main d’œuvre qualifiée. En effet,
le recrutement est une dimension essentielle
de la GRH des cabinets. Les ressources
humaines du cabinet constituent bien une
ressource stratégique ; c’est par la qualité
de leurs recrutements et la différenciation de
leurs profils que les structures de conseil se
font concurrence sur le marché (Bounfour,
1992). Les pratiques de recrutement sont
marquées par deux évolutions importantes
: la montée en niveau d’un côté et la dualité entre recrutement à la base et recrutement latéral de l’autre. La montée en niveau
résulte d’une sophistication croissante du
besoin. Du point de vue de la firme, elle
signifie une plus grande aptitude à gérer
les situations complexes, à s’adapter aux
situations nouvelles dans le cadre d’organisations diversifiées ; quant à la dualité
entre recrutement à la base et recrutement
latérale, elle s’appuie sur deux orientations
stratégiques opposées. Dans le cas du recru-
tement latéral, deux objectifs sont visés : la
conquête de nouveaux clients, c’est-à-dire
d’une part de marché, le consultant recruté
draine avec lui une partie de sa clientèle ; la
diversification de l’offre dans des nouveaux
domaines. Le recrutement à la base va quant
à lui de pair avec la promotion interne. Son
principal avantage est d’ordre managérial,
il conduit à évaluer, motiver et retenir le collaborateur. Il permet d’amener ce dernier à
concilier la destinée de l’entreprise avec la
sienne propre pour rentabiliser l’investissement en capital humain réalisé sur sa propre
personne.
2.2. PPE comme moyen de
modernisation des pratiques
de gestion des entreprises
De nombreuses études ont montré que les
caractéristiques de l’offre de services dans
les pays en voie de développement, à savoir
le peu d’interrelations sectorielles, les faibles
niveaux d’externalisation des services et plus
globalement le manque de soutien aux activités de service considérées comme improductives ou tout au moins comme créatrices
d’emplois refuge, pouvaient être un des
facteurs majeurs de la croissance ralentie
des pays en développement (Jany-Catrice,
1993, p. 47). Les PPE contribuent en effet
à une baisse des coûts opérationnels, à une
croissance de la valeur ajoutée par produit
ainsi qu’à l’amélioration de la flexibilité des
entreprises et plus généralement du système
productif dans son ensemble. En définitive,
les PPE mettent généralement à disposition
des firmes des outils de gestion qui leur permettent de mieux maîtriser leurs processus
RH et leurs coûts. Les PPE, principalement
ceux à contenu intellectuel élevé, jouent
également un rôle essentiel dans la diffusion du progrès technique, l’intégration et
l’adaptation des connaissances nouvelles,
83
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH entre convergence et
spécificité : Une analyse à partir du cas des
prestataires privés de l’emploi au Maroc
de savoir et savoir faire (voire dans certains
cas de technologies) au sein des firmes
clientes. Autrement dit, par de nombreux aspects la modernisation et la compétitivité des
firmes dépend fortement des PPE. En effet,
ces prestataires jouent un rôle central dans
la diffusion au sein des firmes clientes d’un
certain nombre de règles et modes de comportement en matière d’emploi, de même
que dans l’adoption (et l’adaptation) par ces
dernières de nouvelles normes d’emploi et
de rémunération (Eymard, Duvernay et Marchal, 1997).
Plus encore au niveau local, l’existence
d’un tissu dense et diversifié de PPE permet une élévation du niveau du dialogue
entre services internes et services externes. Il
contribue de fait à une montée en niveau
des services internes. Par ailleurs, cette montée en niveau qui peut également s’appuyer
sur la mobilité des cadres entre les services
fonctionnels internes et les prestataires externes participe à la réduction des asymétries
d’information et donc des comportements
opportunistes. Ainsi dans le cas du Maroc,
on peut dire que les PPE sont à l’avant-garde
du processus de modernisation et de mise à
niveau des entreprises. Pour autant, le développement de ce type de services au Maroc
reste encore largement contraint, il existe de
nombreux freins au développement des PPE.
3. Les freins au
développement d’un
marché des PPE
Il existe aujourd’hui de nombreux freins
au développement des PPE (et plus généralement des SRE) au Maroc. Ces freins renvoient à des défaillances observables tant au
niveau de l’offre qu’à celui de la demande.
3.1. Structure de marché,
formes de concurrence et
limites tenant à l’offre
Le marché des PPE est spécifique à plusieurs points de vue. Il s’agit d’un marché
neuf, caractérisé par une offre atomisée, ce
qui suscite encore la convoitise de multiples
nouveaux entrants potentiels.
• Un marché neuf, ouvert, peu régulé en
dépit de certaines stratégies de la profession
: le secteur et le marché du conseil en recrutement rassemblent de nombreuses caractéristiques typiques des « activités nouvelles et
en croissance » (Thiétart, 1990) :
• incertitude stratégique (liée à des règles
de concurrence peu claires) ;
• nombre important de petites unités nouvellement créées (en raison de la faiblesse
des barrières à l’entrée) ;
• rapidité des gains de productivité ou de
la diminution des coûts au cours de la phase
initiale de constitution d’une expérience ;
• information limitée de la clientèle.
En ce sens, on peut parler d’un « environnement fragmenté » au sens du Boston
Consulting Group, secteur très différencié
où les effets de volume à long terme sont
quasi inexistants et où la taille des acteurs
ne procure pas systématiquement un avantage compétitif. On peut également analyser
ce marché à partir de certains concepts de
l’analyse économique de la concurrence et
estimer que le marché du conseil en recrutement constitue un marché parfaitement «
contestable » ou « disputable » (Britton, Clark,
Ball, 1989). Ce type de marché, tel qu’il a
été défini par Baumol (1982), présente deux
caractéristiques essentielles : (a) une absence
de spécificité des actifs physiques ; (b) une
mobilité des actifs intellectuels (qui peuvent
trouver à s’employer dans divers secteurs
d’activité). L’absence d’actifs spécifiques
Cela signifie que l’équipement utilisé est, pour une large part, non spécifique au secteur considéré.
Il s’agit de coûts engagés pour entrer sur un marché, mais qui ne sont pas récupérables (même si on en déduit le coût d’usage du capital utilisé) en cas de sortie du secteur.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
84
Les pratiques de GRH entre convergence et
spécificité : Une analyse à partir du cas des
prestataires privés de l’emploi au Maroc
explique qu’il n’y a pas réellement, dans ce
secteur, de coûts irrécupérables ou irréversibles (sunk costs) qui, de façon générale,
constituent des éléments importants de la
notion de barrières à la sortie. Ainsi, le marché des PPE se caractériserait par une situation où l’entrée serait (presque) parfaitement
libre et où la sortie s’effectuerait (presque)
sans coûts. Face à cet état de fait, les PPE
(en tant que groupe professionnel) adoptent
un certain nombre de stratégies dont la principale consiste à tenter de « réguler » ou de
contrôler pour une part le fonctionnement
du marché. Il s’agit «d’organiser l’industrie
dans le but de donner une image cohérente
et aussi rassurante que possible au marché
» (Thiétart, 1990). On notera cependant à
la suite d’Anne Mayère (1988, p. ) que « la
labellisation constitue une forme de barrière
à l’entrée pour les sociétés qui n’ont pas pu
se constituer une expérience en la matière...
elle peut tendre à figer les méthodes et à
exclure les démarches parallèles ».
Encadré 1 : Charte déontologique
de l’AMCOR
Les cabinets conseil en recrutement,
membres de l’AMCOR, font notamment
leurs, les règles déontologiques et les
principes éthiques suivants :
A. Principes généraux
- Faire honneur, en toutes circonstances, à la profession du conseil dans
les actes, les comportements et les rapports professionnels
- Assumer pleinement la mission dont le
conseil à la charge, au mieux des intérêts des clients et des candidats
- N’accepter pour une mission déterminée aucune rémunération autre que
celle convenue avec le client
- Faire usage des méthodes, techniques
et outils les plus pertinents et les mieux
adaptés pour assurer au client et au
candidat le concours de qualité élevée
qu’ils sont en droit d’attendre
B. Règles particulières à respecter à
l’égard du client
- Le conseil doit faire preuve à l’égard
du client, personne physique ou morale,
d’une entière loyauté, en s’engageant
notamment à ne divulguer aucune
information confidentielle le concernant
- Le conseil s’engage à mettre en œuvre
tous les moyens humains et matériels
garantissant au client une prestation de
qualité conforme aux conditions convenues et aux clauses contractuelles
C. Règles particulières à respecter à
l’égard du candidat
- Le conseil s’impose le respect du candidat et s’interdit d’entreprendre toute
action susceptible de nuire à ses intérêts,
à sa liberté ou à sa situation professionnelle, ou de divulguer toute information
le concernant, autre que celles en relation avec la mission dont il a la charge
Cette volonté de structuration du secteur
se reflète en particulier dans le nombre
d’institutions qui tentent d’organiser l’activité
de conseil en recrutement (au sens strict).
Ainsi, au début des années 90 a été lancée
l’Association Marocaine des Conseils en
Recrutement (AMCOR) qui regroupe moins
d’une dizaine d’adhérents. Au milieu des
années 2000, c’est une autre association,
C3+, qui est créée et qui regroupe moins
de cinq cabinets. En 2008 est créée la Fédération Nationale des Agences d’Intérim et
de Recrutement (FNAIR) qui marque un rapprochement opéré entre les deux professions
sur le modèle de ce qui est observable dans
certains pays européens et en particulier en
France. La volonté de structuration du secteur dont nous venons de faire état s’appuie
également sur des chartes déontologiques
relativement complètes. L’encadré 1 reprend
à titre illustratif la charte de l’AMCOR.
85
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH entre convergence et
spécificité : Une analyse à partir du cas des
prestataires privés de l’emploi au Maroc
- Le conseil s’engage à prodiguer au
candidat recruté aide et assistance pouvant favoriser son intégration dans son
nouveau cadre de travail
D. Principes régissant les relations
entre confrères
Dans leurs relations internes au sein de
la profession, les membres de l’AMCOR :
- Se doivent de faire preuve d’esprit
de confraternité et d’entraide pour la
réussite de leur mission, l’amélioration
constante de leurs pratiques professionnelles et l’enrichissement permanent du
service offert aux clients et aux candidats ; ils s’interdisent à cet égard toute
démarche déloyale et toute initiative
susceptible de nuire à la réputation ou
aux activités d’un confrère
- Ils s’engagent à respecter et à faire
respecter par les clients les conditions
et les bases contractuelles de tarification et d’exclusivité préconisées par
l’association
Source : AMCOR
Dans l’état actuel des choses, toutefois, les
barrières à l’entrée dans la profession restent
faibles. La multiplicité d’organisations structurantes a jusqu’à récemment été plutôt significative des difficultés de l’entreprise de
régula¬tion du secteur.
Quant à la stratégie de labellisation à
l’échelle nationale, elle est contrebalancée par le fait que certaines entreprises de
grande taille tentent d’imposer leurs propres
règles du jeu..De façon générale, en complément des tentatives de structuration ou de
régulation du marché, au niveau national,
on peut observer tant dans le discours que
dans les pratiques, la mise en avant ostensible de règles formelles ou informelles. Aussi, la quasi-totalité des documents de pré-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
86
sentation (plaquettes) des conseils en GRH,
notamment en recrutement, mentionnent
l’existence d’un code déontologique (ou
code de bonne conduite) explicite et d’une
méthodologie formalisée.
• Une offre encore atomisée, mais en voie
de concentration : si l’on se limite aux services de types conseil, on constate une forte
croissance du nombre d’acteurs sur longue
période. En effet, de 3 à 4 au début des
années 80, on serait passé à une douzaine
au début des années 90 et à plus d’une centaine aujourd’hui. Les cabinets opérant sur le
marché national sont généralement de petite
taille (effectif voisin de 5 dont 2 à 3 consultants). Cette atomisation de l’offre est en
partie liée à la jeunesse relative du secteur
mais elle l’est également à son très faible
niveau de régulation. Bien entendu, dans le
cas du Maroc, d’autres facteurs ont pu jouer
comme par exemple la spécificité du secteur
qui tend à raisonner plus en termes de territoire de chasse que de parts de marché.
En ce sens, si l’on a déjà quelques clients
dans un secteur, la déontologie (mais aussi et
surtout les réactions des clients) interdit d’aller au delà. Le conseil en recrutement considère par exemple que l’on ne chasse pas
chez ses propres clients actuels ou potentiels
sous peine de les perdre. Pour les mêmes
raisons, l’offre est très concentrée géographiquement. Aujourd’hui, près de 95% de
cette offre se situe à Casablanca. Quelques
pôles secondaires émergent depuis peu à
Rabat, Marrakech ou encore Tanger, bien
souvent centrés sur des spécificités économiques locales (call centers, logistique,…).
Néanmoins, au cours des dernières années,
on a assisté à une croissance de la taille
moyenne des cabinets, en même temps qu’à
celle de leur nombre. Ces différentes évolutions semblent d’ores et déjà conduire à
une bipolarisation de l’offre, caractérisée à
Les pratiques de GRH entre convergence et
spécificité : Une analyse à partir du cas des
prestataires privés de l’emploi au Maroc
la fois par les positions de plus en plus fortes
de quatre à cinq grandes firmes et par un
dynamisme de petits cabinets.
3.2. Les limites tenant à la
demande
Au-delà des considérations tenant à
l’offre, c’est principalement au niveau de la
demande que résident les principaux freins
au développement du marché des PPE. En
dehors de la taille relativement réduite du
marché marocain, qui en elle-même constitue une limite non négligeable au développement des PPE, on peut distinguer deux
faiblesses importantes qui contribuent à
contraindre fortement le développement de
ces mêmes activités. La première est liée à
la place accordée aux RH dans les pratiques
et l’organisation des firmes et la deuxième
concerne la faiblesse concomitante des pratiques d’externalisation.
• Faible place des RH dans les pratiques et
l’organisation des firmes : un des principaux
freins au développement du marché des PPE
réside, selon nous, dans la faible place qui
est encore aujourd’hui accordée à la GRH
(aussi bien en tant que pratique qu’en tant
que structure) au sein des entreprises marocaines. Benson et Al Arkoubi (2006, p. 279)
écrivent ainsi: « the typical moroccan HR
structure, if it is formally established at all,
deals with day-to-day management. Most of
the time, the finance manager (or sometimes
an accountant) plays the role of HR manager.
This dual role reflects the perception of
HR as a cost, leading to the need to strictly
manage practices such as pay to reduce expenses. There is little awareness of the role
HRM can play in performance management
and adapting the firm to the requirements
of the economic environment where human
competencies become a real competitive
advantage. Therefore, strategic, visionary
thinking is almost absent and raises many
concernes about the ability of these enterprises to face threats or seize opportunities
in their environments… ». Les difficultés
auxquelles est confrontée la fonction RH au
Maroc sont ainsi nombreuses. Une enquête
menée par le cabinet Diorh (figure 1), met
en avant tout à la fois un manque de compétences, des effectifs ainsi que des budgets
de fonctionnement insuffisants ou encore
une absence totale d’implication des cadres.
Figure 1 : Les difficultés dans l’exercice de la fonction RH au Maroc
60%
50%
40%
30%
20%
,5%
57
Insuffisance de compétences
,9%
52
,4%
49
Insuffisance des effectifs dédiés à la
fonction
,1%
39
Manque d’implication de l’encadrement
Budgets de fonctionnement insuffisant
,6%
27
4%
18,
Trop d’interférences de la hiérarchie
,1% 9%
16
,
14
10%
,6%
12
Statut rigide de la DG
Manque de moyens matériels
0%
Virulence des syndicats
Source : Diorh, Cité par Ait Moussa (2007)
Manque d’appui de la DG
Autres
87
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH entre convergence et
spécificité : Une analyse à partir du cas des
prestataires privés de l’emploi au Maroc
Aline Scouarnec (2005), dans une contribution sur le devenir du DRH au Maroc, présente ainsi un certain nombre de caractéristiques de la fonction dont les suivantes nous
semblent les plus importantes : la fonction
RH serait en effet à la fois instrumentalisée,
confisquée (ou difficile à partager). L’instrumentalisation renvoie à un phénomène largement observé dans les pratiques des firmes
au Maroc mais également plus généralement
dans l’ensemble des pays du Maghreb. En
effet, dans ces pays on constate globalement
que l’absence générale d’une politique RH
va de pair avec une profusion d’outils utilisés de manière ponctuelle. Bien que Aline
Scouarnec n’en fasse pas état, il nous semble
que ce type de fonctionnement puisse trouver
une explication dans le manque d’aisance
des responsables marocains devant l’achat
de prestations immatérielles.
Dès lors, la justification de l’achat tend à
s’appuyer prioritairement sur les logiques et
trajectoire de formalisation ou d’objectivation de l’immatériel. La confiscation renvoie,
selon l’auteur, à la question de la distribution des pouvoirs au sein de l’organisation.
Dans nombre de firmes marocaines, y compris parmi les plus importantes, l’existence
d’une structure fonctionnelle ne préjuge en
aucun cas du pouvoir ou tout simplement
des marges de manœuvre réelles laissées
aux cadres et directeurs fonctionnels.
Les situations où la direction générale interfère et empiète largement sur les directives
de ces directeurs ne sont pas rares ; mais
c’est sans doute dans la fonction RH que
ces interférences sont les plus nombreuses
et plus pressantes. Au-delà de l’interférence
venant d’en haut d’autres formes d’interférences sont le fait des cadres (encadrants)
opérationnels qui considèrent que les missions du DRH empiètent sur leurs propres
prérogatives.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
88
• La faiblesse concomitante des pratiques
d’externalisation : au-delà des deux dimensions mises en évidence par Aline Scouarnec
(2005), une des caractéristiques de la fonction RH au Maroc est sa très forte internalisation (autrement dit son faible recours aux
pratiques d’externalisation). De manière plus
précise, on peut dire que la faible place des
RH dans les pratiques et l’organisation des
firmes trouve son pendant dans la faiblesse
des pratiques d’externalisation. Cette faiblesse relative des pratiques d’externalisation
de la fonction RH a d’ailleurs été largement
débattue et confirmée lors d’un colloque
ad hoc qui s’est tenu à Agadir en octobre
2010. Selon certaines estimations à peine
10% des entreprises marocaines feraient par
exemple appel à un cabinet de conseil en recrutement, l’essentiel des recrutements étant
ainsi réalisés en interne. C’est en particulier
ce que révèle une étude menée en octobre
2007 par Invest RH et AmalJob (figure 2).
Figure 2 : Les sources de recrutement utilisées par les entreprises marocaines
78,60%
10,90%
4,30%
6,20%
Direct par l’entreprise
Cabinet de recrutement
ANAPEC
Autre
Source : Invest RH ; AmalJob, Novembre 2007
Les pratiques de GRH entre convergence et
spécificité : Une analyse à partir du cas des
prestataires privés de l’emploi au Maroc
4. Typologie des
firmes, GRH et
perspectives de
recours aux PPE
Il existe maintenant un certain nombre
de travaux et réflexions sur les pratiques de
GRH au Maghreb et plus généralement au
Maroc. Dans ce dernier cas, il est souvent
fait état de pratiques lacunaires et d’une
fonction peu évolutive. Ainsi, par exemple,
Frimousse et Peretti (2005, p. 4) précisent : «
Au Maroc la GRH est embryonnaire dans la
grande majorité des entreprises. D’une part,
elle est de nature administrative (suivi de
l’absentéisme…) et en aucun cas stratégique
(intégration des RH au sein de la stratégie de
l’entreprise, recherche des compétences…) ;
d‘autre par, la GRH est instrumentalisée (profusion d’outils utilisés ponctuellement sans
alignement avec la stratégie de l’entreprise).
En d’autres termes la gestion du personnel prédomine par rapport à la gestion des
RH. De surcroît, les dirigeants d’entreprises
qui évoluent au sein d’organisations centralisées s’approprient la fonction GRH ».
Dans la réalité, cette conclusion (qui reprend
certains des éléments des travaux de Aline
Scouarnec) est un peu excessive et globalisante. Une analyse plus fine permet de distinguer différentes catégories de firmes au
regard de leurs pratiques de GRH (Benson
et Al-Arkoubi, 2006 ; Baayoud et Zouanat,
2006, 2010) et, partant, de leurs pratiques
de recours aux PPE. Si l’on cherche à proposer une synthèse des résultats des travaux
existants sur la question, on pourra distinguer, au-delà du secteur informel, qui reste
important mais sans objet dans le cadre de
ce travail, quatre groupes distincts : les FMN,
les holdings et consortiums marocains, les
entreprises publiques et les administrations,
les PME locales ; chacune de ces catégories
recelant un potentiel différencié pour les PPE.
4.1. Les Firmes Multinationales (FMN)
Les FMN ou plutôt les filiales des FMN
suivent en général, pour des raisons de
contrôle et de coordination, les pratiques
RH de leur siège. Ces entreprises sont souvent considérées comme des exemples de
bonne pratique RH. Elles offrent des conditions d’emploi nettement supérieures à celles
qui prévalent habituellement sur le marché
(rémunérations supérieures, opportunités
de carrière, formation, développement des
compétences…). Ces entreprises sont à l’origine de l’intégration et de la diffusion au sein
des entreprises marocaines de pratiques et
de stratégies RH modernes.
Elles ont également une pratique de recours systématique aux PPE et en particulier
aux activités de conseil dont une large partie s’est d’ailleurs développée localement en
suivant l’implantation de ces mêmes firmes.
Lorsqu’elles sont issues de privatisations ou
d’acquisitions d’entreprises originellement
marocaines, ces entreprises sont également
fortement consommatrices de PPE. Ces derniers contribuent en effet très largement à la
mise à niveau des pratiques RH. Plus généralement, elles accompagnent le DRH dans
les politiques d’harmonisation des modes et
pratiques de gestion et en particulier dans
l’adoption de comportements et pratiques
en cohérence avec ce qui se fait au niveau
du groupe. Ainsi, par exemple, les brasseries
du Maroc ont longtemps été en situation de
quasi monopole sur le marché de la bière au
Maroc. Cependant, dans un premier temps,
« l’anticipation de l’arrivée de la concurrence
a amené l’entreprise à engager un vaste
89
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH entre convergence et
spécificité : Une analyse à partir du cas des
prestataires privés de l’emploi au Maroc
programme de restructuration, de modernisation de son outil de production et de ses
méthodes de gestion » (Baayoud et Zouanat,
2010). Ce programme s’est très nettement
accéléré à partir de 2003, date à laquelle
l’entreprise, initialement filiale du groupe
marocain SNI, a été reprise par le groupe
Castel. L’entreprise s’est ainsi réorganisée
et mise aux normes internationales en particulier en ce qui concerne sa structure fonctionnelle et la place qu’y tient la DRH. Plus
précisément, dans cette entreprise, comme
dans l’ensemble des entreprises relevant de
ce groupe (les FMN), le DRH est systématiquement membre du comité de direction et
l’on assiste souvent à un alignement de la
stratégie RH sur la stratégie globale de l’entreprise.
4.2. Les holdings et consortiums marocains
Les entreprises relevant de ce groupe sont
relativement peu nombreuses (moins d’une
vingtaine). Elles correspondent généralement
à quelques champions nationaux (ONA,
Dounia, Akwa, etc). Leur poids dans l’économie nationale est important puisqu’une douzaine d’entre eux pèsent pour plus de 35%
du PIB marocain. Au sein de ces groupes,
on peut observer parfois des pratiques et
comportements marqués par la dualité ;
autrement dit, l’existence simultanée de pratiques traditionnelles (de nature patriarcale
ou taylorienne) de gestion du personnel et de
pratiques plus modernes témoignant d’une
réelle ouverture (nous y reviendrons). Néanmoins, et de manière générale, ces groupes
ont tendance inexorablement à se rapprocher, dans leurs pratiques RH, du groupe des
FMN. Ainsi, le recours aux PPE a tendance
à se développer selon une logique à la fois
de rattrapage et de mimétisme. Ce type de
trajectoire est également perceptible au sein
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
90
des GE qui ne relèvent pas nécessairement
de grands groupes nationaux structurés.
4.3. Les entreprises publiques
et administrations
Bien qu’elles bénéficient d’une réelle autonomie (pour l’essentiel d’entre elles) les
entreprises publiques se caractérisent par
une philosophie et un comportement managérial proche de ceux des administrations.
Les exigences qui pèsent sur ces entreprises
en termes de productivité, de qualité de service ou encore de flexibilité et réactivité sont
importantes mais atténuées comparativement à celles qui pèsent sur les entreprises
privées. La tutelle exerce encore ici une influence forte, ce qui est un obstacle à l’évolution des pratiques de GRH. Néanmoins, ces
structures comme les administrations dans
leur ensemble bénéficient de moyens importants. Les entreprises sont généralement en
voie de privatisation et l’encouragement au
développement de partenariats « publicprivé » fait que globalement cette catégorie
est fortement consommatrice de PPE et plus
généralement de SRE. Dans l’administration,
bien que les directions RH soient relativement
jeunes (une moyenne d’âge de 10 ans), elles
sont relativement structurées et emploient des
effectifs importants. Chraibi (2004) montre
quant à lui que les fonctions RH ne sont pas
au même niveau de développement dans les
administrations. Il repère ainsi 3 trajectoires
de ces fonctions RH :
• les fonctions cantonnées dans la gestion
administrative du personnel ;
• les fonctions RH en phase de transition
et qui cherchent à se doter d’outils de planification, de mobilisation et de développement
des compétences ;
• les fonctions en phase de rationalisation
qui sont à la recherche de l’exploitation de
Les pratiques de GRH entre convergence et
spécificité : Une analyse à partir du cas des
prestataires privés de l’emploi au Maroc
toutes les marges de manœuvre existantes
pour une utilisation et une affectation rationnelle des compétences. Il n’en demeure pas
moins que l’administration au sens large joue
et a joué un rôle central dans le développement d’un marché local des PPE (et plus
généralement des SRE). En effet, la politique
nationale de mise à niveau de l’économie
s’appuie (et s’est appuyée) sur un très large
recours aux activités d’audit et conseil, en organisation et stratégie principalement, mais
qui comportent également un large volet RH.
4.4. Les PME-PMI locales
Les PME-PMI représentent près de 95% du
tissu économique marocain, occupent plus
de 50% des salariés du privé et contribuent
à près de 10 % du PIB. Ces entreprises sont
cependant marquées par un certain nombre
de faiblesses internes dont certaines sont
générales aux PME-PMI et d’autres sont soit
amplifiées dans le cas du Maroc, soit spécifiques à ce pays (cf. M’chirgui, 2004) :
• manque de visibilité et absence de vision
du dirigeant ;
• manque de préparation et d’ouverture
internationale du dirigeant ;
• importance des obstacles culturels à
l’amélioration de la compétitivité (forte centralisation du pouvoir décisionnel, faible taux
d’encadrement, culture orale des affaires et
absence de comptabilité rigoureuse…).
Conscient des difficultés et lacunes des
PME-PMI, le gouvernement marocain a lancé
un processus de mise à niveau et de modernisation de ces entreprises. Ce programme
n’a semble-t-il pas atteint ses objectifs tout au
moins à court terme (Benson et Al Arkoubi,
2006). Néanmoins, il a contribué à impulser une certaine dynamique. Ainsi, on peut
à la suite de Baayoud et Zouanat (2010)
opposer (indépendamment de la taille) des
entreprises en situation d’ouverture et des
entreprises en situation de repli (ou encore
en situation intermédiaire ou duale).
• Les entreprises en situation d’ouverture
: ce cas renvoie à des entreprises qui, dans
le cadre d’une réflexion stratégique, décident de s’adapter aux nouvelles conditions
du marché et généralement de l’économie
internationale. L’ouverture peut être proactive ou réactive. Le premier cas regroupe des
entreprises qui réagissent d’elles-mêmes à l
évolution du marché en s’appuyant sur une
forte mobilisation de leur capital humain.
Le deuxième cas renvoie quant à lui à des
entreprises qui adaptent leurs pratiques
de management et en particulier leur GRH
pour répondre à la demande explicite ou
implicite de leur donneur d’ordre (étranger
le plus souvent). En ce sens, J.M. Schmitz,
DG de Lafarge Maroc déclarait en 2005 :
« D’une façon générale, dans les pays émergents comme le Maroc, les PME fonctionnent
souvent sur des principes d’économie grise.
C’est le poids justement des grande entreprises comme Lafarge de n’accepter comme
sous-traitantes que celles qui répondent à
un cahier des charges comportant un volet
social : déclaration des salaires, cotisation
pour les accidents du travail, mise en place
de formation, en particulier sur la sécurité
(…) Pour le Maroc, notre centaine de soustraitants constituent un poids non négligeable
qui induit des pratiques sociales nouvelles ».
• Les entreprises en situation de repli : ces
entreprises sont des PME qui relèvent d’un capitalisme familial et paternaliste. Néanmoins,
cette logique ou trajectoire n’est pas limitée
strictement aux entreprises de petite taille et
elle est encore largement à l’œuvre dans
nombre de grandes entreprises. Baayoud et
Zaounat mettent ainsi en avant un certain
nombre de caractéristiques typiques de cette
catégorie d’entreprises (encadré 2).
91
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH entre convergence et
spécificité : Une analyse à partir du cas des
prestataires privés de l’emploi au Maroc
Encadré 2 : caractéristiques de
la GRH dans les entreprises en
situation de repli
- maintien du personnel dans une
situation de grande précarité. Celleci est prise au sens large du terme
et renvoie au contexte d’insécurité
et de dépendance qui pourrait être
obtenue par différents moyens : instabilité de l’emploi, avantages salariaux, promotions, conditions de travail, pratiques paternalistes…
- le chef d’entreprise se méfie de
la compétence. L’encadrement est
réduit au minimum ; les fonctions
clés sont assumées par le patron luimême ou confiées à des personnes
ayant avec lui des liens de proximité, voire de parenté. La formation
est perçue de manière négative :
coût, perturbation de la production,
risque de départ du personnel formé…
- la GRH est assurée par un chef
du personnel, parfois par un DRH
avec les pouvoirs limités et en tout
cas sans influence stratégique. Ce
qui est exigé de lui, c’est surtout la
connaissance et la maîtrise technique des actes de gestion concernant l’administration du personnel,
en particulier les aspects réglementaires et légaux.
- e personnel est généralement soumis et la représentation syndicale
n’est pas toujours tolérée. Quand
elle existe, elle est marginalisée,
voire combattue. On lui préfère «
une représentation maison », des
délégués cooptés.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
92
Les deux situations que nous venons d’évoquer : repli et ouverture peuvent apparaître
dans une certaine mesure comme des idéaux
type dans nombre d’entreprises, on observe
en effet que ces deux logiques peuvent être
à l’œuvre simultanément. Ainsi, nombre
d’entreprises sont plutôt dans des situations
« in between » ; autrement dit, des situations intermédiaires qui les poussent à être
constamment à la recherche de leur propre
équilibre. Il reste néanmoins que ces entreprises comme celles qui sont en situation
d’ouverture apparaissent de plus en plus
comme des marchés porteurs pour les PPE
et en particulier pour les cabinets de conseil
en RH. Benson et Al Arkoubi (2006) affirment
« consultants in management and HR, who
are rapidly increasing in number, target SMEs
in attempts to introduce new management
approaches. However, consulting firms have
always faced strong reticence from these
enterprises ».
Les pratiques de GRH entre convergence et
spécificité : Une analyse à partir du cas des
prestataires privés de l’emploi au Maroc
Conclusion
Les PPE jouent clairement au Maroc un
rôle central sur le marché du travail (en
termes de fluidification, d’adaptation de
l’offre à la demande, de diffusion de pratiques innovantes…). Ces PPE ont connu
un réel développement ces dernières
années, poussés par un environnement
économique et politique favorable. Si le
développement a longtemps été assuré
prioritairement par les besoins des entreprises « d’avant-garde » comme les firmes
multinationales, les grands groupes nationaux ou encore la haute administration
publique, on constate que les grandes
entreprises et surtout les PME-PMI locales
commencent à offrir à ces PPE des perspectives relativement favorables.
Plus généralement, la montée en niveau
de la fonction RH dans les entreprises
marocaines, quelle que soit leur taille, est
au centre de cette nouvelle dynamique.
Comme le précisent Benson et Al Arkoubi
(2006, p. 281) : « there does appear to
be a growing HR function in Morocco,
but the level of professionalism is not
as high as is found in typical developed
countries. Still the current practices must
be viewed as encouraging ». Cependant,
on constate également qu’une part importante du développement des PPE a été
portée principalement par l’implantation
locale de structures en réseau à portée
internationale (ouverture ou rachat opéré
par les grands réseaux internationaux de
conseil en RH).
lement et surtout celui de l’homogénéisation des pratiques en matière de recrutement et de GRH.
Cette homogénéisation assumée ignore
la réalité de systèmes d’emploi et de GRH
spécifiques aux pays méditerranéens. La
plupart des réflexions ad hoc pensent les
concepts et relations économiques dans
des espaces culturellement homogènes et
semblent totalement ignorer l’importance
et le rôle de la culture dans les pratiques
de recours aux services RH.
Plus encore, pour reprendre les termes
de Eymard-Duvernay et Marchal 1997),
dans la mesure où les PPE contribuent à
construire le marché du travail, à installer des manières de faire, des pratiques
« à la mode », des « façons de recruter »,
des manières d’évaluer les compétences,
de les définir même, il est important et
même nécessaire que ces PPE soient à
la fois nombreux, hétérogènes et diversifiés. Or, les mouvements affectant les PPE
au Maroc semblent remettre en question
cette diversité et l’on assiste, semble-t-il, à
une convergence des métiers et pratiques
professionnelles ainsi qu’à un alignement
sur les pratiques européennes.
Or, le contrôle de plus en plus marqué
du marché local des PPE par des firmes
relevant de réseaux internationaux pose
le problème de la maîtrise locale des
processus de développement mais éga-
93
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH entre convergence et
spécificité : Une analyse à partir du cas des
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95
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de la gestion des compétences dans les
multinationales en Tunisie
Khaled AROUS
Centre de Recherche et d’Etudes en Gestion (CREG)
Université du Maine, IUT de Laval
RESUME
ABSTRACT
La littérature permet de dégager des pratiques
de GRH qui sont au centre de la gestion des
compétences, dont la description des fonctions,
le recrutement, l’évaluation, la formation, la
gestion de la carrière, la rémunération et l’autonomie. Cette recherche étudie ces pratiques au
sein de quatre firmes multinationales basées
en Tunisie. La démarche empirique est fondée
sur une méthode qualitative avec des entretiens
semi-directifs. La mise en place des pratiques
GRH permet de positionner les entreprises selon
deux axes et d’identifier quatre modes de gestion
des compétences : la gestion purement administrative, la gestion administrative des compétences, la gestion vers les compétences et la
gestion des compétences. Les résultats montrent
que les grandes multinationales pétrolières en
Tunisie pratiquent une véritable gestion des
compétences, basée sur cinq pratiques essentielles que sont le référentiel des compétences,
le recrutement, la formation, l’évaluation et la
gestion de la carrière. Les deux autres entreprises
pratiquent une gestion purement administrative
et une gestion administrative des compétences.
The literature identifies HRM practices which are
central in competency management, including
job descriptions, recruitment, training, assessment, career management, compensation and
autonomy. This research explores these HRM
practices in four multinational companies based
in Tunisia. The empirical approach is based
on a qualitative method with semi-structured
interviews. The implementation of the aforementioned HRM practices allows positioning the multinationals following two axes and identifying four
modes of competencies management: purely
administrative HRM management, administrative competencies management, management
towards competencies and real competencies
management. The results show that two major oil
multinationals in Tunisia practice a real competency management based on five HRM practices
which are job descriptions, recruitment, training,
assessment and career management. The two
other companies practice a purely administrative
HRM management and an administrative competencies management.
MOTS-CLES: GRH, gestion des compétences,
compétences techniques et comportementales,
firmes multinationales, Tunisie
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
96
KEYWORDS: HRM, competencies management, technical and behavioural competencies,
multinational companies, Tunisia
INTRODUCTION
Les firmes multinationales sont des acteurs
au cœur de la globalisation économique.
Elles sont obligées de surveiller leur efficience
mondiale par des politiques fortement centralisées au siège, tout en accordant de la
liberté et de l’autonomie de décision à leurs
filiales implantées dans le monde entier,
afin que celles-ci répondent rapidement aux
contraintes et opportunités locales (Bratlett et
Goshal, 1992). Elles jouent un rôle central
dans l’économie mondiale et soulèvent des
interrogations, tant pour les praticiens (Ghemawat et Hout, 2008) que pour les chercheurs (Hennart, 2009). Le contexte de la
mondialisation oriente les firmes multinationales souvent vers plus de centralisation. Ainsi, les relations entre les sièges et les filiales
sont devenues plus compliquées (Jaussaud et
Schaaper, 2006).
Le terrain tunisien est propice pour étudier
les firmes multinationales parce qu’elles y
implantent des filiales. L’émergence des pays
du Tiers-Monde a contribué largement à la
croissance économique mondiale. Selon
le Forum DAVOS 2010-2011, la Tunisie se
classe premier pays africain en compétitivité
alors qu’au niveau mondial la Tunisie est au
32e rang en devançant plusieurs pays européens. Aussi, avec la multiplication rapide
d’implantations dans le monde entier, les
firmes multinationales envoient de plus en
plus d’expatriés dans le monde entier. Or,
cette politique d’expatriation coûte cher alors
qu’elle ne produit pas toujours les effets souhaités (Black, Mendenhall et Oddou 1991 ;
Latta, 1999 ; Tung, 1981). En plus, les candidats à l’expatriation commencent à manquer,
principalement dans les pays où la qualité de
vie est inférieure à leur pays d’origine ou à
cause des contraintes familiales. C’est pourquoi les firmes multinationales transfèrent de
plus en plus des postes à responsabilité à des
managers locaux (Fayol-Song, 2011 ; Kühlmann et Hutchings, 2009 ; Lam et Yeung,
2010 ; Wong et Law, 1999). C’est le cas en
Tunisie. Il se pose ainsi la question du développement des compétences au niveau des
managers tunisiens. Il est, de ce fait, primordial d’étudier la gestion et le développement
des compétences dans les firmes multinationales en Tunisie.
La compétence comporte plusieurs dimensions. Elle découle d’une interaction entre le
savoir, le savoir-faire et le savoir-être (Durand,
2000). Quant à la gestion des compétences,
c’est un ensemble de pratiques qui ont pour
objectif la détection, la gestion et le développement des compétences du personnel. Cette
méthode de gestion du personnel vise l’individu comme un moyen de performance. Elle
s’est développée, depuis les années 90, au
sein de la Gestion des Ressources Humaines
(GRH) des entreprises et se trouve désormais
au cœur des stratégies de GRH des entreprises multinationales.
Etant donné l’importance du terrain tunisien
pour les firmes multinationales et leur besoin
d’y transférer des responsabilités à des managers locaux, nous nous intéressons aux politiques de développement des compétences
mises en place par ces firmes. D’où notre
question de recherche : Quelles sont les pratiques de GRH que les firmes multinationales
mettent en place en vue de développer les
compétences des collaborateurs tunisiens ?
Pour répondre à cette question de recherche,
nous avons suivi une méthodologie qualitative. Nous avons effectué, entre 2008 et
97
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de la gestion des compétences dans
les multinationales en Tunisie
2009, des entretiens avec des responsables
de quatre filiales de multinationales en Tunisie. Un guide d’entretien semi-directif a été
construit pour cette recherche. Les résultats
démontrent l’existence de cinq pratiques de
GRH, parmi les sept identifiées dans la littérature, au sein des entreprises étudiées. Les
quatre entreprises de notre échantillon, malgré leur importance dans l’économie tunisienne, présentent cependant des stratégies
de GRH différentes.
Nous commencerons, dans une première
partie, par présenter la gestion des compétences ainsi que ses différentes dimensions.
Ensuite, nous expliquons notre méthodologie
qualitative et le traitement des données collectées au cours de nos interviews. Ensuite,
nous exposerons l’analyse des données et
les résultats obtenus. Nous identifions cinq
pratiques de GRH qui sont mises en œuvre
dans les filiales des firmes multinationales de
notre échantillon. Il s’agit de la description
des fonctions et des compétences, le recrutement, l’évaluation, la formation et la gestion
des carrières. Nous distinguons deux entreprises de notre échantillon qui gèrent leur
personnel à travers une gestion des compétences, une entreprise qui gère leur personnel
à travers une gestion purement administrative
et, enfin, une entreprise qui gère leur personnel à travers une gestion administrative des
compétences.
1. Les pratiques
de la gestion des
compétences
La compétence est une ressource immatérielle. Il est indispensable de la définir afin de
mieux cerner la gestion des compétences. La
notion de compétence découle d’une interaction entre le savoir, le savoir-faire et le savoir-
être (Durand, 2000). Le savoir est représenté
par les connaissances ; le savoir-faire, c’est
la capacité à réaliser une opération avec
succès ; le savoir-être, c’est un ensemble
de construits sociaux et de comportements
humains. Igalens et Scouarnec (2001) proposent trois dimensions de la compétence :
une dimension individuelle, qui est la source
de la performance organisationnelle ; une
dimension cognitive, qui permet l’analyse, le
traitement et l’acquisition d’informations et,
enfin, une troisième dimension sociale, qui
est une construction à partir du vécu social
de l’individu. Selon Schiller (1998), la compétence est une combinaison de connaissances (savoir) et de pratiques (savoir-faire)
dont l’évaluation s’effectue par la mesure de
la performance.
La gestion des compétences est un ensemble de pratiques qui ont pour objectif la
détection, la gestion et le développement des
compétences d’une entreprise. Elle cible l’individu au sein d’une organisation. Pichault et
Nizet (2000) parlent de « modèle individualisant », qui est centré sur les compétences
à tous niveaux : l’évaluation et la rémunération des salariés, la formation et la gestion
prévisionnelle des compétences axée sur le
développement de l’employabilité. Colin et
Grasser (2003) précisent qu’une entreprise
sera considérée comme faisant de la gestion
des compétences lorsqu’il y a un lien entre
les résultats de l’évaluation périodique d’un
salarié et sa formation, d’une part, et sa promotion, d’autre part.
Parlier (2005) distingue quatre modèles
de la gestion des compétences : l’usage des
compétences, l’affectation des compétences,
le développement des compétences et le
management par les compétences. En 2002,
Gunia constate que la GRH s’attribue de nouvelles fonctions, sans négliger les fonctions
plus classiques, que sont l’administration, la
L’analyse qui suit a été présentée lors d’un colloque sur le management Bancaire à l’IAE de Tours avec Salam Alburaki - Gouvernance mutualiste et
gouvernance capitaliste : Deux univers d’organisations bancaire sur le même marché, 2009.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
98
Les pratiques de la gestion des compétences dans
les multinationales en Tunisie
communication, l’information, la motivation,
la gestion des relations professionnelles, les
études, la formation et le développement
social. A partir des travaux de Parlier (2005)
et de Gunia (2002), nous retiendrons, sur la
base de deux axes, quatre modes de gestion
du personnel, détaillés ci-dessous et présentés dans la figure 1. Le premier axe est horizontal et représente l’évolution d’une gestion
administrative des ressources humaines vers
une gestion du développement des compétences individuelles. Il représente négativement la gestion administrative sans de
développement individuel et positivement le
développement individuel. Le second axe est
vertical et représente positivement le développement des compétences comme un moyen
profitable à l’entreprise et au personnel, et
négativement le développement des compétences qui profite uniquement à l’entreprise.
Ainsi, nous identifions quatre types de gestion
des compétences.
2) La gestion administrative des compétences (- +) correspond à une utilisation des
compétences des collaborateurs. Bien que
celles-ci soient gérées administrativement,
l’entreprise et le salarié sont gagnants dans
cette relation. Ce cas de figure ne prévoit
pas une véritable gestion des compétences
ni de pratiques totalement consacrées au
développement des compétences. Malgré
l’absence d’une véritable gestion des compétences au sein de l’entreprise, la compétence joue un rôle important et la direction
lui donne de la valeur.
3) La gestion vers les compétences (+
-) correspond à un investissement dans le
développement des compétences de la
part de l’entreprise en mettant l’accent sur
la Gestion Prévisionnelle des Emplois et
des Compétences (GPEC), la formation, la
politique sociale, etc. Cependant, ce type
de gestion profite plus à l’entreprise qu’au
salarié.
4) La gestion des compétences (+ +)
1) La gestion purement administrative des correspond à un développement individuel
ressources humaines (- -) correspond à l’ab- dans une optique de performance organisence de développement individuel des com- sationnelle. Cette gestion est doublement
pétences. Cette gestion des compétences est positive au sens d’une gestion des compédoublement négative. Elle profite uniquement tences. Ici, le développement des compéà l’entreprise et ne prévoit pas de développe- tences est profitable autant pour l’entreprise
ment des potentiels humains.
que pour l’ensemble des collaborateurs.
Figure 1 : Identification de la gestion des compétences
99
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de la gestion des compétences dans
les multinationales en Tunisie
Ces quatre zones permettront d’identifier
la nature de la gestion des compétences mise
en œuvre par les multinationales étudiées. Il
est primordial d’étudier les différentes pratiques liées à la gestion des compétences
afin d’identifier la stratégie des ressources
humaines des entreprises. En ce sens, Parlier
(1996) présente la gestion des compétences
comme une stratégie globale, composée
d’un ensemble de pratiques spécifiques à
une entreprise. En vue d’une véritable gestion de développement des compétences des
collaborateurs, un certain nombre d’auteurs
définissent différentes pratiques de GRH.
Youndt, et al. (1996) par exemple identifient
comme pratiques le recrutement, la formation, l’évaluation de la performance et la rémunération. Huselid (1995) pour sa part voit
comme pratiques la sélection du personnel,
l’évaluation du rendement, la rémunération
incitative, la conception des tâches, les procédures de règlement des réclamations, le
partage de l’information, l’évaluation de
l’attitude, le travail de gestion participative,
l’intensité des efforts de recrutement, la formation et la promotion. Igalens et Scouarnec (2001) déterminent comme pratiques le
recrutement, l’évaluation, la formation, la
carrière, la rémunération et l’organisation
du travail. Le Boterf (2000) propose comme
pratiques de GRH pour développer les compétences le référentiel, le recrutement, la
mobilité interne, la relation sociale, l’organisation du travail, la rémunération des
compétences réelles, le processus et projets
opérationnels, la délégation et une proximité
importante, le plan de formation, la communication interne, l’évaluation et l’autonomie.
Berio et Harzallah (2007) décomposent
la gestion des compétences en plusieurs
séquences : l’identification, l’évaluation,
l’acquisition et l’usage des compétences.
Zarifian (2000) décrit la gestion « par les
compétences » comme un système qui
donne plus d’autonomie aux salariés.
A travers de la revue de la littérature académique, plusieurs pratiques de GRH de gestion de compétences sont repérées plusieurs
fois, que nous résumons dans le tableau 1.
Au cours de cette recherche, les pratiques de
GRH les plus mentionnées seront étudiées en
y incluant les pratiques les plus connues que
sont la rémunération par les compétences et
l’autonomie des employés.
Tableau 1 : Synthèse des pratiques de GRH pour développer la gestion des compétences
Auteur Huselid Youndt, Le Boterf Zarifian
(1995)
et al. (2000)
(2000)
Pratiques
(1996)
Référentiel
Igalens et
Scouarnec
(2001)
X
X
Recrutement
X
X
X
X
Évaluation
X
X
X
X
Formation
X
X
X
X
Rémunération
X
X
X
X
Carrières
X
X
X
Autonomie
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
X
100
Berio et
Harzallah
(2007)
X
X
Les pratiques de la gestion des compétences dans
les multinationales en Tunisie
Pour notre étude empirique, sur la base de
la littérature et le tableau de synthèse, nous
étudions sept pratiques de la gestion des
compétences soit la description de fonction
et des compétences (ou référentiel), la rémunération, la formation, l’évaluation, la gestion des carrières, le recrutement et l’autonomie. Ci-dessous nous détaillons chacune
des pratiques de GRH retenues.
- Description des fonctions et des compétences (référentiel). Selon Oiry (2004),
les réflexions sur une gestion par les compétences passent obligatoirement par le
référentiel des compétences. Ce référentiel
permet d’identifier et de comparer les compétences requises pour un emploi avec les
compétences acquises d’un collaborateur.
Cette pratique est réalisée avec beaucoup
d’objectivité et nécessite une dynamique
à travers l’évolution de l’emploi concerné
(Oiry et Sulzer, 2002).
- Rémunération par les compétences. La
rémunération devrait se fixer par rapport aux
compétences de l’employé et non pas par
rapport au poste de travail qu’il occupe ou
autres critères comme l’ancienneté. La rémunération par les compétences doit être la priorité des entreprises poursuivant une stratégie
de qualité (Zarifian, 1999 ; Lawler, 1990).
- Formation. La formation est un atout
d’apprentissage et d’évolution professionnelle. Au plan stratégique, la formation joue
un rôle primordial pour développer un “capital de compétence” (Rivard 2000).
- Evaluation. Le système d’évaluation est
un outil permettant la confrontation des
salariés à leurs compétences acquises et à
celles qui sont à développer dans le futur.
Cette évaluation se base sur des entretiens,
dans la plupart des cas entre le salarié et
son supérieur hiérarchique, et est en géné-
ral annuelle. Selon Levy-Leboyer (2002) et
Layole (1996), l’évaluation a deux objectifs
principaux : elle permet d’abord de dialoguer sur les résultats et le bilan annuel ; puis
c’est également un outil de mesure des compétences des collaborateurs à l’issu d’une
auto-évaluation.
- Gestion des carrières. Selon Colin et
Grassier (2003), la gestion des compétences doit accorder une place importante
à la qualification, à la classification et à la
carrière. Un plan de carrière individuel apporte une idée sur les compétences futures
à acquérir.
- Recrutement. Geffroy et Tijou (2002)
considèrent que les pratiques de la gestion
des compétences poursuivent trois finalités
que sont d’abord la gestion des carrières et
la mobilité interne des salariés ; ensuite, la
formation et le développement personnel et,
enfin, le recrutement. Le processus de recrutement doit prendre en considération les dimensions de la compétence des candidats.
Chung-Herrer et al. (2003) précisent que
des critères comme la manière et le comportement pour réaliser un travail doivent
intégrer les critères de la performance lors
du recrutement.
- Autonomie. Zarifian (2000) précise que
la compétence est fortement requise dans
les nouvelles formes organisationnelles en
apportant de l’initiative et de l’autonomie
au personnel. La responsabilité des salariés
ne se limite plus aux résultats des processus
mais également aux conditions d’exercice,
comme la compréhension des situations à
traiter, et au pilotage, soit l’autonomie relative, et l’arbitrage (Yahiaoui, 1999).
Nous présenterons ci-dessous un tableau
qui résume les sept pratiques étudiées :
101
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de la gestion des compétences dans
les multinationales en Tunisie
Tableau 2 : Présentation des sept pratiques de la gestion des compétences
Pratiques
Détails
Auteurs
Description des fonctions et des compétences (référentiel)
Identifier et comparer les compétences requises et
acquises. Grilles et fiches de poste.
Oiry (2004) ;
Oiry et Sulzer (2002)
Rémunération par les
compétences
Rémunérer par les compétences est la base d’une
stratégie de qualité.
Zarifian (1999) ;
Lawler (1990)
Formation
Planifier les formations futures. Développer un
capital de compétences.
Rivard (2000)
Evaluation
Se baser sur un entretien annuel.
Aborder les résultats et les compétences.
Levy-Leboyer (2002) ;
Layole (1996)
Gestion des carrières
Un plan de carrière individuel.
Performance et compétences.
Colin et Grassier (2003)
Recrutement
Réaliser un meilleur recrutement pour une gestion
des compétences.
Recruter sur la base de travail en équipe, de connaissances, de performance et de comportement
Geffroy et Tijou (2002) ;
Chung-Herrer et al. (2003)
Autonomie
Attribuer plus d’initiative et d’autonomie aux salariés
Zarifian (2000) ;
Yahiaoui (1999)
L’ensemble des sept pratiques cohérentes
et complémentaires permet aux entreprises
de mettre en place une gestion des compétences. Chaque pratique contribue au développement des compétences, considérées
comme un ensemble de savoirs, savoirs-être
et savoirs-faire.
2. Méthodologie
La démarche qualitative retenue pour cette
recherche s’explique par plusieurs raisons.
Ce choix prend en compte la complexité
du terme compétence et des techniques de
gestion du personnel. Cette décision se base
également sur le but de comprendre et d’expliquer la compétence au sein de chacune
des sept pratiques étudiées. Les recherches
sur la compétence et les études interprétatives qui ont été effectuées, telles que les travaux de Benner (1986), ou de Schon (1983),
suggèrent que la compétence dépend du
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
102
contexte. De ce fait, une méthodologie qualitative, basée sur des entretiens semi-directifs,
permettra de comprendre le contexte où évoluent les pratiques de la gestion des compétences, et le rôle que joue la compétence au
sein de chaque pratique GRH.
Les données ont été collectées à partir d’entretiens semi-directifs entre 2008 et 2009 sur
la base d’un guide d’entretien. Chaque entretien débute par une présentation générale
de l’entreprise. Ensuite, le dialogue s’oriente
vers la gestion des ressources humaines ainsi
que vers les moyens structurels et technologiques utilisés pour la gestion du personnel.
Enfin, nous avons entrepris la discussion des
sept pratiques choisies pour cette recherche.
Chaque pratique a fait l’objet d’une discussion à part entière.
Nous avons ciblé les filiales de quatre multinationales, dont deux dans le secteur pétrolier,
une dans le secteur électronique et une dans
Les pratiques de la gestion des compétences dans
les multinationales en Tunisie
le secteur de l’automobile. L’entreprise ’A’, qui
emploie plus de 50 000 collaborateurs, est
un groupe américain dans le secteur pétrolier.
L’entreprise ’B’, qui emploie plus de 150 000
collaborateurs, est un groupe français qui
opère également dans le secteur pétrolier. Les
deux autres entreprises ont beaucoup moins
de personnel. La première, l’entreprise ’C’,
est dans le secteur de l’électronique avec 3
500 collaborateurs ; la seconde, l’entreprise
’D’, est dans le secteur de l’automobile et
emploie à peu près 500 salariés.
Au cours des entretiens, nous avons interrogé deux Directeurs des Ressources Humaines, un responsable du développement
interne et un auditeur. Les données collectées ont été traitées suivant la méthode de
l’analyse de contenu thématique en deux
étapes. Les entretiens ont été retranscrits
dans une grille d’analyse de contenu thématique, dans laquelle chaque colonne
représente un entretien et chaque ligne une
question ou sous-question du guide d’entretien. Dans un premier temps, l’ensemble
des discours a été redistribué intégralement
dans les cases de cette grille d’analyse. Ensuite, les contenus des cases ont été codés,
c’est-à-dire réduits à des mots-clés ou à de
courtes phrases synthétiques (Miles et Huberman, 1994, p. 56). Ce codage a servi
à identifier les dimensions clés des discours,
soit en prolongement direct des thèmes du
guide d’entretien, donc fondés sur la littérature académique, soit en émergence pure
à partir des points abordés et des explications fournies par les répondants (EasterbySmith et al., 2008, p. 73). Nous présentons
dans un premier temps les résultats cas par
cas. Une analyse des quatre multinationales
donnera des informations pertinentes sur la
gestion des compétences au sein de chacune d’elles. Ensuite, nous discuterons les
résultats avec une analyse transversale des
différentes pratiques de notre étude.
3. Résultats
Le choix des quatre multinationales s’est
effectué suivant leur classement en Tunisie.
Elles sont classées parmi les treize meilleures
entreprises en Tunisie selon l’Économiste Maghreb 2009. Les sept pratiques de GRH retenues pour notre recherche ont été étudiées au
sein de ces quatre filiales. Nous présenterons
les quatre cas étudiés afin de déterminer leur
mode de gestion des compétences.
Multinationale A : Groupe
pétrolier
La multinationale ’A’ a implanté un programme de développement humain. Sa gestion des ressources humaines est imposée
par la maison mère et très contrôlée par le
siège régional Afrique. Le groupe a mis en
place un Système Informatisé des Ressources
Humaines (SIRH) avec un module de gestion
des compétences. Ce SIRH est développé
spécifiquement pour le groupe et intègre
toutes les filiales dans le monde. La gestion
des compétences est ainsi structurée et imposée par la maison mère. La première pratique
de notre étude, la description des fonctions
et des compétences est réalisée en Tunisie.
En revanche, l’analyse est effectuée au siège
Afrique, et non à Tunis, par deux experts
spécialisés de la méthode Hays, très connue
dans le monde de la GRH.
Le recrutement est également contrôlé par
le siège régional Afrique. La filiale tunisienne
réalise la sélection du candidat et transfère
sa demande à travers le SIRH au siège régional. Ce dernier valide, ou non, le recrutement ainsi que la rémunération. Lors de la
sélection des candidats, la multinationale recherche les compétences relationnelles et la
volonté de réussite au travail. Le recrutement
s’effectue selon deux logiques. D’abord,
103
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de la gestion des compétences dans
les multinationales en Tunisie
l’entreprise privilégie un recrutement interne
; si un candidat interne n’est pas trouvé, un
recrutement externe est réalisé. Selon l’interlocuteur : « les critères et la procédure de recrutement en interne sont semblables à ceux
d’un recrutement externe ». Il précise que «
lors d’un recrutement interne, les exigences
sont aussi élevées que lors d’un recrutement
externe. On ne favorise pas le recrutement
par connaissance ou par affinité ».
Dans le but d’évaluer le personnel, le
groupe a instauré l’évaluation 360° et l’autoévaluation. La première technique permet
d’évaluer à la fois le collaborateur par son
supérieur et le supérieur par son collaborateur. Au sein du groupe ’A’, il existe deux
entretiens d’évaluation chaque année. Le
premier évalue uniquement la performance
au milieu de l’année, tandis que le second
évalue la performance et la compétence à la
fin de l’année. L’évaluation a comme objectif la réalisation d’un plan de formation, la
négociation de la rémunération ainsi que la
mobilité interne et la gestion des carrières.
Pour toute évolution professionnelle ou augmentation de la rétribution, la multinationale
en Tunisie prend en considération la performance, l’ancienneté et l’expérience ainsi que
les compétences relationnelles. Au cours de
l’entretien d’évaluation, une discussion sur
l’évolution des compétences du collaborateur
aboutit sur un plan de formation annuel. Ce
plan a pour objectif de réduire l’écart entre
les compétences requises pour un emploi et
les compétences acquises par le collaborateur. Au sein de la filiale tunisienne, les formations sont davantage orientées, vers des
formations techniques plutôt que comportementales. Enfin, le groupe a mis en place
un club sportif pour l’ensemble des collaborateurs et leurs familles. Le bien-être du personnel est primordial pour la performance du
groupe, c’est ce qu’a confié l’interviewé au
cours de notre entretien.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
104
L’entreprise ’A’ favorise, au sein de sa filiale
en Tunisie, la mobilité interne et l’encourage
auprès du personnel. Selon l’interviewé, cette
mobilité permet un développement des compétences du personnel et elle lui apporte un
nouveau regard sur un autre métier. Notre
interlocuteur explique « On investit beaucoup pour nos salariés dans la formation ; le
bien-être et la rémunération, nous souhaitons
les garder, c’est pour cette raison que nous
faisons des enquêtes salariales en Tunisie et
qu’on se positionne parmi les meilleurs salaires en Tunisie ». Malgré le fort intérêt envers l’individu, la direction, principalement la
maison mère, exerce cependant un contrôle
strict afin de diminuer le degré d’autonomie
et d’initiative des employés. L’interviewé précise que la fragilité du secteur n’autorise pas
une grande initiative des collaborateurs : « la
moindre erreur grave peut amener une crise
interne et financière importante, c’est ce que
nous voulons éviter ».
Multinationale B : Groupe
pétrolier
Le groupe ’B’ a plus de 150 000 collaborateurs en Tunisie. Afin de gérer l’ensemble des
collaborateurs, la direction a implanté un Système Informatisé des Ressources Humaines,
lequel intègre un module compétence. Ce
système a pour vocation de gérer l’administration du personnel et la gestion des compétences de celui-ci. A la différence du premier
cas, l’entreprise ’B’ gère elle-même les ressources humaines. La maison mère en France
n’intervient pas systématiquement dans les
décisions et les analyses de compétences.
Les fiches de fonction et les grilles de compétences permettent à la direction de mieux
évaluer les savoirs-faire et les savoirs-être des
employés. Cette étape, élaborée et réalisée
au sein de la filiale tunisienne, aboutit sur la
mise en place des plans de formations individuelles et collectives.
Les pratiques de la gestion des compétences dans
les multinationales en Tunisie
La filiale pétrolière en Tunisie vise lors de
son processus de recrutement à détecter et
à recruter les candidats les plus compétents.
L’entreprise recherche les compétences
techniques liées au travail à effectuer ainsi
que les compétences comportementales.
Selon le DRH, « les diplômes sont importants pour bien cibler un candidat, mais
le plus important par la suite, ce sont les
capacités » à tirer de celui-ci pour la performance de l’entreprise.
Au cours de notre entretien, d’autres pratiques retenues pour cette recherche ont été
abordées. Par exemple, l’évaluation est un
outil très important pour cette firme multinationale. Elle permet de gérer les compétences
individuelles. De même que l’entreprise ’A’, il
y a une fréquence de deux entretiens par an.
L’interviewé évoque que « le premier entretien individuel évalue la performance et les
problèmes rencontrés au travail. Le second
entretien a pour objectif d’évaluer la performance et les compétences de chaque collaborateur ». L’évaluation ne se réalise pas,
comme le premier cas, dans les deux sens.
La direction pratique l’autoévaluation ainsi
que l’évaluation des collaborateurs par leur
supérieur hiérarchique. Ces éléments d’évaluation sont regroupés et apportés lors de
l’entretien d’évaluation entre le collaborateur et son supérieur. Selon l’interlocuteur,
l’entretien d’évaluation se déroule habituellement dans une ambiance « décontractée
et relâchée ». Cette pratique d’évaluation
permet de mettre en place un plan de formation, de négocier le salaire, d’établir un plan
de carrière et de discuter des opportunités
de mobilité interne. Le développement des
compétences est conduit par un plan de formation et de mobilité interne. Les formations
sont plutôt de nature technique, liées directement au travail. Les formations managériales sont réservées aux managers d’équipe
et à la direction. Cependant, les formations
comportementales sont peu développées
dans cette filiale. Au niveau de la pratique
de la rémunération, celle-ci est négociée
annuellement lors de l’entretien d’évaluation
de fin d’année. L’augmentation éventuelle
de la rémunération dépend, selon le DRH, «
de la performance ainsi que de l’échelon de
chaque collaborateur ».
Elle est basée sur une grille de rémunération préétablie. De ce fait, la négociation est
très limitée et elle ne porte pas sur les compétences. Dans une stratégie de motivation
et de développement des compétences, la
direction de cette filiale pétrolière en Tunisie
encourage massivement la mobilité interne.
Le DRH a confié que, lors de la signature du
contrat, l’ensemble des recrutés s’engage à
changer de poste ou de département si c’est
nécessaire. Par exemple, le DRH était dans la
direction commerciale et a travaillé dans plusieurs postes dans différents départements.
Cette mobilité interne entre différents services
et emplois au sein de l’entreprise favorise le
développement des compétences professionnelles des employés. Notre analyse des données montre que cette multinationale ’B’ a
mis en place une gestion des compétences,
selon nos quatre modes de gestion du personnel. Cette gestion est composée de différentes pratiques de GRH, dont la description
des fonctions et des compétences, le recrutement, l’évaluation, les plans de formation et
la mobilité interne. Cependant, la rémunération est exercée suivant une grille prédéfinie.
Elle ne suit pas les principes de la gestion
des compétences du fait qu’elle ne porte pas
sur les dimensions de la compétence. De la
même manière que la multinationale ’A’, la
multinationale ’B’ cherche à recruter les meilleurs employés et à être parmi les 25% des
entreprises tunisiennes qui payent le mieux
ses collaborateurs. L’objectif est de détecter,
de recruter et de fidéliser les collaborateurs
les plus compétents.
105
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de la gestion des compétences dans
les multinationales en Tunisie
Multinationale C : Entreprise
électronique
Cette entreprise de 3500 collaborateurs a
implanté un système d’information de gestion administrative des ressources humaines.
Alors que le DRH souligne l’importance des
capacités individuelles, la direction n’a pas
investi dans un module “compétence”. La
direction des ressources humaines, avec la
participation des autres directions, a mis en
place des fiches de fonction. La synthèse de
ces fiches n’est effectuée que pour les fonctions de directeur et de manager. Une grille
des compétences est remplie par les collaborateurs et archivée.
Pour ce qui est de la pratique du recrutement, la direction privilégie de détecter les
compétences de communication et la polyvalence des candidats. L’avantage d’une
telle démarche est d’identifier les personnes
polyvalentes pour une éventuelle mobilité et
des besoins internes de l’entreprise. Les compétences de communication sont indispensables, selon le DRH, pour échanger correctement avec la maison mère. Les différentes
dimensions de la compétence (savoir, savoirfaire et savoir-être) sont peu présentes dans le
processus de recrutement.
De même que pour les deux premiers cas,
l’évaluation des salariés est importante au
sein de cette entreprise. Cependant, elle n’est
pratiquée qu’une seule fois par an, à la fin de
l’année sur la base d’un entretien individuel
entre le salarié et son supérieur hiérarchique.
Cette multinationale n’a pas mis en place
l’autoévaluation. Le directeur des ressources
humaines a précisé que l’objectif de l’évaluation est de « mesurer la performance et la
qualification individuelles ». Au cours de l’entretien de l’évaluation, les deux parties n’établissent pas un plan de formation ou un plan
de carrière. La direction utilise le plan de suc-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
106
cession de développement des compétences,
qui établit des formations pour d’éventuelles
promotions futures.
La rémunération, comme pour les autres
cas, est basée sur une grille de salaires et est
fixée à l’avance avec une petite fourchette de
négociation selon les résultats. Les compétences sont peu intégrées dans le processus
de la rémunération. Au niveau de la gestion
des carrières, la compétence n’a pas d’importance. L’opportunité d’évolution ou de
mobilité interne souhaitée par l’individu est
tributaire uniquement de son ancienneté au
sein de l’entreprise. La notion de compétence
est donc inexistante.
Le DRH, que nous avons interviewé, précise
que la pratique de la gestion des carrières est
en cours d’évolution afin d’intégrer davantage la notion de compétence. Concernant
l’autonomie des salariés, elle est inexistante
comme pour les deux multinationales ’A’ et
’B’. En effet, les procédures prennent une
place importante et l’initiative individuelle est
peu appréciée.
Cette multinationale donne de l’intérêt à la
compétence et à son développement. Cependant, les pratiques que nous avons étudiées
n’intègrent pas toutes les dimensions de la
compétence pour que nous puissions dire que
cette entreprise fait réellement de la gestion
des compétences. L’existence de formation
professionnelle et d’une gestion efficace du
personnel permet de conclure que les collaborateurs profitent de cette gestion pour développer leurs compétences. Cependant, le
manque de gestion des carrières et d’analyse
des fiches de fonctions montre que la gestion
individuelle n’est pas très développée. Cette
entreprise se trouve dans notre seconde zone
de gestion du personnel, à savoir la gestion
administrative des compétences.
Les pratiques de la gestion des compétences dans
les multinationales en Tunisie
Multinationale D : Entreprise
d’automobile
Le dernier cas que nous allons présenter
est une entreprise de 500 collaborateurs. La
filiale tunisienne a mis en place un logiciel de
planification des ressources de l’entreprise ou
Enterprise Resource Planning (ERP). Cependant, l’interviewé considère que l’ERP est peu
utilisé par rapport à ses possibilités. Au niveau
des ressources humaines, l’outil informatique
est utilisé seulement pour la gestion administrative du personnel. Au niveau des pratiques
étudiées, l’auditeur de la société a élaboré,
deux ans avant notre entretien, un modèle de
fiche de poste pour l’ensemble du personnel.
Ces fiches de poste collectées n’ont jamais
été analysées et la direction n’a pas identifié
ni les compétences requises par les emplois
ni celles acquises par les employés permettant de mettre en place un plan de formation.
La détection des capacités individuelles
n’est pas une priorité stratégique de la direction. Nous remarquons cette stratégie dès le
début, au niveau du recrutement. Celui-ci est
centré sur les diplômes obtenus et le niveau
d’expérience des candidats. Les différentes
dimensions de la compétence ne sont pas des
critères de recrutement. La pratique de recrutement ne fait donc pas partie d’une gestion
des compétences pour cette multinationale.
A la différence des trois cas précédemment
étudiés, l’évaluation des collaborateurs de
cette entreprise ne se fonde pas sur un entretien individuel. L’outil utilisé est une fiche
d’évaluation que le supérieur hiérarchique
remplit et que le directeur des ressources
humaines valide. L’interviewé déclare que
l’évaluation est très subjective. Il n’y a pas de
critères définis mais seulement l’appréciation
et la relation que le supérieur hiérarchique a
avec ses subordonnés. Cette évaluation est
effectuée une fois par an. Elle ne donne pas
lieu à un plan de formation ou à un plan de
carrière, ni à une négociation de la rémunération. Par ailleurs, l’autonomie est peu autorisée, comme dans les autres cas étudiés.
Nous remarquons que la direction de cette
entreprise n’est pas très portée vers la détection, la gestion et le développement des compétences. Par conséquent, cette entreprise est
dans la zone de la gestion purement administrative de ses ressources humaines. Après ces
quatre études de cas, nous discuterons les
résultats de manière transversale pour chacune des sept pratiques étudiées.
4. Discussion
Selon nos observations des quatre cas, les
deux entreprises pétrolières ont implanté une
gestion des compétences. Ces deux entreprises ont un nombre de collaborateurs très
important, plus de 50 000 pour l’une et de
150 000 pour l’autre. Les deux autres multinationales que nous avons étudiées n’ont pas
mis en place une gestion des compétences
Elles gèrent leur personnel différemment.
Les deux entreprises pétrolières ont une
gestion des compétences similaires au niveau
des pratiques. Leur gestion des compétences
est composée de la description des fonctions
et des compétences, du recrutement par
les compétences, de l’évaluation avec deux
entretiens annuels, d’un plan de formation
individuel et d’une gestion des carrières individualisée avec un fort encouragement à la
mobilité interne. La gestion des compétences
au sein de ces deux multinationales est donc
composée de cinq pratiques de GRH, parmi
les sept que nous avons identifiées sur la base
de littérature académique.
En revanche, les interviewés de ces deux
entreprises ont déclaré que l’initiative du per-
107
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de la gestion des compétences dans
les multinationales en Tunisie
sonnel n’est pas appréciée. Ceci est dû à la
fragilité de leur secteur d’activité. En effet, le
secteur pétrolier est régi par plusieurs normes
internes et internationales en matière de sécurité et de qualité des produits. Le cas ’A’,
un groupe américain, réalise toutes les deux
semaines un audit des différents entrepôts et
tous les trois à quatre mois un audit complet. L’interlocuteur a déclaré que « la maison
mère préfère perdre de l’argent sur des audits
réguliers au lieu d’avoir un crash financier
lors d’un incident ».
Afin de garder leurs collaborateurs les plus
compétents, les deux entreprises pétrolières
réalisent des études des rémunérations en
Tunisie. Elles se positionnent au niveau des
salaires les plus élevés dans le but d’attirer les
meilleurs candidats et de les fidéliser. Nous
notons que cette pratique de la rémunération
est partiellement intégrée à la gestion des
compétences. Même si les deux entreprises
ne rémunèrent pas par les compétences, elles
valorisent les capacités individuelles par une
rémunération très attractive.
Nous avons codifié les pratiques par des
notations bien définies. Le codage des données a suivi le principe que la compétence
est un ensemble de savoir, savoir-faire et
savoir-être.
- les pratiques où la compétence est identifiée sont notées par « 1 » ;
- les pratiques où la compétence n’est pas
identifiée sont notées par « 0 » ;
- les pratiques où au moins une dimension
de la compétence est identifiée sont notées
par « 0,5 ».
Tableau 3 : Présentation des résultats des pratiques de la gestion des compétences
Etreprise
Auteurs
Description
fonctions &
compétences
Recrutement
Evaluation
Formation
Carrière
Rémunération
Autonomie
Conclusion
A
Pétrolier
1
1
1
1
1
0,5
0
Gestion des compétences
B
Pétrolier
1
1
1
1
1
0,5
0
Gestion des compétences
C
Électronique
0,5
0,5
0,5
0,5
0
0
0
GRH administrative des compétences
D
Automobile
0
0
0
0
0,5
0
0
GRH purement administrative
Les pratiques observées sont classées dans
l’ordre (de droite à gauche) selon l’importance de la compétence au sein de celle-ci.
L’objectif d’un tel classement est de comprendre l’importance de chaque pratique
dans la détection, la gestion et le développement des compétences. Nous remarquerons
que la gestion des compétences des multinationales en Tunisie est pour l’essentiel composée de cinq pratiques de GRH, parmi un
ensemble des sept, qui seront revues chacune
ci-dessous.
- Description des fonctions et des
compétences. Il s’agit d’une pratique utilisée par les entreprises afin de détecter les
compétences requises pour un emploi et les
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
108
compétences acquises par un salarié. Les
firmes multinationales ’A’ et ’B’ utilisent cet
outil de manière appropriée y compris l’analyse nécessaire pour une meilleure détection
et développement des compétences. Cette
pratique est moyennement utilisée par l’entreprise ’C’. Cependant, pour l’ensemble des
postes de travail, elle ne procède pas à une
analyse des écarts de compétences afin de
les réduire. Les grilles et les fiches de compétences de l’entreprise ’D’ ne font pas l’objet
d’une analyse et elles sont standards à l’ensemble des postes.
- Recrutement. Les firmes étudiées sont
à la recherche de plus en plus de compétences spécifiques. Les deux firmes pétrolières
recherchent des candidats avec un potentiel
Les pratiques de la gestion des compétences dans
les multinationales en Tunisie
d’adaptation, de comportement et de performance. L’entreprise ’C’ privilégie la polyvalence aux compétences de travail et aux
connaissances. L’entreprise ’D’ a des critères
de recrutement liés aux diplômes et aux pistons, qui sont des méthodes qui n’ont rien à
voir avec une gestion de compétences.
- Evaluation. La pratique de l’évaluation
est basée sur un entretien individuel, qui est
effectué deux fois par an pour les deux entreprises pétrolières et une fois par an pour
l’entreprise de l’électronique. Cette pratique
consiste à évaluer la performance et le comportement pour les entreprises ’A’ et ’B’. L’entreprise ’C’ évalue seulement la performance.
Enfin, elle est basée sur l’appréciation subjective du salarié pour l’entreprise ’D’.
- Formation. Cette pratique consiste
à fixer un plan de formation, qui résulte de
l’évaluation individuelle pour les deux firmes
pétrolières. Les formations sont plutôt techniques que comportementales. Nous remarquons une absence d’un plan de formation
formel pour l’entreprise ’C’ de même qu’un
manque important au sein de l’entreprise ’D’
d’une réelle stratégie de formation professionnelle.
- Gestion des carrières. Les firmes
pétrolières ’A’ et ’B’ se caractérisent par une
bonne gestion des carrières des employés
tunisiens. L’évolution professionnelle est basée sur la performance au travail et l’attitude
des collaborateurs. Les deux entreprises favorisent également la mobilité interne afin de
développer les compétences individuelles.
Au contraire, les entreprises ’C’ et ’D’ n’ont
pas mis en place une gestion des carrières au
sens d’une gestion des compétences. L’évolution des carrières dans ces deux entreprises
s’effectue principalement sur l’ancienneté.
En revanche, deux pratiques qui, selon la
littérature, font habituellement partie d’un
ensemble en vue d’une gestion de compétences ne sont pas implantées par les firmes
multinationales de notre échantillon, à savoir
la rémunération et l’autonomie du personnel.
- Rémunération. Dans aucun cas étudié,
la pratique GRH de rétribution des collaborateurs est basée sur les compétences. Pour les
quatre entreprises, elle est au contraire basée sur une grille préétablie par la direction.
Cependant, les deux entreprises pétrolières se
positionnent parmi les salaires les plus élevés
en Tunisie qui leur permet d’attirer des salariés compétents.
- Autonomie. L’ensemble des quatre
firmes multinationales n’encourage pas l’initiative et l’autonomie au travail. La fragilité
des secteurs explique le choix des quatre directions de minimiser l’autonomie des salariés au sein de leur entreprise.
La gestion des compétences, mise en place
par les entreprises étudiées, privilégie les
compétences techniques qui sont directement liées au travail. Les termes comme “la
connaissance” et “le savoir” sont peu mentionnés au cours de nos entretiens. Ce sont
plutôt les termes comme “la performance” et
“le relationnel” qui ont été les plus évoqués.
Les interviewés considèrent que la performance est due en partie au savoir de l’individu. S’il y a performance, il y a certainement
des connaissances individuelles et collectives
acquises. Cette recherche permet d’identifier
les compétences ciblées par les multinationales ayant mis en place une gestion des
compétences. Elle apporte des réponses sur
la question de recherche à savoir quelles pratiques de GRH sont mises en place par les
firmes multinationales en vue de développer
les compétences des collaborateurs tunisiens.
Nous apportons à travers cette recherche une
réponse sur les modes de gestion du personnel au sein des multinationales en Tunisie.
Conclusion
L’objectif de cette étude a été de répondre
à la question de recherche : Quelles sont
les pratiques de GRH mises en place par
les firmes multinationales en vue de développer les compétences des collaborateurs
tunisiens ? Nous avons présenté, en nous
fondant sur la littérature académique, sept
pratiques GRH, que sont la description des
fonctions, le recrutement, l’évaluation, la
formation, la gestion des carrières, la rémunération et l’autonomie.
109
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de la gestion des compétences dans
les multinationales en Tunisie
Ces pratiques contribuent à détecter, à
gérer et à développer les compétences des
salariés. Aussi, sur la base des travaux de
Gunia (2002) et Parlier (2005), nous avons
identifié quatre modes de gestion des compétences du personnel, à savoir la gestion
purement administrative, la gestion administrative des compétences, la gestion vers les
compétences et la gestion des compétences.
Notre démarche s’est basée sur une recherche qualitative avec une étude de quatre
multinationales en Tunisie. Un guide d’entretien semi-directif a permis de collecter les
données nécessaires au cours des entretiens
auprès de deux directeurs des ressources
humaines, un responsable de développement
interne et un auditeur. Parmi les quatre cas
étudiés, les deux grandes multinationales pétrolières ont véritablement mis en place une
gestion des compétences, basée sur cinq pratiques de GRH, que sont la description des
fonctions et des compétences, le recrutement
par les compétences, l’évaluation individuelle, le plan de formation et la gestion des
carrières. En revanche, la rémunération n’est
pas basée sur les compétences. L’autonomie
et l’initiative personnelle sont inexistantes
pour l’ensemble des quatre firmes multinationales. Les deux autres cas, qui sont des multinationales du secteur de l’électronique et de
l’automobile, n’ont pas mis en place une gestion des compétences mais, respectivement,
une gestion administrative des compétences
et une gestion purement administrative.Cette
recherche connaît des limites.
D’abord, il y a la limite liée au nombre
d’entretiens et des cas étudiés. Il est, en
effet, difficile d’accéder aux grandes firmes
multinationales en Tunisie. Ensuite, ce sont
des entreprises très protégées, par crainte
d’espionnage de leurs outils de GRH. Après,
comme il est difficile d’étudier toutes les pratiques de gestion du personnel mentionnées
dans la littérature, nous avons dû faire des
choix. Le choix s’est orienté vers l’étude de
sept pratiques GRH de la gestion des compétences, en excluant peut-être d’autres à
tort. Enfin, nous avons aussi rencontré la dif-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
110
ficulté de connaître a priori les entreprises qui
auraient mis en place une gestion des compétences. En effet, le terrain tunisien n’admet
pas de liste des multinationales ayant mis en
place une gestion des compétences. L’existence d’une telle liste nous aurait permis de
mieux cibler notre échantillon et d’interroger
des firmes multinationales ayant mis en place
cette gestion. Nos résultats, à la lumière des
limites, apportent des perspectives pour des
recherches futures. D’autres multinationales
implantées en Tunisie, et plus généralement
au Maghreb, sont à explorer. La gestion des
compétences est en pleine croissance dans
les pays de l’Afrique du Nord. Nous pourrions donc réaliser une recherche quantitative
sur la base d’un questionnaire détaillé envoyé
à un grand nombre de firmes multinationales
en Tunisie et au Maghreb. Aussi, afin de
mieux connaître les spécificités d’un secteur,
il est utile d’étudier un secteur d’activité bien
déterminé.
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111
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
GRH et Mondialisation : la question de la diffusion
du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie
Khaled TAHARI
Malik MEBARKI
GRECORH-LAREEM
Université d’Oran
Université de LILLE
1- France
RESUME
ABSTRACT
Ce travail se penche sur la question de la
diffusion et/ou de la construction d’un modèle
de gestion performant prenant en charge les
exigences du nouveau contexte institutionnel
d’économie de marché. Cette question est
abordée sous l’angle de la construction ou
déconstruction-reconstruction comme processus de diffusion d’un modèle de GRH point
fondamental dans le changement organisationnel que connaissent les entreprises algériennes
confrontées au changement institutionnel décliné
sous le vocable de transition vers l’économie de
marché qui semble durer. Il s’agit des éléments
institutionnels, organisationnels et culturels qui
structurent les comportements des individus et
groupes. Certains de ces éléments ne relèvent
pas du champ économique même si le champ
économique peut renvoyer à des considérations
culturelles qui le balisent.
In this text, we study the question of the diffusion
and/ or the construction of a new management
model which gives a place to the exigencies of
the new context of an opened economy. We
insist on the institutional, organizational and
cultural dimensions which structure and embed
the change in situation of economic transition
toward a market economy.
By cultural dimension we mean the elements
which guide the behavior of the persons and the
groups not necessary economic elements even if
those ones contribute to structure the firm.
MOTS-CLES:diffusion, modèle de gestion,
culture, entreprise, changement, marché
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
112
KEYWORDS: diffusion, culture, management
model, change, market, firm
INTRODUCTION
Ce travail traite la question de la mondialisation sous l’angle de la construction et/ou de
la déconstruction-reconstruction de la GRH
dans les entreprises en Algérie. La mondialisation, du fait de la mobilité des marchandises et des capitaux et l’émergence d’un
marché de travail qui en découle, fragilise la
position des entreprises existantes. Elle remet
en cause des positions acquises dans des
marchés qui étaient alors protégés. Il s’avère
de ce fait indispensable de développer une
GRH proactive, au moins réactive, avec une
exigence de compétitivité dans un marché de
biens et services qui s’ouvre à l’importation et
aux capitaux étrangers qui viennent s’investir
en Algérie.
Ces entreprises sont obligées d’adapter
leur organisation et leur fonctionnement aux
nouvelles dispositions contextuelles. Dans ce
nouveau contexte d’économie ouverte, l’Etat
opère un changement important dans l’organisation des entreprises publiques et proclame
la nécessité d’une autre culture de management imposant une autre GRH. D’une gestion
administrative des personnels on cherche à
passer à une GRH orientée vers la compétence et la performance (Tahari K. et Mebarki
M., 2009). Une redéfinition de l’entreprise (y
compris l’entreprise publique) et de la gestion
s’opère sur le plan sémantique. Elles sont recentrées sur leur finalité économique comme
objectif qui supplante tous les autres mettant
ainsi au centre des préoccupations de la gestion le respect de la contrainte budgétaire
et des modalités de valorisation du capital.
L’entreprise reconstruit sa vocation originelle
comme lieu de combinaison technique et
surtout de coûts de facteurs de production
en vue d’un revenu différentiel le profit. La
finalité de la gestion, dont la GRH, reste en
dernière instance l’allocation optimale de
ses ressources au centre de laquelle la mobilisation productive du collectif de travail articulée autour de la contrainte de valorisation
du capital . Le nouveau contexte d’économie
ouverte en Algérie, impose de nouvelles exigences pour les entreprises existantes mais
également aux nouveaux entrants potentiels. En effet, la recherche de synergie et
l’obligation de performance économique
poussent les entreprises existantes à transformer et adopter, en les adaptant à leur
contexte d’utilisation, des pratiques de GRH
dont elles pensent qu’elles ont fait la preuve
de leur efficacité économique dans les pays
industriels. C’est ainsi que les grandes entreprises publiques réorganisées en groupes
industriels avec une filialisation des unités
de production adoptent les organes de gouvernance des sociétés anonymes, assemblée
des actionnaires, conseil d’administration et
direction générale, même si le propriétaire
reste exclusivement l’Etat.
En GRH la grande « transformation » (Polanyi K., 1983) a porté sur la contestation
dans les entreprises publiques de la notion
politique uniformisante du « travailleur ». Est
alors entamée la remise en cause de la GSE
(gestion socialiste des entreprises publiques)
et du SGT (statut Général du Travailleur)
par lesquels l’Etat définissait les normes de
structure et de contenu de la relation de travail et les modalités de rémunération. Cette
situation d’externalité du centre de décision,
en tant que centre d’administration au sein
d’organes techniques et politiques en amont
réduisait considérablement les marges de
manœuvre de ces dernières. Un début de
re-contractualisation de la relation d’emploi
« L’entreprise est une organisation de la production dans laquelle on combine les prix des divers facteurs de la production (…) en vue de vendre un bien ou des services
sur le marché, pour obtenir par différence entre deux prix, le plus grand gain monétaire». F.Perroux, société d’économie mixte et système capitaliste, revue d’économie
politique, 1933 p 1279.
113
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
expression d’une tentative de récupération du
pouvoir par les entreprises voit le jour. Les
rémunérations des cadres sont par exemple
de plus en plus objet de négociations individuelles ; par ailleurs les conventions d’entreprises supplantent progressivement les directives de l’administration centrale. Ceux sont là
les prémisses d’un processus de déconstruction reconstruction d’une GRH politique en
situation d’échec dans un grand projet d’une
réforme économique générale pilotée par
l’Etat et ses institutions de gouvernance. Par
ailleurs, les entreprises étrangères, installées
dans le pays depuis le début des années
90 le siècle dernier, essaient de reconstruire
ou de transférer dans leurs nouvelles filiales
algériennes un modèle de gestion considéré
comme économiquement efficace.
prise, sa culture, les conditions du processus
de production, les règles institutionnelles dont
la législation du travail et le droit conventionnel. En réalité, le processus d’hybridation est
le résultante d’une relation dialectique entre
l’entreprise et l’environnement, l’entreprise
étant une organisation structurée mais aussi
structurante de son environnement. Dans ce
texte nous nous proposons de restituer les
modes de GRH dans trois situations différentes. Nous avons opté pour une démarche
méthodologique qui s’appuie sur la collecte
de données par observation auprès de plusieurs cas d’entreprises. Cette posture inductive nous a incités à identifier et retenir un
échantillon de cas représentatifs des situations de GRH dans le contexte de changement institutionnel algérien.
Les entreprises en question sont tentées de
transférer, tout en l’adaptant, le modèle de
GRH de la maison mère lorsqu’il existe, dans
leurs nouvelles unités en Algérie. L’hypothèse
d’une convergence de la GRH et de l’existence d’un isomorphisme se fonde sur le
souci d’uniformisation des pratiques de gestion dans les différentes unités des groupes
industriels malgré la contrainte de leur environnement respectif. Ces entreprises essaient
de diffuser les modèles et pratiques déjà en
action dans les autres unités et qui ont déjà
fait la preuve de leur efficacité. Le processus est différent selon que l’on a affaire à une
unité publique reprise par le capital étranger
ou un investissement nouveau qui voit la naissance d’une unité de production ex nihilo. La
situation de reprise met en jeu une variable
historique de l’organisation, plus précisément
la culture d’entreprise et les comportements
de salariés qui n’existent pas dans un nouvel
investissement. L’hypothèse de l’hybridation
exprime l’idée d’une obligation d’adaptation
et se construit sur le constat que la GRH est
nécessairement affectée par les variables environnementales que sont l’histoire de l’entre-
Ce changement fonde le postulat de la
contestation de la GRH politique désormais
en situation d’échec. L’Etat propriétaire, dans
tous les cas de figure, restitue le pouvoir
monétaire aux banque. Les entreprises publiques, lorsqu’elles ne sont pas privatisées,
sont contraintes de changer leur GRH dans
le sens du respect de la contrainte budgétaire et de valorisation du capital face à la
menace du refus de financement des déficits.
Le cas échéant, leur dissolution est envisagée
par les nouvelles règles du droit commercial comme solution ultime. Dans le cas des
entreprises privés, acteurs économiques principaux nouveaux, nous avons affaire à deux
scénarios différents. Le premier est celui de
la privatisation avec reprise par les capitaux
privés, qui appelle une remise en cause du
modèle de gestion dont héritent les repreneurs. Dans ce cas nous sommes dans un
processus de construction d’une nouvelle
GRH sur l’ancienne GRH politique qui n’a
plus sa raison d’être du fait du changement
de propriétaires. Le second scénario est celui
de la construction d’une nouvelle GRH dans
une situation d’investissement nouveau. Dans
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
114
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
ce cas le montage du capital fixe suppose la
définition d’un modèle de gestion des ressources humaines conforme aux objectifs de
l’entreprise et aux attentes de ses parties prenantes. Dans ce travail nous nous appuierons
sur trois cas de figures différentes reflétant des
changements importants dans la GRH dans
les entreprises en Algérie :
- le cas des entreprises d’Etat qui ont subit
depuis les reformes des années 90 différents
changements dans leur gouvernance et organisation sans pour autant être privatisées ;
- le cas d’une unité publique privatisée
partiellement puis totalement au profit d’un
groupe étranger ; le repreneur est obligé de
déconstruire une GRH politique dont il hérite
et de reconstruire sa propre GRH compte tenu
de la nouvelle stratégie et nouveaux objectifs
de l’entreprise.
- le troisième cas est une unité d’un grand
groupe étranger issue d’un investissement
nouveau et qui construit une organisation et
une GRH avec une tentative de diffuser un
modèle de la maison mère.
1. La question de la transposition des modèles de GRH
comme objet de débats
Cette question a préoccupé aussi bien
les économistes que les gestionnaires et les
sociologues. Les économistes du développement et les économistes industriels ont posé
la question de la transposition des modèles
économiques dans les choix industriels et leur
mode de fonctionnement. Ceci est valable
aussi bien pour les japonais fascinés par le
modèle anglo-saxon suite à la révolution du
Meiji que pour les anglo-saxons confrontés à
la crise du modèle fordien qui se sont posé la
question de la transposition du modèle Toyota comme réponse à cette crise. En gestion,
des auteurs comme Chandler (1962,1977),
Aoki (1990) et Hamel, Doz, Prahalad,
(1989,1990) nous présentent, dans leurs
travaux respectifs, la réussite des champions
Américains et japonais ; ce que les théoriciens de la contingence vont formaliser dans
leurs différents écrits. En effet, pour les tenants
de l’école de la contingence en gestion, les
entreprises adaptent leur organisation aux
exigences de leur environnement issues notamment des contraintes du marché en amont
et en aval. Cette réduction du contexte à la
situation sur les marchés, en particulier l’état
de la concurrence, provient du fait que les
principaux auteurs se sont penchés exclusivement sur la réalité des pays développés où le
cadre institutionnel n’est pas contesté. (Porter
M. E., 1990). Ces entreprises peuvent être
prises comme modèle pour leur structuration
et fonctionnement, susceptibles d’être imitées
par les autres entreprises à la recherche d’un
modèle de référence dans une logique mimétique, tout en tenant compte du contexte dans
lequel elles fonctionnent.
Une première différence notable relève de
la diversité des situations institutionnelles,
même si, contrairement aux pays en développement, les règles institutionnelles formelles
dans les pays développés ont atteint leur
maturité et sont stables. Les enjeux sociétaux
neutralisés, la concurrence devient le facteur
d’incertitude le plus important dans le fonctionnement des entreprises. La globalisation
par l’ouverture des marchés qu’elle implique
exacerbe la concurrence et les positions
acquises sont contestées de manière permanente (Baumol W.J., Panzar J.et Willing R.,
1982). A contrario, la réalité des pays du tiers
monde apparait différente et les entreprises
dans ces pays et plus récemment dans les
pays émergents semblent avoir des comportements que la seule concurrence n’explique
pas. L’analyse institutionnelle économique et
surtout sociologique va insister sur le dispositif institutionnel affectant le comportement
115
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
des entreprises. Le changement va articuler
les institutions comme les règles de jeux, les
organisations et le marché. Les chercheurs en
management qui relèvent de ce courant (Di
Maggio et Powell, 1991, Meyer et Rowan,
1991) ont étudié la question du management
sous l’angle du transfert des pratiques de gestion opposant situations de convergence et situations de divergence des comportements et
des modalités de structuration. La variété des
contextes économiques et institutionnels, la
diversité des acteurs portent certains auteurs à
s’interroger sur les modèles de management
des ressources humaines, leurs similitudes et
leurs différences entre les entreprises et entre
les pays. Sur le plan sociétal et macroéconomique, incontestablement on peut relever un
isomorphisme en ce sens que l’économie
de marché est l’organisation économique
et sociale qui s’impose de manière exclusive
suite à l’échec du socialisme réel et l’absence
d’alternative sociétale.
La diversité exprime plutôt la différence des
règles institutionnelles formelles mais également des règles informelles qui structurent
le comportement des agents économiques
dans la situation de diversité des économies
de marché. Un des traits majeurs de la globalisation actuelle quant au comportement
des grandes entreprises a été le passage
de stratégies qui superposent des stratégies
domestiques différentes autour d’une logique
produits-marchés nationaux relativement indépendants vers une stratégie globale orientée vers la recherche de leadership sur des
comptes produits-marchés définis sur une
base mondiale. Les thèses de la convergence/
diversité reflètent deux courants opposés qui
dominent le champ théorique. Le premier
courant soutient l’idée de cette transcendance des conditions locales et plaide pour
l’émergence de modèles universels de GRH
en situation de réussite. Et les entreprises ont
tendance à adopter ces « meilleures pra-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
116
tiques » à l’origine d’isomorphismes. Ce courant s’appuie sur l’idée que la globalisation
actuelle tend à faire converger les pratiques
de GRH dans les grandes entreprises vers le
modèle anglo-saxon de compétences, même
si cette convergence tend à être atténuée par
des facteurs historiques, culturels et institutionnels spécifiques. Le second courant par
contre plaide pour la diversité et la spécificité
des pratiques de GRH considérant que la globalisation des marchés des biens et services
n’affecte pas celui de la GRH qui reste fortement contingente.
Il attire l’attention des entreprises sur l’importance de la prise en compte des facteurs
contextuels et sur l’obligation de s’y adapter.
Ainsi a-t-on attribué l’échec de certaines expériences de gestion dans les entreprises dans
les pays en développement à la transposition
mécaniste d’un modèle de GRH ayant fait ses
preuves dans les pays développés. Cette critique s’appuie sur le fait que cette démarche
ignore les facteurs institutionnels et organisationnels mais aussi les facteurs pas toujours
visibles, qui relèvent de l’histoire particulière
de l’entreprise, du domaine des idées, des
valeurs et croyances et donc de l’expérience
spécifique de chaque société, qui structurent
la GRH dans les entreprises.
1.1. La théorie institutionnelle
explique la convergence des pratiques RH
Les entreprises algériennes sont tentées
d’adopter un mode de gestion des ressources
humaines qui a déjà fait ses preuves ailleurs.
D’où l’interrogation sur les possibilités de
transfert ou non de ce modèle compte tenu
des contraintes internes et externes du lieu
d’implantation. Par ailleurs, il est nécessaire
de s’interroger, sur les raisons de ce transfert,
sur la tentative de diffusion à l’international,
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
sur la réalité de leur adoption et adaptation
aux contextes particuliers en tant que processus dans sa mise œuvre. Le processus qui
concrétise cette prégnance de l’environnement institutionnel sur les pratiques des entreprises en GRH est exprimé par le concept
d’isomorphisme. Postuler pour un isomorphisme signifie qu’il existe un « constraining
process that forces one unit in a population
to resemble other units that face the same
set of environmental conditions » (A. Hawley
cité par Di Maggio et Powell, 1983 p. 149).
L’option pour ce type de solution est perçue
comme réduisant les incertitudes d’un changement divergeant des options dominantes.
Toutefois, tout en développant des arrangements opérationnels et modes de comportement similaires, les entreprises sont en mesure
(et souvent essaient) de redéfinir les règles,
de les adapter (en les diversifiant ou en les
enrichissant dans le cadre du champ culturel)
voire de tricher afin de réaliser les objectifs
stratégiques.
Ce processus d’adaptation dans le changement ou le contournement voire la résistance
est prise en charge par la théorie institutionnelle par le biais du concept de résilience. La
résilience exprime la capacité à s’adapter aux
exigences du nouvel environnement institutionnel et culturel contraignant parfois même
défavorable . Elle peut être proactive c’est-àdire « the capacity to change before the case
for change becomes desperately obvious »
(Hamel et Valikangas, 2003); elle peut être
également réactive, dans ce cas elle est une
réponse à une exigence institutionnelle. On
attribue au processus que désigne sur le plan
conceptuel l’isomorphisme deux dimensions
principales :
• Une première dimension externe qui affecte son environnement institutionnel et qui
se reflète dans l’uniformisation des conditions
externes au fonctionnement de l’entreprise.
Cette dimension institutionnelle fait que les
règles qui régissent les relations interentreprises et son environnement se rapprochent
et convergent. C’est ce qu’opère effectivement la globalisation lorsqu’elle institutionnalise et uniformise les règles économiques
dans lesquelles les entreprises interviennent
construisant ainsi le nouvel environnement
institutionnel.
• La deuxième dimension est interne. Elle
renvoie aux modalités par lesquelles les
activités de l’entreprise se structurent et se
coordonnent en interne. Le concept d’isomorphisme devient alors l’expression du processus qui pousse une unité de production à
chercher à imiter sur le plan de la structuration, du fonctionnement et du comportement
les autres unités lorsqu’elles font toutes faces
aux mêmes conditions environnementales.
Le concept d’isomorphisme est habituellement compris dans ses trois formes indissociables dans l’analyse empirique des situations : les formes coercitives, mimétiques
et normatives (Scott, 2001 ; Di Maggio et
Powell, 1983). Le positionnement du problème en termes de contestation, de remise
en cause de positions acquises, de vulnérabilité économique des entreprises implique
l’hypothèse que ces dernières adoptent, pour
réduire les incertitudes, des comportements
consistant à chercher à imiter les entreprises
qui réussissent le mieux dans leur organisation et pratiques de GRH. Cette position fonde
son argumentaire sur une diffusion automatique de ces pratiques par imitation. Les entreprises imitatrices s’inspirent des entreprises
qui réussissent en adoptant leur organisation
et modes de gestion. Elles s’appuient sur
l’hypothèse forte d’un transfert de pratiques
de gestion sans que les entreprises réceptrices
soient en mesurer de s’opposer mais plutôt
de capter le changement éventuellement de
l’adapter en développant des formes organisationnelles et pratiques de GRH spécifiques
Compris comme la capacité à résister à des traumatismes en psychologie et donc, du point des organisations, à des évolutions défavorables et/ou négatives.
117
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
(Boxenbaum, 2005, Dezalay et Garth, 2002,
Djelic, 1998). Ce courant continue un certain
nombre de travaux sur la globalisation déclinés en tant que processus de diffusion croissante du système productif industriel taylorien-fordien et post-fordien, par les modalités
de structuration et de coordination des activités des entreprises qu’il appelle. Ce système,
basé sur un procès du travail avec des modalités de valorisation particulières, appelle une
double exigence : l’une au niveau de l’organisation du procès de travail et des modalités
de sa mise en œuvre, l’autre dans le respect
strict de la contrainte budgétaire et de l’exigence de valorisation du capital en fonction
des attentes des parties prenantes traduisant
le fait que le système productif est unité du
procès de travail et du procès de valorisation du capital. Cette convergence des pratiques et des modalités de structuration dans
leur mise en œuvre s’accompagne d’une
standardisation des procédés de fabrication
unifiant les modes opératoires et de contrôle
dans le système productif.
C’est là un processus qui se diffuse comme
norme de production au niveau international et qui s’impose aux entreprises. En réalité,
par le fait que les économies sont ouvertes,
le marché impose ses normes au-delà des
spécificités nationales. Ces dernières ont
tendance à uniformiser l’organisation de la
production et le produit (l’output). L’uniformisation de l’organisation de la production
à des incidences sur la GRH par la standardisation des qualifications ou en imposant un
modèle de gestion par les compétences qui
accompagne le flux de capital fixe dans les
économies en développement qui, en général, importent les technologies qu’elles utilisent. L’autre uniformisation porte sur le produit, avec les exigences de qualité, de délai
et de prix en rapport avec une demande qui
n’est pas nécessairement maitrisée ou façonnée par les entreprises qui peuvent rechercher
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
118
la diffusion des pratiques de GRH par imitation. Le concept d’isomorphisme (Di Maggio
et Powell, 1983) restitue l’action de diffusion
convergente d’une globalisation à travers
des formes organisationnelles, des dispositifs
normatifs et des pratiques de gestion, en particulier en GRH, au sein des entreprises qui
connaissent le changement. Le concept de
globalisation se renforce par le concept implicite d’une uniformisation institutionnelle ne
serait-ce qu’au niveau des principes généraux
qui gouvernent le mouvement des capitaux et
des marchandises. En effet, la globalisation
se construit par la standardisation des pratiques dans le dispositif institutionnel le marché mondial avec ses règles de fonctionnement tendanciellement uniformes. L’emprunt
du concept d’isomorphisme à Di Maggio et
Powell restitue ce processus d’homogénéisation croissante et convergente des pratiques
organisationnelles et de GRH en entreprise.
Il y a comme un effet de miroir entre les
entreprises comme réponse à l’exigence de
compétitivité du marché. Ce mouvement
opère de trois manières complémentaires
qui peuvent se superposer. Il peut répondre
distinctement et/ou concomitamment à
des pressions du mouvement social et des
institutions (isomorphisme coercitif), traduire une tentative d’imitation des autres
entreprises ( isomorphisme mimétique), ou
encore répondre aux exigences d’une professionnalisation des ressources humaines par
l’obligation de se soumettre à des dispositifs
normatifs qu’un marché global rend encore
plus fortes (isomorphisme normatif). A travers
le mimétisme, les entreprises croient trouver à
l’extérieur, les solutions à leurs problèmes de
gestion dans les pratiques de GRH des autres
entreprises abstraction faites des contingences. Ces entreprises adoptent en général
des pratiques similaires à celles utilisées par
leurs concurrents (même branche d’activité
ou segment de branche) neutralisant ainsi
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
la contrainte technologique. La contrainte
culturelle et institutionnelle est plus difficile
à neutraliser particulièrement dans des économies ouvertes aux mouvements des capitaux et des marchandises. Ces entreprises
pensent trouver dans ces pratiques qu’elles
copient une efficacité optimale dont elles sont
dépourvues. Elles pensent que leur survie va
dépendre alors de leur capacité à les implanter et surtout à être en mesure de les mettre
en œuvre en les imitant (Allouche et Huault,
2001). Ces derniers affirment également que
« les logiques d’imitation font aussi appel à
la notion de mode, c’est-à-dire à l’attrait des
managers pour les nouveaux outils, nouvelles
méthodes, nouvelles pratiques de gestion ».
Ces nouvelles pratiques, inscrites dans une
rhétorique et un attrait des dirigeants des entreprises accueillant la diffusion pour la nouveauté, peuvent prendre le statut d’une nouvelle croyance dans la tête de ses dirigeants
[Meyer et Rowan 1977, Abrahamson1996].
Dans leur construction « The formal structures
of many organizations in industrial society
dramatically reflect the myths of their institutional environments instead of demands of
their work activities” (Meyer et Rowan, 1977).
Ce qui traduit l’idée d’un fort encastrement
de l’entreprise dans son environnement institutionnel qui est en attente d’un comportement dont il dicte les règles formelles. Toutefois certains travaux insistent sur la capacité
des entreprises à s’adapter à ces exigences en
adoptant différentes stratégies de réponse traduisant l’action de l’entreprise sur cet environnement (Greenwood, R., R. Suddaby et C.R.
Hinings (2002). La critique principale faite à
ces approches est qu’elles ne restituent pas
la complexité de la construction de la GRH
qui renvoie aux comportements des acteurs
et aux contraintes objectives et subjectives de
l’environnement. En effet ces pratiques à la
mode ne sont pas nécessairement adoptées
de la même manière par toutes les entre-
prises. Certaines de ces pratiques peuvent
être beaucoup plus sensibles que d’autres
aux différences de contextes. Par conséquent,
si certaines pratiques peuvent aisément être
transférées d’une activité à une autre dans un
même pays et d’un pays à un autre sans aucun changement ; d’autres doivent être modifiées pour être utilisables dans un autre arrangement technique et institutionnel. D’autres
encore sont plus spécifiques culturellement
et ne sont pas toujours transférables. Enfin,
certaines pratiques font partie d’un ensemble
cohérent et d’une stratégie globale, elles ne
peuvent être transférées seules, avec succès,
sans le reste de l’ensemble qui va convenablement avec. Ce qui fait qu’on retrouve
dans les filiales plusieurs types de pratiques
de GRH qui sont plus ou moins sensibles au
contexte immédiat avec ses contraintes de
l’environnement institutionnel et culturel (Myloni et al, 2004).
La lecture de la GRH par le seul prisme
de la diffusion unilatérale, en tant que transfert de pratiques de gestion, n’est pas neutre
théoriquement. Elle neutralise les variables
contextuelles et privilégie un modèle qui
prend appui sur les normes et les règles qui
dessinent et façonnent les comportements des
entreprises sans en être une entrave. Cette
pratique questionne le caractère volontaire ou
non du changement organisationnel et comportemental que la nouvelle GRH implique.
La neutralisation des forces contraignantes
que sont les règles institutionnelles et de l’environnement économique et social conduit
à postuler l’homogénéité du résultat par la
convergence au détriment de la diversité. La
diffusion automatique des modèles de GRH
suppose une convergence des règles institutionnelles et la neutralisation des variables
culturelles qui sont nécessairement différentes
d’un pays à un autre. Au contraire, M. Freyssenet (2007), à partir de l’étude à long terme
sur l’industrie automobile dans les pays in-
119
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
dustriels (USA, Europe, Japon), fait le constat
« que la diversité est bien au cœur du rapport capital et de l’évolution des entreprises
», elle marque certainement de son empreinte
la GRH. Les principales activités de cette dernière dont le recrutement, la promotion, les
rémunérations, les licenciements restent marqués par leur environnement institutionnel et
culturel. Cette relative diversité des situations
confirme la thèse de la contingence et de
l’encastrement (Granovetter, 1985).Toutefois
il y a lieu « de bien démêler ce qu’elles ont
effectivement d’universel et ce qu’elles ont de
contingent, lié aux particularités des cultures
où elles se sont développées ». (D’Iribarne,
2003, p. 176).
1.2. Les approches culturalistes expliquent la diversité des pratiques RH
Les approches par la culture soutiennent
que la cette dernière influence la GRH des
entreprises lui conférant une certaine singularité. La notion de culture a été introduite
pour montrer que les entreprises, leur organisation ainsi que leurs pratiques managériales,
sont sensibles aux différences culturelles et
que les données culturelles structurent en partie le comportement de ces entreprises et de
leurs acteurs dont la GRH. En effet, pour les
auteurs inscrits dans l’approche culturaliste,
la pensée et le comportement sont significativement influencés par les valeurs culturelles
(Child, 2000).
Pour eux, la culture se révèle être une
variable qui influence le fonctionnement de
l’entreprise et qui participe à la détermination de la structure et de la stratégie organisationnelle. Par conséquent, les culturalistes
considèrent que les pratiques de GRH sont
construites sur des valeurs et qu’il existe une
relativité culturelle des théories et des pratiques managériales (Hofstede, 1980, 2002).
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
120
Ceci explique le fait que les pratiques de
management sont inscrites dans une logique
nationale P.D’Iribarne (2004) et qu’une même
pratique de GRH peut avoir plusieurs interprétations et plusieurs sens pour des groupes
culturellement différents (Laurent, 1986).
Les pratiques de GRH étant basées sur les
croyances culturelles, elles reflètent les prétentions et les valeurs de la culture nationale
où se trouve l’organisation est encastrée (Myloni et al, 2004).
Cet encastrement dans un environnement
(Granovetter, op cit) et dont les valeurs culturelles constituent une partie importante du
champ est déjà présent chez les institutionnalistes. Les valeurs culturelles font parties
des règles informelles tout en étant un des
socles sur lesquels les règles formelles se
construisent, elles sont plutôt un obstacle
au changement organisationnel (North,
1990,2005).
C’est ainsi que chaque pays construit son
propre système de gestion dont la spécificité s’explique par le fait que chaque pays
construit ses propres institutions articulées
autour de son histoire propre, la nationalité
a une valeur symbolique pour chaque citoyen
et fait partie d’une partie de son identité. La
façon de penser est largement conditionnée
par les facteurs culturels nationaux spécifiques. La construction de grands groupes industriels transversaux aux branches d’activités
et à des aires géographiques différentes, ainsi
que leurs dimensions méso-économiques et
macroéconomiques n’éliminent pas pour autant la sensibilité des différentes unités dans
les différents pays aux variables culturelles des
champs dans lesquels ils sont encastrés. C’est
pourquoi, si les entreprises ont tendance à
adopter les mêmes pratiques de GRH traduisant une certaine convergence de la vision de
la GRH et de ses outils, leur utilisation reste
différente (Peretti, 2004).
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
1.3. Les choix des entreprises : Une
réponse hybride
Le choix des entreprises n’est pas nécessairement dans la transposition de la copie intégrale d’un modèle diffusé qu’elles adoptent.
Elles partent d’un panel de choix alternatifs
qu’offre l’expérience des autres entreprises
et qui n’est jamais transposée telle quelle.
Le modèle de GRH est construit en tant que
processus social en tenant compte des différences sociétales, de l’histoire particulière de
l’entreprise et du dispositif institutionnel. Le
niveau d’hybridation va exprimer la capacité
de cet environnement à nous offrir une GRH
originelle. Les stratégies peuvent aller de la
transposition et accommodation, à l’adaptation, au refus face aux contraintes historiques,
institutionnelles et culturelles du champ dans
lequel l’entreprise receveuse est encastrée.
Cette superposition des deux logiques, de
diffusion d’une part et de résistance ou de
contournement permettant de garder les anciennes pratiques et organisation d’autre part,
est prise en charge par le concept d’hybridation organisationnelle pour signifier justement
comment les entreprises se construisent des
formes organisationnelles qui font cohabiter
l’ancien et le nouveau se traduisant par des
formes hybrides sur le plan de l’organisation
et des pratiques de GRH.
Ce concept permet de restituer la stratégie
des entreprises pour adapter leur ancienne
organisation et pratiques aux pressions de la
globalisation tout en les inscrivant dans leur
environnement social et culturel. Cette position duale mettant en jeux deux situation opposées allant de la diffusion systématique au
refus comme positions extrêmes de la mondialisation ressort dans un certains nombre de
travaux sur les entreprises publiques confrontées aux exigences du changement institutionnel décliné sous le vocable d’économie de
marché. L’observation ici est relative à toutes
les entreprises publiques toutes tailles confondues du fait que la quasi-totalité du tissu industriel en Algérie était constitué par cette catégorie d’entreprises. Le poids des entreprises
privées était négligeable au regard de deux
critères essentiels : le volume de l’emploi et la
contribution à la production intérieure brute
avant les années 1990. La confrontation à la
globalisation, du fait du changement institutionnel, met en jeux deux catégories d’entreprises. Les entreprises « molles » qui, pour
des raisons de routines organisationnelles et
idéologiques, contestent toute idée de changement pouvant remettre en cause certains «
acquis» liés à leur gestion politique.
Ce refus à conduit in fine à leur exclusion,
c’est-à-dire leur dissolution. Le changement
dans la régulation économique, la mise en
avant des exigences du marché et l’ouverture économique, les nouvelles exigences sur
le plan de la gestion et des résultats qu’essaient d’imposer les nouvelles institutions qui
gèrent ces entreprises sont perçues comme
une injustice par les principales parties prenantes en particulier les collectifs de travail
et les représentants syndicaux. La position de
ces entreprises a été rendue intenable par le
retrait des banques publiques qui n’assuraient
plus les avances nécessaires à leur fonctionnement alors qu’elles étaient automatiques
avant. Cette situation a été fatale pour les
PME publiques, composées essentiellement
d’entreprises communales et régionales qui
activaient dans le BTP et la distribution, dissoutes suite à la libéralisation. L’Algérie a
ainsi perdu depuis 1990 plus de 500 000
emplois correspondant à la moitié de l’emploi
industriel public au début de la période des
restructurations. La seconde catégorie d’entreprises, pas très nombreuses, est composée
des entreprises « dures » qui voient dans l’option pour l’économie de marché un challenge
et une opportunité pour opérer des change-
121
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
ments et remettre en cause le pacte social de
leur gestion politique. Les stratégies de ces
entreprises sont aussi bien des stratégies de
conformation que d’adaptation aux exigences
de la mondialisation particulièrement l’obligation du respect de la contrainte budgétaire
et de valorisation du capital; l’État n’assurant
plus le financement par le truchement de la
soumission du système bancaire au système
productif. (Tahari, Hakiki, 2007). Les travaux
sur la GRH ont la même configuration méthodologique puisque le changement oppose
une GRH politique en situation d’échec à
une GRH proactive en construction dans un
contexte de globalisation (Tahari, 2005).
Les principaux travaux sur la question qui
mettent en scènes les acteurs dans la diffusion
de la globalisation identifient des stratégies
qui vont de la conformation − qui se traduit
par la diffusion et l’adoption du processus
avec ses normes et son mode d’organisation
− à la résistance pure. Cette dernière action
consiste à s’opposer à cette diffusion par des
stratégies de blocage et de refus. Le choix de
cette dernière position conduit en général à
l’éviction de ces entreprises du système. Il est
à l’origine de leur dissolution en Algérie par
exemple. Les positions intermédiaires étant
celles qui anticipent les exigences par une
stratégie d’évitement du choc ou de résistance adaptative donc qui absorbe le choc
de la globalisation par une adaptation des
exigences à la contingence de l’entreprise
et de son environnement (Pilot, 2006; Barabel, Huault et Meyer, 2002). En réalité ces
comportements intermédiaires participent à
la situation d’hybridation organisationnelle
telle que définie précédemment, elle superpose à la fois diffusion et résistance adaptative à des conditions mondiales et locales. Les
changements dans l’organisation et la GRH
conduisent à renoncer à une culture d’entreprise publique qui vous assure un statut de
salarié pérenne sans exigence aucune en
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
122
termes de niveau de production et de productivité. Cette posture dominante de passager
clandestin et les règles qui émanaient de la
hiérarchie administrative imprimaient la GRH
politique dans ces entreprises. Cette dernière
se voit désormais contestée dans le nouveau contexte d’économie de marché. Ces
deux dimensions structuraient la dynamique
du collectif de travail et les relations sociales
dans l’entreprise. Ce constat est valable pour
des situations de changement dans des entreprises qui sont dans l’obligation de se restructurer en redéfinissant leur GRH. La question
est tout autre dans des unités nouvelles où la
contrainte historique est absente. Le processus
est plus flexible car non soumis à la contrainte
de réversibilité. Dans ce cas la diffusion du
modèle de GRH est plutôt contrainte par
des variables culturelles qui configurent ses
modalités d’hybridation. L’illustration de notre
propos se fera par la présentation de trois
études cas de changement ou de construction
de GRH nouvelle.
Démarche méthodologique
Afin de mener à bien notre étude, nous
avons opté pour une démarche de recherche qualitative dans la mesure où
elle permet de rechercher, expliciter et
analyser des phénomènes visibles ou
cachés qui ne sont pas forcément mesurables et qui dépendent fortement des «
faits humains ». L’orientation méthodologique choisie a été celle de l’observation in situ, parfois dans une position
d’observateur immergé dans le cas des
entreprises publiques, combinée aux
entretiens semi-directifs avec des DRH
et de cadres d’autres fonctions des entreprises adoptant l’adage « tous DRH.
La démarche est fortement inductive,
elle s’appuie sur l’observation des faits
et leur interprétation, avec le souci de
réduire les a priori et la subjectivité de
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
l’observateur. Démarche expérimentale qui met la raison au niveau du fait
observé la soumettant ainsi à l’évidence
expérimentale. L’entreprise devient le
lieu où se déroule l’expérimentation sociale et le chercheur en gestion quand il
récuse les postures déductives regarde
l’entreprise comme son laboratoire où
se déroulent des expériences dont il
n’est pas l’instigateur. Il est alors en mesure de construire un système explicatif
en se basant sur les relations observées
concrètement et directement dans les
situations étudiées. (Aktouf, 1987)
Précisément, notre démarche d’observation a été articulée autour de deux
volets.
l’entreprise était confrontée, les enjeux
d’évolution qui étaient les siens, et la
manière dont tous ces éléments étaient
discutés entre les différents interlocuteurs (direction, encadrement, opérateurs, représentants syndicaux).
En ce qui concerne les entretiens, ceuxci ont été construits à partir d’un guide
d’entretien dont les thèmes étaient définis préalablement. Tout en permettant
aux interlocuteurs de les aborder de
manière souple, on poursuivait deux
objectifs complémentaires.
Le design des entretiens suivait le
principe de semi-directivité, c’est-à-dire
une structure souple, guidée par les
thèmes décrits ci-dessus, mais comprenant une démarche systématique d’investigation visant à aborder l’ensemble
des sujets.
Tout d’abord, des observations
du travail au sein de l’entreprise au cours
desquelles nous avons pu appréhender
les tâches telles qu’elles étaient réalisées par les opérateurs, comprendre
les aspects techniques du procès de
travail et les compétences requises pour
les effectuer. Les modalités de mise en
œuvre du système de machines, les
gestes professionnels, les normes de
production, le rôle de l’encadrement et
la gestion des processus d’équipes ont
été au centre des analyses.
Du point de vue technique, la conduite
de l’entretien s’est effectuée à l’aide de
consignes (actes directeurs qui initient le
discours sur un thème donné) et de relances (actes subordonnés qui réfèrent
à l’énoncé précédent de l’interviewé).
Nous avons donc construit un guide sur
base des hypothèses, sélectionnant les
données à recueillir. Notre guide d’entretien était construit à partir d’une définition très opérationnelle de la GRH à
savoir comme l’ensemble des activités
de l’entreprise relatives à l’acquisition,
au développement et à la conservation
des ressources humaines. Les sujets
avaient l’assurance de la confidentialité
non seulement du contenu, mais également de leur participation lorsque nos
interlocuteurs le souhaitaient. Les entretiens avaient une durée chacune d’une
heure à une heure trente, parfois plus.
Le deuxième volet des observations est issu d’une participation à
différents groupes de travail dans certaines entreprises publique en tant observateur invité à des réunions de hauts
potentiels et/ou en tant que partie prenante membre d’un CA d’une grande
entreprise privatisée depuis au profit
d’un grand groupe étranger repreneur
; dans un autre cas en tant que consultant en RH. A ces occasions, nous avons
pu réaliser quelles étaient les problématiques abordées, les défis auxquels
123
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
2. Les cas étudiés :
trois cas exemplaires
Les cas étudiés restituent trois scénarios différents, ils reflètent quelques peu les situations
de GRH dans les entreprises en Algérie dans
un contexte de changement institutionnel qui
leur impose de changer de gestion. La première situation est celle des unités publiques
qui ont pu survivre aux turbulences de l’ouverture économique et dont l’Etat a gardé la
totale propriété. Leur position est confortée
actuellement par un retour de ce dernier dans
leur gestion avec une volonté affirmée de les
garder comme acteurs important dans le projet industriel du pays. Dans ce cas de figure,
l’Etat propriétaire à la recherche de l’efficacité
économique peut déléguer le management
qui peut aller d’une plus grande autonomie
à un contrat de management avec des entreprises étrangères. Le second cas est celui
d’une unité de plâtre reprise totalement par
une entreprise étrangère qui a complètement
refondu sa GRH. Le troisième cas de figure
est celui d’une toute nouvelle unité fruit de l’investissement direct étranger. Dans ce cas nous
assistons à la construction d’une GRH avec
la tentative d’une transplantation adaptée de
la GRH définie par la maison mère dans le
contexte particulier de l’économie algérienne.
2.1. La GRH dans les entreprises publiques
Nous restituons la réalité de la GRH dans
le secteur public industriel qui a survécu aux
réformes institutionnelles et à l’avènement
de l’économie libérale. Nos conclusions
sont issues d’observations croisées dans un
échantillon assez large d’études de cas que
notre groupe de recherche le GRECORH-LAREEM poursuit depuis 2006. Notre échantillon d’entreprises est riche par la diversité
des branches d’activités qu’il brasse puisqu’il
comprend des unités qui relèvent du BTP, des
matériaux de construction, de l’industrie du
verre, de tréfilage, l’électrolyse de zinc et des
hydrocarbures, de la gestion de l’eau et de
l’assainissement d’un réseau urbain. Il est
également riche par la diversité des techniques de production qui vont de processus
simple comme c’est la cas pour le tréfilage
aux processus beaucoup plus complexes
pour les autres industries particulièrement
pour les activités en continu comme c’est le
cas pour l’industrie du ciment, du verre et les
hydrocarbures.
Nécessairement la taille de ces unités au regard de leurs effectifs est différente ; la diversité de ces variables contextuelles a fatalement
des implications sur les GRH. Nos conclusions
sont construites en croisant les différentes
études de cas, elles restituent le dénominateur
commun des différentes GRH ; elles sont complétées par la présentation de deux cas considérés comme représentatif de la GRH dans les
unités encore publiques en voie de mutation
bâti-Oran et le groupe ERCO.
2.1 .1. Le cas Bâti- Oran
C’est une PME publique dans le bâtiment
qui a été confrontée à la globalisation en
termes de survie du fait du désengagement
subit de l’État propriétaire. Les difficultés
sont de plusieurs ordres : financiers mais
aussi techniques, économiques et humains.
Dès l’ouverture économique l’entreprise est
confrontée à un problème de compétitivité et
de difficulté de se construire un plan de charge
avec la perspective de réaliser des bénéfices.
L’échec des nombreuses tentatives de rentabiliser l’activité réalisation de l’entreprise, alors
même que la conjoncture actuelle dans le BTP
semble favorable au développement de cette
activité. Il s’explique en particulier par l’ob-
Nous sommes redevables dans ce cas au travail mené par Chakib TOUBBACHE dans le cadre d’un projet de recherche sous la direction de K. TAHARI
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
124
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
solescence des équipements, les ruptures de
trésorerie qui tiennent aux nouvelles difficultés
d’accéder à des avances auprès de la banque
primaire de l’entreprise suite à la remise en
cause de pouvoir monétaire des entreprises
publiques et sa récupération par les banques
primaires, la sous-qualification du personnel
et la difficulté à flexibiliser la masse salariale.
Face à ces difficultés l’entreprise tente une
diversification de ces activités en intervenant
dans un premier temps dans la commercialisation des matériaux de construction et par
la location des équipements de production
dont l’entreprise disposait. Cette action ne lui
assure pas une rentabilité financière malgré
l’option pour la réalisation de bâtiments administratifs et industriels et les travaux publics
pour lesquels il y avait une forte demande.
D’ailleurs la Direction des Travaux Publics l’a
jugée « non qualifiée, car non expérimentée
». La vente de matériaux de construction a été
arrêtée à cause des difficultés de se réapprovisionner du fait des pénuries récurrentes de ces
produits sur le marché.
La location des équipements même si elle a
générée des ressources, a vite été contrariée
par l’état de vétusté et d’obsolescence de ces
équipements. Les nouvelles orientations stratégiques ont pour souci principal la baisse du
poids de la masse salariale par la réduction
progressive de ses effectifs. Cette situation va
conduire à une nouvelle réorientation stratégique autour de la promotion immobilière
secteur en plein développement du fait du
fort déficit dans le parc de logement et des
politiques publiques dans le domaine. Le
changement de direction en 2000, aura des
répercussions importantes sur l’entreprise. Le
nouveau PDG engage de nouveaux collaborateurs, sollicite l’aide d’un certain nombre de
consultants et met rapidement en place une
structure chargée de la promotion immobilière. L’entreprise s’engage de la sorte, dans
un nouveau domaine d’activité stratégique.
Cela lui permet de devenir aussi initiatrice de
projets au lieu de rester simplement entreprise
de réalisation des projets qui lui étaient proposés. Cette nouvelle stratégie va consister à
glisser de l’activité de réalisation que l’entreprise quitte au profit de celle de promoteur
immobilier donneur d’ordre dans le domaine
de la réalisation. Cette stratégie de contournement des nouvelles exigences d’une économie ouverte à la concurrence va permettre à
l’entreprise :
- de s’affranchir des problèmes qui entravaient son fonctionnement. Un effectif pléthorique qui a été réduit avec le concours
financier de l’État dans le cadre des opérations de restructuration sociale des entreprises
publiques.
- d’accéder à des ressources de trésorerie grâce aux avances que les promoteurs
reçoivent de leurs clients avant la réalisation
des travaux;
- de contourner les difficultés techniques
de gestion de la production, l’organisation
du travail étant fondée sur la sous-traitance.
Ce recours à la sous-traitance règle la question de la gestion du procès de travail particulièrement pour le second œuvre fondé sur
le métier.
La présentation succincte du cas de cette
entreprise confirme la pertinence en termes
de stratégie d’acteur que nous avons énoncée dans le corpus théorique de ce travail. En
effet, la volonté et l’action stratégique de la
direction de cette entreprise a permis sa survie
alors que les entreprises similaires ont toutes
été dissoutes et ont été vulnérable à la globalisation. Le contexte de cette globalisation devient une contrainte certes mais qui peut être
surmontée lorsque l’entreprise a la volonté
d’affronter ses exigences et non pas se cantonner dans une position « d’entreprise molle
». Ce déploiement de l’activité de l’entreprise
vers la promotion en plus de la réalisation lui
125
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
a donné la possibilité d’une part d’être active
dans la conception des projets qu’elle réalise
et donc d’être moins dépendante des donneurs d’ordre et d’autre part, la GRH mise en
place a permis, grâce à l’aide des l’Etat, de
régler le problème du sureffectif par un plan
de restructuration et de recentrage les activités
sur le cœur des métiers.
2.1.2. La GRH au sein
du groupe ERCO
L’entreprise ERCO est un groupe industriel
qui active dans le secteur des matériaux de
construction dans toute sa diversité ; elle est
issue de l’éclatement sur la base d’un critère
géographique de l’ancienne Société Nationale des Matériaux de Construction (SNMC)
qui avait le monopole sur le secteur des matériaux de construction. De cette restructuration sont nés trois groupes régionaux, avec
des marchés géographiques cloisonnés, ERC
Ouest, Centre et Est. En réalité, cette entreprise avait déjà perdu, lors des restructurations
des années 90, une partie de son activité, les
produits rouges, en particulier les briqueteries
qui ont donné naissance à une autre entreprise nationale et qui ont toutes été privatisées
depuis. Lors des dernières réformes, l’Etat propriétaire a supprimé le cloisonnement géographique, pensant ainsi dynamiser la gestion
des différentes unités par la concurrence que
cette décision pouvait entrainer. Depuis cette
date, les trois groupes régionaux et surtout les
différentes unités qui les composaient étaient
sensées se disputer le marché national des
matériaux de construction, en particulier le
ciment et le plâtre, les deux productions phare
de leur activité. Ces entreprises assuraient
l’approvisionnement d’un secteur aval qui
avaient une double importance stratégique ;
résoudre un problème social essentiel le logement en situation de déficit, jouer le rôle qui
lui est dévolu traditionnellement tirer la crois-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
126
sance économique. Le secteur du BTP était en
permanence sous tension du fait des difficultés
récurrentes qu’il a à être approvisionné correctement en matériaux de construction, particulièrement lorsque les plans de charge du
secteur sont importants au plan du logement
et des infrastructures. Les groupes ERCOuest
(ERCO), ERCCentre et ERCEST font partie
actuellement des grands groupes industriels
publics visés par une démarche de privatisation lancé par le ministère de l’Industrie.
C’est ainsi que la plâtrerie de FLEURUS a
été cédée au groupe allemand KNAUF qui
a acquis depuis peu la totalité du capital de
cette entreprise. ERCO a également passé un
contrat avec le groupe Saoudien PHARAON
a qui on a cédé le management de la cimenterie de Benisaff pour une période de 10
ans; par ailleurs ce groupe est actionnaire à
concours de 10% du capital dans cette cimenterie. Le groupe égyptien ASEC (The Egyptian
Manufacturing Company) est également
copropriétaire de la cimenterie de ZAHANA,
à concours de 35% de son capital, dont il
assure désormais le management. Le groupe
ERCO reste majoritaire mais il délègue la gestion aux nouveaux copropriétaires cherchant
ainsi une solution à la question de l’efficacité
des ses différentes filiales. Cette privatisation
partielle du capital et surtout de la gestion a
permis de redonner une profondeur stratégique aux différentes unités concernées et de
relancer la production; elles bénéficient par
cette opération des moyens pour la modernisation des équipements et leur entretien ; la
GRH devient moins politique qu’elle ne l’était
auparavant, elle semble se recentrer des objectifs économiques.
Pour mener notre étude nous avions besoin
de pénétrer au sein de l’entreprise. Nous
n’avons pas eu de difficultés particulières pour
ce faire ; nous avons exploité les relations
amicales que nous avions avec deux cadres
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
dirigeants qui nous ont introduit dans leur entreprise et présenté les personnes ressources
dont nous avions besoin, en particulier le
DRH du groupe cadre dirigeant de l’entreprise. Notre enquête sur le terrain a duré plus
d’un mois période durant laquelle nous nous
sommes déplacés à plusieurs reprises dans
l’entreprise pour rencontrer nos interlocuteurs.
Dans un premier temps, nous avons eu des
entretien ouvert avec deux cadres dirigeants
qui font partie du staff de direction, les entretiens non directifs qui en général duraient plus
de deux heures chacun nous ont permis rapidement de nous faire une idée sur la situation
de l’entreprise, ses préoccupations actuelles
comptes tenu de la pression du gouvernement
et des incertitudes qui découlent de la menace
d’une privatisation déjà entamée.
Nous avons centré notre attention sur
l’étude de l‘activité et de la fonction RH au
sein du groupe. Nous avons débattu de la
question avec plusieurs interlocuteurs dont
deux chargés d’études auprès du PDG du
groupe cadres dirigeants ainsi qu’avec le secrétaire général de la section syndicale au niveau du groupe. Nous avons également sollicité des entrevus avec le DRH central chose
que nous avons pu obtenir sans difficulté. Pour
nos entretiens avec le DRH du groupe, nous
avons élaboré un guide d’entretien centré sur
les problématiques de GRH en particulier les
questions liées à la prospection et l’acquisition
des RH, celles du développement en insistant
sur les questions de formation et enfin celles
relatives à la conservation de ces ressources
autour de la gestion des carrières et des politiques salariales. Lors de ces entretiens nous
laissions une relative liberté au DRH pour
nous parler de son métier à partir d’une question large « que fait le DRH central » ? Lorsque
nous sentions que notre interlocuteur « sortait
» du sujet de notre rencontre nous la ramenions à notre objet par des questions précises
relatives au recrutement, à la formation, à la
politique salariale de l’entreprise etc. Nous
n’avions pas eu de difficulté à le revoir. Nous
avons sollicité des rendez vous tant que notre
sujet n’était pas épuisé et que nous sentions
que nous avions besoin de complément d’informations. Nous avons eu quatre entretiens
qui ont duré plus de deux heures parfois. En
réalité nous arrêtions lorsque nous sentions
que les questions pour lesquelles nous étions
venus avaient trouvé réponse, nous mettions
fin à l’entretien ou nous changions de sujet
pour parler d’autre chose. Nous avions eu
également un entretien d’une heure et demi
avec un DRH d’une filiale pour avoir une idée
sur les représentations et le statut de la DRH
centrale pour ces DRH de filiales. Notre questionnement portait sur les relations entre DRH
filiale et le DRH central et la légitimité de ce
dernier pour le DRH filiale.Nos conclusions
s’appuie sur des observations et les différents
entretiens que nous avons réalisés ; paradoxalement nous n’avons pas pu accéder aux
documents de gestion du fait du refus des
concernés de nous les communiquer. Les différentes personnes que nous avons sollicitées
considèrent que les documents de gestion
(rapports de gestion, documents comptables
etc.) ne peuvent être communiqués.
La fonction RH au niveau du groupe emploi
trois personnes dont un chef de division emploi, salaire et formation (dénomination officielle de la fonction), cadre dirigeant qui met
en œuvre la politique ressources humaines
du groupe ERCO, un chef de département
ressources humaines qui occupe la fonction
de DRH siège et une assistante qui assure le
secrétariat de la fonction. Sur le plan formel,
la division est chargée de définir et de gérer
la politique de l’emploi, des salaires et de
la formation du groupe. Théoriquement elle
assure la dimension stratégique de la GRH et
apporte son soutien technique aux différentes
DRH opérationnelles des filiales du groupe.
L’entreprise n’a pas de dispositions procédu-
127
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
rales écrites propres mises à la disposition des
DRH opérationnels relatives au recrutement, à
la formation ou à la gestion des carrières par
exemple. Chaque DRH doit trouver dans le
dispositif légal (en particulier la loi 90/11 et
la loi relative à la formation et l’apprentissage
etc.) et les conventions les réponses aux questions de procédure auxquelles il est confronté.
Les pratiques internes à l’entreprise relèvent
souvent de règles informelles qui tiennent de
l’habitude. Ainsi lorsqu’un complexe a besoin
de recruter un personnel d’exécution, il le fait
et informe après la DRH centrale, essentiellement pour vérifier que le recrutement est
conforme à l’organigramme, elle procède
alors à la consolidation statistique.
Les activités principales de la fonction :
« Ce qui intéresse le PDG c’est la production, les RH (entendu la fonction RH) c’est la
dernière roue de la charrette » propos du DRH
central. La GRH dans l’entreprise est plutôt
gestion des personnels, ce qui fait qu’elle se
résume en fin de compte aux opérations traditionnelles d’administration des ressources
humaines qui sont assurées par les différentes
DRH opérationnelles dans les unités de production. Les recrutements ne sont pas nécessairement programmés puisqu’il n y a pas de
gestion prévisionnelle ; la démarche est réactive, elle se présente comme une réponse à la
demande de la structure utilisatrice. La DRH
centrale participe aux arbitrages budgétaires
avec l’unité émettrice du besoin.
Elle assure la consolidation pour tout le
groupe ; le DRH central peut refuser un recrutement lorsqu’il n’est pas prévu dans l’organigramme de l’unité. En effet les recrutements portent sur des postes non pourvus ; ils
peuvent toutefois parfois consister à remplacer des personnels dont les compétences sont
jugées insuffisantes par rapport aux exigences
du poste. Le personnel touché par le rem-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
128
placement se retrouve de ce fait sans poste
réel à l’origine de situation de sureffectif donc
d’emplois redondants. L’activité de sélection
qui précède ces opérations a tendance à être
externalisée et confiée à des bureaux spécialisés pour des raisons d’absence de batteries
de tests mais aussi et surtout pour optimiser
les recrutements en évitant les pressions pour
le recrutement de personnes « parrainées ». Le
recrutement se fait désormais au niveau des
unités opérationnelles et l’entreprise privilégie
les CDD (contrat à durée déterminée) aux CDI
(contrat à durée indéterminée) comme forme
dominante de contrat de travail.
La division RH devenant une simple structure de gestion des RH pour le siège par son
département ressources humaines qui comprend un seul salarié avec un poste de cadre.
Depuis la privatisation partielle de ses sites de
production principaux, l’entreprise a recruté
un nombre important d’opérateurs et de
cadres opérationnels avec bac+2 et bac+4.
Les candidats sont des jeunes avec une formation initiale technique issus de l’université ou
des grandes écoles. Les intéressés bénéficient
d’une période de formation « adaptation » en
entreprise dite d’induction ; la nouvelle recrue
présente un mémoire « induction » à l’issue de
sa période de formation.
- Les actions de formation.
Il faut rappeler que les entreprises, en Algérie, ont une obligation légale de financement
des actions de formations de 2% de leur masse
salariale annuelle (1% pour la formation et
1% pour l’apprentissage). C’est essentiellement pour répondre à cette obligation que
des souscriptions à des formations en externe
sont engagées. Elle porte sur les différents
domaines du management. Les responsables
gestionnaires du groupe sont en général des
Cadres avec une formation initiale dans les
technologies. Après un passage dans la pro-
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
duction, ils accèdent à des postes de management, aussi éprouvent –ils le besoin de se
former dans les techniques du management
considérées comme nécessaires au nouveau
contexte d’économie de marché.
La gestion est perçue en termes d’outils
essentiellement et la demande de formation
des cadres techniques est orientée dans ce
sens. Malgré le changement lié à la levée des
barrières à l’entrée de nouveaux entrants dans
l’activité, la privatisation progressive des unités
existantes ; il n y a pas de politique de formation clairement exprimée au niveau de la DRH
groupe même si l’entreprise a conscience que
la position du groupe est menacée à long
terme dans sa situation de quasi-monopole
dans le marché du ciment particulièrement.
On assiste progressivement à l’émergence
d’un véritable marché du travail, avec une
concurrence entre les unités des différents ERC
(Est, Centre et Ouest) mais également entre
les différentes unités qui constituent le groupe
ERCO depuis la privatisation de leur gestion.
Une surenchère se met en place autour des
postes clés spécifiques rares sur le marché du
travail ; ces compétences sont construites par
l’entreprise en formation interne et par expérience. Les unités concurrentes ont tendance
à offrir à ces personnels des salaires et des
perspectives de carrières plus attractives que
celles que leur offrait l’ERCO.
- La politique salariale.
La politique salariale de l’entreprise reste
largement encrée dans le dispositif du SGT
avec une prime de rendement individuelle et
collective qui est en réalité un complément de
salaire car octroyée quasi automatiquement.
La rémunération est régie par une grille de
salaire qui recense les postes de travail et les
salaires qui leurs correspondent. Ce cadre est
rigide, il n’est révisé que lors des négociations
salariales au sein du groupe ou de la branche
ou des tripartites nationales (pouvoir exécutif
représenté par le premier ministre, Syndicat
ouvriers -UGTA, organisations patronales).
La progression du revenu salarial sanctionne
l’ancienneté dans le poste et exceptionnellement un changement de poste lorsque le
concerné bénéficie d’une promotion au sein
de l’entreprise. L’entreprise ne dispose pas
d’un système d’appréciation et d’une politique
salariale incitative avec une partie variable lié
à la production et la productivité de manière
effective. Les primes de rendement collectif et
prime de rendement individuel sont octroyées
automatiquement à tous les salariés ; elles
sont plutôt un complément de salaire à partir
d’une évaluation qui n’en est pas une réellement. Elles répondent à une logique hiérarchique, au rapport de force entre le syndicat
et les décideurs managers et l’importance du
poste et de la qualification de l’individu
- L’arbitrage.
La fonction RH centrale s’est vue confiée la
mission d’arbitrage et de gestion des conflits
sociaux et des contentieux relatifs à la GRH
dans les différentes unités qui composent le
groupe. Dans la réalité, même ces missions
traditionnelles sont soit contestées soit partagées avec la représentation syndicale et les
autres fonctions de direction. En effet, dans
bien des cas, la représentation syndicale intervient directement auprès de la direction générale pour arbitrer et solutionner des conflits ou
des contentieux.
- Reconnaissance et légitimité
de la fonction.
La légitimité de la fonction RH au niveau le
plus élevé (direction générale) découle essentiellement de sa position au sommet de la
pyramide dans une entreprise publique régit
129
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
par une logique hiérarchique forte. Le centre
stratégique de l’entreprise qui comprend la
division RH allouait des ressources, arbitrait
et validait ou refusait toutes les décisions qui
pouvaient se prendre à un niveau subalterne
quelconque. Cette position va être déjà affecté dans un premier temps suite à la crise
des années 90, qui suite au refus de l’Etat de
continuer à financer et le déficit des entreprises publiques et celui des investissements
nécessaire à leur développement. L’entreprise
va vivre une période d’attente de privatisation
durant laquelle « le temps avait suspendu son
vol ». Cette situation va conduire à une perte
de légitimité de la DRH centrale qui n’a plus
les moyens de donner une profondeur stratégique à son action dans le domaine des RH.
Certes la DRH centrale va garder son autorité du fait de sa position dans l’organigramme
mais elle va perdre sa légitimité contestée par
les DRH opérationnelles qui vont la percevoir
comme un centre de coût dont on peut se
passer. « Ils coûtent chers et ils ne servent à
rien » ; propos d’un cadre opérationnel pour
qualifier la direction du groupe y compris la
DRH. La période actuelle, qui voit le transfert
de la gestion des principales filiales à des
repreneurs étrangers se traduit par une dissolution progressive de la fonction RH centrale
dans les RH opérationnelles. En effet la DRH
se trouve contestée de fait par les nouveaux
gestionnaires des différentes filiales qui redéfinissent à leur manière et à leur niveau respectif la GRH dans les différentes unités. On peut
même considérer que la situation actuelle est
une revanche des DRH opérationnels qui sont
sollicités par les nouveaux gestionnaires qui
ont besoin d’eux pour leur connaissance de
la règlementation du travail et leur compétence sur le plan de la gestion des relations
sociales dans l’entreprise lorsqu’ils en ont. Par
ailleurs, cette nouvelle situation, redonne de
la profondeur stratégique à l’entreprise, qui
redéfinissent totalement la politique RH de
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
130
l’entreprise particulièrement la logique salariale en termes de contribution-rétribution par
la remise en cause de l’octroi automatique de
primes sans rapport avec la production et la
productivité.
2.2. L’histoire d’une reprise :
le cas KNAUF Algérie
Le second cas que nous abordons est celui KNAUF Algérie. Cette entreprise est issue
d’une prise de participation majoritaire au
début et l’acquisition de la totalité du capital cette année, par une entreprise étrangère
européenne présente dans plusieurs pays européens et Maghrébins. Le changement dans
cette entreprise se fait dans un contexte de
contestation de la GRH héritée de l’entreprise
publique. Cette dernière est progressivement
démontée lui substituant une GRH hybride à
même de répondre aux exigences des nouveaux propriétaires.
Nous nous intéresserons en particulier au
personnel d’encadrement administratif et
technique. Plusieurs passages dans l’unité
nous ont permis d’avoir des entretiens de plus
d’une heure avec le directeur adjoint représentant l’ancien propriétaire, un cadre administratif et financier expatrié proche du nouveau propriétaire, un cadre de la DRH et un
cadre technique informaticien de formation
recruté nouvellement et activant dans la direction commerciale. Dans les pratiques de GRH
nous avons privilégié la gestion du collectif
et les recrutements, la politique salariale et
le système de primes, enfin le système d’évaluation ou d’appréciation. Ces pratiques de
GRH sont considérées comme des pratiques
sensibles aux différences institutionnelles ;
l’intérêt du cas étudié est qu’il opère dans une
situation de double changement : un changement institutionnel qui impose ensuite un
changement organisationnel.
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
A la veille de sa reprise par le groupe étranger l’entreprise à subi une première restructuration du collectif avec la réduction de son
volume par des départs volontaires et des
départs en préretraites ; opérations financées
par l’Etat. Cette opération de restructuration
était sensée régler la question des emplois
redondants et créer les conditions d’une amélioration des résultats financiers. En réalité,
cette opération de downsizing a plutôt produit
des effets contraires aux objectifs escomptés.
Les personnels les plus qualifiés se sont portés
candidats au départ volontaire profitant de
l’opportunité qui leur était offerte par l’Etat de
bénéficier d’une forte indemnité de départ. Ils
saisissaient, ainsi, la possibilité d’aller travailler au sein des entreprises privées nationales
et étrangères, nouvellement installées, et qui
recrutaient ces personnes qualifiées nécessaires à leur démarrage.
Les personnels les moins qualifiés et qui
ont refusé le deal de départ volontaire, développent une stratégie de résistance par des
moyens politiques ; ils « s’agrippent » à l’entreprise en prenant possession de la section
syndicale de l’entreprise qui devient l’organe
par lequel il marque leur résistance au changement. KNAUF en tant que PME d’envergure
internationale n’est pas dans une logique de
diffusion d’un modèle de gestion de référence
; elle opère par la déconstruction- reconstruction du modèle dont elle hérite suite à
son achat de l’unité. Elle opère par touches
successives en faisant appel à des bureaux de
conseils et à l’expertise locale pour la GRH
et à sa propre expertise pour les questions
techniques. Ces interventions ont concerné le
système de rémunération et le recrutement de
son encadrement.
La direction du changement organisationnel, au départ, est confiée à un équipe de
cadres expatriés qui investissent la production
et redéfinissent la stratégie de l’entreprise ; elle
oriente, désormais, l’activité vers la production de murs de séparation en plâtre suite à
un investissement nouveau dans ce domaine.
L’action sur le collectif, pour la mise au travail
effective opère quant à elle à trois niveaux :
- Un niveau technique, par une rénovation et une grosse opération de maintenance curative mettant fin définitivement
aux fréquentes pannes dans le processus de
production à l’origine d’arrêts fréquents de
production et des flâneries ouvrières,
- Le deuxième niveau porte sur une réorganisation de l’activité ; l’entreprise externalise les opérations d’expédition afin de
mettre fin aux déviances que connaissait
l’unité précédemment. En effet, l’ambivalence dans la gestion de l’interface production/expédition était à l’origine d’un détournement d’une partie de la production.
- La troisième action porte sur le système
de rémunération. La nouvelle direction
conteste le système de rémunération en
particulier les primes de rendement individuel (PRI) et prime de rendement collectif
(PRC) issues de l’ancien système de rémunération le SGT (Statut général du travailleur) qui octroyait ces primes sans aucun
rapport avec la production et la productivité
et qui était à l’origine d’un comportement
de type passager clandestin généralisé. Le
nouveau contrat social met fin à ce système
et introduit un système de prime effectivement lié à la production et avec un système
d’appréciation faisant intervenir les responsables hiérarchiques dans l’évaluation des
salariés.
La multi culturalité du nouveau collectif, par
lequel le nouveau management opère désormais dans la diffusion de son nouveau modèle de GRH, met en œuvre trois sous collectifs posant par la même occasion la question
de leur gestion sous l’angle de leur diversité
culturelle.
131
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
Le premier est composé essentiellement de
personnel expatrié avec parfois des nationalités différentes, recruté par la maison mère.
Il joue le rôle de diffuseur du modèle de gestion définit par le nouveau management. Ce
personnel occupe une position à la fois d’ingroupe et out-groupe du fait de leur position
d’extériorité immanence. Le deuxième souscollectif est représenté par les anciens de
l’unité dont a hérité l’entreprise repreneuse«
formatés » à la culture de l’entreprise publique
sommés de changer leur culture.Ce groupe
est doublement contesté dans sa majorité ;
- par la faiblesse de ses qualifications que
les repreneurs essaient de prendre en charge
par une action de formation importante,
- par les habitudes et comportement au travail ; les repreneurs imposant une discipline
au travail (lutte contre les flâneries mais aussi
respect des horaires) et nouvelles exigences en
termes de production et de productivité dont
se souciait très peu l’ancien système de gestion politique en gardant toutefois leur statut
ancien et leur mode de rémunération avec
une PRI /PRC calculée sur une base négociée
avec le syndicat hérité la période de gestion
publique.
Ces personnels peu qualifiés ont développé
une stratégie de forte syndicalisation pour se
prémunir contre leur licenciement éventuel.
Le troisième sous-collectif enfin, sur lequel
s’appuie la nouvelle stratégie de reconstruction du collectif et de la nouvelle culture, comprend des personnels d’encadrement recrutés
sur le marché local, en général jeunes et en
situation de premier emploi avec lesquels
l’entreprise essaie de construire la culture de
l’entreprise telle que conçue par la nouvelle
direction articulée fondamentalement autour
des exigences de résultats économiques.
Notre analyse fait ressortir des difficultés
liées à la construction de ce nouveau col-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
132
lectif permettant de passer d’une situation de
gestion de la diversité culturelle du collectif à
un collectif interculturel. Jusqu’à présent nous
avons affaire à une simple juxtaposition de
sous collectifs qui ont des difficultés à se dissoudre dans un nouveau collectif qui gomme
cette diversité correspondant aux nouvelles
exigences d’une économie ouverte. Dans ce
nouveau contexte, la recherche de synergie
dans le souci de la performance économique
incite les entreprises à envisager comme première solution la transposition d’une GRH
ayant fait ses preuves d’efficacité dans des
conditions analogues de concurrence. Toutefois la « transposition » du modèle de compétences ne peut se réduire à une simple
copie reconduite dans un autre espace. C’est
là un processus qui actionne des variables
contextuelles et le jeu des différentes parties
prenantes de la GRH. Le niveau d’hybridation
exprime le degré d’affectation de la GRH par
ces deux dimensions.
Concourent à cette diffusion également les
bureaux d’études et conseils étrangers sollicités par les entreprises algériennes publiques
qui ont le souci de reconstruire un modèle
de GRH centré sur l’exigence financière et
le respect de la contrainte de production et
de valorisation du capital dans le cadre de la
renonciation à une GRH politique en situation
d’échec. En réalité, les préconisations de ces
bureaux ont le souci de répondre aux attentes
des donneurs d’ordres.
Pour les entreprises étrangères, ces pratiques sont transférées à travers les différentes
filiales algériennes de ces entreprises en vue
d’atteindre la nouvelle efficience et performance et de créer un environnement organisationnel plus isomorphe et uniforme, une
culture et un climat organisationnel en rupture avec l’ancien fondé sur la négation de
la contrainte budgétaire dans les entreprises
publiques alors dominantes.
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
Dans le cas de KNAUF Algérie, la maison
mère a sollicité les compétences de la filiale
française qui a détaché des cadres techniques
et administratifs pour assurer la transposition
du modèle de la maison mère. La maitrise de
la langue française par les intervenants est la
raison essentielle de leur choix. L’action des
intervenants expatriés détachés en situation
de déplacement international est trop couteuse. Ils ont assuré la mission de diffuseur du
nouveau modèle de gestion et cède la place
actuellement au nouveau collectif formé d’autochtones issus du marché de travail national.
la construction du collectif de travail ou sa
reconstruction en tant que processus opère
progressivement par l’émergence du sous collectif de ces jeunes nouveaux recrus qui vont
progressivement affirmer leur hégémonie du
fait du retrait des expatriés chargé de la mission de diffusion, de la dissolution-exclusion
du sous collectif hérité de l’unité publique.
L’intérêt pour les pratiques ayant fait leurs
preuves dans les maisons mères, leur tentative de diffusion par les maisons mères pour
les entreprises étrangères ou leur tentative
d’adoption par les grandes entreprises nationales (qui sollicitent des bureaux d’étude
étrangers pour leur conception et leur mise
en œuvre) est le premier moment de ce processus de déconstruction reconstruction du
collectif de travail. In fine, dans l’entreprise
observée, la direction de l’unité qui était assurée conjointement par un des propriétaires
allemand et un sous directeur issu de l’ancien
groupe public revient à un jeune cadre autochtone ayant fait ses preuves au sein du groupe
KNAUK. L’action voit le retrait volontaire du
dirigeant l’Allemand et l’éviction du dirigeant
représentant l’ancien groupe propriétaire. Par
ailleurs, le sous collectif des expatriés fortement présent dans le premier temps voit sa
mission finir avec l’achèvement de l’opération
d’investissement et de rénovation des anciens
outils de production.
2.3. Une unité nouvelle
étrangère AFIA-Algérie, l’expérience d’une diffusion.
Le troisième cas de figure sur lequel s’appuie notre observation est l’unité du groupe
Saoudien SAVOLA /AFIA Algérie qui produit des huiles de table. Unité récente, elle
a démarré la production en 2008. C’est un
nouvel entrant dans la branche dominée par
le groupe privé CEVITAL suite à la faillite de
l’ancien monopoleur public ENCG dont certaines unités ont étés privatisées depuis peu et
qui ont repris la production avec label SAFIA.
Ces trois entreprises se partagent le marché
avec une place dominante pour CEVITAL.
Toutefois AFIA a une stratégie agressive de
conquête de part du marché domestique et
d’exportation vers les pays du Maghreb ; ce
qui suscite la réaction des concurrents, particulièrement de CEVITAL qui essaie de préserver sa position dominante de quasi monopole. Nous sommes dans le cas de figure
d’un grand groupe industriel qui dispose d’un
modèle de gestion de ressources humaines de
référence qu’il essaie de diffuser dans ses différentes unités dans le monde. Le champ de
prédilection du groupe semble être les pays
musulmans, ce qui facilite, à priori, la définition d’une GRH transposable grâce à l’enveloppe idéologique d’inspiration religieuse
musulmane qu’il a adopté.
Le montage du capital fixe est accompagné
de celui d’un collectif de travail qui se structure et fonctionne selon les règles du modèle
de gestion de la maison mère articulé autour
de l’objectif d’efficacité financière. En effet,
le modèle de gestion est enchâssé dans un
cadre éthique d’inspiration religieuse qu’il revendique. Il est écrit dans le dispositif éthique
du groupe SAVOLA qui fixe le cadre dans
lequel vient s’inscrire le modèle de gestion
de l’unité : «Our beliefthatdespite all efforts,
133
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
success in business needs a blessing from
Allah… We firmly believe that Allah’s help
and blessing will always be there supporting
those who maintain good and sincere intentions ». L’usage de concepts d’inspiration religieuse ne signifie pas que l’entreprise fasse du
prosélytisme ou de la diffusion d’une morale
religieuse. On est en présence d’une simple
logique discursive en phase avec la culture
du collectif facilitant la diffusion du modèle de
GRH défini par la maison mère.
La seule exigence d’adaptation porte sur
le respect des règles légales qui régissent
les relations de travail en Algérie. Le modèle
de gestion est construit sur quatre dispositifs
externes qui régissent le rapport à l’autre,
parties prenantes externes que sont : trusting
(ihsan al-dhan) qui signifie « webelievewhatotherssay to us withoutdoubtingtheir intentions »
c’est-à-dire l’absence de suspicion dans une
démarche win-win ce qui facilite l’accepting
ou Qabool c’est-à-dire la capacité de « trying
to trulyunderstand and workwithdifferentviews
». Il ne s’agit pas d’une simple posture de
tolérance mais de partage de projets dans
l’acceptation de la différence.
Ce qui suppose « l’approching» (LQ’BAL)
l’acceptation et surtout la capacité de bénéficier de l’autre point de vue dans l’intérêt de
l’entreprise donc de la capacité de faire sien
cet autre point de vue lorsqu’il est en phase
avec les objectifs et intérêts de l’entreprise.
Le dernier dispositif Caring (MU’AZARAH)
continue (LQ’BAL), il exprime la capacité de
travailler avec les parties prenantes externes
comme le « mutual respect and undestandingwhichexistsamongmumbers of highly effective and productive teams ». Ces dispositifs se
conjuguent avec quatre autres principes de
posture essentielles pour le personnel que sont
confident humility (TAWADOO) qui signifie
absence d’arrogance et le refus de suffisance,
la disposition à apprendre ( apprenticeship
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
134
LQ’TIDA), la force de résolution ( fierceresolve
AZM) et en dernier la recherche de la perfection dans le travail (relentlesspursuit of perfection IT’QAN). Les pratiques de GRH mises en
œuvre par l’unité laissent apparaitre :
- 1) Une logique de compétence déclinée en termes de rôle avec ses trois composantes: savoir, savoir-faire et savoir être.
Cette orientation conduit à mettre en œuvre
une politique de rémunération et de gestion
individuelle des carrières. En effet l’entreprise
ne dispose pas à proprement parler d’une
grille des rémunérations ; le salaire est objet
de négociation individuelle au recrutement et
revu à la hausse lors de l’évaluation annuelle.
Cette négociation opère dans une fourchette
de variation construite à partir du salaire catégoriel modale, du salaire le plus bas et le plus
élevé de la catégorie socioprofessionnelle. Le
salarié qui s’avère incapable de répondre aux
attentes de l’entreprise est poussé à la démission et donc éjecté du système.
- 2) Une politique de sélection et recrutement, comme dispositif central de la GRH,
en termes de potentiel ; la situation du marché du travail permettant d’être également
exigeant quant au niveau de compétence à
l’embauche. L’entreprise a le souci de choisir
des personnels présentant des potentialités à
mettre en œuvre les exigences du modèle de
GRH de l’entreprise.
- 3) le troisième élément est la tentative de
faire du rapport salarial une relation d’agence
par le dispositif contractuel déléguant au salarié un certain nombre d’activités au nom des
actionnaires avec des objectifs et des modalités d’évaluation de leur niveau de réalisation.
Ce dispositif contractuel est dénommé
SMART (Specific Measurable Activable
Realistic Timable). Il est particulier, susceptible de mesure et d’être activé, réaliste et
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
programmable dans le temps. Il comprend
3 obligations :
- la réalisation des engagements sur le plan
de l’activité qui participe à 70% du SMART
- la réalisation des objectifs en termes de
développement personnel (construction et
développement de ses compétences) 15% du
SMART, enfin
- la contribution au développement des
compétences de l’entreprise par un système
de tutorat (coaching one to one) pour 15%
du SMART.
L’enveloppe sémantique à connotation «
religieuse musulmane » confère au modèle
de GRH de l’entreprise une dimension paternaliste certaine même si nous avons affaire
à un modèle construit sur une logique de
compétence déclinée en termes de rôle. La
gestion par objectifs, le système de coaching
transfère le contrôle du travail sur le salarié.
Si le travail n’est pas supervisé directement
comme c’est le cas du modèle fordien, son
évaluation se fait à postériori grâce au système de coaching ainsi que le système d’appréciation concernant l’atteinte des objectifs
préalablement négociés.
2.4.DISCUSSIONS
Le processus de diffusion ou de transposition du modèle de GRH traduisant une
situation d’isomorphisme est affecté par le
dispositif institutionnel même si les entreprises
sont concomitamment des acteurs dans la
construction de ce dernier. La situation est différente selon que l’on a affaire à une entreprise publique ou une entreprise privée. Dans
le cas des entreprises publiques qui n’ont pas
connu une privatisation de leur patrimoine
ou de leur gestion (« entreprises molles »), la
logique de résistance du collectif de travail
neutralise toute idée de changement réel.
La domination d’une GRH politique affranchit l’entreprise d’une obligation de valorisation du capital, elle fait que toute tentative
d’implantation d’un modèle de GRH articulé
autour d’une relation de travail en termes de
contribution productive-rétribution est annihilée. Le modèle proposé à la transposition est
détourné de sa vocation, il est dissous dans la
GRH politique dominante et dans certains cas
la conforte.
Ceci est possible par le retour de l’Etat
gestionnaire, fort de ses capacités de financement par la rente hydrocarbures, dans les
grandes entreprises publiques qui ont survécu ou qui n’ont pas été concernées par les
opérations de privatisation des années 90 du
siècle dernier. Ce retour marque également la
volonté de l’administration centrale à travers
les institutions de gouvernance des entreprises
publiques de garder sa position tutélaire. Elle
les réactive dans le cadre d’un projet industriel
dont les contours ne sont pas clairement identifiés. Par ailleurs le collectif de travail ou du
moins le sous collectif le moins qualifié active
la courroie politique que constitue le syndicat
pour faire valoir leur revendication auprès de
l’administration centrale pour des exigences
salariales et combler les déficits récurrents par
le trésor publique qui prend en charge la dette
des entreprises auprès des banques primaires.
En réalité, le degré de changement est
fonction de la capacité de générer un surplus
financier qui assure un degré d’autonomie
par rapport à l’administration centrale et les
banques primaires qui assurent les avances
en capitaux pour « les entreprises dures ». Le
résultat financier positif est lui-même corrélé
à la capacité de l’entreprise d’innover sur le
plan de l’organisation. Le travail d’investigation de notre groupe sur différents cas, notre
activité dans les entreprises publiques en tant
qu’observateur immergé, en tant qu’acteur
et en tant qu’observateur extérieur selon
135
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
les cas nous permet de formuler un certain
nombre de remarques essentielles caractérielles de la GRH des entreprises publiques
dans un contexte de globalisation.
Les différentes unités publiques ont « bénéficié » de plan de restructuration des effectifs
avec un financement public. Par ces plans ces
entreprises ont réduit conséquemment leur effectif par la suppression de nombreux emplois
redondants qu’elles connaissaient. Le changement organisationnel dans ces entreprises, la
filialisation des différents sites de production
voit la contestation d’une GRH centrale qui
est désormais perçue comme un poids dont
l’existence ne se justifie pas. Son intervention dans les différentes filiales est considérée
comme non nécessaire donc à l’origine d’un
coût de structure et l’entreprise gagnerait à la
supprimer ou la réduire à sa portion congrue.
Le retrait de l’Etat du champ économique au
profit du marché, dans le cas de la privatisation du management, conduit à contester de
fait une GRH politique en même temps que
la gestion administrative de l’économie par
la diminution des injonctions et directives de
l’administration centrale.
En réalité le rapport entre l’administration centrale et les directions des entreprises obéit à un
mouvement de balancier fonction des possibilités de financement par la rente hydrocarbures.
Dans cette situation de rupture les GRH centrales
perdent leur vocation de « messager » et de porteur de directives du fait de la contestation ou de
la remise en cause de la profondeur stratégique
unissant les directions centrales et les unités et
par voie de conséquence les DRH centrales et
celles des filiales. Ce revirement stratégique est
marqué par une grande incertitude avec un
marché des biens et services concurrentiel et un
marché du travail qui ne fournit pas nécessairement une main d’œuvre qualifiée nécessaire à
la compétitivité de l’entreprise dans un marché
ouvert désormais à la concurrence.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
136
Les tentatives d’adaptation des ressources
humaines aux nouvelles exigences se heurtent
à des facteurs internes peu maitrisés et des
facteurs externes sur lesquels les entreprises
publiques n’ont pas prise. Le collectif de travail hérité de l’économie administrée avec
une relation d’emploi centrée sur le statut et
la pérennité, avec des habitudes et des comportements peu favorables au changement,
l’anesthésie de la contrainte monétaire font de
ce collectif un obstacle au changement. Les
résistances au changement qu’il développe, le
retrait de l’Etat qui n’assure plus les avances
monétaires par les banques contraignent la
construction d’une nouvelle GRH adaptée au
contexte. En effet ne pas pouvoir agir sur les
ressources humaines est incontestablement
une des raisons essentielles de l’échec des
entreprises publiques en activité. Tout projet
de changement se heurte à des routines organisationnelles et des résistances en particulier
des collectifs restructurés peu qualifiés.
C’est ainsi, comme nous avons pu le vérifier
dans nos différentes investigations sur le terrain, le déficit de qualification, la persistance
de mauvaises habitudes et la gestion politique
d’une relation de travail qui était plutôt une
relation d’emploi articulée autour d’un statut et d’une pérennité de cette relation sans
exigence productive, transforme la ressource
humaine en véritable contrainte. Le retrait du
système bancaire et une plus grande prudence
des banques quant au financement des entreprises, la récupération du pouvoir monétaire
par les banques primaires fait que l’accès au
crédit d’exploitation et d’investissement n’est
plus automatique comme du temps d’avant
les réformes des années 1990. Les spécificités
sectorielles, en particulier technologiques, ne
gomment pas quelques caractéristiques générales. Chaque GRH présente les particularités
techniques et de marché de l’activité ou de
la branche dont il faut tenir compte. La particularité du procès de travail et la configura-
GRH et Mondialisation : la question de la
diffusion du modèle de gestion dans les
entreprises en Algérie
tion du collectif deviennent une donnée dans
le changement ou une contrainte. D’un autre
coté, le processus de transposition semble
s’opérer dans les entreprises privées avec un
degré d’hybridation qui est fonction de l’existence d’une profondeur historique ou non.
Le niveau d’hybridation est plus fort lorsqu’il
s’agit d’une entreprise publique privatisée
avec ses habitudes et son histoire que dans
le cas d’une unité nouvelle issue d’un nouvel
investissement.
Conclusion :
L’approche institutionnelle offre un cadre
d’analyse qui semble approprié. Elle ouvre
de nouvelles pistes centrées sur les stratégies
d’acteurs. Elle montre la nécessité de dépasser la dualité conformité/résistance en mettant
l’accent sur les stratégies d’acteurs; ce qui
permet de dynamiser l’approche dépassant la
simple adaptation et faisant de la globalisation un vaste mouvement dans lequel l’action
des acteurs institutionnels à l’intérieur de l’entreprise mais aussi à l’extérieur est essentielle.
L’observation de la réalité des entreprises en
Algérie montre que celles-ci ne sont pas nécessairement vulnérables, elles peuvent être
des acteurs importants dans la construction
de cette globalisation comme elles peuvent
en atténuer l’impact lorsqu’elles développent
une stratégie défensive d’adaptation.
Les différentes entreprises que nous avons
visitées mettent en œuvre des stratégies
convergentes au niveau de leur GRH face aux
nouvelles exigences liées à la libéralisation de
l’économie. Elles profitent toutes de nouvelles
règles dans la législation du travail et optent
plutôt pour une relation d’emploi discontinu
avec une option préférentielle pour les CDD.
Elles ont toutes mené une opération de restructuration de leurs effectifs permettant de
supprimer des emplois redondants même si,
dans beaucoup de cas, les départs volontaires
ont été le fait de personnels qualifiés.
Dans ce cas les départs se sont avérés des
pertes de compétences que les entreprises ont
eu des difficultés à reconstituer. Elles ont également essayé de mettre fin à un système de
rémunération politique définissant le niveau
de rémunération à l’extérieure de l’entreprise,
par l’administration centrale. Ce système de
rémunération n’établissait de manière effective aucun lien avec le niveau de production
et de productivité. Il s’agissait de supprimer
toute différence de salaire pour des emplois
similaires à l’origine d’une mobilité interentreprises des salariés.
Le marché du travail était monopolisé par
l’Etat, offreur d’emplois, face à des demandeurs d’emplois qui ne pouvaient se mettre
en concurrence en fonction de leur compétence ni mettre en concurrence les entreprises
demandeuses.
D’une manière générale, les dispositions
qui relèvent de l’arrangement juridique et institutionnel local tendent à échapper à la globalisation même si les dispositifs institutionnels
de la globalisation comme celui de l’OMC
tendent à faire converger les règles locales.
L’existence d’une profondeur historique influe sur la diffusion d’un modèle de gestion
lorsque celui-ci existe. Le concept d’hybridation traduit les conditions de sa transposition
en tant que construit social. L’absence de
cette profondeur historique, qui agit comme
contrainte, comme c’est le cas de AFIA, la
prise en compte des variables culturelles facilite la diffusion d’un modèle de GRH de la
maison mère. Nous sommes alors en présence d’un modèle ethnocentrique où les
expatriés interviennent dans la filiale comme
diffuseur du modèle.
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GRH et Mondialisation : la question de la
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139
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH augmentent-elles la
compétitivité et la performance ? Rôle de
l’apprentissage organisationnel et de la capacité
d’innover (cas des firmes tunisiennes)
Abir BESBES
Université de Tunis
Boualem ALIOUAT
Université de Nice Sophia Antipolis
GREDEG, UMR 7321
Houcine KHEMIRI
Université de Manouba
RESUME
ABSTRACT
Il a été mainte fois attesté qu’il existerait une
relation directe entre les pratiques de la Gestion
des Ressources Humaines (GRH) et la performance supposée des entreprises, cependant peu
de travaux empiriques solides confortent cette
relation. Cette relation présente une importance
théorique et pragmatique très utile mais elle nécessite encore d’être formulée et même démontrée de façon plus explicite. Il s’agit, en fait, d’un
phénomène encore relativement méconnu et peu
vérifié (Chrétien et al., 2005). C’est notamment
le cas dans les pays où l’innovation est établie
en priorité de développement national, en particulier en Tunisie. C’est dans ce cadre d’étude,
d’incitation à l’innovation, que nous cherchons
à construire un modèle de GRH applicable aux
entreprises en général à partir d’une analyse
empirique tunisienne. Cet article s’inscrit dès lors
comme une contribution à la mesure de cette
relation entre pratiques RH et performance d’entreprise. Partant, nous introduisons les concepts
d’apprentissage organisationnel et de capacité
d’innovation pour étudier leurs effets médiateurs
entre les pratiques RH et l’avantage compétitif.
Par voie de conséquence, nous recherchons une
relation avec la performance de l’entreprise.
En suivant une démarche quantitative et à l’issue
d’une étude empirique menée sur un échantillon
de 351 entreprises tunisiennes, nous cherchons
donc à déterminer non seulement dans quelle
mesure les pratiques de GRH génèrent un avantage compétitif puis une performance supérieure,
mais aussi, dans quelle mesure l’apprentissage
organisationnel et la capacité d’innover médiatisent cette relation.
It has been attested many times that there is
a direct relationship between the practices of
Human Resources Management (HRM) and
corporate performance assumed, however, just a
little empirical analysis confirm this relationship.
This relationship has important theoretical and
pragmatic useful but still needs to be formulated
and proved even more explicitly. It is, in fact,
a phenomenon relatively unknown and few
checked (Christian et al., 2005). This is particularly the case in countries where innovation is
determined by priority of national development,
especially in Tunisia. It is, within this framework
of study, encouraging innovation; we seek to
build a model of HRM applicable to enterprises
in general from an empirical analysis in Tunisia.
This article is therefore a contribution to the
extent of the relationship between HRM practices
and business performance. Accordingly, we
introduce the concepts of organizational learning
and innovation to study their effects mediating
between HR practices and competitive advantage. Consequently, we seek a relationship with
the performance of the company.
Following a quantitative approach and an empirical study on a sample of 351 Tunisian firms, we
seek to determine not only the extent to which
HRM practices generate a competitive advantage
and superior performance, but also the role of
organizational learning and innovation capability
in mediating the HRM practices - competitive
advantage relationship.
MOTS-CLES: Pratiques de GRH, Apprentissage
organisationnel, Capacité d’innovation, Avantage compétitif, Performance de l’entreprise.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
140
KEYWORDS: HRM Practices, Organizational
Learning, Innovation Capability, Competitive
Advantage, Firm Performance.
Well, no cannonballs did fly, no rifles cut us down
No bombs fell from the sky, no blood soaked the ground
No powder flash blinded the eye, no deathly thunder sounded
But just as sure as the hand of God, they brought death to my hometown
They brought death to my hometown, boys
Bruce Springsteen, Death to my Hometown, Wreckling Ball, 2012
INTRODUCTION
En Tunisie, comme ailleurs, l’innovation et
l’apprentissage organisationnel sont souvent
associés à la capacité qu’a une entreprise de
se renouveler sans cesse et par conséquent de
se maintenir sur le marché, ou de consolider
sa compétitivité. Parfois, on associe les pratiques de GRH à ces capacités dynamiques
en les mettant même au cœur du processus.
Cependant que rien ne permet de dire comment ces pratiques RH agissent sur la compétitivité et la performance de l’entreprise. C’est
précisément ce que nous tentons de modéliser
dans ce travail de recherche : à savoir, comment les pratiques RH agissent précisément
sur l’innovation et l’apprentissage pour intensifier la compétitivité et la performance de
l’organisation.
Dans les contextes d’affaires qui se caractérisent aujourd’hui par un environnement
incertain voire turbulent, le fait de maintenir et développer des capacités dynamiques
adossées à la compétitivité et à la performance de l’organisation s’imposent de plus
en plus comme des facteurs clés de succès
stratégiques. De nombreuses recherches se
penchent vers une explication de l’avantage
compétitif en termes de ressources. Différents
critères ont été présentés dans la littérature
permettant de distinguer entre les ressources
qui fondent un avantage concurrentiel de
celles qui ne le procurent pas, comme l’immobilité, l’hétérogénéité, la rareté, l’inimitabilité, la non-substitution et la non-transférabilité (Peteraf, 1993).
Cette recherche s’inscrit dans l’optique
de l’analyse de l’avantage compétitif basé
sur les ressources (Resources Based View).
Cette théorie a été avancée pour la première
fois par Wernerfelt en 1984 et postule que
le succès de la firme est largement déterminé par les ressources dont elle dispose et
contrôle (Galbreath, 2005). La théorie des
ressources a permis le développement de
différentes approches visant à explorer les
concepts de connaissances, compétences
et capacités à savoir l’approche basée sur
les connaissances, l’approche des capacités
dynamiques et l’approche des compétences
(Brulhart et al., 2010). Toutes ces approches
ont insisté directement ou indirectement sur
le facteur humain qui tend à avoir un poids
stratégique accru eu égard aux nouvelles
exigences de l’environnement. Ces dernières
ont incité l’entreprise à chercher de plus en
plus à se distinguer de ses concurrents par
son personnel. De ce fait, plusieurs pratiques de GRH ont été considérées comme
cruciales à l’avantage compétitif (Gagnon et
Arcand, 2011). Ces pratiques peuvent supporter le processus d’apprentissage au sein
de l’organisation (Jabbour et Santos, 2008).
Elles peuvent aussi développer un capital
141
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
humain capable de créer de nouveaux produits et services et donc d’innover (Chen et
Hung, 2009). Pour Helfat et Peteraf (2003),
la conception d’une nouvelle capacité implique notamment la création d’une équipe
avec un leader organisée autour d’un objectif et capable d’une action jointe. La nouvelle
équipe commence avec un ensemble de dotations ; par exemple, chacun des membres
de l’équipe possède un capital humain (savoir-faire, connaissances, expérience) et un
capital social (à l’intérieur et/ou à l’extérieur).
Dans ce cadre, la GRH conduit les membres
de l’équipe à développer des capacités complémentaires et interagir pour améliorer le
fonctionnement de l’équipe.
Notre problématique (et son modèle
conceptuel, cf. Schéma 1) s’énonce comme
suit : Dans quelle mesure, les pratiques de
GRH, l’apprentissage organisationnel et la
capacité d’innover génèrent-ils un avantage
compétitif à l’entreprise et améliorent sa
performance? D’une façon spécifique, nous
cherchons à traiter les problèmes suivants :
1. Dans quelle mesure les pratiques de GRH
procurent-elles un avantage concurrentiel ?
2. Dans quelle mesure les pratiques de
GRH, par l’intermédiaire de l’apprentissage
organisationnel et la capacité d’innover, génèrent-elles un avantage compétitif ?
3. Dans quelle mesure cet avantage améliore-t-il la performance de l’entreprise ?
Shéma1: Modèle conceptuel et contribution mesurée de l’impact des pratiques de GRH sur la performance
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
142
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
Théoriquement, nous proposons certaines
sources d’un avantage compétitif et nous vérifions si elles peuvent effectivement fonder cet
avantage. Ainsi, nous vérifions la supposition
généralement acceptée dans la littérature qu’il
existe une relation significative entre certaines
ressources (surtout intangibles) l’avantage
compétitif et la performance. Empiriquement,
nous cherchons à présenter aux entreprises
la mesure de l’impact de certaines variables
sur la compétitivité et la performance pour
identifier les combinaisons de compétences/
ressources auxquelles elles doivent s’intéresser
prioritairement.
Présentons à présent les précisions conceptuelles, les hypothèses formulées, la méthodologie adoptée, l’analyse des données et les
principaux résultats constatés qui structurent
notre travail.
1.DEFINITIONS
CONCEPTUELLES DES
PRATIQUES RH ET DE
LEURS IMPACTS SUR
L’ORGANISATION
Nous établissons un lien entre pratiques de
RH, apprentissage organisationnel, capacités
d’innovation, avantage compétitif et performance.
1.1. Pratiques de GRH :
entre universalisme et contingence
La Gestion des Ressources Humaines
(GRH) est une fonction de l’entreprise qui
a pris ces dernières années une importance
considérable eu égard aux changements de
l’environnement externe (Gagnon et Arcand,
2011). Elle « consiste en un ensemble de démarches visant à recruter un personnel talentueux et plein d’énergie, à le perfectionner et
à le conserver » (Schermerhorn et al., 2008).
La GRH est désormais vue sous un angle
stratégique en cherchant un alignement
entre la stratégie RH et la stratégie d’entreprise (Arcand, 2006 ; Chrétien et al., 2005).
Cet alignement peut être matérialisé par la
mise en place des pratiques de GRH au service de la compétitivité et la performance de
l’entreprise.
Pour Chen et Huang (2009), les pratiques
de ressources humaines sont les principaux
moyens par lesquels les entreprises peuvent
influencer et façonner les compétences, les
attitudes et les comportements des individus
pour l’exécution du travail et ainsi l’atteinte
des objectifs de l’organisation. Ces pratiques
regroupent toutes les décisions managériales
et toutes les activités qui affectent la nature
de la relation entre les entreprises et son
personnel (Demirkaya et al., 2011). Il ressort de la littérature trois approches en gestion stratégique des ressources humaines à
savoir l’approche universaliste, l’approche de
contingence et l’approche de configuration
(Hounkou, 2011 ; Gagnon et Arcand, 2011)
: (1) Une approche universaliste qui considère
qu’il faut mettre en place les meilleures pratiques de GRH ayant un effet significatif sur
la performance de l’entreprise, et ce, d’une
façon universelle et indépendante du contexte
stratégique. Ainsi, il existe en GRH des pratiques qui sont meilleures que d’autres, qu’il
faut les repérer et les appliquer afin d’accroître la performance organisationnelle,
notamment sou l’angle de la motivation, la
participation, la formation, le recrutement et
la rémunération (Tseng et Lee, 2009) ; (2)
une approche de contingence qui intègre la
notion d’alignement entre les pratiques de
GRH et les facteurs de contingence auxquels
l’entreprise est soumise. Il s’agit d’une nuance
143
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
à l’approche universaliste (Fabi et Garand,
2004). En effet, l’idée des meilleures pratiques et de leur effet universel a été remise
en cause car les pratiques de GRH ne sont
appropriées que lorsqu’elles sont compatibles
avec les contingences dont subit l’entreprise
(Gagnon et Arcand, 2011). Ce sont donc les
facteurs contextuels qui déterminent les pratiques de GRH à mettre en œuvre (Huselid,
1995) ; et enfin (3) une approche de configuration qui postule que les systèmes de GRH
qui regroupent les activités GRH doivent être
liés à la nature et à la spécificité de chaque
entreprise (Hounkou, 2011). Ces activités
peuvent s’influencer mutuellement pour créer
« une véritable réaction en chaîne » (Gagnon
et Arcand, 2011, p.7). Le fait de générer des
configurations convenantes à tel ou tel type de
stratégie paraît difficile, voire même utopique
(Hounkou, 2011).
Dans le cadre de cette recherche, nous
adoptons une conception universaliste en nous
basant sur les pratiques stratégiques de GRH
les plus citées (la motivation, la participation,
la formation, le recrutement et la rémunération). La motivation est liée à l’ensemble des
forces qui poussent un individu à adopter un
comportement particulier. La participation est
le degré auquel l’individu est impliqué dans le
processus de prise de décision dans l’organisation (Tseng et Lee, 2009). La formation englobe toutes les activités donnant la possibilité
d’acquérir de nouvelles compétences professionnelles ou d’enrichir celles déjà existantes
(Schermerhornd et al., 2008). Le recrutement
est l’ensemble des actions visant à sélectionner, sur la base de certains critères et selon
certaines méthodes, le candidat correspondant aux besoins de l’organisation. Enfin, la
rémunération est considérée comme la rétribution allouée aux salariés en contrepartie de
leurs activités professionnelles. Elle permet à
l’entreprise d’attirer de garder des candidats
talentueux (Tseng et Lee, 2009).
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
144
1.2. Apprentissage organisationnel : entre expérience et
connaissance
Les origines de l’apprentissage organisationnel remontent aux recherches en psychologie sociale et cognitive (Piaget, 1952 et 1967
; Bandura, 1980 ; Argyris et Schon, 2001,
Bateson, 1977 ; Kolb, 1984). Issue de cette
origine, l’étude de l’apprentissage s’est développée ensuite par les travaux en sciences de
gestion (management, GRH, marketing, système d’information). Cet apprentissage permet d’améliorer la compréhension des conditions nécessaires pour aboutir à la formation
effective de capacités (Slaouti, 2012). La formation relèverait d’un processus complexe de
combinaison de différentes ressources dans
lequel l’apprentissage organisationnel reste
essentiel (Zollo et Winter, 2002).
Lors de cet apprentissage, on assiste à une
acquisition de connaissances (Wang et Ahmed, 2007), à leur partage au niveau collectif
(Helfat et Peteraf, 2003) et enfin à leur diffusion au sein de l’entreprise (Nonaka, 1994 ;
Narayanan et al, 2003). Cependant, si nous
pouvons percevoir la formation de capacités
comme un processus d’acquisition, de partage et d’intégration de connaissances au
niveau organisationnel (Felin et Foss, 2009),
nous maîtrisons beaucoup moins comment
les ressources sont ajustées pour former ces
capacités (Schreyyög et Kliesh-Eberl, 2007 ;
Grant, 2008 ; Helfat et al, 2007). Les capacités organisationnelles sont enchâssées dans
des processus organisationnels focalisés sur
la coordination, l’apprentissage et la transformation, mais les capacités dans les routines
et les processus peuvent procurer une source
d’avantage concurrentiel pour la firme (Harreld, O’Reilly et Tushman, 2007; Wu et al.
2010). Au demeurant, les capacités dynamiques dites « higher order » (Collis, 1994;
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
Winter, 2003) sont par ailleurs identifiées par
Dannells (2011) comme des « métacapacités
» correspondant aux capacités d’apprentissage à apprendre (« learning to learn capabilities »). Malgré l’existence d’une littérature
développée, le concept d’apprentissage ne
fait pas l’unanimité (Slaouti, 2012). Plusieurs
définitions ont été données dans la littérature
sans pour autant éliminer la confusion sur le
sens du concept (Crossan et al., 1995 ; Real
et al., 2006). Peu d’auteurs s’entendent réellement sur la définition et l’opérationnalisation du concept de l’apprentissage organisationnel (Vézina et Messier, 2005).
Les multiples approches théoriques montrent
des conceptualisations à la fois différentes et
complémentaires. Différentes conceptions de
l’apprentissage existent : les approches comportementale, expérientielle, cognitive, évolutionniste, et du knowledge management :
(1) L’idée maîtresse de l’approche comportementale est que l’apprentissage est une
réponse à un stimulus fondée sur les routines.
Cette approche est ainsi centrée sur le traitement des informations pour la résolution des
problèmes (March et Simon, 1958 ; Cyert
et March, 1963). L’apprentissage organisationnel implique donc des systèmes types de
pensée et plus particulièrement des systèmes
d’acquisition, d’interprétation, de diffusion et
de stockage des informations et des résultats
des expériences organisationnelles (Chenhall,
2005). Selon Reix (1995), un apprentissage
survient lorsque l’organisation, par le traitement des informations, accroît «le répertoire»
de ses réponses possibles à des événements
récurrents ou sélectionne des réponses mieux
adaptées et plus efficientes; il y a donc accroissement de la connaissance disponible
dans l’organisation.
Dans sa conception de l’apprentissage,
l’approche behavioriste a suscité des critiques
multiples. Elle a été considérée comme une
approche réductionniste dans la mesure où
elle réduit l’apprentissage à un simple processus d’adaptation et d’ajustement (Argyris et
Schön, 2001). En outre, elle accorde plus d’intérêt aux procédures qu’aux individus (Schön,
1983). Enfin, elle ignore la dynamique interne
de l’organisation et les interactions existantes
entre ses membres (Machat, 2003).
(2) L’approche expérientielle place l’expérience en amont du cycle d’apprentissage.
L’expérimentation en continu fonde l’apprentissage dans l’organisation (Day, 1994). Il
s’agit d’un processus à partir duquel une
connaissance est créée par la transformation
de l’expérience (Kolb, 1984 tel que cité par
Machat, 2003). Ce processus d’apprentissage est qualifié de dynamique, car il établit
un contact direct entre l’apprenant et son
environnement. A chaque fois que l’individu
interagit avec son environnement, il expérimente de nouvelles solutions permettant d’enrichir son vécu expérientiel et de satisfaire ses
besoins (Karolewicz, 2000). Toutefois, l’expérience ne suffit pas pour apprendre de nouvelles situations (Senge, 1991), d’où la limite
de l’approche expérientielle.
(3) L’approche cognitive se fonde essentiellement sur la psychologie cognitive. L’apprentissage est considéré comme un changement
cognitif et une modification de la connaissance (Fiol, 1994). Ainsi, cette approche
met en lumière les processus cognitifs faisant
référence à la façon d’acquérir et utiliser la
connaissance (Ubeda-Garcia, 2001) ou
à l’ensemble d’informations ancrées dans
l’expérience, les valeurs et les croyances personnelles (Nonaka et Takeuchi, 1995). Dans
cette approche, l’apprentissage a été défini
par Machat (2003, p. 29) comme étant «un
processus d’interaction entre l’environnement
(à travers les informations qui en proviennent),
l’individu (à travers ses modèles d’interprétation et ses comportements (à travers la réponse environnementale associée)».
145
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
(4) L’approche évolutionniste introduit les
changements dans les routines organisationnelles et apparaît ainsi complémentaire à
l’approche cognitive. Les changements des
connaissances de l’individu retracent une évolution ou un changement de ses comportements (Ubeda-Garcia, 2001). Nelson et Winter (1982, p.21) considèrent l’apprentissage
comme: « Le processus par lequel la répétition et l’expérimentation font que, au cours
du temps, des tâches sont effectuées mieux
et plus vites, et que de nouvelles opportunités
dans les modes opératoires sont sans cesse
expérimentées ». Concrètement, une organisation apprenante est celle dont les éléments
structurants (personnel, bases de données,
procédures de gestion…) évoluent sous l’effet
des pratiques (Chanal, 2003). Dans ce sens,
le phénomène d’apprentissage a été considéré comme une modification dans le temps des
connaissances mobilisées dans la pratique.
(5) L’approche basée sur les connaissances
est centrée sur les connaissances collectives
que les individus mobilisent dans leurs actions
(Midler, 1994). L’apprentissage implique alors
le développement des actions pertinentes
entraînant une amélioration du «corpus»
des connaissances disponibles au niveau de
l’entreprise (Ubeda Garcia, 2001). Il permet
de conjuguer trois phénomènes organisationnels: le changement, la technologie et le
dynamisme. L’apprentissage a pour objectif le
développement des structures et des systèmes
; il explique l’innovation technologique en
contribuant à l’augmentation des connaissances des individus et de l’organisation et
correspond à un concept dynamique, car il est
autant adaptation aux changements de l’environnement qu’action de changement interne
dans l’organisation (Ubeda Garcia, 2001).
Dit autrement, l’apprentissage organisationnel concerne tout autant les systèmes de
traitement de l’information pour la résolution
des problèmes (courant comportemental), les
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
146
processus basés sur les expériences (courant
expérientiel), les processus cognitifs (courant
cognitif), les processus en évolution continue
basés sur le principe de variation (courant évolutionniste) et enfin, les processus dynamiques
qui résultent du partage et du développement
de la connaissance entre les membres de l’organisation (courant du knowledge management). Ces différentes approches théoriques
ne sont néanmoins pas contradictoires, mais
plutôt complémentaires (Slaouti, 2012).
Dans cet esprit, les dimensions fréquemment associées au concept d’apprentissage
sont l’engagement dans l’apprentissage, l’ouverture d’esprit et la vision partagée (Baker et
Sinkula, 1999). A ces trois dimensions, Calantone et al. (2002), en élargissant le concept
de son niveau organisationnel à un niveau
inter-organisationnel, ajoute la dimension du
partage inter-organisationnel de la connaissance. Dans le cadre de cette recherche, nous
nous appuyons sur les quatre dimensions
avancées par Calantone et al. (2002).
1.3. Capacité d’innover :
conserver un spectre large
d’observation
Plusieurs approches sont également à distinguer :
(1) L’approche comportementale constitue le
paradigme dominant relatif à l’adoption de l’innovation, et ce, en mettant l’accent sur les actions de l’organisation liées à l’application des
idées nouvelles et à l’innovation des produits
et processus à travers l’application des idées
nouvelles permettant la création de la valeur
ajoutée d’une manière directe pour l’entreprise
et indirecte pour ses clients (Weerawardena et
O’Cass, 2004). Ainsi, la capacité d’innover a
été considérée comme l’aptitude de la firme à
développer et implémenter de nouvelles idées,
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
produits et processus (Luo et al. 2005). Il s’agit
de la capacité de la firme à s’engager dans
l’innovation (Koc et Ceylan, 2005).
(2) L’approche culturelle privilégie la philosophie de l’entreprise telle que les valeurs
de la culture organisationnelle (Besbes et
Gharbi, 2010). En l’assimilant à un aspect
de la culture organisationnelle, Hurley et Hult
(1998) considèrent l’innovation comme la
perspective collective qui s’ouvre à des idées
nouvelles. Calantone et al., (2002), dans
leur définition culturelle, attachent la capacité
d’innover à la volonté d’une organisation à
se changer. Pour Baumol (2002), la capacité d’innovation est «la reconnaissance des
opportunités de changements profitables et la
poursuite de ces opportunités tout au long de
leur adoption dans la pratique ».
(3) L’approche du knowledge management
a accentué le rôle de la connaissance dans
la détermination et l’amélioration de l’innovation (Besbes et Gharbi, 2010). Selon Chen
et Huang (2009), la capacité de la gestion
des connaissances a un impact positif et significatif sur l’innovation. Certaines études
ont même considéré que l’innovation commence par la construction d’une nouvelle
connaissance (Demerest, 1997; Martinet,
2003). Pour Nonaka et Takeuchi (1995), la
connaissance est l’essence même de l’amélioration du processus d’innovation. Ce processus passe par une interaction bien comprise
entre les connaissances organisationnelles et
son environnement. C’est dans ce sens que
l’amélioration de la capacité d’innover repose
sur l’interaction et la création d’idées basées
sur des connaissances organisationnelles et
sur la diffusion de nouvelles connaissances
tout en tenant compte des enjeux concurrentiels. Donc, il ne s’agit pas de construire des
bases de connaissances en elles-mêmes, mais
plutôt de chercher à s’organiser pour que les
pratiques innovantes se diffusent à travers l’or-
ganisation et contribuent ainsi à son progrès
(Chanal, 2003). En général, à tous les égards
conceptuels, l’innovation ne se réduit pas à
une idée nouvelle, une invention. C’est plutôt
une idée qui rencontre effectivement un marché (Liouville, 2006). Les nouvelles idées qui
sont perçues comme utiles, mais que le marché les rejette sont plutôt qualifiées d’erreurs
(Parellada et al., 1997).
Dans le cadre de cette recherche, nous
intégrons les différentes perspectives et nous
considérons que l’innovation est un concept à
la fois culturel, comportemental et basé sur la
connaissance. Cette triangulation est motivée
par le fait qu’il vaut mieux conserver une vision
générale sur ce concept, en tenant compte de
tous les aspects qui régissent l’innovation.
1.4. Avantage compétitif : du
positionnement aux ressources
Par une approche dite Market Based View,
l’avantage compétitif ou concurrentiel n’est
que l’avantage qui donne à une organisation
les moyens d’exploiter les forces du marché
et de l’environnement mieux que ses concurrents (Schermerhorn et al., 2008). Sa conception diffère selon qu’il s’agit d’une approche
structurelle ou d’une approche basée sur les
ressources (Slaouti, 2012).
(1) L’avantage compétitif selon l’approche
structurelle développée principalement par
M. Porter, accrédite l’idée que l’avantage
concurrentiel et la performance de l’entreprise
sont déterminés par la structure de l’industrie. Certaines industries sont plus profitables
que d’autres eu égard à leur structure et à
la structure de leur environnement (Meschi,
1997). Cette approche se fonde sur le positionnement produit/marché et sur l’examen
de toutes les activités de la chaîne de valeur.
Selon Porter (2000), une firme développe
147
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
son avantage concurrentiel en exerçant ses
activités stratégiques et créatrices de valeur à
meilleur marché et mieux que ses concurrents.
On parle des «activités qu’une firme accomplit
pour concevoir, fabriquer, commercialiser, distribuer et soutenir son produit» (Porter, 2000,
p. 49). La façon dont chaque activité créatrice
de valeur est exercée déterminera, non seulement, si la firme a des coûts élevés ou faibles
par rapport à ses concurrents, mais aussi, la
contribution qu’elle apporte aux besoins des
clients et à la différenciation (Porter 2000).
Cette approche a été jugée déterministe et a
cédé désormais la place à l’approche des ressources (Meschi, 1997).
(2) La théorie des ressources, quant à elle,
aborde une conception de l’avantage compétitif dans une perspective différente de
celle de Porter. L’avantage compétitif repose
principalement sur des combinaisons de ressources spécifiques qui sont non seulement
hétérogènes entre les firmes et imparfaitement
mobiles (Hunt, 2000), mais aussi, rares, non
imitables, non substituables et non transférables. C’est en termes d’avantage comparatif provenant d’une combinaison originale
de ressources que la firme peut obtenir sur
le marché une position d’avantage compétitif (Hunt, 2000). Cette position permet à la
firme de produire une offre de marché qui,
comparativement à l’offre des concurrents, est
perçue par le client comme ayant une valeur
supérieure et/ou produite à des coûts plus
faibles (Hunt, 2000).
Toutefois, la stratégie de marché requiert
des ressources uniques pour la supporter de
la même façon qu’une stratégie basée sur
les ressources doit être complétée par une
bonne stratégie de marché sans laquelle la
firme, peu important ses aptitudes uniques,
échouera (Tallman, 2001). Le paradigme
des ressources ne s’oppose pas à l’approche
de Porter en termes de coûts ou de différen-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
148
tiation; il la complète et même l’approfondit
en distinguant les ressources stratégiques qui
fondent l’avantage compétitif de celles qui ne
le sont pas.
1.5. Performance de l’entreprise : des mesures objectives
et subjectives
La notion de performance renvoie au rapport « Résultat – Effort » (Besbes et Gharbi,
2010). Elle indique le degré d’accomplissement des objectifs, des normes, des buts ou
des plans retenus par l’organisation (Silem
A., 1990). Ainsi, la performance est évaluée
relativement à des objectifs ou des références
(Bourguignon, 1995). Selon Bourguignon A.
(1995), la performance peut avoir trois équivalences : (1) l’action, (2) le résultat de l’action et (3) le succès. D’abord, la performance
est « une action » c’est-à-dire un processus et
non pas un résultat. Ce processus correspond
au fait d’agir et d’exécuter un travail ou une
activité. Ensuite, la performance est le résultat
de l’action. Il s’agit donc de procéder à l’évaluation des résultats obtenus suite à l’action
mise en œuvre. Enfin, la performance est
synonyme de succès dans le sens où elle renvoie à des représentations subjectives d’une
réussite variable et dépendante des acteurs
(Bourguignon, 1995).
La mesure de la performance peut être
effectuée d’une façon objective ou subjective
ou les deux à la fois en intégrant les critères
objectifs et subjectifs. Dans sa mesure objective, on peut associer au concept de la performance et à titre d’exemple les dimensions
du volume des ventes, de la profitabilité et de
la croissance des parts de marché. Dans sa
mesure subjective, des dimensions comme la
satisfaction des clients et leur fidélité ont été
associées à la performance. Dans un esprit
d’intégration, nous optons pour les mesures
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
objectives et subjectives de la performance et
nous nous appuyons sur les dimensions de
Hooley et al. (2005) à savoir la satisfaction
du client, la fidélité du client, la part relative
du marché, le volume comparatif des ventes
et la profitabilité.
2008). Partant des constats qui précédent,
nous émettons l’hypothèse suivante :
H1 : Les pratiques de GRH ont un
impact positif sur l’apprentissage
organisationnel
2.2. Pratiques de GRH et
Capacité d’innover
2. HYPOTHESES DE
RECHERCHES : DES
PRATIQUES RH A
LA PERFORMANCE
SUPERIEURE
Nos hypothèses de recherche résultent des
approches conceptuelles croisées que nous
formulons dans le cadre de ce protocole enchaînant les pratiques GRH, l’avantage compétitif et la performance supérieure de l’entreprise. Comme nous le verrons, les hypothèses
1 à 5 retracent les relations entre les pratiques
de GRH, l’apprentissage organisationnel, la
capacité d’innover et l’avantage compétitif,
tandis que les hypothèses H6 et H7 concernent
les variables qui médiatisent la relation entre
Pratiques GRH et Avantage compétitif. L’hypothèse H8 associe ensuite l’Avantage compétitif
et la Performance de l’entreprise.
2.1. Pratiques de GRH et
Apprentissage organisationnel
Les pratiques de GRH peuvent supporter le
processus de l’apprentissage organisationnel.
En proposant un modèle analysant la contribution des ressources humaines à la gestion
de l’environnement, Jabbour et Santos (2008)
considèrent que les pratiques de GRH sont
liées au travail en équipe, à la culture organisationnelle et à l’apprentissage organisationnel. Ces facteurs sont essentiels pour l’efficacité des pratiques de GRH (Jabbour et Santos,
Étant donné que la source de l’innovation
est la création d’une nouvelle idée, le capital
humain est devenu plus radical et les pratiques
de GRH ne peuvent être qu’une première étape
d’avance sur les autres techniques (Harun
Demirkaya et al., 2011). Les pratiques stratégiques en GRH peuvent conduire aux activités innovatrices, car ces pratiques permettent
à l’entreprise de découvrir et d’exploiter les
connaissances et les expertises des employés
dans l’organisation (Chen et Huang, 2009).
Ainsi, nous formulons l’hypothèse suivante :
H2 : Les pratiques de GRH ont un
impact positif sur la capacité d’innover
2.3. Pratiques de GRH et
Avantage compétitif
De nombreuses recherches se sont consacrées à l’étude de la relation directe entre
les pratiques de GRH et la performance de
l’entreprise (Hounkou, 2011 ; Tseng et Lee,
2009 ; Gagnon et Arcand, 2011, chrétien
et al., 2005). En adoptant la RBV, certaines
recherches ont démontré l’effet des pratiques
de GRH sur la création et le maintien d’un
avantage compétitif soutenable (Huselid,
1995 ; Fields et al., 2000). Selon Gagnon
et Arcand (2011, p.3), « la GRH est confrontée à plusieurs problématiques organisationnelles qui font ressortir l’importance de se
doter d’avantages compétitifs ». Ainsi, nous
supposons ce qui suit :
149
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
H3 : Les pratiques de GRH ont un
impact positif sur l’avantage compétitif
2.4. Apprentissage organisationnel et Avantage compétitif
La capacité à apprendre plus vite que les
concurrents a été considérée comme un
avantage compétitif durable (Slater et Narver,
1995 ; Sinkula et Baker, 1999). Selon Nicholls (1994), dans un environnement caractérisé par des changements rapides, l’avantage compétitif effectif d’une organisation
provient de ses capacités à apprendre comment reconnaître de nouvelles circonstances
et à y répondre. La connaissance même a
été considérée comme le fruit d’un processus
d’apprentissage qui constitue une source soutenant l’avantage compétitif (Ubeda Garcia,
2001). « Ce sont les concepts d’apprentissage
collectif et de connaissances accumulées qui
justifient la supériorité de l’entreprise et permettent de construire des avantages compétitifs durables » (Caroline Sargis, 2000, p. 5).
Compte tenu de ces constats, nous avançons l’hypothèse suivante :
H4 : L’apprentissage organisationnel a un impact positif sur l’avantage compétitif
2.5. Capacité d’innover et
Avantage compétitif
Les recherches théoriques et empiriques
consacrées à l’innovation tendent plus ou
moins vers les mêmes résultats qui démontrent
l’effet significatif et positif de la capacité d’innover sur la compétitivité et la performance
de l’entreprise.
Luo et al. (2005) ont même considéré que
l’importance de l’innovation n’est plus à dé-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
150
montrer ou à expliquer. Il est nécessaire de
chercher à s’organiser pour que les pratiques
innovantes se diffusent à travers l’organisation
et contribuent ainsi à son progrès (Chanal,
2003). Au sens de Teece et al. (1997), la capacité d’innover est une capacité dynamique
qui renouvelle la compétence et accomplit de
nouvelles configurations de ressources. Elle
permet à l’entreprise de s’aligner aux changements des forces du marché et par conséquent de s’adapter aux évolutions de l’environnement des affaires et des règles du jeu
concurrentiel. Eu égard à ces constats, nous
proposons de vérifier l’hypothèse suivante :
H5 : La capacité d’innover a un impact positif sur l’avantage compétitif
2.6. Impact médiateur de
l’apprentissage et de la capacité d’innover
Implicitement, les pratiques de GRH
peuvent affecter l’avantage compétitif à travers l’apprentissage organisationnel. En effet,
par des pratiques comme la motivation et la
formation, l’employé acquière des compétences et mobilise de nouvelles connaissances
lui permettront une meilleure résolution des
problèmes et une meilleure reconnaissance
des nouvelles circonstances pour y répondre
et développer un avantage compétitif. De
même, les pratiques de GRH peuvent affecter
l’avantage compétitif à travers l’innovation.
En fait, ces pratiques vont motiver et bien
former les employés pour encourager leurs
actions créatrices et exploiter leurs connaissances et compétences et par conséquent développer de nouveaux produits et/ou de nouveaux procédés de travail, ce qui améliore la
compétitivité de l’entreprise. Nous supposons
alors ce qui suit :
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
3. METHODOLOGIE DE
RECHERCHE
Nous exposons ici les principes adoptés
pour la mesure des variables et les outils de
collectes de données et d’échantillonnage.
3.1. Mesure des variables
H6 : L’apprentissage médiatise la
relation « Pratiques GRH - Avantage
compétitif »
H7 : La capacité d’innover médiatise la relation «Pratiques GRH Avantage compétitif»
2.7. Avantage compétitif –
Performance de l’entreprise
Hunt (2000) considère que l’objectif de la
firme est la réalisation d’une performance
financière supérieure. Cette performance
supérieure (parité, inférieure) résulte des
positions du marché relatives à un avantage
compétitif (parité, désavantage). Dans une
vision basée sur les ressources, le développement et le maintien d’un avantage compétitif
déterminent la performance de l’entreprise, et
même agit sur sa densité (Davis et al., 2003).
Selon Li et al., (2006), l’avantage compétitif accorde même à l’entreprise des niveaux
élevés de performance économique, de satisfaction des clients, de fiabilité et d’efficacité
relationnelle. La position compétitive est généralement la première source explicative des
différences de performances entre les firmes.
Ainsi, nous proposons l’hypothèse suivante:
H8 : L’avantage compétitif a un
impact positif sur la performance de
l’entreprise
Pour mesurer les pratiques de GRH, nous
retenons l’échelle adoptée par Tseng et Lee
(2009). Cette échelle est composée de 23 items
et dégage une assez bonne fiabilité (Alpha de
Cronbach: α =0,75) et une validité significative
confirmée. L’apprentissage organisationnel a
été mesuré par les échelles adoptées par Calantone et al., (2002) jugée fiable (α =0,777)
et valide. Pour mesurer la capacité d’innover,
Perdomo-ortiz et al. (2005) adoptent l’instrument de mesure désigné par Tang (1999) relatif aux facteurs clés de succès du processus de
l’innovation. Les auteurs retiennent 23 items
dans leur instrument de mesure « Business Innovation Capability measurement instrument ». Li
et al., (2005, 2006) ont développé une échelle
multidimensionnelle de mesure de l’avantage
compétitif dans ses dimensions prix/coût, qualité, conditions de livraison, innovation-produit,
temps de commercialisation. Cette échelle dégage une bonne fiabilité (α= 0,818) et une validité bien vérifiée. Toutes les échelles précitées
sont de type « Likert » à cinq points allant de 1=
« fortement en désaccord » à 5= « fortement en
accord ». En ce qui concerne la performance,
l’échelle de mesure multidimensionnelle développée par Hooley et al. (2005) s’avère parfaitement adaptée à notre recherche. Cette échelle
mesure à la fois la performance commerciale et
financière. Elle est de type « Likert » à cinq point
allant de 1= « très faible » à 5= « de loin la
meilleure ». Sa validité a été bien vérifiée et sa
fiabilité a été jugée bonne (l’Alpha de Cronbach
est de l’ordre de 0,86).
151
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
3.2. Outil de collecte
des données et processus
d’échantillonnage
L’outil de collecte de données que nous
avons retenu était le questionnaire. Il a regroupé toutes les échelles de mesure et il a été
soumis à un pré-test. Les deux versions finales
en français et en anglais ont été administrées
par différents modes : face à face, Fax et téléphone, et Internet. La population choisie était
relative aux entreprises tunisiennes opérant
dans le secteur informatique et télécommunication, le secteur industriel (agroalimentaire,
emballage et conception, électronique) et le
secteur financier (les banques).
Les méthodes d’échantillonnage suivies
étaient la méthode par choix raisonné et
celle de convenance. Le choix de l’une ou
de l’autre dépend principalement de certains
critères ou de certaines circonstances. Notre
échantillon final se compose de 351 entreprises. La répartition de l’échantillon selon les
secteurs d’activités est comme suit: 31% des
entreprises appartiennent au secteur informatique (développement software), 13% des
entreprises agissent dans le secteur télécommunication, 4% des entreprises font partie
du secteur bancaire et 52% des entreprises
appartiennent au secteur industriel dont 22%
en agroalimentaire, 20% en emballage et
conception et 10% en électronique.
Le critère de la taille a été étudié en se
basant sur le nombre d’employés: 24,8% des
entreprises ont un nombre d’employés entre
10 et 50. Cette tranche enregistre le taux le
plus élevé. En deuxième rang et pour moins
que 10 employés, on enregistre 23,1% des
entreprises alors que 18,2% ont un nombre
d’employés variant entre 50 et 100. Donc,
66,1% des entreprises de notre échantillon ont
un nombre d’employés ne dépassant pas 100
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
152
et sont en conséquence de petite et moyenne
taille (PME). Il y a uniquement 16,5% des
entreprises qui ont plus que 250 employés
et 13,6% ont un nombre d’employés variant
entre 100 et 250.
4. ANALYSE DES
RESULTATS EMPIRIQUES
ET DISCUSSION
Nous vérifions les échelles de mesure avant
d’évoquer la confirmation potentielle des hypothèses.
4.1. Vérification des échelles
de mesure
La vérification de la validité et de la fiabilité
des échelles de mesure adoptées a été effectuée par l’analyse factorielle suivie par l’analyse de fiabilité. Les deux types d’analyse ont
été effectués par le moyen du logiciel SPSS.19.
(1) Pour la mesure des pratiques de GRH,
l’analyse factorielle montre que le test KMO
est satisfaisant en affichant une valeur de
0,757 (>0,5). Les résultats montrent aussi que
le test de sphéricité de Bartlett est significatif
(Khi-deux= 1684,641; p= 0,000). L’analyse en composantes principales fait ressortir
quatre facteurs : (1) la formation (20,084%
de l’information saisie), (2) la motivation et la
rémunération (20,777%), (3) le recrutement
et la rémunération (13,8%) et (4) la participation (12,157% de l’information récupérée).
L’échelle est de bonne fiabilité en dégageant
un Alpha de Cronbach de l’ordre de 0,832.
(2) Pour la mesure de l’apprentissage organisationnel, l’analyse factorielle montre que
la matrice des données originales est factorisable. En effet, le test de KMO affiche une
valeur de 0,873 (>0,5). De même, le test
de sphéricité de Bartlett est significatif (Khi-
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
deux= 2484,471; p= 0,000). L’analyse en
composantes principales fait ressortir trois
facteurs. Le premier facteur représente la vision partagée. Il dégage une valeur propre
de 4,183 et saisit 27,846% de l’information récupérée. Le deuxième facteur relatif à
l’engagement dans l’apprentissage dégage
une valeur de 1,591 et saisit 27,218% de
l’information récupérée. Le troisième facteur
qui regroupe à la fois l’ouverture d’esprit et
le partage des connaissances a une valeur
de 1,245 et saisit 15,118% de l’information
récupérée. L’analyse de fiabilité montre une
bonne fiabilité pour le premier et le second
facteur (soit respectivement α=0,852 et
α=0,813) et une fiabilité acceptable pour le
troisième (α= 0,639).
(3) En vérifiant la mesure de la capacité
d’innover, nous avons constaté que le test
KMO et le test de sphéricité de Bartlett sont
satisfaisants. En effet, l’indice KMO enregistre une valeur de 0,891 (>0,5) et le test de
sphéricité est significatif (Khi-deux approximé
= 3048,954; p=0,00). La quatrième analyse en composantes principales fait ressortir quatre facteurs ayant des valeurs propres
supérieures à 1. L’ensemble des facteurs saisit
60,268 % de l’information initiale. Le premier
facteur regroupe à la fois l’information et la
communication & le comportement et l’intégration. Le deuxième est relatif aux projets
innovateurs. Le troisième facteur exprime les
connaissances et compétences & la planification alors que le dernier explique l’ouverture à
l’environnement externe. L’analyse de fiabilité
montre une bonne consistance interne pour le
premier facteur (Alpha de Cronbach= 0,827.
La fiabilité des trois autres facteurs est acceptable (soit respectivement α= 0,779 ; α=
0,732 ; α= 0,696).
(4) L’analyse factorielle effectuée sur
l’échelle de l’avantage compétitif montre que
le test KMO et le test de sphéricité de Bartlett
sont satisfaisants. En effet, l’indice KMO enre-
gistre une valeur de 0,802 et le test de sphéricité est significatif (Khi-deux= 2153,953;
p= 0,000). La purification de l’échelle a
été basée sur l’élimination de l’item n° 3 de
l’avantage-qualité car il montre une faible
qualité de représentation (soit 0 ,328 < 0,5).
L’analyse en composantes principales montre
cinq facteurs ayant des valeurs propres supérieures à 1 et expliquant en total 73,742%
de l’information initiale. Ces facteurs sont
respectivement la qualité (17,586% de la
variance), l’innovation- produit (16,734%),
le temps (16,106%), les conditions de livraison (11,744%), le prix (11,572%). L’analyse
de fiabilité montre une bonne fiabilité pour
les premier, deuxième et cinquième facteurs
(α=0,830; α=0,863; α=0,826). La fiabilité
des troisièmes et quatrièmes facteurs est acceptable (α=0,755 ; α=0,759).
(5) La vérification de la validité et de la fiabilité de l’échelle de la performance montre
deux facteurs ayant des valeurs supérieures à
1 et représentant 77,309 % de la variance
totale. Le premier facteur (49,760% de la variance) indique la performance financière supérieure avec une bonne fiabilité (α=0,896).
Le second facteur (27,549% de la variance)
représente la performance commerciale supérieure et il est jugé de très bonne fiabilité
(α= 0,916).
4.2. Vérification des hypothèses
Comme nous le verrons, toutes nos hypothèses sont confirmées. Comme le présuppose notre modèle conceptuel général, les
pratiques de GRH affectent positivement et
significativement l’avantage compétitif via les
capacités d’apprentissage organisationnel et
les capacités d’innover qui, à leur tour, accordent à l’entreprise une performance supérieure.
153
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
4.2.1. L’impact des pratiques de
GRH sur l’apprentissage organisationnel
• Pratiques GRH / Apprentissage-Vision
partagée (annexe 1)
Les pratiques de GRH expliquent d’une
façon significative 18% de la vision partagée
(F=18,372; p=0,000). Les quatre facteurs
des pratiques de GRH agissent de manière
positive et significative sur l’engagement
dans l’apprentissage. En effet, leurs Bêtas
standardisés sont positifs et significatifs. Leurs
significations sont assurées par les tests de
Student affichant des valeurs supérieures
à 1,96 avec des probabilités d’erreur inférieures au seuil de 5%.
• Pratiques GRH / Apprentissage-Engagement dans l’apprentissage (annexe 2)
L’engagement dans l’apprentissage est expliqué de l’ordre de 21,7% par les pratiques
de GRH. Cette relation est positive et significative et elle se manifeste par les quatre facteurs
des pratiques de GRH.
• Pratiques GRH/ Apprentissage-Ouverture d’esprit et partage des connaissances
(annexe 3)
Les pratiques de GRH expliquent 5,6% l’apprentissage organisationnel en termes d’ouverture d’esprit et de partage des connaissances. C’est uniquement la formation qui
agit négativement sur ce facteur. Nos résultats
confirment notre première hypothèse selon
laquelle les pratiques de GRH ont un impact
positif et significatif sur l’apprentissage organisationnel.
4.2.2. L’impact des pratiques de
GRH sur la capacité d’innover
Les pratiques de GRH expliquent la capacité
d’innover en termes de trois facteurs (annexe
4). Elles expliquent 20,9% des «Informations
& communications et Comportement & intégration», 24,6% des «Projets innovateurs» et
8,3% de l’«Ouverture sur l’environnement
externe». Ces pratiques n’expliquent pas la
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
154
capacité d’innover en termes des «connaissances & compétences et planification». De
par ces résultats, nous confirmons notre deuxième hypothèse stipulant que les pratiques
de GRH agissent positivement sur la capacité
d’innover.
4.2.3. L’impact des pratiques de
GRH sur l’avantage compétitif
Les pratiques de GRH expliquent 9,4% de
l’avantage-qualité, 4,1% de l’avantage-innovation, 24,1% de l’avantage-temps et 5,6%
de l’avantage-prix. Ces relations sont significatives. Les équations de régression sont
résumées dans l’annexe 5. Sur la base de
ces résultats, nous confirmons notre troisième
hypothèse stipulant que les pratiques de GRH
ont un impact positif et significatif sur l’avantage compétitif.
4.2.4. L’impact de l’apprentissage
organisationnel sur l’avantage
compétitif
• Apprentissage organisationnel / Avantage-qualité (annexe 6)
L’apprentissage organisationnel explique
24,7% de l’avantage-qualité (R2=0,247).
Cette relation est significative (F=32,997 ;
p=0,000). En ce qui concerne les paramètres
de régression, nous constatons que les trois
facteurs de l’apprentissage organisationnel
agissent de manière positive et significative
sur l’avantage- qualité.
• Apprentissage organisationnel / Avantage - Innovation produit (annexe 7)
L’apprentissage organisationnel explique
5,1% de l’avantage compétitif en termes de
l’innovation- produit. Cette relation est significative (F=16,249 ; p=0,000). Nous constatons qu’uniquement la vision partagée a un
impact positif et significatif sur l’avantageinnovation produit. La constante et les deux
autres facteurs sont non significatifs.
• Apprentissage organisationnel / Avantage-temps (annexe 8)
L’apprentissage organisationnel explique
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
significativement 10,8% de l’avantage-temps
(F=18,248 ; p=0,000). La vision partagée et
l’engagement dans l’apprentissage agissent
positivement et d’une façon significative sur
l’avantage-temps (les Bêtas sont positifs et
significatifs).
• Apprentissage organisationnel / Avantage-livraison (annexe 9)
L’analyse de régression montre que 2,9 %
de l’avantage-livraison est expliqué par l’apprentissage organisationnel. Il s’agit d’une
relation significative (F=4,486; p=0,012). Le
seul facteur ayant un impact positif et significatif sur l’avantage- livraison est la vision partagée. Les autres facteurs ont été écartés pour
leur non-signification.
• Apprentissage organisationnel / Avantage-prix (annexe 10)
Le modèle global de régression montre que
5% de l’avantage- prix est expliqué par l’apprentissage organisationnel. Ce modèle correspond à une relation significative (F= 8,003
; p= 0,000). La vision partagée et l’engagement dans l’apprentissage ont un impact positif et significatif sur l’avantage compétitif/ prix.
Tout ce qui précède nous mène à constater
que l’apprentissage organisationnel explique
l’avantage compétitif en termes de qualité,
innovation- produit, temps, conditions de livraisons et prix. Donc, nous confirmons notre
hypothèse stipulant que l’apprentissage organisationnel a un impact positif sur l’avantage
compétitif.
4.2.5. L’impact de la capacité d’innover sur l’avantage compétitif
• Capacité d’innover/ avantage- qualité:
Le modèle global de régression est significatif et explique 14,6% de la variation de
l’avantage-qualité. L’analyse de régression
montre que deux facteurs de la capacité
d’innover agissent positivement sur l’avantage- qualité (l’information & communication
et projets innovateurs). Les autres paramètres
ont été exclus pour leurs faibles significations.
• Capacité d’innover/ avantage- innovation:
La capacité d’innover explique 11,8% de
l’avantage compétitif basé sur l’innovationproduit (R-deux = 0,118). Le modèle global de régression est significatif (F=19,419
; p=0,000). L’analyse de régression montre
que les deux facteurs «Information & Communication et Comportement & Intégration»
et «Ouverture sur l’environnement externe»
agissent positivement et d’une façon significative sur l’avantage- innovation. C’est l’ouverture sur l’environnement externe qui a l’impact
le plus important sur cet avantage.
• Capacité d’innover/ avantage- temps:
La capacité d’innover explique 12,5% de
l’avantage- temps. Cette relation est bien
significative (F=10,272 ; p=0,000). Les facteurs ayant des impacts positifs et significatifs
sur l’avantage-temps sont l’«Information &
Communication et Comportement & Intégration», les « Projets innovateurs » et « Connaissance & Compétences et Planification ».
• Capacité d’innover/ avantage- livraison:
Le modèle global de régression explique
8% de la variation de l’avantage- livraison.
Ce modèle est significatif. L’«Information&
Communication et Comportement& Intégration» agit positivement et significativement sur
l’avantage basé sur les conditions de livraison [β= 0,257 ; (t= 4,556; p= 0,000)]. Au
contraire, le facteur «projets innovateurs» agit
négativement et d’une manière significative
sur l’avantage- livraison [β= -0,111 avec (t=
-1,969; p= 0,050)].
• Capacité d’innover/ avantage- prix:
Le modèle de régression montre que 3,5%
de l’avantage compétitif en termes de prix est
expliqué par la capacité d’innover (R-deux =
0,035). Les projets innovateurs constituent la
seule variable qui agit d’une manière positive
et significative sur l’avantage compétitif- prix
[β= 0,154 avec (t= 2,674; p= 0,008)]. Au vu
des régressions (annexe 11), nous constatons
que la capacité d’innover explique l’avantage
155
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
compétitif en termes de qualité, innovationproduit, temps, conditions de livraison et prix.
Donc, nous confirmons notre hypothèse stipulant que la capacité d’innover a un impact
positif sur l’avantage compétitif.
4.2.6. L’impact médiateur de l’apprentissage et de la capacité d’innover
Pour vérifier les effets médiateurs de l’apprentissage organisationnel et de la capacité
d’innover sur la relation entre les pratiques de
GRH et l’avantage compétitif, nous suivons
la procédure de Baron et Kenny (1986) relative à l’analyse de l’effet médiateur en quatre
étapes. La première étape est d’examiner la
relation entre la variable indépendante (pratiques de GRH) et la variable dépendante
(avantage compétitif). C’était le sujet de notre
première hypothèse. La seconde étape est de
vérifier les relations entre la variable indépendante (pratiques de GRH) et les variables
médiatrices (apprentissage organisationnel et
capacité d’innover). Il s’agit de nos deuxième
et troisième hypothèses. La troisième étape
est de vérifier les relations entre les variables
médiatrices et la variable dépendante (avantage compétitif). Ce sont nos quatrième et
cinquième hypothèses. La quatrième étape
est d’inclure les variables médiatrices dans le
modèle et de vérifier si elles affectent les relations directes.
Les résultats montrent que l’influence des
pratiques de GRH sur l’avantage-qualité et
l’avantage-livraison au travers l’apprentissage
organisationnel est forte car la médiation est
presque totale (annexe 12). En effet, la majorité des paramètres de régression sont non
significatifs. Par contre, l’apprentissage organisationnel joue un rôle partiellement médiateur entre les pratiques de GRH et l’avantage
compétitif en termes de l’innovation-produit,
de temps et de prix. L’apprentissage réduit significativement les coefficients de régression.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
156
Les résultats montrent aussi que la capacité
d’innover a un impact médiateur entre les
pratiques de GRH et l’avantage compétitif en
termes de qualité, innovation-produit, temps,
conditions de livraison et prix. Donc, nous
confirmons qu’aussi bien l’apprentissage organisationnel et la capacité d’innover ont un
impact médiateur sur la relation «pratiques de
GRH- Avantage compétitif».
4.2.7. L’impact de l’avantage compétitif sur la performance de l’entreprise
• Avantage compétitif / Performance financière supérieure
L’avantage compétitif explique 16,2% de la
performance financière supérieure. Cette relation est significative (F=13,357 ; p=0,000).
Les résultats de régression montrent que la
constante et la variable «avantage- prix»
sont non significatives (t<1,96 ; p>0,050).
Ce sont les «avantage- qualité», «avantagetemps» et «avantage- livraison» qui agissent
positivement et significativement sur la performance financière supérieure. L’équation de
régression est exposée en annexe 13.
• Avantage compétitif / Performance commerciale supérieure
L’analyse de régression montre que 14,4 %
de la performance commerciale supérieure
est expliquée par l’avantage compétitif basé
sur la qualité, l’innovation- produit, le temps
et le prix (R-deux = 0,144). Ce modèle correspond à une relation significative. L’analyse
montre aussi que la constante et le coefficient
standardisé « Bêta » de l’avantage- livraison
sont non significatifs (t=1,938 ; p=0,054).
Au contraire, pour les avantages qualité, innovation, temps et prix, les Bêtas sont positifs et
significatifs. L’équation de régression est exposée en annexe 14. Au vu de ces régressions,
nous confirmons notre hypothèse stipulant
que l’avantage compétitif a un impact positif
sur la performance de l’entreprise.
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
4.3. Discussion des résultats
Notre étude a permis de jeter d’abord un
regard nouveau sur la relation directe entre
les pratiques de GRH, l’avantage compétitif et la performance. Nos résultats trouvent
leurs origines dans les études théoriques et
pratiques soulignant l’importance stratégique
des pratiques de GRH (Hounkou, 2011 ;
Chrétien et al., 2005 ; Chen & Huang, 2009
; Tseng et Lee, 2009). Ensuite, nous avons
vérifié aussi bien l’impact de l’apprentissage
organisationnel que de la capacité d’innover
sur l’avantage compétitif.
Ces ressources sont souvent considérées
comme source d’un avantage compétitif
durable. Enfin, nous avons examiné le rôle
médiateur de l’apprentissage organisationnel
et de la capacité d’innover sur la relation «
Pratiques de GRH et Avantage compétitif ».
Les résultats montrent que cette relation est affectée positivement par ces ressources et que
l’impact bénéfique des pratiques de GRH peut
être fortifié à travers l’apprentissage organisationnel et la capacité d’innover. Une approche
systémique des pratiques de GRH enchâssées
dans une démarche de fertilisation de l’apprentissage organisationnel et de stimulation
de la créativité et de l’innovation par des
actions de veille systématique, d’open source,
de knowledge management, d’eLearning, de
partage d’information, de décloisonnement
des services, d’incitation à la prise d’initiatives, à la prise de risques, à l’implication dans
des projets, à l’empowerment, etc. comme le
démontrent des études récentes en matière de
compétitivité et d’innovation (Aliouat, 2010).
157
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
CONCLUSION
De nombreuses recherches sur la performance de l’entreprise penchent vers des
explications fondées sur les ressources. Notre
étude vise à éclairer les relations, d’une part,
entre des ressources comme les pratiques de
GRH, l’apprentissage organisationnel et la
capacité d’innover et l’avantage compétitif
et d’autre part, entre l’avantage compétitif et
la performance de l’entreprise. Notre étude
a mis en exergue le rôle médiateur de l’apprentissage et de la capacité d’innover entre
les pratiques de GRH et l’avantage compétitif. Notre recherche a permis de vérifier la
supposition généralement admise dans la
littérature selon laquelle il existe une relation
significative entre les ressources, l’avantage
compétitif et la performance. Son principal
apport consiste à montrer l’effet médiateur
de l’apprentissage organisationnel et de la
capacité d’innover sur la relation « Pratiques
de GRH- Avantage compétitif » en comparant
entre cette relation directe et la relation médiatisée. Cette recherche présente un certain
nombre de limites cependant. La première
limite est relative au caractère sélectif de
l’étude qui touche aussi bien les ressources
que les liens qui les unissent.
Nous avons écarté certains concepts et
liens bien que leur introduction permette
d’approfondir notre problématique. On donnera l’exemple à la relation «Apprentissage
organisationnel- Capacité d’innover» non
traitée dans le cadre de cette étude. Il y a
même d’autres ressources comme «la gestion de la connaissance » qui peuvent affecter les trois ressources identifiées dans notre
modèle. La deuxième limite touche la nonprise en compte des facteurs de contingence
comme les facteurs environnementaux ou les
forces concurrentielles. Enfin, le contexte de
notre étude empirique manque de généra-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
158
lité, car l’échantillon appartient à un même
contexte environnemental et culturel. Le test
de la perspective des ressources nécessiterait
un contexte beaucoup plus généralisé. Ces
limites peuvent ouvrir tout autant un certain
nombre de voies de recherche. L’introduction
de certains concepts dans le modèle ou la
supposition d’autres relations pouvant exister
entre différentes ressources pourra enrichir les
cadres d’analyse. Les facteurs de contingence
écartés dans la présente étude peuvent aussi,
être introduits dans le modèle afin d’en améliorer la capacité explicative. Enfin, le contexte
empirique doit être plus généralisé pour tester
l’universalité des propositions émises.
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ANNEXES:
Annexe 1
Annexe 2
163
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
Annexe 3
Annexe 4
Annexe 5
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Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
Annexe 6
Annexe 7
Annexe 8
Annexe 9
Annexe 10
Annexe 11
165
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Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage
organisationnel et de la capacité d’innover (cas
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Annexe 12
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organisationnel et de la capacité d’innover (cas
des firmes tunisiennes)
Annexe 13
Annexe 14
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Regard Croisé
Itinéraire d’un enseignant chercheur :
une question de méthode
Zahir YANAT
BEM Bordeaux Business School
RESUME
ABSTRACT
L’objet de cette contribution est de satisfaire un
besoin de méthodes, celle de l’observation participante et celle des histoires de vie et de montrer
l’intérêt de mobiliser les sciences humaines pour
saisir la réalité du monde des organisations,
la comprendre et agir. Il s’agit d’affirmer une
place importante aux méthodes, qui, valorisant
l’homme, tout l’homme, permettent de traquer le
dit et le non-dit, l’observable et le non observable et de s’interroger sur le sens des écarts
entre ce qui est prescrit et la réalité observable.
Deux méthodes sont évoquées. Ces méthodes,
par leur dimension épistémologique, permettent
d’accéder à une reconnaissance exhaustive de
l’homme, de tout l’homme, et par leur dimension opérationnelle, permettent d’accéder à
une connaissance exhaustive de l’activité d’un
individu dans une organisation. En s’interrogeant
sur les disciplines mobilisables pour accéder à
cette reconnaissance exhaustive de l’homme,
nous mettrons en évidence l’interdisciplinarité
des connaissances nécessaires à la formation de
l’homme.
The purpose of this contribution is to meet a
need for methods, that of participant observation and life stories, and to show the interest of
mobilizing the social studies to understand the
real nature of organizations world, understand
it and act. It’s about putting a lot of emphasis
on methods, which, valuing man, man as a
whole, allow to track down said and unsaid, the
observable and the unobservable, and to wonder about the sense of the differences between
what is prescribed and observable reality. Two
methods are discussed. These methods, by their
epistemological dimension, provide access to
comprehensive recognition of man, the whole
man, and by their operational dimension, provide access to a comprehensive knowledge of
the activity of an individual in an organization. By
wondering about the mobilizable disciplines to
access this comprehensive recognition of man,
we will highlight the interdisciplinarity of knowledge necessary for man training.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
168
INTRODUCTION
La méthodologie appliquée à mes travaux
de recherche est celle que je continue d’enseigner à mes doctorants. Elle est le résultat
de mon itinéraire professionnel. Mes premiers
contacts avec le monde de la gestion remontent à une cinquantaine d’années, lorsque,
jeune diplômé de Sciences Politiques de Bordeaux, j’ai intégré la Société nationale de
Sidérurgie (SNS) entreprise d’Etat algérienne,
chargée de la production et de la commercialisation de produits métallurgiques et sidérurgiques. J’ai découvert les fondements de
la gestion en marchant. Les entreprises fonctionnaient alors sous l’emprise du seul droit et
des orientations politiques des ministères de
la planification, de l’industrie, du commerce
et du travail. Ce paradigme dominant s’exprimait sous la forme d’un « verrouillage » de
toutes les fonctions de l’entreprise et de « la
mise sous tutelle » de la demande sociale.
Mes premiers contacts avec le monde de
la recherche en gestion ont débuté avec la
préparation d’un diplôme d’étude approfondie des organisations (DEA) en 1980. La
marginalisation observée à l’endroit de la
fonction personnel (on ne disait pas, alors « la
gestion des ressources humaines ») avait pour
conséquence une réduction de la marge de
manœuvre des acteurs chargés de gérer les
hommes et les femmes de l’entreprise. Mais
s’agit-il d’une conviction ? D’une fatalité ?
Etait-ce irréfutable ? Irrémédiable ? C’est ce
questionnement qui habitait alors mes préoccupations. La vie passée à la SNS, puis,
successivement, au service de la Société Nationale des Peaux et cuirs (Sonipec) et de la
Société Nationale de Manutention (Sonama)
m’a convaincu de la pesanteur bureaucratique produite par le contexte juridico –poli-
tique, contrebalancé et par la capacité de
l’acteur à en prendre conscience et à produire
une résistance significative d’un pouvoir toujours présent d’affirmation de son « je » et de
son « jeu » stratégique singulier. C’est dans
ce contexte que prend place ma décision de
m’interroger de façon systématique sur ma
pratique en poursuivant mes travaux de recherche en sciences de gestion. Je renforçais
alors mes contacts avec six éminentes personnalités amies qui ont joué très tôt un rôle
fondamental dans mon itinéraire de nouvel
enseignant chercheur. Je les nommerais par
ordre alphabétique avec la volonté de leur
rendre hommage.
- Henri Atlan est un biologiste qui soulève
des questions philosophiques fondamentales.
Ami de longue date, né à Blida, prés de ma
résidence algérienne. C’est par ses œuvres et
à son contact que je me suis initié à la complexité de l’organisation, à la métaphore de
l’organisme vivant pour définir l’entreprise,
à l’épistémologie et à l’éthique. C’est par le
contact qu’il m’a permis avec Henri Laborit et
Edgar Morin que j’ai découvert, en direct, les
fondamentaux de la pensée complexe.
- Luc Boyer, ami de 35 ans, directeur de
recherche à Paris dauphine, président de la
revue Management et Avenir, past directeur
chez Hay France, m’a fait découvrir l’impact
de la méthode des temps élémentaires sur
l’efficacité du fonctionnement des entreprises.
- Le regretté Jean Guy Mérigot, mon directeur de thèse, qui m’a initié à la recherche en
gestion, co-créateur des IAE en France.
- Jean Marie Peretti, ami de plus de 40 ans,
Professeur à l’IAE de Corte et à l’ESSEC, président de l’Institut International de l’Audit So-
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Regard Croisé
Itinéraire d’un enseignant chercheur :
une question de méthode
cial, (IAS) qui a vécu sa première expérience
d’enseignant à l’IFC en Algérie, époque où
j’étais moi-même, « cadre chargé des techniques de gestion » à la SNS. Jean Marie a qui
je dois mon intégration, en devenant notamment, à mon tour, président de l’IAS.
- Le regretté Jean Pierre Renault, ami disparu trop tôt ; qui a créé l’un des premiers
DESS en gestion des ressources humaines
en France, qui m’a intégré dans son équipe
d’enseignants vacataires à Bordeaux, et m’a
permis de découvrir les joies de ce métier
d’enseignant, tout en poursuivant mon activité
de gestionnaire en Algérie.
- Raymond Vatier, ami de 50 ans, fondateur de l’IAS, connu pour sa passion pour les
questions de formation des adultes, qui a créé
notamment le CESI, à l’origine un centre de
formation pour ingénieurs.
C’est Raymond qui m’a initié aux méthodes
de l’audit social, contribuant ainsi à mon devenir d’auditeur agréé auprès de l’IAS. L’apport de chacune de ces personnalités citées
est singulier, découverte de la pensée complexe, mise en place de la méthode des temps
élémentaires dans les ateliers de production,
initiation à la recherche en gestion, implication dans la gestion d’une association professionnelle, apprentissage du métier d’enseignant en gestion et initiation aux méthodes de
l’audit social.
Mais ces apports portent aussi sur un domaine commun, celui de la compréhension
des phénomènes sociaux et organisationnels,
ce que Karl Popper exprime en ces termes :
« Je crois personnellement qu’il y a au moins
un problème qui intéresse tous les hommes
qui pensent : le problème de comprendre le
monde, nous-mêmes et notre connaissance
en tant qu’elle fait partie du monde ». Dès
l’année 90, mon itinéraire professionnel –
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
170
tant dans le domaine de l’enseignement de
la gestion que de la consultation en entreprise – a été marqué par cette approche
méthodologique applicable à tout projet de
recherche : Comprendre (dimension explicative) les informations recensées (dimension
descriptive) pour agir sur la réalité (dimension prescriptive).
Il a également été marqué par l’appartenance des personnalités citées au courant
humaniste que je cultive moi-même depuis
plusieurs années, quand je faisais mes « humanités » par l’étude du grec et du latin.
Mon itinéraire me conduit à adopter, plus
particulièrement depuis la soutenance de
ma thèse en 1987, des méthodes, qui, valorisant l’homme, tout l’homme, permettent
de traquer le dit et le non-dit, l’observable
et le non observable et de s’interroger sur le
sens des écarts entre ce qui est prescrit et la
réalité observable.
L’objet de ma contribution est de satisfaire
un besoin de méthodes, celle de l’observation participante et celle des histoires de
vie et de montrer l’intérêt de mobiliser les
sciences humaines pour saisir la réalité du
monde des organisations, la comprendre et
agir. Nous évoquerons dans une première
partie de ce travail, deux méthodes qui,
par leur dimension épistémologique, permettent d’accéder à une reconnaissance
exhaustive de l’homme, de tout l’homme
et par leur dimension opérationnelle, permettent d’accéder à une connaissance exhaustive de l’activité d’un individu dans une
organisation. Dans une deuxième partie,
nous nous interrogerons sur les disciplines
mobilisables pour accéder à cette reconnaissance exhaustive de l’homme et mettrons en évidence l’interdisciplinarité des
connaissances nécessaires à la formation
de l’homme.
Regard Croisé
Itinéraire d’un enseignant chercheur :
une question de méthode
1. Une question de
méthodes
● Première méthode : l’ethnométhodologie.
C’est l’étude des méthodes que Garfinkel
(1984) appelle «raisonnement sociologique
pratiqué, ethno suggérant qu’un membre
extérieur dispose du savoir de sens commun de la société en tant que servir de quoi
que ce soit». Selon le témoignage de Coulon (1990) la méthodologie, dans le terme
ethnométhodologie, est considérée comme
un thème d’étude mais n’est pas réduite à
un appareillage scientifique. Il s’agit bien,
au contraire, de rechercher chez les opérationnels, leur logique de «sens commun», ce
qu’ils ont en eux-mêmes incarné. Si nous nous
plaçons d’un point de vue épistémologique
nous suivrons Karl Poppper car nous croyons
«qu’il y a au moins un problème qui intéresse
tous les hommes qui pensent : le problème
de comprendre le monde, nous-mêmes et
notre connaissance en tant qu’elle fait partie
du monde». Selon cette démarche, pour comprendre «le monde, nous-mêmes et autrui,
il faut être attentif au fait social total». Cette
attention portée à nous-mêmes et à tout ce
qui nous entoure se réalise en l’absence de
connaissances à priori (Mucchielli, 1991).
L’exemple cité par Harold Garfinkel est édifiant. A la suite d’un travail d’observation sur
les délibérations de jurés (1954) il est frappé
par la capacité de ces jurés, non spécialistes
du droit, à mettre en œuvre une méthode
d’évaluation afin de juger de pièces, explications….échangées et présentées dans le
cadre du procès. Quatre jurés parviennent à
travailler en puisant dans un stock de savoirs,
de pratiques évaluatives qui relèvent du sens
commun. Frappé par le rôle déterminant de
ce sens commun que partagent les membres
d’un groupe, Garfinkel dirige son attention
vers l’étude des raisonnements pratiques mis
en œuvre en permanence par les individus
pour vivre dans le monde social. En considérant les faits sociaux non comme des choses
mais comme des accomplissements pratiques, Garfinkel rompt avec la tradition positiviste qui fait du métier une réalité objective et
du salarié un agent sans histoire ni passion.
Dans ce contexte, une connaissance complète du métier signifie non seulement la prise
en compte des faits objectifs retenus par les
analystes du travail dont c’est la responsabilité
mais aussi des pratiques considérées comme
non conformes à ce qui a été prescrit. Pour
cette raison, l’ethnométhodologie va porter un
intérêt évident aux actes de la vie quotidienne
qui peuvent paraître les plus banals afin d’y
percevoir les procédures et les interactions à
l’œuvre pour la construction de ces comportements cachés. L’ethnométhodologie va privilégier deux approches essentielles pour avoir
accès à la connaissance experte.
- Tout d’abord, elle va privilégier l’étude des
pratiques langagières
Selon elle, la vie sociale, la vie en entreprise
comme la vie dans tout autre type d’organisation, se constitue en grande partie à travers
le langage qui possède trois propriétés essentielles :
o indexalité : les expressions sont dénuées
de sens lorsqu’elles sont déconnectées de leur
contexte.
o réflexivité : cette propriété traduit le fait
que le langage est une pratique qui permet
non seulement de décrire mais de construire
un sens, un ordre. La description de la situation participe à la situation.
o accountability : Il s’agit de reconnaître
que, grâce au langage, les actions, celles qui
ne nous sont pas extérieures, sont descriptibles, reportables, analysables.
- L’observation participante constitue la deuxième approche. Nous empruntons à Bruyn
171
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Regard Croisé
Itinéraire d’un enseignant chercheur :
une question de méthode
(1966) les trois axiomes qui constituent l’essentiel de cette approche.
o l’observateur participant partage la vie,
les activités et les sentiments des personnes,
dans une relation de face à face
o l’observateur est un élément «normal»
(non forcé, non simulé, non étranger à) dans
la culture et dans la vie des personnes observées
o le rôle de l’observateur participant est «un
reflet» au sein du groupe observé, du processus social de la vie du groupe en question.
L’observateur procède par immersion dans
la population cible, sans que cette intrusion
altère, de façon décisive, le fonctionnement
du groupe et les comportements des individus. L’approche consiste donc, comme Malinowski (1922) lui-même le dit : «à participer à
ma façon à la vie du village, à attendre avec
plaisir les réunions et les festivités importantes,
à prendre un intérêt personnel aux palabres
et aux petits incidents journaliers ; lorsque je
me levais chaque matin la journée s’annonçait pour moi plus ou moins semblable à ce
qu’elle allait être pour un indigène». Il n’est
pas besoin de remonter si loin dans l’histoire
pour témoigner d’autres pratiques d’observation participante. Ainsi, un chercheur de
l’Ecole des Hautes Etudes a choisi en1983
un terrain d’étude original : une «tribu» de 40
000 salariés dispersés dans des restaurants
collectifs gérés par la SODEXO.
L’entreprise, de simple objet d’étude,
est devenue peu à peu un partenaire de
la recherche. Ecoutons ce témoignage :
«Les salariés ne sont pas des machines qui
obéissent aux ordres venus d’en haut. On
peut toujours leur promettre des primes et
des sanctions, si on ne comprend pas leur
mode de fonctionnement on ne saura jamais
pourquoi les décisions de la direction ne
sont pas appliquées…». Un autre chercheur,
de HEC Montréal a effectué deux séjours
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
172
d’observation participante dans deux brasseries (canadienne et algérienne). La durée
totale des séjours «avoisine les quatre vingt
cinq jours, répartis entre juillet 1981 et mars
182. Tout au long de ces journées de participation il s’est livré à des investigations qui
lui ont permis de recueillir des informations
pertinentes. Son insertion à Montréal s’est
faite sur la base d’une embauche comme
employé saisonnier avec toute liberté pour
choisir le lieu de travail. A Alger, l’embauche
étant impossible il a travaillé épisodiquement
en tant qu’employé bénévole».
Dans les deux cas il a pu enregistrer des
données selon le procédé recommandé par
JP Spradley(1980) et reposant sur les principes suivants :
- Principe d’identification de langage :
s’attacher à faire un enregistrement de paroles
et langage utilisés réellement et concrètement
sur le terrain.
- Principe d’enregistrement littéral :
il convient de noter fidèlement ce qui a été dit,
les notes devant être prises mot à mot.
- Principe du concret : toute description de la situation observée doit être faite en
termes «vivants».
- Principe du rapport condensé : le
rapport devra reproduire les faits les plus pertinents, significatifs de la situation observée.
- Principe du rapport élargi : Spradley conseille de compléter le rapport condensé par des détails, des commentaires.
- Principe du journal quotidien : il
s’agit de la tenue d’un journal de bord dans
lequel sont reproduits «à l’identique» les
moindres détails des faits observés et des
actes réalisés, ainsi que la nature des rapports
entre le comportement des acteurs observés et
le comportement de l’observateur.
Au cours de mes interventions diagnostics
je me suis moi-même attaché à respecter ces
principes «d’implication». En ma qualité de
chef de service, de salarié de l’entreprise, il
Regard Croisé
Itinéraire d’un enseignant chercheur :
une question de méthode
m’était facile de m’intégrer à la culture ambiante. Rouage de la structure de l’entreprise,
j’ai effectué des travaux identiques à ceux des
personnes objet de mon observation.
Ayant à observer le travail d’un tourneur,
j’ai, pendant trois semaines, pointé et opéré
sur tour. J’ai ainsi perçu en direct les difficultés de réalisation en conformité avec les
prescriptions du bureau d’études. J’ai ressenti
également le plaisir d’appropriation du travail
bien fait mais aussi, parfois, la crainte d’une
réalisation défectueuse. En fin de journée, je
notais régulièrement au journal de bord l’ensemble des faits observés et des perceptions
et appréciations engrangées. Ces faits, ces
perceptions, les paroles des uns et des autres
ont permis la rédaction de la partie de mon
rapport consacrée aux conditions de travail.
Ces pratiques d’accession à la connaissance
des activités professionnelles ne sont pas à
l’abri des critiques. Les plus sévères viennent
des fonctionnalistes qui reprochent le côté
«non objectif» de ces pratiques. Les fonctionnalistes remarquent notamment que l’observation pour lire les non-dits enfouis dans la
conscience de l’acteur fait appel à ses capacités d’interprétation des signes symboliques.
Ce faisant, l’observateur participant utiliserait une démarche «subjective». Une autre
critique porte sur la validité des faits observés
et recueillis. Mais nous devons bien admettre
avec Serge Bouchard (1980) «qu’il n’y a pas
d’autre choix que de s’en remettre à la parole
de l’ethnographe lorsque celui-ci affirme que
ce qu’il rapporte au niveau du discours est effectivement ce que les gens disent, à quelques
interprétations prés. Il faut donc le croire (ou
pas) jusqu’à ce qu’un autre ethnographe vérifie son matériel ethnographique». Il y a dans
l’approche observation participante une autre
critique à formuler : c’est le parti «réductionniste» (Aktouf, 1986). Nous nous intéressons
à une population particulière, celle qui est
«en situation de travail». Nous ne sommes
donc pas dans une démarche ethnologique
pure, dans laquelle nous aurions pu rendre
compte du vécu de l’homme dans toutes ses
dimensions, d’un homme total, non réduit à la
dimension du travail industriel. Une deuxième
méthode, les histoires de vie, permettrait d’accéder à une reconnaissance exhaustive de
l’homme, de tout l’homme, pas uniquement
dans une situation de travail industriel.
- Deuxième méthode : Les histoires
de vie. Selon G. Pineau et JL Legrand (1993)
l’histoire de vie est conçue comme une approche de recherche et également comme
une pratique de formation mais loin de se
réduire à une méthode elle vient questionner les différentes sciences humaines dans un
sens épistémologique, c’est-à-dire dans leur
fondement même. Nous retiendrons la définition proposée par ces auteurs «recherche
et construction de sens à partir des faits temporels personnels» aux fins d’éviter les risques
d’une lecture exclusivement évènementielles
des histoires de vie.
Dans cet esprit, il apparaît illusoire de penser gérer les hommes de façon simple dés
lors que chaque homme est en lui-même le
siège de pulsions et besoins contradictoires
ainsi que le sujet de sa destinée. Il en résulte
un usage mystificateur de procédés tel que
le projet d’entreprise qui n’a d’utilité et de
sens selon Fitcher que «s’il s’adresse à des
groupes ou à des individus entre lesquels
existe déjà une complicité et une communauté d’intérêts».
Au total, les histoires de vie, en valorisant le vécu, donnent du sens à l’activité
des hommes non seulement dans leurs pratiques, leur interaction, mais aussi dans leur
recherche. Dira-t-on pour autant que les
sciences de gestion se sont emparées de ce
terrain? Force est de reconnaître que cette
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Regard Croisé
Itinéraire d’un enseignant chercheur :
une question de méthode
démarche relativement neuve d’histoires de
vie (ou ce qui de prés ou de loin peut s’y
rattacher comme, par exemple, les récits de
vie, les parcours professionnels, personnels,
biographies, voire les confessions..) ont été
davantage utilisées en anthropologie, en sociologie, en psychologie et en histoire. Ainsi
selon le témoignage de J. Poitier, S. ClapierValandon et Raybant (1989) «la bibliographie des ouvrages concernant les histoires de
vie atteint plus d’un millier de références.
Quelques années plus tôt Betaux (1981)
nous invitait à découvrir « le déplacement de
l’histoire de vie, d’un champ théorique, celui
des sciences sociales, à un champ pratique,
celui de l’éducation permanente». L’ensemble
des travaux tend à légitimer notre intérêt pour
cette méthode de recherche qui se révèle
fructueuse non seulement pour connaître des
pratiques de la GRH mais aussi pour en saisir
la signification. Ainsi prendrons nous à notre
compte ces trois résultats retenus par Barthe et
Igalens (1995), à savoir que :
- lorsqu’on arrive après une assez longue
période de vie, l’expression professionnelle
devient significative.
- Les événements qui ont jalonné ce parcours étant plus nombreux, l’étude des blocages, des ruptures est particulièrement
instructive et, parfois, déterminante pour la
construction d’un nouveau projet
- Les stéréotypes, tels «qu’après cinquante
ans on ne peut plus trouver de travail» doivent
être dédramatisés. Nous avons ci-dessus rendu compte de la dimension épistémologique
de l’ethnométhodologie et des histoires de vie
pour adopter le point de vue compréhensif
des situations observables.
Il convient maintenant d’identifier les apports de ces méthodes au plan opérationnel.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
174
- La dimension opérationnelle de
ces méthodes
Les apports sont évidents, nous avons déjà
pointé plus haut la richesse de ces méthodes
qui nous permettent de révéler les faces cachées des comportements et de mettre à jour
les non-dits.Elles mettent en évidence les insuffisances des outils classiques d’extraction d’informations tels que la description de poste et
le questionnaire pour connaître le profil d’un
métier. «moi, si tu m’avais envoyé un questionnaire, je me serai dit «celui là il ne donne
pas lui-même assez d’importance à ce qu’il
fait (au lieu de venir me parler) alors pourquoi
moi j’y répondrai». Cette réponse d’un opérateur met en évidence le besoin de communication et de reconnaissance de la personne
en situation de travail. La question qu’il faudra
résoudre désormais est la suivante : «Pourquoi
et pour quoi ces gens-là font-ils ce qu’ils font
comme ils le font?».
Pourquoi renvoie à la fonctionnalité des
conduites, Pour Quoi renvoie au sens que
les sujets mettent dans leur activité. Le renversement de perspective est radical : on
passe de la normalisation à la compréhension. Le schéma de connaissance du métier
se trouve alors profondément modifié : il y
a renoncement aux évidences des choses
observées et effort de compréhension et
d’interprétation des actes posées dans l’organisation.
Dans cette perspective, les écarts de
conduite, les écarts de qualité par rapport
à la norme auront autant d’importance que
la norme elle-même. Le réel est réhabilité,
il n’est plus second. Le travail réel n’est plus
réductible au travail prescrit. Par conséquent,
l’écart n’est plus «jugé» comme une transgression de la norme par l’opérateur qu’il suffirait
de changer pour retrouver la norme. L’écart
est une conduite qu’il s’agit d’interroger. Il
Regard Croisé
Itinéraire d’un enseignant chercheur :
une question de méthode
s’agit d’une conduite signifiante. Pourquoi
donc ne pas positiver cette liberté buissonnière des pratiques. Pourquoi ne pas lui donner un sens ? Il apparaît alors que tout travail
suppose toujours une dimension d’interprétation, d’adaptation, d’engagement personnel,
de conception. Il est affrontement au réel.
Ainsi le travail impose de sortir de l’exécution
pure et simple. Il ne suffit pas de faire comme
on a dit, il ne suffit pas d’appliquer les
consignes. Il ne suffit pas de mobiliser l’intelligence théorique. Il faut faire appel à l’intelligence pratique, à l’intelligence de l’action.
Déjà, chez les grecs, rapporte Michèle Descolonges (1996) dans son ouvrage «Qu’est
ce qu’un métier? «Nous pouvons retenir que
«reconnaître une intelligence pratique à côté
de l’intelligence raisonnée conduit à montrer
le caractère élaboré de la première. Une distinction peut être établie entre :
- l’artisan (le métier) qui ne dispose que de
sa pratique manuelle
- et celui (le technité) qui détient les règles
de son art, fondées sur l’expérience…
faite non seulement d’observation et
d’apprentissage,mais aussi racontée dans les
récits qui la fondent».
Dans ce contexte, le concept de travail se
trouve considérablement enrichi. Le travail va
exiger la mise à jour de l’initiative, de l’inventivité, de la créativité des opérateurs. Ainsi,
dans les comportements des salariés, la notion de tricherie, inséparable de la situation
de travail, pourrait être interprétée comme
une démarche d’invention et d’imagination
plutôt que comme une démarche d’écart par
rapport à un référentiel, écart qu’il faudrait
sanctionner. L’observateur qui accepte de se
livrer à ce détour de connaissance totale de
l’homme au travail, au lieu de se contenter de
l’administration d’un questionnaire, va devoir
adopter une posture de chercheur en rupture
avec celle de contrôleur du paradigme nor-
matif. Une expérience vécue d’administration
de questionnaires remonte à quelques mois.
Il s’agissait de rendre compte du métier de
dirigeant dans une association organisatrice
et gestionnaire de colonies de vacances. Les
informations contenues dans le questionnaire
renseigné par le directeur général de l’association semblaient suffisantes pour connaître
du processus de gestion en place mais non
pertinente pour comprendre le fonctionnement du réel.
Dans ce contexte, pour compléter ma
connaissance du métier, j’ai très vite adopté
l’approche de l’observateur participant. Elle
a consisté à vivre la quotidienneté du directeur général. Mon immersion a duré une
semaine, avec participation à la réunion du
matin, pause café à 10 heures avec les collègues, déjeuner avec les collègues, relations
extérieures l’après midi. En fin de journée,
dernier parti en même temps que le directeur général, je notais chaque jour sur mon
carnet cahier de bord, tous les faits et gestes
observés dans la journée. Les faits et gestes
observés relevant à l’évidence de la définition
du poste comme ceux qui relevaient d’initiatives ou d’actes construits par une nécessité
exogène ou par «l’amour du bel ouvrage».
Les leçons à tirer de cette méthode d’observation, confortée par mon expérience de gestionnaire, portent sur le danger qui guette le
responsable qui voudrait soumettre la gestion
quotidienne à des processus formels planifiés.
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Regard Croisé
Itinéraire d’un enseignant chercheur :
une question de méthode
Privilégier les processus formels reviendrait à
ignorer les qualités humaines d’intuition, de
flair, y compris le système D, et à croire que
ces qualités là pourraient être remplacées
par des procédures-recettes sophistiquées.
Mintzberg (1984) apporte dans son ouvrage,
«le manager au quotidien», une preuve éclatante selon laquelle le travail ne peut plus
être défini à partir des seuls fondamentaux
du management traditionnel véhiculés par
Henri Fayol (1974) «planifier», «organiser»,
«diriger», «contrôler». A partir de recherches
empiriques, études des agendas et observation détaillée du déroulement des tâches quotidiennes, analyse des dossiers et des études
par échantillons, Mintzberg décrit les 10 rôles
de base du travail du cadre en mettant en évidence la réalité telle qu’elle est et non telle
que la «légende» du management classique
foyolo-taylorienne voudrait nous le faire croire
avec le slogan de «the best way».
Pour ma part, dans mon rôle d’observateur,
dans une posture d’auditeur, j’ai très vite compris la nécessité de réhabiliter la riche notion
de métier, telle qu’empruntée à la grande tradition de l’artisanat. La notion d’artisanat désignant une activité qui mobilise non seulement
le savoir et le savoir faire mais aussi et surtout
les valeurs, l’intuition, le flair. L’observateur
comprend aussi que ce que l’on appelle trop
vite des dysfonctionnements ne signifie pas
toujours que l’on soit en présence d’écarts
qu’il conviendrait de corriger pour respecter la
norme, la règle, le processus retenu et prescrit
dans l’étude de poste ou tout autre référentiel
de gestion. Il est très enrichissant de considérer que
ces écarts, ces dysfonctionnements apparents
constituent une réalité qu’il faut interroger
pour comprendre le sens mis dans leurs actes
par les acteurs. Cette attitude d’observateur
dévoile aussi l’erreur de certains psychosociologues du travail qui qualifient de «résistants
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
176
au changement» ces salariés qui «s’accrochent
à leurs habitudes» au lieu de «s’adapter à la
nouvelle organisation».
L’autre piste qui s’offre aux psychosociologues est de détecter, de comprendre et
d’admettre l’amour du métier que le salarié
ne veut pas voir se fondre dans une activité
polyvalente, avec le sentiment de perdre de
sa mémoire et de son identité. En définitive,
nous pouvons retenir que la connaissance de
ce qui est un homme et un homme au travail
dans un contexte de management de proximité exigent une mobilisation des sciences
humaines, de toutes les sciences humaines
qui soient en mesure de nourrir le management des hommes et des organisations, par
référence aux deux points suivants :
-Premier point. Je définis cette forme de management de proximité comme une activité
qui, en utilisant les approches d’observation
participante et d’histoires de vie, permet d’enrichir la description objective du métier, par la
prise en compte du souci du détail, le goût du
beau, le respect des valeurs et du sens, tout
ce qui permet «l’épanouissement de l’être»
pour reprendre une expression du philosophe
George Gusdorf (2002). C’est cette définition
que je retiens pour exprimer ma conception
de la reconnaissance de l’identité de l’autre
au travail, de l’autre qui se définit lui-même,
consciemment ou pas, par son métier. Cette
conception rejoint celle d’Hugues (1989) qui,
en opposition à la tradition fonctionnaliste,
a défini le métier non comme un ensemble
particulier d’activités mais sur la base du rôle
qu’un individu exerce au sein d’un univers
professionnel.
- Deuxième point. Les tenants de la sociologie quantitative n’ont pas manqué de souligner les imprécisions et les dangers inhérents à la pratique de l’observation directe :
subjectivisme et manque de rigueur, absence
Regard Croisé
Itinéraire d’un enseignant chercheur :
une question de méthode
d’échantillonnage et de vérification statistique. Les ethnométhodologues et interactionnistes ont répondu à ces critiques en refusant
la séparation positiviste entre science et vie
quotidienne. La science n’a pas à produire un
sens caché car celui-ci s’accomplit devant nos
yeux, de façon transparente dans le faire et le
dire des acteurs. Ce faire et ce dire constituent
autant d’éléments de connaissance construite
pour un enrichissement des conduites.
2. Sciences humaines
et connaissance des
métiers
- Considérations générales
Force est de rappeler avec Morel (1992)
que la formation en sciences humaines pertinente pour l’entreprise est insuffisante. Une
insertion plus franche devrait pouvoir compléter la connaissance des gestionnaires sur
l’articulation de l’individu et du collectif. En
définissant d’une manière plus rigoureuse
la fonction, la structure, l’organisation, les
sciences humaines en général et les sciences
de la vie en particulier, obligent à renoncer
à des explications causales mais illusoires, à
des dichotomies simplistes, le corps/l’esprit,
l’individu/la société, la pensée/l’action,
l’intelligence/l’affectivité. Ces disciplines
tendent, au contraire, à établir un continuum
entre l’organique, le psychologique et le sociologique et permettent de renverser la perspective pour prendre les sciences humaines
comme système de référence au lieu de la
gestion et pour répondre aux questions suivantes :
- quelle espèce sommes-nous ?
- qu’est-ce qui fait notre spécificité ?
- que partageons nous avec les autres
espèces ?
- quelles en sont les conséquences ?
- si notre néo-cortex nous distingue si nettement des autres êtres vivants, comment
fonctionne-t-il ?
- quels enseignements pouvons-nous en
tirer ?
- étant donné l’importance de notre système nerveux central dans nos expériences,
quelles sont les conditions de son équilibre
avec l’environnement ?
- compte tenu de la place primordiale
occupée par le langage dans les secteurs de
l’activité humaine, que savons-nous de cette
faculté ?
- qu’arrive-t-il à un individu depuis la fécondation jusqu’à l’âge adulte ?
- quelles sont les différentes phases de son
développement neuro-moteur, intellectuel,
affectif ? comment est-il socialisé ?
- quelles sont les interactions existant entre
le biologique, le social ?
A travers les différentes réponses à chacune de ces questions il serait possible
d’examiner dans quelle mesure les pratiques
de gestion sont en accord avec les données
des sciences de la vie.
- Exemples
Ainsi, par exemple, compte tenu du rôle
primordial joué par l’affectivité et le langage
dans la vie professionnelle des hommes, les
psychanalystes et les linguistes nous éclairent
par leurs disciplines.
Le langage étant la fonction biologiquement
la plus caractéristiques des êtres humains, il
n’y a rien d’étonnant à la rencontrer dans une
des nombreuses activités des hommes, l’activité économique : les analystes d’entreprises
ont ainsi découvert que les managers consacraient à peu prés 60% de leur temps et de
leurs activités à la parole. C’est grâce au langage que nous pouvons vivre en tant qu’êtres
humains au sein des différentes cultures.
177
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Regard Croisé
Itinéraire d’un enseignant chercheur :
une question de méthode
Un autre exemple de la prise en compte des
sciences de la vie comme système de référence peut-être donné par la psychanalyse.
Cette science a fait une percée, certes timide
et camouflée, dans l’entreprise sous la forme
des différentes thérapies et analyses qui ont
emprunté le déguisement soit des affects soit
des instances psychiques. Comme toutes les
sciences médicales la psychanalyse est une
science inductive fondée sur l’observation.
Ainsi l’observation rigoureuse permit à Breuer
et à Freud d’établir (entre autres conclusions)
que les sujets « souffrent de réminiscences
douloureuses d’événements traumatiques
vécus dans leur première enfance, c’est à dire
dans leur propre passé et qu’ils y restent encore plus tard affectivement attachés ».
Cette constatation empirique suffit à comprendre pourquoi les gestionnaires d’entreprises doivent intégrer dans leur savoir la
science psychanalytique qui accorde à la fois
une place primordiale au processus affectif et
une si grande importance au rôle du passé et
à son élaboration par le sujet. Ainsi équipé
de ce savoir les gestionnaires de tout pays
peuvent se faire une idée des facteurs moteurs
et des implications des comportements humains. Il s’agit de « former des gestionnaires
qui ne soient plus encombrés de certitudes…
donner des schémas flexibles de compréhension afin de rendre les jeunes plus capables
de résoudre un certain nombre de problèmes,
(Vulliez, 1978).
La prise en charge de cet objectif engage
universitaires et praticiens à proposer une formation proche de l’action (Paquet et Gélinier,
1991) et mettre en place un programme qui,
privilégiant des dimensions fondamentales
telles que les sciences de la vie et l’approche
globale (Chanlat, 1981) représenteraient,
pour parler comme Gusdorf (1977), « une
sorte de contrepoison épistémologique de la
spécialisation et serait une pensée qui rassem-
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
178
blerait par opposition à la pensée qui divise et
subdivise ». Une formation proche de l’action
est une formation qui, selon la terminologie
de la thèse dite d’Ottawa, définit le concept
fondamental de « type Delta ».
La prise en compte de cette dimension renvoie à la valorisation par Minzberg (1984)
de l’intuition, de l’implicite, de l’expérimental de l’hémisphère droit, par opposition à la
logique, l’explicite, le théorique de l’hémisphère gauche. Elle permet de favoriser ce que
nous appelons « l’invariance de la marge de
manœuvre », indispensable à tout acteur en
situation de décideur. Fondée essentiellement
sur l’induction et l’émergence du savoir commun, la connaissance de type delta nous permet, selon les principes de l’ethnométhodologie de coller à la réalité et, selon l’expression
de O. Gélinier, « de trouver des solutions
pour l’action dans une configuration inédite
de circonstances et de buts » (Paquet et Gélinier, 1991)
Conclusion
En conclusion, donner au sujet humain
sa place dans l’entreprise, sans que son
identification ne conduise à une négation de son identité c’est lui permettre
«d’être» d’une façon intelligente. Cela
veut dire, à notre sens, faire en sorte que
l’entreprise serve l’individu et non s’en
serve mais aussi que l’individu serve
l’entreprise mais non s’en serve. L’entreprise doit être pour l’individu non plus
un lieu de mépris des différences mais
un lieu de gestion mobilisatrice et de
communion pour éviter à la fois l’écueil
de l’exclusion sociale et de domination
sociale. La connaissance des métiers est
un moyen privilégié de connaissance
de l’homme et de connaissance de
l’entreprise. Nous avançons ci-dessous
Regard Croisé
Itinéraire d’un enseignant chercheur :
une question de méthode
quelques propositions qui devraient être
autant de pistes de recherche :
- développer l’adhésion partenariale.
Cela veut dire ne pas se contenter de
forcer ou de manipuler le travailleur
pour obtenir de l’entreprise des résultats
performants. Il convient au contraire que
l’ensemble des protagonistes de l’entreprise se reconnaissent respectivement
et réciproquement comme partenaires,
dans une structure constante d’ajustement permanent.
- Apprendre à traiter l’ensemble
des employés, de quel que rang qu’ils
soient, en personnes adultes et dotées
de raison, donc de saines capacités de
choix et de libre arbitre.
- Cesser de croire qu’il faut «motiver
les salariés» et inviter les dirigeants d’entreprise à mettre en place des mesures
concrètes qui donneraient aux travailleurs des raisons de faire plus, de faire
mieux, de s’engager et de s’impliquer.
- Transformer et, de façon plus globale, l’ensemble de la vie en entreprise
en un contexte de respect, de partage et
d’appropriation.
En définitive, pour comprendre les
règles du jeu présidant aux rapports
de travail, sinon la nature même du
pouvoir, il conviendrait de méditer ces
deux phrases, celle de WI Thomas : «si
les hommes définissent une situation
comme réelle, elle l’est dans ses conséquences » et celle de Sartre (1976) : «vie
d’homme…je veux dire que ça pourrait
se démontrer ce qu’est un homme ». Au
terme de notre réflexion il nous apparaît
utile de retenir ce sui suit :
de la rationalité qui cherche à éliminer
toute intuition au profit de l’analyse, de
la rationalité qui place le cadre au dessus de l’agitation et des contingences de
la vie quotidienne de l’organisation, de
la rationalité qui fait passer le système
avant l’homme».
- Au plan épistémologique, le parti
pris du paradigme de la complexité
complétera le parti pris du paradigme
dominant de la monorationalité, au
motif qu’il rend compte de façon plus
complète de ce qu’est la réalité.
Adopter le seul paradigme de la
monorationalité conduirait à un repli
identitaire favorisant la certitude «une
fois pour toutes», à terme, la croyance
en la «one best way». Cette perception
du monde rétrécit la réalité sociale en
même temps qu’elle atrophie les personnes qui construisent, au quotidien,
cette réalité sociale. Le paradigme de
la complexité permet, au contraire, une
«circulation» (Edgar Morin, 1990) entre
l’ordre (la monorationalité) et le désordre (la multirationalité). Le dialogue
entre les paradigmes accompagnera
le dialogue des disciplines qui, ellesmêmes, accompagneront le dialogue
des personnes pour une richesse mutualisée des talents et des performances.
- au plan opérationnel, et en suivant
en cela Mintzberg, «tous en ont assez
de la rationalité au sens étroit du terme,
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Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
Regard Croisé
Itinéraire d’un enseignant chercheur :
une question de méthode
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Interview
à
181
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au
défi de la transition vers l’économie de marché
Mohamed Akli ACHABOU
IPAG Business School Paris
RESUME
ABSTRACT
L’objectif principal de cet article est d’évaluer
l’importance des changements institutionnels
qui accompagnent la transition de l’Algérie vers
l’économie de marché dans la stratégie des
entreprises locales. Pour ce faire deux études
de cas, combinant trois approches méthodologiques différentes (SWOT, AHP, Delphi), ont été
menées dans l’industrie sucrière. L’étude montre
que la stratégie est construite prioritairement sur
les éléments de l’environnement externe, le rôle
des ressources et compétences est secondaire.
Ce résultat est attribué en grande partie au rôle
déterminant joué par les changements institutionnels.
The Algerian transition to the market economy
induces several institutional changes. The aim
of this research is to measure the importance of
these changes in the strategic decision of local
companies. In this optical we have conducted
tow cases studies in the sugar industry. We used
three methodological approaches: SWOT, AHP
and Delphi. The results show that the changes in
the institutional environment take à central place
in the strategy implementation.
MOTS CLES : stratégie, changements institutionnels, sucre, Algérie, SWOT-Delphi-AHP
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
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KEYS WORDS: Strategy, institutional changes,
Sugar, Algeria, SWOT- Delphi-AHP.
INTRODUCTION
Avant la transition vers l’économie de marché, le plan national dans les économies planifiées est développé par le gouvernement
central, qui est par la suite décomposé en un
ensemble d’ordres pour les entreprises d’État
(Peng, 1996). Avec les faibles contraintes budgétaires, la rentabilité n’a jamais constitué un
souci dans ces entreprises. Toutefois, à partir
des années quatre-vingt , des changements
importants vont s’opérer (démantèlement
progressif du régime de planification central)
avec un impact considérable sur la croissance
des entreprises publiques. Ce desserrement
institutionnel a aussi favorisé l’apparition
d’une nouvelle force dans l’arène compétitive
: des firmes privées (Exemple : Cevital en Algérie) plus entreprenantes que les entreprises
d’État. Enfin, des mesures importantes ont été
adoptées dans le domaine des échanges internationaux, notamment la suppression progressive des taxes à l’importation, la signature
d’accords d’association, etc.
Dans le cas de l’Algérie, l’importante chute
du prix du pétrole et de la valeur du dollar en
1986 a considérablement affecté son pouvoir
d’achat international, avec une baisse de plus
de 38% de ses recettes d’exportation (Sadi,
2005). Cette importante crise a montré les limites du modèle d’industrialisation adopté au
lendemain de l’indépendance, et a poussé les
autorités à reconnaître la nécessité d’engager
des réformes globales et structurelles de l’économie (Sadi, 2005). Ainsi, une importante réforme économique, annonçant le début d’une
phase de transition vers l’économie de marché, a été mise en place en 1988 (Boukella,
1996). Depuis, les filières habituellement protégées, à l’instar de celle du sucre, subissent
des changements considérables. Ces évolu-
tions suscitent aujourd’hui des interrogations,
notamment sur l’importance de leur influence
sur le comportement stratégique des entreprises locales. Cela nous emmène à poser la
question suivante : Quelles sont les variables
déterminantes de la décision stratégique d’une
entreprise dans un pays en transition marqué
par un contexte institutionnel en mutation ?
Dans cet article, nous contribuons à répondre
à cette question en examinant, à travers des
enquêtes exploratoires et quantitatives, les
principaux facteurs intervenant dans la décision stratégique de deux entreprises sucrières.
L’article comporte cinq sections. La première
définit le cadre d’analyse intégrant la relation
entre la stratégie de l’entreprise et l’environnement institutionnel dans lequel elle est insérée. La deuxième section est consacrée à une
brève description du secteur étudié et dans
la troisième, nous présentons les approches
méthodologiques mobilisées (SWOT, Delphi,
AHP). Enfin, les résultats de cette étude sont
présentés et discutés respectivement dans la
quatrième et cinquième section. Nous terminerons par quelques préconisations managériales et une synthèse des résultats et limites de
cette recherche.
1. COMPORTEMENT
STRATÉGIQUE DES
ENTREPRISES ET DYNAMIQUE INSTITUTIONNELLE
Dans la littérature en management stratégique, certains travaux (Peng, 1996 ; Carney
et Gedajlovic, 2000 ; Hafsi et Hatimi, 2003)
ont étudié la relation entre l’environnement
183
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au
défi de la transition vers l’économie de marché
institutionnel et le comportement stratégique
des entreprises. À ce propos, une convergence de points de vues semble se dégager
sur le fait que la nature de l’environnement
institutionnel (contraignant/favorable, fort/
faible) détermine le comportement stratégique
des entreprises. L’environnement institutionnel
fait référence à l’ensemble des institutions qui
composent le dispositif légal, politique, judiciaire et culturel qui encadre, impulse, stimule
et autorise les actions globales ou individuelles. Ces actions s’enracinent dans toute
structure organisée du secteur marchand ou
non marchand (Kichou et Palloix, 2003).
Dans une recherche réalisée par Peng
(1996) il a été démontré que la nature de
l’environnement institutionnel peut être à l’origine de nouvelles formes organisationnelles
et de stratégies. L’étude a touché plusieurs
pays en phase de transition (Bulgarie, Chine,
République tchèque, Hongrie, Pologne et l’ex
URSS) qui présentent des particularités communes : expérience socialiste, forte transition
vers l’économie de marché, choix stratégique
des entreprises qui semble être l’insertion dans
des réseaux. L’auteur a constaté que les firmes
occidentales qui réalisaient traditionnellement
leur croissance par le recours à des stratégies
d’expansion et d’acquisition, se sont tournées vers une nouvelle stratégie : la stratégie
de type réseau qui prend différentes formes :
alliances stratégiques, joint-ventures, partenariats, etc. Si le choix des firmes d’adopter
cette stratégie est généralement attribué aux
nombreux avantages qu’elle présente (accès
à de nouveaux marchés et technologies, économies d’échelle, complémentarité de qualifications), Peng (1996) pense qu’il reflète plutôt l’incapacité de ces firmes à posséder les
ressources nécessaires pour entreprendre une
stratégie d’expansion ou d’acquisition. Peng
(1996) attribue également le choix de cette
stratégie, particulièrement dans le cas des
entreprises locales, à la nature de l’environne-
ment institutionnel dans les pays en phase de
transition. En Effet, les contraintes institutionnelles formelles (droits de propriétés, incertitude économique) et informelles persistantes
ont encouragé les firmes à mettre en commun
leurs ressources et coordonner leurs activités à
l’intérieur de réseaux.
Les résultats de l’étude réalisée par Carney
et Gedajlovic (2002) sur l’émergence des
groupes industriels familiaux dans l’Est et le
Sud-est de l’Asie vont dans le même sens que
ceux de Peng (1996). Les auteurs ont montré
que l’environnement institutionnel local qui ne
fournit pas les mesures adéquates pour assurer la protection des droits de propriété et une
application équitable des contrats a poussé
les groupes familiaux à développer des réseaux fermés qui constituent des refuges.
Ces groupes sont donc à la fois un produit
et une source de leur environnement institutionnel. Pour Carney et Gedajlovic (2000), les
organisations conglomérales qui ont émergé
comme formes concurrentielles dominantes
en Asie peuvent être vues comme une réponse
adaptative par les agents économiques par
rapport à un environnement de régulation
non codifié.
L’auteur tient à remercier Frédéric TEULON et l’ensemble des experts qui ont accepté de contribuer à cette recherche.
La crise de l’endettement et la chute des recettes des exportations des matières premières conduit plusieurs pays en voie de développement à revoir leur politique économique et à recourir
à des mesures proposées par la Banque Mondiale et le FMI : les programmes de stabilisation (mesure de court terme) et le plan d’ajustement structurel (mesure de long terme).
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
184
L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au
défi de la transition vers l’économie de marché
Hafsi et Hatimi (2003) mettent en avant l’idée
de l’évolution conjointe entre l’environnement
institutionnel et les stratégies des entreprises.
Dans une étude menée dans le secteur de la
télécommunication en Amérique du Nord, les
auteurs ont observé que lorsque les institutions
sont en période de transformation, il y a une
évolution conjointe avec les stratégies des entreprises, les deux s’influencent mutuellement.
Ainsi, comme la règlementation influence le
comportement des entreprises, elle peut également être influencée par les acteurs auxquels
elle est imposée, mais seulement durant la
phase de transition. Lorsque cette règlementation est établie, elle devient déterminante de
la stratégie des acteurs. Hafsi et Hatimi (2003)
soulignent que dans les pays en transition, institutions et stratégies de firmes sont instables et
en coévolution permanente. Ils concluent qu’il
est difficile aujourd’hui de concevoir la stratégie de l’entreprise sans prendre en compte
l’environnement institutionnel dans lequel elle
évolue. Les situations dynamiques du cadre
institutionnel sont d’une importance majeure
pour les choix stratégiques des firmes.
Malgré cette forte relation entre l’environnement institutionnel et le comportement stratégique des entreprises, peu de recherches se
sont intéressées à ce sujet. Il faut reconnaitre
que la littérature en management stratégique
a été dominée ces dernières années par
une confrontation entre les deux approches
explicatives du comportement stratégique de
l’entreprise : l’approche structurelle issue du
courant traditionnel de l’économie industrielle et l’approche basée sur les ressources
et compétences. Cela a laissé peu de place
au développement de nouvelles approches.
Ce manque peut également être attribué à la
nature des changements institutionnels (Hafsi
et Hatimi, 2003). Ces derniers se font souvent
de manière progressive, par conséquent, il est
difficile de cerner leur influence sur la stratégie
de l’entreprise. Certains auteurs (Peng, 1996)
estiment que la phase de transition vers l’économie de marché, dans laquelle sont entrés
plusieurs pays, constitue une bonne opportunité pour combler ce manque. Pour Bourcieu
(2004), les changements institutionnels dans
les pays en transition s’effectuent de manière
accélérée en raison de l’écart important entre
les systèmes institutionnels en place et ceux en
cours d’élaboration.
Les entreprises algériennes constituent un
cas d’étude intéressant. Après avoir subi les
effets du plan d’ajustement structurel (les
entreprises publiques en particulier), elles
devaient s’adapter depuis septembre 2005
aux conséquences de l’entrée en vigueur de
l’accord d’association signé avec l’UE. Nous
procédons dans la section qui va suivre à une
présentation du secteur étudié et des deux
entreprises qui constitueront le terrain d’application de notre recherche.
2. DESCRIPTION DU
SECTEUR ÉTUDIÉ
Le marché mondial du sucre comme la plupart des autres marchés de commodités est
marqué par une forte instabilité des prix. Face
à cette situation, la plupart des pays ont mis
en place des politiques de régulation de l’offre
et de protection aux frontières. Ainsi, depuis
plusieurs années les mesures d’organisation
du marché mondial du sucre sont essentiellement des mesures de protection et de définition d’importations préférentielles nationales.
Selon Borrell et Pearce (1999), parmi les pays
exportateurs de sucre seulement l’Australie, le
Brésil et Cuba pratiquent le libre commerce.
Les auteurs estiment qu’environ 80% de la
production mondiale reçoit des prix qui dépassent le prix mondial. Achabou (2010) note
qu’en raison de la généralisation des politiques de protection aux frontières, la filière
185
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au
défi de la transition vers l’économie de marché
sucre mondiale peut être décrite comme un
ensemble de filières nationales non intégrées.
En Algérie, suite à l’abandon de la production de betteraves en 1983, l’industrie sucrière
locale s’est retrouvée complètement intégrée
au marché mondial. Les deux entreprises
(ENASucre et Cevital) qui interviennent aujourd’hui dans ce secteur sont ainsi complètement déconnectées de l’agriculture locale.
L’entreprise publique ENASucre, spécialisée dans le raffinage du sucre roux importé
et le conditionnement de sucre blanc, est
confrontée ces dernières années à une crise
de compétitivité importante. Cette situation l’a
obligée en 2005 à s’associer, dans le cadre
d’un contrat de processing , avec l’entreprise
Cevital. L’entreprise familiale Cevital a connu
pour sa part, depuis sa création en avril 1998,
un développement important dans plusieurs
secteurs. Son complexe agroalimentaire est
composé de quatre activités principales : le
raffinage d’huile, la margarinerie, le raffinage
de sucre et le négoce de céréales. L’activité de
raffinage du sucre, entamée en 2002, représente aujourd’hui le tiers du chiffre d’affaires
de cette entreprise.
3. MÉTHODOLOGIE
3.1. Choix des méthodes
Pour les besoins d’enquêtes, trois méthodes
ont été mobilisées dans cet article : la méthode
SWOT, la méthode Delphi et la méthode AHP.
L’analyse du comportement stratégique des
entreprises nécessite de recourir à une approche multidimensionnelle qui peut inclure
les éléments internes et externes à l’entreprise. En ce sens, nous avons opté dans cet
article pour la méthode SWOT (Strengths,
Weaknesses, Opportunities, Threats). La composante « analyse interne » de cette méthode
va nous permettre de déterminer dans quelle
mesure les différences observées entre les
deux entreprises enquêtées en termes de statut
juridique (entreprise privée et entreprise publique), de mode de gestion, et de dotation en
ressources et compétences, peuvent influencer leur comportement stratégique et performance. La composante « analyse externe »
permettra d’identifier les différents changements intervenus dans l’environnement des
deux entreprises et de déterminer leur nature
(opportunités ou menaces).
La méthode SWOT est facilement compréhensible et peut s’appliquer à différents types
d’organisations. Toutefois, son utilisation présente certaines limites. La première est relative au risque de subjectivité dans le classement des variables internes et externes dans
les groupes forces, faiblesses, opportunités et
menaces. En effet, la pertinence et l’efficacité
de cet outil sont tributaires de la capacité des
participants à être aussi objectifs que possible
vis-à-vis de la réalité qu’ils perçoivent. Pour
remédier à cette première limite, nous avons
mobilisé la méthode Delphi, une technique
permettant d’obtenir une opinion fiable en utilisant un groupe d’experts. La deuxième limite
de la méthode SWOT porte sur l’absence de
priorisation des variables. Chang et Huang
(2006) notent que cette méthode offre seulement une présentation imprécise et superfi-
Depuis la réalisation de cette étude l’ENASucre a été privatisée.
Consiste à travailler pour le compte d’un tiers qui se charge d’approvisionner l’ENASucre et de vendre sa production.
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
186
L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au
défi de la transition vers l’économie de marché
cielle des facteurs qui influencent la décision
stratégique. Pour dépasser cette deuxième
limite nous avons opté pour la méthode AHP
(Analytical Hierarchy Process). Son association
à l’analyse SWOT permet d’évaluer systématiquement l’intensité des facteurs intervenant
dans la décision stratégique.
Celui-ci, comme le préconise la méthode Delphi, a été proposé aux mêmes experts et dans
les mêmes conditions que le premier tour (des
entretiens individuels). L’analyse des réponses
a permis d’établir un classement définitif des
variables dans les quatre groupes SWOT.
Notre travail empirique a débuté par des
enquêtes exploratoires dans l’objectif de classer un ensemble de variables internes (ressources et compétences de l’entreprise) et
externes (principaux changements observés
ou prévus dans les filières sucre algérienne
et mondiale) dans les quatre groupes SWOT.
Un premier questionnaire a été établi et proposé, dans le cadre de la méthode Delphi,
à 12 professionnels ayant des connaissances
sur la filière sucre et sur les deux entreprises
Cevital et ENASucre . La plupart des experts
sélectionnés (9/12) exercent une activité dans
l’une des deux entreprises (PDG ENASucre, 2
conseillers du PDG de l’ENASucre, directeur
général de Cevital, 2 directeurs commerciaux
des deux entreprises, directeur approvisionnement de Cevital, analystes des marchés dans
l’entreprise Cevital). Le choix de trois autres
experts était motivé par la nécessité d’avoir un
regard externe à ces deux entreprises.
La deuxième phase de notre travail empirique a porté sur la quantification des résultats
de la phase exploratoire (SWOT-Delphi) par
le recours à la méthode AHP. Afin de mesurer l’importance relative de chaque variable
dans la mise en place de la stratégie, un questionnaire composé de combinaisons binaires
entre les variables dans les quatre groupes
SWOT a été proposé au responsable de la
stratégie de chacune des deux entreprises.
L’analyse des réponses obtenues à l’aide du
logiciel Expert Choice 11 a permis d’établir un
premier classement des variables SWOT dans
chaque groupe. Afin d’obtenir un classement
global, les quatre facteurs les plus importants
issus des comparaisons par paires du premier
tour ont été utilisés pour élaborer un deuxième
questionnaire. Celui-ci a été proposé aux
mêmes responsables des deux entreprises qui
ont répondu au premier questionnaire. Selon
la méthode AHP, le poids obtenu par chacune
des quatre variables correspondra au poids
du groupe auquel elle appartient. La multiplication de ces poids par ceux obtenus lors du
premier tour permet d’établir un classement
global.
Il a été demandé aux répondants de classer les variables identifiées en fonction de la
nature de leur influence sur la performance de
l’entreprise (force ou faiblesse, opportunité ou
menace). L’analyse des réponses, par le calcul
des fréquences, nous a permis d’effectuer un
premier classement des variables, mais également d’éliminer celles dont l’impact sur la performance a été jugé neutre. Les variables retenues à l’issue du premier tour ont été utilisées
pour élaborer un deuxième questionnaire.
Nous précisons que les réponses obtenues
des comparaisons par paires peuvent présenter un certain degré d’incohérence. L’avantage de la méthode AHP est qu’elle permet
d’évaluer ce risque à travers le ratio d’incohérence (R.I). Lorsqu’il s’agit de comparer moins
de 9 éléments, un seuil de tolérance de 10%
est fixé pour ce ratio (Mendoza et Macoun,
2000). Nous présentons dans la section qui
va suivre les principaux résultats obtenus de
nos enquêtes.
3.2. Méthode d’investigation
et analyse des données
Le deuxième critère de sélection des experts (la connaissance des deux entreprises enquêtées) a fortement réduit notre panel. Nous soulignons qu’un taux de réponse de 100% a été obtenu à l’issue des deux tours.
Une échelle de rapport avec des unités allant de 1 (indifférence) à 9 (préférence absolue), tout en y incluant les réciproques (1/X) qui permettent d’évaluer les comparaisons inverses, a été utilisée à cet effet.
À ce stade de notre enquête, il nous a été impossible de faire appel à plusieurs responsables, la centralisation de la décision stratégique justifie le choix d’un seul responsable dans chacune des deux entreprises
187
Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012
L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au
défi de la transition vers l’économie de marché
4. PRÉSENTATION DES RÉSULTATS
4.1. Deux arbres hiérarchiques hétérogènes
Les enquêtes Delphi réalisées auprès de notre panel d’experts nous ont permis d’obtenir deux
classements hétérogènes (voir figures 1 et 2). Ce résultat peut être attribué aux situations de
développement différentes dans lesquelles se trouvent aujourd’hui les deux entreprises.
Figure 1 : Classement des variables dans les 4 groupes
SWOT (cas de Cevital)
Entre parenthèses : l’écart type entre les réponses des experts
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Nous constatons dans la figue 1 que les variables « faiblesses » ont fait l’objet d’un faible
consensus (écart-type élevé). Ainsi, concernant la variable « disponibilité de l’énergie », il
est indéniable que le coût de ce facteur reste
très compétitif en Algérie ce qui peut constituer un avantage de taille pour les entreprises
locales. Toutefois, la fiabilité du réseau d’approvisionnement (monopole de l’entreprise
étatique Sonalgaz) réduit fortement l’importance de cet avantage comparatif. Dans le cas
de Cevital, sa dépendance dans ce domaine
l’expose à des coupures électriques qui sont
accompagnées par des pertes de productivité.
En ce qui concerne le « coût des intrants »,
certains experts ont jugé que même si l’entreprise Cevital dispose aujourd’hui d’un bon
réseau de fournisseurs et d’un bon pouvoir de
négociation (vu les quantités achetées), elle
reste exposée à d’éventuelles augmentations
de prix du sucre roux qui peuvent influencer
négativement ses coûts de production.
Figure 2 : Classement des variables dans les 4
groupes SWOT (cas de l’ENASucre)
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défi de la transition vers l’économie de marché
Un faible consensus a été relevé dans le cas
des variables « qualification des ouvriers » et
« croissance de l’économie ». L’ENASucre est
composée d’un personnel de production possédant une grande expérience dans l’activité
sucrière. Cette expertise est toutefois limitée à
un outil de production très ancien. Concernant la croissance de l’économie, elle a été
considérée comme une opportunité de développement pour les entreprises algériennes.
Toutefois, certains experts ont jugé que l’ENASucre est incapable d’investir pour bénéficier
de cette dynamique économique.
4.2. Priorité aux variables
environnementales
Notre deuxième phase d’enquêtes (enquêtes
AHP) dans le cas de Cevital s’est faite auprès du directeur général de ce groupe qui
est aussi le responsable de sa stratégie. Un
questionnaire composé de 53 comparaisons
par paires (puis 6 au deuxième tour) lui a
été proposé lors d’un entretien individualisé.
Nous présentons dans le tableau qui va suivre
les principaux résultats obtenus à l’issue de
chaque tour.
Tableau 1 : Classement par groupe et classement global des variables intervenant dans
la mise en place de la stratégie de Cevital
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Il ressort du tableau 1 que les variables « (0,666). La forte compétitivité de Cevital, pertaxation des importations de sucre blanc » et met à ses dirigeants de centrer leur réflexion
« importations de sucre à 0 taxe » occupent stratégique sur l’évolution de l’environnement
une place importante dans la stratégie de externe.
Cevital. La mise à l’écart de cette entreprise
de la concurrence internationale lui permet de
Dans le cas de l’ENASucre, le questionnaire
se développer pour atteindre une taille et une AHP (44 comparaisons par paires au premier
compétitivité suffisantes pour concurrencer tour et 6 au deuxième tour) a été proposé au
d’autres groupes d’envergure internationale. Président Directeur Général (PDG) de cette
Le tableau montre également une forte diffé- entreprise. L’analyse des réponses a donné
rence (0,332) entre la somme des variables lieu aux résultats synthétisés dans le tableau 2.
internes (0,334) et celle des variables externes
Tableau 2 : Classement par groupe et classement global des variables intervenant dans
la mise en place de la stratégie de l’ENASucre
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Le tableau 2 met en évidence la forte dépendance de l’ENASucre par rapport aux
opportunités de son environnement externe
(41,5% d’importance pour le groupe « Opportunités »). La mise à l’écart de l’entreprise
de la concurrence internationale constitue
l’opportunité la plus importante. Pour rompre
cette forte dépendance, les responsables de
l’ENASucre doivent apporter les solutions
nécessaires pour contrer les nombreuses faiblesses observées (29,3% d’importance pour
le groupe « faiblesses ») telle que la faiblesse
financière, qui semble être l’handicap le plus
important. Ce résultat explique la faible dif-
férence (0,044) entre la somme des poids
des variables internes (0,478) et celle des
variables externes (0,522) contrairement au
cas de Cevital.
4.3. Poids déterminant des
variables institutionnelles
Les tableaux 2 et 3 nous ont permis de
constater la priorité accordée aux variables
externes lors de la mise en place de la stratégie dans les deux entreprises enquêtées, un
résultat qui peut être attribué en grande partie
aux variables institutionnelles (voir figure 3).
Figure 3 : L’importance des variables institutionnelles dans la décision stratégique
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Le cadre institutionnel algérien reste important pour les entreprises, au moins pour
la protection aux frontières qu’il leur assure.
Il faut rappeler que la mise en place des
protections, il y a maintenant plusieurs années, avait pour objectif d’encourager des
monopoles étatiques (Semmoud, 1982),
comme le cas de l’ENASucre dans son secteur. Aujourd’hui, ces protections assurent
le maintien de cette entreprise mais offrent
aussi des conditions favorables pour le développement de Cevital.
5. DISCUSSION
Comment expliquer le comportement stratégique et la performance d’une entreprise
? Serait-il suffisant de se contenter d’une
explication par les ressources et compétences de l’entreprise, ou par les facteurs
de son environnement externe? Les travaux
contrastant les explications avancées par la
perspective industrielle et celles défendues
par la perspective de la ressource sur le
comportement stratégique des entreprises
ont alimenté ces dernières années un débat
important dans le domaine du management stratégique.
Nous avons choisi dans notre recherche
d’associer ces deux approches dans le
cadre d’une analyse SWOT. Mintzberg et
al. (1999) estiment que la méthode SWOT
se porte toujours bien en analyse stratégique; seulement l’analyse interne (SW) a
pris le dessus sur l’analyse externe (OT). En
effet, comme souligné par Ingham (1997)
la qualité et la différenciation, devenues des
sources importantes d’avantages concurrentiels, ont donné la priorité à l’analyse
des ressources et compétences mais est-ce
le cas pour toutes les entreprises ? Dans le
cas des entreprises sucrières algériennes,
les résultats de cette recherche convergent
vers une explication de la stratégie par le
marché et de fait, contradictoires avec le
nouveau paradigme du management stratégique. L’environnement institutionnel peut
en grande partie expliquer ce résultat. En
effet, les variables institutionnelles semblent
influencer considérablement le comportement stratégique des entreprises enquêtées.
Les évolutions institutionnelles peuvent générer à la fois des opportunités et des menaces pour les acteurs économiques. Leurs
conséquences sont plus lourdes dans des
secteurs habituellement protégés comme
celui du sucre. Certains économistes estiment que le protectionnisme constitue un
élément déterminant dans le développement de certaines industries, d’autres en
revanche font remarquer que les industries
occidentales les plus protégées dans la
période d’après guère souffraient au début
des années quatre-vingt d’un manque de
compétitivité (Koenig, 1996).
Chabaud et al. (2005) soulignent que
dans les contextes institutionnels où l’Etat
intervient fortement dans l’activité économique, les entreprises restent enfermées
dans des comportements ne permettant pas
un développement efficace (faible création
de richesse). Elles deviennent faiblement
compétitives et se retrouvent dans l’incapacité de faire face à une concurrence
internationale. En Algérie, les entreprises
publiques notamment l’ENASucre ont bénéficié pendant plusieurs années de facilités
financières (subventions et prêts bancaires)
ainsi que de mesures qui les ont protégées
de la concurrence nationale (l’investisse-
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L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au
défi de la transition vers l’économie de marché
ment privé en Algérie n’a été libéralisé qu’à
la fin des années quatre-vingt) et internationale. Bouzidi (1999) estime que « la nature
publique de la propriété sur la plus grande
part des moyens de production, le triple
statut de l’État qui, dans l’économie, est
à la fois propriétaire, gestionnaire et puissance publique, ont empêché l’entreprise
publique de fonctionner comme une firme,
c’est-à-dire comme une véritable entreprise
économique avec ses contraintes d’efficacité. L’État rappelant constamment son statut de propriétaire empêchait l’émergence
d’une culture d’entreprise et notamment
l’entrepreneurship ». Dans le cas de Cevital, l’exigence de rentabilité et de satisfaction des actionnaires a poussé ses dirigeants
à adopter une stratégie plus entrepreneuriale. Les gros investissements réalisés ces
dernières années, la place de leader de
l’entreprise sur plusieurs marchés, sa diversification lui permettent d’ambitionner de
devenir l’un des plus grands producteurs de
sucre dans la région méditerranéenne. En
attendant d’atteindre une taille et une compétitivité suffisantes, les mesures institutionnelles dont elle bénéficie avec l’ENASucre
(protection aux frontières) sont fortement
stratégiques.
En définitive, les résultats de cette étude
montrent que les entreprises s’intègrent
dans un cadre institutionnel qui impose
des règles, normes et autres instruments de
régulation qui tendent à limiter leur marge
de manœuvre et à créer une dépendance
vis-à-vis de certaines mesures favorables (ex
: protections, subventions). Les choix stratégiques opérés ne sont donc pas guidés exclusivement par le portefeuille de ressources
et compétences et les facteurs économiques.
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CONCLUSION
Au-delà des divergences observées dans la
littérature du management stratégique entre
les auteurs qui penchent pour une explication de la performance et du comportement
stratégique de l’entreprise à partir de ses ressources et compétences et ceux qui sont plutôt adeptes d’une explication par la structure
de l’industrie, cette recherche montre que les
mesures institutionnelles caractérisant le secteur d’activité de l’entreprise peuvent jouer
un rôle déterminant. Cela explique la priorité accordée aux variables externes dans
la mise en place de la stratégie des deux
entreprises enquêtées. Néanmoins, ce résultat ne remet pas en cause l’importance de
l’analyse interne. La rentabilité de l’activité
sucrière dans les deux entreprises enquêtées
semble fortement tributaire d’une importante
ressource : le sucre roux.
Les résultats obtenus dans le cas de l’ENASucre confirment le postulat de la théorie
des droits de propriété et du modèle principal-agent selon lequel l’existence dans
les économies planifiées d’une propriété
publique induit un système d’incitations et
de contrôle insuffisant et donc inefficient
(Shleifer, 1994). La privatisation est l’un des
moyens qui pourrait permettre une amélioration du mode de gouvernance des entreprises publiques. Elle est d’ailleurs au cœur
des réformes structurelles préconisées par
le consensus de Washington pour les économies en transition. Toutefois, notre étude
montre que dans le cas de l’ENASucre,
cette éventualité est difficilement envisageable en raison des investissements importants nécessaires pour sa remise à niveau et
des dettes cumulées.
L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au
défi de la transition vers l’économie de marché
Contrairement au cas de l’entreprise publique, Cevital est aujourd’hui une entreprise performante sur le marché algérien.
Nous pouvons toutefois nous interroger sur
sa capacité à s’imposer sur une échelle méditerranéenne. Au regard des tendances observées dans cette région (exemple : investissement dans l’activité de raffinage), nous
pensons qu’une intégration vers l’amont,
par le rachat de sucreries ou par des jointventures dans les pays exportateurs de sucre
roux, tels que le Brésil, serait une stratégie
sécurisante pour Cevital. Aujourd’hui, les
entreprises désirant s’adapter à leur environnement doivent suivre les changements
technologiques, institutionnels, etc. Pour
cela, elles doivent acquérir des ressources
stratégiques leur permettant de maintenir
ou d’obtenir un avantage concurrentiel
durable (Porter, 1997).
Pour terminer, nous soulignons que
l’étude de cas comme méthode de recherche présente des avantages notamment celui d’assurer une forte validité
interne des résultats (les phénomènes relevés sont des représentations authentiques
de la réalité étudiée), en revanche comme
toute méthode de recherche elle présente
des faiblesses, la plus importante concerne
la validité externe. En effet, il est généralement difficile que les résultats obtenus
à partir d’études de cas soient reproduits
(Gagnon, 2005). Nous pensons donc
qu’il serait intéressant dans une voie future
d’analyser les interactions entre le comportement stratégique des entreprises et l’environnement institutionnel dans d’autres
secteurs en Algérie, et dans d’autres pays
notamment ceux de l’UE.
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