Juillet-Août-Septembre 2012 - Université de Pau et des Pays de l
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2 2 Juillet-Août-Septembre 2012 Mourad Oulmi Pdg de Sovac Introduire un dossier sur le thème de la convergence des pratiques RH dans les entreprises, et en particulier dans les filiales des grands groupes au Maghreb, n’est pas chose aisée tant les réalités sont complexe, et en perpétuelle mutation. Développer l’idée que les pratiques RH s’homogénéisent à travers le monde questionne les managers du Maghreb. Une chose est sure: partout au Maghreb comme à travers le monde la fonction Ressources Humaines est devenue une fonction capitale au cœur du développement de l’entreprise, mais sous des formes qui peuvent être spécifiques au contexte local. On a trop longtemps perçu la fonction des Ressources Humaines comme une simple fonction de support reproductible d’un contexte à un autre. Heureusement, nous n’en sommes plus là. C’est aujourd’hui incontestablement à la fois une fonction stratégique protéiforme et la principale richesse de l’entreprise sans laquelle aucun développement n’est possible. En tant que PDG d’une entreprise qui connaît un taux de croissance annuel conséquent dans l’importation et la distribution automobile qui a connu, depuis 2007, une période de crise inédite, j’ai bien conscience que les RH sont un vecteur d’excellence, de qualité et de cohésion comme partout au plan international. Chez SOVAC (importateur exclusif de marques allemandes du groupe Volkswagen : VW, AUDI, SKODA, SEAT, Porsche), nous connaissons une croissance à deux chiffres depuis trois années à travers un réseau de distributeurs étoffé qui couvrent quasiment la totalité du pays tout en développant une stratégie de proximité, de service et une orientation client systématique. Cette expérience nous amène à penser qu’il n’y a de succès qu’à travers une gestion de proximité des ressources humaines par une présence forte des managers RH au plus près de nos personnels. Si notre souci permanent est celui de l’efficacité, de l’efficience et de la performance, nous sommes aussi conscients que le succès de notre groupe passe d’abord par le degré d’engagement et d’implication des ressources humaines. Etre à l’écoute des salariés, de nos collaborateurs, de leurs aspirations ou de leur projet est une mission cruciale qui garantit à l’entreprise sa cohésion et son développement durable, notamment dans la relation partenariale que nous entretenons avec les enseignes prestigieuses que nous représentons. Mais les RH sont aussi un défi permanent pour nous. La qualité, l’efficience et la performance sont des mots d’ordre qui exigent donc de nos responsables RH un management de l’excellence qui comprend une forte présence, un appui et une écoute sans faille aux employés pour que chaque collaborateur se sente impli- qué, accompagné et valorisé. L’engagement de nos salariés est une condition sine qua non de nos attentes en termes de qualité, et cet objectif est une véritable gageure aujourd’hui. Notre perception de la performance RH est en effet liée à des actions de standardisation des processus et à des indicateurs de qualité de service et d’efficacité économique en termes de chiffre d’affaires. La performance RH s’inscrit donc dans une chaîne de valeur interne à laquelle participent tous nos salariés. Même si nous avons des particularismes locaux dans nos méthodes, notre stratégie RH reste basée sur une gestion des compétences et des talents, et notre souci permanent est de favoriser un encadrement jeune, motivé et facilement imprégnable de la culture d’excellence du groupe VW. Nous recrutons massivement de jeunes diplômés de grandes écoles et entretenons une proximité avec les universités et les grandes écoles en ce sens: participation aux portes ouvertes, salons de recrutement, jobday... Par ailleurs, et c’est assez nouveau dans des pays en transition, nous nous employons aussi à construire une culture du mérite qui se traduit principalement par une politique salariale transparente et motivante. Nous avons mis sur pied des systèmes de rémunération des salariés perçus par eux comme motivants, même s’ils ne sont pas aussi complets qu’en Europe ou en Amérique du nord (actionnariat, intéressement, participation, épargne salariale). En Algérie deux des problèmes récurrents sont ceux de la qualification et du turn-over. C’est la raison pour laquelle nous pouvons nous enorgueillir d’avoir mis sur pied un style de management participatif et une politique qui a consisté à maitriser ce phénomène particulièrement au niveau de l’encadrement, notamment par une politique d’évaluation de la performance, par la formation et l’animation soutenues: formations techniques/formations dédiées au management, tant au niveau corporate qu’individuel. Ce numéro spécial de la Business Management Review répond à de nombreuses interrogations et nous ouvre des champs de réflexion qui permettent de mieux comprendre nos difficultés, nos défis et les orientations envisageables pour se conformer sans trahir nos spécificités culturelles et socioéconomiques. Mot de la Rédaction Hadj NEKKAEDITORIAL Johannes SCHAAPER La GRH au sein des filiales des multinationales implantées au Boualem ALIOUAT Maghreb : De l’altérité à l’hybridation des pratiques Zahir YANAT Johannes SCHAAPER Les politiques de GRH internationale dans les firmes Jacques JAUSSAUD multinationales : Entre expatriation et localisation des postes Belkis BOUSSETTA KECHIDA Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les Zeineb B. AMMAR MAMLOUK filiales tunisiennes de multinationales : Entre contingence, convergence et hybridation Omar TIJANI Camal GALLOUJ Hadj NEKKA Kaabachi SOUHEILA Boualem ALIOUAT La capacité d’absorption et le transfert des connaissances : rôle de la GRH dans les filiales des FMN du secteur aéronautique au Maroc Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc Khaled AROUS Les pratiques de la gestion des compétences dans les multinationales en Tunisie Khaled TAHARI Malik MEBARKI GRH et Mondialisation : La question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie Abir BESBES Boualem ALIOUAT Houcine KHEMIRI Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) REGARD CROISE Zahir YANAT Itinéraire d’un enseignant chercheur : une question de méthode Mohamed AKLI ACHABOU L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au défi de la transition vers l’économie de marché REVIEW BUSINESS MANEGEMENT BMR Numéro ISSN Papier : ISSN 2170-1679 En ligne : ISSN 2170-1687 BMR REVIEW BUSINESS MANEGEMENT REDACTION : Brahim BENABDESLEM DIRECTEUR GENERAL DE LA REVUE Boualem ALIOUAT Rédacteur en chef BMR LE COMITE SCIENTIFIQUE – EDITORIAL BOARD Boualem Aliouat Université de Nice Sophia Antipolis, CNRS (France) Marie-José Avenier CNRS et Université Pierre Mendès- France, Grenoble (France) Brahim Benabdeslem MDI Business School (Algeria) Sid Ahmed Benraouane University of Minnesota, Carlson School of Management (USA) Faouzi Bensebaa Université de Reims (France) Francis Bidault European School of Management and Technology (Germany) Jean-Pierre Boissin IAE de Grenoble (France) Christina Butler Kingston University, London (United Kingdom) Thomas Durand Ecole Centrale Paris (France) Alain Fayolle EM Lyon (France) Michel Ferrary HEC Genève (Switzerland) Louis Jacques Filion HEC Montréal (Canada) Faiz Gallouj Université de Lille 1 (France) Yvon Gasse Université Laval (Canada) Widad Guechtouli MDI Business School (Algeria) Michel Ghertman GREDEG –CNRS/UNS, Nice (France) Yvonne Giordano Université de Nice Sophia Antipolis (France) Taïeb Hafsi HEC Montréal (Canada) Jean-Pierre Helfer IAE Paris 1 – Sorbonne (France) Ahmed Hammadouche MDI Business School (Algeria) Isabelle Huault Université Paris Dauphine (France) Marc Ingham ESC-Dijon (France) Laoucine Kerbache HEC Paris (France) Martin Kupp European School of Management and Technology (Germany) Benoît Leleux IMD International de Lausanne (Switzerland) Jacques Liouville EMS-Université de Strasbourg (France) Pierre Louart IAE de Lille (France) Alain-Charles Martinet Université Jean Moulin, Lyon (France) Ulrike Mayrhofer Université de Lyon 3 (France) Bachir Mazouz ENAP, Université du Québec (Canada) Teresa V. Menzies Brock University, Faculty of Business, Ontario (Canada) Karim Messeghem Université de Montpellier 1 (France) Caroline Mothe Université de Savoie (France) Robert Paturel IAE de Brest (France) Véronique Perret Université Paris Dauphine (France) Jean-Marie Perretti Université de Corse Pasquale Paoli, Corté (France) Christophe Roquilly EDHEC Business School (France) Jonathan Story INSEAD (France) Zhan Su Université Laval (Canada) Zahir Yanat BEM Bordeaux Business School Eric LamarqueUniversité de Bordeaux IV Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 6 LE COMITE D’EVALUATION • Michel Bernasconi SKEMA Business School • Laure Cabantous University of Nottingham, UK • Jamil Chaabouni Université de Sfax • Denis Chabault IAE Tours • Valérie Chanal IAE de Grenoble • Regis Coeurderoy Université Catholique de Louvain • Christophe Collard EDHEC Business School • Nabyla Daidj Université de Paris Sud • Didier Danet Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr • Faridah Djellal Université de Lille 1 • Régis Dumoulin Université d’Angers • Laurent Fontowicz Université de Lille 2 • Camal Gallouj Université de Paris XIII • Gilles Guieu Université de la Méditerranée • Muriel Jougleux Université Paris Est, Marne la Vallée • Catherine Léger-Jarniou Université Paris Dauphine • Frédéric Le Roy Université de Montpellier 1 • Christophe Loué Advancia • Christian Marmuse Université de Lille 2 • Jérôme Maati Université de Lille 1 • Ariel Mendez Université de la Méditerranée • Pierre-Xaviier Meschi IAE d’Aix en Provence - Skema Business School • Patrick Micheletti Euromed Business School • Hadj Nekka Université d’Angers • Franck Petit Université d’Avignon • Belgacem Rahmani HEC Montréal • Vincent sabourin Université du Québec à Montréal • Eric Séverin Université de Lille 1 • Abdenour Slaouti Université d’Ottawa • Julie Tixier Université Paris XII-Val-de-Marne 7 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 NOTE AUX AUTEURS OBJECTIFS EDITORIAUX PRESENTATION DES ARTICLES • La Business Management Review entend établir un dialogue entre les chercheurs dans le domaine du management des organisations, et les managers et entrepreneurs. • Son objectif est d’offrir aux praticiens et aux enseignantschercheurs des lieux d’échanges d’analyses critiques et des modèles renouvelés. • La revue prend ancrage dans un contexte euro-méditerranéen d’où émergent des problématiques spécifiques mais aussi des organisations et des formes de coopération ou de concurrence nouvelles. Elle entend donc privilégier les contributions qui tiendront compte de ce contexte original et œuvreront à mieux comprendre et à valoriser ces milieux. • Elle s’adresse aux enseignants et étudiants en Sciences de gestion, en Economie et même par extension en droit des affaires, ainsi qu’à un large public de praticiens désireux d’enrichir leur propre champ de connaissance des organisations. • Les articles publiés dans la BMR doivent respecter les principes de rigueur scientifique et être écrits de façon à être accessibles aux lecteurs les plus larges qui ne sont pas toujours des spécialistes de telle ou telle discipline ou méthode de recherche. L’accent est plutôt mis sur les implications managériales du sujet abordé. Une conclusion propositionnelle est impérative en fin de chaque article soumis à évaluation. • Les articles proposés à la BMR sont envoyés à l’adresse électronique de la revue : [email protected] . • Les noms, institutions, adresses postales et électroniques de(s) auteur(s) sont clairement indiqués. • Ils sont rédigés en version Word et en simple interligne, et ne mentionnent les noms et affiliations des auteurs que sur la première page. • Les articles ont une longueur maximale de 15 pages de 2400 signes chacune (40 lignes x 60 signes). • Les contributions comprennent une bibliographie d’une longueur maximum de deux pages, ou 4000 signes, et sont précédées d’un bref résumé de 400 signes maximum (en anglais, en français et en espagnol) qui met en évidence l’intérêt ou l’originalité de l’article, et de 3 à 6 mots clés également dans les trois langues. • L’auteur accorde l’essentiel de son développement à ses résultats de recherche et les analyses ou les modèles nouveaux qu’il propose, après avoir présenté son socle théorique et méthodologique. L’article est de nature propositionnelle à destination d’un double public académique et managérial ou entrepreneurial. • Les articles ne comportent pas d’annexes : l’ensemble des tableaux, schémas et encadrés est inséré dans le texte. Les notes sont placées en bas de page et numérotées dans l’ordre d’insertion. Leur nombre ne doit pas excéder trois lignes par page. • Les références bibliographiques (quelque soit le support) sont rédigées selon le modèle suivant : COMITE D’EVALUATION • Tout article adressé à la BMR est évalué à l’aveugle par deux membres compétents du comité d’évaluation. • Les résultats de l’évaluation amènent le comité de rédaction à décider de son acceptation, de son refus ou de son acceptation sous réserve de modifications majeures ou mineures. • L’auteur reçoit copie des observations des membres du comité de lecture. PARUTION DE LA REVUE • Lorsqu’un article est définitivement accepté, l’auteur fournit à la BMR une version électronique mise en forme finale. • Les articles acceptés pour publication sont publiés dans l’ordre des dates d’acceptation sauf impératifs de regroupement thématique ou d’équilibre des numéros de la revue. • L’auteur s’engage à ne pas publier son article dans un autre support. • Chaque auteur reçoit un exemplaire du numéro de la BMR auquel il a contribué. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 8 - Nom de l’auteur, Initiale du prénom. (date de publication), Titre de la référence, Editeur, Lieu d’édition, ou Titre de la revue, Vol. x, No. X, (pages) 20-35. Exemples: Porter M.E. (1998), Clusters and the New Economics of Competition, Harvard Business Review, November-December, Vol. 76 Issue 6, 77-90. Porter M.E. (1980), Competitive Strategy, Free Press, New York. • La revue se réserve le droit de la mise en forme définitive. • Tout article dérogeant aux règles de la BMR est susceptible d’être renvoyé aux auteurs pour mise en conformité avant soumission au comité d’évaluation. http://www.bmr.mdi-alger.com AIMS AND SCOPE OF THE BMR OBJECTIFS DE LA BMR The Business Management Review is a quarterly academic journal covering different topics related to organization studies (Strategy, Finance, Human Resources, Entrepreneurship, Control and Governance, Marketing, Business case Management, Supply chain, Business Ethics,...). This Review aims to build bridges between management re- search and the different worlds of practice, managers and entrepreneurs. This international review is written in French, but may occasionally receive papers written in English. The Business Management Review is published and distributed in tangible and electronic forms by MDI Business School (4 issues per year, plus a special issue). It includes an Editors Board, an Editorial Board, a Reviewers Board and an anonymous reviewing by academic peers. This review also includes international experts committee in various fields of management. Papers published in the Business Management Review must meet academic and scientific requirements while addressing audiences of entrepreneurs. They must be accessible to non- specialists as well as experts in each discipline. The Business Management Review is a source of information on recent research and best practices. It is also open to the views of entrepreneurs, managers or consultants who develop high level thinking and original actions. The journal also publishes communications in the form of research notes or comments from readers on published papers . The Business Management Review focuses also on research dealing with issues concerning businesses in transition economies and developing countries. Case studies and re- search integrating companies around the Mediterranean area are particularly sought. La Business Management Review est une revue académique trimestrielle recouvrant des domaines assez larges liés au Management (Stratégie, Finance, GRH, Entrepreneuriat, Contrôle-Gouvernance, Marketing, Gestion de projet, Supply chain, Compliance, Ethique des affaires,…). La Business Management Review a pour ambition d’établir des passerelles entre la recherche en management et le monde de la pratique et des entrepreneurs. Cette revue internationale est francophone, mais peut occasionnellement accueillir des articles écrits en anglais. Elle est éditée et distribuée sous forme matérielle et électronique par MDI Business School, à raison de 4 numéros par an, plus un numéro spécial. Elle comprend un comité de direction éditorial, un comité scientifique, un comité d’évaluation et une évaluation anonyme des soumissions. Elle accueille en ses comités des experts internationaux traitant de différentes questions du management. Les articles publiés dans la Business Management Review doivent répondre à des exigences académiques et scientifiques tout en s’adressant à des publics d’entrepreneurs. Ils doivent être accessibles à des non spécialistes autant qu’à des experts de chaque discipline. La revue est une source d’information sur les développements récents de la recherche et des meilleures pratiques. Elle est également ouverte à des points de vue d’entrepreneurs ou des consultants de haut niveau qui développent des réflexions et des actions originales. La Business Management Review privilégie les recherches traitant de questions pouvant intéresser des entreprises dans des économies en transition ou en développement. Les études de cas et les recherches intégrant des entreprises du pourtour méditerranéen sont particulièrement recherchées. 9 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Mot de la Rédaction PRATIQUES DE GRH ENTRE CONTINGENCE LOCALE ET ISOMORPHISME INSTITUTIONNEL: EXISTE-T-IL UN MODELE MEDITERRANEEN CONTINGENT ET AUTONOME ? Boualem ALIOUAT Rédacteur en chef Paul Dimaggio et Walter W. Powell posaient, en 1983, les bases d’une sociologie néo-institutionnelle où le besoin d’isomorphisme revisite complètement la théorie des organisations. Les entreprises et les pratiques managériales et organisationnelles ont une propension forte à se ressembler, laissant peu de place finalement à la diversité ou à la singularité. Ce mimétisme s’observe également à l’échelle internationale et semble accompagner et servir le questionnement de la globalisation (versus localisation). Les pratiques RH au Maghreb n’y font pas exception. Mais l’universalisme des pratiques RH est-il réaliste ? ou au contraire la culture est-elle plus contingente ? Après de multiples réformes économiques et institutionnelles, les pays du Maghreb se sont engagés dans des programmes de mise à niveau d’entreprises qui englobent en grande partie la gestion des ressources humaines. La GRH est en effet perçue comme un moyen d’atteindre une meilleure compétitivité, de meilleurs niveaux de qualité, une performance supérieure et des capacités d’innovation nouvelles. Points de faiblesse continuellement mis en avant par les grandes instances de la nouvelle économie comparative et du développement que sont la Banque mondiale, le World économique forum, le FMI, et autres agences de rating ou assureurs crédit, mais aussi par les donneurs d’ordres occidentaux ou les entrepreneurs maghrébins eux-mêmes. Les pratiques de GRH dans les économies en transition s’inscrivent donc inlassablement au point de rencontre de l’économie du développement, de la nouvelle économie comparative, des sciences de gestion, de socio-économie pragmatique et de psychologie cognitive en lien à l’entrepreneuriat. Le point d’équilibre se situe constamment entre compétitivité institutionnelle et performance organisationnelle. Entre incantation politique, vision pragmatiste et observations scientifiques. Les enjeux de la GRH sont multiples, certes, mais surtout de plus en plus cruciaux à la fois pour les entrepreneurs locaux et les firmes multinationales qui souhaitent s’implanter dans ces pays. Certaines d’entre elles (les FMN) ont d’ailleurs des expériences tout à fait intéressantes que ce numéro BMR met en perspective. Tantôt inspirées par les modèles rationnels européens, tantôt influencées par un modèle anglo-saxon par mimétisme ou transposition hasardeuse, les pratiques de GRH au Maghreb sont aussi circonvenues par les pratiques de l’oralité, le traditionnalisme, les influences cultuelles, les réflexes tribaux, le lien social et même parfois par le fatalisme. Et ce, même Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 10 lorsque l’entreprise est occidentale. Les responsables de GRH sont donc constamment confrontés à la mise en tension d’ago-antagonismes, entre déterminisme et contingence. Entre divergence pratique et convergence des pratiques. Ces modèles sont-ils pour autant voués à l’échec, au retard économique, à l’exclusion du monde des affaires et de la compétition mondiale ? Ou au contraire, ces modèles de GRH au Maghreb sont-ils sources d’inspiration pour les pratiques bien connues de management participatif, de flexibilité, de structure organique, d’implication et d’engagement, d’entreprise-réseau, d’entreprises apprenantes, de consensus social, de partage du pouvoir entre parties prenantes,… ? Ce numéro de la Business Management Review souhaite apporter une contribution au débat malheureusement trop peu traité dans l’espace euroméditerranéen de l’émergence d’un modèle de Gestion des Ressources Humaines adapté au contexte maghrébin. Un modèle qui allie parfois avec justesse et équilibre les influences rationnelles européennes ou anglosaxonnes et ses propres spécificités managériales, démographiques, institutionnelles, culturelles, historiques et géographiques. Qu’il s’agisse de politique d’expatriation, d’hybridation des pratiques RH, de knowledge Management, de la gestion des compétences, du benchmarking des pratiques RH ou des formes spécifiques d’apprentissage organisationnel et de capacités d’innovation, ce numéro BMR investit plusieurs champs de recherche théoriques et empiriques qui donnent tous à penser que les contingences l’emportent sur le mimétisme déterministe. Sans renier certaines convergences de pratiques évidentes entre modèles occidentaux et pratiques maghrébines, les travaux exposés n’observent aucune duplication obséquieuse, mais relèvent en revanche des phénomènes d’accumulation, de consolidation et de combinaison de pratiques porteuses de processus autonomes et inédits. A condition que la fonction GRH ne soit pas confisquée ou instrumentalisée dans les entreprises maghrébines, comme l’observait Aline Scouarnec en 2005 en s’interrogeant sur le devenir du DRH au Maroc. Faut-il espérer que la fonction RH dans les entreprises maghrébines ou dans les filiales de FMN au Maghreb soit enfin portée à la liste des pratiques managériales et organisationnelles majeures. A ce niveau, l’alignement sur les pratiques européennes ou anglo-saxonnes ne serait-il pas une opportunité ? EDITOR’S FEW WORDS HRM PRACTICES BETWEEN LOCAL CONTINGENCY AND INSTITUTIONAL ISOMORPHISM: IS THERE A CONTINGENT AND AUTONOMOUS PATTERN FOR THE MEDITERRANEAN’S FIRMS? Paul DiMaggio and Walter W. Powell posed in 1983, the foundations of a sociological neo-institutionalism where the need for isomorphism revisits completely organizational theory. Firms and their managerial and organizational practices have a large tendency to look alike, ultimately leaving little place for diversity or uniqueness. This mimetism is also observed internationally and seems to accompany and serve the questioning of globalization (versus location). HR practices in the Maghreb are no exception. But the universality of HR practices is it realistic? or on the contrary is culture more contingent? After many economic and institutional reforms, the Maghreb countries have embarked on various programs to upgrade companies, including human resource management. HRM is indeed seen as a means to achieve greater competitiveness, higher levels of quality, superior performance and new capabilities for innovation. These weaknesses are continually highlighted by large instances of the new comparative and development economics such as the World Bank, the World Economic Forum, the IMF, and other rating agencies and credit insurers, but also by the Western contractors and North African entrepreneurs themselves. HRM practices in transition economies fall so tirelessly at the intersection of development economics, the new comparative economics, and management science, pragmatic socio-economic and cognitive psychology in relation to the entrepreneurship. The balance point is always between institutional competitiveness and organizational performance. Between political visions, pragmatist point of view and scientific observations. HRM issues are multiple and complexes, of course, but also increasingly crucial for both local businesses and multinational companies wishing to set up in these countries. Some of them (MNCs) have also experiences quite interesting that this issue of BMR puts into perspective. Sometimes inspired by rational European models, sometimes influenced by Anglo-Saxon model by mimetism or hazardous transposition, HRM practices in the Maghreb are also circumvented by the practices of oral tradition, traditionalism, cult influences, reflexes of tribal and social ties, and even fatalism. Even in the case of Western MNCs. HR managers are constantly faced with the tensioning of ago-antagonism between determinism and contingency. Between useful divergence and need to convergence of RH practices. 11 These models are they therefore doomed to failure, or to the economic backwardness, or to the exclusion from the business world and global competition? Or conversely, the HRM models in the Maghreb are they sources of inspiration for the well known practices of participative management, flexibility, organizational structure, involvement and commitment, businessnetwork, learning companies, social consensus, sharing of power between stakeholders...? This issue of Business Management Review seeks to make a contribution to the debate unfortunately too unheeded in the Euro-Mediterranean space for the emergence of a model of human resource management adapted to the Maghreb context. A model that combines sometimes with accuracy and balance rational European or Anglo-Saxon models and its own specific managerial, demographic, institutional, cultural, historical and geographical patterns. Whether expatriation policy, hybridization HR practices of knowledge management, management skills, benchmarking HR practices or specific forms of organizational learning and innovation capabilities, this BMR issue invests several fields of theoretical and empirical research all suggest that contingencies outweigh deterministic mimetism. Without denying some obvious practical convergences between Western models and RH practices in Maghreb, all the authors observe no obsequious duplication, but phenomena of accumulation, consolidation and combination of RH practices which procure autonomous and original processes. As long as the HRM function is not confiscated or instrumentalized in Maghreb companies, as observed in 2005 by Aline Scouarnec wondering about the future of HRD in Morocco. It is hoped that the HR function in the Maghreb companies or subsidiaries of MNCs in the Maghreb is finally increased to the list of major organizational and managerial practices. At this point the alignment with European or Anglo-Saxon practices would it not an opportunity? Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Editorial La GRH au sein des filiales des multinationales implantées au Maghreb : De l’altérité à l’hybridation des pratiques Hadj NEKKA Université d’Angers Johannes SCHAAPER Bordeaux Ecole de Management Centre de Recherche et d’Etudes en Gestion (CREG) Boualem ALIOUAT Université de Nice Sophia Antipolis CNRS GREDEG UMR 7321 Entre nécessité de convergence (ou d’isomorphisme) des pratiques RH et intelligence de prise en compte des divergences contingentes, une voie nouvelle semble s’affirmer dans les recherches comparatives en matière de pratiques RH au niveau international : celle de l’hybridation des modèles. Un métissage pragmatique certes, mais qui laisse encore des champs d’interrogation ouverts quant à ses fondements théoriques, ses mécanismes de mise en action et la démonstration de son efficacité et son efficience pour une performance et une compétitivité accrues. Le recrutement, la gestion et la valorisation des ressources humaines est au cœur des préoccupations des entrepreneurs des pays du Maghreb. La donnée RH apparaît de plus en plus comme une variable stratégique de performance et de compétitivité dans ces pays où les facteurs structurels primaires ou les facteurs d’efficience l’emportent très largement sur les facteurs d’innovation comme nous le rappelle le dernier rapport du World Economic Forum à propos de la compétitivité des pays arabes. Les déficits de ressources humaines et des facteurs sensés générer des pratiques RH compétitives posent plus largement la question des enjeux de développement pour ces pays, mais aussi pour les entreprises locales et celles qui Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 12 Zahir YANAT BEM Bordeaux Business School souhaitent s’y implanter. Ce numéro de la Business Management Review traite principalement de cette question pour les entreprises implantées au Maghreb, avec un éclairage spécifique sur la gageure que représente cet enjeu pour les firmes multinationales. Les firmes multinationales (FMN) jouent un rôle central dans l’économie mondiale et soulèvent des interrogations, tant pour les praticiens que pour les chercheurs. La montée de la mondialisation oriente souvent les FMN vers plus de centralisation qui induit une complexité croissante des relations entre les sièges et ses filiales. En effet, les FMN sont obligées de surveiller leur efficience mondiale par des politiques fortement centralisées au siège, tout en accordant de la liberté et de l’autonomie de décision à leurs filiales implantées dans le monde entier, afin que cellesci répondent rapidement aux contraintes et opportunités locales. Etudier les pratiques de GRH dans les filiales des FMN dans le contexte maghrébin constitue un enjeu majeur. Pour ne retenir que le cas tunisien, le Forum Davos 2010-2011 attribue à ce pays le 32e rang mondial en termes d’accueil des filiales des FMN. En outre, le débat sur la contingence et la convergence de la GRH dans les (FMN), objet de ce dossier, a déjà suscité l’inté- rêt de plusieurs chercheurs, et plusieurs travaux ont déjà traité le sujet dans le contexte maghrébin. Cependant, malgré une littérature importante, le sujet des pratiques RH au sein des FMN situées au Maghreb, à notre avis, est sous-étudié. Plusieurs raisons justifient notre intérêt pour ce thème : • Un intérêt théorique : Les travaux sur la globalisation mobilisent régulièrement un cadre d’analyse néo-institutionnaliste. Ce cadre comporte deux courants de pensée qui méritent d’être distingués (Barabel et al., 2006). Le premier courant se situe dans la lignée des travaux néo-institutionnalistes sur la diffusion mimétique des modèles organisationnels (DiMaggio et Powel, 1983) et présente une limite qui consiste à négliger les mécanismes d’adaptation locale aux modèles globaux. Ici les modèles organisationnels et les pratiques ont tendance à s’uniformiser mondialement pour pouvoir ensuite expliquer comment l’unification des modèles cognitifs soutient cette globalisation (Barabel et al, 2006, p. 20). Le second courant regroupe, tout en s’inscrivant dans un cadre néo-institutionnel, les travaux qui insistent sur la résilience des institutions en place. Les auteurs qui s’inscrivent dans cette seconde ligne de pensée ont la conviction que les pratiques et les modèles ne se diffusent pas tels quels, mais sont réadaptés dans chaque contexte national spécifique. • Un intérêt empirique : Les FMN sont des acteurs centraux dans la diffusion des pratiques de gestion standardisées à travers le monde (Meyer et al., 1997). Dans un contexte de globalisation généralisée et de diffusion d’un modèle de capitalisme financier, les organisations adoptent des pra- tiques RH de plus en plus homogènes alors qu’en même temps, les organisations se composent d’individus, de méthodes et de valeurs différents qui résistent parfois à cette convergence (Livian, 2011). Dans ce contexte, tenu compte du manque de travaux empiriques sur ces questions, il est nécessaire d’engager la réflexion à partir d’un terrain, comme celui des filiales des FMN implantées au Maghreb. Ce travail est d’autant plus le bienvenu du fait du caractère dual du néo-institutionnalisme. En effet, la contradiction dans les deux perspectives néo-institutionnalistes, à l’heure de la globalisation des pratiques de GRH, mérite d’être éclairée par les études empiriques. • Un intérêt institutionnel : Il s’agit de fédérer les chercheurs pour explorer une thématique porteuse en Sciences de gestion et plus particulièrement en GRH. Cette thématique engagée par la Business Management Review réunit des chercheurs algériens, marocains, tunisiens et français qui pour la majorité d’entre eux se sont exprimés lors d’un colloque organisé en collaboration entre l’Université de Rabat Suissi, l’Université d’Angers et Bordeaux Ecole de Management (BEM). Le dossier est donc composé de travaux liés à ce colloque et d’autres articles connexes qui y ont été associés dans le cadre d’un appel à contribution. Les participants en présence au colloque susvisé avaient exprimé le vœu de se fédérer autour d’une thématique prégnante qui serait à la fois au cœur du débat scientifique au niveau international et qui solliciterait de façon claire la contribution du contexte maghrébin, de ses particularités et des attentes fortes d’un terrain entrepreneurial constitué d’entreprises magrébines et étrangères au Maghreb. Les 13 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Editorial La GRH au sein des filiales des multinationales implantées au Maghreb : De l’altérité à l’hybridation des pratiques participants rejoignent donc d’autres auteurs pour constater que le néo-institutionnalisme s’est beaucoup plus préoccupé d’expliquer la diffusion des institutions (globalisation) que d’expliquer leur maintien (ordres institutionnels locaux). Ils partagent tous l’idée que le terrain maghrébin constitue une opportunité pour étudier le comportement des acteurs, dont l’importance a été minorée par les travaux néo-institutionnalistes. solution montre l’importance d’une GRH locale cohérente, qui est au cœur de la problématique de ce dossier. Celle-ci ne passera certainement pas par la voie de la convergence des pratiques RH. Ils admettent tous qu’une meilleure compréhension de la globalisation ne sera possible que si l’on accorde de l’intérêt aux actions menées par les acteurs qui favorisent la diffusion des institutions dans des contextes différents, tout en prenant en compte les stratégies des acteurs qui refusent la globalisation et s’efforcent d’adapter l’ordre traditionnel en place. Dans cette perspective, si la résilience constitue l’une des caractéristiques les plus importantes des institutions pour les néo-institutionnalistes, l’étude de ses mécanismes concrets constitue un projet de recherche à la fois fédérateur et prometteur . Deux contributions fondées sur le terrain tunisien succèdent à cet article. Belkis Boussetta Kechida et de Zeineb B. Ammar Mamlouk considèrent que le sujet de la convergence des pratiques de GRH reste particulièrement intéressant en Tunisie, notamment suite à la révolution du 14 janvier 2011, où la revendication sociale et politique a vite migré de la rue vers l’intérieur de l’entreprise, touchant notamment les entreprises étrangères, et occasionnant en quelques mois la perte de 80 000 emplois. Les auteurs se saisissent de cet événement pour s’interroger sur les pratiques RH dans les filiales des multinationales en Tunisie. Leur objectif consiste à comprendre s’il y a convergence de ces pratiques avec celles de la maison mère, contingence en fonction du contexte local, ou bien hybridation de cellesci dans les filiales en Tunisie. Le premier article de ce dossier, celui de Johannes Schaaper et de Jacques Jaussaud, porte sur la globalisation des politiques de GRH dans les firmes multinationales, dont l’expatrié constitue le socle. Comme l’expatriation n’est pas toujours possible et coûte cher, les FMN sont à la recherche de formes nouvelles de GRH internationale. L’article passe en revue un ensemble de solutions alternatives à l’expatriation classique et nous propose une analyse critique intéressante. La solution durable, comme le montre les auteurs, reste le transfert des responsabilités techniques et de management à des managers locaux. Cette A partir d’une recherche empirique dans trois filiales tunisiennes appartenant à des multinationales françaises et exerçant dans les secteurs du textile, de la fabrication d’équipements d’automobiles et de l’électronique, leur recherche aboutit à une classification des pratiques RH, allant de la plus contingente à la moins contingente. Il paraît ainsi que la rémunération est la pratique la plus contingente. Tout en ne neutralisant pas la thèse de convergence de ces pratiques, leur étude met cependant en relief la nécessité de tenir compte du contexte local et de ses contraintes culturelles et institutionnelles dans la pratique de la GRH au sein des filiales en Tunisie. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 14 Autrement dit, les pratiques RH dans les filiales tunisiennes des multinationales françaises se situent entre le local et le global. D’une part, les similitudes entre les cadres institutionnels des deux pays (législation du travail, histoire commune, effet de dominance et relations économiques) peuvent être des facteurs explicatifs de la convergence des pratiques. D’autre part, les divergences, essentiellement culturelles et de niveaux de vie, peuvent expliquer les tendances contingentes de ces pratiques. Il est à noter également que le degré de contingence ou de convergence des pratiques de GRH peut varier dans une même filiale, d’une catégorie de personnel à une autre, comme il peut varier dans un même cadre institutionnel d’une filiale à une autre, en fonction des choix stratégiques de la multinationale, ou de l’âge de la filiale et de son stade d’évolution. Vient ensuite l’article, signé par Khaled Arous, qui aborde la thématique à partir d’un thème porteur en GRH à savoir la gestion des compétences. L’auteur suppose que celle-ci a occupé depuis les années 90 une place importante dans les politiques RH et se trouve désormais au cœur des stratégies de GRH des FMN. Une telle situation s’explique notamment par l’existence d’un comportement, qui semble irréversible dans les FMN, qui consiste à transférer de plus en plus de postes à responsabilité à des managers locaux. Cela pose la question de la gestion et du développement des compétences des employés locaux dans les filiales des FMN en Tunisie. Sa recherche tente d’apporter une réponse à la question suivante : Quelles sont les pratiques de GRH que les FMN mettent en place en vue de développer les compétences des collaborateurs tunisiens ? Une revue de la littérature lui permet, d’une part, d’identifier sept pratiques de GRH permettant de détecter, de gérer et de développer les compétences des salariés. Il s’agit de la description des fonctions, le recrutement, l’évaluation, la formation, la gestion des carrières, la rémunération et l’autonomie. D’autre part, de retenir quatre modes de gestion des compétences : une gestion purement administrative, une gestion administrative des compétences, une gestion vers les compétences et une gestion des compétences. A partir d’un travail empirique fondé sur quatre études de cas, l’auteur distingue deux entreprises qui gèrent leur personnel à travers une gestion des compétences, une entreprise qui gère son personnel à travers une gestion purement administrative et une entreprise qui gère son personnel à travers une gestion administrative des compétences. Parmi les quatre cas étudiés, deux grandes multinationales pétrolières ont véritablement mis en place une gestion des compétences, basée sur cinq pratiques de GRH, que sont la description des fonctions et des compétences, le recrutement par les compétences, l’évaluation individuelle, le plan de formation et la gestion des carrières. En revanche, la rémunération n’est pas basée sur les compétences de même que l’autonomie et l’initiative personnelle sont inexistantes pour l’ensemble des quatre firmes multinationales étudiées. Les deux autres cas, qui sont des multinationales du secteur de l’électronique et de l’automobile, n’ont pas mis en place une gestion des compétences, mais, respectivement, une gestion administrative des compétences et une gestion purement administrative. L’auteur, conscient des limites de sa recherche, souhaite poursuivre son investigation sur d’autres FMN implantées en Tunisie, et plus généralement au Maghreb. 15 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Editorial La GRH au sein des filiales des multinationales implantées au Maghreb : De l’altérité à l’hybridation des pratiques Il considère que la gestion des compétences est en pleine croissance dans les pays de l’Afrique du Nord et veut saisir cette opportunité pour réaliser une recherche quantitative sur la base d’un questionnaire détaillé envoyé à un grand nombre de FMN en Tunisie et au Maghreb. Toujours à partir d’une expérience tunisienne, Abir Besbes, Boualem Aliouat et Houcine Khemiri engagent une réflexion à propos de la relation directe présumée entre les pratiques de la Gestion des Ressources Humaines (GRH) et la performance supposée des entreprises. Ces auteurs observent que peu de travaux empiriques solides justifient cette relation et c’est précisément dans le cas tunisien, pays où l’innovation est établie comme une priorité de développement national, qu’ils construisent leur cadre d’étude, cherchant à fournir un modèle d’enchâssement entre pratiques RH, apprentissage organisationnel, innovation, compétitivité et performance d’entreprise (étude empirique menée sur un échantillon de 351 entreprises tunisiennes). Leur travail met en exergue les effets médiateurs de certaines variables situées entre les pratiques RH et l’avantage compétitif pour établir une relation complexe entre Pratiques RH et performance multiple de l’entreprise. Le terrain marocain est soumis à contribution également par deux articles. Celui d’Omar Tijani qui mobilise le concept de la capacité d’absorption en tant qu’atout organisationnel, permettant aux filiales marocaines du secteur aéronautique de devenir innovantes et autonomes vis-àvis de leurs maisons mères. L’orientation technologique et les exigences en termes de qualité dans le secteur aéronautique au Maroc ont incité l’auteur à s’intéresser à la question de recherche suivante : comment Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 16 les entreprises marocaines, en situation de partenariat avec des FMN, mettent-elles en place des dispositifs de GRH en vue de développer une capacité d’absorption technologique ? Il postule dans cette recherche que la GRH est indispensable pour réussir le processus de transfert des connaissances d’une société mère vers ses filiales. Le recours à la littérature académique lui permet d’identifier les politiques GRH qui stimuleraient la capacité d’absorption, dont surtout l’amélioration des compétences et de la motivation des employés. Son étude empirique s’appuie sur un échantillon de treize filiales du secteur aéronautique au Maroc. Il a choisi de mobiliser un modèle théorique développé par Minbaeva et al. (2003) pour formuler trois hypothèses. Cette étude renforce la problématique développée par Khaled Arous dans le cas tunisien. Elle révèle que le défi de l’acquisition de la capacité d’absorption pour les firmes marocaines est crucial. Dans le cas marocain, au-delà de l’intérêt premier de l’augmentation de la capacité d’absorption pour l’innovation et le développement organisationnel des firmes, elle constitue un challenge pour retenir le personnel et diminuer le taux du turnover. La répétitivité des tâches ou le manque d’opportunités d’apprentissage et de progrès cognitif sont des sources de départ des salariés, notamment les ingénieurs et les cadres managériaux, cherchant à satisfaire le besoin de réalisation de soi et le développement de leurs carrières. Sans le développement approprié de la capacité d’absorption, les directeurs des sociétés industrielles au Maroc auront toujours des démissions des jeunes cadres talentueux sur leurs bureaux. Un autre résultat de cette recherche réconforte la thèse de la divergence des pratiques RH et concerne l’accès au même poste de responsabilités entre des cadres français et marocains ayant les mêmes qualifications. En effet, l’auteur constate que les maisons mères sont souvent trop hâtives quant à la volonté de transférer des connaissances et des procédures et ne prennent pas assez le temps d’accompagner progressivement la filiale. Les sociétés mères veulent gagner du temps dans ce processus de transfert et économiser des coûts. Elles envoient fréquemment des ingénieurs et des techniciens, mais rarement des cadres managériaux et des formateurs pédagogiques. Une cadence élevée et peu accompagnée du transfert des connaissances dans les sociétés de l’aéronautique au Maroc conduit à une précipitation dans les carrières des collaborateurs marocains. Face au manque de compétences, ils se retrouvent dans des postes hiérarchiques sans en avoir répondu pleinement aux exigences, en termes de compétences et d’expérience. Au contraire, les cadres français prennent plus le temps et accèdent à la hiérarchie lorsqu’ils ont accumulé un réel capital humain. Ce travail est suivi par l’article de Camal Gallouj, Hadj Nekka, Kaabachi Souheila et Boualem Aliouat qui aborde indirectement la problématique de convergence/divergence des pratiques RH en mettant essentiellement l’accent sur le rôle d’un acteur agissant dans l’environnement des entreprises marocaines et donc dans celui des filiales des FMN implantées au Maroc. Il s’agit des services rendus aux entreprises (SRE) qui constituent, depuis plus d’une trentaine d’années, un des sec- teurs les plus dynamiques des économies occidentales. Si les auteurs font remarquer l’intérêt croissant des chercheurs pour ces activités de service dans les économies du Maghreb, dont en particulier l’économie marocaine, ils constatent en même temps qu’au sein des SRE, les services et prestataires privés de l’emploi (PPE) apparaissent très largement négligés. Cette catégorie figure parmi les moins investiguées comparativement aux autres activités de SRE et son développement semble largement contraint. L’objectif de ce travail consiste à proposer des éléments de cadrage des PPE et à préciser les enjeux d’un marché local des PPE, tout en insistant sur le rôle de ces derniers dans la diffusion d’outils et méthodologies favorisant la « mise à niveau de l’économie nationale » marocaine. Les premiers éléments d’analyse semblent associer les PPE à la thèse de la convergence des pratiques RH des filiales des FMN au Maroc. D’une part, elle met l’accent sur les raisons du faible développement des PPE au Maroc. Ces raisons tiennent encore aujourd’hui prioritairement à un faible poids relatif des problématiques RH au sein des entreprises marocaines et plus spécifiquement à une structuration et autonomisation de la fonction qui reste encore balbutiante. D’autre part, les filiales des FMN suivent en général les pratiques RH de leur siège lesquelles sont souvent considérées comme des exemples de bonnes pratiques , en offrant des conditions d’emploi nettement supérieures à celles qui prévalent habituellement sur le marché (rémunérations supérieures, opportunités de carrière, formation, développement des compétences, etc.). Elles sont également à l’origine de 17 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Editorial La GRH au sein des filiales des multinationales implantées au Maghreb : De l’altérité à l’hybridation des pratiques l’intégration et de la diffusion au sein des entreprises marocaines de pratiques et de stratégies RH modernes. Ces filiales sont également fortement consommatrices de PPE qui contribuent ainsi largement à la mise à niveau des pratiques RH. Les PPE accompagnent le DRH dans les politiques d’harmonisation des modes et pratiques de gestion et en particulier dans l’adoption de comportements et pratiques en cohérence avec ce qui se fait au niveau du groupe. C’est enfin au tour du terrain algérien d’être questionné. L’article de Khaled Tahari et Malik Mébarki nous présente la GRH en Algérie selon différentes configurations, dont deux s’inscrivent clairement dans la problématique centrale de ce dossier. Ce choix nous paraît cependant pertinent compte tenu la particularité de ce pays par rapport à la Tunisie et au Maroc. Nos deux auteurs discutent la thèse de la convergence des pratiques RH dans un contexte de changement dans lequel ils constatent une GRH politique en situation d’échec. Les entreprises publiques, lorsqu’elles ne sont pas privatisées, sont contraintes de changer leur GRH dans le sens du respect de la contrainte budgétaire et donc dans l’impossibilité d’être déficitaires. Autrement, leur dissolution est envisagée par les nouvelles règles du droit commercial. Dans ce contexte, les auteurs réalisent trois études de cas pour aborder la problématique de l’évolution de la GRH en Algérie. Le premier cas porte sur deux entreprises d’Etat qui ont subi différents changements dans leur gouvernance et organisation depuis les réformes des années 90. Le cas Bati-Oran montre l’importance de l’action stratégique menée par la direction de l’entreprise, laquelle a permis la Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 18 survie de l’entreprise dans un contexte de globalisation. Egalement, grâce à l’aide de l’Etat, une GRH efficace a été mise en place pour régler notamment le problème du sureffectif. Le cas ERCO montre comment ce groupe public s’est organisé pour trouver une solution à la question de l’efficacité de ses différentes filiales. Une privatisation partielle du capital, et surtout de la gestion, a permis de redonner une profondeur stratégique aux différentes unités concernées, de relancer la production et de faire évoluer la GRH d’une conception politique vers une conception plus recentrée sur les objectifs économiques. Le deuxième cas étudie une unité publique privatisée, d’abord partiellement puis totalement, au profit d’un groupe étranger où le repreneur était obligé de déconstruire une GRH politique dont il avait hérité pour reconstruire sa propre GRH en fonction de ses objectifs stratégiques. Enfin, le dernier cas concerne l’unité du groupe Saoudien SAVOLA /AFIA Algérie qui produit des huiles de table, une entreprise nouvellement créée par un investissement direct. Le deuxième cas montre qu’une reprise d’une entreprise publique par des capitaux privés appelle une remise en cause du modèle de gestion dont héritent les repreneurs et on assiste à une construction d’une nouvelle GRH à partir d’une GRH ancienne et politique. Le troisième cas illustre la mise en place d’une GRH conforme aux objectifs de l’entreprise multinationale et aux attentes de ses parties prenantes. Les auteurs indiquent que seulement les entreprises appartenant au deuxième cas sont concernées par l’adaptation en raison de l’existence d’une culture d’entreprise forte et des habitudes au niveau du comportement des salariés. En revanche, dans le troisième cas, la filiale s’aligne totalement sur la politique RH de la maison mère. La dernière contribution est de Zahir Yanat, que nous considérons comme un témoignage et une prise de partie méthodologique. A travers son parcours, il montre l’évolution faible de la GRH en Algérie. Par la mobilisation de l’ethnométhodologie, qu’il développe, Zahir Yanat nous invite à questionner ce qui est considéré comme universel face à la richesse des situations et leur complexité. Compte tenu du nombre encore relativement faible de recherches académiques dans le champ de la GRH avec étude empirique sur le terrain maghrébin, on ne peut que se féliciter de la publication de ce numéro auquel les chercheurs de l’OPRAGEM offrent une contribution significative et invitent à davantage de recherches en ce terrain fécond. Dans cette perspective, nous prenons la mesure de la difficulté de la problématique des divergences et convergences des pratiques analysées à partir des cas de filiales de FMN implantées au Maghreb. L’idée de la hiérarchie des pratiques RH en termes de convergence ou de divergence est sans doute une piste de recherche pertinente, favorisant l’existence d’une sorte d’hybridation qui nous semble à la hauteur des enjeux et dont l’ethnométhodologie proposée par Zahir Yanat constitue la voie saisissante. In fine, ce numéro de la Business Management Review produit une étude antithétique, ou complémentaire à la marge, de Mohamed Akli Achabou sur l’industrie sucrière en Algérie. Cette analyse empirique examine le cas d’entreprises confrontées au défi de la transition vers l’économie de marché. L’objectif principal de cet article est d’évaluer l’importance des changements institutionnels qui accompagnent la transition de l’Algérie vers l’économie de marché dans la stratégie des entreprises locales. L’originalité de ce travail est d’attribuer un rôle déterminant aux changements institutionnels au détriment du rôle joué par les ressources et les compétences qui demeurent secondaires. 19 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes Johannes SCHAAPER Bordeaux Ecole de Management Centre de Recherche et d’Etudes en Gestion (CREG) Jacques JAUSSAUD Université de Pau et des Pays de l’Adour Faculté de Droit, Economie et Gestion Centre de Recherche et d’Etudes en Gestion (CREG) RESUME ABSTRACT Cet article expose la politique de GRH globalisée que firmes multinationales mettent en place pour gérer leurs filiales dans le monde entier. L’expatrié constitue le socle de cette politique. Cependant, il n’est pas toujours efficace et coûte cher. Comme les FMN ne disposent pas d’un nombre suffisant d’expatriés pour développer leurs affaires globalisées, elles sont à la recherche de formes nouvelles de GRH internationale et alternatives à l’expatriation classique. Les experts itinérants remplacent les expatriés sur des missions précises. Puis, les filiales emploient sur des contrats locaux améliorés des personnes originaires du pays de la FMN, dont les exexpatriés. Puis, l’expatriation féminine, le retour d’immigrés de seconde génération, les missions navette et les équipes internationales virtuelles sont des solutions complémentaires. Les sièges régionaux réduisent également le besoin en expatriés dans les filiales d’une région. Enfin, la solution la plus durable est le transfert des responsabilités techniques et de management à des managers locaux. Ce transfert requiert que les FMN mettent en place une politique GRH locale cohérente. This article sets out the globalized HRM policy which multinational firms develop to manage their subsidiaries worldwide. The expatriate is the cornerstone of this policy. However, he is not always successful and rather expensive. Also, as MNCs do not have a sufficient number of expatriates to expand their global business, they are looking for new forms of international HRM and alternatives to traditional expatriation. Travelling experts replace expatriates on specific assignments. The subsidiaries employ on local contracts managers originally coming from the home country of the MNC, including former expatriates. Female expatriates, second-generations, international commuting assignments and international virtual teams are complementary solutions. Regional headquarters also reduce the need for expatriates in the subsidiaries of a region. Finally, the most promising solution is the transfer of technical and management responsibilities to local managers, which requires that the MNN set up a comprehensive HRM policy towards local managers. MOTS-CLES: Multinationales, politiques de IHRM, expatriation, missions de court terme, localisation de postes-clés Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 20 KEYWORDS: Multinationals, IHRM policies, expatriation, short-term assignments, localization of key responsibilities Introduction Les firmes multinationales (FMNs) sont des acteurs clés de la globalisation économique. Elles localisent leurs centres de production dans différents pays et réexportent une partie ou la totalité des produits dans d’autres. Bien que décriées parfois, elles contribuent ainsi largement au développement économique des pays qu’on qualifie d’« économies émergentes », dont les pays du Maghreb font partie. Une multinationale est une entreprise, le plus souvent d’une grande taille, laquelle à partir d’une base nationale implante plusieurs filiales à l’étranger, dont elle détient tout ou une partie du capital. Si au départ les filiales à l’étranger peuvent avoir seulement des fonctions de service ou commerciales, on ne parle véritablement de firme multinationale que lorsqu’elle localise des filiales de production dans plusieurs pays, avec une stratégie et une organisation conçues à l’échelle régionale ou mondiale (Rugman et Verbeke, 2008). En raison du développement des technologies de communication (téléphone, intranet, email…), de l’intégration mondiale des systèmes d’information (MRP, ERP…), de la diminution des coûts de transport et de la disparition progressive des barrières au commerce international (grâce au GATT, puis l’OMC), la globalisation s’accélère depuis 20 à 30 ans. Les firmes multinationales décomposent désormais leurs chaînes de valeur et localisent des tâches spécifiques dans tel ou tel pays en fonction des coûts, de la proximité des fournisseurs ou des marchés de ventes porteurs. Il se pose alors la question de la gestion des filiales à l’étranger, de plus en plus nombreuses, et du contrôle sur leurs opérations internationales. Cela renvoie à la problématique de la gestion internationale des ressources humaines, acteurs de la gestion des filiales. La question de recherche de cet article se pose ainsi comme suit : quelle est la politique de GRH globalisée qui accompagne la mondialisation à marche forcée des FMNs ? Au départ, dans les années ‘80, la littérature académique s’intéresse le plus souvent à l’expatriation dans une optique qui oppose des stratégies polycentriques à des stratégies ethnocentriques, selon la classification de Perlmutter et Heenan (1974). Aujourd’hui, en raison de la multiplication rapide des implantations dans le monde entier, la question de la GRH globalisée devient plus complexe. Les FMNs sont à la recherche d’un équilibre, difficile à trouver, entre la présence de ressources humaines en provenance de la maison mère et le transfert des responsabilités, partiel ou en entier, sur des managers locaux. En outre, grâce au développement des technologies de communication et du transport aérien, les modes de présence des ressources humaines issues du pays d’origine de la FMN se diversifient. Désormais, les FMNs cherchent à mélanger l’expatriation traditionnelle avec de nouvelles formes de travail international. Cet article de recherche se fonde sur trois grandes sources de données. D’abord, nous synthétisons les observations de recherches empiriques récentes, qui traitent de la ques- 21 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes tion des ressources humaines à l’international, publiées dans des revues académiques comme l’International Journal of Human Resource Management, parmi d’autres. Puis, nous avons dirigé et fait soutenir un certain nombre de recherches doctorales sur le sujet (Liu, 2003 ; Abdellatif, 2007 ; Song, 2009 ; Tijani, 2011 ; Arous 2011). Enfin, depuis dix ans, dans le cadre de nos recherches personnelles, nous avons effectué plusieurs enquêtes quantitatives et une centaine d’entretiens en face à face avec des cadres expatriés en poste dans des filiales ou aux sièges régionaux à l’étranger. Les discours de nos interlocuteurs ont largement nourri nos analyses. Cet article se compose de trois parties. La première traite de l’expatriation classique alors que la deuxième développe les nouvelles formes de présence de ressources humaines à l’international, qui sont autant d’alternatives à l’expatriation. Enfin, la troisième partie porte sur la localisation des postes clés de management. expatriés « à plein temps », faisant carrière par des expatriations successives dans différents pays, pour une très longue période, parfois supérieure à 20 ans, sans jamais retourner dans le pays d’origine de leur FMN. Lasserre (2007) parle alors d’un manager « global ». Plusieurs recherches académiques concluent de manière concordante, quoique portant sur des données d’avant la crise économique de 2008, à l’augmentation de l’emploi de cadres expatriés (Bonache et al., 2010 ; Kühlmann et Hutchings, 2010). Expatriation et globalisation sont corrélées. L’expatriation soulève de nombreuses questions : pourquoi les expatriés constituent-ils le socle de la globalisation des FMNs ? Combien en faut-il pour bien gérer une filiale ? Quelles sont les qualités qu’un manager doit posséder pour tenter l’aventure d’une expatriation ? Quelle est la durée optimale d’une expatriation ? Enfin, quelles sont les limites que rencontre l’expatriation traditionnelle ? 1 Expatriation 1.1 Pourquoi faut-il des expatriés dans une filiale ? Le manager expatrié est le socle de la globalisation des firmes multinationales. L’expatriation à proprement parler consiste à envoyer des managers dans un autre pays pour une période de temps suffisamment longue pour que leur conjoint et la famille se déplacent avec lui (Mayerhofer et al., 2004). Cependant, l’employeur et l’employé s’accordent pour que l’affectation ne dure pas plus de quelques années. Les expatriés classiques vivent dans un pays non natif pour une période déterminée, mais retournent ensuite dans le pays d’origine de la FMN, le plus souvent en occupant un poste au siège, en attendant une nouvelle expatriation. Certains expatriés deviennent des La nomination de cadres expatriés sur des postes clés de management d’une filiale à l’étranger est un moyen essentiel de développement des activités nouvelles dans le pays considéré. Elle est également un moyen indispensable du contrôle qu’un siège souhaite exercer sur une telle filiale (Perlmutter et Heenan, 1974 ; Edström et Galbraith, 1977 ; Ando et al., 2008 ; Lam et Yeung, 2010). La littérature académique et empirique donne plusieurs raisons pour nommer au moins un expatrié dans une filiale à l’étranger. D’abord, comme le soulignent Jaussaud et Schaaper (2006a, 2006b), et plus récemment Schaaper et al. (2011), les expatriés occupent en priorité les fonctions Les entretiens se sont déroulés à l’étranger, sur le lieu de travail des cadres expatriés, grâce au financement de l’Agence Nationale de la Recherche pour le projet « MNC Control » (2009-2011). Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 22 Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes de directeur général et de directeur administratif et financier. Le poste de directeur de la production est également confié à un expatrié dans les filiales pour lesquelles la qualité de la production est un enjeu majeur ou la protection de certaines technologies est cruciale et difficile à assurer. Ces fonctions demandent un degré élevé de centralisation par la multinationale, et donc d’interaction avec les managers du siège. Les réseaux informels développés au cours d’une carrière par un manager expatrié y contribuent largement. Ensuite, les fonctions de directeur général ou de directeur financier des filiales requièrent une connaissance intime des pratiques et des modes de raisonnement du siège et, au sens plus large, de la culture de l’entreprise, que notamment les cadres expatriés ont pu réellement intégrer. Ce besoin s’accentue dans des filiales de création récente (Jaussaud et Schaaper, 2006b ; Schaaper et al., 2011). Dans la plupart des multinationales, les cadres expatriés alternent postes à l’étranger et postes au siège, tout en enchaînant le cas échéant plusieurs missions outre-mer, assez souvent dans des pays différents sur des durées variant entre trois et six ans. Ainsi, comme les managers expatriés et les managers du siège se connaissent, la communication informelle est facilitée. 1.2 Quel est le bon nombre d’expatriés à envoyer dans une filiale ? La question du « bon nombre » d’expatriés à détacher dans une filiale à l’étranger est assez ancienne et s’est introduite dès les premières recherches académiques sur les processus d’internationalisation des firmes. La recherche statistique de Harzing (2001) montre que le nombre d’expatriés qu’une firme détache dans une filiale dépend de nombreuses variables, que l’auteure regroupe en plusieurs catégories. D’abord, le nombre d’expatriés varie selon le pays d’origine de la maison mère. Par exemple, les FMNs japonaises et allemandes sont connues pour leur forte culture d’expatriation, alors que les FMNs anglaises et françaises, et plus généralement la plupart des FMNs européennes, transfèrent plus facilement des responsabilités à des cadres locaux. Le second groupe de variables concerne le pays d’accueil de la filiale. Les FMNs envoient par exemple davantage de cadres expatriés lorsque le niveau d’éducation dans le pays d’accueil est relativement bas, car la filiale aura dans ce cas du mal à trouver du personnel local dûment qualifié pour occuper des postes clés d’une filiale. Jaussaud et al. (2001) trouvent que lorsque le niveau de développement, exprimé en PIB par tête, du pays d’implantation est bas, les FMNs ont une tendance à y détacher plus de cadres expatriés. Les sièges envoient également plus de cadres expatriés lorsque la distance culturelle et institutionnelle entre le pays de la FMN et le pays d’implantation est grande. Harzing (2001) constate ainsi que les FMNs occidentales envoient plus d’expatriés dans des filiales situées en Amérique Latine, en Afrique et au Moyen et Extrême-Orient alors qu’elles envoient moins d’expatriés lorsque la filiale est localisée en Europe de l’Ouest ou au Canada. Le troisième groupe de variables concerne la filiale elle-même. Harzing (2001) établit que la taille de la filiale et/ou le pourcentage de capital que détient la maison mère dans celle-ci influencent positivement le nombre d’expatriés qu’elle y détache. Nos propres recherches, fondées sur des échantillons successifs très différents, confirment que les FMNs détachent plus d’expatriés dans des 23 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes filiales qu’elles détiennent à 100%. Dans les coentreprises, gérées avec des partenaires locaux, au contraire, la tendance à la localisation des postes clés de management est plus forte, surtout lorsque le partenaire étranger détient un faible pourcentage du capital. Enfin, le nombre d’expatriés dans une filiale est plus élevé lorsque celle-ci a des activités de production (Jaussaud et al., 2001 ; Jaussaud et Schaaper, 2007 ; Jaussaud et al., 2012). Amann et al. (2011) montre que le nombre d’expatriés peut différer considérablement d’un cas à l’autre, à partir d’un ou deux expatriés par filiale jusqu’à 40 ou plus. Même au sein d’une même FMN, ce nombre peut varier considérablement d’un pays d’implantation à l’autre et dans certains cas même au sein d’un même pays d’accueil. Les FMNs envoient beaucoup d’expatriés lorsque les filiales d’accueil ont de grands projets à mettre en place dans une période de temps limitée ou lorsqu’elles ont des parts de marché à augmenter rapidement dans des marchés à croissance rapide où la concurrence est forte. Dans de telles situations, les multinationales n’ont pas assez de temps pour former suffisamment de talents locaux de sorte que l’expatriation demeure nécessaire. 1.3 Les qualités d’un bon expatrié Berthier et Roger (2011), sur la base d’entretiens avec 39 cadres expatriés employés par trois FMNs françaises, décrivent quatre compétences complémentaires que des candidats à l’expatriation doivent posséder pour réussir leur mission internationale. Premièrement, les expatriés doivent avoir de solides compétences interculturelles, c’est-à-dire la capacité à comprendre des personnes d’origines différentes, y compris dans une langue étrangère, et à s’approprier leur manière de penser. Ensuite, les expatriés doivent pos- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 24 séder des compétences interpersonnelles, notamment l’ouverture d’esprit, la prise de recul et la connaissance de soi. Puis, les expatriés doivent également avoir de solides compétences managériales, dont le management d’une équipe et l’expertise en finance. Et enfin, ils doivent avoir des compétences sociales. Cela se traduit notamment par le développement d’un réseau personnel informel qui soit bénéfique à la fois pour l’expatrié et pour l’entreprise. En plus de ces compétences propres au candidat, pour que l’expatriation réussisse, il faudra que plusieurs conditions supplémentaires soient réunies. D’abord, l’expatrié doit avoir envie de résider dans le pays où il s’établit pour une longue période. Puis, il faudra régler les questions familiales, dont notamment la scolarité des enfants et, éventuellement, la situation du conjoint. Cet ensemble de compétences et conditions nécessaires pour réussir une expatriation est difficile à rassembler, surtout en nombre suffisant pour pourvoir d’au moins un expatrié chacune des filiales du réseau d’une FMN. C’est pourquoi, dans un premier temps, les FMNs envoient des candidats à l’étranger sans que l’ensemble des compétences soit acquis et les conditions supplémentaires soient remplies. C’est alors la porte ouverte à un échec, complet ou partiel. Dans un deuxième temps, la FMN cherche des solutions pour réduire l’expatriation proprement dite tout en gardant une présence sous une forme ou une autre d’un représentant de la maison mère. 1.4 La durée optimale d’une expatriation La durée optimale d’une expatriation dépend de plusieurs facteurs. D’abord, elle dépend de la complexité du pays d’accueil et du temps nécessaire pour comprendre ses Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes règles et son fonctionnement culturel et institutionnel. Puis, elle dépend des difficultés et conditions de vie dans le pays d’accueil. Enfin, elle dépend de l’importance de la tâche que l’expatrié doit accomplir et de la nécessité de transférer plus ou moins de compétences à des managers locaux. La durée optimale d’une expatriation est un compromis entre la nécessité pour un expatrié de s’intégrer dans l’environnement local du pays d’accueil, ce qui demande du temps, et la nécessité de maintenir une vision globale des affaires de la FMN, ce qui demande au contraire d’alterner des périodes de dépaysements et des périodes de rapatriement au siège. Ainsi, dans la plupart des multinationales, la durée de l’expatriation est d’environ 3 à 4 ans par pays. Lorsque l’expatriation est d’une durée plus courte, le manager ne s’insère pas réellement dans l’environnement local et n’accomplit pas forcément correctement sa tâche. Une expatriation plus longue porte le risque que le manager expatrié se localise trop et perde la vision globale et les valeurs de la FMN. En langage courant, on dit que l’expatrié se « tropicalise ». 1.5 L’expatriation rencontre des limites L’expatriation pose de nombreux problèmes que les multinationales ont du mal à résoudre. Premièrement, elle coûte extrêmement cher (Latta, 1999). L’écart par rapport au coût que représente le même cadre dans son pays, fréquemment recalculé par les organismes professionnels et par les chercheurs, peut aller jusqu’à 10 fois, voire plus (Wong et Law, 1999 ; Selmer, 2003). C’est qu’en effet au salaire de l’expatrié s’ajoutent souvent une prime d’expatriation proportionnelle au sacrifice que représente pour le cadre d’accepter de partir travailler dans un pays étranger, plus un ensemble d’allocations visant à éviter que ce départ ne se traduise pour lui par des coûts à sa charge (logement, frais de transport pour le cadre et sa famille entre le pays d’origine et celui où il est affecté, protection sociale dans le pays d’accueil, frais de scolarisation des enfants éventuels, etc.). Deuxièmement, l’expatriation s’avère fréquemment peu efficace. Un cadre qui aura donné pleine satisfaction dans son pays d’origine, ou dans des pays proches géographiquement, peut être désorienté et peu performant dans un contexte culturellement ou institutionnellement différent, comme celui du Maghreb. Tung (1981) estime le taux d’échec de l’expatriation entre 10 % et 20 %. Il faut cependant tenir compte du fait que l’échec peur revêtir plusieurs formes : lorsque l’échec est total, l’expatrié est rapatrié après plusieurs mois seulement. Lorsque l’échec est partiel, l’expatrié retourne à la maison avant la fin de son contrat. Enfin, l’expatriation peut sembler réussie, mais être insatisfaisante lorsque l’expatrié est resté en place pour la durée de son contrat, mais n’a pas bien rempli sa mission. La FMN, dans ce cas, a investi lourdement dans un manager sans que celui-ci n’obtienne les résultats qu’on attendait de lui. En définissant ainsi de manière moins stricte « l’échec de l’expatriation », Black et al. (1991) trouvent des taux allant de 16 % à 50 %. Or le coût d’un tel échec est considérable, même s’il est difficile à estimer, car il est constitué de dépenses effectives (rapatriement du cadre et de sa famille, sélection et expatriation d’un remplaçant, etc.), de coûts cachés (dysfonctionnements de la filiale résultant de la mission mal remplie) et de coûts d’opportunité (opportunités non saisies du fait des faibles performances du cadre). 25 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes Beamish et Inkpen (1998) soulignent que les multinationales s’efforcent de réduire le recours à l’expatriation, pour des raisons de coûts et de faibles performances. Schaaper et al. (2011) trouvent qu’une large proportion de FMNs, mais pas toutes, étaient engagée dans une politique de réduction structurelle du nombre d’expatriés, notamment en transférant des compétences sur des managers locaux. En raison de la crise économique de 2008 et 2009, cette politique s’insère désormais dans le cadre d’une réduction globale des coûts sur une échelle mondiale. Cependant, les filiales que Schaaper et al. (2011) ont interrogé soulignent, qu’en raison de cette même crise économique, un grand nombre de marchés européens, selon les secteurs d’activités, stagnent. Les maisons mères exigent fréquemment que leurs filiales développent très rapidement de nouveaux marchés, notamment dans des économies émergentes, moins touchées par la crise économique, en Asie, en Amérique latine, mais également dans des pays du Moyen-Orient. Pour certaines d’entre elles, ces marchés sont devenus les sources de croissance les plus importantes dans leur portefeuille d’activités. Or, pour développer des marchés rapidement, ou entrer sur de nouveaux marchés, la présence d’expatriés dans les filiales est indispensable. C’est pourquoi beaucoup de FMNs affirment vouloir développer les affaires sur des marchés émergents avec un nombre « stabilisé » ou « contenu » d’expatriés. Quelques FMNs, de plus petite taille ayant eu peu recours à l’expatriation, affirment même vouloir augmenter le nombre d’expatriés. Or, les candidats qualifiés pour l’expatriation, qui satisfont toutes les conditions pour réussir leur mission internationale, commencent à manquer. Les FMNs qui étendent Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 26 leurs opérations globalisées cherchent à résoudre une problématique contradictoire, à savoir comment assurer une présence de la maison mère dans les filiales tout en réduisant les coûts liés à l’expatriation. Deux catégories de solutions s’offrent : développer des formes nouvelles et alternatives à l’expatriation classique, qui sont pour la plupart d’entre-elles moins coûteuses (§2) et transférer des responsabilités de management sur des cadres issus des pays d’implantation des filiales, sur la base d’une véritable politique de GRH cohérente en vue de développer et fidéliser les talents locaux (§3). 2 Nouvelles formes et alternatives à l’expatriation classique Les développements récents en matière de déplacements à grande vitesse autour du globe et de technologies de communication ont changé de façon spectaculaire la nature du travail international. Il est difficile de s’imaginer qu’il y a seulement quelques dizaines d’années, il fallait plusieurs jours pour un expatrié pour atteindre son pays d’ac- Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes cueil. Lors de son séjour, il était alors hors de contact avec son siège autrement que par La Poste et par téléphone. Aujourd’hui presque tous les pays peuvent être atteints en moins d’une journée et les pays en Europe sont distants de quelques heures seulement. De même, la communication se fait désormais en temps réel, dans la seule contrainte des décalages horaires. Dans ces circonstances, les FMNs peuvent organiser leurs ressources humaines à l’international autrement que seulement par l’expatriation. De nouvelles formes de travail international ont vu le jour, dont les missions de court terme et les voyageurs professionnels (2.1) et l’auto-expatriation ou self-initiated expatriates (2.2). En plus de ces nouvelles formes de travail international, comme réponse au manque de candidats qualifiés, les FMNs développent des alternatives à l’expatriation classique, dont l’expatriation féminine, les « secondes générations », les « navettes » ou commuting teams et les équipes virtuelles (2.3). Enfin, une dernière tendance forte sont les centres régionaux de management, comme structure intermédiaire entre les maisons mères et les filiales dans une région, où est décentralisée la GRH locale et régionale (2.4). La recherche académique s’intéresse de plus en plus au mélange judicieux de ces différentes formes de présence à l’international en utilisant le terme anglais global staffing mix. 2.1 « Flexpatriés » : missions à l’étranger de court terme et voyageurs professionnels Afin de limiter le recours massif à l’expatriation, une première démarche consiste à envoyer des experts en provenance de la maison mère, ou d’autres filiales du réseau de la multinationale, sur des missions de courte durée, allant de quelques jours à plusieurs mois. Ces experts sont devenus des professionnels du voyage. Leur expertise s’est globalisée. Tel problème de production dans une usine en Chine se produit également dans l’usine au Brésil. Ou encore, les normes de consolidation des comptes sont identiques pour les filiales à Buenos Aires, à Jakarta ou à Tanger. Les experts font ainsi de fréquents allers-retours entre le siège et les filiales dans le monde entier. Ces missions de court terme, bien que variable d’une FMN à une autre, se sont très fortement développées durant la dernière décennie (Jaussaud et Schaaper, 2006a, 2006b, 2007 ; Schaaper et al., 2011). La durée d’une mission de courte durée varie beaucoup selon son objectif, la FMN et les secteurs d’activité. Selon Tahvanainen et al. (2005), seules les missions de moins d’un an peuvent réellement être classées comme missions de court terme. Dans la plupart des cas, elles seront de plus courte durée. Dans de nombreux pays de résidence des experts missionnaires, l’absence de moins de trois à six mois permet de rester dans les systèmes de sécurité sociale, de retraite et fiscal de leur pays. Aussi, la présence de moins de trois mois dans le pays où se trouve une 27 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes filiale permet au missionnaire d’y fonctionner sans permis de travail. Souvent, il loge à l’hôtel évitant ainsi des difficultés de lui trouver un logement. Les familles sont rarement transférées, les salaires continuent à être versés dans le pays d’origine de la FMN et les avantages hors salaires, bien que généralement supérieurs au seul salaire à domicile, sont moins importants que ceux d’un expatrié. Un missionnaire de court terme à la fois coûte moins cher et est plus flexible qu’un expatrié traditionnel, alors qu’il exécute une partie de ses fonctions. C’est pourquoi on parle d’un flexpatrié (Mayerhofer et al., 2004). Les missions de court terme ont d’indéniables avantages. Elles sont relativement simples à gérer administrativement. Elles permettent à une filiale dans un pays donné de disposer d’un large éventail de compétences, lesquelles lui font défaut mais sont disponibles dans l’ensemble du réseau de la multinationale. Elles permettent de résoudre rapidement des problèmes techniques, de lancer de nouvelles productions, d’auditer les systèmes en place... Aussi, missionnaires contribuent au partage des connaissances dans le réseau d’une FMN. L’accumulation d’expériences de court terme dans différents endroits à travers le monde renforce les compétences internationales d’une personne. De ce fait, la répétition de missions de courte durée dans un pays donné est un excellent moyen de préparer un collaborateur à une expatriation future vers ce pays. Enfin, Jaussaud et Schaaper (2006b) soulignent que les missions de court terme favorisent les échanges informels entre cadres expatriés, en poste dans les filiales, et avec les managers au siège. Ces échanges permettent de résoudre les problèmes que soulève par exemple le contrôle formel et d’en traiter les causes sous-jacentes, qu’un reporting finan- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 28 cier ne met pas forcément en évidence. Les missions de court terme renforcent les liens entre le siège et le réseau de filiales de la multinationale. Les missions de court terme comportent cependant quelques inconvénients. Contrairement à l’expatriation, dans la plupart des FMNs les missions de court terme ne sont pas gérées pas le département GRH mais plutôt par les lignes hiérarchiques fonctionnelles (Brewster et al., 2001). Cela implique que des managers à l’international au sein de la même organisation, a fortiori les expatriés et les missionnaires de court terme, subissent des différences de traitements parfois substantielles (Bonache et al., 2010). Cela engendre des sentiments de manque de confiance et de motivation, voire des réticences à partir sur des missions de court terme. Un second inconvénient est que les experts, du fait qu’ils ne restent qu’un temps limité dans une filiale, ne s’intègrent pas entièrement dans les équipes locales. Le transfert de connaissances peut ainsi ne pas se faire convenablement. Par exemple, ils résolvent rapidement un problème technique de production, sans expliquer aux techniciens locaux comment ils l’ont fait. Si le problème réapparaît, l’expert doit revenir. Enfin, inhérent à la courte durée de leurs missions, les experts peuvent sous-estimer les spécificités culturelles et les contraintes de l’environnement local d’une filiale. 2.2 Les auto-expatriés ou self initiated expatriates Alors que le terme « expatriation » s’emploie dans le cas d’affectations internationales de long terme initiées par une entreprise, le plus souvent avec un généreux « contrat d’expatrié », les auto-expatriés trouvent par leurs propres moyens un emploi Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes à l’étranger, généralement avec un contrat local (Suutari et Brewster, 2000). Une première catégorie d’auto-expatriés sont les expatriés qui, à la fin de leur contrat, souhaitent rester dans le pays d’accueil, pour des raisons personnelles comme la rencontre d’une âme sœur locale par exemple, ou professionnelles telles que des perspectives moroses de réintégration dans le pays d’origine. La FMN lui offre alors un « contrat local amélioré », composé d’une rémunération locale complétée par des allocations ad hoc, et le plus souvent par une couverture sociale renforcée, dans le pays d’exercice et dans le pays d’origine. Une variante assez répandue est le recrutement sous forme d’un contrat local d’un VIE après la fin de sa mission. Les avantages d’un tel prolongement de contrat sont évidents. Le plus souvent l’ex-expatrié possède l’ensemble de compétences requises pour accomplir la mission que le siège attend de lui. Puis, de toute évidence, les conditions complémentaires pour une expatriation réussie, intégration personnelle et familiale dans le pays d’accueil, sont réunies. En plus, le contrat local que la maison mère lui offre, bien qu’amélioré, est moins onéreux qu’un véritable contrat d’expatrié. Cependant, le risque d’un prolongement à durée indéterminée dans un pays donné est que progressivement l’ex-expatrié perde son réseau international et se localise trop en termes de vision stratégique. Une seconde catégorie d’auto-expatriés sont les jeunes diplômés, avec ou sans première expérience professionnelle (Bonache et al., 2010). Comme la crise économique persiste à peser sur l’emploi en Europe, nombre de ces jeunes diplômés ont du mal à trouver un emploi intéressant à la hauteur de leurs compétences et envies. En plus, leurs cursus d’études se sont internationali- sés, traitent davantage des sujets comme le commerce international, la finance internationale… et incluent l’enseignement des langues vivantes. Aussi, la plupart des étudiants effectuent désormais une partie de leurs études à l’étranger. C’est bien connu : une fois qu’on a goûté aux délices du voyage et de la rencontre d’autres cultures, il n’y a plus de retour en arrière. Ainsi, en espérant trouver un emploi un peu plus excitant que celui qu’on leur offre en Europe, nombre de jeunes partent vers des destinations comme Hong-Kong, Singapour, Rio, Buenos Aires. Arrivés sur place, ils posent directement leur candidature auprès des filiales des multinationales. Les chefs d’entreprise expriment de bonnes raisons pour donner une chance à ces jeunes diplômés, pourtant peu expérimentés. D’abord, pour développer les affaires, il faut aller sur le terrain, en Chine, en Inde, en Argentine et ailleurs, à la rencontre des clients potentiels. Et pour cela, des jeunes « baroudeurs » sont les bienvenus. Puis, ils sont marqués par leur culture d’origine, française ou d’autres nationalités européennes, ce qui est nécessaire sur de nombreux marchés où les pratiques d’affaires sont parfois très éloignées du standard des firmes européennes (www. transparence-france.org, 2012). Or, les chefs d’entreprises disent tous qu’avec des jeunes européens, ils courent moins le risque que les limites acceptables soient franchies qu’avec des jeunes marqués par leur culture locale. Enfin, ces jeunes qui sont arrivés par leurs propres moyens, sont généralement employés sur des contrats de travail aux conditions locales, plus quelques avantages supplémentaires, qui n’ont rien à voir avec les contrats confortables dont bénéficient les expatriés. La multinationale qui doit réduire ses coûts y trouve donc son compte. (2) Aussi appelé un « contrat local plus » 29 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes 2.3 D’autres viviers d’expatriés à considérer Lorsqu’il s’agit de trouver des expatriés dans un nombre suffisant pour développer les affaires à l’international, l’expatriation féminine, celle des « secondes générations », ainsi que le recours aux missions navettes et aux équipes virtuelles internationales constituent autant de nouvelles solutions à considérer. Expatriation féminine Bien que dans la plupart des pays occidentaux elles constituent à peu près la moitié des salariés dans l’ensemble des entreprises , seulement 14% à 16% des expatriés sont des femmes (ORC, 2005). Ce faible pourcentage reflète cependant la proportion de femmes qui sont employées comme cadres dans une entreprise. Altman et Shortland (2008) sur la base de 169 articles académiques publiés entre 1975 et 2007, dont 46 au cœur du sujet, font une méta-analyse sur le thème de la « femme et l’affectation internationale ». Ils considèrent qu’en trois décennies les mentalités en matière d’expatriation féminine ont évolué. Dans les années ‘80, il était admis que les femmes ne souhaitaient pas s’expatrier, que les FMNs y étaient opposées et que, de toute manière, dans un grand nombre de pays d’accueil il n’était pas pensable d’envoyer des femmes sur des postes clés de management. Dans les années ‘90, il s’est avéré que les femmes souhaitaient autant que les hommes partir travailler à l’étranger et, de surcroît, dans la plupart des pays d’accueil les femmes pouvaient travailler correctement. Cependant, les maisons mères continuaient à faire de la discrimination sur le genre en matière d’expatriation. Enfin, depuis 2000, la recherche académique s’intéresse aux barrières à l’expatriation féminine et aux biais dans la sélection de candidats, alors que certains auteurs (Tung, 2004 ; Guthrie et alli, 2003) suggèrent que les femmes réussissent mieux à l’expatriation que les hommes. Envoyer des femmes dans des filiales à l’étranger induirait un avantage concurrentiel. Parallèlement à cette évolution des mentalités, dans les faits, le pourcentage de femmes qui partent sur des postes à l’étranger s’accroît lentement mais sûrement depuis une dizaine d’années. Cependant, les femmes restent encore largement sous-représentées à l’international. La méta-analyse d’Altman et Shortland (2008) évoque un ensemble de raisons pour expliquer pourquoi ce plafond de verre continue à exister. D’abord, il y a des explications qui se fondent sur la nature féminine, dont le manque d’engagement dans leur carrière professionnelle, une faible affirmation de soi-même et la subordination de leurs perspectives de carrière à celles de leurs partenaires masculins. Ces barrières sont renforcées par des barrages organisationnels et sociaux, dont le manque de mentors féminins dans les entreprises, le modèle masculin dominant dans le partage des rôles, la faiblesse des réseaux sociaux organisationnels féminins et le manque de soutien lors de promotions et de l’accès à des postes à haute responsabilité. L’ensemble de ces raisons complémentaires fait que les femmes, face à ce plafond de verre, ont une tendance à abandonner et à se mettre en retrait. Cependant, alors que les bonnes candidatures masculines à l’expatriation dans un grand nombre de FMNs commencent à manquer sérieusement, les femmes constituent un réservoir important de candidatures potentielles. Les jeunes diplômées, qu’on désigne par « la génération X », sont davantage orientées vers la réussite Par exemple : l’INSEE calcule que la proportion de femmes dans l’emploi total, salarié et non-salarié, en France en 2009 est de 48% contre 52% pour les hommes. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 30 Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes de leurs carrières que leurs aînées. Lors de leurs études, elles partent désormais autant que les jeunes hommes en stage à l’étranger et acquièrent ainsi une première expérience à l’international. Tout semble indiquer que l’expatriation féminine progressera dans les années à venir. Cela constitue sans doute une des solutions valides pour les FMNs pour réussir leurs opérations à l’international. Les « secondes générations » Une alternative à l’expatriation traditionnelle vient de la « seconde génération » d’immigrés, dont les parents sont originaires du pays d’accueil des filiales, mais dont les enfants sont nés dans le pays d’origine de la FMN. C’est par exemple largement le cas de l’immigration maghrébine en France. Considérons l’exemple de la Chine. Au départ, pour s’établir en Chine, les FMNs ont largement recruté des Chinois de seconde, voire troisième génération dans des pays tiers à forte concentration chinoise, notamment Singapour, et dans des quartiers des grandes villes, qu’on appelle fréquemment des Chinatowns, de leur pays d’origine. Une telle démarche avec la seconde génération maghrébine en France est tout à fait logique. On mesure bien l’intérêt d’une telle opération. La multinationale peut ainsi envoyer, dans le pays de ses parents, un manager, qu’elle connaît bien pour l’avoir employé depuis plusieurs années sur des postes dans le pays d’origine de la multinationale. Ce candidat potentiel à l’expatriation connaît souvent la langue du pays d’accueil, sa culture, sa géographie. Il peut avoir de fortes motivations pour redécouvrir le pays de ses parents et d’y trouver une place active. Pour toutes ces raisons, il sera souvent moins exigeant qu’un candidat classique à l’expatriation et rencontrera probablement moins de difficultés d’adaptation. Mais cette démarche présente aussi des risques, dont notamment le problème de l’acceptation de l’expatrié ré-immigré par les vrais locaux, qui ne sont jamais partis (Fayol-Song, 2011). Une variante aux « secondes générations » sont les « rapatriés ». Il s’agit essentiellement d’étudiants étrangers qui retournent dans leur pays d’origine après un séjour assez conséquent dans un pays occidental, notamment pour y faire des études supérieures et, éventuellement, un début de parcours professionnel. Les avantages d’un tel profil semblent évidents. A priori, ces jeunes sont bien formés et ont montré une vraie capacité d’adaptation culturelle. Le plus souvent ils maîtrisent plusieurs langues. Cependant, certains prétendent au contraire que ce profil n’a ni les qualités d’un véritable expatrié ni les qualités d’un excellent local. Les missions navette Une autre alternative à l’expatriation sont les international commuting assignments ou missions navette. Il s’agit de missions à l’international où les managers font la navette entre le pays où se trouve la maison mère, ou un pays tiers où se trouve un siège régional, et une filiale à l’étranger. Les allersretours se font généralement sur une base hebdomadaire ou bi-hebdomadaire, alors que la famille du missionnaire reste à domicile (Mayerhofer et al., 2004). Une variante assez proche sont les rotational assignments ou « missions rotationnelles », où les employés alternent des missions à l’étranger pour une courte durée et des périodes de vacances dans leurs pays de résidence (Welch et al., 2003). Les missions rotationnelles sont entre autres utilisées sur des plateformes de pétrole. 31 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes Bonache et al. (2010) affirment que les missions navettes sont relativement fréquentes pour deux raisons. D’abord, pour bien exécuter leurs tâches, certains managers doivent être dans deux endroits en même temps. C’est en effet un avantage indéniable qu’un responsable d’une filiale, ou d’un réseau de filiales dans un pays, rencontre fréquemment des managers au siège. Ensuite, certains pays d’accueil présentent trop de difficultés, voire de dangers, pour y installer la famille d’un manager international. Celui-ci se résout alors à faire de fréquents allers-retours. Jaussaud et Schaaper (2006a) observent que les missions navette sont fréquemment pratiquées par les FMNs japonaises pour la gestion de leurs filiales de production en Chine. Mayrhofer et Scullion (2002) confirment que les ingénieurs allemands dans l’industrie du textile travaillent en semaine en Europe de l’Est, mais passent leurs weekends en famille en Allemagne. Collings et al. (2007) généralise en parlant d’Eurocommuting, où les managers d’un pays européen travaillent en semaine dans un autre pays européen, tout en rentrant le weekend à domicile. La proximité géographique, en termes d’heures de vol, et le faible décalage horaire entre l’Europe et l’autre rive de la Méditerranée rendent cette option une alternative valable à l’expatriation au Maghreb. Cependant, Dowling et Welch (2004) avertissent que si les missions navettes s’étendent sur une période prolongée, l’intensité accumulée des voyages produit du stress et peut avoir des conséquences négatives sur les relations interpersonnelles du missionnaire. Les missions navettes ne devraient pas durer trop longtemps. Les équipes virtuelles internationales Les technologies de communication du 21e siècle ont rendu possible le travail international à distance. De nombreuses FMNs créent désormais des équipes transfrontalières virtuelles dont les membres sont dispersés géographiquement et coordonnent leur travail par des technologies électroniques de communication, comme les visioconférences et l’email (Collings et al., 2007). Les membres des équipes virtuelles exercent leurs responsabilités internationales en étant localisés à la maison mère sans s’établir à l’étranger. L’organisation virtuelle permet ainsi d’exercer des fonctions à l’international sans en rencontrer toutes les limites ni en supporter les coûts habituels. Par exemple les managers n’ont pas à s’installer dans un pays lointain avec toutes les difficultés que cela entraîne. Aussi, un manager international virtuel, qui travaille quotidiennement au siège, risque moins de perdre de vue les intérêts globaux de la FMN qu’un manager expatrié loin des regards (Welch et al., 2003). Cependant, Mayrhofer et al. (2008) soulignent les difficultés de la communication interculturelle virtuelle. Dans de nombreuses cultures, la communication comporte des non-dits qui sont inaudibles à distance. Le courrier électronique, par exemple, est un excellent moyen pour transférer des documents écrits, mais est réputé pour engendrer des malentendus, voire des mésententes. Alors qu’il est déjà difficile de créer de la confiance dans des équipes multiculturelles, cette difficulté s’accroît lorsque les membres de l’équipe ne se rencontrent que rarement ou jamais. Cette problématique de confiance à distance est d’autant plus difficile à résoudre que chaque équipe subit localement des pressions par sa hiérarchie Aussi appelées « missions alternantes » ou « missions par roulement ». Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 32 Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes respective. C’est pourquoi Collings et al. (2007) estiment que le travail virtuel international est le plus approprié pour exécuter des fonctions de routine, lesquelles demandent une coordination en face à face. Welch et al. (2003) pensent également que les missions virtuelles internationales prendront leur importance dans les années à venir, mais ne remplaceront jamais entièrement l’expatriation traditionnelle. 2.4 La régionalisation de la GRH Les multinationales s’internationalisent progressivement, en s’implantant pays par pays, à des périodes différentes, et rarement dans une logique d’entrée de jeu régionale. Chaque filiale développe ses activités dans le contexte concurrentiel, culturel et institutionnel particulier dans le pays où elle est implantée. La disparité des degrés de développement des différents pays d’accueil, la diversité de leurs situations politiques et sociales conduisent à un éclatement de la GRH dans les pays où une FMN implante ses filiales. Les pratiques locales de GRH sont différentes au sein des filiales en Allemagne, au Maroc ou en Argentine. Par exemple, les contrats de travail, les niveaux de rémunération, la couverture sociale, les règles d’évaluation, etc., diffèrent considérablement d’un pays à l’autre. Les FMNs, lorsqu’elles se développent, se structurent par grandes zones géographiques mondiales, comme l’Amérique du Nord, l’Asie-Pacifique, l’Afrique et le Moyen Orient par exemple, ou parfois avec des regroupements moins attendus. Au sein de ces zones, des sous-ensembles plus fins (clusters) sont dessinés par proximité géographique ou en fonction de la nature et de l’importance des marchés. Les FMNs implantent à l’inté- rieur de ces zones géographiques un siège régional qui pilote le développement dans les pays de la zone considérée. Les différents centres de management régionaux ont des fonctions plus ou moins étendues. Alors que les plateformes logistiques ont essentiellement des fonctions opérationnelles en matière d’achat et de distribution, les sièges régionaux ont des fonctions élargies dont le développement des activités des filiales, la gestion des ressources humaines (l’organisation de réunions, les missions de courte durée, la GRH locale, la socialisation des managers) ou encore la comptabilité locale et la consolidation des comptes des filiales dans la région. Les fonctions qui incombent habituellement aux expatriés en place dans les filiales sont partiellement regroupées au niveau des sièges régionaux. Cela induit des synergies et réduit le besoin en expatriés dans les filiales, tout en y gardant une présence réelle du management de la maison mère. Au niveau des sièges régionaux, on trouve fréquemment un responsable des ressources humaines ayant plusieurs tâches régionales complémentaires. D’abord, il intervient en support des directions des filiales, qui gèrent elles-mêmes l’emploi local sans être nécessairement passées à une véritable GRH. La demande pour un soutien apparaît en général dès lors que les effectifs d’une filiale dépassent quelques dizaines de salariés. Ensuite, un responsable des ressources humaines régionales permet, partant de pratiques de gestion de l’emploi disparates au sein des filiales dans la région, d’introduire des règles et outils de GRH communs en matière de recrutement, d’évaluation, de formation et de promotion. Troisièmement, un centre de management régional permet d’organiser des formations précises, qui ne concernent qu’un nombre limité de personnes dans chaque pays. En outre, les déplacements internationaux, certes dans 33 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes la sous-région, amplifient l’effet motivant de la formation, et renforcent l’identification des cadres à la multinationale. Ils permettent également la constitution de réseaux de relations entre filiales qui se situent dans différents pays au sein d’une même FMN. Enfin, dans certains pays, en matière de recrutement et d’évaluation, les relations et réseaux personnels ont un poids inhabituel, parfois excessif selon les critères de la multinationale. Dans ce cas, la délégation des décisions à un DRH régional, non résident dans le pays de la filiale, atténue les pressions locales. filiale lorsque les postes à pouvoir exigent une bonne connaissance locale et lorsque la distance culturelle entre le pays d’origine de la FMN et le pays d’accueil est grande. Ainsi, si une firme multinationale souhaite se développer rapidement dans un pays d’accueil alors qu’elle ne dispose tout simplement pas de suffisamment d’expatriés pour pourvoir les postes clés du management d’une filiale, le recours à des managers locaux est a priori une très bonne solution. Jaussaud et Schaaper (2006b) montrent que les managers locaux occupent en priorité des fonc- 3 Transfert des responsabilités à des managers et techniciens locaux Bien que les formes nouvelles et alternatives à l’expatriation, évoquées dans le paragraphe précédent, réduisent les besoins en expatriation, le moyen le plus prometteur consiste à transférer les responsabilités, techniques et de management, à des employés locaux (Wong et Law, 1999 ; Kühlmann et Hutchings, 2010 ; Lam et Yeung, 2010). Ce processus de substitution d’expatriés par des managers locaux est fréquemment désigné par le terme « localisation des postes ». En plus de réduire les besoins en expatriés, il y a d’autres bonnes raisons pour localiser les postes et fonctions. Les managers locaux, issus du pays d’accueil de la filiale, ont plus facilement accès à des ressources locales, ont une bonne compréhension des procédures administratives, parlent la (ou les) langue(s) du pays d’accueil et ont une meilleure connaissance des systèmes de distribution. Harzing (2001) confirme qu’il est pertinent de nommer plus de managers locaux dans une tions de marketing et ressources humaines locales, car ces fonctions demandent une grande connaissance des pratiques locales. Ces fonctions sont complémentaires à celles qu’occupent en priorité les expatriés, qui sont, rappelons-le, les fonctions de directeur général, directeur administration-finance, et dans les cas où la qualité des produits est une priorité, responsable de la production. Cependant, la localisation des fonctions nécessite qu’un ensemble de conditions (3.1.) soient remplies, et notamment qu’une véritable politique de GRH envers les cadres et employés locaux (3.2) soit mise en place au niveau de la filiale. (5) Amann et al. (2012) produisent un inventaire des termes utilisés par des expatriés, travaillant pour 49 FMNs françaises pour désigner leur(s) centre(s) régional(ux) de management, soient : centre de ressources, centre de formation, plate-forme logistique, centre d’approvisionnement, plate-forme de distribution, centre de soutien marketing, bureau de représentation, bureau régional, direction régionale, siège régional. (6) « HCN », soit des Host Country Nationals, terme opposé aux « PCN », soit des Parent Country Nationals. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 34 Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes 3.1. Conditions d’une politique de localisation des fonctions Pour que le nombre d’expatriés diminue au profit de la localisation des postes, Amann et al. (2011) stipulent qu’un ensemble de quatre conditions doit être réuni. D’abord, il ne faudra pas que la filiale occupe une place vitale dans la chaîne de valeur de la firme multinationale. Par exemple, elle ne fabrique pas un produit final, ou des composants intermédiaires qui entrent dans des chaînes d’assemblage final, à destination mondiale (world mandate subsidiary). Ou encore, le rôle de la filiale ne doit pas être au cœur d’une stratégie de développement national ou régional de plus haute importance pour la maison mère. Si une filiale est vitale pour une FMN, la maison mère y détachera beaucoup d’expatriés. Deuxièmement, la concurrence sur le marché d’implantation de la filiale, notamment si elle doit assurer des ventes, n’est pas particulièrement forte de sorte que la filiale ne court pas le risque de perdre des parts de marché. Si au contraire, la maison mère considère qu’il est crucial de développer rapidement les ventes sur un marché donné, elle y enverra des expatriés pour développer les opérations commerciales. Troisièmement, pour localiser avec succès les postes clés de management d’une filiale, il faudra que l’organisation formelle de la filiale ait été correctement mise en place. Par exemple, Jaussaud et al. (2012) expliquent qu’une grande multinationale, sous-traitant du secteur de l’automobile qui a implanté plus de 200 usines dans une trentaine de pays, lorsqu’elle ouvre une nouvelle usine, elle y détache un cadre expatrié pour une période de 8 à 10 ans. Au terme de cette période de transfert de compétences, une équipe locale dûment formée prend la suite, sous la supervision à distance d’un manager expatrié en place ailleurs dans le même pays. En plus de l’organisation des filiales en question, l’organisation de la FMN dans le pays considéré, ou éventuellement dans la région, doit être mise en place. Par exemple, la création d’un holding pays ou d’un siège régional (voir §2.4), qui supervise les activités des filiales dans la zone, est un moyen pour réduire les besoins en expatriés. Enfin, quatrièmement, la localisation des postes se fera avec succès si la FMN a mis au point une politique cohérente de GRH en direction des cadres et employés locaux. Ce point fera l’objet du paragraphe suivant. 3.2 La politique de GRH pour les cadres et employés locaux. La localisation des postes de management ne peut se faire avec succès si la FMN conçoit et met en œuvre une politique GRH cohérente envers les cadres locaux au niveau des filiales (Kühlmann et Hutchings, 2010). Cette politique doit comporter plusieurs volets complémentaires, dont la formation, la rémunération, l’évaluation et la gestion de la carrière. Fayol-Song (2011), pour le cas de la localisation des postes par des FMNs françaises établies en Chine, souligne en outre que les cadres expatriés en place dans les filiales, dont les fonctions ont vocation à être localisées, doivent adhérer et porter une attention particulière à ce processus. Ils sont es acteurs clés. Avant de devenir des candidats potentiels pour des postes clés de management, les employés locaux doivent être formés, en particulier lorsque la filiale est située dans des pays en voie de développement où les ressources humaines qualifiées sont rares. Toutefois, la formation locale des managers à potentiel n’a pas de sens si la filiale ne peut pas les retenir 35 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes après leur formation. Ceci est d’autant plus pertinent dans des pays où il y a une forte concurrence pour employer des ressources humaines bien formées, que ce soit entre multinationales étrangères ou avec les entreprises locales. Amman et al. (2011) montrent que la formation des employés locaux, quel que soit leur niveau de responsabilités, est très développée dans la plupart des FMNs françaises de leur étude. Les futurs managers des filiales en particulier sont formés localement, mais aussi ailleurs comme aux Etats-Unis ou en Europe. Jaussaud et al. (2012) indiquent les objectifs majeurs que les FMNs poursuivent lorsqu’ils forment des cadres et employés locaux. Le premier but est l’amélioration des compétences et des qualifications, notamment dans les domaines de la production, de la gestion, de la qualité et de la sécurité. En second objectif, la formation vise à encourager les employés locaux à comprendre et à adopter la culture d’entreprise de la firme multinationale de manière à ce qu’ils réagissent selon ses valeurs et normes. Le partage des valeurs permet d’orienter les comportements des employés alors qu’ils se trouvent à l’étranger sans n’avoir jamais fréquenté la maison mère de la multinationale. Enfin, un dernier objectif est la fidélité, notamment des cadres locaux qui pourraient prendre en charge des postes clés du management. Jaussaud et Liu (2006b, 2011) confirment que pour accroître la loyauté des cadres locaux, surtout à l’issue d’une longue période de formation, la FMN devra motiver et à cette fin savoir rétribuer les efforts et les compétences, ce qui nécessite de pouvoir les identifier et les évaluer. En plus de la formation, pour sélectionner, promouvoir et retenir les meilleurs employés locaux, la politique GRH envers les cadres locaux doit s’articuler autour de la rémunération, l’évaluation, la motivation et la socia- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 36 lisation. Il est nécessaire de sélectionner soigneusement les managers à former, puis de les évaluer à l’issue de la formation. Selon Amann et al. (2011) certaines FMNs évaluent régulièrement tous les employés locaux alors que d’autres FMNs évaluent seulement les équipes de management. Ce constat est confirmé par Arous (2011) pour le cas des firmes multinationales établies en Tunisie. Enfin, pour motiver et fidéliser les employés locaux, il faut donner des perspectives de promotion et de carrière. Pour localiser avec succès des postes clés du management, et réussir le transfert des responsabilités des expatriés vers les cadres locaux, il faut mettre en place localement une politique de GRH complète. Conclusion Acteurs au centre de la globalisation économique, les firmes multinationales implantent un nombre croissant de filiales dans le monde entier. Cet article expose la politique de GRH globalisée que les FMNs mettent en place pour gérer l’ensemble de leurs filiales et pour garder le contrôle de leurs opérations internationales. Le cadre expatrié, que la maison mère envoie pour une longue période à l’étranger, constitue le socle de cette politique. Il est la courroie de transmission entre la stratégie globale de la maison mère et les opérations quotidiennes des filiales. Il occupe les fonctions qui demandent une forte interaction formelle et informelle avec les cadres au siège. Il est le garant de la culture d’entreprise. Il est délicat de laisser le management d’une filiale dans un pays éloigné, géographiquement, culturellement ou institutionnellement, uniquement entre les mains des cadres locaux, surtout si cette filiale occupe une place vitale dans les stratégies mondiales de la multinationale. Le cadre expatrié doit posséder des compétences managériales, interculturelles et interpersonnelles qui sont Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes difficiles à trouver, surtout en nombre suffisant, pour accompagner le développement international à marche forcée des firmes multinationales. C’est pourquoi l’expatriation n’est pas toujours efficace et ne produit pas toujours les effets escomptés. En plus, un expatrié coûte cher alors que dans cette période de difficultés économiques sur de nombreux marchés occidentaux, les firmes multinationales sont obligées de maîtriser leurs coûts. Elles sont par conséquent à la recherche de formes nouvelles et alternatives de ressources humaines internationales qui soient efficaces et, si possible, coûtent moins cher que l’expatrié traditionnel. Grâce au développement rapide des technologies et des moyens de transport aérien, mais aussi en raison de l’évolution récente des mentalités et convictions en matière de missions internationales, des solutions à la problématique du manque d’expatriés se développent. D’abord, des experts sur des missions de courte durée prennent en charge des fonctions qui incombent habituellement aux expatriés, sans s’installer pour autant dans le pays d’implantation d’une filiale. Puis, les filiales embauchent, sur des contrats locaux parfois améliorés, des personnes originaires du pays de la FMN, mais qui sont venues dans le pays d’accueil d’une filiale par leurs propres moyens, y compris les jeunes diplômés, ou des managers qui souhaitent y rester à l’issue d’une période d’expatriation ou de Volontariat International en Entreprise (VIE). Les missions de courte durée et ce qu’on appelle les auto-expatriés constituent à l’heure actuelle une tendance forte dans les politiques de GRH internationale des FMNs. Il y a également toute une série de formes nouvelles et alternatives à l’expatriation traditionnelle qui sont implantées de manière plus prudente ou sur une plus petite échelle, dont l’expatriation féminine, le retour d’immigrés de seconde génération dans le pays d’ori- gine de leurs parents, des missions navette ou encore le travail en équipe internationale virtuelle. La littérature académique s’intéresse depuis peu à ce global staffing mix, c’est-àdire le mélange judicieux de tous ces modes de présence des ressources humaines, en provenance de la maison mère, dans les opérations internationales. Un autre axe qui permet de mieux gérer la multiplication des activités internationales consiste à repenser et faire évoluer l’organisation mondiale de la multinationale. Lorsqu’elles grandissent et multiplient l’implantation des filiales dans le monde entier, les FMNs établissent au centre des grandes zones mondiales comme l’Asie-Pacifique, l’Amérique Latine, etc., des sièges régionaux, où un certain nombre de fonctions des expatriés sont concentrées et des experts régionaux itinérants sont stationnés. Les centres régionaux de management induisent des synergies et réduisent le besoin en expatriés dans les filiales, tout en y gardant une présence réelle du management en provenance de la maison mère. Enfin, la solution la plus durable à long terme pour réduire le besoin en expatriation, tout en gardant le contrôle sur les opérations des filiales dans des pays lointains, est le transfert des responsabilités techniques et de management à des managers locaux à qui la maison mère peut faire confiance. Pour développer un vivier de managers locaux compétents et loyaux, la FMN doit mettre en place une politique de ressources humaines de long terme cohérente envers les employés locaux, articulée autour de plusieurs composantes complémentaires, dont la sélection des candidats à haut-potentiel, la formation locale et internationale, l’évaluation des compétences acquises, un plan de carrière et un système de rémunération motivant, parmi d’autres. C’est le prix à payer pour un développement international maîtrisé et harmonieux. 37 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les politiques de GRH internationale dans les firmes multinationales : Entre expatriation et localisation des postes RÉFÉRENCES Abdellatif M. (2007), Organisation et contrôle des filiales des multinationales – une approche en termes de risque, thèse de doctorat, soutenue le 27 novembre 2007 à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Altman Y. et Shortland S. (2008), Women and international assignments: taking stock ; a 25 year review, Human Resource Management, Vol. 42, No. 2, p. 199-216. Amann B., Jaussaud J. et Schaaper J. (2012), GRH des multinationales européennes et japonaises en Asie, chapitre dans : Allouche J., Encyclopédie des ressources humaines, 2me édition, Lavoisier, Paris, à paraître en juin 2012. Amann B., Jaussaud J., Mizoguchi S., Nakamura H., Schaaper J. 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Cet article identifie les pratiques, de la plus contingente à la moins contingente, et ce, à partir d’une recherche empirique dans trois filiales tunisiennes de multinationales françaises exerçant dans les secteurs du textile, de la fabrication d’équipements d’automobiles et de l’électronique. L’étude des pratiques RH a permis de comprendre la convergence de ces pratiques avec celles de la maison mère, contingence en fonction du contexte local, et parfois hybridation dans les filiales. The debate on contingency and convergence of HRM in multinational firms has already attracted the interest of many researchers and several studies have already dealt with the subject in the Maghreb context, however, the issue of HR practices in the Maghreb is still relevant. This article identifies the practices, from the more contingent to the less contingent, from an empirical research in three Tunisian subsidiaries of French multinationals operating in textile, manufacturing of automotive equipment and electronics. The study of HR practices has allowed us to understand the convergence of these practices with those of the parent company, the contingency according to the local context, and sometimes the hybridisation within subsidiaries. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 42 INTRODUCTION Les principaux travaux sur l’état de la GRH et ses pratiques au Maghreb ont révélé la persistance et la dominance de son aspect administratif au détriment de la dimension stratégique, malgré une image positive d’une GRH en développement dans cette zone (Peretti et Frimousse, 2005). Elle revêt parfois une dimension stratégique dans les grandes entreprises où elle apparait le plus présente. A cet égard, Matmati (2005) parle d’une GRH à double aspect dans les entreprises du Maghreb: absente dans les entreprises du secteur informel et existante, mais sous différents niveaux dans les grandes entreprises (nationales ou internationales). En effet, les mutations économiques et sociales et le développement des stratégies d’internationalisation des firmes ont joué un rôle considérable dans la sensibilisation des entreprises de cette région à l’égard de la GRH. En Tunisie entre autres, cette dualité de la GRH est confirmée. Parmi les premiers travaux sur le sujet, Ben Hamouda (1992) et Ben Ferjani (1998) ont mis l’accent sur le retard des entreprises tunisiennes dans le domaine de la GRH et la pratique d’une gestion administrative du personnel, malgré une conscience de l’importance de la GRH. Plus tard, Zghal (2003) explique la négligence de la GRH en Tunisie par la dominance des petites et moyennes entreprises qui donnent toujours la priorité aux aspects financiers. Dans une recherche ultérieure, Zghal (2005) parle de persistance de pratiques de GRH traditionnelles dans les entreprises tunisiennes, avec une tendance de changements révélateurs de développement de la fonction RH, mais à caractère adaptatif et réactif aux exigences de l’internationalisation des firmes dans le pays. Sur la même lignée, Frimousse et Peretti (2005) affirment que le développement de l’internationalisation des entreprises dans les pays du Maghreb peut contribuer, sous certaines conditions, au développement des firmes locales ainsi qu’à la diffusion des bonnes pratiques de GRH. Les auteurs s’interrogent sur la convergence des pratiques ou l’affirmation des particularités locales, l’incompatibilité ou l’indissociabilité de la convergence et de la contingence, l’hybridation des pratiques de GRH. Par ailleurs, les pratiques RH dans les multinationales au Maghreb ont été et sont l’objet d’autres recherches. Ainsi, Matmati (2005) s’interroge sur les pratiques de management et de GRH dans certaines des grandes entreprises en Tunisie et au Maroc qui sont des filiales de groupes internationaux et affirme que, dans ce type d’entreprises, les méthodes et outils de management de la maison mère sont transposés et mis en œuvre avec des adaptations au contexte local. Dans le même champ de recherche, Yahiaoui (2007), a mis l’accent sur l’hybridation des pratiques RH transférées dans les filiales tunisiennes de multinationales françaises. Son travail a porté sur quatre pratiques, à savoir : le recrutement, la rémunération, l’évaluation et la gestion des carrières. Zghal (2005), quant à elle a insisté sur les pratiques de recrutement, rémunération, développement des RH (la formation et l’appréciation du personnel) et les relations avec les employés et la communication. Par ailleurs, Matmati (2005) a attiré l’attention sur les pratiques de : gestion de l’emploi, formation et développement des compétences, rémunération et gestion des carrières. 43 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation Ainsi, si le débat sur la contingence et la convergence de la GRH dans les multinationales a déjà suscité l’intérêt de plusieurs chercheurs (Yahiaoui, 2011; Yahiaoui et Chebbi, 2008, Rosenzweig et Nohria, 1994 ; Myloni et al., 2004) et si plusieurs travaux ont déjà traité le sujet dans le contexte maghrébin (Zghal, 2001, Peretti et Frimousse, 2005 ; Yahiaoui et Golli, 2010 ; Yahiaoui, 2008), la question des pratiques RH au Maghreb reste toujours d’actualité. Elle est particulièrement intéressante en Tunisie, après la révolution du 14 janvier 2011, où la revendication sociale et politique a vite fait de migrer de la rue vers l’intérieur de l’entreprise, touchant notamment les entreprises étrangères, et occasionnant en quelques mois la perte de 80 000 emplois. Ceci nous conduit à nous interroger sur les pratiques RH dans les filiales des multinationales en Tunisie afin de voir et comprendre s’il y a convergence de ces pratiques avec celles de la maison mère, contingence en fonction du contexte local, ou bien hybridation dans les filiales. Notre travail identifiera les pratiques, de la plus contingente à la moins contingente, et ce, à partir d’une recherche empirique dans trois filiales tunisiennes de trois multinationales françaises exerçant dans les secteurs du textile, de la fabrication d’équipements d’automobiles et de l’électronique. Ces trois études de cas ont été réalisées sur la base de 28 entretiens semi-directifs avec différentes catégories de répondants : des managers, des responsables ressources humaines, ainsi que des membres des services RH dans les filiales. Dans ce qui suit, nous allons commencer par rappeler les thèses de convergence et de divergence relatives aux pratiques managériales à l’international tout en évoquant les facteurs explicatifs de contingence, en insis- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 44 tant sur le cas de la Tunisie et ses spécificités culturelles et institutionnelles. Puis, nous présenterons l’hybridation traduisant la fusion du modèle global et du modèle local. Par la suite, nous exposerons notre étude empirique, l’échantillon et la méthodologie utilisée, avant de présenter les résultats relatifs aux pratiques de GRH dans les filiales des multinationales en Tunisie. 1. Les différentes approches abordant les pratiques de GRH dans les multinationales: 1.1. Les pratiques RH dans les multinationales, entre convergence universaliste et contingence particulariste Toujours en quête d’efficience et de performance, l’utilisation des capacités organisationnelles à l’échelle mondiale, représente pour les entreprises une source d’avantage compétitif (Bartlett et Ghoshal, 1989). Ainsi, les multinationales jouent un rôle considérable dans le transfert des compétences et la transmission des modes organisationnelles et des techniques performantes (Laval et al., 2000 ; Ameziane et al., 1999), notamment dans la région du Maghreb. Selon Peretti et Frimousse (2005), il semble que pour se développer dans ces pays, la GRH a besoin de l’apprentissage stratégique, défini par Delaville et Grimaud (2001) comme le mouvement d’accumulation, d’acquisition, de consolidation et de combinaison des ressources et compétences Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation clés et qui peut être assuré par les expatriés par exemple (Cerdin, 2003). Par ailleurs, Vo (2008) rappelle que les pratiques de GRH supérieures représentent une source réelle ou potentielle d’avantage compétitif pour les entreprises à capitaux étrangers par rapport aux entreprises locales. Par conséquent, les multinationales ont tendance à transférer et diffuser les pratiques RH qui constituent un avantage compétitif vers leurs filiales, via l’apprentissage stratégique. La question de transfert de pratiques RH vers les filiales des multinationales continue à faire l’objet de plusieurs recherches et à susciter beaucoup de débats dans le domaine de la GIRH. Allant de l’opposition entre les thèses de convergence et de contingence, nuancée par le concept d’hybridation de ces pratiques avec ses différentes significations comme solution à ce dilemme, jusqu’aux questions sur les modalités de transfert et d’apprentissage stratégique des pratiques de GRH: Y-a-t-il adaptation, exportation ou intégration (pour le processus de transfert) et y a-t-il intégration, adaptation ou résistance (pour le processus de réception) ? Dans le contexte spécifique du Maghreb, les chercheurs sont allés jusqu’à proposer un modèle des pratiques de GRH dans les entreprises de cette région. Dans ce même esprit, nous focalisons notre attention sur les caractéristiques des pratiques RH dans les multinationales en Tunisie. Les approches portant sur le transfert des pratiques de GRH dans les multinationales tournent autour de deux thèses. La première est celle de la mondialisation, de l’universalisme ou de la convergence qui soutient l’universalité des modes de gestion à l’international. Pfeffer (1994, 1998) parle de l’adoption de pratiques de GRH « universelles » à la recherche de compétitivité. A l’égard du « meilleur modèle » proposé par Bartlett et Ghoshal (1989) à adopter par les entreprises pour être compétitives à l’échelle mondiale, les adeptes de la logique de convergence des pratiques de GRH croient au « one best way ». En d’autres termes, sous l’effet de l’internationalisation, les pratiques managériales dans les entreprises se ressemblent de plus en plus au détriment des modèles nationaux ou locaux de gestion. Les firmes multinationales disposent du même modèle d’organisation et des mêmes « bonnes pratiques » à adopter par toutes leurs filiales, afin de contrecarrer les mêmes pressions concurrentielles. Comme résultat, il y a homogénéisation de ces pratiques (Fenton-O’Creevy, 2003). En revanche, la deuxième thèse de contingence ou de divergence considère qu’il n’y a pas de « bonnes pratiques » de gestion applicables partout et pas de convergence à cause des différences institutionnelles et de la culture, des exigences sectorielles, des facteurs spécifiques reliés aux organisations et des systèmes de GRH (Bae et Rowley, 2001). Dans ce cadre, les multinationales restent des entreprises nationales, mais c’est leur activité qui est internationale (Hirst et Thompson, 1999). Huault et Charreire (2002) considèrent qu’il n’y a pas un modèle organisationnel unique qui permet la performance à toutes les entreprises. Par ailleurs, le risque d’exporter des pratiques universelles en négligeant les spécificités locales a été mis en relief par Lawrence et Lorsch (1969), les premiers adeptes du courant de contingence. En effet, selon ce courant, les multinationales rencontrent des difficultés d’ordre technique et financier, mais aussi culturel dont elles doivent tenir compte. D’où, l’essai d’uniformiser les pratiques managériales en négligeant les particularités locales, notamment culturelles, constitue un énorme risque pour les multinationales. 45 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation L’approche contingente appelle donc les multinationales à prendre en considération non seulement leurs variables internes, mais aussi les contraintes de leur environnement et à adopter les politiques et pratiques managériales appropriées (Zghal , 2000). Par conséquent, à l’opposé de l’approche convergente, la thèse de contingence soutient l’idée de garder des modèles organisationnels hétérogènes qui prennent en considération le contexte local des filiales et les variables qui l’affectent. Vo (2008) considère qu’il y a trois différents niveaux de variables qui affectent simultanément les pratiques RH, à savoir : • le niveau macro, c’est-à-dire national, aussi bien du côté du pays d’origine que de celui du pays hôte, en mettant l’accent sur les distances institutionnelle et culturelle entre le pays hôte et le pays mère • le niveau méso ou sectoriel • et le niveau micro ou organisationnel, comportant la stratégie d’affaires internationales, l’héritage administratif ainsi que la nature de la filiale. Ces trois niveaux sont relatifs aux approches, culturalistes et institutionnalistes, mais aussi néo-institutionnalistes constituant les principes de la thèse de divergence des pratiques de management et de GRH d’une façon particulière. a. L’approche culturelle ou culturaliste Les culturalistes (Hofstede, 1987 ; D’Iribarne, 1989 ; Hall, 1979) soutiennent tous, chacun à sa façon, l’idée de l’impact de la culture sur les styles de gestion et comportements managériaux au sein des organisations. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 46 Child (2002) établit un lien entre les différences des valeurs et postulats nationaux et les différents comportements et croyances managériaux. De même, les fameux travaux de Hofstede (1980, 1983, 1987) mettent en relief les différences culturelles du management. En positionnant différents pays selon les quatre dimensions culturelles de : contrôle de l’incertitude, distance hiérarchique, féminité vs masculinité et individualisme vs collectivisme, l’auteur insiste sur l’impact des différences entre les cultures nationales sur le management dans différentes filiales d’une même multinationale. Ainsi, Laurent (1986) considère qu’une même pratique de GRH peut être interprétée différemment par des groupes culturellement différents. D’Iribarne (1989) quant à lui, défend l’idée que les pratiques managériales découlent d’une logique nationale. Sur la même lignée, Myloni et al. (2004) trouvent que, puisqu’elles sont basées sur les croyances culturelles, les pratiques de GRH reflètent les prétentions et les valeurs de la culture nationale dans laquelle l’organisation se trouve. Par ailleurs Adler et al. (1986) mentionnent que malgré la ressemblance entre les entreprises à l’échelle macro-économique, le comportement de leurs membres à l’échelle micro-économique obéit à des bases culturelles différentes Dans ce cadre, nous rappelons certains traits de la culture tunisienne qui doivent être pris en considération par les responsables des filiales de multinationales. Si nous nous référons aux dimensions culturelles de Hofstede, la culture nationale tunisienne semble plutôt collectiviste avec une faible distance hiérarchique et un faible contrôle de l’incertitude caractérisé par une forte croyance au destin. Par ailleurs, elle se caractérise par une dominance du flou et de la déréglementation et un recours à la communication orale. Le pa- Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation ternalisme, le respect de l’affectivité dans les rapports sociaux, de l’égalité, de la dignité, ainsi que le sentiment de fierté et de prestige social, sont autant de traits caractérisant la culture tunisienne (Zghal 1995, 2000). La prise en compte de ces traits de la culture tunisienne de la part des managers dans les filiales de multinationales, notamment françaises, est indispensable vu les différences culturelles entre les deux pays. En outre, les pratiques de GRH dans les multinationales peuvent aussi être affectées par des facteurs d’ordre institutionnel. b. L’approche institutionnaliste L’approche institutionnaliste prend en compte certains facteurs négligés par l’approche culturaliste. Elle met l’accent sur l’impact des pressions institutionnelles, telles que les politiques gouvernementales, les règles et les règlements des relations industrielles, la force des groupes de pression, l’adhésion aux accords et des institutions régionales et globales (Powell et DiMaggio 1983, Tayeb, 1998) sur les choix organisationnels notamment en matière de GRH. A cet égard, Hall et Soskice (2001) mettent l’accent sur l’adoption par les entreprises des modes de coordination appuyés par les institutions, y compris l’Etat, des structures régulatrices, des intérêts de groupe, de l’opinion publique et des normes. Cette approche essaye d’expliquer l’impact des faits sociaux sur les faits économiques. Selon Philip Selznick (1957, 1969, cité par Rojot, 2003), considéré comme le père fondateur de la théorie institutionnelle, les organisations s’adaptent, non seulement au contexte interne, mais aussi aux valeurs de la société externe. Le souhait d’être ou de ressembler à une autre institution, les normes, valeurs et attentes ainsi que les lois ou les règles explicites exercent respectivement des influences d’ordre social, culturel et politique. Dans ce cadre, les théoriciens institutionnels ont remarqué que les filiales étrangères sont à la fois soumises à des pressions pour s’adapter au pays d’accueil et pour incorporer un comportement isomorphe aux autres filiales (Rosenzweig et Singh 1991). Il y a plusieurs explications de l’adaptation des filiales à leur contexte local. L’environnement local est perçu comme spécifique quand il présente une situation dans laquelle les politiques et les pratiques de l’entreprise mère sont perçues comme inadaptées, ce qui correspond à une situation d’incertitude au sens de Di Maggio et Powell (1983). Dans des situations où l’environnement local est perçu comme hautement spécifique, on peut supposer que les politiques adoptées par les dirigeants des filiales, notamment en matière de pratiques de GRH, empruntent largement au modèle local dominant. Certains chercheurs comme Hrebiniak et Joyce (1985) insistent sur les contraintes économiques, stratégiques et concurrentielles de l’environnement, alors que Powell et Di Maggio (1983, 1991), principaux auteurs en néo-institutionnalisme, se réfèrent plutôt à l’isomorphisme institutionnel, qu’ils définissent comme « un processus contraignant qui force un élément d’une population à ressembler aux autres éléments qui font face aux mêmes conditions environnementales ». Cette approche se distingue par rapport à l’institutionnalisme par une prise en compte à la fois des facteurs légaux et normatifs pour analyser l’environnement organisationnel (Livian et Baret, 2002) et l’analyse des systèmes inter-organisationnels. Les deux auteurs développent les contraintes de nature institutionnelle et en identifient trois types: 47 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation • Les contraintes coercitives d’influence légales et politiques : l’isomorphisme lié à la coercition résulte de pressions à la fois informelles et formelles exercées par les autres organisations situées dans l’environnement conduisant à un rituel de conformité. • Les contraintes institutionnelles normatives d’influence culturelle issues de pressions exercées par la professionnalisation qui consiste en la lutte collective d’une occupation quelconque pour définir les méthodes et conditions de l’exercice de leur travail. • Les contraintes institutionnelles mimétiques à influence sociale, qui préconisent de faire face à l’incertitude, implique l’imitation d’autres structures et l’utilisation de modèles conçus par d’autres organisations en réponse à cette incertitude. Ainsi, la compréhension du mode de transfert des pratiques de GRH dans les filiales tunisiennes nécessite l’analyse de leur contexte institutionnel. En effet, la Tunisie a connu l’implantation de plusieurs multinationales qui ont apporté leurs propres pratiques managériales. Ceci a provoqué l’augmentation de la concurrence sur le marché du travail et spécialement celui des cadres à haut potentiel. Par ailleurs, depuis les années quatrevingt-dix, plusieurs mesures gouvernementales ont été prises au niveau, d’une part, des systèmes éducatif et de la formation professionnelle en vue d’améliorer le niveau de qualification des employés, et d’autre part du code du travail dans le but de protéger l’emploi, à l’heure d’une demande accrue de flexibilité de la part des entreprises. Enfin, les programmes de mise à niveau, les démarches qualité, les accords de libreéchange avec l’Union Européenne (1995) ont favorisé le développement de la GRH. 1.2. L’hybridation : une solution à la dualité institutionnelle A l’issue de cette confrontation entre les deux thèses de convergence et de contingence des pratiques de GRH dans les multinationales, nous ne pouvons pas trancher. En effet, face à la convergence, il y a toujours des particularismes locaux qui persistent. Pour le cas des filiales tunisiennes de multinationales françaises, nous rappelons qu’il y a des différences contextuelles considérables entre les deux pays, surtout d’ordre culturel, tirant les pratiques de GRH vers la contingence, mais en même temps, il y a des ressemblances d’ordre institutionnel les ramenant vers la convergence. Le benchmarking des « bonnes pratiques » universelles évoquées plus haut est possible mais son efficacité nécessite la prise en considération du contexte local et de ses spécificités sociales, économiques et politiques (Boyer et Yamada 2000 ; Livian et Barret, 2002). Sur la même lignée, Peretti (2002, 2004) affirme que malgré la conformité des pratiques de GRH, leur interprétation et leur utilisation diffèrent d’un contexte à un autre. Les deux approches de convergence et de contingence ne sont donc ni totalement opposées, ni incompatibles, au contraire, elles coexistent (Peretti et Frimousse, 2005). Ainsi apparaît le « mix global/local » (Tregaskis et al., 2001) correspondant au modèle « glocal » proposé par (Louart et Scouarnec, 2005) comme la combinaison harmonieuse permettant de satisfaire des exigences économiques « globales » grâce à la valorisation de facteurs clés de succès locaux. D’où le recours au phénomène d’hybridation comme processus traduisant la fusion du global et du local et moyen de satisfaction de la dualité institutionnelle de la filiale (Flood et al., (1) La diffusion ou l’imposition peut être définie comme le processus par lequel une maison mère essaie de maintenir sa propre pratique et ses connaissances centralisées dans chacune de ses filiales, alors que l’adaptation relève plutôt d’un ajustement des pratiques aux spécificités institutionnelles du pays d’accueil. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 48 Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation 2003), tout en facilitant la résolution d’éventuelles tensions entre la maison-mère et la filiale (Livian, 2004). est aussi perçue un moyen de satisfaction à la fois des besoins isomorphes de la maison mère et de l’environnement institutionnel de la filiale (Flood et al., 2003). En effet, face aux pressions mises en relief par l’approche néo-institutionnaliste, l’hybridation permet une transformation, voire une « réinvention », aux termes de Rogers (2003), des pratiques diffusées à la suite de leur combinaison avec les spécificités locales des filiales. Apparu au début, comme concept relatif au transfert et à l’internationalisation des modèles productifs (Abo, 1994 ; Boyer, 1998 ; Djelic, 1998), le concept d’hybridation s’est rapidement propagé vers le domaine du management et de la GRH. Dans une recherche portant sur les pratiques de GRH dans des contextes internationaux différents, Yahiaoui (2007) définit l’hybridation comme « un processus qui donne naissance à un nouveau modèle de management suite à la rencontre de deux systèmes ou de deux forces (la diffusion ou l’imposition et l’adaptation) , menés par l’entreprise dans un contexte international. Les différentes approches de transfert des pratiques de GRH de la maison mère vers la filiale Nous rappelons que dans cette recherche, nous nous référons au transfert des pratiques de GRH de la maison mère vers la filiale. Or, dans le transfert, il y a le processus de transfert, mais aussi celui de réception. Les pratiques de GRH appliquées dans la filiale vont dépendre de ces deux processus. Elle ajoute que ce processus, qualifié de « bricolages successifs », dénaturalise les pratiques de GRH (transférées ou locales) de leur principe initial, suite à des interactions entre des acteurs issus de la maison mère et de la filiale et répond aux besoins isomorphes et aux intérêts de ces acteurs ».Loin d’être synonyme de l’adaptation, qui consiste à abandonner totalement les pratiques d’origine de la multinationale en réaction aux pressions locales du pays d’implantation, l’hybridation D’une part, il y a trois orientations adoptées par les multinationales (Taylor et al., 1996), à savoir : l’adaptation, l’exportation et l’intégration que nous distinguons en fonction du degré de centralisation, d’autonomie de la filiale, de cohérence interne avec le reste de l’entreprise et de cohérence externe avec l’environnement. Le tableau 1 présente ces trois approches. Tableau 1 : Les orientations des multinationales dans le transfert des pratiques de GRH Approche Adaptation Exportation Intégration Caractéristiques Cohérence interne faible Cohérence externe forte Cohérence interne forte Cohérence externe faible Cohérence interne forte Cohérence externe modérée Degré de centralisation Faible Pratiques locales adaptées à l’environnement local Fort Forte intégration du système de GRH de la filiale à celui de la maison mère Solution RH optimale à partir de la combinaison du système RH filiale et maison mère Degré d’autonomie de la filiale Forte Faible Partage de responsabilités de conception entre maison mère et filiale Source : adapté de Taylor et al. (1996) 49 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation D’autre part, Taylor et al. (1996) indiquent que la distance culturelle et institutionnelle constituent les plus fortes contraintes à « l’exportabilité contextuelle » des pratiques RH et c’est la charge de la filiale de garder l’équilibre entre les attentes du siège et les pressions locales. A cet égard, la filiale a le choix entre les trois alternatives suivantes (Barmeyer et Davoine, 2006) qu’il est possible de rapprocher respectivement des pratiques de «convergence, divergence, hybridation»: posantes institutionnelles du pays d’accueil et celles du pays hôte qui entravent la diffusion des pratiques. Les deux autres types correspondent à des pratiques totalement ou partiellement nouvelles qui ne s’inspirent ni des pratiques d’origine, ni du répertoire des formes institutionnelles locales et qui ont lieu quand il n’y a aucun équivalent fonctionnel à cause de l’importance des contraintes institutionnelles et des exigences des pratiques transférées. • L’intégration : consiste à accepter et intégrer les politiques et pratiques de GRH du siège par les filiales sans résistance et sans adaptation au contexte local. Degré de contingence et de convergence varié des pratiques de GRH • L’adaptation : tient compte de l’isomorphisme avec l’environnement institutionnel (Dimaggio et Powell, 1991). Elle est le résultat des processus de négociation avec les différents environnements. Selon les études sur le transfert des pratiques de GRH, un minimum d’adaptation est nécessaire. • La résistance : consiste à refuser l’implémentation des politiques du siège et à résister à la centralisation, à cause des contraintes et opportunités institutionnelles du système d’affaires du pays d’accueil. Dans le même cadre, en se référant aux différents types d’hybridation proposés par Boyer (1998), il y a quatre formes d’hybridation des pratiques de GRH au niveau des filiales, en fonction de leur processus d’adaptation au contexte local. Les deux premiers types consistent à faire des reconstitutions d’un ensemble de composantes institutionnelles locales jusqu’à l’obtention d’un équivalent fonctionnel complet ou partiel au dispositif qui assure la performance de la même pratique d’origine et ce dans les cas où, il y a des différences entre les com- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 50 Nous précisons que la question de transfert des pratiques de GRH dans les filiales ne peut être abordée d’une façon globale. En effet, dans une même filiale, certaines pratiques peuvent être convergentes, et d’autres divergentes. A cet égard, Rosenzweig et Nohria (1994) précisent que les multinationales sont constituées de réseaux de pratiques différenciées mais interconnectées. Ils considèrent comme pratiques contingentes les formes de contrats de travail, la fixation des salaires et des heures de travail, les décisions de départ à la retraite et d’accord de congés ; alors que la conception des postes, l’accord de promotions et la structure des salaires sont considérées comme des pratiques convergentes. Par ailleurs, Schmitt et Sadowski (2003) voient que les relations industrielles sont les moins centralisées, la paie variable et la participation des employés à l’actionnariat sont modérément centralisés, alors que la formation est la pratique la plus centralisée. Après avoir précisé le cadre théorique de notre recherche et avant d’exposer notre travail empirique, nous rappelons que notre objectif est de voir si les pratiques de recrutement, de formation, d’évaluation et de ges- Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation 2.1. Méthodologie de la recherche tion des carrières dans les filiales tunisiennes de multinationales françaises sont contingentes, convergentes ou hybrides ? Quelles sont celles qui sont les moins convergentes et celles qui sont les plus convergentes ? Enfin, nous cherchons à savoir si les pratiques transférées sont adaptées, intégrées ou rejetées de la part des filiales visitées ? Pour répondre à ces questions, nous allons commencer par présenter la méthodologie adoptée et l’échantillon choisi avant de présenter les résultats de cette recherche. Trois études de cas ont été menées durant le troisième trimestre 2011 dans des filiales tunisiennes de multinationales françaises de différents secteurs. En effet, pour cerner les pratiques de GRH, nous avons choisi de mener une étude exploratoire et qualitative permettant de mieux expliquer et établir les causalités. Nous nous sommes ainsi placées dans une logique qualitative inductive qui, par le recours à des techniques d’interprétation, nous a permis de décrire et décoder la signification des différentes pratiques. 2. Les pratiques de GRH entre contingence et hybridation : cas de trois filiales tunisiennes de multinationales françaises Le tableau 2 présente notre échantillon constitué d’entreprises de grande taille et appartenant à différents secteurs d’activité. Toutefois, la taille de notre échantillon ne permet pas d’étendre les analyses et les interprétations sur l’ensemble des multinationales en Tunisie. Tableau 2 : L’échantillon de la recherche (2) Filiale 1 : Equipement auto Filiale 2 : Electronique Filiale 3 : Textile Effectif total 1182 614 700 Nombre de répondants 10 14 4 Profil des répondants 1 DRH et 9 managers Le Directeur du service RH et 6 de ses membres, le général manager, 6 managers d’autres services 1 DRH et 3 managers Les données ont été colligées à l’aide d’une série d’entretiens semi-directifs avec 28 membres des 3 filiales. La GRH étant partagée entre la direction des ressources humaines et les managers dans les filiales, nous avons développé plusieurs grilles d’entretien appropriées aux différentes catégories de personnes interviewées responsables, non seulement des décisions mais aussi des pratiques relatives à la GRH, à savoir : les trois DRH des filiales, les membres du service RH, ainsi que les managers des différents services dans la filiale. Etant en interaction avec les répondants et travaillant à partir de leurs perceptions, les connaissances produites sont relativement subjectives et constituent le résultat d’un contexte culturel et institutionnel spécifique. (2) Afin de garder l’anonymat des réponses, nous avons désigné les filiales visitées par leur activité. La première correspond à la filiale d’une multinationale française qui fabrique les équipements d’automobiles, sise à Ben Arous. La deuxième, dans le secteur de l’électronique se trouve à Hammam Zriba dans le gouvernorat de Zaghouan. Et enfin, la troisième, dans le domaine du textile est localisée dans la ville de Monastir. 51 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation Nous avons choisi l’analyse qualitative et de formaliser les relations entre les différents thèmes contenus dans une communication afin d’en traduire la structure. L’importance à accorder à ces thèmes, mots ou concepts ne se mesure pas au nombre ou à la fréquence, mais plutôt à l’intérêt particulier, la nouveauté ou le poids sémantique par rapport au contexte (Aktouf, 1987). Une analyse qualitative « dont l’objectif est d’apprécier l’importance des thèmes dans le discours plutôt que de la mesurer, en mettant l’accent sur « la valeur d’un thème » et non sur « le nombre de fois », tel que c’est le cas dans une analyse quantitative. Elle va aussi chercher à interpréter la présence ou l’absence d’une catégorie donnée, en tenant compte du contexte dans lequel le discours a été produit (Thiétart et coll., 2007). Notre analyse de contenu a été thématique, consistant à découper transversalement tout le corpus selon des thèmes représentant des fragments de discours jusqu’à l’obtention de thèmes significatifs (Bardin, 2001), qui permettent de répondre à nos questions de départ. Ainsi, il s’agit à la fois d’une analyse thématique « verticale » (sur le discours) consistant à relever les thèmes et questions abordées dans le guide d’entretien avec chaque répondant et mettre en valeur la particularité de chaque cas analysé, mais aussi et surtout une analyse « horizontale » (thématique), dans la mesure où nous cherchons aussi les différentes formes d’apparition d’un même thème dans les différents entretiens (Ghiglione et Matalon, 1978) ce qui permet d’identifier les points communs et les différences entre les entretiens. Les lignes de la grille comportent donc les thèmes alors que les répondants sont organisés en colonnes. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 52 2.2. Hétérogénéité des pratiques de GRH dans les filiales tunisiennes des multinationales françaises Un premier constat à partir de l’analyse des entretiens est que la GRH loin d’être stratégique, est restée archaïque et revêt un aspect purement administratif même dans des filiales de multinationales sensées avoir atteint un stade plus avancé. En effet, même si les DRH dans les trois filiales en question font partie du comité de direction, ceci ne signifie pas une contribution effective dans la stratégie et la politique globale de l’entreprise. La place accordée à la GRH se reflète dans la structure réservée au service ressources humaines dans l’une des filiales (Textile) qui se réduit à la seule Directrice des Ressources Humaine, chargée de tout, avec pour seul collaborateur, un membre du service comptabilité concernant les rémunérations: « C’est vrai que j’assiste à toutes les réunions du comité de direction et tout, mais c’est moi aussi qui ai la charge de la gestion de tout le personnel de la filiale : du recrutement, aux décisions de promotion, de sanctions, aux formations, etc… seulement pour le calcul des salaires, c’est un cadre Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation du service comptabilité qui s’en charge c’est trop, je me sens vraiment débordée… » (DRH, Textile). Nous soulignons également que la directrice des ressources humaines dans cette filiale n’a aucune qualification particulière en GRH, à part son expérience de travail depuis 23 ans dans la filiale. Ceci n’est pas le cas dans les deux autres filiales qui présentent une structure développée du département ressources humaines avec des membres diplômés en GRH. Nous constatons là une volonté de la filiale d’assurer une convergence, voire une standardisation par rapport au siège. Toutefois, le nombre réduit d’expatriés dans ces filiales : deux dans « Textile », un seul dans « Electronique » et trois dans « Equipement auto», reflète un fort degré d’autonomie de la filiale et une décentralisation de ses activités par rapport au siège. En se référant aux différentes approches de transfert des pratiques de GRH adoptées par les multinationales, ces constats nous amènent à dire qu’il s’agit plutôt d’une stratégie d’adaptation, autrement dit de contingence. Rejoignant cette approche, la plupart des interviewés affirment que les pratiques de GRH ne peuvent être indifférentes à l’environnement local dans lequel elles sont appliquées. Ils jugent indispensable de prendre en considération les contraintes de l’environnement local tunisien dans les différentes pratiques RH : « Mais on ne peut pas penser à quoi que ce soit sans tenir compte du contexte tunisien… si vous allez recruter, il faut penser au marché de travail ici, les compétences disponibles, les moyens de recherche de candidature, etc… si vous allez payer les gens, il y a des normes, un SMIG, des réglementations imposées par le droit tunisien… d’un autre côté, si vous allez décider de la carrière des gens, une mutation, une promotion ou autre ou si vous allez l’évaluer, vous ne pouvez pas échapper à certaines normes culturelles tunisiennes. Alors, même si ce sont les mêmes documents, les mêmes procédures que dans la maison-mère, il y a toujours une marge de manœuvre due à des contraintes contextuelles » (DRH, Equipement auto). Ce premier extrait met en relief l’approche contingente des pratiques de GRH. En effet, le cadre réglementaire et la dimension culturelle sont les facteurs de contingence les plus cités par les répondants. « C’est un travail centralisé mais on gère notre travail avec notre propre management dont on garde les grands titres et procédures et on les applique souvent avec des modifications selon la situation…La prise de décision de toute modification doit être faite par notre responsable hiérarchique et le responsable du site » (assistante d’accueil, service RH, service informatique). « Les programmes de formation nous proviennent du siège, mais parfois quand les managers voient qu’il y a un besoin de formation dans n’importe quel domaine, ils avisent la direction et les programmes sont établis à l’échelle de la filiale. Le choix des stagiaires, mais aussi des formateurs est fait au niveau de la filiale aussi, sauf quand il s’agit de formations dans la maison-mère, surtout pour les cadres occupant des postes importants » (Formation, informatique). « On nous envoie les grilles d’évaluation avec le détail près, plusieurs documents standardisés nous sont envoyés par le siège, mais quand on les transmet aux responsables directs des personnes à évaluer, tout dépend… Vous savez, il y a un écart entre le prescrit et le réel. Il y a d’autres variables qui entrent en considération, nos habitudes, notre façon de se comporter avec un subordonné plus âgé que nous par exemple, vous 53 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation comprenez… ces choses là font que même si c’est la même grille utilisée dans toutes les filiales, elle ne l’est pas de la même façon » (DRH, informatique). On retrouve dans ces extraits des indications sur la coexistence d’une centralisation, c’est-à-dire d’une convergence et d’une décentralisation évoquant la contingence des pratiques de GRH dans la filiale. Il n’y a donc pas d’abandon total des pratiques transférées par le siège, mais plutôt celles-ci sont adaptées avec des modifications par la filiale, ce qui revient à l’hybridation des pratiques RH telle que présentée dans la première partie de ce travail. A cet égard, nous ne sommes ni dans l’approche d’intégration des pratiques par la filiale, ni dans celle de résistance, mais plutôt entre les deux, c’est-à-dire celle d’adaptation confirmant le mix global / local et relative à l’hybridation des pratiques. Cette filiale illustre donc parfaitement l’hybridation des pratiques RH. En revanche, les résultats de l’analyse confirment plutôt une stratégie de résistance et de contingence des pratiques pour le cas de Textile. En effet la DRH affirme : « Tout est fait au niveau de la filiale, que ce soit pour le recrutement, la formation, la rémunération ou même l’évaluation, on ne demande pas l’avis de la maison mère et on prend les décisions à notre niveau…on sait faire tout tous seuls, ce n’est pas la peine de les consulter à chaque fois ». Par ailleurs, la philosophie de la direction, le stade de développement de la filiale et sa situation ainsi que la place du service ressources humaines dans la structure organisationnelle sont autant de facteurs de contingence interne cités par les répondants et agissant de manière significative sur l’évolution et la convergence des pratiques de GRH : « Avant, on nous programmait des formations au niveau du siège, mais depuis qu’on a été racheté par ce groupe, tout ce qu’ils cherchent c’est le profit en minimisant les coûts. Pour eux, il n’y a pas besoin de recruter quelqu’un d’autre dans mon service, puisque je peux tout faire et ça coûte moins cher…en fin de compte c’est ça ce qu’ils cherchent en venant ici, ça ne peut pas être pareil en France… Mais bon, on ne sait jamais peut être ça va changer après le 14 Janvier ?! » (DRH, Textile). La fin de ce passage traduit des attentes et les espoirs que la révolution a fait naître. Cela pourrait faire l’objet de recherches ultérieures. En effet, après le 14 Janvier 2011, on s’attend à ce qu’il y ait des changements majeurs dans le cadre institutionnel tunisien, concernant la règlementation, le système d’éducation, etc…Tous les axes de la GRH vont être touchés par ce changement : le marché de travail et par conséquent le recrutement, les lois concernant les salaires, la formation et par voie de conséquence le recrutement et la formation. Une idée importante ressort de l’analyse approfondie des différents entretiens, c’est que le degré de centralisation ou de convergence des pratiques de GRH dans les filiales varie en fonction de la catégorie d’employés en question. Autrement dit, s’il s’agit de cadres occupant des postes clés à haute responsabilité, leur recrutement, formation, gestion des carrières et évaluation dépendent en grande partie du siège. Les mêmes politiques et procédures sont réservées aux cadres expatriés et cadres locaux. La divergence se trouve par contre, au niveau de leurs rémunérations. Alors que les salaires des cadres expatriés sont alignés sur le pays d’origine , les cadres locaux ayant le même niveau hiérarchique, voire occupant les mêmes postes sont payés selon la législation locale et le niveau des rémunérations en Tunisie : (3) Les lecteurs souhaitant avoir une idée plus claire sur toutes les méthodes de fixation des salaires des expatriés, peuvent se référer à Cerdin (1999). Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 54 Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation « Pour les postes très importants, tels que celui de général manager ou de responsables de départements, ils sont affectés par le siège avec parfois notre coordination. La gestion de leurs carrières, l’appréciation de leurs résultats ainsi que les programmes de formation dont ils bénéficient, sont établies au niveau du siège, avec la coordination avec la filiale. Par contre pour d’autres postes, de cadres moyens ou de simples employés, les décisions concernant le recrutement ou autre sont prises au niveau de la filiale » (Chef du service RH, Electronique). A partir de cette dernière constatation, il était difficile pour les personnes interrogées dans les différentes filiales visitées de classer les pratiques de GRH sur lesquelles a porté cette étude de la plus à la moins convergente. En effet, la même pratique peut être convergente pour une catégorie de cadres et contingente pour une autre comme le montre l’exemple concernant la rémunération dans la citation précédente. Par ailleurs, les répondants autres que DRH dans les filiales étaient incapables de nous classer les différentes pratiques par ordre de convergence ou de contingence. Les DRH eux-mêmes ont trouvé une difficulté à le faire car tiraillés entre universalisme et particularisme de ces pratiques. Compte tenu des résultats issus de cette recherche, nous constatons que les trois filiales présentent des pratiques de GRH à caractère distinct avec différents degrés de contingence ou de convergence. Ainsi, nous pouvons positionner les trois filiales (voir figure 1) par rapport à deux axes de contingence et de convergence, puisque comme nous l’avons déjà remarqué dans l’analyse des données collectées, il n’y a pas de pratiques totalement convergentes ou totalement contingentes dans les filiales de multinationales. Mais ces résultats nous laissent supposer que ces pratiques ont une tendance plus convergente ou au contraire plus contingente. Figure 1 : Positionnement des trois filiales en fonction du degré de contingence ou de convergence de leurs pratiques de GRH 55 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation Enfin, nous rappelons qu’il s’agit d’un travail exploratoire ayant un objectif d’observer et de voir l’état de la GRH et de ses pratiques dans les filiales tunisiennes des multinationales françaises. Ainsi les résultats et constatations faites ne peuvent être généralisés sur l’ensemble des multinationales en Tunisie, mais elles ouvrent quand-même la piste sur d’autres travaux de recherche sur le même thème pour un échantillon plus grand. Conclusion Cette étude met une fois de plus en relief la nécessité de tenir compte du contexte local et de ses contraintes, qu’elles soient culturelles ou institutionnelles, dans la pratique de la GRH au sein des filiales. En même temps, elle ne neutralise pas la thèse de convergence de ces pratiques. Autrement dit, les pratiques RH dans les filiales tunisiennes de multinationales françaises se situent entre le local et le global. D’une part, les similitudes entre les cadres institutionnels des deux pays (législation du travail, histoire commune, effet de dominance et relations économiques) peuvent être des facteurs explicatifs de la convergence des pratiques. D’autre part, les divergences essentiellement culturelles et du point de vue du niveau de vie, peuvent expliquer les tendances contingentes de ces pratiques. Il est à noter également que le degré de contingence ou de convergence des pratiques de GRH peut varier dans une même filiale d’une catégorie de personnel à une autre, comme il peut varier dans un même cadre institutionnel d’une filiale à une autre, en fonction des choix stratégiques de la multinationale, ou aussi de l’âge de la filiale et de son stade d’évolution. Il paraît également, à l’issue de cette recherche, que la rémunération est la pratique la plus contingente. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 56 Malgré l’éclairage qu’a pu nous apporter cette recherche sur les pratiques de GRH dans les multinationales en Tunisie, elle comporte quelques lacunes. D’abord, la taille de notre échantillon (28 entretiens seulement dans trois filiales) est loin de nous permettre de généraliser ces constatations sur l’ensemble des multinationales implantées en Tunisie. Ensuite, il semble intéressant d’interroger les DRH des sièges sur les pratiques RH dans ces filiales, afin de pouvoir classer celles-ci selon le degré de convergence ou de contingence et de comparer leurs réponses à celles des membres des filiales, pour que les résultats soient confrontés à la politique générale de la multinationale. Une requête supplémentaire des données auprès des maisons-mères semble intéressante pour compléter le présent travail, qui a permis d’explorer les pratiques de GRH de certaines multinationales en Tunisie et qui ouvre d’importantes pistes de recherche, surtout à l’heure actuelle à laquelle le contexte tunisien post-révolution et son cadre institutionnel subissent des changements considérables qui ne peuvent être sans effet sur les entreprises, entre autres les multinationales. Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation Annexe : guide de l’entretien I. Identification du répondant : Nom, Age, Sexe, Nationalité, Poste occupé, Ancienneté dans la filiale, Ancienneté dans le poste. • Présentation de la multinationale Nom Activité Nationalité Nombre d’implantations dans le monde Effectif total Age • Présentation de la filiale Date d’implantation en Tunisie Statut d’implantation Effectif Chiffre d’affaires Importance par rapport aux autres filiales Degré d’indépendance par rapport à la maison mère Organigramme • Place de la fonction RH dans la filiale Appellation : service, département, division ou autre ? Indépendante ou liée à un autre service ? Structure du département RH (organigramme) Nombre d’employés sous cette division ? Est-ce la même structure dans la maison mère ou les autres filiales ? I. Le recrutement : • Le recrutement dans votre filiale se fait-il suivant une GPEC? • Décrivez-nous comment se fait un recrutement chez vous (ses étapes). • Est-ce que cette procédure est dictée par la maison mère? • Est-ce fait par la filiale elle-même, ou par d’autres organismes spécialisés? • Quelles sont les sources de recrutement auxquelles vous avez recours? • Selon quels critères choisissez-vous les candidats ? • Est-ce qu’ils sont fixés par la maison mère ? • Quels sont les moyens utilisés pour le tri et la sélection des candidats ? • Sont-ils fixés par la maison mère ou élaborés par la filiale ? • Quelles sont les formes de contrats de travail que vous utilisez ? • Sont-elles les mêmes au niveau du siège et des autres filiales ? • Quels sont les facteurs qui expliquent l’adoption de telles formes de contrats de travail? • Pour les postes de cadres à haute responsabilité dans la filiale, est-ce que ce sont toujours des expatriés ou des locaux? • Est-ce la même chose dans les autres filiales? • Les dossiers de candidature sont-ils traités au niveau de la filiale ou du siège? • La décision finale d’embauche est-elle prise au niveau de la filiale ou du siège ? • Les pratiques de recrutement sont-elles identiques à celles dans la maison mère ? • Expliquez les facteurs de divergence ou de convergence. II. La rémunération : • Comment se fait la fixation de salaires dans la filiale ? • Est-ce qu’elle se fait de la même façon que dans la maison mère ? • Quels sont les critères selon lesquels la grille de salaires est établie ? • Les éléments constitutifs des salaires sontils déterminés par la filiale ou par le siège ? • Est-ce que ce sont les mêmes que dans le siège et dans les autres filiales ? Expliquez? 57 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation • Est-ce qu’il y a des différences entre les salaires des expatriés et ceux des locaux occupant les mêmes fonctions ? Si oui, expliquez pourquoi ? • Quelle est la méthode utilisée pour la fixation des rémunérations des expatriés (pays d’origine, pays d’accueil, mixte, pays tiers ou internationale) ? • Est-ce que vous utilisez un logiciel pour le calcul des salaires etc… ? si oui, est-il commun avec le siège (et les autres filiales) ? • Les pratiques de rémunération sont-elles identiques que celles dans la maison mère ? oui, comment expliquez-vous cela ? • Expliquez les facteurs de divergence ou de convergence. • Est-elle fixée par le siège ou élaborée au niveau de la filiale ? • Est-ce qu’il y a élaboration de plans de carrières ? • Par qui sont fixés les critères de promotion, mutation, mobilité géographique, départ à la retraite, congés ou autre? • Par qui sont fixés les décisions de promotion, mutation, mobilité géographique, départ à la retraite, congés? • Les pratiques de gestion de carrière sont-elles identiques à celles dans la maison mère ? • Expliquez les facteurs de divergence ou de convergence. III. L’évaluation : VI- Conclusion • La fréquence, les méthodes d’évaluation, ainsi que l’évaluateur sont-ils fixés par le siège ou choisis librement par la filiale ? Expliquez? • Les critères et grilles d’évaluation sontils identiques à ceux utilisés dans la maison mère et les autres filiales ? Expliquez? IV. La formation : • Avez-vous un service formation interne à la filiale ? • Avez-vous recours à des formateurs externes ? • Le choix des stagiaires, des formateurs, des programmes et des moyens de formation, ainsi que l’évaluation des formations sont-ils faits au niveau de la filiale ou de la maison mère ? • Est-ce qu’il y a des programmes de formation en commun entre toutes les filiales? • Expliquez les facteurs de divergence ou de convergence. V. La gestion des carrières • Est-ce qu’il y a une GPEC dans la filiale ? • Est-ce la même chose dans le siège (et les autres filiales) ? Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 58 • Pouvez-vous classer par ordre ces pratiques (le recrutement, la rémunération, l’évaluation, la formation et la gestion des carrières), de la plus standardisée à la plus adaptée au contexte local tunisien. Les pratiques de gestion des ressources humaines dans les filiales tunisiennes de multinationales : entre contingence, convergence et hybridation RÉFÉRENCES des entreprises, contextes et performances, Tunis, Centre de publications universitaires. Abo T. (1994), Hybrid Factory: The Japanese production system in the United States, Oxford, Oxford University Press. Ben Hamouda A. (1992), Culture d’entreprise et gestion des ressources humaines, Cahiers de l’ERGE, n°1. Adler N. J., Doktor R., Redding S. G. (1986), “From the Atlantic to the Pacific Century: Cross-cultural Management Reviewed”, Journal of Management, 12(2): 295-318 Boyer R. 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Omar TIJANI Université Abdelmalek Essaadi Faculté polydisciplinaire de Larache Centre de Recherche et d’Etudes en Gestion (CREG) RESUME ABSTRACT La GRH est indispensable pour réussir le processus de transfert des connaissances d’une société mère vers ses filiales, surtout lorsque les filiales doivent développer une capacité d’absorption qui permet à la filiale d’assimiler, de transformer et d’exploiter les connaissances transférées. Cet article pose la question de savoir comment les entreprises marocaines, partenaires de firmes multinationales, mettent en place des dispositifs de GRH pour développer une capacité d’absorption technologique. Selon la littérature académique l’amélioration des compétences et de la motivation des employés stimuleraient la capacité d’absorption. Trois hypothèses théoriques sont examinées dans ce sens. Treize entretiens semi-directifs avec des responsables filiales opérant dans le secteur aéronautique au Maroc montrent que la capacité d’absorption est plus influencée par la compétence que par la motivation des employés et qu’elle est proportionnelle avec la taille de l’entreprise ainsi qu’avec la nature technologique de ses activités. HRM is essential for successful transfer of knowledge from a parent company to its subsidiaries, especially when these subsidiaries must develop an absorptive capacity allowing the subsidiary to assimilate, transform and exploit the transferred knowledge. This article raises the question how Moroccan companies, partners of multinationals, implement HRM tools to develop a technology absorptive capacity. According to the academic literature, the absorption capacity is stimulated by the development of skills and the motivation of employees, leading to three hypotheses. Thirteen semi-structured interviews with managers of subsidiaries operating in the aeronautical sector in Morocco show that the absorptive capacity is more influenced by the skills development than by the motivation of employees, and that the absorption capacity is proportional to the size of the company and to the technological nature of its activities. MOTS-CLES: GRH, motivation, compétences, capacité d’absorption, firmes multinationales, Maroc Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 62 KEYWORDS: HRM, motivation, skills, absorptive capacity, multinationals, Morocco INTRODUCTION La GRH est indispensable pour réussir le processus de transfert des connaissances d’une société mère vers ses filiales. C’est notamment le cas lorsque les filiales doivent développer en interne une capacité d’absorption par la mise en œuvre d’un ensemble de dispositifs organisationnels, pour que les ressources humaines de la filiale acquièrent, assimilent, transforment et finalement exploitent de nouvelles connaissances qui lui sont transférées. La capacité d’absorption est « la capacité d’une entreprise à reconnaître la valeur d’une nouvelle information externe, l’assimiler, et l’appliquer à des fins commerciales » (Cohen et Levinthal, 1990 : 128). La littérature académique montre que développer la capacité d’absorption implique deux éléments complémentaires : les connaissances antérieures et l’intensité de l’effort (Cohen et Levinthal, 1990 ; Kim, 1998 ; Zahra et Georges, 2002 ; Minbaeva et alii, 2003). En conséquence, le processus d’acquisition de cette capacité doit agir sur deux volets, à savoir les compétences des salariés et leur motivation. En raison de l’orientation technologique et les exigences en termes de qualité dans l’ensemble de la filière, les enjeux de la capacité d’absorption sont manifestes dans le secteur aéronautique au Maroc. Celui-ci connaît une dynamique remarquable (Benhar et alii, 2008 ; Tijani, 2011). Le pacte National pour l’Emergence Industrielle, établi par le gouvernement marocain, place ce secteur comme un des piliers du décollage économique . Les intérêts entre l’Etat marocain et les professionnels marocains, d’une part, et les groupes internationaux du secteur, d’autre part, sont mutuels. L’industrie aéronautique marocaine s’oriente vers la production, profitant de l’apport d’un savoirfaire technique dans la maintenance aéronautique, civile et militaire, en provenance de grands groupes étrangers, ou majoritairement étrangers, qui sont quant à eux, à la recherche de la diversification de leurs sources d’approvisionnement, de la réduction des coûts, d’une diminution des risques de logistique, et de l’innovation. Le pôle de compétitivité aéronautique est composé majoritairement par des filiales établies par des groupes étrangères au Maroc. Ainsi, il se pose la question du transfert des connaissances et de l’autonomie technologique des filiales marocaines. Cet article pose la question de recherche suivante : comment les entreprises marocaines, en situation de partenariat avec des firmes multinationales, mettent-elles en place des dispositifs de GRH en vue de développer une capacité d’absorption technologique ? Pour apporter des réponses à cette question de recherche, nous avons suivi une méthodologie qualitative. A travers des entretiens semi-directifs avec des responsables de treize (13) filiales opérant dans le secteur aéronautique au Maroc, nous examinons trois (3) hypothèses, issues d’un modèle théorique. Les résultats montrent que la capacité d’absorption est plutôt influencée par la compétence que par la motivation des employés et qu’elle est proportionnelle avec la taille de l’entreprise ainsi qu’avec la nature technologique de ses activités. C’est-à-dire que les filiales appartenant aux grands groupes internationaux, pratiquant des activités avec une grande densité technologique, auront plus de chances d’acquérir, d’assimiler et d’exploiter les connaissances et le savoir-faire de leurs partenaires, que les entreprises isolées. 63 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 La capacité d’absorption et le transfert des connaissances : rôle de la GRH dans les filiales des FMN du secteur aéronautique au Maroc. 1.1 Transfert de connaissances et capacité d’absorption une filiale, notamment à l’international, cet objectif se transforme en défis. Il s’agit de réussir le processus de transfert de connaissances. Cependant, pour éviter une trop grande dépendance technologique de la maison-mère, les filiales doivent acquérir en interne une capacité d’innovation autonome (Stock et alii, 2001). Pour cela, elles doivent créer des capacités dynamiques (dynamics capabilities ; Teece et alii, 1997 ; Winter, 2002) qui permettront de développer et de redéployer les nouvelles connaissances provenant des partenaires. Et ce par le biais des ressources humaines (Amit et Schoemaker, 1993 ; Minbaéva et alii, 2003), car, si la réussite du transfert des connaissances est une responsabilité partagée entre la maisonmère et la filiale, l’utilisation de ces connaissances dans son propre processus de production est la tâche de l’entreprise réceptrice de connaissances, en l’occurrence la filiale. Ceci revient à se doter de capacités internes, considérées comme la meilleure façon d’absorber les connaissances externes. Cette aptitude de l’entreprise est désignée par le terme « capacité d’absorption » (Cohen et Levinthal, 1990). Ainsi, selon cette conception, les capacités internes et la collaboration externe sont perçues comme étant complémentaires (Vinding, 2000 : 3). Au niveau organisationnel le concept de la capacité d’absorption est relativement simple à définir, « c’est la capacité d’une entreprise à intégrer et appliquer des connaissances extérieures dans l’objectif de l’innovation » (Schmidt, 2005 : 4). Daghfous (2004) prévient que le manque de capacité d’absorption peut priver les entreprises d’avantages concurrentiels. L’apprentissage organisationnel est un des objectifs majeurs qui incite les firmes à entrer dans des alliances stratégiques (Kogut, 1988 ; Inkpen, 1998). Or, dans une relation de partenariat entre une maison-mère et Néanmoins, le transfert des connaissances entre les partenaires peut parfois se révéler difficile (Szulanski, 1996), notamment lorsque ces connaissances sont tacites et enracinées dans les routines et le processus de l’entre- Cet article est structuré en trois parties. La première partie présente une courte revue de littérature montrant comment la GRH contribue à l’acquisition d’une capacité d’absorption. La deuxième partie développe notre méthodologie de recherche. Enfin, la dernière partie est consacrée aux résultats, qui seront discutés, avant de terminer par une conclusion générale. 1. Revue de littérature Dans cette revue de littérature, nous aborderons en premier lieu, le lien entre transfert de connaissances et capacité d’absorption (1.1). Ensuite, nous développerons le concept de la capacité d’absorption, ses composants et ses déterminants (1.2.). Enfin, nous expliquerons comment la GRH peut contribuer à améliorer la capacité d’absorption (1.3). (1) Les détails de ce plan sont disponibles sur le site web : http://www.emergence.gov.ma/ (2) Les pôles de compétitivité sont aussi reconnus par les termes : pôles de compétence, pôle d’attraction, système productif localisé ou encore clusters. Ce dernier concept est toutefois plus connu, grâce aux travaux de M. Porter (1998 ; 2000) est défini comme « un groupe de compagnies et d’institutions géographiquement proches et associées dans un domaine particulier, lié par des activités communes et complémentaires » (Porter, 2000, p.16). Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 64 La capacité d’absorption et le transfert des connaissances : rôle de la GRH dans les filiales des FMN du secteur aéronautique au Maroc. prise émettrice. Le concept de la capacité d’absorption s’appuie sur la distinction entre les connaissances codifiées et les connaissances tacites. Ces dernières nécessitent pour leur transfert un travail particulier et pertinent entre les deux partenaires (Lane et Lubatkin, 1991), basé sur l’apprentissage par l’action, par l’usage et par l’interaction : « learning by doing, learning by using, learning by interacting » (Bellon et alii, 2000 : 28). Les déterminants de la capacité d’absorption diffèrent significativement selon le type de connaissances à absorber (Schmidt, 2005). Par ailleurs, l’entreprise réceptrice ne doit pas se contenter de recevoir des connaissances, mais aussi de savoir les gérer et les manager afin de les transformer en savoir-faire interne. C’est là où réside la véritable tâche des gestionnaires, en l’occurrence, les responsables RH. En effet, dans le but d’assimiler et d’utiliser ces connaissances de manière efficace, des recherches académiques montrent que l’augmentation des capacités internes de l’entreprise est un moyen d’absorber des connaissances de l’extérieur (Vinding, 2000). Le transfert des connaissances est donc une fonction de la capacité d’absorption (Kim, 1998 : 3). Celle-ci est donc centrale dans tous processus de transfert de connaissances entre les firmes étrangères et leurs filiales dans le secteur aéronautique au Maroc. 1.2. Composants et déterminants de la capacité d’absorption Le terme « capacité d’absorption » est défini par plusieurs auteurs . Néanmoins, toutes ces définitions cadrent dans celle proposée par les pionniers, à savoir Cohen et Levinthal (1989 ; 1990). Cependant, une des rares définitions innovantes est vraisemblablement celle de Zahra et George (2002 : 186) qui la définissent comme « un ensemble de routines et processus organisationnels par lesquels l’entreprise acquiert, assimile, transforme et exploite les connaissances pour produire une capacité organisationnelle dynamique ». Cette définition est plus complète et conçoit la capacité d’absorption comme un ensemble de composants, exprimant des étapes opérationnelles complémentaires, qui attribuent à l’entreprise une capacité d’absorption dans le cadre d’une capacité dynamique cohérente. Ces composants (l’acquisition, l’assimilation, la transformation et l’exploitation) sont complémentaires et expliquent comment la capacité d’absorption influence les performances organisationnelles. Les deux premières composantes reflètent une « capacité d’absorption potentielle », car ils permettent de reconnaître et d’assimiler les nouvelles connaissances externes sans pourtant garantir leur exploitation. Tandis que les deux dernières composantes indiquent une « capacité d’absorption réalisée », car elles reflètent la capacité de l’entreprise à tirer parti des connaissances absorbées. Elles constituent donc l’expression de la vraie valeur ajoutée de la capacité d’absorption (Zahra et George, 2000 ; 2002). Par conséquent, on parle de capacité d’absorption quand la filiale dépasse la simple imitation statique du savoir du partenaire vers un apprentissage concrétisé par l’innovation et la créativité. Une telle vision de la capacité d’absorption, potentielle et réalisée, contribue à la réflexion aux conditions nécessaires en vue de la détention de cette capacité. Ainsi, en vue de reconnaître et assimiler de nouvelles connaissances (capacité d’absorption potentielle), la société « réceptrice » doit posséder des connaissances antérieures (firm’s related prior knowledge ; Cohen et Levinthal, (3) Outre la définition de Cohen et Levinthal (1990) et Daghfous (2004) citées plus haut, c’est le cas de Vinding (2001) ; Minbaeva et alii (2003). 65 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 La capacité d’absorption et le transfert des connaissances : rôle de la GRH dans les filiales des FMN du secteur aéronautique au Maroc. 1990 ; Kim, 1998 ; Minbaeva et alii, 2003), c’est-à-dire le stock de connaissances préalablement en possession de la filiale ; car, les nouvelles informations en provenance du partenaire ne doivent pas être totalement originales, ou en totale discontinuité avec les connaissances antérieures dans la filiale. Un certain lien avec le savoir-faire actuel doit être respecté. Ceci est dû au fait que l’apprentissage est cumulatif, et la performance de la connaissance est plus grande quand l’objet de l’apprentissage est en relation avec ce qui est appris avant. Dans la même mesure, en vue de transformer et exploiter les connaissances (capacité d’absorption réalisée), il est insuffisant d’exposer simplement des individus à des connaissances, la filiale doit procéder à l’intensification des efforts. Elle se réfère à la quantité d’énergie physique, intellectuelle et émotionnelle dépensée par les membres de l’organisation pour résoudre les problèmes et intérioriser les connaissances auxquelles ils sont exposés (Kim, 1998 ; Ernst et Kim, 2002). Cette deuxième condition implique l’engagement collectif, l’intensification des essais d’entraînement dans la résolution de problèmes ainsi que la conversion des connaissances et leur utilisation dans le cadre d’un apprentissage par action. Ernst et Kim (2002 : 15) affirment que l’intensité de l’effort est même plus importante que la base des connaissances antérieures et détermine le niveau de la capacité d’absorption globale. Dans ce sens, l’intensité de l’effort fait référence à l’importance de la gestion des ressources humaines. Cette fonction est mise en avant pour appuyer, développer et retenir des ressources humaines hautement qualifiées, pour développer leur base de connaissances, et pour internaliser les nouvelles connaissances (Ernst et Kim, 2002). La motivation des employés est par conséquent une condition obligatoire dans le déploiement des compétences et pour la concrétisation de leurs capacités. Minbaeva et alii (2003 : 589) affirment que « même si l’entreprise est composée de personnes ayant une grande capacité d’apprendre, l’utilisation des connaissances absorbées sera faible si leur motivation est faible ou absente ». En résumé, la capacité et la motivation sont dissociables. Ces deux aspects représentent en fait les deux revers de la médaille de la capacité d’absorption (tableau 1). Tableau 1 : les éléments de la capacité d’absorption selon différents auteurs La capacité d’absorption = Cohen et Levinthal (1990) Acquisition et assimilation des connaissances (Compétence) Connaissances antérieures + Transformation et exploitation des connaissances (Motivation + Intensité de l’effort Zahra et George (2002) Capacité d’absorption potentielle + Capacité d’absorption réalisée Minbaeva et alli (2003) Compétence des employés + Motivation à apprendre Kim (1995, 2001) Capacité d’assimiler des connaissances existantes (imitation) + Capacité de résolution de problèmes et création de nouvelles connaissances (innovation) donne alors immédiatement le droit aux créanciers de rompre le contrat à leur avantage. Sous l’angle de la valeur de l’entreprise, une situation d’insolvabilité est manifeste quand la valeur actuelle nette des cash-flows attendus est inférieure à la valeur totale des dettes, échues ou non. Le « défaut » constitue l’incapacité d‘une entreprise à satisfaire une échéance de dette (principal et/ou intérêts) ou le viol d’une clause du contrat de financement (autres que celles portant sur le montant). Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 66 La capacité d’absorption et le transfert des connaissances : rôle de la GRH dans les filiales des FMN du secteur aéronautique au Maroc. 1.3. Rôle de la GRH dans le développement de la capacité d’absorption 1.3.1 Modélisation de la capacité d’absorption La GRH est un moyen privilégié pour développer la capacité d’apprentissage (Kamoche, 1997 ; Kamoche et Mueller, 1998 ; Eneroth et Larsson, 1996 ; Lado et Wilson, 1994). Argyris (2003) atteste « qu’une entreprise ne peut devenir apprenante que si elle parvient à diffuser une philosophie centrée sur les acteurs (people first) ». Toutefois, le rôle de la GRH dans l’appropriation des connaissances et l’acquisition d’une capacité d’absorption a besoin d’être établi plus explicitement (Kamoche et Muller, 1998). Car « notre connaissance de la façon dont la GRH influe sur la capacité d’absorption et le transfert des connaissances reste encore très rudimentaire » (Minbaeva, 2003 : 587), en dépit de l’existence des études, telles que celle de Schuler et Jackson (1987) démontrant que certains comportements particuliers du personnel contribuent à la mise en œuvre des objectifs stratégiques. Ils peuvent, en effet, être sollicités dans le cadre de l’alignement des pratiques de la GRH, et leur harmonisation au contexte stratégique de la firme (Guérin et Wils, 1990). Au vu des éléments de la capacité d’absorption (tableau 1), le rôle de la GRH se trouve surtout dans la deuxième composante du tableau 1 (ligne 3). Par le moyen de ses fonctions de motivation des employés à apprendre, d’évaluation des efforts individuels d’apprentissage, de système de récompense, etc., la GRH est une partie prenante dans la réalisation de l’objectif de l’apprentissage. Ainsi, Minbaeva (2005) affirme que « l’emploi extensif et approfondi des pratiques de GRH, en particulier celles qui touchent l’amélioration de la compétence et la motivation chez les receveurs des connaissances, favorise l’environnement de l’apprentissage, et améliore le transfert de connaissances au sein des entreprises ». Notre conception du rôle de la GRH dans la dotation des filiales marocaines d’une capacité d’absorption va reposer essentiellement sur le modèle de la capacité d’absorption conçue par Minbaeva et alii (2003 ; figure 1). Ce modèle évoque les mécanismes organisationnels et les pratiques managériales relevant de la GRH qui stimulent la capacité d’absorption de la filiale (Inkpen et Crossan, 1995). A notre connaissance, la littérature académique ne fournit pas d’autre cadrage théorique aussi pertinent. En plus, les éléments constitutifs du modèle sont observables et mesurables dans les filiales marocaines. Figure 1 : modèle de la capacité d’absorption selon Minbaeva et alii (2003 ; P. 591) Formation Evaluation de la performance/compétence Compétence des employés H1 Capacité d’absorption Rémunération basée sur la performance H3 Motivation des employés Promotion basée sur le mérite Communication interne H2 Influence 67 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 La capacité d’absorption et le transfert des connaissances : rôle de la GRH dans les filiales des FMN du secteur aéronautique au Maroc. 1.3.2. Les mécanismes fonctionnels orientés vers la compétence des employés Selon notre modèle de recherche, deux mécanismes influencent la compétence des employés, à savoir, la formation et l’évaluation de la performance/compétence. Le fait d’associer l’évaluation de la performance à la formation pour constituer la compétence renvoie à une approche pragmatique du concept de la compétence. La compétence n’est pas liée uniquement aux connaissances (savoir), elle additionne à cet élément les pratiques (savoir-faire) et les attitudes (savoirêtre) (Durand, 2000). Dans le même ordre d’idées, Pemartin (2005) atteste que la compétence n’a de valeur opérationnelle que dans la mesure où elle est au service des objectifs de l’entreprise. On retrouve ici l’approche dynamique de la compétence individuelle et organisationnelle, qui doit s’aligner aux enjeux stratégiques de l’organisation. Hypothèse 1 : En contexte marocain, la formation et l’évaluation de la performance et des compétences sont positivement liées aux compétences des employés. 1.3.3. Les mécanismes fonctionnels orientés vers la motivation des employés Trois outils de GRH sont susceptibles d’orienter la motivation des employés vers l’objectif de l’acquisition du savoir-faire, à savoir la rémunération basée sur la performance, la promotion basée sur le mérite et la communication interne. La rémunération peut influencer directement le comportement des employés vers un objectif organisationnel, en l’occurrence, l’acquisition des connaissances (Emery et Gonin, 2009). Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 68 Selon la théorie Y de Mc Gregor, l’engagement des employés vis-à-vis des objectifs de l’organisation est fonction des récompenses associées à leur réalisation. La rémunération doit, en effet, être un signe de reconnaissance dans le cadre d’une approche contribution/rétribution (Peretti, 2010). Hypothèse 2a : En contexte marocain, la rémunération basée sur la performance est positivement liée à la motivation des employés. Par ailleurs, l’alignement stratégique de la politique de promotion interne suppose que celle-ci soit organisée et planifiée dans le cadre d’une gestion de carrière, et non pas « au coup par coup » (Peretti, 2010). Cependant, l’élément capital concernant l’attribution d’une promotion doit être le mérite, qui se mesure selon des critères implicites (la confiance en soi, la volonté d’assumer la responsabilité, l’implication,...) et explicites (le rendement, l’assiduité, le relationnel,…). La filiale doit être capable de classer son personnel dans des catégories de mérite de promotion. Par ailleurs, les entretiens d’évaluation ne doivent pas être la source unique d’informations concernant le degré de mérite. L’observation permanente et les contacts personnels sont des sources indispensables complémentaires à l’évaluation des salariés destinés à la promotion. Hypothèse 2b : En contexte marocain, la promotion basée sur le mérite est positivement liée à la motivation des employés. Finalement, la filiale doit favoriser la communication interne dans tous ses aspects : communication formelle/informelle, ascendante/descendante, horizontale/verticale. En outre, elle doit faire part à son personnel de sa stratégie et de ses objectifs, afin La capacité d’absorption et le transfert des connaissances : rôle de la GRH dans les filiales des FMN du secteur aéronautique au Maroc. d’obtenir, par la suite, son implication. Par ailleurs, la société doit enlever les barrières qui empêchent la communication, que ce soit des barrières organisationnelles liées aux considérations hiérarchiques et à la bureaucratie, ou des barrières comportementales et attitudinales comme la rétention d’informations, la méfiance et l’opacité des émetteurs de connaissances (ingénieurs, cadres, middle management). Les barrières à la communication peuvent être amoindries grâce à des moyens tels que la constitution des réseaux d’équipes, le travail en projet, l’évaluation collective, la résolution des conflits, etc. Dans la même mesure, la société ne doit pas négliger le rôle des nouvelles technologies de l’information et de communication (NTIC), d’une valeur inestimable actuellement. La société peut en faire sa part en développant des forums de discussion sur internet, l’intranet, Facebook, etc. qu’elle a accompli les étapes du processus de la capacité d’absorption. Pour estimer le niveau de la capacité d’absorption au sein de la filiale, notre attention se dirigera, par conséquent, à la mesure dans laquelle la filiale utilise les nouvelles connaissances de son partenaire. Cette proposition inspirée de l’article de Dutta et alii (2005) reflète une vision pragmatique du concept de la capacité d’absorption, et constitue un apport aux tentatives actuelles de proposer une mesure opérationnelle de la capacité d’absorption (Chauvet, 2003 ; Dali, 2008). Hypothèse 3 : En contexte marocain, les bonnes pratiques de GRH liées aux compétences et à la motivation des employés sont positivement liées à la capacité d’absorption Hypothèse 2c : En contexte marocain, la communication interne est positivement liée à la motivation des employés. 1.3.4. L’influence de la compétence et la motivation sur la capacité d’absorption Nous venons de voir que deux facteurs sont déterminants quant au processus d’acquisition d’une capacité d’absorption, à savoir, la compétence et la motivation ; ceci est induit du fait que la capacité d’absorption est divisée en capacité d’absorption potentielle (acquisition + assimilation) et réalisée (transformation + exploitation). Or, le terme « capacité » est étroitement lié à l’efficacité de l’usage final des nouvelles connaissances. En effet, dans la mesure où la filiale utilise et exploite des connaissances externes déjà acquises nous pouvons induire 2. Méthodologie qualitative Certains champs disciplinaires du management, tels que la stratégie d’entreprise et la GRH, étudient des phénomènes dont la régularité des comportements ne permet pas d’établir des lois où des théories générales. Ce sont plutôt des construits sociaux ou des 69 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 La capacité d’absorption et le transfert des connaissances : rôle de la GRH dans les filiales des FMN du secteur aéronautique au Maroc. solutions autonomes et artificielles (Crozier et Freidberg, 1997 : 15 ; 97 ; Usunier et alii : 33- 34). Le paradigme positiviste peut être mal placé pour traiter des sujets relevant du champ social. Par ailleurs, la question du transfert des connaissances dans le contexte des alliances stratégiques au Maroc reste, jusqu’à l’instant, un terrain de recherche inexploré. Il y a par conséquent beaucoup à apprendre dans ce domaine. Dès lors, le recours à une méthodologie qualitative peut s’avérer fortement productif (Jaussaud, 2003 ; Jaussaud et Schaaper, 2006). C’est pourquoi nos trois hypothèses seront testées sur la base d’entretiens en face à face avec des directeurs ou des directeurs des ressources humaines des filiales marocaines appartenant à des sociétés françaises (tableau 2). Plus précisément, nous avons mené des entretiens en profondeur, de type semi - directif, durant lequel les interviewés s’expriment librement, mais sur des questionnements précis, généralement des questions ouvertes (Wacheux, 1996). Les entretiens semi-directifs sont un moyen efficace d’accès à la réalité, particulièrement dans le domaine des sciences sociales. Par ailleurs, Jaussaud (2003) atteste que les entretiens semi-directifs sont efficaces quand l’acteur est suffisamment familiarisé avec le langage et la culture du pays. Les entretiens révèlent les pratiques de GRH en rapport avec le transfert de connaissances au sein des filiales des sociétés françaises de l’industrie aéronautique au Maroc et permettent de confronter les hypothèses préétablies à la réalité du terrain. Les entretiens se sont déroulés selon un guide d’entretien, qui reprend les hypothèses sous forme de questions. Chaque hypothèse est testée à travers des variables. Par exemple, pour Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 70 l’hypothèse 1, nous essayons de mesurer, pour chacun des cas étudiés, l’importance des pratiques de formation et d’évaluation, d’un côté, et le niveau des compétences, d’autre côté. L’analyse a été faite en deux temps. D’abord, nous avons procédé à une analyse thématique cas par cas. Il s’agit de « procéder systématiquement au repérage, au regroupement et, subsidiairement, à l’examen discursif des thèmes abordés dans chaque cas » (Paillé et Mucchielli, 2008 : 162). Nous avons donc réalisé cette analyse en restant lié aux concepts théoriques qui ont constitué les hypothèses (Yin, 2003 : 111-112), c’est-à-dire une analyse thème par thème et sous-thème par sous-thème, et ce, pour chaque société étudiée. L’étape suivante était l’analyse transversale qui nous a permis une comparabilité inter-site afin de révéler des contrastes et similitudes vis-àvis des thèmes étudiés (Miles et Huberman, 2003). Cette seconde étape nous permettra d’apporter des réponses à la question de recherche principale et de tenter d’expliquer l’éventuelle diversité de situations. « Dans ce cas, il ne s’agit plus seulement de repérer des thèmes, mais également de vérifier s’ils se répètent d’un cas à l’autre cas » (Paillé et Mucchielli, Op. Cit.). La capacité d’absorption et le transfert des connaissances : rôle de la GRH dans les filiales des FMN du secteur aéronautique au Maroc. Tableau 2 : échantillon - liste des sociétés étudiées Entreprise CA en M€ Structure du capital Activité dans l’aéronautique Personne interrogée Alpha > 300 21 100% étranger Fabrication et assemblage d'éléments aéronautiques : aérostructures métalliques et composites, aménagements intérieurs, maintenance, engineering, support clients. DRH Safsel Maroc 400 85 100% étranger Assemblage de composants de nacelles et fabrication de pièces en composites. DRH SSM 130 4 100% étranger Développement et maintenance opérationnelle de logiciels de technologies de l'information. Développement des systèmes d'’identification et d'authentification biométrique. Directeur de site SES 400 50 100% étranger Bureau d'études en aéronautique, calcul et conception mécanique. DRH Daléo 400 20 100% étranger Fabrication de sous-ensembles aéronautiques : conduits de conditionnement d'air, carénages, sous-ensembles structuraux. Directeur de site Socaero 72 1,2 100% étranger Assemblage d'aérostructures métalliques. Directeur de site Smiling 360 4 100% étranger Assemblage des connecteurs pour applications aérospatiales, industrielles et militaires. Directeur de site Sermp 102 6 100% étranger Réalisation de pièces et ensembles mécaniques pour l’aéronautique. DRH Segaplast 67 3 100% étranger Transformation de matières plastiques, tampographie, soudure. Automobile. Electricité. Equipement pneumatique et hydraulique. Aéronautique. DRH AML Microtech-nique Maroc 25 0,8 100% étranger Sous-traitance mécanique, métallurgique, électronique, défense, espace, télécommunications. Conception et réalisation de composants pour les hyperfréquences. Etude et réalisation de boîtiers et échangeurs thermiques, des composants électroniques. Directeur de site Excelsa 60 4 100% marocain Fabrication de produits en composite. Directeur de site + DRH Adetel Maroc 40 0,7 75% français, 25% marocain R&D, conception logiciel, conseil électronique, fabrication de carte électronique et câblage. DRH Belectronique 300 2,6 75% marocain, 25% français Sous-traitance pour le câblage des cartes électroniques à forte densité technologique, le câblage filaire et l’assemblage des ensembles ou sous-ensembles électromécanique pour l’aéronautique. DRH Comme précisé plus haut, toutes les sociétés à capital 100% étranger appartiennent à des partenaires français. 71 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 La capacité d’absorption et le transfert des connaissances : rôle de la GRH dans les filiales des FMN du secteur aéronautique au Maroc. 3. Résultats Les résultats de cette étude sont résumés dans le tableau 3. Tableau 3 : validation des hypothèses Hypothèse Résultat Remarques Hypothèse 1 : En contexte marocain, la formation et l’évaluation de la performance et des compétences sont positivement liées aux compétences des employés. Validée – La formation est une condition nécessaire pour la compétence, car il n’y a pas de développement des compétences sans formation. En revanche, elle n’est pas suffisante ; il peut y avoir une bonne formation sans qu’il y ait développement de compétences. – La formation influence la compétence plus que l’évaluation. Hypothèse 2a : En contexte marocain, la rémunération basée sur la performance est positivement liée à la motivation des employés. Validée – La motivation est influencée en premier lieu par la communication interne ; ensuite par la rémunération basée sur la performance tandis que la promotion interne n’a qu’une influence minime sur la motivation. Hypothèse 2b : En contexte marocain, la promotion basée sur le mérite est positivement liée à la motivation des employés. Non Validée – Des sociétés appartenant à des groupes internationaux de renommée sont caractérisées par un faible état de motivation des employés marocains. En revanche, des sociétés en partenariat avec des groupes moins connus arrivent mieux à mobiliser leurs salariés. Hypothèse 2c : En contexte marocain, la communication interne est positivement liée à la motivation des employés. Validée – L’état de motivation dépend de plusieurs facteurs : facteurs personnels (concernant le salarié seul et/ou son groupe), facteurs organisationnels (culture de l’entreprise, activités, leadership, …) et extra organisationnels (SMIC, marché de travail, conditions politico- économiques…). Hypothèse 3 : En contexte marocain, les bonnes pratiques de GRH liées aux compétences et à la motivation des employés sont positivement liées à la capacité d’absorption. Validée Partiellement – La capacité d’absorption est plus influencée par la compétence que par la motivation des employés. – La capacité d’absorption est proportionnelle avec la nature technologique des activités de l’entreprise. Les sociétés dont les activités sont d’une grande contenance technologique ont réussi à assimiler et exploiter les connaissances en provenance de leurs partenaires étrangers. – La capacité d’absorption est proportionnelle avec la taille de l’entreprise. La plupart des sociétés appartenant aux grands groupes internationaux ont développé une capacité d’absorption. – Les filiales marocaines qui ont su développer une capacité d’absorption demeurent liées à leurs partenaires étrangers par des relations d’échanges d’information et de conseils dans les domaines techniques et managériaux. Figure 2 : le modèle de Minbaeva (2003) testé dans les filiales marocaines Formation ++ Evaluation de la performance/compétence + Rémunération basée sur la performance + Promotion basée sur le mérite 0 Communication interne ++ Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Compétence des employés ++ H1 Capacité d’absorption H3 72 Motivation des employés H2 + Influence La capacité d’absorption et le transfert des connaissances : rôle de la GRH dans les filiales des FMN du secteur aéronautique au Maroc. 4. Discussion des résultats Les résultats qui sont apparus au cours de nos analyses permettent de valider l’hypothèse 1 et de valider partiellement les hypothèses 2 et 3. Ainsi, concernant la première hypothèse, qui stipule qu’« en contexte marocain, la formation et l’évaluation de la performance/compétence sont positivement liées aux compétences des employés », nous avons pu constater que la formation est une condition nécessaire pour le développement de la compétence des employés mais pas suffisante en soi. L’évaluation, quoi que moins développée au Maroc, reste une pratique essentielle pour stimuler le développement des compétences. Elle porte, chez la plupart des sociétés, sur le rendement et la performance des salariés, mais également sur leur savoir-être (attitudes sur les lieux de travail, sociabilité, communicabilité, transparence, etc.). Par ailleurs, nous avons constaté que l’intensité technologique et la nature productrice et transformatrice des activités constituent des facteurs déterminants dans le niveau des compétences des salariés des filiales de notre échantillon. Concernant la deuxième hypothèse, qui stipule qu’« en contexte marocain, la rémunération basée sur la performance, la promotion basée sur le mérite, et la communication interne sont relativement liées à la motivation des employés », les résultats montrent que la motivation ne dépend pas des trois variables réunies mais plutôt de la communication interne, moins de la rémunération basée sur la performance, alors que la promotion interne n’influence pas le degré de motivation. Ces résultats soulignent le rôle déterminant de la culture d’entreprise, basée sur le partage d’information, la délégation de pouvoir et le management de proximité, sur l’état de motivation des salariés. Nous avons pu constater que certaines sociétés ont trouvé des moyens innovants pour communiquer avec leurs salariés. Cependant, le niveau de salaire garde un effet sur le tempérament motivationnel des salariés marocains. Enfin, l’examen de la troisième hypothèse, qui avance qu’« en contexte marocain, les bonnes pratiques de GRH liées aux compétences et à la motivation des employés sont positivement liées à la capacité d’absorption », permet de constater que la capacité d’absorption est davantage influencée par la compétence que par la motivation des employés. En plus elle est proportionnelle avec la taille des entreprises et la nature technologique de celle-ci. C’est-à-dire que les filiales des grands groupes internationaux, qui pratiquent des activités avec une densité technologique élevée, auront plus de chances d’acquérir, d’assimiler et d’exploiter les connaissances et le savoir-faire de leurs partenaires que les filiales de petits groupes à production moins technologique. Ceci s’explique par l’importance des moyens déployés par les grands groupes Le régime de production linéaire est le stade où les taux de productivité et les quantités de production commencent à se stabiliser après une durée d’accroissement continue. 73 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 La capacité d’absorption et le transfert des connaissances : rôle de la GRH dans les filiales des FMN du secteur aéronautique au Maroc. pour réaliser le transfert de savoir-faire en peu de temps, dans l’objectif de réduire rapidement les coûts. D’autres observations découlent de cette recherche. Nous avons remarqué que les maisons mères sont hâtives quant à la volonté de transférer des connaissances et procédures et ne prennent pas souvent le temps d’accompagner progressivement la filiale. Soucieuse de vouloir gagner du temps dans ce processus de transfert, et d’économiser les coûts du contrôle des filiales, les sociétés mères envoient souvent des ingénieurs et des techniciens, mais rarement des cadres managériaux et des formateurs pédagogiques. Dans la même mesure, la durée de temps donnée à la filiale pour arriver à un régime de production linéaire est généralement courte. Il en résulte que le nouveau savoir-faire détenu par la filiale est prématuré. De ce fait, la filiale restera durablement dépendante de son allié étranger. Une cadence élevée et peu accompagnée du transfert des connaissances dans les sociétés de l’aéronautique au Maroc conduit à une précipitation dans les carrières des collaborateurs de ce secteur. Face au manque de compétences, les cadres se retrouvent dans des postes hiérarchiques sans en avoir répondu pleinement aux exigences, en termes de compétences et d’expérience. Le décalage est remarquable entre la durée requise pour arriver au même poste de responsabilité dans leurs sociétés entre des cadres français et marocains, ayant les mêmes qualifications ; les premiers prennent largement le temps et accèdent à la hiérarchie lorsqu’ils ont accumulé un réel capital humain. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 74 Finalement, cette étude empirique révèle que le défi de l’acquisition de la capacité d’absorption pour les firmes marocaines est crucial, plus qu’il ne l’est décrit dans la littérature. Ainsi, outre l’intérêt de la capacité d’absorption pour l’innovation et le développement organisationnel des firmes, il constitue un challenge afin de pouvoir retenir le personnel et diminuer le taux du turnover. La répétitivité des tâches ou le manque d’opportunités d’apprentissage et de progrès cognitif peuvent être des sources de départ des salariés, notamment les ingénieurs et les cadres managériaux, cherchant à satisfaire le besoin de réalisation de soi et le développement de leurs carrières. Les sociétés doivent trouver des débouchés à ces aspirations professionnelles en acquérant une capacité d’absorption qui à son tour permettra aux sociétés d’être des entités dynamiques en apprentissage continu. Sans cette capacité les directeurs des sociétés industrielles au Maroc auront toujours des démissions des jeunes cadres talentueux sur leurs bureaux. Conclusion Par cette recherche nous pensons avoir aidé à mieux comprendre le concept de la capacité d’absorption en tant qu’atout organisationnel, permettant aux filiales marocaines du secteur aéronautique de devenir innovantes et autonomes vis-à-vis de leurs maisons mères. Aussi, nous avons identifié dans la littérature académique des politiques GRH qui stimuleraient la capacité d’absorption, à savoir l’amélioration des compétences des employés et leur motivation. Aussi, la littérature souligne que la capacité d’absorption nécessite des connaissances antérieures et une intensité de l’effort. La capacité d’absorption et le transfert des connaissances : rôle de la GRH dans les filiales des FMN du secteur aéronautique au Maroc. Nous nous sommes posé la question de savoir comment les pratiques GRH contribuent à l’acquisition d’une capacité d’absorption en nous fondant sur un échantillon de treize filiales du secteur aéronautique au Maroc. Nous avons constaté que les pratiques GRH destinées à développer la compétence des salariés, dont en particulier la formation, influencent la capacité des filiales marocaines à acquérir et appliquer les connaissances externes plus que les pratiques centrées sur la motivation. Concernant ce deuxième volet, la communication interne influence la motivation en premier lieu, suivie de la rémunération basée sur la performance. Ce travail de recherche présente des limites. Malgré le fait que nous avons fourni un cadrage théorique sur la capacité d’absorption, en rapport avec la GRH, nous avons emprunté un modèle de la littérature académique. Nous aurions pu dégager des hypothèses nouvelles issues de cet état de l’art. Aussi, nous avons ignoré peut-être les réalités de la GRH dans les sociétés marocaines en utilisant, peut-être abusivement, un modèle issu de recherches sur des pays développés. Ce modèle lui-même montre la faiblesse de ne pas prendre en considération des leviers de capacité d’absorption qui puissent avoir un même niveau d’importance que la compétence et la motivation, par exemple la culture et la structure d’entreprise (voir Fombrun et alii, 1984 et Durand, 2000). Au niveau de la recherche empirique, l’échantillon est spécifique, limité au secteur de l’aéronautique. Par conséquent, tout effort de généralisation doit se faire avec prudence. Le modèle de la capacité d’absorption que nous proposerons dans nos prochaines recherches tiendra en compte ces limites. RÉFÉRENCES Amit R. et Schoemaker P. (1993), Strategic assets and organizational rent, Strategic Management Journal, Vol. 14 No. 1, p. 33-46. Argyris C. (2003), Savoir pour agir, édition Dunod. Bellon B. et alii (2000), Alliances et réseaux industriels euro-méditerranéens : les accords comme modes d’acquisition de capacités organisationnelles et technologiques, Etude pour le Compte de la FEMISE. Benhar Z., Etber S. et Khabbache M. 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En effet, si dans les pays européens et en particulier en France, les PPE ont connu dès les années 80 un développement remarquable, dans les pays du Maghreb, et en particulier au Maroc, ce n’est que depuis les années 2000 que l’on observe un réel développement de ces acteurs spécifiques. Cet article propose des éléments de cadrage des PPE en les resituant dans une perspective historique et précise les enjeux d’un marché local des PPE. Il insiste en particulier sur le rôle de ces derniers dans la diffusion d’outils RH. Nos propos rejoignent, d’une part, la thèse de la convergence en abordant en quoi ces outils RH favorisent la « mise à niveau de l’économie nationale » marocaine. Et, d’autre part, la thèse de la divergence en cherchant à comprendre les raisons du faible développement des PPE au Maroc. Ainsi, ce travail se focalise sur l’environnement des entreprises pour contribuer à la problématique de la convergence et de la divergence des pratiques RH. This paper focuses on one important type of actor, yet neglected in the literature, the private providers of employment (PPE). Moreover, its development seems largely constrained. Indeed, while in European countries and in particular in France, PPE have known a remarkable development since the 80s, in the Maghreb, especially in Morocco, it is only since the 2000s that there is a real development of its specific actors. This paper proposes framing elements of PPE by placing them back in a historical perspective and outlines the challenges of a PPE local market. It particularly emphasizes the role of the latter in the dissemination of HR tools. Our comments concur, on the one hand, on the convergence thesis by addressing how these tools promote «upgrade of the national economy» of Morocco. And, on the other hand, on the divergence thesis by seeking to understand the reasons for the slow development of PPE in Morocco. Thus, this work focuses on the business environment to contribute to the issue of convergence and divergence of HR practices. MOTS-CLES: Prestataires privés de l’emploi, Convergence des pratiques RH, Mise à niveau, Entreprises marocaines Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 78 KEYWORDS: Private providers of employment, Convergence of HR practices, Upgrade, Moroccan Enterprises INTRODUCTION Les services rendus aux entreprises (SRE) constituent, depuis plus d’une trentaine d’années, un des secteurs les plus dynamiques des économies occidentales. Pour rationaliser leur gestion et se recentrer sur leur cœur de métier, les entreprises externalisent en effet certaines tâches peu spécialisées d’aide à la production qu’il s’agisse d’activités de prestations annexes comme celles du transport de fonds, de la surveillance-sécurité, ou du nettoyage, ou encore d’activités de soustraitance comme l’audit, la communication, la logistique, le conditionnement ou le routage par exemple. Plus personne ne peut aujourd’hui sérieusement contester le rôle central que jouent ces services dans l’innovation et la modernisation des firmes en général, dans l’anticipation et l’adaptation au changement. Plus précisément, disposer d’un tissu dense et diversifié de SRE contribue clairement aux enjeux de compétitivité, de modernisation et de rattrapage pour les économies du Sud et en particulier pour les pays du Maghreb. Depuis quelques années, on a donc pu observer un intérêt croissant des chercheurs pour ces activités de service dans les économies du Maghreb et en particulier dans l’économie marocaine. Pourtant, on peut paradoxalement constater qu’au sein des SRE, les PPE apparaissent très largement négligés. Ainsi, cette catégorie figure parmi les moins investiguées comparativement aux autres activités de SRE. Plus encore, son développement semble largement contraint. En effet, si dans les pays européens et en particulier en France, les prestataires privés de l’emploi ont connu dès les années 80 un développement remarquable (et ce malgré quelques périodes de repli conjoncturel), dans les pays du Maghreb, et en particulier au Maroc, ce n’est que depuis les années 2000 que l’on observe un réel développement de ces acteurs spécifiques. Plus fondamentalement, ce constat convoque une problématique sous-jacente qui a trait à la convergence et la divergence des pratiques RH dans les entreprises au Maroc eu égard aux considérations normatives des travaux néo-institutionnalistes portant sur la globalisation au sens large, et en particulier ici sur les pratiques de GRH à l’échelle internationale. Le concept d’isomorphisme institutionnel par une approche cognitiviste constitue le socle commun de ces travaux. Ces recherches comportent deux courants de pensée qui méritent d’être distingués. Le premier courant portant sur la diffusion mimétique des modèles organisationnels (DiMaggio et Powel, 1983) néglige les mécanismes d’adaptation locale des modèles globaux, et considère que les modèles organisationnels et les pratiques ont tendance à s’uniformiser mondialement pour pouvoir ensuite expliquer comment l’unification des modèles cognitifs soutient cette globalisation (Barabel et al., 2006). Le second courant insiste sur la résilience des institutions en place. Les auteurs ont la conviction que les pratiques et les modèles ne se diffusent pas tels quels mais sont réadaptés dans chaque contexte national spécifique. D’ailleurs, le maintien des spécificités locales est ici considéré comme un facteur explicatif de différentiel de performance. Dans le cas précis des prestataires privés de l’emploi (PPE) au Maroc, la thèse de la convergence des pratiques RH ou des besoins isomorphes présente des opportunités certaines de déve- 79 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc loppement sectoriel d’activités, mais soulève à l’inverse des interrogations sur la nécessité de l’adaptation des pratiques au contexte marocain. Dans cet article, nous cherchons dans un premier temps à proposer des éléments de cadrage des PPE en les resituant dans une perspective historique. Dans un deuxième temps, nous revenons sur les enjeux d’un marché local des PPE. Nous insistons en particulier sur le rôle de ces derniers dans la diffusion d’outils et méthodologies favorisant la « mise à niveau de l’économie nationale » marocaine. Enfin, dans un troisième temps, nous cherchons à comprendre les raisons du faible développement des PPE au Maroc. Ces raisons tiennent encore aujourd’hui prioritairement à un faible poids relatif des problématiques RH au sein des entreprises marocaines et plus spécifiquement à une structuration et une autonomisation de la fonction qui reste encore balbutiante. 1. Le développement des services au Maroc : des SRE aux PPE Les PPE regroupent l’ensemble des prestataires, qu’ils relèvent des services opérationnels (intérim, location de main d’œuvre…) ou des services de conseil (conseil en recrutement, conseil en GRH, outplacement avocats en droit social…), qui agissent d’une manière ou d’une autre sur le marché du travail. Ces acteurs sont émergents sur le marché marocain des prestations de services et correspondent à ce que l’on pourrait appeler la quatrième vague de développement des SRE au Maroc. En effet, on a pu observer quatre grandes vagues de développement des SRE au sein de l’économie marocaine. La première a été dominée par les services techniques d’ingénierie ; la deuxième a quant à elle marqué l’avènement de la communicaNovec, créé en 1959, emploie par exemple 650 salariés dont plus de 250 ingénieurs. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 80 tion et de la publicité d’un côté et de la comptabilité et de l’audit de l’autre. La troisième vague a concerné l’organisation et le management dans son ensemble et enfin la quatrième touche aux problématiques de l’emploi et de la GRH. • 1ère vague (l’ingénierie) : Le secteur de l’ingénierie s’est développé au Maroc dès les années 60-70. Durant cette période, le secteur est largement dominé par « l’ingénierie importée », signifiant une large dépendance locale vis-à-vis de l’ingénierie étrangère (française en particulier). Dans les années 70, on assiste cependant à un réel développement du secteur qui s’autonomise de plus en plus par rapport à la tutelle étrangère. Le secteur a ainsi connu un développement remarquable passant de 45 cabinets en 1970 à un peu plus de 90 vingt ans plus tard pour atteindre plusieurs centaines dans les années 2000. Aujourd’hui le secteur de l’ingénierie compte en effet près de 800 cabinets dont plus de 650 sont agréés. Le secteur de l’ingénierie a cherché très tôt à se structurer. Ainsi, l’association marocaine des bureaux d’étude et du conseil (AMABEC) a-t-elle été créée en 1972, suivant de quelques années l’association des ingénieurs conseil et bureau d’études techniques (AICBET). Ces deux associations fusionneront pour créer l’AMCI en 1976, devenue FMCI depuis lors et qui compte plus de 200 structures. Néanmoins, il semble que le marché soit ici très fortement concentré, en ce sens que les 4 ou 5 premières structures (dont Novec, CID ou encore Team) réalisent plus de 80% du chiffre d’affaires du secteur. • 2ème vague (marketing-communication et audit-comptabilité) : La deuxième vague de développement des SRE au Maroc a été semble-t-il portée d’un Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc côté par la fonction commerciale (marketing, communication, publicité) et de l’autre par la fonction comptable (et dans une moindre mesure fiscale). Dans le premier cas, l’objectif était de « faire savoir », de faciliter l’accès aux produits et aux services sur le marché, et dans le second il était de répondre à des contraintes réglementaires. Si l’essentiel des grandes agences qui dominent aujourd’hui le marché marocain a été créé dans les années 80, l’essor véritable de l’offre de conseil en communication date plutôt des années 90 (Gallouj, 1992). audit, voire même agences de publicité…). Dès les années 2000, nous avons assisté à un processus de remontée stratégique des cabinets de conseil en organisation qui est parallèle à un intérêt croissant des grands cabinets internationaux de conseil en stratégie pour les marchés émergents. Ainsi, après CRCI en 2000, nombre de cabinets internationaux de stratégie dont McKinsey et Roland Berger se sont implantés au Maroc. On dénombre aujourd’hui plus d’une cinquantaine d’agences localisées majoritairement à Casablanca. Néanmoins, là encore, l’essentiel du chiffre d’affaires du secteur est réalisé par moins d’une dizaine de structures. L’audit et l’expertise comptable présentent un profil similaire à celui des agences de publicité et communication. Si le marché commence à se développer dès les années 80, c’est à partir du milieu des années 90 qu’il connaît un véritable essor avec l’implantation ex nihilo (parfois), mais le plus souvent au travers du rachat ou de l’association avec des cabinets locaux, de la plupart des grands réseaux internationaux. Ces grands réseaux ont par ailleurs étendu leur offre à partir du milieu des années 90 en proposant des services de conseil en organisation ou encore en GRH. L’offre de conseil liée aux RH (autrement dit les PPE) correspond bien à la vague la plus récente du développement du conseil et plus généralement des SRE. Au sein des PPE, on peut également distinguer un certain nombre de trajectoires et tendances. Les premiers acteurs à être actifs sur le marché marocain ont été les entreprises de travail temporaire qui pendant longtemps se sont focalisées sur la mise à disposition (pour l’industrie) d’une main d’œuvre relativement peu qualifiée. Dès les années 90, dans le cadre de l’accompagnement du mouvement de modernisation de l’économie marocaine, nous avons observé une structuration d’une offre spécialisée en GRH. • 3ème vague (l’organisation et le management) : Le conseil en organisation a connu un véritable essor entre le milieu des années 90 et le début des années 2000. Ce marché s’est développé selon deux trajectoires : des ouvertures ex nihilo (autrement dit la création de nouveaux cabinets sur le marché) et des extensions de l’offre (autrement dit la diversification) de cabinets et prestataires issus d’autres domaines du conseil (ingénierie, • 4ème vague (les problématiques de l’emploi et de la GRH) : Cette offre a d’ailleurs été très largement marquée par une dominante formation. Il faudra attendre le début des années 2000 pour que commence à se structurer une offre de services dédiée au recrutement. Dans le milieu des années 2000, malgré l’étroitesse évoquée du marché, les cabinets de chasseurs de têtes se sont implantés. En effet, ces cabinets, tout comme c’était le cas pour les cabinets de conseil en stratégie, ont un territoire ou une zone d’activité (de chasse) qui déborde largement les frontières du Maroc (pour couvrir l’ensemble du Maghreb et même une partie du marché africain). 81 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc 2. Les enjeux du développement d’un marché des PPE au Maroc confronté depuis plusieurs années à la problématique du chômage des diplômés. En effet, de manière paradoxale et contrairement à ce que l’on peut observer dans les pays occidentaux, le taux de chômage a tendance à s’accroître avec le niveau d’étude. Au sein des SRE, les PPE constituent sans doute une catégorie spécifique à bien des égards. En effet, au delà des discours parfois de circonstance (et souvent empreints de marketing et communication institutionnelle) sur l’importance des RH pour le développement économique en général et le développement des entreprises en particulier, il nous semble que l’on peut relever au moins deux apports fondamentaux liés au développement d’un marché local des PPE : la contribution à l’emploi et à l’insertion des diplômés et la contribution à la modernisation des firmes et plus généralement à la mise à niveau de l’économie nationale. Tableau 1 : Taux de chômage (en %) selon le diplôme (en milieu urbain) 2.1. Les PPE comme moyen d’acquisition des nouvelles compétences et de création d’opportunités d’emploi Personne ne peut aujourd’hui sérieusement contester la contribution remarquable des PPE à l’emploi. Au sein des SRE, les PPE figurent parmi les plus dynamiques en matière de création d’emploi. Dans le cas du Maroc, les PPE jouent (et devraient jouer) un rôle important dans la problématique des diplômés chômeurs. Par ailleurs, au delà du recrutement pour leurs clients, ils contribuent également à la dynamique de l’emploi en recrutant pour leur propre compte. • Les PPE comme facilitateur de recrutement des diplômés chômeurs : Le Maroc, comme un certain nombre de pays du Maghreb, est Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 82 Sans diplôme Niveau moyen Niveau supérieur 1985 12 19,1 4,8 1991 11 27,1 10,9 1993 10,7 24,8 - 1996 10,5 26,2 25,8 1997 9,6 26,7 23,8 2002 5,6 22,4 26,5 2004 5,4 22,2 26,6 2006 4,5 24,8 30,1 2010 4,6 24,2 28 Source : Direction des statistiques : Activité, emploi et chômage Ainsi, le diplômé chômeur est devenu une catégorie omniprésente dans le paysage contestataire marocain (Bougroum et Ibourk, 2002 ; Emperador, 2010). S’il est clair qu’une part du phénomène est lié soit à un décalage important entre les compétences attendues par le marché et celles qui sont possédées par les chômeurs, il n’en demeure pas moins qu’une partie relève également de ce que les économistes appellent le chômage frictionnel ou encore de fortes asymétries informationnelles face à une offre de formation faiblement lisible par les entreprises. Dans ces conditions, les PPE peuvent jouer un rôle certain dans le processus d’appariement, autrement dit dans le Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc rapprochement de l’offre et de la demande. En ce sens, Katz et Krueger (1999) ont ainsi montré que les intermédiaires de l’emploi et en particulier l’intérim ont permis un déplacement vers la gauche de la courbe de Beveridge, reflétant ainsi une meilleure efficience dans la mise en correspondance des demandes et des offres d’emploi. Eymard-Duvernay et Marchal (2000), dans le cadre d’une approche théorique alternative considèrent que les intermédiaires (PPE) contribuent également à une meilleure correspondance en prenant en compte la diversité des registres d’évaluation, permettant ainsi une appréciation plus juste de la qualité du travail. • Les PPE comme recruteur pour leur propre compte : Les PPE peuvent également jouer un rôle comme recruteur pour leur propre compte. En effet, ce secteur, qui a connu un développement remarquable sur les dernières années est lui-même un « gros recruteur » de main d’œuvre qualifiée. En effet, le recrutement est une dimension essentielle de la GRH des cabinets. Les ressources humaines du cabinet constituent bien une ressource stratégique ; c’est par la qualité de leurs recrutements et la différenciation de leurs profils que les structures de conseil se font concurrence sur le marché (Bounfour, 1992). Les pratiques de recrutement sont marquées par deux évolutions importantes : la montée en niveau d’un côté et la dualité entre recrutement à la base et recrutement latéral de l’autre. La montée en niveau résulte d’une sophistication croissante du besoin. Du point de vue de la firme, elle signifie une plus grande aptitude à gérer les situations complexes, à s’adapter aux situations nouvelles dans le cadre d’organisations diversifiées ; quant à la dualité entre recrutement à la base et recrutement latérale, elle s’appuie sur deux orientations stratégiques opposées. Dans le cas du recru- tement latéral, deux objectifs sont visés : la conquête de nouveaux clients, c’est-à-dire d’une part de marché, le consultant recruté draine avec lui une partie de sa clientèle ; la diversification de l’offre dans des nouveaux domaines. Le recrutement à la base va quant à lui de pair avec la promotion interne. Son principal avantage est d’ordre managérial, il conduit à évaluer, motiver et retenir le collaborateur. Il permet d’amener ce dernier à concilier la destinée de l’entreprise avec la sienne propre pour rentabiliser l’investissement en capital humain réalisé sur sa propre personne. 2.2. PPE comme moyen de modernisation des pratiques de gestion des entreprises De nombreuses études ont montré que les caractéristiques de l’offre de services dans les pays en voie de développement, à savoir le peu d’interrelations sectorielles, les faibles niveaux d’externalisation des services et plus globalement le manque de soutien aux activités de service considérées comme improductives ou tout au moins comme créatrices d’emplois refuge, pouvaient être un des facteurs majeurs de la croissance ralentie des pays en développement (Jany-Catrice, 1993, p. 47). Les PPE contribuent en effet à une baisse des coûts opérationnels, à une croissance de la valeur ajoutée par produit ainsi qu’à l’amélioration de la flexibilité des entreprises et plus généralement du système productif dans son ensemble. En définitive, les PPE mettent généralement à disposition des firmes des outils de gestion qui leur permettent de mieux maîtriser leurs processus RH et leurs coûts. Les PPE, principalement ceux à contenu intellectuel élevé, jouent également un rôle essentiel dans la diffusion du progrès technique, l’intégration et l’adaptation des connaissances nouvelles, 83 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc de savoir et savoir faire (voire dans certains cas de technologies) au sein des firmes clientes. Autrement dit, par de nombreux aspects la modernisation et la compétitivité des firmes dépend fortement des PPE. En effet, ces prestataires jouent un rôle central dans la diffusion au sein des firmes clientes d’un certain nombre de règles et modes de comportement en matière d’emploi, de même que dans l’adoption (et l’adaptation) par ces dernières de nouvelles normes d’emploi et de rémunération (Eymard, Duvernay et Marchal, 1997). Plus encore au niveau local, l’existence d’un tissu dense et diversifié de PPE permet une élévation du niveau du dialogue entre services internes et services externes. Il contribue de fait à une montée en niveau des services internes. Par ailleurs, cette montée en niveau qui peut également s’appuyer sur la mobilité des cadres entre les services fonctionnels internes et les prestataires externes participe à la réduction des asymétries d’information et donc des comportements opportunistes. Ainsi dans le cas du Maroc, on peut dire que les PPE sont à l’avant-garde du processus de modernisation et de mise à niveau des entreprises. Pour autant, le développement de ce type de services au Maroc reste encore largement contraint, il existe de nombreux freins au développement des PPE. 3. Les freins au développement d’un marché des PPE Il existe aujourd’hui de nombreux freins au développement des PPE (et plus généralement des SRE) au Maroc. Ces freins renvoient à des défaillances observables tant au niveau de l’offre qu’à celui de la demande. 3.1. Structure de marché, formes de concurrence et limites tenant à l’offre Le marché des PPE est spécifique à plusieurs points de vue. Il s’agit d’un marché neuf, caractérisé par une offre atomisée, ce qui suscite encore la convoitise de multiples nouveaux entrants potentiels. • Un marché neuf, ouvert, peu régulé en dépit de certaines stratégies de la profession : le secteur et le marché du conseil en recrutement rassemblent de nombreuses caractéristiques typiques des « activités nouvelles et en croissance » (Thiétart, 1990) : • incertitude stratégique (liée à des règles de concurrence peu claires) ; • nombre important de petites unités nouvellement créées (en raison de la faiblesse des barrières à l’entrée) ; • rapidité des gains de productivité ou de la diminution des coûts au cours de la phase initiale de constitution d’une expérience ; • information limitée de la clientèle. En ce sens, on peut parler d’un « environnement fragmenté » au sens du Boston Consulting Group, secteur très différencié où les effets de volume à long terme sont quasi inexistants et où la taille des acteurs ne procure pas systématiquement un avantage compétitif. On peut également analyser ce marché à partir de certains concepts de l’analyse économique de la concurrence et estimer que le marché du conseil en recrutement constitue un marché parfaitement « contestable » ou « disputable » (Britton, Clark, Ball, 1989). Ce type de marché, tel qu’il a été défini par Baumol (1982), présente deux caractéristiques essentielles : (a) une absence de spécificité des actifs physiques ; (b) une mobilité des actifs intellectuels (qui peuvent trouver à s’employer dans divers secteurs d’activité). L’absence d’actifs spécifiques Cela signifie que l’équipement utilisé est, pour une large part, non spécifique au secteur considéré. Il s’agit de coûts engagés pour entrer sur un marché, mais qui ne sont pas récupérables (même si on en déduit le coût d’usage du capital utilisé) en cas de sortie du secteur. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 84 Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc explique qu’il n’y a pas réellement, dans ce secteur, de coûts irrécupérables ou irréversibles (sunk costs) qui, de façon générale, constituent des éléments importants de la notion de barrières à la sortie. Ainsi, le marché des PPE se caractériserait par une situation où l’entrée serait (presque) parfaitement libre et où la sortie s’effectuerait (presque) sans coûts. Face à cet état de fait, les PPE (en tant que groupe professionnel) adoptent un certain nombre de stratégies dont la principale consiste à tenter de « réguler » ou de contrôler pour une part le fonctionnement du marché. Il s’agit «d’organiser l’industrie dans le but de donner une image cohérente et aussi rassurante que possible au marché » (Thiétart, 1990). On notera cependant à la suite d’Anne Mayère (1988, p. ) que « la labellisation constitue une forme de barrière à l’entrée pour les sociétés qui n’ont pas pu se constituer une expérience en la matière... elle peut tendre à figer les méthodes et à exclure les démarches parallèles ». Encadré 1 : Charte déontologique de l’AMCOR Les cabinets conseil en recrutement, membres de l’AMCOR, font notamment leurs, les règles déontologiques et les principes éthiques suivants : A. Principes généraux - Faire honneur, en toutes circonstances, à la profession du conseil dans les actes, les comportements et les rapports professionnels - Assumer pleinement la mission dont le conseil à la charge, au mieux des intérêts des clients et des candidats - N’accepter pour une mission déterminée aucune rémunération autre que celle convenue avec le client - Faire usage des méthodes, techniques et outils les plus pertinents et les mieux adaptés pour assurer au client et au candidat le concours de qualité élevée qu’ils sont en droit d’attendre B. Règles particulières à respecter à l’égard du client - Le conseil doit faire preuve à l’égard du client, personne physique ou morale, d’une entière loyauté, en s’engageant notamment à ne divulguer aucune information confidentielle le concernant - Le conseil s’engage à mettre en œuvre tous les moyens humains et matériels garantissant au client une prestation de qualité conforme aux conditions convenues et aux clauses contractuelles C. Règles particulières à respecter à l’égard du candidat - Le conseil s’impose le respect du candidat et s’interdit d’entreprendre toute action susceptible de nuire à ses intérêts, à sa liberté ou à sa situation professionnelle, ou de divulguer toute information le concernant, autre que celles en relation avec la mission dont il a la charge Cette volonté de structuration du secteur se reflète en particulier dans le nombre d’institutions qui tentent d’organiser l’activité de conseil en recrutement (au sens strict). Ainsi, au début des années 90 a été lancée l’Association Marocaine des Conseils en Recrutement (AMCOR) qui regroupe moins d’une dizaine d’adhérents. Au milieu des années 2000, c’est une autre association, C3+, qui est créée et qui regroupe moins de cinq cabinets. En 2008 est créée la Fédération Nationale des Agences d’Intérim et de Recrutement (FNAIR) qui marque un rapprochement opéré entre les deux professions sur le modèle de ce qui est observable dans certains pays européens et en particulier en France. La volonté de structuration du secteur dont nous venons de faire état s’appuie également sur des chartes déontologiques relativement complètes. L’encadré 1 reprend à titre illustratif la charte de l’AMCOR. 85 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc - Le conseil s’engage à prodiguer au candidat recruté aide et assistance pouvant favoriser son intégration dans son nouveau cadre de travail D. Principes régissant les relations entre confrères Dans leurs relations internes au sein de la profession, les membres de l’AMCOR : - Se doivent de faire preuve d’esprit de confraternité et d’entraide pour la réussite de leur mission, l’amélioration constante de leurs pratiques professionnelles et l’enrichissement permanent du service offert aux clients et aux candidats ; ils s’interdisent à cet égard toute démarche déloyale et toute initiative susceptible de nuire à la réputation ou aux activités d’un confrère - Ils s’engagent à respecter et à faire respecter par les clients les conditions et les bases contractuelles de tarification et d’exclusivité préconisées par l’association Source : AMCOR Dans l’état actuel des choses, toutefois, les barrières à l’entrée dans la profession restent faibles. La multiplicité d’organisations structurantes a jusqu’à récemment été plutôt significative des difficultés de l’entreprise de régula¬tion du secteur. Quant à la stratégie de labellisation à l’échelle nationale, elle est contrebalancée par le fait que certaines entreprises de grande taille tentent d’imposer leurs propres règles du jeu..De façon générale, en complément des tentatives de structuration ou de régulation du marché, au niveau national, on peut observer tant dans le discours que dans les pratiques, la mise en avant ostensible de règles formelles ou informelles. Aussi, la quasi-totalité des documents de pré- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 86 sentation (plaquettes) des conseils en GRH, notamment en recrutement, mentionnent l’existence d’un code déontologique (ou code de bonne conduite) explicite et d’une méthodologie formalisée. • Une offre encore atomisée, mais en voie de concentration : si l’on se limite aux services de types conseil, on constate une forte croissance du nombre d’acteurs sur longue période. En effet, de 3 à 4 au début des années 80, on serait passé à une douzaine au début des années 90 et à plus d’une centaine aujourd’hui. Les cabinets opérant sur le marché national sont généralement de petite taille (effectif voisin de 5 dont 2 à 3 consultants). Cette atomisation de l’offre est en partie liée à la jeunesse relative du secteur mais elle l’est également à son très faible niveau de régulation. Bien entendu, dans le cas du Maroc, d’autres facteurs ont pu jouer comme par exemple la spécificité du secteur qui tend à raisonner plus en termes de territoire de chasse que de parts de marché. En ce sens, si l’on a déjà quelques clients dans un secteur, la déontologie (mais aussi et surtout les réactions des clients) interdit d’aller au delà. Le conseil en recrutement considère par exemple que l’on ne chasse pas chez ses propres clients actuels ou potentiels sous peine de les perdre. Pour les mêmes raisons, l’offre est très concentrée géographiquement. Aujourd’hui, près de 95% de cette offre se situe à Casablanca. Quelques pôles secondaires émergent depuis peu à Rabat, Marrakech ou encore Tanger, bien souvent centrés sur des spécificités économiques locales (call centers, logistique,…). Néanmoins, au cours des dernières années, on a assisté à une croissance de la taille moyenne des cabinets, en même temps qu’à celle de leur nombre. Ces différentes évolutions semblent d’ores et déjà conduire à une bipolarisation de l’offre, caractérisée à Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc la fois par les positions de plus en plus fortes de quatre à cinq grandes firmes et par un dynamisme de petits cabinets. 3.2. Les limites tenant à la demande Au-delà des considérations tenant à l’offre, c’est principalement au niveau de la demande que résident les principaux freins au développement du marché des PPE. En dehors de la taille relativement réduite du marché marocain, qui en elle-même constitue une limite non négligeable au développement des PPE, on peut distinguer deux faiblesses importantes qui contribuent à contraindre fortement le développement de ces mêmes activités. La première est liée à la place accordée aux RH dans les pratiques et l’organisation des firmes et la deuxième concerne la faiblesse concomitante des pratiques d’externalisation. • Faible place des RH dans les pratiques et l’organisation des firmes : un des principaux freins au développement du marché des PPE réside, selon nous, dans la faible place qui est encore aujourd’hui accordée à la GRH (aussi bien en tant que pratique qu’en tant que structure) au sein des entreprises marocaines. Benson et Al Arkoubi (2006, p. 279) écrivent ainsi: « the typical moroccan HR structure, if it is formally established at all, deals with day-to-day management. Most of the time, the finance manager (or sometimes an accountant) plays the role of HR manager. This dual role reflects the perception of HR as a cost, leading to the need to strictly manage practices such as pay to reduce expenses. There is little awareness of the role HRM can play in performance management and adapting the firm to the requirements of the economic environment where human competencies become a real competitive advantage. Therefore, strategic, visionary thinking is almost absent and raises many concernes about the ability of these enterprises to face threats or seize opportunities in their environments… ». Les difficultés auxquelles est confrontée la fonction RH au Maroc sont ainsi nombreuses. Une enquête menée par le cabinet Diorh (figure 1), met en avant tout à la fois un manque de compétences, des effectifs ainsi que des budgets de fonctionnement insuffisants ou encore une absence totale d’implication des cadres. Figure 1 : Les difficultés dans l’exercice de la fonction RH au Maroc 60% 50% 40% 30% 20% ,5% 57 Insuffisance de compétences ,9% 52 ,4% 49 Insuffisance des effectifs dédiés à la fonction ,1% 39 Manque d’implication de l’encadrement Budgets de fonctionnement insuffisant ,6% 27 4% 18, Trop d’interférences de la hiérarchie ,1% 9% 16 , 14 10% ,6% 12 Statut rigide de la DG Manque de moyens matériels 0% Virulence des syndicats Source : Diorh, Cité par Ait Moussa (2007) Manque d’appui de la DG Autres 87 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc Aline Scouarnec (2005), dans une contribution sur le devenir du DRH au Maroc, présente ainsi un certain nombre de caractéristiques de la fonction dont les suivantes nous semblent les plus importantes : la fonction RH serait en effet à la fois instrumentalisée, confisquée (ou difficile à partager). L’instrumentalisation renvoie à un phénomène largement observé dans les pratiques des firmes au Maroc mais également plus généralement dans l’ensemble des pays du Maghreb. En effet, dans ces pays on constate globalement que l’absence générale d’une politique RH va de pair avec une profusion d’outils utilisés de manière ponctuelle. Bien que Aline Scouarnec n’en fasse pas état, il nous semble que ce type de fonctionnement puisse trouver une explication dans le manque d’aisance des responsables marocains devant l’achat de prestations immatérielles. Dès lors, la justification de l’achat tend à s’appuyer prioritairement sur les logiques et trajectoire de formalisation ou d’objectivation de l’immatériel. La confiscation renvoie, selon l’auteur, à la question de la distribution des pouvoirs au sein de l’organisation. Dans nombre de firmes marocaines, y compris parmi les plus importantes, l’existence d’une structure fonctionnelle ne préjuge en aucun cas du pouvoir ou tout simplement des marges de manœuvre réelles laissées aux cadres et directeurs fonctionnels. Les situations où la direction générale interfère et empiète largement sur les directives de ces directeurs ne sont pas rares ; mais c’est sans doute dans la fonction RH que ces interférences sont les plus nombreuses et plus pressantes. Au-delà de l’interférence venant d’en haut d’autres formes d’interférences sont le fait des cadres (encadrants) opérationnels qui considèrent que les missions du DRH empiètent sur leurs propres prérogatives. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 88 • La faiblesse concomitante des pratiques d’externalisation : au-delà des deux dimensions mises en évidence par Aline Scouarnec (2005), une des caractéristiques de la fonction RH au Maroc est sa très forte internalisation (autrement dit son faible recours aux pratiques d’externalisation). De manière plus précise, on peut dire que la faible place des RH dans les pratiques et l’organisation des firmes trouve son pendant dans la faiblesse des pratiques d’externalisation. Cette faiblesse relative des pratiques d’externalisation de la fonction RH a d’ailleurs été largement débattue et confirmée lors d’un colloque ad hoc qui s’est tenu à Agadir en octobre 2010. Selon certaines estimations à peine 10% des entreprises marocaines feraient par exemple appel à un cabinet de conseil en recrutement, l’essentiel des recrutements étant ainsi réalisés en interne. C’est en particulier ce que révèle une étude menée en octobre 2007 par Invest RH et AmalJob (figure 2). Figure 2 : Les sources de recrutement utilisées par les entreprises marocaines 78,60% 10,90% 4,30% 6,20% Direct par l’entreprise Cabinet de recrutement ANAPEC Autre Source : Invest RH ; AmalJob, Novembre 2007 Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc 4. Typologie des firmes, GRH et perspectives de recours aux PPE Il existe maintenant un certain nombre de travaux et réflexions sur les pratiques de GRH au Maghreb et plus généralement au Maroc. Dans ce dernier cas, il est souvent fait état de pratiques lacunaires et d’une fonction peu évolutive. Ainsi, par exemple, Frimousse et Peretti (2005, p. 4) précisent : « Au Maroc la GRH est embryonnaire dans la grande majorité des entreprises. D’une part, elle est de nature administrative (suivi de l’absentéisme…) et en aucun cas stratégique (intégration des RH au sein de la stratégie de l’entreprise, recherche des compétences…) ; d‘autre par, la GRH est instrumentalisée (profusion d’outils utilisés ponctuellement sans alignement avec la stratégie de l’entreprise). En d’autres termes la gestion du personnel prédomine par rapport à la gestion des RH. De surcroît, les dirigeants d’entreprises qui évoluent au sein d’organisations centralisées s’approprient la fonction GRH ». Dans la réalité, cette conclusion (qui reprend certains des éléments des travaux de Aline Scouarnec) est un peu excessive et globalisante. Une analyse plus fine permet de distinguer différentes catégories de firmes au regard de leurs pratiques de GRH (Benson et Al-Arkoubi, 2006 ; Baayoud et Zouanat, 2006, 2010) et, partant, de leurs pratiques de recours aux PPE. Si l’on cherche à proposer une synthèse des résultats des travaux existants sur la question, on pourra distinguer, au-delà du secteur informel, qui reste important mais sans objet dans le cadre de ce travail, quatre groupes distincts : les FMN, les holdings et consortiums marocains, les entreprises publiques et les administrations, les PME locales ; chacune de ces catégories recelant un potentiel différencié pour les PPE. 4.1. Les Firmes Multinationales (FMN) Les FMN ou plutôt les filiales des FMN suivent en général, pour des raisons de contrôle et de coordination, les pratiques RH de leur siège. Ces entreprises sont souvent considérées comme des exemples de bonne pratique RH. Elles offrent des conditions d’emploi nettement supérieures à celles qui prévalent habituellement sur le marché (rémunérations supérieures, opportunités de carrière, formation, développement des compétences…). Ces entreprises sont à l’origine de l’intégration et de la diffusion au sein des entreprises marocaines de pratiques et de stratégies RH modernes. Elles ont également une pratique de recours systématique aux PPE et en particulier aux activités de conseil dont une large partie s’est d’ailleurs développée localement en suivant l’implantation de ces mêmes firmes. Lorsqu’elles sont issues de privatisations ou d’acquisitions d’entreprises originellement marocaines, ces entreprises sont également fortement consommatrices de PPE. Ces derniers contribuent en effet très largement à la mise à niveau des pratiques RH. Plus généralement, elles accompagnent le DRH dans les politiques d’harmonisation des modes et pratiques de gestion et en particulier dans l’adoption de comportements et pratiques en cohérence avec ce qui se fait au niveau du groupe. Ainsi, par exemple, les brasseries du Maroc ont longtemps été en situation de quasi monopole sur le marché de la bière au Maroc. Cependant, dans un premier temps, « l’anticipation de l’arrivée de la concurrence a amené l’entreprise à engager un vaste 89 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc programme de restructuration, de modernisation de son outil de production et de ses méthodes de gestion » (Baayoud et Zouanat, 2010). Ce programme s’est très nettement accéléré à partir de 2003, date à laquelle l’entreprise, initialement filiale du groupe marocain SNI, a été reprise par le groupe Castel. L’entreprise s’est ainsi réorganisée et mise aux normes internationales en particulier en ce qui concerne sa structure fonctionnelle et la place qu’y tient la DRH. Plus précisément, dans cette entreprise, comme dans l’ensemble des entreprises relevant de ce groupe (les FMN), le DRH est systématiquement membre du comité de direction et l’on assiste souvent à un alignement de la stratégie RH sur la stratégie globale de l’entreprise. 4.2. Les holdings et consortiums marocains Les entreprises relevant de ce groupe sont relativement peu nombreuses (moins d’une vingtaine). Elles correspondent généralement à quelques champions nationaux (ONA, Dounia, Akwa, etc). Leur poids dans l’économie nationale est important puisqu’une douzaine d’entre eux pèsent pour plus de 35% du PIB marocain. Au sein de ces groupes, on peut observer parfois des pratiques et comportements marqués par la dualité ; autrement dit, l’existence simultanée de pratiques traditionnelles (de nature patriarcale ou taylorienne) de gestion du personnel et de pratiques plus modernes témoignant d’une réelle ouverture (nous y reviendrons). Néanmoins, et de manière générale, ces groupes ont tendance inexorablement à se rapprocher, dans leurs pratiques RH, du groupe des FMN. Ainsi, le recours aux PPE a tendance à se développer selon une logique à la fois de rattrapage et de mimétisme. Ce type de trajectoire est également perceptible au sein Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 90 des GE qui ne relèvent pas nécessairement de grands groupes nationaux structurés. 4.3. Les entreprises publiques et administrations Bien qu’elles bénéficient d’une réelle autonomie (pour l’essentiel d’entre elles) les entreprises publiques se caractérisent par une philosophie et un comportement managérial proche de ceux des administrations. Les exigences qui pèsent sur ces entreprises en termes de productivité, de qualité de service ou encore de flexibilité et réactivité sont importantes mais atténuées comparativement à celles qui pèsent sur les entreprises privées. La tutelle exerce encore ici une influence forte, ce qui est un obstacle à l’évolution des pratiques de GRH. Néanmoins, ces structures comme les administrations dans leur ensemble bénéficient de moyens importants. Les entreprises sont généralement en voie de privatisation et l’encouragement au développement de partenariats « publicprivé » fait que globalement cette catégorie est fortement consommatrice de PPE et plus généralement de SRE. Dans l’administration, bien que les directions RH soient relativement jeunes (une moyenne d’âge de 10 ans), elles sont relativement structurées et emploient des effectifs importants. Chraibi (2004) montre quant à lui que les fonctions RH ne sont pas au même niveau de développement dans les administrations. Il repère ainsi 3 trajectoires de ces fonctions RH : • les fonctions cantonnées dans la gestion administrative du personnel ; • les fonctions RH en phase de transition et qui cherchent à se doter d’outils de planification, de mobilisation et de développement des compétences ; • les fonctions en phase de rationalisation qui sont à la recherche de l’exploitation de Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc toutes les marges de manœuvre existantes pour une utilisation et une affectation rationnelle des compétences. Il n’en demeure pas moins que l’administration au sens large joue et a joué un rôle central dans le développement d’un marché local des PPE (et plus généralement des SRE). En effet, la politique nationale de mise à niveau de l’économie s’appuie (et s’est appuyée) sur un très large recours aux activités d’audit et conseil, en organisation et stratégie principalement, mais qui comportent également un large volet RH. 4.4. Les PME-PMI locales Les PME-PMI représentent près de 95% du tissu économique marocain, occupent plus de 50% des salariés du privé et contribuent à près de 10 % du PIB. Ces entreprises sont cependant marquées par un certain nombre de faiblesses internes dont certaines sont générales aux PME-PMI et d’autres sont soit amplifiées dans le cas du Maroc, soit spécifiques à ce pays (cf. M’chirgui, 2004) : • manque de visibilité et absence de vision du dirigeant ; • manque de préparation et d’ouverture internationale du dirigeant ; • importance des obstacles culturels à l’amélioration de la compétitivité (forte centralisation du pouvoir décisionnel, faible taux d’encadrement, culture orale des affaires et absence de comptabilité rigoureuse…). Conscient des difficultés et lacunes des PME-PMI, le gouvernement marocain a lancé un processus de mise à niveau et de modernisation de ces entreprises. Ce programme n’a semble-t-il pas atteint ses objectifs tout au moins à court terme (Benson et Al Arkoubi, 2006). Néanmoins, il a contribué à impulser une certaine dynamique. Ainsi, on peut à la suite de Baayoud et Zouanat (2010) opposer (indépendamment de la taille) des entreprises en situation d’ouverture et des entreprises en situation de repli (ou encore en situation intermédiaire ou duale). • Les entreprises en situation d’ouverture : ce cas renvoie à des entreprises qui, dans le cadre d’une réflexion stratégique, décident de s’adapter aux nouvelles conditions du marché et généralement de l’économie internationale. L’ouverture peut être proactive ou réactive. Le premier cas regroupe des entreprises qui réagissent d’elles-mêmes à l évolution du marché en s’appuyant sur une forte mobilisation de leur capital humain. Le deuxième cas renvoie quant à lui à des entreprises qui adaptent leurs pratiques de management et en particulier leur GRH pour répondre à la demande explicite ou implicite de leur donneur d’ordre (étranger le plus souvent). En ce sens, J.M. Schmitz, DG de Lafarge Maroc déclarait en 2005 : « D’une façon générale, dans les pays émergents comme le Maroc, les PME fonctionnent souvent sur des principes d’économie grise. C’est le poids justement des grande entreprises comme Lafarge de n’accepter comme sous-traitantes que celles qui répondent à un cahier des charges comportant un volet social : déclaration des salaires, cotisation pour les accidents du travail, mise en place de formation, en particulier sur la sécurité (…) Pour le Maroc, notre centaine de soustraitants constituent un poids non négligeable qui induit des pratiques sociales nouvelles ». • Les entreprises en situation de repli : ces entreprises sont des PME qui relèvent d’un capitalisme familial et paternaliste. Néanmoins, cette logique ou trajectoire n’est pas limitée strictement aux entreprises de petite taille et elle est encore largement à l’œuvre dans nombre de grandes entreprises. Baayoud et Zaounat mettent ainsi en avant un certain nombre de caractéristiques typiques de cette catégorie d’entreprises (encadré 2). 91 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc Encadré 2 : caractéristiques de la GRH dans les entreprises en situation de repli - maintien du personnel dans une situation de grande précarité. Celleci est prise au sens large du terme et renvoie au contexte d’insécurité et de dépendance qui pourrait être obtenue par différents moyens : instabilité de l’emploi, avantages salariaux, promotions, conditions de travail, pratiques paternalistes… - le chef d’entreprise se méfie de la compétence. L’encadrement est réduit au minimum ; les fonctions clés sont assumées par le patron luimême ou confiées à des personnes ayant avec lui des liens de proximité, voire de parenté. La formation est perçue de manière négative : coût, perturbation de la production, risque de départ du personnel formé… - la GRH est assurée par un chef du personnel, parfois par un DRH avec les pouvoirs limités et en tout cas sans influence stratégique. Ce qui est exigé de lui, c’est surtout la connaissance et la maîtrise technique des actes de gestion concernant l’administration du personnel, en particulier les aspects réglementaires et légaux. - e personnel est généralement soumis et la représentation syndicale n’est pas toujours tolérée. Quand elle existe, elle est marginalisée, voire combattue. On lui préfère « une représentation maison », des délégués cooptés. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 92 Les deux situations que nous venons d’évoquer : repli et ouverture peuvent apparaître dans une certaine mesure comme des idéaux type dans nombre d’entreprises, on observe en effet que ces deux logiques peuvent être à l’œuvre simultanément. Ainsi, nombre d’entreprises sont plutôt dans des situations « in between » ; autrement dit, des situations intermédiaires qui les poussent à être constamment à la recherche de leur propre équilibre. Il reste néanmoins que ces entreprises comme celles qui sont en situation d’ouverture apparaissent de plus en plus comme des marchés porteurs pour les PPE et en particulier pour les cabinets de conseil en RH. Benson et Al Arkoubi (2006) affirment « consultants in management and HR, who are rapidly increasing in number, target SMEs in attempts to introduce new management approaches. However, consulting firms have always faced strong reticence from these enterprises ». Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc Conclusion Les PPE jouent clairement au Maroc un rôle central sur le marché du travail (en termes de fluidification, d’adaptation de l’offre à la demande, de diffusion de pratiques innovantes…). Ces PPE ont connu un réel développement ces dernières années, poussés par un environnement économique et politique favorable. Si le développement a longtemps été assuré prioritairement par les besoins des entreprises « d’avant-garde » comme les firmes multinationales, les grands groupes nationaux ou encore la haute administration publique, on constate que les grandes entreprises et surtout les PME-PMI locales commencent à offrir à ces PPE des perspectives relativement favorables. Plus généralement, la montée en niveau de la fonction RH dans les entreprises marocaines, quelle que soit leur taille, est au centre de cette nouvelle dynamique. Comme le précisent Benson et Al Arkoubi (2006, p. 281) : « there does appear to be a growing HR function in Morocco, but the level of professionalism is not as high as is found in typical developed countries. Still the current practices must be viewed as encouraging ». Cependant, on constate également qu’une part importante du développement des PPE a été portée principalement par l’implantation locale de structures en réseau à portée internationale (ouverture ou rachat opéré par les grands réseaux internationaux de conseil en RH). lement et surtout celui de l’homogénéisation des pratiques en matière de recrutement et de GRH. Cette homogénéisation assumée ignore la réalité de systèmes d’emploi et de GRH spécifiques aux pays méditerranéens. La plupart des réflexions ad hoc pensent les concepts et relations économiques dans des espaces culturellement homogènes et semblent totalement ignorer l’importance et le rôle de la culture dans les pratiques de recours aux services RH. Plus encore, pour reprendre les termes de Eymard-Duvernay et Marchal 1997), dans la mesure où les PPE contribuent à construire le marché du travail, à installer des manières de faire, des pratiques « à la mode », des « façons de recruter », des manières d’évaluer les compétences, de les définir même, il est important et même nécessaire que ces PPE soient à la fois nombreux, hétérogènes et diversifiés. Or, les mouvements affectant les PPE au Maroc semblent remettre en question cette diversité et l’on assiste, semble-t-il, à une convergence des métiers et pratiques professionnelles ainsi qu’à un alignement sur les pratiques européennes. Or, le contrôle de plus en plus marqué du marché local des PPE par des firmes relevant de réseaux internationaux pose le problème de la maîtrise locale des processus de développement mais éga- 93 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH entre convergence et spécificité : Une analyse à partir du cas des prestataires privés de l’emploi au Maroc RÉFÉRENCES Ait Moussa H. (2007), La gestion des RH au Maroc, ISCAE, Casablanca Baayoud M., Zouanat (2006), La GRH au Maroc : histoire et perspectives de reconfiguration, p. 122-131 in Silva F. (ed), RH en Euroméditerranée, vol 2, Euromed Marseille Editions. Baayoud M., Zouanat (2010), Evolution de la fonction RH au Maroc, FMRH, Observatoire des RH, 7 juillet. Barabel M., Huault I., Leca B. (2006), « Esquisse d’une analyse des stratégies locales d’adaptation de l’ordre traditionnel face à la globalisation : une approche néoinstitutionnaliste », Management international, vol.10, n°3, p.19-33. Baumol W. 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La mise en place des pratiques GRH permet de positionner les entreprises selon deux axes et d’identifier quatre modes de gestion des compétences : la gestion purement administrative, la gestion administrative des compétences, la gestion vers les compétences et la gestion des compétences. Les résultats montrent que les grandes multinationales pétrolières en Tunisie pratiquent une véritable gestion des compétences, basée sur cinq pratiques essentielles que sont le référentiel des compétences, le recrutement, la formation, l’évaluation et la gestion de la carrière. Les deux autres entreprises pratiquent une gestion purement administrative et une gestion administrative des compétences. The literature identifies HRM practices which are central in competency management, including job descriptions, recruitment, training, assessment, career management, compensation and autonomy. This research explores these HRM practices in four multinational companies based in Tunisia. The empirical approach is based on a qualitative method with semi-structured interviews. The implementation of the aforementioned HRM practices allows positioning the multinationals following two axes and identifying four modes of competencies management: purely administrative HRM management, administrative competencies management, management towards competencies and real competencies management. The results show that two major oil multinationals in Tunisia practice a real competency management based on five HRM practices which are job descriptions, recruitment, training, assessment and career management. The two other companies practice a purely administrative HRM management and an administrative competencies management. MOTS-CLES: GRH, gestion des compétences, compétences techniques et comportementales, firmes multinationales, Tunisie Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 96 KEYWORDS: HRM, competencies management, technical and behavioural competencies, multinational companies, Tunisia INTRODUCTION Les firmes multinationales sont des acteurs au cœur de la globalisation économique. Elles sont obligées de surveiller leur efficience mondiale par des politiques fortement centralisées au siège, tout en accordant de la liberté et de l’autonomie de décision à leurs filiales implantées dans le monde entier, afin que celles-ci répondent rapidement aux contraintes et opportunités locales (Bratlett et Goshal, 1992). Elles jouent un rôle central dans l’économie mondiale et soulèvent des interrogations, tant pour les praticiens (Ghemawat et Hout, 2008) que pour les chercheurs (Hennart, 2009). Le contexte de la mondialisation oriente les firmes multinationales souvent vers plus de centralisation. Ainsi, les relations entre les sièges et les filiales sont devenues plus compliquées (Jaussaud et Schaaper, 2006). Le terrain tunisien est propice pour étudier les firmes multinationales parce qu’elles y implantent des filiales. L’émergence des pays du Tiers-Monde a contribué largement à la croissance économique mondiale. Selon le Forum DAVOS 2010-2011, la Tunisie se classe premier pays africain en compétitivité alors qu’au niveau mondial la Tunisie est au 32e rang en devançant plusieurs pays européens. Aussi, avec la multiplication rapide d’implantations dans le monde entier, les firmes multinationales envoient de plus en plus d’expatriés dans le monde entier. Or, cette politique d’expatriation coûte cher alors qu’elle ne produit pas toujours les effets souhaités (Black, Mendenhall et Oddou 1991 ; Latta, 1999 ; Tung, 1981). En plus, les candidats à l’expatriation commencent à manquer, principalement dans les pays où la qualité de vie est inférieure à leur pays d’origine ou à cause des contraintes familiales. C’est pourquoi les firmes multinationales transfèrent de plus en plus des postes à responsabilité à des managers locaux (Fayol-Song, 2011 ; Kühlmann et Hutchings, 2009 ; Lam et Yeung, 2010 ; Wong et Law, 1999). C’est le cas en Tunisie. Il se pose ainsi la question du développement des compétences au niveau des managers tunisiens. Il est, de ce fait, primordial d’étudier la gestion et le développement des compétences dans les firmes multinationales en Tunisie. La compétence comporte plusieurs dimensions. Elle découle d’une interaction entre le savoir, le savoir-faire et le savoir-être (Durand, 2000). Quant à la gestion des compétences, c’est un ensemble de pratiques qui ont pour objectif la détection, la gestion et le développement des compétences du personnel. Cette méthode de gestion du personnel vise l’individu comme un moyen de performance. Elle s’est développée, depuis les années 90, au sein de la Gestion des Ressources Humaines (GRH) des entreprises et se trouve désormais au cœur des stratégies de GRH des entreprises multinationales. Etant donné l’importance du terrain tunisien pour les firmes multinationales et leur besoin d’y transférer des responsabilités à des managers locaux, nous nous intéressons aux politiques de développement des compétences mises en place par ces firmes. D’où notre question de recherche : Quelles sont les pratiques de GRH que les firmes multinationales mettent en place en vue de développer les compétences des collaborateurs tunisiens ? Pour répondre à cette question de recherche, nous avons suivi une méthodologie qualitative. Nous avons effectué, entre 2008 et 97 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de la gestion des compétences dans les multinationales en Tunisie 2009, des entretiens avec des responsables de quatre filiales de multinationales en Tunisie. Un guide d’entretien semi-directif a été construit pour cette recherche. Les résultats démontrent l’existence de cinq pratiques de GRH, parmi les sept identifiées dans la littérature, au sein des entreprises étudiées. Les quatre entreprises de notre échantillon, malgré leur importance dans l’économie tunisienne, présentent cependant des stratégies de GRH différentes. Nous commencerons, dans une première partie, par présenter la gestion des compétences ainsi que ses différentes dimensions. Ensuite, nous expliquons notre méthodologie qualitative et le traitement des données collectées au cours de nos interviews. Ensuite, nous exposerons l’analyse des données et les résultats obtenus. Nous identifions cinq pratiques de GRH qui sont mises en œuvre dans les filiales des firmes multinationales de notre échantillon. Il s’agit de la description des fonctions et des compétences, le recrutement, l’évaluation, la formation et la gestion des carrières. Nous distinguons deux entreprises de notre échantillon qui gèrent leur personnel à travers une gestion des compétences, une entreprise qui gère leur personnel à travers une gestion purement administrative et, enfin, une entreprise qui gère leur personnel à travers une gestion administrative des compétences. 1. Les pratiques de la gestion des compétences La compétence est une ressource immatérielle. Il est indispensable de la définir afin de mieux cerner la gestion des compétences. La notion de compétence découle d’une interaction entre le savoir, le savoir-faire et le savoir- être (Durand, 2000). Le savoir est représenté par les connaissances ; le savoir-faire, c’est la capacité à réaliser une opération avec succès ; le savoir-être, c’est un ensemble de construits sociaux et de comportements humains. Igalens et Scouarnec (2001) proposent trois dimensions de la compétence : une dimension individuelle, qui est la source de la performance organisationnelle ; une dimension cognitive, qui permet l’analyse, le traitement et l’acquisition d’informations et, enfin, une troisième dimension sociale, qui est une construction à partir du vécu social de l’individu. Selon Schiller (1998), la compétence est une combinaison de connaissances (savoir) et de pratiques (savoir-faire) dont l’évaluation s’effectue par la mesure de la performance. La gestion des compétences est un ensemble de pratiques qui ont pour objectif la détection, la gestion et le développement des compétences d’une entreprise. Elle cible l’individu au sein d’une organisation. Pichault et Nizet (2000) parlent de « modèle individualisant », qui est centré sur les compétences à tous niveaux : l’évaluation et la rémunération des salariés, la formation et la gestion prévisionnelle des compétences axée sur le développement de l’employabilité. Colin et Grasser (2003) précisent qu’une entreprise sera considérée comme faisant de la gestion des compétences lorsqu’il y a un lien entre les résultats de l’évaluation périodique d’un salarié et sa formation, d’une part, et sa promotion, d’autre part. Parlier (2005) distingue quatre modèles de la gestion des compétences : l’usage des compétences, l’affectation des compétences, le développement des compétences et le management par les compétences. En 2002, Gunia constate que la GRH s’attribue de nouvelles fonctions, sans négliger les fonctions plus classiques, que sont l’administration, la L’analyse qui suit a été présentée lors d’un colloque sur le management Bancaire à l’IAE de Tours avec Salam Alburaki - Gouvernance mutualiste et gouvernance capitaliste : Deux univers d’organisations bancaire sur le même marché, 2009. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 98 Les pratiques de la gestion des compétences dans les multinationales en Tunisie communication, l’information, la motivation, la gestion des relations professionnelles, les études, la formation et le développement social. A partir des travaux de Parlier (2005) et de Gunia (2002), nous retiendrons, sur la base de deux axes, quatre modes de gestion du personnel, détaillés ci-dessous et présentés dans la figure 1. Le premier axe est horizontal et représente l’évolution d’une gestion administrative des ressources humaines vers une gestion du développement des compétences individuelles. Il représente négativement la gestion administrative sans de développement individuel et positivement le développement individuel. Le second axe est vertical et représente positivement le développement des compétences comme un moyen profitable à l’entreprise et au personnel, et négativement le développement des compétences qui profite uniquement à l’entreprise. Ainsi, nous identifions quatre types de gestion des compétences. 2) La gestion administrative des compétences (- +) correspond à une utilisation des compétences des collaborateurs. Bien que celles-ci soient gérées administrativement, l’entreprise et le salarié sont gagnants dans cette relation. Ce cas de figure ne prévoit pas une véritable gestion des compétences ni de pratiques totalement consacrées au développement des compétences. Malgré l’absence d’une véritable gestion des compétences au sein de l’entreprise, la compétence joue un rôle important et la direction lui donne de la valeur. 3) La gestion vers les compétences (+ -) correspond à un investissement dans le développement des compétences de la part de l’entreprise en mettant l’accent sur la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC), la formation, la politique sociale, etc. Cependant, ce type de gestion profite plus à l’entreprise qu’au salarié. 4) La gestion des compétences (+ +) 1) La gestion purement administrative des correspond à un développement individuel ressources humaines (- -) correspond à l’ab- dans une optique de performance organisence de développement individuel des com- sationnelle. Cette gestion est doublement pétences. Cette gestion des compétences est positive au sens d’une gestion des compédoublement négative. Elle profite uniquement tences. Ici, le développement des compéà l’entreprise et ne prévoit pas de développe- tences est profitable autant pour l’entreprise ment des potentiels humains. que pour l’ensemble des collaborateurs. Figure 1 : Identification de la gestion des compétences 99 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de la gestion des compétences dans les multinationales en Tunisie Ces quatre zones permettront d’identifier la nature de la gestion des compétences mise en œuvre par les multinationales étudiées. Il est primordial d’étudier les différentes pratiques liées à la gestion des compétences afin d’identifier la stratégie des ressources humaines des entreprises. En ce sens, Parlier (1996) présente la gestion des compétences comme une stratégie globale, composée d’un ensemble de pratiques spécifiques à une entreprise. En vue d’une véritable gestion de développement des compétences des collaborateurs, un certain nombre d’auteurs définissent différentes pratiques de GRH. Youndt, et al. (1996) par exemple identifient comme pratiques le recrutement, la formation, l’évaluation de la performance et la rémunération. Huselid (1995) pour sa part voit comme pratiques la sélection du personnel, l’évaluation du rendement, la rémunération incitative, la conception des tâches, les procédures de règlement des réclamations, le partage de l’information, l’évaluation de l’attitude, le travail de gestion participative, l’intensité des efforts de recrutement, la formation et la promotion. Igalens et Scouarnec (2001) déterminent comme pratiques le recrutement, l’évaluation, la formation, la carrière, la rémunération et l’organisation du travail. Le Boterf (2000) propose comme pratiques de GRH pour développer les compétences le référentiel, le recrutement, la mobilité interne, la relation sociale, l’organisation du travail, la rémunération des compétences réelles, le processus et projets opérationnels, la délégation et une proximité importante, le plan de formation, la communication interne, l’évaluation et l’autonomie. Berio et Harzallah (2007) décomposent la gestion des compétences en plusieurs séquences : l’identification, l’évaluation, l’acquisition et l’usage des compétences. Zarifian (2000) décrit la gestion « par les compétences » comme un système qui donne plus d’autonomie aux salariés. A travers de la revue de la littérature académique, plusieurs pratiques de GRH de gestion de compétences sont repérées plusieurs fois, que nous résumons dans le tableau 1. Au cours de cette recherche, les pratiques de GRH les plus mentionnées seront étudiées en y incluant les pratiques les plus connues que sont la rémunération par les compétences et l’autonomie des employés. Tableau 1 : Synthèse des pratiques de GRH pour développer la gestion des compétences Auteur Huselid Youndt, Le Boterf Zarifian (1995) et al. (2000) (2000) Pratiques (1996) Référentiel Igalens et Scouarnec (2001) X X Recrutement X X X X Évaluation X X X X Formation X X X X Rémunération X X X X Carrières X X X Autonomie Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 X 100 Berio et Harzallah (2007) X X Les pratiques de la gestion des compétences dans les multinationales en Tunisie Pour notre étude empirique, sur la base de la littérature et le tableau de synthèse, nous étudions sept pratiques de la gestion des compétences soit la description de fonction et des compétences (ou référentiel), la rémunération, la formation, l’évaluation, la gestion des carrières, le recrutement et l’autonomie. Ci-dessous nous détaillons chacune des pratiques de GRH retenues. - Description des fonctions et des compétences (référentiel). Selon Oiry (2004), les réflexions sur une gestion par les compétences passent obligatoirement par le référentiel des compétences. Ce référentiel permet d’identifier et de comparer les compétences requises pour un emploi avec les compétences acquises d’un collaborateur. Cette pratique est réalisée avec beaucoup d’objectivité et nécessite une dynamique à travers l’évolution de l’emploi concerné (Oiry et Sulzer, 2002). - Rémunération par les compétences. La rémunération devrait se fixer par rapport aux compétences de l’employé et non pas par rapport au poste de travail qu’il occupe ou autres critères comme l’ancienneté. La rémunération par les compétences doit être la priorité des entreprises poursuivant une stratégie de qualité (Zarifian, 1999 ; Lawler, 1990). - Formation. La formation est un atout d’apprentissage et d’évolution professionnelle. Au plan stratégique, la formation joue un rôle primordial pour développer un “capital de compétence” (Rivard 2000). - Evaluation. Le système d’évaluation est un outil permettant la confrontation des salariés à leurs compétences acquises et à celles qui sont à développer dans le futur. Cette évaluation se base sur des entretiens, dans la plupart des cas entre le salarié et son supérieur hiérarchique, et est en géné- ral annuelle. Selon Levy-Leboyer (2002) et Layole (1996), l’évaluation a deux objectifs principaux : elle permet d’abord de dialoguer sur les résultats et le bilan annuel ; puis c’est également un outil de mesure des compétences des collaborateurs à l’issu d’une auto-évaluation. - Gestion des carrières. Selon Colin et Grassier (2003), la gestion des compétences doit accorder une place importante à la qualification, à la classification et à la carrière. Un plan de carrière individuel apporte une idée sur les compétences futures à acquérir. - Recrutement. Geffroy et Tijou (2002) considèrent que les pratiques de la gestion des compétences poursuivent trois finalités que sont d’abord la gestion des carrières et la mobilité interne des salariés ; ensuite, la formation et le développement personnel et, enfin, le recrutement. Le processus de recrutement doit prendre en considération les dimensions de la compétence des candidats. Chung-Herrer et al. (2003) précisent que des critères comme la manière et le comportement pour réaliser un travail doivent intégrer les critères de la performance lors du recrutement. - Autonomie. Zarifian (2000) précise que la compétence est fortement requise dans les nouvelles formes organisationnelles en apportant de l’initiative et de l’autonomie au personnel. La responsabilité des salariés ne se limite plus aux résultats des processus mais également aux conditions d’exercice, comme la compréhension des situations à traiter, et au pilotage, soit l’autonomie relative, et l’arbitrage (Yahiaoui, 1999). Nous présenterons ci-dessous un tableau qui résume les sept pratiques étudiées : 101 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de la gestion des compétences dans les multinationales en Tunisie Tableau 2 : Présentation des sept pratiques de la gestion des compétences Pratiques Détails Auteurs Description des fonctions et des compétences (référentiel) Identifier et comparer les compétences requises et acquises. Grilles et fiches de poste. Oiry (2004) ; Oiry et Sulzer (2002) Rémunération par les compétences Rémunérer par les compétences est la base d’une stratégie de qualité. Zarifian (1999) ; Lawler (1990) Formation Planifier les formations futures. Développer un capital de compétences. Rivard (2000) Evaluation Se baser sur un entretien annuel. Aborder les résultats et les compétences. Levy-Leboyer (2002) ; Layole (1996) Gestion des carrières Un plan de carrière individuel. Performance et compétences. Colin et Grassier (2003) Recrutement Réaliser un meilleur recrutement pour une gestion des compétences. Recruter sur la base de travail en équipe, de connaissances, de performance et de comportement Geffroy et Tijou (2002) ; Chung-Herrer et al. (2003) Autonomie Attribuer plus d’initiative et d’autonomie aux salariés Zarifian (2000) ; Yahiaoui (1999) L’ensemble des sept pratiques cohérentes et complémentaires permet aux entreprises de mettre en place une gestion des compétences. Chaque pratique contribue au développement des compétences, considérées comme un ensemble de savoirs, savoirs-être et savoirs-faire. 2. Méthodologie La démarche qualitative retenue pour cette recherche s’explique par plusieurs raisons. Ce choix prend en compte la complexité du terme compétence et des techniques de gestion du personnel. Cette décision se base également sur le but de comprendre et d’expliquer la compétence au sein de chacune des sept pratiques étudiées. Les recherches sur la compétence et les études interprétatives qui ont été effectuées, telles que les travaux de Benner (1986), ou de Schon (1983), suggèrent que la compétence dépend du Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 102 contexte. De ce fait, une méthodologie qualitative, basée sur des entretiens semi-directifs, permettra de comprendre le contexte où évoluent les pratiques de la gestion des compétences, et le rôle que joue la compétence au sein de chaque pratique GRH. Les données ont été collectées à partir d’entretiens semi-directifs entre 2008 et 2009 sur la base d’un guide d’entretien. Chaque entretien débute par une présentation générale de l’entreprise. Ensuite, le dialogue s’oriente vers la gestion des ressources humaines ainsi que vers les moyens structurels et technologiques utilisés pour la gestion du personnel. Enfin, nous avons entrepris la discussion des sept pratiques choisies pour cette recherche. Chaque pratique a fait l’objet d’une discussion à part entière. Nous avons ciblé les filiales de quatre multinationales, dont deux dans le secteur pétrolier, une dans le secteur électronique et une dans Les pratiques de la gestion des compétences dans les multinationales en Tunisie le secteur de l’automobile. L’entreprise ’A’, qui emploie plus de 50 000 collaborateurs, est un groupe américain dans le secteur pétrolier. L’entreprise ’B’, qui emploie plus de 150 000 collaborateurs, est un groupe français qui opère également dans le secteur pétrolier. Les deux autres entreprises ont beaucoup moins de personnel. La première, l’entreprise ’C’, est dans le secteur de l’électronique avec 3 500 collaborateurs ; la seconde, l’entreprise ’D’, est dans le secteur de l’automobile et emploie à peu près 500 salariés. Au cours des entretiens, nous avons interrogé deux Directeurs des Ressources Humaines, un responsable du développement interne et un auditeur. Les données collectées ont été traitées suivant la méthode de l’analyse de contenu thématique en deux étapes. Les entretiens ont été retranscrits dans une grille d’analyse de contenu thématique, dans laquelle chaque colonne représente un entretien et chaque ligne une question ou sous-question du guide d’entretien. Dans un premier temps, l’ensemble des discours a été redistribué intégralement dans les cases de cette grille d’analyse. Ensuite, les contenus des cases ont été codés, c’est-à-dire réduits à des mots-clés ou à de courtes phrases synthétiques (Miles et Huberman, 1994, p. 56). Ce codage a servi à identifier les dimensions clés des discours, soit en prolongement direct des thèmes du guide d’entretien, donc fondés sur la littérature académique, soit en émergence pure à partir des points abordés et des explications fournies par les répondants (EasterbySmith et al., 2008, p. 73). Nous présentons dans un premier temps les résultats cas par cas. Une analyse des quatre multinationales donnera des informations pertinentes sur la gestion des compétences au sein de chacune d’elles. Ensuite, nous discuterons les résultats avec une analyse transversale des différentes pratiques de notre étude. 3. Résultats Le choix des quatre multinationales s’est effectué suivant leur classement en Tunisie. Elles sont classées parmi les treize meilleures entreprises en Tunisie selon l’Économiste Maghreb 2009. Les sept pratiques de GRH retenues pour notre recherche ont été étudiées au sein de ces quatre filiales. Nous présenterons les quatre cas étudiés afin de déterminer leur mode de gestion des compétences. Multinationale A : Groupe pétrolier La multinationale ’A’ a implanté un programme de développement humain. Sa gestion des ressources humaines est imposée par la maison mère et très contrôlée par le siège régional Afrique. Le groupe a mis en place un Système Informatisé des Ressources Humaines (SIRH) avec un module de gestion des compétences. Ce SIRH est développé spécifiquement pour le groupe et intègre toutes les filiales dans le monde. La gestion des compétences est ainsi structurée et imposée par la maison mère. La première pratique de notre étude, la description des fonctions et des compétences est réalisée en Tunisie. En revanche, l’analyse est effectuée au siège Afrique, et non à Tunis, par deux experts spécialisés de la méthode Hays, très connue dans le monde de la GRH. Le recrutement est également contrôlé par le siège régional Afrique. La filiale tunisienne réalise la sélection du candidat et transfère sa demande à travers le SIRH au siège régional. Ce dernier valide, ou non, le recrutement ainsi que la rémunération. Lors de la sélection des candidats, la multinationale recherche les compétences relationnelles et la volonté de réussite au travail. Le recrutement s’effectue selon deux logiques. D’abord, 103 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de la gestion des compétences dans les multinationales en Tunisie l’entreprise privilégie un recrutement interne ; si un candidat interne n’est pas trouvé, un recrutement externe est réalisé. Selon l’interlocuteur : « les critères et la procédure de recrutement en interne sont semblables à ceux d’un recrutement externe ». Il précise que « lors d’un recrutement interne, les exigences sont aussi élevées que lors d’un recrutement externe. On ne favorise pas le recrutement par connaissance ou par affinité ». Dans le but d’évaluer le personnel, le groupe a instauré l’évaluation 360° et l’autoévaluation. La première technique permet d’évaluer à la fois le collaborateur par son supérieur et le supérieur par son collaborateur. Au sein du groupe ’A’, il existe deux entretiens d’évaluation chaque année. Le premier évalue uniquement la performance au milieu de l’année, tandis que le second évalue la performance et la compétence à la fin de l’année. L’évaluation a comme objectif la réalisation d’un plan de formation, la négociation de la rémunération ainsi que la mobilité interne et la gestion des carrières. Pour toute évolution professionnelle ou augmentation de la rétribution, la multinationale en Tunisie prend en considération la performance, l’ancienneté et l’expérience ainsi que les compétences relationnelles. Au cours de l’entretien d’évaluation, une discussion sur l’évolution des compétences du collaborateur aboutit sur un plan de formation annuel. Ce plan a pour objectif de réduire l’écart entre les compétences requises pour un emploi et les compétences acquises par le collaborateur. Au sein de la filiale tunisienne, les formations sont davantage orientées, vers des formations techniques plutôt que comportementales. Enfin, le groupe a mis en place un club sportif pour l’ensemble des collaborateurs et leurs familles. Le bien-être du personnel est primordial pour la performance du groupe, c’est ce qu’a confié l’interviewé au cours de notre entretien. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 104 L’entreprise ’A’ favorise, au sein de sa filiale en Tunisie, la mobilité interne et l’encourage auprès du personnel. Selon l’interviewé, cette mobilité permet un développement des compétences du personnel et elle lui apporte un nouveau regard sur un autre métier. Notre interlocuteur explique « On investit beaucoup pour nos salariés dans la formation ; le bien-être et la rémunération, nous souhaitons les garder, c’est pour cette raison que nous faisons des enquêtes salariales en Tunisie et qu’on se positionne parmi les meilleurs salaires en Tunisie ». Malgré le fort intérêt envers l’individu, la direction, principalement la maison mère, exerce cependant un contrôle strict afin de diminuer le degré d’autonomie et d’initiative des employés. L’interviewé précise que la fragilité du secteur n’autorise pas une grande initiative des collaborateurs : « la moindre erreur grave peut amener une crise interne et financière importante, c’est ce que nous voulons éviter ». Multinationale B : Groupe pétrolier Le groupe ’B’ a plus de 150 000 collaborateurs en Tunisie. Afin de gérer l’ensemble des collaborateurs, la direction a implanté un Système Informatisé des Ressources Humaines, lequel intègre un module compétence. Ce système a pour vocation de gérer l’administration du personnel et la gestion des compétences de celui-ci. A la différence du premier cas, l’entreprise ’B’ gère elle-même les ressources humaines. La maison mère en France n’intervient pas systématiquement dans les décisions et les analyses de compétences. Les fiches de fonction et les grilles de compétences permettent à la direction de mieux évaluer les savoirs-faire et les savoirs-être des employés. Cette étape, élaborée et réalisée au sein de la filiale tunisienne, aboutit sur la mise en place des plans de formations individuelles et collectives. Les pratiques de la gestion des compétences dans les multinationales en Tunisie La filiale pétrolière en Tunisie vise lors de son processus de recrutement à détecter et à recruter les candidats les plus compétents. L’entreprise recherche les compétences techniques liées au travail à effectuer ainsi que les compétences comportementales. Selon le DRH, « les diplômes sont importants pour bien cibler un candidat, mais le plus important par la suite, ce sont les capacités » à tirer de celui-ci pour la performance de l’entreprise. Au cours de notre entretien, d’autres pratiques retenues pour cette recherche ont été abordées. Par exemple, l’évaluation est un outil très important pour cette firme multinationale. Elle permet de gérer les compétences individuelles. De même que l’entreprise ’A’, il y a une fréquence de deux entretiens par an. L’interviewé évoque que « le premier entretien individuel évalue la performance et les problèmes rencontrés au travail. Le second entretien a pour objectif d’évaluer la performance et les compétences de chaque collaborateur ». L’évaluation ne se réalise pas, comme le premier cas, dans les deux sens. La direction pratique l’autoévaluation ainsi que l’évaluation des collaborateurs par leur supérieur hiérarchique. Ces éléments d’évaluation sont regroupés et apportés lors de l’entretien d’évaluation entre le collaborateur et son supérieur. Selon l’interlocuteur, l’entretien d’évaluation se déroule habituellement dans une ambiance « décontractée et relâchée ». Cette pratique d’évaluation permet de mettre en place un plan de formation, de négocier le salaire, d’établir un plan de carrière et de discuter des opportunités de mobilité interne. Le développement des compétences est conduit par un plan de formation et de mobilité interne. Les formations sont plutôt de nature technique, liées directement au travail. Les formations managériales sont réservées aux managers d’équipe et à la direction. Cependant, les formations comportementales sont peu développées dans cette filiale. Au niveau de la pratique de la rémunération, celle-ci est négociée annuellement lors de l’entretien d’évaluation de fin d’année. L’augmentation éventuelle de la rémunération dépend, selon le DRH, « de la performance ainsi que de l’échelon de chaque collaborateur ». Elle est basée sur une grille de rémunération préétablie. De ce fait, la négociation est très limitée et elle ne porte pas sur les compétences. Dans une stratégie de motivation et de développement des compétences, la direction de cette filiale pétrolière en Tunisie encourage massivement la mobilité interne. Le DRH a confié que, lors de la signature du contrat, l’ensemble des recrutés s’engage à changer de poste ou de département si c’est nécessaire. Par exemple, le DRH était dans la direction commerciale et a travaillé dans plusieurs postes dans différents départements. Cette mobilité interne entre différents services et emplois au sein de l’entreprise favorise le développement des compétences professionnelles des employés. Notre analyse des données montre que cette multinationale ’B’ a mis en place une gestion des compétences, selon nos quatre modes de gestion du personnel. Cette gestion est composée de différentes pratiques de GRH, dont la description des fonctions et des compétences, le recrutement, l’évaluation, les plans de formation et la mobilité interne. Cependant, la rémunération est exercée suivant une grille prédéfinie. Elle ne suit pas les principes de la gestion des compétences du fait qu’elle ne porte pas sur les dimensions de la compétence. De la même manière que la multinationale ’A’, la multinationale ’B’ cherche à recruter les meilleurs employés et à être parmi les 25% des entreprises tunisiennes qui payent le mieux ses collaborateurs. L’objectif est de détecter, de recruter et de fidéliser les collaborateurs les plus compétents. 105 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de la gestion des compétences dans les multinationales en Tunisie Multinationale C : Entreprise électronique Cette entreprise de 3500 collaborateurs a implanté un système d’information de gestion administrative des ressources humaines. Alors que le DRH souligne l’importance des capacités individuelles, la direction n’a pas investi dans un module “compétence”. La direction des ressources humaines, avec la participation des autres directions, a mis en place des fiches de fonction. La synthèse de ces fiches n’est effectuée que pour les fonctions de directeur et de manager. Une grille des compétences est remplie par les collaborateurs et archivée. Pour ce qui est de la pratique du recrutement, la direction privilégie de détecter les compétences de communication et la polyvalence des candidats. L’avantage d’une telle démarche est d’identifier les personnes polyvalentes pour une éventuelle mobilité et des besoins internes de l’entreprise. Les compétences de communication sont indispensables, selon le DRH, pour échanger correctement avec la maison mère. Les différentes dimensions de la compétence (savoir, savoirfaire et savoir-être) sont peu présentes dans le processus de recrutement. De même que pour les deux premiers cas, l’évaluation des salariés est importante au sein de cette entreprise. Cependant, elle n’est pratiquée qu’une seule fois par an, à la fin de l’année sur la base d’un entretien individuel entre le salarié et son supérieur hiérarchique. Cette multinationale n’a pas mis en place l’autoévaluation. Le directeur des ressources humaines a précisé que l’objectif de l’évaluation est de « mesurer la performance et la qualification individuelles ». Au cours de l’entretien de l’évaluation, les deux parties n’établissent pas un plan de formation ou un plan de carrière. La direction utilise le plan de suc- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 106 cession de développement des compétences, qui établit des formations pour d’éventuelles promotions futures. La rémunération, comme pour les autres cas, est basée sur une grille de salaires et est fixée à l’avance avec une petite fourchette de négociation selon les résultats. Les compétences sont peu intégrées dans le processus de la rémunération. Au niveau de la gestion des carrières, la compétence n’a pas d’importance. L’opportunité d’évolution ou de mobilité interne souhaitée par l’individu est tributaire uniquement de son ancienneté au sein de l’entreprise. La notion de compétence est donc inexistante. Le DRH, que nous avons interviewé, précise que la pratique de la gestion des carrières est en cours d’évolution afin d’intégrer davantage la notion de compétence. Concernant l’autonomie des salariés, elle est inexistante comme pour les deux multinationales ’A’ et ’B’. En effet, les procédures prennent une place importante et l’initiative individuelle est peu appréciée. Cette multinationale donne de l’intérêt à la compétence et à son développement. Cependant, les pratiques que nous avons étudiées n’intègrent pas toutes les dimensions de la compétence pour que nous puissions dire que cette entreprise fait réellement de la gestion des compétences. L’existence de formation professionnelle et d’une gestion efficace du personnel permet de conclure que les collaborateurs profitent de cette gestion pour développer leurs compétences. Cependant, le manque de gestion des carrières et d’analyse des fiches de fonctions montre que la gestion individuelle n’est pas très développée. Cette entreprise se trouve dans notre seconde zone de gestion du personnel, à savoir la gestion administrative des compétences. Les pratiques de la gestion des compétences dans les multinationales en Tunisie Multinationale D : Entreprise d’automobile Le dernier cas que nous allons présenter est une entreprise de 500 collaborateurs. La filiale tunisienne a mis en place un logiciel de planification des ressources de l’entreprise ou Enterprise Resource Planning (ERP). Cependant, l’interviewé considère que l’ERP est peu utilisé par rapport à ses possibilités. Au niveau des ressources humaines, l’outil informatique est utilisé seulement pour la gestion administrative du personnel. Au niveau des pratiques étudiées, l’auditeur de la société a élaboré, deux ans avant notre entretien, un modèle de fiche de poste pour l’ensemble du personnel. Ces fiches de poste collectées n’ont jamais été analysées et la direction n’a pas identifié ni les compétences requises par les emplois ni celles acquises par les employés permettant de mettre en place un plan de formation. La détection des capacités individuelles n’est pas une priorité stratégique de la direction. Nous remarquons cette stratégie dès le début, au niveau du recrutement. Celui-ci est centré sur les diplômes obtenus et le niveau d’expérience des candidats. Les différentes dimensions de la compétence ne sont pas des critères de recrutement. La pratique de recrutement ne fait donc pas partie d’une gestion des compétences pour cette multinationale. A la différence des trois cas précédemment étudiés, l’évaluation des collaborateurs de cette entreprise ne se fonde pas sur un entretien individuel. L’outil utilisé est une fiche d’évaluation que le supérieur hiérarchique remplit et que le directeur des ressources humaines valide. L’interviewé déclare que l’évaluation est très subjective. Il n’y a pas de critères définis mais seulement l’appréciation et la relation que le supérieur hiérarchique a avec ses subordonnés. Cette évaluation est effectuée une fois par an. Elle ne donne pas lieu à un plan de formation ou à un plan de carrière, ni à une négociation de la rémunération. Par ailleurs, l’autonomie est peu autorisée, comme dans les autres cas étudiés. Nous remarquons que la direction de cette entreprise n’est pas très portée vers la détection, la gestion et le développement des compétences. Par conséquent, cette entreprise est dans la zone de la gestion purement administrative de ses ressources humaines. Après ces quatre études de cas, nous discuterons les résultats de manière transversale pour chacune des sept pratiques étudiées. 4. Discussion Selon nos observations des quatre cas, les deux entreprises pétrolières ont implanté une gestion des compétences. Ces deux entreprises ont un nombre de collaborateurs très important, plus de 50 000 pour l’une et de 150 000 pour l’autre. Les deux autres multinationales que nous avons étudiées n’ont pas mis en place une gestion des compétences Elles gèrent leur personnel différemment. Les deux entreprises pétrolières ont une gestion des compétences similaires au niveau des pratiques. Leur gestion des compétences est composée de la description des fonctions et des compétences, du recrutement par les compétences, de l’évaluation avec deux entretiens annuels, d’un plan de formation individuel et d’une gestion des carrières individualisée avec un fort encouragement à la mobilité interne. La gestion des compétences au sein de ces deux multinationales est donc composée de cinq pratiques de GRH, parmi les sept que nous avons identifiées sur la base de littérature académique. En revanche, les interviewés de ces deux entreprises ont déclaré que l’initiative du per- 107 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de la gestion des compétences dans les multinationales en Tunisie sonnel n’est pas appréciée. Ceci est dû à la fragilité de leur secteur d’activité. En effet, le secteur pétrolier est régi par plusieurs normes internes et internationales en matière de sécurité et de qualité des produits. Le cas ’A’, un groupe américain, réalise toutes les deux semaines un audit des différents entrepôts et tous les trois à quatre mois un audit complet. L’interlocuteur a déclaré que « la maison mère préfère perdre de l’argent sur des audits réguliers au lieu d’avoir un crash financier lors d’un incident ». Afin de garder leurs collaborateurs les plus compétents, les deux entreprises pétrolières réalisent des études des rémunérations en Tunisie. Elles se positionnent au niveau des salaires les plus élevés dans le but d’attirer les meilleurs candidats et de les fidéliser. Nous notons que cette pratique de la rémunération est partiellement intégrée à la gestion des compétences. Même si les deux entreprises ne rémunèrent pas par les compétences, elles valorisent les capacités individuelles par une rémunération très attractive. Nous avons codifié les pratiques par des notations bien définies. Le codage des données a suivi le principe que la compétence est un ensemble de savoir, savoir-faire et savoir-être. - les pratiques où la compétence est identifiée sont notées par « 1 » ; - les pratiques où la compétence n’est pas identifiée sont notées par « 0 » ; - les pratiques où au moins une dimension de la compétence est identifiée sont notées par « 0,5 ». Tableau 3 : Présentation des résultats des pratiques de la gestion des compétences Etreprise Auteurs Description fonctions & compétences Recrutement Evaluation Formation Carrière Rémunération Autonomie Conclusion A Pétrolier 1 1 1 1 1 0,5 0 Gestion des compétences B Pétrolier 1 1 1 1 1 0,5 0 Gestion des compétences C Électronique 0,5 0,5 0,5 0,5 0 0 0 GRH administrative des compétences D Automobile 0 0 0 0 0,5 0 0 GRH purement administrative Les pratiques observées sont classées dans l’ordre (de droite à gauche) selon l’importance de la compétence au sein de celle-ci. L’objectif d’un tel classement est de comprendre l’importance de chaque pratique dans la détection, la gestion et le développement des compétences. Nous remarquerons que la gestion des compétences des multinationales en Tunisie est pour l’essentiel composée de cinq pratiques de GRH, parmi un ensemble des sept, qui seront revues chacune ci-dessous. - Description des fonctions et des compétences. Il s’agit d’une pratique utilisée par les entreprises afin de détecter les compétences requises pour un emploi et les Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 108 compétences acquises par un salarié. Les firmes multinationales ’A’ et ’B’ utilisent cet outil de manière appropriée y compris l’analyse nécessaire pour une meilleure détection et développement des compétences. Cette pratique est moyennement utilisée par l’entreprise ’C’. Cependant, pour l’ensemble des postes de travail, elle ne procède pas à une analyse des écarts de compétences afin de les réduire. Les grilles et les fiches de compétences de l’entreprise ’D’ ne font pas l’objet d’une analyse et elles sont standards à l’ensemble des postes. - Recrutement. Les firmes étudiées sont à la recherche de plus en plus de compétences spécifiques. Les deux firmes pétrolières recherchent des candidats avec un potentiel Les pratiques de la gestion des compétences dans les multinationales en Tunisie d’adaptation, de comportement et de performance. L’entreprise ’C’ privilégie la polyvalence aux compétences de travail et aux connaissances. L’entreprise ’D’ a des critères de recrutement liés aux diplômes et aux pistons, qui sont des méthodes qui n’ont rien à voir avec une gestion de compétences. - Evaluation. La pratique de l’évaluation est basée sur un entretien individuel, qui est effectué deux fois par an pour les deux entreprises pétrolières et une fois par an pour l’entreprise de l’électronique. Cette pratique consiste à évaluer la performance et le comportement pour les entreprises ’A’ et ’B’. L’entreprise ’C’ évalue seulement la performance. Enfin, elle est basée sur l’appréciation subjective du salarié pour l’entreprise ’D’. - Formation. Cette pratique consiste à fixer un plan de formation, qui résulte de l’évaluation individuelle pour les deux firmes pétrolières. Les formations sont plutôt techniques que comportementales. Nous remarquons une absence d’un plan de formation formel pour l’entreprise ’C’ de même qu’un manque important au sein de l’entreprise ’D’ d’une réelle stratégie de formation professionnelle. - Gestion des carrières. Les firmes pétrolières ’A’ et ’B’ se caractérisent par une bonne gestion des carrières des employés tunisiens. L’évolution professionnelle est basée sur la performance au travail et l’attitude des collaborateurs. Les deux entreprises favorisent également la mobilité interne afin de développer les compétences individuelles. Au contraire, les entreprises ’C’ et ’D’ n’ont pas mis en place une gestion des carrières au sens d’une gestion des compétences. L’évolution des carrières dans ces deux entreprises s’effectue principalement sur l’ancienneté. En revanche, deux pratiques qui, selon la littérature, font habituellement partie d’un ensemble en vue d’une gestion de compétences ne sont pas implantées par les firmes multinationales de notre échantillon, à savoir la rémunération et l’autonomie du personnel. - Rémunération. Dans aucun cas étudié, la pratique GRH de rétribution des collaborateurs est basée sur les compétences. Pour les quatre entreprises, elle est au contraire basée sur une grille préétablie par la direction. Cependant, les deux entreprises pétrolières se positionnent parmi les salaires les plus élevés en Tunisie qui leur permet d’attirer des salariés compétents. - Autonomie. L’ensemble des quatre firmes multinationales n’encourage pas l’initiative et l’autonomie au travail. La fragilité des secteurs explique le choix des quatre directions de minimiser l’autonomie des salariés au sein de leur entreprise. La gestion des compétences, mise en place par les entreprises étudiées, privilégie les compétences techniques qui sont directement liées au travail. Les termes comme “la connaissance” et “le savoir” sont peu mentionnés au cours de nos entretiens. Ce sont plutôt les termes comme “la performance” et “le relationnel” qui ont été les plus évoqués. Les interviewés considèrent que la performance est due en partie au savoir de l’individu. S’il y a performance, il y a certainement des connaissances individuelles et collectives acquises. Cette recherche permet d’identifier les compétences ciblées par les multinationales ayant mis en place une gestion des compétences. Elle apporte des réponses sur la question de recherche à savoir quelles pratiques de GRH sont mises en place par les firmes multinationales en vue de développer les compétences des collaborateurs tunisiens. Nous apportons à travers cette recherche une réponse sur les modes de gestion du personnel au sein des multinationales en Tunisie. Conclusion L’objectif de cette étude a été de répondre à la question de recherche : Quelles sont les pratiques de GRH mises en place par les firmes multinationales en vue de développer les compétences des collaborateurs tunisiens ? Nous avons présenté, en nous fondant sur la littérature académique, sept pratiques GRH, que sont la description des fonctions, le recrutement, l’évaluation, la formation, la gestion des carrières, la rémunération et l’autonomie. 109 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de la gestion des compétences dans les multinationales en Tunisie Ces pratiques contribuent à détecter, à gérer et à développer les compétences des salariés. Aussi, sur la base des travaux de Gunia (2002) et Parlier (2005), nous avons identifié quatre modes de gestion des compétences du personnel, à savoir la gestion purement administrative, la gestion administrative des compétences, la gestion vers les compétences et la gestion des compétences. Notre démarche s’est basée sur une recherche qualitative avec une étude de quatre multinationales en Tunisie. Un guide d’entretien semi-directif a permis de collecter les données nécessaires au cours des entretiens auprès de deux directeurs des ressources humaines, un responsable de développement interne et un auditeur. Parmi les quatre cas étudiés, les deux grandes multinationales pétrolières ont véritablement mis en place une gestion des compétences, basée sur cinq pratiques de GRH, que sont la description des fonctions et des compétences, le recrutement par les compétences, l’évaluation individuelle, le plan de formation et la gestion des carrières. En revanche, la rémunération n’est pas basée sur les compétences. L’autonomie et l’initiative personnelle sont inexistantes pour l’ensemble des quatre firmes multinationales. Les deux autres cas, qui sont des multinationales du secteur de l’électronique et de l’automobile, n’ont pas mis en place une gestion des compétences mais, respectivement, une gestion administrative des compétences et une gestion purement administrative.Cette recherche connaît des limites. D’abord, il y a la limite liée au nombre d’entretiens et des cas étudiés. Il est, en effet, difficile d’accéder aux grandes firmes multinationales en Tunisie. Ensuite, ce sont des entreprises très protégées, par crainte d’espionnage de leurs outils de GRH. Après, comme il est difficile d’étudier toutes les pratiques de gestion du personnel mentionnées dans la littérature, nous avons dû faire des choix. Le choix s’est orienté vers l’étude de sept pratiques GRH de la gestion des compétences, en excluant peut-être d’autres à tort. Enfin, nous avons aussi rencontré la dif- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 110 ficulté de connaître a priori les entreprises qui auraient mis en place une gestion des compétences. En effet, le terrain tunisien n’admet pas de liste des multinationales ayant mis en place une gestion des compétences. L’existence d’une telle liste nous aurait permis de mieux cibler notre échantillon et d’interroger des firmes multinationales ayant mis en place cette gestion. Nos résultats, à la lumière des limites, apportent des perspectives pour des recherches futures. D’autres multinationales implantées en Tunisie, et plus généralement au Maghreb, sont à explorer. La gestion des compétences est en pleine croissance dans les pays de l’Afrique du Nord. Nous pourrions donc réaliser une recherche quantitative sur la base d’un questionnaire détaillé envoyé à un grand nombre de firmes multinationales en Tunisie et au Maghreb. Aussi, afin de mieux connaître les spécificités d’un secteur, il est utile d’étudier un secteur d’activité bien déterminé. Références : Bartlett C.A. et Ghoshal S. (1992), What is a global manager ? Harvard Business Review, Vol. 70, p. 124-132. Berio G. et Harzallah M. (2007), Towards an integrating architecture for competence management, Computer in industry, Vol. 58, p. 199-209. Black J.S., Mendenhall B. et Oddou G. (1991), Toward a comprehensive model of international adjustment : An integration of multiple theoretical perspectives, Academy of Management Review, Vol. 16, No. 2, 291-317 Chung-Herrere B.G., Cathy, A.E. et Lanka M.J (2003), Grooming Future Hospitality Leaders : A Competencies Model. Cornell Hotel and Restaurant Administration Quarterly, June, p. 17-25 Colin T., et Grasser B. (2003), La gestion des compétences : vraie innovation ou trompel’œil ?, Colloque DARES du 27 février 2003 – Paris, Ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité. 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(2000), Sur la question de la compétence, Les Annales des Mines, No.62, p. 25- 28. 111 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie Khaled TAHARI Malik MEBARKI GRECORH-LAREEM Université d’Oran Université de LILLE 1- France RESUME ABSTRACT Ce travail se penche sur la question de la diffusion et/ou de la construction d’un modèle de gestion performant prenant en charge les exigences du nouveau contexte institutionnel d’économie de marché. Cette question est abordée sous l’angle de la construction ou déconstruction-reconstruction comme processus de diffusion d’un modèle de GRH point fondamental dans le changement organisationnel que connaissent les entreprises algériennes confrontées au changement institutionnel décliné sous le vocable de transition vers l’économie de marché qui semble durer. Il s’agit des éléments institutionnels, organisationnels et culturels qui structurent les comportements des individus et groupes. Certains de ces éléments ne relèvent pas du champ économique même si le champ économique peut renvoyer à des considérations culturelles qui le balisent. In this text, we study the question of the diffusion and/ or the construction of a new management model which gives a place to the exigencies of the new context of an opened economy. We insist on the institutional, organizational and cultural dimensions which structure and embed the change in situation of economic transition toward a market economy. By cultural dimension we mean the elements which guide the behavior of the persons and the groups not necessary economic elements even if those ones contribute to structure the firm. MOTS-CLES:diffusion, modèle de gestion, culture, entreprise, changement, marché Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 112 KEYWORDS: diffusion, culture, management model, change, market, firm INTRODUCTION Ce travail traite la question de la mondialisation sous l’angle de la construction et/ou de la déconstruction-reconstruction de la GRH dans les entreprises en Algérie. La mondialisation, du fait de la mobilité des marchandises et des capitaux et l’émergence d’un marché de travail qui en découle, fragilise la position des entreprises existantes. Elle remet en cause des positions acquises dans des marchés qui étaient alors protégés. Il s’avère de ce fait indispensable de développer une GRH proactive, au moins réactive, avec une exigence de compétitivité dans un marché de biens et services qui s’ouvre à l’importation et aux capitaux étrangers qui viennent s’investir en Algérie. Ces entreprises sont obligées d’adapter leur organisation et leur fonctionnement aux nouvelles dispositions contextuelles. Dans ce nouveau contexte d’économie ouverte, l’Etat opère un changement important dans l’organisation des entreprises publiques et proclame la nécessité d’une autre culture de management imposant une autre GRH. D’une gestion administrative des personnels on cherche à passer à une GRH orientée vers la compétence et la performance (Tahari K. et Mebarki M., 2009). Une redéfinition de l’entreprise (y compris l’entreprise publique) et de la gestion s’opère sur le plan sémantique. Elles sont recentrées sur leur finalité économique comme objectif qui supplante tous les autres mettant ainsi au centre des préoccupations de la gestion le respect de la contrainte budgétaire et des modalités de valorisation du capital. L’entreprise reconstruit sa vocation originelle comme lieu de combinaison technique et surtout de coûts de facteurs de production en vue d’un revenu différentiel le profit. La finalité de la gestion, dont la GRH, reste en dernière instance l’allocation optimale de ses ressources au centre de laquelle la mobilisation productive du collectif de travail articulée autour de la contrainte de valorisation du capital . Le nouveau contexte d’économie ouverte en Algérie, impose de nouvelles exigences pour les entreprises existantes mais également aux nouveaux entrants potentiels. En effet, la recherche de synergie et l’obligation de performance économique poussent les entreprises existantes à transformer et adopter, en les adaptant à leur contexte d’utilisation, des pratiques de GRH dont elles pensent qu’elles ont fait la preuve de leur efficacité économique dans les pays industriels. C’est ainsi que les grandes entreprises publiques réorganisées en groupes industriels avec une filialisation des unités de production adoptent les organes de gouvernance des sociétés anonymes, assemblée des actionnaires, conseil d’administration et direction générale, même si le propriétaire reste exclusivement l’Etat. En GRH la grande « transformation » (Polanyi K., 1983) a porté sur la contestation dans les entreprises publiques de la notion politique uniformisante du « travailleur ». Est alors entamée la remise en cause de la GSE (gestion socialiste des entreprises publiques) et du SGT (statut Général du Travailleur) par lesquels l’Etat définissait les normes de structure et de contenu de la relation de travail et les modalités de rémunération. Cette situation d’externalité du centre de décision, en tant que centre d’administration au sein d’organes techniques et politiques en amont réduisait considérablement les marges de manœuvre de ces dernières. Un début de re-contractualisation de la relation d’emploi « L’entreprise est une organisation de la production dans laquelle on combine les prix des divers facteurs de la production (…) en vue de vendre un bien ou des services sur le marché, pour obtenir par différence entre deux prix, le plus grand gain monétaire». F.Perroux, société d’économie mixte et système capitaliste, revue d’économie politique, 1933 p 1279. 113 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie expression d’une tentative de récupération du pouvoir par les entreprises voit le jour. Les rémunérations des cadres sont par exemple de plus en plus objet de négociations individuelles ; par ailleurs les conventions d’entreprises supplantent progressivement les directives de l’administration centrale. Ceux sont là les prémisses d’un processus de déconstruction reconstruction d’une GRH politique en situation d’échec dans un grand projet d’une réforme économique générale pilotée par l’Etat et ses institutions de gouvernance. Par ailleurs, les entreprises étrangères, installées dans le pays depuis le début des années 90 le siècle dernier, essaient de reconstruire ou de transférer dans leurs nouvelles filiales algériennes un modèle de gestion considéré comme économiquement efficace. prise, sa culture, les conditions du processus de production, les règles institutionnelles dont la législation du travail et le droit conventionnel. En réalité, le processus d’hybridation est le résultante d’une relation dialectique entre l’entreprise et l’environnement, l’entreprise étant une organisation structurée mais aussi structurante de son environnement. Dans ce texte nous nous proposons de restituer les modes de GRH dans trois situations différentes. Nous avons opté pour une démarche méthodologique qui s’appuie sur la collecte de données par observation auprès de plusieurs cas d’entreprises. Cette posture inductive nous a incités à identifier et retenir un échantillon de cas représentatifs des situations de GRH dans le contexte de changement institutionnel algérien. Les entreprises en question sont tentées de transférer, tout en l’adaptant, le modèle de GRH de la maison mère lorsqu’il existe, dans leurs nouvelles unités en Algérie. L’hypothèse d’une convergence de la GRH et de l’existence d’un isomorphisme se fonde sur le souci d’uniformisation des pratiques de gestion dans les différentes unités des groupes industriels malgré la contrainte de leur environnement respectif. Ces entreprises essaient de diffuser les modèles et pratiques déjà en action dans les autres unités et qui ont déjà fait la preuve de leur efficacité. Le processus est différent selon que l’on a affaire à une unité publique reprise par le capital étranger ou un investissement nouveau qui voit la naissance d’une unité de production ex nihilo. La situation de reprise met en jeu une variable historique de l’organisation, plus précisément la culture d’entreprise et les comportements de salariés qui n’existent pas dans un nouvel investissement. L’hypothèse de l’hybridation exprime l’idée d’une obligation d’adaptation et se construit sur le constat que la GRH est nécessairement affectée par les variables environnementales que sont l’histoire de l’entre- Ce changement fonde le postulat de la contestation de la GRH politique désormais en situation d’échec. L’Etat propriétaire, dans tous les cas de figure, restitue le pouvoir monétaire aux banque. Les entreprises publiques, lorsqu’elles ne sont pas privatisées, sont contraintes de changer leur GRH dans le sens du respect de la contrainte budgétaire et de valorisation du capital face à la menace du refus de financement des déficits. Le cas échéant, leur dissolution est envisagée par les nouvelles règles du droit commercial comme solution ultime. Dans le cas des entreprises privés, acteurs économiques principaux nouveaux, nous avons affaire à deux scénarios différents. Le premier est celui de la privatisation avec reprise par les capitaux privés, qui appelle une remise en cause du modèle de gestion dont héritent les repreneurs. Dans ce cas nous sommes dans un processus de construction d’une nouvelle GRH sur l’ancienne GRH politique qui n’a plus sa raison d’être du fait du changement de propriétaires. Le second scénario est celui de la construction d’une nouvelle GRH dans une situation d’investissement nouveau. Dans Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 114 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie ce cas le montage du capital fixe suppose la définition d’un modèle de gestion des ressources humaines conforme aux objectifs de l’entreprise et aux attentes de ses parties prenantes. Dans ce travail nous nous appuierons sur trois cas de figures différentes reflétant des changements importants dans la GRH dans les entreprises en Algérie : - le cas des entreprises d’Etat qui ont subit depuis les reformes des années 90 différents changements dans leur gouvernance et organisation sans pour autant être privatisées ; - le cas d’une unité publique privatisée partiellement puis totalement au profit d’un groupe étranger ; le repreneur est obligé de déconstruire une GRH politique dont il hérite et de reconstruire sa propre GRH compte tenu de la nouvelle stratégie et nouveaux objectifs de l’entreprise. - le troisième cas est une unité d’un grand groupe étranger issue d’un investissement nouveau et qui construit une organisation et une GRH avec une tentative de diffuser un modèle de la maison mère. 1. La question de la transposition des modèles de GRH comme objet de débats Cette question a préoccupé aussi bien les économistes que les gestionnaires et les sociologues. Les économistes du développement et les économistes industriels ont posé la question de la transposition des modèles économiques dans les choix industriels et leur mode de fonctionnement. Ceci est valable aussi bien pour les japonais fascinés par le modèle anglo-saxon suite à la révolution du Meiji que pour les anglo-saxons confrontés à la crise du modèle fordien qui se sont posé la question de la transposition du modèle Toyota comme réponse à cette crise. En gestion, des auteurs comme Chandler (1962,1977), Aoki (1990) et Hamel, Doz, Prahalad, (1989,1990) nous présentent, dans leurs travaux respectifs, la réussite des champions Américains et japonais ; ce que les théoriciens de la contingence vont formaliser dans leurs différents écrits. En effet, pour les tenants de l’école de la contingence en gestion, les entreprises adaptent leur organisation aux exigences de leur environnement issues notamment des contraintes du marché en amont et en aval. Cette réduction du contexte à la situation sur les marchés, en particulier l’état de la concurrence, provient du fait que les principaux auteurs se sont penchés exclusivement sur la réalité des pays développés où le cadre institutionnel n’est pas contesté. (Porter M. E., 1990). Ces entreprises peuvent être prises comme modèle pour leur structuration et fonctionnement, susceptibles d’être imitées par les autres entreprises à la recherche d’un modèle de référence dans une logique mimétique, tout en tenant compte du contexte dans lequel elles fonctionnent. Une première différence notable relève de la diversité des situations institutionnelles, même si, contrairement aux pays en développement, les règles institutionnelles formelles dans les pays développés ont atteint leur maturité et sont stables. Les enjeux sociétaux neutralisés, la concurrence devient le facteur d’incertitude le plus important dans le fonctionnement des entreprises. La globalisation par l’ouverture des marchés qu’elle implique exacerbe la concurrence et les positions acquises sont contestées de manière permanente (Baumol W.J., Panzar J.et Willing R., 1982). A contrario, la réalité des pays du tiers monde apparait différente et les entreprises dans ces pays et plus récemment dans les pays émergents semblent avoir des comportements que la seule concurrence n’explique pas. L’analyse institutionnelle économique et surtout sociologique va insister sur le dispositif institutionnel affectant le comportement 115 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie des entreprises. Le changement va articuler les institutions comme les règles de jeux, les organisations et le marché. Les chercheurs en management qui relèvent de ce courant (Di Maggio et Powell, 1991, Meyer et Rowan, 1991) ont étudié la question du management sous l’angle du transfert des pratiques de gestion opposant situations de convergence et situations de divergence des comportements et des modalités de structuration. La variété des contextes économiques et institutionnels, la diversité des acteurs portent certains auteurs à s’interroger sur les modèles de management des ressources humaines, leurs similitudes et leurs différences entre les entreprises et entre les pays. Sur le plan sociétal et macroéconomique, incontestablement on peut relever un isomorphisme en ce sens que l’économie de marché est l’organisation économique et sociale qui s’impose de manière exclusive suite à l’échec du socialisme réel et l’absence d’alternative sociétale. La diversité exprime plutôt la différence des règles institutionnelles formelles mais également des règles informelles qui structurent le comportement des agents économiques dans la situation de diversité des économies de marché. Un des traits majeurs de la globalisation actuelle quant au comportement des grandes entreprises a été le passage de stratégies qui superposent des stratégies domestiques différentes autour d’une logique produits-marchés nationaux relativement indépendants vers une stratégie globale orientée vers la recherche de leadership sur des comptes produits-marchés définis sur une base mondiale. Les thèses de la convergence/ diversité reflètent deux courants opposés qui dominent le champ théorique. Le premier courant soutient l’idée de cette transcendance des conditions locales et plaide pour l’émergence de modèles universels de GRH en situation de réussite. Et les entreprises ont tendance à adopter ces « meilleures pra- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 116 tiques » à l’origine d’isomorphismes. Ce courant s’appuie sur l’idée que la globalisation actuelle tend à faire converger les pratiques de GRH dans les grandes entreprises vers le modèle anglo-saxon de compétences, même si cette convergence tend à être atténuée par des facteurs historiques, culturels et institutionnels spécifiques. Le second courant par contre plaide pour la diversité et la spécificité des pratiques de GRH considérant que la globalisation des marchés des biens et services n’affecte pas celui de la GRH qui reste fortement contingente. Il attire l’attention des entreprises sur l’importance de la prise en compte des facteurs contextuels et sur l’obligation de s’y adapter. Ainsi a-t-on attribué l’échec de certaines expériences de gestion dans les entreprises dans les pays en développement à la transposition mécaniste d’un modèle de GRH ayant fait ses preuves dans les pays développés. Cette critique s’appuie sur le fait que cette démarche ignore les facteurs institutionnels et organisationnels mais aussi les facteurs pas toujours visibles, qui relèvent de l’histoire particulière de l’entreprise, du domaine des idées, des valeurs et croyances et donc de l’expérience spécifique de chaque société, qui structurent la GRH dans les entreprises. 1.1. La théorie institutionnelle explique la convergence des pratiques RH Les entreprises algériennes sont tentées d’adopter un mode de gestion des ressources humaines qui a déjà fait ses preuves ailleurs. D’où l’interrogation sur les possibilités de transfert ou non de ce modèle compte tenu des contraintes internes et externes du lieu d’implantation. Par ailleurs, il est nécessaire de s’interroger, sur les raisons de ce transfert, sur la tentative de diffusion à l’international, GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie sur la réalité de leur adoption et adaptation aux contextes particuliers en tant que processus dans sa mise œuvre. Le processus qui concrétise cette prégnance de l’environnement institutionnel sur les pratiques des entreprises en GRH est exprimé par le concept d’isomorphisme. Postuler pour un isomorphisme signifie qu’il existe un « constraining process that forces one unit in a population to resemble other units that face the same set of environmental conditions » (A. Hawley cité par Di Maggio et Powell, 1983 p. 149). L’option pour ce type de solution est perçue comme réduisant les incertitudes d’un changement divergeant des options dominantes. Toutefois, tout en développant des arrangements opérationnels et modes de comportement similaires, les entreprises sont en mesure (et souvent essaient) de redéfinir les règles, de les adapter (en les diversifiant ou en les enrichissant dans le cadre du champ culturel) voire de tricher afin de réaliser les objectifs stratégiques. Ce processus d’adaptation dans le changement ou le contournement voire la résistance est prise en charge par la théorie institutionnelle par le biais du concept de résilience. La résilience exprime la capacité à s’adapter aux exigences du nouvel environnement institutionnel et culturel contraignant parfois même défavorable . Elle peut être proactive c’est-àdire « the capacity to change before the case for change becomes desperately obvious » (Hamel et Valikangas, 2003); elle peut être également réactive, dans ce cas elle est une réponse à une exigence institutionnelle. On attribue au processus que désigne sur le plan conceptuel l’isomorphisme deux dimensions principales : • Une première dimension externe qui affecte son environnement institutionnel et qui se reflète dans l’uniformisation des conditions externes au fonctionnement de l’entreprise. Cette dimension institutionnelle fait que les règles qui régissent les relations interentreprises et son environnement se rapprochent et convergent. C’est ce qu’opère effectivement la globalisation lorsqu’elle institutionnalise et uniformise les règles économiques dans lesquelles les entreprises interviennent construisant ainsi le nouvel environnement institutionnel. • La deuxième dimension est interne. Elle renvoie aux modalités par lesquelles les activités de l’entreprise se structurent et se coordonnent en interne. Le concept d’isomorphisme devient alors l’expression du processus qui pousse une unité de production à chercher à imiter sur le plan de la structuration, du fonctionnement et du comportement les autres unités lorsqu’elles font toutes faces aux mêmes conditions environnementales. Le concept d’isomorphisme est habituellement compris dans ses trois formes indissociables dans l’analyse empirique des situations : les formes coercitives, mimétiques et normatives (Scott, 2001 ; Di Maggio et Powell, 1983). Le positionnement du problème en termes de contestation, de remise en cause de positions acquises, de vulnérabilité économique des entreprises implique l’hypothèse que ces dernières adoptent, pour réduire les incertitudes, des comportements consistant à chercher à imiter les entreprises qui réussissent le mieux dans leur organisation et pratiques de GRH. Cette position fonde son argumentaire sur une diffusion automatique de ces pratiques par imitation. Les entreprises imitatrices s’inspirent des entreprises qui réussissent en adoptant leur organisation et modes de gestion. Elles s’appuient sur l’hypothèse forte d’un transfert de pratiques de gestion sans que les entreprises réceptrices soient en mesurer de s’opposer mais plutôt de capter le changement éventuellement de l’adapter en développant des formes organisationnelles et pratiques de GRH spécifiques Compris comme la capacité à résister à des traumatismes en psychologie et donc, du point des organisations, à des évolutions défavorables et/ou négatives. 117 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie (Boxenbaum, 2005, Dezalay et Garth, 2002, Djelic, 1998). Ce courant continue un certain nombre de travaux sur la globalisation déclinés en tant que processus de diffusion croissante du système productif industriel taylorien-fordien et post-fordien, par les modalités de structuration et de coordination des activités des entreprises qu’il appelle. Ce système, basé sur un procès du travail avec des modalités de valorisation particulières, appelle une double exigence : l’une au niveau de l’organisation du procès de travail et des modalités de sa mise en œuvre, l’autre dans le respect strict de la contrainte budgétaire et de l’exigence de valorisation du capital en fonction des attentes des parties prenantes traduisant le fait que le système productif est unité du procès de travail et du procès de valorisation du capital. Cette convergence des pratiques et des modalités de structuration dans leur mise en œuvre s’accompagne d’une standardisation des procédés de fabrication unifiant les modes opératoires et de contrôle dans le système productif. C’est là un processus qui se diffuse comme norme de production au niveau international et qui s’impose aux entreprises. En réalité, par le fait que les économies sont ouvertes, le marché impose ses normes au-delà des spécificités nationales. Ces dernières ont tendance à uniformiser l’organisation de la production et le produit (l’output). L’uniformisation de l’organisation de la production à des incidences sur la GRH par la standardisation des qualifications ou en imposant un modèle de gestion par les compétences qui accompagne le flux de capital fixe dans les économies en développement qui, en général, importent les technologies qu’elles utilisent. L’autre uniformisation porte sur le produit, avec les exigences de qualité, de délai et de prix en rapport avec une demande qui n’est pas nécessairement maitrisée ou façonnée par les entreprises qui peuvent rechercher Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 118 la diffusion des pratiques de GRH par imitation. Le concept d’isomorphisme (Di Maggio et Powell, 1983) restitue l’action de diffusion convergente d’une globalisation à travers des formes organisationnelles, des dispositifs normatifs et des pratiques de gestion, en particulier en GRH, au sein des entreprises qui connaissent le changement. Le concept de globalisation se renforce par le concept implicite d’une uniformisation institutionnelle ne serait-ce qu’au niveau des principes généraux qui gouvernent le mouvement des capitaux et des marchandises. En effet, la globalisation se construit par la standardisation des pratiques dans le dispositif institutionnel le marché mondial avec ses règles de fonctionnement tendanciellement uniformes. L’emprunt du concept d’isomorphisme à Di Maggio et Powell restitue ce processus d’homogénéisation croissante et convergente des pratiques organisationnelles et de GRH en entreprise. Il y a comme un effet de miroir entre les entreprises comme réponse à l’exigence de compétitivité du marché. Ce mouvement opère de trois manières complémentaires qui peuvent se superposer. Il peut répondre distinctement et/ou concomitamment à des pressions du mouvement social et des institutions (isomorphisme coercitif), traduire une tentative d’imitation des autres entreprises ( isomorphisme mimétique), ou encore répondre aux exigences d’une professionnalisation des ressources humaines par l’obligation de se soumettre à des dispositifs normatifs qu’un marché global rend encore plus fortes (isomorphisme normatif). A travers le mimétisme, les entreprises croient trouver à l’extérieur, les solutions à leurs problèmes de gestion dans les pratiques de GRH des autres entreprises abstraction faites des contingences. Ces entreprises adoptent en général des pratiques similaires à celles utilisées par leurs concurrents (même branche d’activité ou segment de branche) neutralisant ainsi GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie la contrainte technologique. La contrainte culturelle et institutionnelle est plus difficile à neutraliser particulièrement dans des économies ouvertes aux mouvements des capitaux et des marchandises. Ces entreprises pensent trouver dans ces pratiques qu’elles copient une efficacité optimale dont elles sont dépourvues. Elles pensent que leur survie va dépendre alors de leur capacité à les implanter et surtout à être en mesure de les mettre en œuvre en les imitant (Allouche et Huault, 2001). Ces derniers affirment également que « les logiques d’imitation font aussi appel à la notion de mode, c’est-à-dire à l’attrait des managers pour les nouveaux outils, nouvelles méthodes, nouvelles pratiques de gestion ». Ces nouvelles pratiques, inscrites dans une rhétorique et un attrait des dirigeants des entreprises accueillant la diffusion pour la nouveauté, peuvent prendre le statut d’une nouvelle croyance dans la tête de ses dirigeants [Meyer et Rowan 1977, Abrahamson1996]. Dans leur construction « The formal structures of many organizations in industrial society dramatically reflect the myths of their institutional environments instead of demands of their work activities” (Meyer et Rowan, 1977). Ce qui traduit l’idée d’un fort encastrement de l’entreprise dans son environnement institutionnel qui est en attente d’un comportement dont il dicte les règles formelles. Toutefois certains travaux insistent sur la capacité des entreprises à s’adapter à ces exigences en adoptant différentes stratégies de réponse traduisant l’action de l’entreprise sur cet environnement (Greenwood, R., R. Suddaby et C.R. Hinings (2002). La critique principale faite à ces approches est qu’elles ne restituent pas la complexité de la construction de la GRH qui renvoie aux comportements des acteurs et aux contraintes objectives et subjectives de l’environnement. En effet ces pratiques à la mode ne sont pas nécessairement adoptées de la même manière par toutes les entre- prises. Certaines de ces pratiques peuvent être beaucoup plus sensibles que d’autres aux différences de contextes. Par conséquent, si certaines pratiques peuvent aisément être transférées d’une activité à une autre dans un même pays et d’un pays à un autre sans aucun changement ; d’autres doivent être modifiées pour être utilisables dans un autre arrangement technique et institutionnel. D’autres encore sont plus spécifiques culturellement et ne sont pas toujours transférables. Enfin, certaines pratiques font partie d’un ensemble cohérent et d’une stratégie globale, elles ne peuvent être transférées seules, avec succès, sans le reste de l’ensemble qui va convenablement avec. Ce qui fait qu’on retrouve dans les filiales plusieurs types de pratiques de GRH qui sont plus ou moins sensibles au contexte immédiat avec ses contraintes de l’environnement institutionnel et culturel (Myloni et al, 2004). La lecture de la GRH par le seul prisme de la diffusion unilatérale, en tant que transfert de pratiques de gestion, n’est pas neutre théoriquement. Elle neutralise les variables contextuelles et privilégie un modèle qui prend appui sur les normes et les règles qui dessinent et façonnent les comportements des entreprises sans en être une entrave. Cette pratique questionne le caractère volontaire ou non du changement organisationnel et comportemental que la nouvelle GRH implique. La neutralisation des forces contraignantes que sont les règles institutionnelles et de l’environnement économique et social conduit à postuler l’homogénéité du résultat par la convergence au détriment de la diversité. La diffusion automatique des modèles de GRH suppose une convergence des règles institutionnelles et la neutralisation des variables culturelles qui sont nécessairement différentes d’un pays à un autre. Au contraire, M. Freyssenet (2007), à partir de l’étude à long terme sur l’industrie automobile dans les pays in- 119 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie dustriels (USA, Europe, Japon), fait le constat « que la diversité est bien au cœur du rapport capital et de l’évolution des entreprises », elle marque certainement de son empreinte la GRH. Les principales activités de cette dernière dont le recrutement, la promotion, les rémunérations, les licenciements restent marqués par leur environnement institutionnel et culturel. Cette relative diversité des situations confirme la thèse de la contingence et de l’encastrement (Granovetter, 1985).Toutefois il y a lieu « de bien démêler ce qu’elles ont effectivement d’universel et ce qu’elles ont de contingent, lié aux particularités des cultures où elles se sont développées ». (D’Iribarne, 2003, p. 176). 1.2. Les approches culturalistes expliquent la diversité des pratiques RH Les approches par la culture soutiennent que la cette dernière influence la GRH des entreprises lui conférant une certaine singularité. La notion de culture a été introduite pour montrer que les entreprises, leur organisation ainsi que leurs pratiques managériales, sont sensibles aux différences culturelles et que les données culturelles structurent en partie le comportement de ces entreprises et de leurs acteurs dont la GRH. En effet, pour les auteurs inscrits dans l’approche culturaliste, la pensée et le comportement sont significativement influencés par les valeurs culturelles (Child, 2000). Pour eux, la culture se révèle être une variable qui influence le fonctionnement de l’entreprise et qui participe à la détermination de la structure et de la stratégie organisationnelle. Par conséquent, les culturalistes considèrent que les pratiques de GRH sont construites sur des valeurs et qu’il existe une relativité culturelle des théories et des pratiques managériales (Hofstede, 1980, 2002). Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 120 Ceci explique le fait que les pratiques de management sont inscrites dans une logique nationale P.D’Iribarne (2004) et qu’une même pratique de GRH peut avoir plusieurs interprétations et plusieurs sens pour des groupes culturellement différents (Laurent, 1986). Les pratiques de GRH étant basées sur les croyances culturelles, elles reflètent les prétentions et les valeurs de la culture nationale où se trouve l’organisation est encastrée (Myloni et al, 2004). Cet encastrement dans un environnement (Granovetter, op cit) et dont les valeurs culturelles constituent une partie importante du champ est déjà présent chez les institutionnalistes. Les valeurs culturelles font parties des règles informelles tout en étant un des socles sur lesquels les règles formelles se construisent, elles sont plutôt un obstacle au changement organisationnel (North, 1990,2005). C’est ainsi que chaque pays construit son propre système de gestion dont la spécificité s’explique par le fait que chaque pays construit ses propres institutions articulées autour de son histoire propre, la nationalité a une valeur symbolique pour chaque citoyen et fait partie d’une partie de son identité. La façon de penser est largement conditionnée par les facteurs culturels nationaux spécifiques. La construction de grands groupes industriels transversaux aux branches d’activités et à des aires géographiques différentes, ainsi que leurs dimensions méso-économiques et macroéconomiques n’éliminent pas pour autant la sensibilité des différentes unités dans les différents pays aux variables culturelles des champs dans lesquels ils sont encastrés. C’est pourquoi, si les entreprises ont tendance à adopter les mêmes pratiques de GRH traduisant une certaine convergence de la vision de la GRH et de ses outils, leur utilisation reste différente (Peretti, 2004). GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie 1.3. Les choix des entreprises : Une réponse hybride Le choix des entreprises n’est pas nécessairement dans la transposition de la copie intégrale d’un modèle diffusé qu’elles adoptent. Elles partent d’un panel de choix alternatifs qu’offre l’expérience des autres entreprises et qui n’est jamais transposée telle quelle. Le modèle de GRH est construit en tant que processus social en tenant compte des différences sociétales, de l’histoire particulière de l’entreprise et du dispositif institutionnel. Le niveau d’hybridation va exprimer la capacité de cet environnement à nous offrir une GRH originelle. Les stratégies peuvent aller de la transposition et accommodation, à l’adaptation, au refus face aux contraintes historiques, institutionnelles et culturelles du champ dans lequel l’entreprise receveuse est encastrée. Cette superposition des deux logiques, de diffusion d’une part et de résistance ou de contournement permettant de garder les anciennes pratiques et organisation d’autre part, est prise en charge par le concept d’hybridation organisationnelle pour signifier justement comment les entreprises se construisent des formes organisationnelles qui font cohabiter l’ancien et le nouveau se traduisant par des formes hybrides sur le plan de l’organisation et des pratiques de GRH. Ce concept permet de restituer la stratégie des entreprises pour adapter leur ancienne organisation et pratiques aux pressions de la globalisation tout en les inscrivant dans leur environnement social et culturel. Cette position duale mettant en jeux deux situation opposées allant de la diffusion systématique au refus comme positions extrêmes de la mondialisation ressort dans un certains nombre de travaux sur les entreprises publiques confrontées aux exigences du changement institutionnel décliné sous le vocable d’économie de marché. L’observation ici est relative à toutes les entreprises publiques toutes tailles confondues du fait que la quasi-totalité du tissu industriel en Algérie était constitué par cette catégorie d’entreprises. Le poids des entreprises privées était négligeable au regard de deux critères essentiels : le volume de l’emploi et la contribution à la production intérieure brute avant les années 1990. La confrontation à la globalisation, du fait du changement institutionnel, met en jeux deux catégories d’entreprises. Les entreprises « molles » qui, pour des raisons de routines organisationnelles et idéologiques, contestent toute idée de changement pouvant remettre en cause certains « acquis» liés à leur gestion politique. Ce refus à conduit in fine à leur exclusion, c’est-à-dire leur dissolution. Le changement dans la régulation économique, la mise en avant des exigences du marché et l’ouverture économique, les nouvelles exigences sur le plan de la gestion et des résultats qu’essaient d’imposer les nouvelles institutions qui gèrent ces entreprises sont perçues comme une injustice par les principales parties prenantes en particulier les collectifs de travail et les représentants syndicaux. La position de ces entreprises a été rendue intenable par le retrait des banques publiques qui n’assuraient plus les avances nécessaires à leur fonctionnement alors qu’elles étaient automatiques avant. Cette situation a été fatale pour les PME publiques, composées essentiellement d’entreprises communales et régionales qui activaient dans le BTP et la distribution, dissoutes suite à la libéralisation. L’Algérie a ainsi perdu depuis 1990 plus de 500 000 emplois correspondant à la moitié de l’emploi industriel public au début de la période des restructurations. La seconde catégorie d’entreprises, pas très nombreuses, est composée des entreprises « dures » qui voient dans l’option pour l’économie de marché un challenge et une opportunité pour opérer des change- 121 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie ments et remettre en cause le pacte social de leur gestion politique. Les stratégies de ces entreprises sont aussi bien des stratégies de conformation que d’adaptation aux exigences de la mondialisation particulièrement l’obligation du respect de la contrainte budgétaire et de valorisation du capital; l’État n’assurant plus le financement par le truchement de la soumission du système bancaire au système productif. (Tahari, Hakiki, 2007). Les travaux sur la GRH ont la même configuration méthodologique puisque le changement oppose une GRH politique en situation d’échec à une GRH proactive en construction dans un contexte de globalisation (Tahari, 2005). Les principaux travaux sur la question qui mettent en scènes les acteurs dans la diffusion de la globalisation identifient des stratégies qui vont de la conformation − qui se traduit par la diffusion et l’adoption du processus avec ses normes et son mode d’organisation − à la résistance pure. Cette dernière action consiste à s’opposer à cette diffusion par des stratégies de blocage et de refus. Le choix de cette dernière position conduit en général à l’éviction de ces entreprises du système. Il est à l’origine de leur dissolution en Algérie par exemple. Les positions intermédiaires étant celles qui anticipent les exigences par une stratégie d’évitement du choc ou de résistance adaptative donc qui absorbe le choc de la globalisation par une adaptation des exigences à la contingence de l’entreprise et de son environnement (Pilot, 2006; Barabel, Huault et Meyer, 2002). En réalité ces comportements intermédiaires participent à la situation d’hybridation organisationnelle telle que définie précédemment, elle superpose à la fois diffusion et résistance adaptative à des conditions mondiales et locales. Les changements dans l’organisation et la GRH conduisent à renoncer à une culture d’entreprise publique qui vous assure un statut de salarié pérenne sans exigence aucune en Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 122 termes de niveau de production et de productivité. Cette posture dominante de passager clandestin et les règles qui émanaient de la hiérarchie administrative imprimaient la GRH politique dans ces entreprises. Cette dernière se voit désormais contestée dans le nouveau contexte d’économie de marché. Ces deux dimensions structuraient la dynamique du collectif de travail et les relations sociales dans l’entreprise. Ce constat est valable pour des situations de changement dans des entreprises qui sont dans l’obligation de se restructurer en redéfinissant leur GRH. La question est tout autre dans des unités nouvelles où la contrainte historique est absente. Le processus est plus flexible car non soumis à la contrainte de réversibilité. Dans ce cas la diffusion du modèle de GRH est plutôt contrainte par des variables culturelles qui configurent ses modalités d’hybridation. L’illustration de notre propos se fera par la présentation de trois études cas de changement ou de construction de GRH nouvelle. Démarche méthodologique Afin de mener à bien notre étude, nous avons opté pour une démarche de recherche qualitative dans la mesure où elle permet de rechercher, expliciter et analyser des phénomènes visibles ou cachés qui ne sont pas forcément mesurables et qui dépendent fortement des « faits humains ». L’orientation méthodologique choisie a été celle de l’observation in situ, parfois dans une position d’observateur immergé dans le cas des entreprises publiques, combinée aux entretiens semi-directifs avec des DRH et de cadres d’autres fonctions des entreprises adoptant l’adage « tous DRH. La démarche est fortement inductive, elle s’appuie sur l’observation des faits et leur interprétation, avec le souci de réduire les a priori et la subjectivité de GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie l’observateur. Démarche expérimentale qui met la raison au niveau du fait observé la soumettant ainsi à l’évidence expérimentale. L’entreprise devient le lieu où se déroule l’expérimentation sociale et le chercheur en gestion quand il récuse les postures déductives regarde l’entreprise comme son laboratoire où se déroulent des expériences dont il n’est pas l’instigateur. Il est alors en mesure de construire un système explicatif en se basant sur les relations observées concrètement et directement dans les situations étudiées. (Aktouf, 1987) Précisément, notre démarche d’observation a été articulée autour de deux volets. l’entreprise était confrontée, les enjeux d’évolution qui étaient les siens, et la manière dont tous ces éléments étaient discutés entre les différents interlocuteurs (direction, encadrement, opérateurs, représentants syndicaux). En ce qui concerne les entretiens, ceuxci ont été construits à partir d’un guide d’entretien dont les thèmes étaient définis préalablement. Tout en permettant aux interlocuteurs de les aborder de manière souple, on poursuivait deux objectifs complémentaires. Le design des entretiens suivait le principe de semi-directivité, c’est-à-dire une structure souple, guidée par les thèmes décrits ci-dessus, mais comprenant une démarche systématique d’investigation visant à aborder l’ensemble des sujets. Tout d’abord, des observations du travail au sein de l’entreprise au cours desquelles nous avons pu appréhender les tâches telles qu’elles étaient réalisées par les opérateurs, comprendre les aspects techniques du procès de travail et les compétences requises pour les effectuer. Les modalités de mise en œuvre du système de machines, les gestes professionnels, les normes de production, le rôle de l’encadrement et la gestion des processus d’équipes ont été au centre des analyses. Du point de vue technique, la conduite de l’entretien s’est effectuée à l’aide de consignes (actes directeurs qui initient le discours sur un thème donné) et de relances (actes subordonnés qui réfèrent à l’énoncé précédent de l’interviewé). Nous avons donc construit un guide sur base des hypothèses, sélectionnant les données à recueillir. Notre guide d’entretien était construit à partir d’une définition très opérationnelle de la GRH à savoir comme l’ensemble des activités de l’entreprise relatives à l’acquisition, au développement et à la conservation des ressources humaines. Les sujets avaient l’assurance de la confidentialité non seulement du contenu, mais également de leur participation lorsque nos interlocuteurs le souhaitaient. Les entretiens avaient une durée chacune d’une heure à une heure trente, parfois plus. Le deuxième volet des observations est issu d’une participation à différents groupes de travail dans certaines entreprises publique en tant observateur invité à des réunions de hauts potentiels et/ou en tant que partie prenante membre d’un CA d’une grande entreprise privatisée depuis au profit d’un grand groupe étranger repreneur ; dans un autre cas en tant que consultant en RH. A ces occasions, nous avons pu réaliser quelles étaient les problématiques abordées, les défis auxquels 123 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie 2. Les cas étudiés : trois cas exemplaires Les cas étudiés restituent trois scénarios différents, ils reflètent quelques peu les situations de GRH dans les entreprises en Algérie dans un contexte de changement institutionnel qui leur impose de changer de gestion. La première situation est celle des unités publiques qui ont pu survivre aux turbulences de l’ouverture économique et dont l’Etat a gardé la totale propriété. Leur position est confortée actuellement par un retour de ce dernier dans leur gestion avec une volonté affirmée de les garder comme acteurs important dans le projet industriel du pays. Dans ce cas de figure, l’Etat propriétaire à la recherche de l’efficacité économique peut déléguer le management qui peut aller d’une plus grande autonomie à un contrat de management avec des entreprises étrangères. Le second cas est celui d’une unité de plâtre reprise totalement par une entreprise étrangère qui a complètement refondu sa GRH. Le troisième cas de figure est celui d’une toute nouvelle unité fruit de l’investissement direct étranger. Dans ce cas nous assistons à la construction d’une GRH avec la tentative d’une transplantation adaptée de la GRH définie par la maison mère dans le contexte particulier de l’économie algérienne. 2.1. La GRH dans les entreprises publiques Nous restituons la réalité de la GRH dans le secteur public industriel qui a survécu aux réformes institutionnelles et à l’avènement de l’économie libérale. Nos conclusions sont issues d’observations croisées dans un échantillon assez large d’études de cas que notre groupe de recherche le GRECORH-LAREEM poursuit depuis 2006. Notre échantillon d’entreprises est riche par la diversité des branches d’activités qu’il brasse puisqu’il comprend des unités qui relèvent du BTP, des matériaux de construction, de l’industrie du verre, de tréfilage, l’électrolyse de zinc et des hydrocarbures, de la gestion de l’eau et de l’assainissement d’un réseau urbain. Il est également riche par la diversité des techniques de production qui vont de processus simple comme c’est la cas pour le tréfilage aux processus beaucoup plus complexes pour les autres industries particulièrement pour les activités en continu comme c’est le cas pour l’industrie du ciment, du verre et les hydrocarbures. Nécessairement la taille de ces unités au regard de leurs effectifs est différente ; la diversité de ces variables contextuelles a fatalement des implications sur les GRH. Nos conclusions sont construites en croisant les différentes études de cas, elles restituent le dénominateur commun des différentes GRH ; elles sont complétées par la présentation de deux cas considérés comme représentatif de la GRH dans les unités encore publiques en voie de mutation bâti-Oran et le groupe ERCO. 2.1 .1. Le cas Bâti- Oran C’est une PME publique dans le bâtiment qui a été confrontée à la globalisation en termes de survie du fait du désengagement subit de l’État propriétaire. Les difficultés sont de plusieurs ordres : financiers mais aussi techniques, économiques et humains. Dès l’ouverture économique l’entreprise est confrontée à un problème de compétitivité et de difficulté de se construire un plan de charge avec la perspective de réaliser des bénéfices. L’échec des nombreuses tentatives de rentabiliser l’activité réalisation de l’entreprise, alors même que la conjoncture actuelle dans le BTP semble favorable au développement de cette activité. Il s’explique en particulier par l’ob- Nous sommes redevables dans ce cas au travail mené par Chakib TOUBBACHE dans le cadre d’un projet de recherche sous la direction de K. TAHARI Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 124 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie solescence des équipements, les ruptures de trésorerie qui tiennent aux nouvelles difficultés d’accéder à des avances auprès de la banque primaire de l’entreprise suite à la remise en cause de pouvoir monétaire des entreprises publiques et sa récupération par les banques primaires, la sous-qualification du personnel et la difficulté à flexibiliser la masse salariale. Face à ces difficultés l’entreprise tente une diversification de ces activités en intervenant dans un premier temps dans la commercialisation des matériaux de construction et par la location des équipements de production dont l’entreprise disposait. Cette action ne lui assure pas une rentabilité financière malgré l’option pour la réalisation de bâtiments administratifs et industriels et les travaux publics pour lesquels il y avait une forte demande. D’ailleurs la Direction des Travaux Publics l’a jugée « non qualifiée, car non expérimentée ». La vente de matériaux de construction a été arrêtée à cause des difficultés de se réapprovisionner du fait des pénuries récurrentes de ces produits sur le marché. La location des équipements même si elle a générée des ressources, a vite été contrariée par l’état de vétusté et d’obsolescence de ces équipements. Les nouvelles orientations stratégiques ont pour souci principal la baisse du poids de la masse salariale par la réduction progressive de ses effectifs. Cette situation va conduire à une nouvelle réorientation stratégique autour de la promotion immobilière secteur en plein développement du fait du fort déficit dans le parc de logement et des politiques publiques dans le domaine. Le changement de direction en 2000, aura des répercussions importantes sur l’entreprise. Le nouveau PDG engage de nouveaux collaborateurs, sollicite l’aide d’un certain nombre de consultants et met rapidement en place une structure chargée de la promotion immobilière. L’entreprise s’engage de la sorte, dans un nouveau domaine d’activité stratégique. Cela lui permet de devenir aussi initiatrice de projets au lieu de rester simplement entreprise de réalisation des projets qui lui étaient proposés. Cette nouvelle stratégie va consister à glisser de l’activité de réalisation que l’entreprise quitte au profit de celle de promoteur immobilier donneur d’ordre dans le domaine de la réalisation. Cette stratégie de contournement des nouvelles exigences d’une économie ouverte à la concurrence va permettre à l’entreprise : - de s’affranchir des problèmes qui entravaient son fonctionnement. Un effectif pléthorique qui a été réduit avec le concours financier de l’État dans le cadre des opérations de restructuration sociale des entreprises publiques. - d’accéder à des ressources de trésorerie grâce aux avances que les promoteurs reçoivent de leurs clients avant la réalisation des travaux; - de contourner les difficultés techniques de gestion de la production, l’organisation du travail étant fondée sur la sous-traitance. Ce recours à la sous-traitance règle la question de la gestion du procès de travail particulièrement pour le second œuvre fondé sur le métier. La présentation succincte du cas de cette entreprise confirme la pertinence en termes de stratégie d’acteur que nous avons énoncée dans le corpus théorique de ce travail. En effet, la volonté et l’action stratégique de la direction de cette entreprise a permis sa survie alors que les entreprises similaires ont toutes été dissoutes et ont été vulnérable à la globalisation. Le contexte de cette globalisation devient une contrainte certes mais qui peut être surmontée lorsque l’entreprise a la volonté d’affronter ses exigences et non pas se cantonner dans une position « d’entreprise molle ». Ce déploiement de l’activité de l’entreprise vers la promotion en plus de la réalisation lui 125 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie a donné la possibilité d’une part d’être active dans la conception des projets qu’elle réalise et donc d’être moins dépendante des donneurs d’ordre et d’autre part, la GRH mise en place a permis, grâce à l’aide des l’Etat, de régler le problème du sureffectif par un plan de restructuration et de recentrage les activités sur le cœur des métiers. 2.1.2. La GRH au sein du groupe ERCO L’entreprise ERCO est un groupe industriel qui active dans le secteur des matériaux de construction dans toute sa diversité ; elle est issue de l’éclatement sur la base d’un critère géographique de l’ancienne Société Nationale des Matériaux de Construction (SNMC) qui avait le monopole sur le secteur des matériaux de construction. De cette restructuration sont nés trois groupes régionaux, avec des marchés géographiques cloisonnés, ERC Ouest, Centre et Est. En réalité, cette entreprise avait déjà perdu, lors des restructurations des années 90, une partie de son activité, les produits rouges, en particulier les briqueteries qui ont donné naissance à une autre entreprise nationale et qui ont toutes été privatisées depuis. Lors des dernières réformes, l’Etat propriétaire a supprimé le cloisonnement géographique, pensant ainsi dynamiser la gestion des différentes unités par la concurrence que cette décision pouvait entrainer. Depuis cette date, les trois groupes régionaux et surtout les différentes unités qui les composaient étaient sensées se disputer le marché national des matériaux de construction, en particulier le ciment et le plâtre, les deux productions phare de leur activité. Ces entreprises assuraient l’approvisionnement d’un secteur aval qui avaient une double importance stratégique ; résoudre un problème social essentiel le logement en situation de déficit, jouer le rôle qui lui est dévolu traditionnellement tirer la crois- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 126 sance économique. Le secteur du BTP était en permanence sous tension du fait des difficultés récurrentes qu’il a à être approvisionné correctement en matériaux de construction, particulièrement lorsque les plans de charge du secteur sont importants au plan du logement et des infrastructures. Les groupes ERCOuest (ERCO), ERCCentre et ERCEST font partie actuellement des grands groupes industriels publics visés par une démarche de privatisation lancé par le ministère de l’Industrie. C’est ainsi que la plâtrerie de FLEURUS a été cédée au groupe allemand KNAUF qui a acquis depuis peu la totalité du capital de cette entreprise. ERCO a également passé un contrat avec le groupe Saoudien PHARAON a qui on a cédé le management de la cimenterie de Benisaff pour une période de 10 ans; par ailleurs ce groupe est actionnaire à concours de 10% du capital dans cette cimenterie. Le groupe égyptien ASEC (The Egyptian Manufacturing Company) est également copropriétaire de la cimenterie de ZAHANA, à concours de 35% de son capital, dont il assure désormais le management. Le groupe ERCO reste majoritaire mais il délègue la gestion aux nouveaux copropriétaires cherchant ainsi une solution à la question de l’efficacité des ses différentes filiales. Cette privatisation partielle du capital et surtout de la gestion a permis de redonner une profondeur stratégique aux différentes unités concernées et de relancer la production; elles bénéficient par cette opération des moyens pour la modernisation des équipements et leur entretien ; la GRH devient moins politique qu’elle ne l’était auparavant, elle semble se recentrer des objectifs économiques. Pour mener notre étude nous avions besoin de pénétrer au sein de l’entreprise. Nous n’avons pas eu de difficultés particulières pour ce faire ; nous avons exploité les relations amicales que nous avions avec deux cadres GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie dirigeants qui nous ont introduit dans leur entreprise et présenté les personnes ressources dont nous avions besoin, en particulier le DRH du groupe cadre dirigeant de l’entreprise. Notre enquête sur le terrain a duré plus d’un mois période durant laquelle nous nous sommes déplacés à plusieurs reprises dans l’entreprise pour rencontrer nos interlocuteurs. Dans un premier temps, nous avons eu des entretien ouvert avec deux cadres dirigeants qui font partie du staff de direction, les entretiens non directifs qui en général duraient plus de deux heures chacun nous ont permis rapidement de nous faire une idée sur la situation de l’entreprise, ses préoccupations actuelles comptes tenu de la pression du gouvernement et des incertitudes qui découlent de la menace d’une privatisation déjà entamée. Nous avons centré notre attention sur l’étude de l‘activité et de la fonction RH au sein du groupe. Nous avons débattu de la question avec plusieurs interlocuteurs dont deux chargés d’études auprès du PDG du groupe cadres dirigeants ainsi qu’avec le secrétaire général de la section syndicale au niveau du groupe. Nous avons également sollicité des entrevus avec le DRH central chose que nous avons pu obtenir sans difficulté. Pour nos entretiens avec le DRH du groupe, nous avons élaboré un guide d’entretien centré sur les problématiques de GRH en particulier les questions liées à la prospection et l’acquisition des RH, celles du développement en insistant sur les questions de formation et enfin celles relatives à la conservation de ces ressources autour de la gestion des carrières et des politiques salariales. Lors de ces entretiens nous laissions une relative liberté au DRH pour nous parler de son métier à partir d’une question large « que fait le DRH central » ? Lorsque nous sentions que notre interlocuteur « sortait » du sujet de notre rencontre nous la ramenions à notre objet par des questions précises relatives au recrutement, à la formation, à la politique salariale de l’entreprise etc. Nous n’avions pas eu de difficulté à le revoir. Nous avons sollicité des rendez vous tant que notre sujet n’était pas épuisé et que nous sentions que nous avions besoin de complément d’informations. Nous avons eu quatre entretiens qui ont duré plus de deux heures parfois. En réalité nous arrêtions lorsque nous sentions que les questions pour lesquelles nous étions venus avaient trouvé réponse, nous mettions fin à l’entretien ou nous changions de sujet pour parler d’autre chose. Nous avions eu également un entretien d’une heure et demi avec un DRH d’une filiale pour avoir une idée sur les représentations et le statut de la DRH centrale pour ces DRH de filiales. Notre questionnement portait sur les relations entre DRH filiale et le DRH central et la légitimité de ce dernier pour le DRH filiale.Nos conclusions s’appuie sur des observations et les différents entretiens que nous avons réalisés ; paradoxalement nous n’avons pas pu accéder aux documents de gestion du fait du refus des concernés de nous les communiquer. Les différentes personnes que nous avons sollicitées considèrent que les documents de gestion (rapports de gestion, documents comptables etc.) ne peuvent être communiqués. La fonction RH au niveau du groupe emploi trois personnes dont un chef de division emploi, salaire et formation (dénomination officielle de la fonction), cadre dirigeant qui met en œuvre la politique ressources humaines du groupe ERCO, un chef de département ressources humaines qui occupe la fonction de DRH siège et une assistante qui assure le secrétariat de la fonction. Sur le plan formel, la division est chargée de définir et de gérer la politique de l’emploi, des salaires et de la formation du groupe. Théoriquement elle assure la dimension stratégique de la GRH et apporte son soutien technique aux différentes DRH opérationnelles des filiales du groupe. L’entreprise n’a pas de dispositions procédu- 127 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie rales écrites propres mises à la disposition des DRH opérationnels relatives au recrutement, à la formation ou à la gestion des carrières par exemple. Chaque DRH doit trouver dans le dispositif légal (en particulier la loi 90/11 et la loi relative à la formation et l’apprentissage etc.) et les conventions les réponses aux questions de procédure auxquelles il est confronté. Les pratiques internes à l’entreprise relèvent souvent de règles informelles qui tiennent de l’habitude. Ainsi lorsqu’un complexe a besoin de recruter un personnel d’exécution, il le fait et informe après la DRH centrale, essentiellement pour vérifier que le recrutement est conforme à l’organigramme, elle procède alors à la consolidation statistique. Les activités principales de la fonction : « Ce qui intéresse le PDG c’est la production, les RH (entendu la fonction RH) c’est la dernière roue de la charrette » propos du DRH central. La GRH dans l’entreprise est plutôt gestion des personnels, ce qui fait qu’elle se résume en fin de compte aux opérations traditionnelles d’administration des ressources humaines qui sont assurées par les différentes DRH opérationnelles dans les unités de production. Les recrutements ne sont pas nécessairement programmés puisqu’il n y a pas de gestion prévisionnelle ; la démarche est réactive, elle se présente comme une réponse à la demande de la structure utilisatrice. La DRH centrale participe aux arbitrages budgétaires avec l’unité émettrice du besoin. Elle assure la consolidation pour tout le groupe ; le DRH central peut refuser un recrutement lorsqu’il n’est pas prévu dans l’organigramme de l’unité. En effet les recrutements portent sur des postes non pourvus ; ils peuvent toutefois parfois consister à remplacer des personnels dont les compétences sont jugées insuffisantes par rapport aux exigences du poste. Le personnel touché par le rem- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 128 placement se retrouve de ce fait sans poste réel à l’origine de situation de sureffectif donc d’emplois redondants. L’activité de sélection qui précède ces opérations a tendance à être externalisée et confiée à des bureaux spécialisés pour des raisons d’absence de batteries de tests mais aussi et surtout pour optimiser les recrutements en évitant les pressions pour le recrutement de personnes « parrainées ». Le recrutement se fait désormais au niveau des unités opérationnelles et l’entreprise privilégie les CDD (contrat à durée déterminée) aux CDI (contrat à durée indéterminée) comme forme dominante de contrat de travail. La division RH devenant une simple structure de gestion des RH pour le siège par son département ressources humaines qui comprend un seul salarié avec un poste de cadre. Depuis la privatisation partielle de ses sites de production principaux, l’entreprise a recruté un nombre important d’opérateurs et de cadres opérationnels avec bac+2 et bac+4. Les candidats sont des jeunes avec une formation initiale technique issus de l’université ou des grandes écoles. Les intéressés bénéficient d’une période de formation « adaptation » en entreprise dite d’induction ; la nouvelle recrue présente un mémoire « induction » à l’issue de sa période de formation. - Les actions de formation. Il faut rappeler que les entreprises, en Algérie, ont une obligation légale de financement des actions de formations de 2% de leur masse salariale annuelle (1% pour la formation et 1% pour l’apprentissage). C’est essentiellement pour répondre à cette obligation que des souscriptions à des formations en externe sont engagées. Elle porte sur les différents domaines du management. Les responsables gestionnaires du groupe sont en général des Cadres avec une formation initiale dans les technologies. Après un passage dans la pro- GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie duction, ils accèdent à des postes de management, aussi éprouvent –ils le besoin de se former dans les techniques du management considérées comme nécessaires au nouveau contexte d’économie de marché. La gestion est perçue en termes d’outils essentiellement et la demande de formation des cadres techniques est orientée dans ce sens. Malgré le changement lié à la levée des barrières à l’entrée de nouveaux entrants dans l’activité, la privatisation progressive des unités existantes ; il n y a pas de politique de formation clairement exprimée au niveau de la DRH groupe même si l’entreprise a conscience que la position du groupe est menacée à long terme dans sa situation de quasi-monopole dans le marché du ciment particulièrement. On assiste progressivement à l’émergence d’un véritable marché du travail, avec une concurrence entre les unités des différents ERC (Est, Centre et Ouest) mais également entre les différentes unités qui constituent le groupe ERCO depuis la privatisation de leur gestion. Une surenchère se met en place autour des postes clés spécifiques rares sur le marché du travail ; ces compétences sont construites par l’entreprise en formation interne et par expérience. Les unités concurrentes ont tendance à offrir à ces personnels des salaires et des perspectives de carrières plus attractives que celles que leur offrait l’ERCO. - La politique salariale. La politique salariale de l’entreprise reste largement encrée dans le dispositif du SGT avec une prime de rendement individuelle et collective qui est en réalité un complément de salaire car octroyée quasi automatiquement. La rémunération est régie par une grille de salaire qui recense les postes de travail et les salaires qui leurs correspondent. Ce cadre est rigide, il n’est révisé que lors des négociations salariales au sein du groupe ou de la branche ou des tripartites nationales (pouvoir exécutif représenté par le premier ministre, Syndicat ouvriers -UGTA, organisations patronales). La progression du revenu salarial sanctionne l’ancienneté dans le poste et exceptionnellement un changement de poste lorsque le concerné bénéficie d’une promotion au sein de l’entreprise. L’entreprise ne dispose pas d’un système d’appréciation et d’une politique salariale incitative avec une partie variable lié à la production et la productivité de manière effective. Les primes de rendement collectif et prime de rendement individuel sont octroyées automatiquement à tous les salariés ; elles sont plutôt un complément de salaire à partir d’une évaluation qui n’en est pas une réellement. Elles répondent à une logique hiérarchique, au rapport de force entre le syndicat et les décideurs managers et l’importance du poste et de la qualification de l’individu - L’arbitrage. La fonction RH centrale s’est vue confiée la mission d’arbitrage et de gestion des conflits sociaux et des contentieux relatifs à la GRH dans les différentes unités qui composent le groupe. Dans la réalité, même ces missions traditionnelles sont soit contestées soit partagées avec la représentation syndicale et les autres fonctions de direction. En effet, dans bien des cas, la représentation syndicale intervient directement auprès de la direction générale pour arbitrer et solutionner des conflits ou des contentieux. - Reconnaissance et légitimité de la fonction. La légitimité de la fonction RH au niveau le plus élevé (direction générale) découle essentiellement de sa position au sommet de la pyramide dans une entreprise publique régit 129 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie par une logique hiérarchique forte. Le centre stratégique de l’entreprise qui comprend la division RH allouait des ressources, arbitrait et validait ou refusait toutes les décisions qui pouvaient se prendre à un niveau subalterne quelconque. Cette position va être déjà affecté dans un premier temps suite à la crise des années 90, qui suite au refus de l’Etat de continuer à financer et le déficit des entreprises publiques et celui des investissements nécessaire à leur développement. L’entreprise va vivre une période d’attente de privatisation durant laquelle « le temps avait suspendu son vol ». Cette situation va conduire à une perte de légitimité de la DRH centrale qui n’a plus les moyens de donner une profondeur stratégique à son action dans le domaine des RH. Certes la DRH centrale va garder son autorité du fait de sa position dans l’organigramme mais elle va perdre sa légitimité contestée par les DRH opérationnelles qui vont la percevoir comme un centre de coût dont on peut se passer. « Ils coûtent chers et ils ne servent à rien » ; propos d’un cadre opérationnel pour qualifier la direction du groupe y compris la DRH. La période actuelle, qui voit le transfert de la gestion des principales filiales à des repreneurs étrangers se traduit par une dissolution progressive de la fonction RH centrale dans les RH opérationnelles. En effet la DRH se trouve contestée de fait par les nouveaux gestionnaires des différentes filiales qui redéfinissent à leur manière et à leur niveau respectif la GRH dans les différentes unités. On peut même considérer que la situation actuelle est une revanche des DRH opérationnels qui sont sollicités par les nouveaux gestionnaires qui ont besoin d’eux pour leur connaissance de la règlementation du travail et leur compétence sur le plan de la gestion des relations sociales dans l’entreprise lorsqu’ils en ont. Par ailleurs, cette nouvelle situation, redonne de la profondeur stratégique à l’entreprise, qui redéfinissent totalement la politique RH de Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 130 l’entreprise particulièrement la logique salariale en termes de contribution-rétribution par la remise en cause de l’octroi automatique de primes sans rapport avec la production et la productivité. 2.2. L’histoire d’une reprise : le cas KNAUF Algérie Le second cas que nous abordons est celui KNAUF Algérie. Cette entreprise est issue d’une prise de participation majoritaire au début et l’acquisition de la totalité du capital cette année, par une entreprise étrangère européenne présente dans plusieurs pays européens et Maghrébins. Le changement dans cette entreprise se fait dans un contexte de contestation de la GRH héritée de l’entreprise publique. Cette dernière est progressivement démontée lui substituant une GRH hybride à même de répondre aux exigences des nouveaux propriétaires. Nous nous intéresserons en particulier au personnel d’encadrement administratif et technique. Plusieurs passages dans l’unité nous ont permis d’avoir des entretiens de plus d’une heure avec le directeur adjoint représentant l’ancien propriétaire, un cadre administratif et financier expatrié proche du nouveau propriétaire, un cadre de la DRH et un cadre technique informaticien de formation recruté nouvellement et activant dans la direction commerciale. Dans les pratiques de GRH nous avons privilégié la gestion du collectif et les recrutements, la politique salariale et le système de primes, enfin le système d’évaluation ou d’appréciation. Ces pratiques de GRH sont considérées comme des pratiques sensibles aux différences institutionnelles ; l’intérêt du cas étudié est qu’il opère dans une situation de double changement : un changement institutionnel qui impose ensuite un changement organisationnel. GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie A la veille de sa reprise par le groupe étranger l’entreprise à subi une première restructuration du collectif avec la réduction de son volume par des départs volontaires et des départs en préretraites ; opérations financées par l’Etat. Cette opération de restructuration était sensée régler la question des emplois redondants et créer les conditions d’une amélioration des résultats financiers. En réalité, cette opération de downsizing a plutôt produit des effets contraires aux objectifs escomptés. Les personnels les plus qualifiés se sont portés candidats au départ volontaire profitant de l’opportunité qui leur était offerte par l’Etat de bénéficier d’une forte indemnité de départ. Ils saisissaient, ainsi, la possibilité d’aller travailler au sein des entreprises privées nationales et étrangères, nouvellement installées, et qui recrutaient ces personnes qualifiées nécessaires à leur démarrage. Les personnels les moins qualifiés et qui ont refusé le deal de départ volontaire, développent une stratégie de résistance par des moyens politiques ; ils « s’agrippent » à l’entreprise en prenant possession de la section syndicale de l’entreprise qui devient l’organe par lequel il marque leur résistance au changement. KNAUF en tant que PME d’envergure internationale n’est pas dans une logique de diffusion d’un modèle de gestion de référence ; elle opère par la déconstruction- reconstruction du modèle dont elle hérite suite à son achat de l’unité. Elle opère par touches successives en faisant appel à des bureaux de conseils et à l’expertise locale pour la GRH et à sa propre expertise pour les questions techniques. Ces interventions ont concerné le système de rémunération et le recrutement de son encadrement. La direction du changement organisationnel, au départ, est confiée à un équipe de cadres expatriés qui investissent la production et redéfinissent la stratégie de l’entreprise ; elle oriente, désormais, l’activité vers la production de murs de séparation en plâtre suite à un investissement nouveau dans ce domaine. L’action sur le collectif, pour la mise au travail effective opère quant à elle à trois niveaux : - Un niveau technique, par une rénovation et une grosse opération de maintenance curative mettant fin définitivement aux fréquentes pannes dans le processus de production à l’origine d’arrêts fréquents de production et des flâneries ouvrières, - Le deuxième niveau porte sur une réorganisation de l’activité ; l’entreprise externalise les opérations d’expédition afin de mettre fin aux déviances que connaissait l’unité précédemment. En effet, l’ambivalence dans la gestion de l’interface production/expédition était à l’origine d’un détournement d’une partie de la production. - La troisième action porte sur le système de rémunération. La nouvelle direction conteste le système de rémunération en particulier les primes de rendement individuel (PRI) et prime de rendement collectif (PRC) issues de l’ancien système de rémunération le SGT (Statut général du travailleur) qui octroyait ces primes sans aucun rapport avec la production et la productivité et qui était à l’origine d’un comportement de type passager clandestin généralisé. Le nouveau contrat social met fin à ce système et introduit un système de prime effectivement lié à la production et avec un système d’appréciation faisant intervenir les responsables hiérarchiques dans l’évaluation des salariés. La multi culturalité du nouveau collectif, par lequel le nouveau management opère désormais dans la diffusion de son nouveau modèle de GRH, met en œuvre trois sous collectifs posant par la même occasion la question de leur gestion sous l’angle de leur diversité culturelle. 131 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie Le premier est composé essentiellement de personnel expatrié avec parfois des nationalités différentes, recruté par la maison mère. Il joue le rôle de diffuseur du modèle de gestion définit par le nouveau management. Ce personnel occupe une position à la fois d’ingroupe et out-groupe du fait de leur position d’extériorité immanence. Le deuxième souscollectif est représenté par les anciens de l’unité dont a hérité l’entreprise repreneuse« formatés » à la culture de l’entreprise publique sommés de changer leur culture.Ce groupe est doublement contesté dans sa majorité ; - par la faiblesse de ses qualifications que les repreneurs essaient de prendre en charge par une action de formation importante, - par les habitudes et comportement au travail ; les repreneurs imposant une discipline au travail (lutte contre les flâneries mais aussi respect des horaires) et nouvelles exigences en termes de production et de productivité dont se souciait très peu l’ancien système de gestion politique en gardant toutefois leur statut ancien et leur mode de rémunération avec une PRI /PRC calculée sur une base négociée avec le syndicat hérité la période de gestion publique. Ces personnels peu qualifiés ont développé une stratégie de forte syndicalisation pour se prémunir contre leur licenciement éventuel. Le troisième sous-collectif enfin, sur lequel s’appuie la nouvelle stratégie de reconstruction du collectif et de la nouvelle culture, comprend des personnels d’encadrement recrutés sur le marché local, en général jeunes et en situation de premier emploi avec lesquels l’entreprise essaie de construire la culture de l’entreprise telle que conçue par la nouvelle direction articulée fondamentalement autour des exigences de résultats économiques. Notre analyse fait ressortir des difficultés liées à la construction de ce nouveau col- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 132 lectif permettant de passer d’une situation de gestion de la diversité culturelle du collectif à un collectif interculturel. Jusqu’à présent nous avons affaire à une simple juxtaposition de sous collectifs qui ont des difficultés à se dissoudre dans un nouveau collectif qui gomme cette diversité correspondant aux nouvelles exigences d’une économie ouverte. Dans ce nouveau contexte, la recherche de synergie dans le souci de la performance économique incite les entreprises à envisager comme première solution la transposition d’une GRH ayant fait ses preuves d’efficacité dans des conditions analogues de concurrence. Toutefois la « transposition » du modèle de compétences ne peut se réduire à une simple copie reconduite dans un autre espace. C’est là un processus qui actionne des variables contextuelles et le jeu des différentes parties prenantes de la GRH. Le niveau d’hybridation exprime le degré d’affectation de la GRH par ces deux dimensions. Concourent à cette diffusion également les bureaux d’études et conseils étrangers sollicités par les entreprises algériennes publiques qui ont le souci de reconstruire un modèle de GRH centré sur l’exigence financière et le respect de la contrainte de production et de valorisation du capital dans le cadre de la renonciation à une GRH politique en situation d’échec. En réalité, les préconisations de ces bureaux ont le souci de répondre aux attentes des donneurs d’ordres. Pour les entreprises étrangères, ces pratiques sont transférées à travers les différentes filiales algériennes de ces entreprises en vue d’atteindre la nouvelle efficience et performance et de créer un environnement organisationnel plus isomorphe et uniforme, une culture et un climat organisationnel en rupture avec l’ancien fondé sur la négation de la contrainte budgétaire dans les entreprises publiques alors dominantes. GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie Dans le cas de KNAUF Algérie, la maison mère a sollicité les compétences de la filiale française qui a détaché des cadres techniques et administratifs pour assurer la transposition du modèle de la maison mère. La maitrise de la langue française par les intervenants est la raison essentielle de leur choix. L’action des intervenants expatriés détachés en situation de déplacement international est trop couteuse. Ils ont assuré la mission de diffuseur du nouveau modèle de gestion et cède la place actuellement au nouveau collectif formé d’autochtones issus du marché de travail national. la construction du collectif de travail ou sa reconstruction en tant que processus opère progressivement par l’émergence du sous collectif de ces jeunes nouveaux recrus qui vont progressivement affirmer leur hégémonie du fait du retrait des expatriés chargé de la mission de diffusion, de la dissolution-exclusion du sous collectif hérité de l’unité publique. L’intérêt pour les pratiques ayant fait leurs preuves dans les maisons mères, leur tentative de diffusion par les maisons mères pour les entreprises étrangères ou leur tentative d’adoption par les grandes entreprises nationales (qui sollicitent des bureaux d’étude étrangers pour leur conception et leur mise en œuvre) est le premier moment de ce processus de déconstruction reconstruction du collectif de travail. In fine, dans l’entreprise observée, la direction de l’unité qui était assurée conjointement par un des propriétaires allemand et un sous directeur issu de l’ancien groupe public revient à un jeune cadre autochtone ayant fait ses preuves au sein du groupe KNAUK. L’action voit le retrait volontaire du dirigeant l’Allemand et l’éviction du dirigeant représentant l’ancien groupe propriétaire. Par ailleurs, le sous collectif des expatriés fortement présent dans le premier temps voit sa mission finir avec l’achèvement de l’opération d’investissement et de rénovation des anciens outils de production. 2.3. Une unité nouvelle étrangère AFIA-Algérie, l’expérience d’une diffusion. Le troisième cas de figure sur lequel s’appuie notre observation est l’unité du groupe Saoudien SAVOLA /AFIA Algérie qui produit des huiles de table. Unité récente, elle a démarré la production en 2008. C’est un nouvel entrant dans la branche dominée par le groupe privé CEVITAL suite à la faillite de l’ancien monopoleur public ENCG dont certaines unités ont étés privatisées depuis peu et qui ont repris la production avec label SAFIA. Ces trois entreprises se partagent le marché avec une place dominante pour CEVITAL. Toutefois AFIA a une stratégie agressive de conquête de part du marché domestique et d’exportation vers les pays du Maghreb ; ce qui suscite la réaction des concurrents, particulièrement de CEVITAL qui essaie de préserver sa position dominante de quasi monopole. Nous sommes dans le cas de figure d’un grand groupe industriel qui dispose d’un modèle de gestion de ressources humaines de référence qu’il essaie de diffuser dans ses différentes unités dans le monde. Le champ de prédilection du groupe semble être les pays musulmans, ce qui facilite, à priori, la définition d’une GRH transposable grâce à l’enveloppe idéologique d’inspiration religieuse musulmane qu’il a adopté. Le montage du capital fixe est accompagné de celui d’un collectif de travail qui se structure et fonctionne selon les règles du modèle de gestion de la maison mère articulé autour de l’objectif d’efficacité financière. En effet, le modèle de gestion est enchâssé dans un cadre éthique d’inspiration religieuse qu’il revendique. Il est écrit dans le dispositif éthique du groupe SAVOLA qui fixe le cadre dans lequel vient s’inscrire le modèle de gestion de l’unité : «Our beliefthatdespite all efforts, 133 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie success in business needs a blessing from Allah… We firmly believe that Allah’s help and blessing will always be there supporting those who maintain good and sincere intentions ». L’usage de concepts d’inspiration religieuse ne signifie pas que l’entreprise fasse du prosélytisme ou de la diffusion d’une morale religieuse. On est en présence d’une simple logique discursive en phase avec la culture du collectif facilitant la diffusion du modèle de GRH défini par la maison mère. La seule exigence d’adaptation porte sur le respect des règles légales qui régissent les relations de travail en Algérie. Le modèle de gestion est construit sur quatre dispositifs externes qui régissent le rapport à l’autre, parties prenantes externes que sont : trusting (ihsan al-dhan) qui signifie « webelievewhatotherssay to us withoutdoubtingtheir intentions » c’est-à-dire l’absence de suspicion dans une démarche win-win ce qui facilite l’accepting ou Qabool c’est-à-dire la capacité de « trying to trulyunderstand and workwithdifferentviews ». Il ne s’agit pas d’une simple posture de tolérance mais de partage de projets dans l’acceptation de la différence. Ce qui suppose « l’approching» (LQ’BAL) l’acceptation et surtout la capacité de bénéficier de l’autre point de vue dans l’intérêt de l’entreprise donc de la capacité de faire sien cet autre point de vue lorsqu’il est en phase avec les objectifs et intérêts de l’entreprise. Le dernier dispositif Caring (MU’AZARAH) continue (LQ’BAL), il exprime la capacité de travailler avec les parties prenantes externes comme le « mutual respect and undestandingwhichexistsamongmumbers of highly effective and productive teams ». Ces dispositifs se conjuguent avec quatre autres principes de posture essentielles pour le personnel que sont confident humility (TAWADOO) qui signifie absence d’arrogance et le refus de suffisance, la disposition à apprendre ( apprenticeship Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 134 LQ’TIDA), la force de résolution ( fierceresolve AZM) et en dernier la recherche de la perfection dans le travail (relentlesspursuit of perfection IT’QAN). Les pratiques de GRH mises en œuvre par l’unité laissent apparaitre : - 1) Une logique de compétence déclinée en termes de rôle avec ses trois composantes: savoir, savoir-faire et savoir être. Cette orientation conduit à mettre en œuvre une politique de rémunération et de gestion individuelle des carrières. En effet l’entreprise ne dispose pas à proprement parler d’une grille des rémunérations ; le salaire est objet de négociation individuelle au recrutement et revu à la hausse lors de l’évaluation annuelle. Cette négociation opère dans une fourchette de variation construite à partir du salaire catégoriel modale, du salaire le plus bas et le plus élevé de la catégorie socioprofessionnelle. Le salarié qui s’avère incapable de répondre aux attentes de l’entreprise est poussé à la démission et donc éjecté du système. - 2) Une politique de sélection et recrutement, comme dispositif central de la GRH, en termes de potentiel ; la situation du marché du travail permettant d’être également exigeant quant au niveau de compétence à l’embauche. L’entreprise a le souci de choisir des personnels présentant des potentialités à mettre en œuvre les exigences du modèle de GRH de l’entreprise. - 3) le troisième élément est la tentative de faire du rapport salarial une relation d’agence par le dispositif contractuel déléguant au salarié un certain nombre d’activités au nom des actionnaires avec des objectifs et des modalités d’évaluation de leur niveau de réalisation. Ce dispositif contractuel est dénommé SMART (Specific Measurable Activable Realistic Timable). Il est particulier, susceptible de mesure et d’être activé, réaliste et GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie programmable dans le temps. Il comprend 3 obligations : - la réalisation des engagements sur le plan de l’activité qui participe à 70% du SMART - la réalisation des objectifs en termes de développement personnel (construction et développement de ses compétences) 15% du SMART, enfin - la contribution au développement des compétences de l’entreprise par un système de tutorat (coaching one to one) pour 15% du SMART. L’enveloppe sémantique à connotation « religieuse musulmane » confère au modèle de GRH de l’entreprise une dimension paternaliste certaine même si nous avons affaire à un modèle construit sur une logique de compétence déclinée en termes de rôle. La gestion par objectifs, le système de coaching transfère le contrôle du travail sur le salarié. Si le travail n’est pas supervisé directement comme c’est le cas du modèle fordien, son évaluation se fait à postériori grâce au système de coaching ainsi que le système d’appréciation concernant l’atteinte des objectifs préalablement négociés. 2.4.DISCUSSIONS Le processus de diffusion ou de transposition du modèle de GRH traduisant une situation d’isomorphisme est affecté par le dispositif institutionnel même si les entreprises sont concomitamment des acteurs dans la construction de ce dernier. La situation est différente selon que l’on a affaire à une entreprise publique ou une entreprise privée. Dans le cas des entreprises publiques qui n’ont pas connu une privatisation de leur patrimoine ou de leur gestion (« entreprises molles »), la logique de résistance du collectif de travail neutralise toute idée de changement réel. La domination d’une GRH politique affranchit l’entreprise d’une obligation de valorisation du capital, elle fait que toute tentative d’implantation d’un modèle de GRH articulé autour d’une relation de travail en termes de contribution productive-rétribution est annihilée. Le modèle proposé à la transposition est détourné de sa vocation, il est dissous dans la GRH politique dominante et dans certains cas la conforte. Ceci est possible par le retour de l’Etat gestionnaire, fort de ses capacités de financement par la rente hydrocarbures, dans les grandes entreprises publiques qui ont survécu ou qui n’ont pas été concernées par les opérations de privatisation des années 90 du siècle dernier. Ce retour marque également la volonté de l’administration centrale à travers les institutions de gouvernance des entreprises publiques de garder sa position tutélaire. Elle les réactive dans le cadre d’un projet industriel dont les contours ne sont pas clairement identifiés. Par ailleurs le collectif de travail ou du moins le sous collectif le moins qualifié active la courroie politique que constitue le syndicat pour faire valoir leur revendication auprès de l’administration centrale pour des exigences salariales et combler les déficits récurrents par le trésor publique qui prend en charge la dette des entreprises auprès des banques primaires. En réalité, le degré de changement est fonction de la capacité de générer un surplus financier qui assure un degré d’autonomie par rapport à l’administration centrale et les banques primaires qui assurent les avances en capitaux pour « les entreprises dures ». Le résultat financier positif est lui-même corrélé à la capacité de l’entreprise d’innover sur le plan de l’organisation. Le travail d’investigation de notre groupe sur différents cas, notre activité dans les entreprises publiques en tant qu’observateur immergé, en tant qu’acteur et en tant qu’observateur extérieur selon 135 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie les cas nous permet de formuler un certain nombre de remarques essentielles caractérielles de la GRH des entreprises publiques dans un contexte de globalisation. Les différentes unités publiques ont « bénéficié » de plan de restructuration des effectifs avec un financement public. Par ces plans ces entreprises ont réduit conséquemment leur effectif par la suppression de nombreux emplois redondants qu’elles connaissaient. Le changement organisationnel dans ces entreprises, la filialisation des différents sites de production voit la contestation d’une GRH centrale qui est désormais perçue comme un poids dont l’existence ne se justifie pas. Son intervention dans les différentes filiales est considérée comme non nécessaire donc à l’origine d’un coût de structure et l’entreprise gagnerait à la supprimer ou la réduire à sa portion congrue. Le retrait de l’Etat du champ économique au profit du marché, dans le cas de la privatisation du management, conduit à contester de fait une GRH politique en même temps que la gestion administrative de l’économie par la diminution des injonctions et directives de l’administration centrale. En réalité le rapport entre l’administration centrale et les directions des entreprises obéit à un mouvement de balancier fonction des possibilités de financement par la rente hydrocarbures. Dans cette situation de rupture les GRH centrales perdent leur vocation de « messager » et de porteur de directives du fait de la contestation ou de la remise en cause de la profondeur stratégique unissant les directions centrales et les unités et par voie de conséquence les DRH centrales et celles des filiales. Ce revirement stratégique est marqué par une grande incertitude avec un marché des biens et services concurrentiel et un marché du travail qui ne fournit pas nécessairement une main d’œuvre qualifiée nécessaire à la compétitivité de l’entreprise dans un marché ouvert désormais à la concurrence. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 136 Les tentatives d’adaptation des ressources humaines aux nouvelles exigences se heurtent à des facteurs internes peu maitrisés et des facteurs externes sur lesquels les entreprises publiques n’ont pas prise. Le collectif de travail hérité de l’économie administrée avec une relation d’emploi centrée sur le statut et la pérennité, avec des habitudes et des comportements peu favorables au changement, l’anesthésie de la contrainte monétaire font de ce collectif un obstacle au changement. Les résistances au changement qu’il développe, le retrait de l’Etat qui n’assure plus les avances monétaires par les banques contraignent la construction d’une nouvelle GRH adaptée au contexte. En effet ne pas pouvoir agir sur les ressources humaines est incontestablement une des raisons essentielles de l’échec des entreprises publiques en activité. Tout projet de changement se heurte à des routines organisationnelles et des résistances en particulier des collectifs restructurés peu qualifiés. C’est ainsi, comme nous avons pu le vérifier dans nos différentes investigations sur le terrain, le déficit de qualification, la persistance de mauvaises habitudes et la gestion politique d’une relation de travail qui était plutôt une relation d’emploi articulée autour d’un statut et d’une pérennité de cette relation sans exigence productive, transforme la ressource humaine en véritable contrainte. Le retrait du système bancaire et une plus grande prudence des banques quant au financement des entreprises, la récupération du pouvoir monétaire par les banques primaires fait que l’accès au crédit d’exploitation et d’investissement n’est plus automatique comme du temps d’avant les réformes des années 1990. Les spécificités sectorielles, en particulier technologiques, ne gomment pas quelques caractéristiques générales. Chaque GRH présente les particularités techniques et de marché de l’activité ou de la branche dont il faut tenir compte. La particularité du procès de travail et la configura- GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie tion du collectif deviennent une donnée dans le changement ou une contrainte. D’un autre coté, le processus de transposition semble s’opérer dans les entreprises privées avec un degré d’hybridation qui est fonction de l’existence d’une profondeur historique ou non. Le niveau d’hybridation est plus fort lorsqu’il s’agit d’une entreprise publique privatisée avec ses habitudes et son histoire que dans le cas d’une unité nouvelle issue d’un nouvel investissement. Conclusion : L’approche institutionnelle offre un cadre d’analyse qui semble approprié. Elle ouvre de nouvelles pistes centrées sur les stratégies d’acteurs. Elle montre la nécessité de dépasser la dualité conformité/résistance en mettant l’accent sur les stratégies d’acteurs; ce qui permet de dynamiser l’approche dépassant la simple adaptation et faisant de la globalisation un vaste mouvement dans lequel l’action des acteurs institutionnels à l’intérieur de l’entreprise mais aussi à l’extérieur est essentielle. L’observation de la réalité des entreprises en Algérie montre que celles-ci ne sont pas nécessairement vulnérables, elles peuvent être des acteurs importants dans la construction de cette globalisation comme elles peuvent en atténuer l’impact lorsqu’elles développent une stratégie défensive d’adaptation. Les différentes entreprises que nous avons visitées mettent en œuvre des stratégies convergentes au niveau de leur GRH face aux nouvelles exigences liées à la libéralisation de l’économie. Elles profitent toutes de nouvelles règles dans la législation du travail et optent plutôt pour une relation d’emploi discontinu avec une option préférentielle pour les CDD. Elles ont toutes mené une opération de restructuration de leurs effectifs permettant de supprimer des emplois redondants même si, dans beaucoup de cas, les départs volontaires ont été le fait de personnels qualifiés. Dans ce cas les départs se sont avérés des pertes de compétences que les entreprises ont eu des difficultés à reconstituer. Elles ont également essayé de mettre fin à un système de rémunération politique définissant le niveau de rémunération à l’extérieure de l’entreprise, par l’administration centrale. Ce système de rémunération n’établissait de manière effective aucun lien avec le niveau de production et de productivité. Il s’agissait de supprimer toute différence de salaire pour des emplois similaires à l’origine d’une mobilité interentreprises des salariés. Le marché du travail était monopolisé par l’Etat, offreur d’emplois, face à des demandeurs d’emplois qui ne pouvaient se mettre en concurrence en fonction de leur compétence ni mettre en concurrence les entreprises demandeuses. D’une manière générale, les dispositions qui relèvent de l’arrangement juridique et institutionnel local tendent à échapper à la globalisation même si les dispositifs institutionnels de la globalisation comme celui de l’OMC tendent à faire converger les règles locales. L’existence d’une profondeur historique influe sur la diffusion d’un modèle de gestion lorsque celui-ci existe. Le concept d’hybridation traduit les conditions de sa transposition en tant que construit social. L’absence de cette profondeur historique, qui agit comme contrainte, comme c’est le cas de AFIA, la prise en compte des variables culturelles facilite la diffusion d’un modèle de GRH de la maison mère. Nous sommes alors en présence d’un modèle ethnocentrique où les expatriés interviennent dans la filiale comme diffuseur du modèle. 137 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 GRH et Mondialisation : la question de la diffusion du modèle de gestion dans les entreprises en Algérie Références : Aktouf O. (1987), Méthodologie des sciences sociales et approche qualitative des organisations, une introduction à la démarche classique et une critique, PU du Québec. Montréal Barabel M, Huault L. et Meier O. (2004), Is cooperation definitive? Discontinuous development of industrial district, Academy of management, New Orleans, août. Boxenbaum E. (2005), Micro-dynamic mechanisms of translation: a double case study, Academy of management best papers, Hawaii, août. Chandler A.D. (1962), strategy and structure: chapters in the history of the industrial enterprise, Cambridge MIT Press. Chandler A.D. 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Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) Abir BESBES Université de Tunis Boualem ALIOUAT Université de Nice Sophia Antipolis GREDEG, UMR 7321 Houcine KHEMIRI Université de Manouba RESUME ABSTRACT Il a été mainte fois attesté qu’il existerait une relation directe entre les pratiques de la Gestion des Ressources Humaines (GRH) et la performance supposée des entreprises, cependant peu de travaux empiriques solides confortent cette relation. Cette relation présente une importance théorique et pragmatique très utile mais elle nécessite encore d’être formulée et même démontrée de façon plus explicite. Il s’agit, en fait, d’un phénomène encore relativement méconnu et peu vérifié (Chrétien et al., 2005). C’est notamment le cas dans les pays où l’innovation est établie en priorité de développement national, en particulier en Tunisie. C’est dans ce cadre d’étude, d’incitation à l’innovation, que nous cherchons à construire un modèle de GRH applicable aux entreprises en général à partir d’une analyse empirique tunisienne. Cet article s’inscrit dès lors comme une contribution à la mesure de cette relation entre pratiques RH et performance d’entreprise. Partant, nous introduisons les concepts d’apprentissage organisationnel et de capacité d’innovation pour étudier leurs effets médiateurs entre les pratiques RH et l’avantage compétitif. Par voie de conséquence, nous recherchons une relation avec la performance de l’entreprise. En suivant une démarche quantitative et à l’issue d’une étude empirique menée sur un échantillon de 351 entreprises tunisiennes, nous cherchons donc à déterminer non seulement dans quelle mesure les pratiques de GRH génèrent un avantage compétitif puis une performance supérieure, mais aussi, dans quelle mesure l’apprentissage organisationnel et la capacité d’innover médiatisent cette relation. It has been attested many times that there is a direct relationship between the practices of Human Resources Management (HRM) and corporate performance assumed, however, just a little empirical analysis confirm this relationship. This relationship has important theoretical and pragmatic useful but still needs to be formulated and proved even more explicitly. It is, in fact, a phenomenon relatively unknown and few checked (Christian et al., 2005). This is particularly the case in countries where innovation is determined by priority of national development, especially in Tunisia. It is, within this framework of study, encouraging innovation; we seek to build a model of HRM applicable to enterprises in general from an empirical analysis in Tunisia. This article is therefore a contribution to the extent of the relationship between HRM practices and business performance. Accordingly, we introduce the concepts of organizational learning and innovation to study their effects mediating between HR practices and competitive advantage. Consequently, we seek a relationship with the performance of the company. Following a quantitative approach and an empirical study on a sample of 351 Tunisian firms, we seek to determine not only the extent to which HRM practices generate a competitive advantage and superior performance, but also the role of organizational learning and innovation capability in mediating the HRM practices - competitive advantage relationship. MOTS-CLES: Pratiques de GRH, Apprentissage organisationnel, Capacité d’innovation, Avantage compétitif, Performance de l’entreprise. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 140 KEYWORDS: HRM Practices, Organizational Learning, Innovation Capability, Competitive Advantage, Firm Performance. Well, no cannonballs did fly, no rifles cut us down No bombs fell from the sky, no blood soaked the ground No powder flash blinded the eye, no deathly thunder sounded But just as sure as the hand of God, they brought death to my hometown They brought death to my hometown, boys Bruce Springsteen, Death to my Hometown, Wreckling Ball, 2012 INTRODUCTION En Tunisie, comme ailleurs, l’innovation et l’apprentissage organisationnel sont souvent associés à la capacité qu’a une entreprise de se renouveler sans cesse et par conséquent de se maintenir sur le marché, ou de consolider sa compétitivité. Parfois, on associe les pratiques de GRH à ces capacités dynamiques en les mettant même au cœur du processus. Cependant que rien ne permet de dire comment ces pratiques RH agissent sur la compétitivité et la performance de l’entreprise. C’est précisément ce que nous tentons de modéliser dans ce travail de recherche : à savoir, comment les pratiques RH agissent précisément sur l’innovation et l’apprentissage pour intensifier la compétitivité et la performance de l’organisation. Dans les contextes d’affaires qui se caractérisent aujourd’hui par un environnement incertain voire turbulent, le fait de maintenir et développer des capacités dynamiques adossées à la compétitivité et à la performance de l’organisation s’imposent de plus en plus comme des facteurs clés de succès stratégiques. De nombreuses recherches se penchent vers une explication de l’avantage compétitif en termes de ressources. Différents critères ont été présentés dans la littérature permettant de distinguer entre les ressources qui fondent un avantage concurrentiel de celles qui ne le procurent pas, comme l’immobilité, l’hétérogénéité, la rareté, l’inimitabilité, la non-substitution et la non-transférabilité (Peteraf, 1993). Cette recherche s’inscrit dans l’optique de l’analyse de l’avantage compétitif basé sur les ressources (Resources Based View). Cette théorie a été avancée pour la première fois par Wernerfelt en 1984 et postule que le succès de la firme est largement déterminé par les ressources dont elle dispose et contrôle (Galbreath, 2005). La théorie des ressources a permis le développement de différentes approches visant à explorer les concepts de connaissances, compétences et capacités à savoir l’approche basée sur les connaissances, l’approche des capacités dynamiques et l’approche des compétences (Brulhart et al., 2010). Toutes ces approches ont insisté directement ou indirectement sur le facteur humain qui tend à avoir un poids stratégique accru eu égard aux nouvelles exigences de l’environnement. Ces dernières ont incité l’entreprise à chercher de plus en plus à se distinguer de ses concurrents par son personnel. De ce fait, plusieurs pratiques de GRH ont été considérées comme cruciales à l’avantage compétitif (Gagnon et Arcand, 2011). Ces pratiques peuvent supporter le processus d’apprentissage au sein de l’organisation (Jabbour et Santos, 2008). Elles peuvent aussi développer un capital 141 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) humain capable de créer de nouveaux produits et services et donc d’innover (Chen et Hung, 2009). Pour Helfat et Peteraf (2003), la conception d’une nouvelle capacité implique notamment la création d’une équipe avec un leader organisée autour d’un objectif et capable d’une action jointe. La nouvelle équipe commence avec un ensemble de dotations ; par exemple, chacun des membres de l’équipe possède un capital humain (savoir-faire, connaissances, expérience) et un capital social (à l’intérieur et/ou à l’extérieur). Dans ce cadre, la GRH conduit les membres de l’équipe à développer des capacités complémentaires et interagir pour améliorer le fonctionnement de l’équipe. Notre problématique (et son modèle conceptuel, cf. Schéma 1) s’énonce comme suit : Dans quelle mesure, les pratiques de GRH, l’apprentissage organisationnel et la capacité d’innover génèrent-ils un avantage compétitif à l’entreprise et améliorent sa performance? D’une façon spécifique, nous cherchons à traiter les problèmes suivants : 1. Dans quelle mesure les pratiques de GRH procurent-elles un avantage concurrentiel ? 2. Dans quelle mesure les pratiques de GRH, par l’intermédiaire de l’apprentissage organisationnel et la capacité d’innover, génèrent-elles un avantage compétitif ? 3. Dans quelle mesure cet avantage améliore-t-il la performance de l’entreprise ? Shéma1: Modèle conceptuel et contribution mesurée de l’impact des pratiques de GRH sur la performance Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 142 Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) Théoriquement, nous proposons certaines sources d’un avantage compétitif et nous vérifions si elles peuvent effectivement fonder cet avantage. Ainsi, nous vérifions la supposition généralement acceptée dans la littérature qu’il existe une relation significative entre certaines ressources (surtout intangibles) l’avantage compétitif et la performance. Empiriquement, nous cherchons à présenter aux entreprises la mesure de l’impact de certaines variables sur la compétitivité et la performance pour identifier les combinaisons de compétences/ ressources auxquelles elles doivent s’intéresser prioritairement. Présentons à présent les précisions conceptuelles, les hypothèses formulées, la méthodologie adoptée, l’analyse des données et les principaux résultats constatés qui structurent notre travail. 1.DEFINITIONS CONCEPTUELLES DES PRATIQUES RH ET DE LEURS IMPACTS SUR L’ORGANISATION Nous établissons un lien entre pratiques de RH, apprentissage organisationnel, capacités d’innovation, avantage compétitif et performance. 1.1. Pratiques de GRH : entre universalisme et contingence La Gestion des Ressources Humaines (GRH) est une fonction de l’entreprise qui a pris ces dernières années une importance considérable eu égard aux changements de l’environnement externe (Gagnon et Arcand, 2011). Elle « consiste en un ensemble de démarches visant à recruter un personnel talentueux et plein d’énergie, à le perfectionner et à le conserver » (Schermerhorn et al., 2008). La GRH est désormais vue sous un angle stratégique en cherchant un alignement entre la stratégie RH et la stratégie d’entreprise (Arcand, 2006 ; Chrétien et al., 2005). Cet alignement peut être matérialisé par la mise en place des pratiques de GRH au service de la compétitivité et la performance de l’entreprise. Pour Chen et Huang (2009), les pratiques de ressources humaines sont les principaux moyens par lesquels les entreprises peuvent influencer et façonner les compétences, les attitudes et les comportements des individus pour l’exécution du travail et ainsi l’atteinte des objectifs de l’organisation. Ces pratiques regroupent toutes les décisions managériales et toutes les activités qui affectent la nature de la relation entre les entreprises et son personnel (Demirkaya et al., 2011). Il ressort de la littérature trois approches en gestion stratégique des ressources humaines à savoir l’approche universaliste, l’approche de contingence et l’approche de configuration (Hounkou, 2011 ; Gagnon et Arcand, 2011) : (1) Une approche universaliste qui considère qu’il faut mettre en place les meilleures pratiques de GRH ayant un effet significatif sur la performance de l’entreprise, et ce, d’une façon universelle et indépendante du contexte stratégique. Ainsi, il existe en GRH des pratiques qui sont meilleures que d’autres, qu’il faut les repérer et les appliquer afin d’accroître la performance organisationnelle, notamment sou l’angle de la motivation, la participation, la formation, le recrutement et la rémunération (Tseng et Lee, 2009) ; (2) une approche de contingence qui intègre la notion d’alignement entre les pratiques de GRH et les facteurs de contingence auxquels l’entreprise est soumise. Il s’agit d’une nuance 143 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) à l’approche universaliste (Fabi et Garand, 2004). En effet, l’idée des meilleures pratiques et de leur effet universel a été remise en cause car les pratiques de GRH ne sont appropriées que lorsqu’elles sont compatibles avec les contingences dont subit l’entreprise (Gagnon et Arcand, 2011). Ce sont donc les facteurs contextuels qui déterminent les pratiques de GRH à mettre en œuvre (Huselid, 1995) ; et enfin (3) une approche de configuration qui postule que les systèmes de GRH qui regroupent les activités GRH doivent être liés à la nature et à la spécificité de chaque entreprise (Hounkou, 2011). Ces activités peuvent s’influencer mutuellement pour créer « une véritable réaction en chaîne » (Gagnon et Arcand, 2011, p.7). Le fait de générer des configurations convenantes à tel ou tel type de stratégie paraît difficile, voire même utopique (Hounkou, 2011). Dans le cadre de cette recherche, nous adoptons une conception universaliste en nous basant sur les pratiques stratégiques de GRH les plus citées (la motivation, la participation, la formation, le recrutement et la rémunération). La motivation est liée à l’ensemble des forces qui poussent un individu à adopter un comportement particulier. La participation est le degré auquel l’individu est impliqué dans le processus de prise de décision dans l’organisation (Tseng et Lee, 2009). La formation englobe toutes les activités donnant la possibilité d’acquérir de nouvelles compétences professionnelles ou d’enrichir celles déjà existantes (Schermerhornd et al., 2008). Le recrutement est l’ensemble des actions visant à sélectionner, sur la base de certains critères et selon certaines méthodes, le candidat correspondant aux besoins de l’organisation. Enfin, la rémunération est considérée comme la rétribution allouée aux salariés en contrepartie de leurs activités professionnelles. Elle permet à l’entreprise d’attirer de garder des candidats talentueux (Tseng et Lee, 2009). Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 144 1.2. Apprentissage organisationnel : entre expérience et connaissance Les origines de l’apprentissage organisationnel remontent aux recherches en psychologie sociale et cognitive (Piaget, 1952 et 1967 ; Bandura, 1980 ; Argyris et Schon, 2001, Bateson, 1977 ; Kolb, 1984). Issue de cette origine, l’étude de l’apprentissage s’est développée ensuite par les travaux en sciences de gestion (management, GRH, marketing, système d’information). Cet apprentissage permet d’améliorer la compréhension des conditions nécessaires pour aboutir à la formation effective de capacités (Slaouti, 2012). La formation relèverait d’un processus complexe de combinaison de différentes ressources dans lequel l’apprentissage organisationnel reste essentiel (Zollo et Winter, 2002). Lors de cet apprentissage, on assiste à une acquisition de connaissances (Wang et Ahmed, 2007), à leur partage au niveau collectif (Helfat et Peteraf, 2003) et enfin à leur diffusion au sein de l’entreprise (Nonaka, 1994 ; Narayanan et al, 2003). Cependant, si nous pouvons percevoir la formation de capacités comme un processus d’acquisition, de partage et d’intégration de connaissances au niveau organisationnel (Felin et Foss, 2009), nous maîtrisons beaucoup moins comment les ressources sont ajustées pour former ces capacités (Schreyyög et Kliesh-Eberl, 2007 ; Grant, 2008 ; Helfat et al, 2007). Les capacités organisationnelles sont enchâssées dans des processus organisationnels focalisés sur la coordination, l’apprentissage et la transformation, mais les capacités dans les routines et les processus peuvent procurer une source d’avantage concurrentiel pour la firme (Harreld, O’Reilly et Tushman, 2007; Wu et al. 2010). Au demeurant, les capacités dynamiques dites « higher order » (Collis, 1994; Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) Winter, 2003) sont par ailleurs identifiées par Dannells (2011) comme des « métacapacités » correspondant aux capacités d’apprentissage à apprendre (« learning to learn capabilities »). Malgré l’existence d’une littérature développée, le concept d’apprentissage ne fait pas l’unanimité (Slaouti, 2012). Plusieurs définitions ont été données dans la littérature sans pour autant éliminer la confusion sur le sens du concept (Crossan et al., 1995 ; Real et al., 2006). Peu d’auteurs s’entendent réellement sur la définition et l’opérationnalisation du concept de l’apprentissage organisationnel (Vézina et Messier, 2005). Les multiples approches théoriques montrent des conceptualisations à la fois différentes et complémentaires. Différentes conceptions de l’apprentissage existent : les approches comportementale, expérientielle, cognitive, évolutionniste, et du knowledge management : (1) L’idée maîtresse de l’approche comportementale est que l’apprentissage est une réponse à un stimulus fondée sur les routines. Cette approche est ainsi centrée sur le traitement des informations pour la résolution des problèmes (March et Simon, 1958 ; Cyert et March, 1963). L’apprentissage organisationnel implique donc des systèmes types de pensée et plus particulièrement des systèmes d’acquisition, d’interprétation, de diffusion et de stockage des informations et des résultats des expériences organisationnelles (Chenhall, 2005). Selon Reix (1995), un apprentissage survient lorsque l’organisation, par le traitement des informations, accroît «le répertoire» de ses réponses possibles à des événements récurrents ou sélectionne des réponses mieux adaptées et plus efficientes; il y a donc accroissement de la connaissance disponible dans l’organisation. Dans sa conception de l’apprentissage, l’approche behavioriste a suscité des critiques multiples. Elle a été considérée comme une approche réductionniste dans la mesure où elle réduit l’apprentissage à un simple processus d’adaptation et d’ajustement (Argyris et Schön, 2001). En outre, elle accorde plus d’intérêt aux procédures qu’aux individus (Schön, 1983). Enfin, elle ignore la dynamique interne de l’organisation et les interactions existantes entre ses membres (Machat, 2003). (2) L’approche expérientielle place l’expérience en amont du cycle d’apprentissage. L’expérimentation en continu fonde l’apprentissage dans l’organisation (Day, 1994). Il s’agit d’un processus à partir duquel une connaissance est créée par la transformation de l’expérience (Kolb, 1984 tel que cité par Machat, 2003). Ce processus d’apprentissage est qualifié de dynamique, car il établit un contact direct entre l’apprenant et son environnement. A chaque fois que l’individu interagit avec son environnement, il expérimente de nouvelles solutions permettant d’enrichir son vécu expérientiel et de satisfaire ses besoins (Karolewicz, 2000). Toutefois, l’expérience ne suffit pas pour apprendre de nouvelles situations (Senge, 1991), d’où la limite de l’approche expérientielle. (3) L’approche cognitive se fonde essentiellement sur la psychologie cognitive. L’apprentissage est considéré comme un changement cognitif et une modification de la connaissance (Fiol, 1994). Ainsi, cette approche met en lumière les processus cognitifs faisant référence à la façon d’acquérir et utiliser la connaissance (Ubeda-Garcia, 2001) ou à l’ensemble d’informations ancrées dans l’expérience, les valeurs et les croyances personnelles (Nonaka et Takeuchi, 1995). Dans cette approche, l’apprentissage a été défini par Machat (2003, p. 29) comme étant «un processus d’interaction entre l’environnement (à travers les informations qui en proviennent), l’individu (à travers ses modèles d’interprétation et ses comportements (à travers la réponse environnementale associée)». 145 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) (4) L’approche évolutionniste introduit les changements dans les routines organisationnelles et apparaît ainsi complémentaire à l’approche cognitive. Les changements des connaissances de l’individu retracent une évolution ou un changement de ses comportements (Ubeda-Garcia, 2001). Nelson et Winter (1982, p.21) considèrent l’apprentissage comme: « Le processus par lequel la répétition et l’expérimentation font que, au cours du temps, des tâches sont effectuées mieux et plus vites, et que de nouvelles opportunités dans les modes opératoires sont sans cesse expérimentées ». Concrètement, une organisation apprenante est celle dont les éléments structurants (personnel, bases de données, procédures de gestion…) évoluent sous l’effet des pratiques (Chanal, 2003). Dans ce sens, le phénomène d’apprentissage a été considéré comme une modification dans le temps des connaissances mobilisées dans la pratique. (5) L’approche basée sur les connaissances est centrée sur les connaissances collectives que les individus mobilisent dans leurs actions (Midler, 1994). L’apprentissage implique alors le développement des actions pertinentes entraînant une amélioration du «corpus» des connaissances disponibles au niveau de l’entreprise (Ubeda Garcia, 2001). Il permet de conjuguer trois phénomènes organisationnels: le changement, la technologie et le dynamisme. L’apprentissage a pour objectif le développement des structures et des systèmes ; il explique l’innovation technologique en contribuant à l’augmentation des connaissances des individus et de l’organisation et correspond à un concept dynamique, car il est autant adaptation aux changements de l’environnement qu’action de changement interne dans l’organisation (Ubeda Garcia, 2001). Dit autrement, l’apprentissage organisationnel concerne tout autant les systèmes de traitement de l’information pour la résolution des problèmes (courant comportemental), les Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 146 processus basés sur les expériences (courant expérientiel), les processus cognitifs (courant cognitif), les processus en évolution continue basés sur le principe de variation (courant évolutionniste) et enfin, les processus dynamiques qui résultent du partage et du développement de la connaissance entre les membres de l’organisation (courant du knowledge management). Ces différentes approches théoriques ne sont néanmoins pas contradictoires, mais plutôt complémentaires (Slaouti, 2012). Dans cet esprit, les dimensions fréquemment associées au concept d’apprentissage sont l’engagement dans l’apprentissage, l’ouverture d’esprit et la vision partagée (Baker et Sinkula, 1999). A ces trois dimensions, Calantone et al. (2002), en élargissant le concept de son niveau organisationnel à un niveau inter-organisationnel, ajoute la dimension du partage inter-organisationnel de la connaissance. Dans le cadre de cette recherche, nous nous appuyons sur les quatre dimensions avancées par Calantone et al. (2002). 1.3. Capacité d’innover : conserver un spectre large d’observation Plusieurs approches sont également à distinguer : (1) L’approche comportementale constitue le paradigme dominant relatif à l’adoption de l’innovation, et ce, en mettant l’accent sur les actions de l’organisation liées à l’application des idées nouvelles et à l’innovation des produits et processus à travers l’application des idées nouvelles permettant la création de la valeur ajoutée d’une manière directe pour l’entreprise et indirecte pour ses clients (Weerawardena et O’Cass, 2004). Ainsi, la capacité d’innover a été considérée comme l’aptitude de la firme à développer et implémenter de nouvelles idées, Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) produits et processus (Luo et al. 2005). Il s’agit de la capacité de la firme à s’engager dans l’innovation (Koc et Ceylan, 2005). (2) L’approche culturelle privilégie la philosophie de l’entreprise telle que les valeurs de la culture organisationnelle (Besbes et Gharbi, 2010). En l’assimilant à un aspect de la culture organisationnelle, Hurley et Hult (1998) considèrent l’innovation comme la perspective collective qui s’ouvre à des idées nouvelles. Calantone et al., (2002), dans leur définition culturelle, attachent la capacité d’innover à la volonté d’une organisation à se changer. Pour Baumol (2002), la capacité d’innovation est «la reconnaissance des opportunités de changements profitables et la poursuite de ces opportunités tout au long de leur adoption dans la pratique ». (3) L’approche du knowledge management a accentué le rôle de la connaissance dans la détermination et l’amélioration de l’innovation (Besbes et Gharbi, 2010). Selon Chen et Huang (2009), la capacité de la gestion des connaissances a un impact positif et significatif sur l’innovation. Certaines études ont même considéré que l’innovation commence par la construction d’une nouvelle connaissance (Demerest, 1997; Martinet, 2003). Pour Nonaka et Takeuchi (1995), la connaissance est l’essence même de l’amélioration du processus d’innovation. Ce processus passe par une interaction bien comprise entre les connaissances organisationnelles et son environnement. C’est dans ce sens que l’amélioration de la capacité d’innover repose sur l’interaction et la création d’idées basées sur des connaissances organisationnelles et sur la diffusion de nouvelles connaissances tout en tenant compte des enjeux concurrentiels. Donc, il ne s’agit pas de construire des bases de connaissances en elles-mêmes, mais plutôt de chercher à s’organiser pour que les pratiques innovantes se diffusent à travers l’or- ganisation et contribuent ainsi à son progrès (Chanal, 2003). En général, à tous les égards conceptuels, l’innovation ne se réduit pas à une idée nouvelle, une invention. C’est plutôt une idée qui rencontre effectivement un marché (Liouville, 2006). Les nouvelles idées qui sont perçues comme utiles, mais que le marché les rejette sont plutôt qualifiées d’erreurs (Parellada et al., 1997). Dans le cadre de cette recherche, nous intégrons les différentes perspectives et nous considérons que l’innovation est un concept à la fois culturel, comportemental et basé sur la connaissance. Cette triangulation est motivée par le fait qu’il vaut mieux conserver une vision générale sur ce concept, en tenant compte de tous les aspects qui régissent l’innovation. 1.4. Avantage compétitif : du positionnement aux ressources Par une approche dite Market Based View, l’avantage compétitif ou concurrentiel n’est que l’avantage qui donne à une organisation les moyens d’exploiter les forces du marché et de l’environnement mieux que ses concurrents (Schermerhorn et al., 2008). Sa conception diffère selon qu’il s’agit d’une approche structurelle ou d’une approche basée sur les ressources (Slaouti, 2012). (1) L’avantage compétitif selon l’approche structurelle développée principalement par M. Porter, accrédite l’idée que l’avantage concurrentiel et la performance de l’entreprise sont déterminés par la structure de l’industrie. Certaines industries sont plus profitables que d’autres eu égard à leur structure et à la structure de leur environnement (Meschi, 1997). Cette approche se fonde sur le positionnement produit/marché et sur l’examen de toutes les activités de la chaîne de valeur. Selon Porter (2000), une firme développe 147 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) son avantage concurrentiel en exerçant ses activités stratégiques et créatrices de valeur à meilleur marché et mieux que ses concurrents. On parle des «activités qu’une firme accomplit pour concevoir, fabriquer, commercialiser, distribuer et soutenir son produit» (Porter, 2000, p. 49). La façon dont chaque activité créatrice de valeur est exercée déterminera, non seulement, si la firme a des coûts élevés ou faibles par rapport à ses concurrents, mais aussi, la contribution qu’elle apporte aux besoins des clients et à la différenciation (Porter 2000). Cette approche a été jugée déterministe et a cédé désormais la place à l’approche des ressources (Meschi, 1997). (2) La théorie des ressources, quant à elle, aborde une conception de l’avantage compétitif dans une perspective différente de celle de Porter. L’avantage compétitif repose principalement sur des combinaisons de ressources spécifiques qui sont non seulement hétérogènes entre les firmes et imparfaitement mobiles (Hunt, 2000), mais aussi, rares, non imitables, non substituables et non transférables. C’est en termes d’avantage comparatif provenant d’une combinaison originale de ressources que la firme peut obtenir sur le marché une position d’avantage compétitif (Hunt, 2000). Cette position permet à la firme de produire une offre de marché qui, comparativement à l’offre des concurrents, est perçue par le client comme ayant une valeur supérieure et/ou produite à des coûts plus faibles (Hunt, 2000). Toutefois, la stratégie de marché requiert des ressources uniques pour la supporter de la même façon qu’une stratégie basée sur les ressources doit être complétée par une bonne stratégie de marché sans laquelle la firme, peu important ses aptitudes uniques, échouera (Tallman, 2001). Le paradigme des ressources ne s’oppose pas à l’approche de Porter en termes de coûts ou de différen- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 148 tiation; il la complète et même l’approfondit en distinguant les ressources stratégiques qui fondent l’avantage compétitif de celles qui ne le sont pas. 1.5. Performance de l’entreprise : des mesures objectives et subjectives La notion de performance renvoie au rapport « Résultat – Effort » (Besbes et Gharbi, 2010). Elle indique le degré d’accomplissement des objectifs, des normes, des buts ou des plans retenus par l’organisation (Silem A., 1990). Ainsi, la performance est évaluée relativement à des objectifs ou des références (Bourguignon, 1995). Selon Bourguignon A. (1995), la performance peut avoir trois équivalences : (1) l’action, (2) le résultat de l’action et (3) le succès. D’abord, la performance est « une action » c’est-à-dire un processus et non pas un résultat. Ce processus correspond au fait d’agir et d’exécuter un travail ou une activité. Ensuite, la performance est le résultat de l’action. Il s’agit donc de procéder à l’évaluation des résultats obtenus suite à l’action mise en œuvre. Enfin, la performance est synonyme de succès dans le sens où elle renvoie à des représentations subjectives d’une réussite variable et dépendante des acteurs (Bourguignon, 1995). La mesure de la performance peut être effectuée d’une façon objective ou subjective ou les deux à la fois en intégrant les critères objectifs et subjectifs. Dans sa mesure objective, on peut associer au concept de la performance et à titre d’exemple les dimensions du volume des ventes, de la profitabilité et de la croissance des parts de marché. Dans sa mesure subjective, des dimensions comme la satisfaction des clients et leur fidélité ont été associées à la performance. Dans un esprit d’intégration, nous optons pour les mesures Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) objectives et subjectives de la performance et nous nous appuyons sur les dimensions de Hooley et al. (2005) à savoir la satisfaction du client, la fidélité du client, la part relative du marché, le volume comparatif des ventes et la profitabilité. 2008). Partant des constats qui précédent, nous émettons l’hypothèse suivante : H1 : Les pratiques de GRH ont un impact positif sur l’apprentissage organisationnel 2.2. Pratiques de GRH et Capacité d’innover 2. HYPOTHESES DE RECHERCHES : DES PRATIQUES RH A LA PERFORMANCE SUPERIEURE Nos hypothèses de recherche résultent des approches conceptuelles croisées que nous formulons dans le cadre de ce protocole enchaînant les pratiques GRH, l’avantage compétitif et la performance supérieure de l’entreprise. Comme nous le verrons, les hypothèses 1 à 5 retracent les relations entre les pratiques de GRH, l’apprentissage organisationnel, la capacité d’innover et l’avantage compétitif, tandis que les hypothèses H6 et H7 concernent les variables qui médiatisent la relation entre Pratiques GRH et Avantage compétitif. L’hypothèse H8 associe ensuite l’Avantage compétitif et la Performance de l’entreprise. 2.1. Pratiques de GRH et Apprentissage organisationnel Les pratiques de GRH peuvent supporter le processus de l’apprentissage organisationnel. En proposant un modèle analysant la contribution des ressources humaines à la gestion de l’environnement, Jabbour et Santos (2008) considèrent que les pratiques de GRH sont liées au travail en équipe, à la culture organisationnelle et à l’apprentissage organisationnel. Ces facteurs sont essentiels pour l’efficacité des pratiques de GRH (Jabbour et Santos, Étant donné que la source de l’innovation est la création d’une nouvelle idée, le capital humain est devenu plus radical et les pratiques de GRH ne peuvent être qu’une première étape d’avance sur les autres techniques (Harun Demirkaya et al., 2011). Les pratiques stratégiques en GRH peuvent conduire aux activités innovatrices, car ces pratiques permettent à l’entreprise de découvrir et d’exploiter les connaissances et les expertises des employés dans l’organisation (Chen et Huang, 2009). Ainsi, nous formulons l’hypothèse suivante : H2 : Les pratiques de GRH ont un impact positif sur la capacité d’innover 2.3. Pratiques de GRH et Avantage compétitif De nombreuses recherches se sont consacrées à l’étude de la relation directe entre les pratiques de GRH et la performance de l’entreprise (Hounkou, 2011 ; Tseng et Lee, 2009 ; Gagnon et Arcand, 2011, chrétien et al., 2005). En adoptant la RBV, certaines recherches ont démontré l’effet des pratiques de GRH sur la création et le maintien d’un avantage compétitif soutenable (Huselid, 1995 ; Fields et al., 2000). Selon Gagnon et Arcand (2011, p.3), « la GRH est confrontée à plusieurs problématiques organisationnelles qui font ressortir l’importance de se doter d’avantages compétitifs ». Ainsi, nous supposons ce qui suit : 149 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) H3 : Les pratiques de GRH ont un impact positif sur l’avantage compétitif 2.4. Apprentissage organisationnel et Avantage compétitif La capacité à apprendre plus vite que les concurrents a été considérée comme un avantage compétitif durable (Slater et Narver, 1995 ; Sinkula et Baker, 1999). Selon Nicholls (1994), dans un environnement caractérisé par des changements rapides, l’avantage compétitif effectif d’une organisation provient de ses capacités à apprendre comment reconnaître de nouvelles circonstances et à y répondre. La connaissance même a été considérée comme le fruit d’un processus d’apprentissage qui constitue une source soutenant l’avantage compétitif (Ubeda Garcia, 2001). « Ce sont les concepts d’apprentissage collectif et de connaissances accumulées qui justifient la supériorité de l’entreprise et permettent de construire des avantages compétitifs durables » (Caroline Sargis, 2000, p. 5). Compte tenu de ces constats, nous avançons l’hypothèse suivante : H4 : L’apprentissage organisationnel a un impact positif sur l’avantage compétitif 2.5. Capacité d’innover et Avantage compétitif Les recherches théoriques et empiriques consacrées à l’innovation tendent plus ou moins vers les mêmes résultats qui démontrent l’effet significatif et positif de la capacité d’innover sur la compétitivité et la performance de l’entreprise. Luo et al. (2005) ont même considéré que l’importance de l’innovation n’est plus à dé- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 150 montrer ou à expliquer. Il est nécessaire de chercher à s’organiser pour que les pratiques innovantes se diffusent à travers l’organisation et contribuent ainsi à son progrès (Chanal, 2003). Au sens de Teece et al. (1997), la capacité d’innover est une capacité dynamique qui renouvelle la compétence et accomplit de nouvelles configurations de ressources. Elle permet à l’entreprise de s’aligner aux changements des forces du marché et par conséquent de s’adapter aux évolutions de l’environnement des affaires et des règles du jeu concurrentiel. Eu égard à ces constats, nous proposons de vérifier l’hypothèse suivante : H5 : La capacité d’innover a un impact positif sur l’avantage compétitif 2.6. Impact médiateur de l’apprentissage et de la capacité d’innover Implicitement, les pratiques de GRH peuvent affecter l’avantage compétitif à travers l’apprentissage organisationnel. En effet, par des pratiques comme la motivation et la formation, l’employé acquière des compétences et mobilise de nouvelles connaissances lui permettront une meilleure résolution des problèmes et une meilleure reconnaissance des nouvelles circonstances pour y répondre et développer un avantage compétitif. De même, les pratiques de GRH peuvent affecter l’avantage compétitif à travers l’innovation. En fait, ces pratiques vont motiver et bien former les employés pour encourager leurs actions créatrices et exploiter leurs connaissances et compétences et par conséquent développer de nouveaux produits et/ou de nouveaux procédés de travail, ce qui améliore la compétitivité de l’entreprise. Nous supposons alors ce qui suit : Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) 3. METHODOLOGIE DE RECHERCHE Nous exposons ici les principes adoptés pour la mesure des variables et les outils de collectes de données et d’échantillonnage. 3.1. Mesure des variables H6 : L’apprentissage médiatise la relation « Pratiques GRH - Avantage compétitif » H7 : La capacité d’innover médiatise la relation «Pratiques GRH Avantage compétitif» 2.7. Avantage compétitif – Performance de l’entreprise Hunt (2000) considère que l’objectif de la firme est la réalisation d’une performance financière supérieure. Cette performance supérieure (parité, inférieure) résulte des positions du marché relatives à un avantage compétitif (parité, désavantage). Dans une vision basée sur les ressources, le développement et le maintien d’un avantage compétitif déterminent la performance de l’entreprise, et même agit sur sa densité (Davis et al., 2003). Selon Li et al., (2006), l’avantage compétitif accorde même à l’entreprise des niveaux élevés de performance économique, de satisfaction des clients, de fiabilité et d’efficacité relationnelle. La position compétitive est généralement la première source explicative des différences de performances entre les firmes. Ainsi, nous proposons l’hypothèse suivante: H8 : L’avantage compétitif a un impact positif sur la performance de l’entreprise Pour mesurer les pratiques de GRH, nous retenons l’échelle adoptée par Tseng et Lee (2009). Cette échelle est composée de 23 items et dégage une assez bonne fiabilité (Alpha de Cronbach: α =0,75) et une validité significative confirmée. L’apprentissage organisationnel a été mesuré par les échelles adoptées par Calantone et al., (2002) jugée fiable (α =0,777) et valide. Pour mesurer la capacité d’innover, Perdomo-ortiz et al. (2005) adoptent l’instrument de mesure désigné par Tang (1999) relatif aux facteurs clés de succès du processus de l’innovation. Les auteurs retiennent 23 items dans leur instrument de mesure « Business Innovation Capability measurement instrument ». Li et al., (2005, 2006) ont développé une échelle multidimensionnelle de mesure de l’avantage compétitif dans ses dimensions prix/coût, qualité, conditions de livraison, innovation-produit, temps de commercialisation. Cette échelle dégage une bonne fiabilité (α= 0,818) et une validité bien vérifiée. Toutes les échelles précitées sont de type « Likert » à cinq points allant de 1= « fortement en désaccord » à 5= « fortement en accord ». En ce qui concerne la performance, l’échelle de mesure multidimensionnelle développée par Hooley et al. (2005) s’avère parfaitement adaptée à notre recherche. Cette échelle mesure à la fois la performance commerciale et financière. Elle est de type « Likert » à cinq point allant de 1= « très faible » à 5= « de loin la meilleure ». Sa validité a été bien vérifiée et sa fiabilité a été jugée bonne (l’Alpha de Cronbach est de l’ordre de 0,86). 151 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) 3.2. Outil de collecte des données et processus d’échantillonnage L’outil de collecte de données que nous avons retenu était le questionnaire. Il a regroupé toutes les échelles de mesure et il a été soumis à un pré-test. Les deux versions finales en français et en anglais ont été administrées par différents modes : face à face, Fax et téléphone, et Internet. La population choisie était relative aux entreprises tunisiennes opérant dans le secteur informatique et télécommunication, le secteur industriel (agroalimentaire, emballage et conception, électronique) et le secteur financier (les banques). Les méthodes d’échantillonnage suivies étaient la méthode par choix raisonné et celle de convenance. Le choix de l’une ou de l’autre dépend principalement de certains critères ou de certaines circonstances. Notre échantillon final se compose de 351 entreprises. La répartition de l’échantillon selon les secteurs d’activités est comme suit: 31% des entreprises appartiennent au secteur informatique (développement software), 13% des entreprises agissent dans le secteur télécommunication, 4% des entreprises font partie du secteur bancaire et 52% des entreprises appartiennent au secteur industriel dont 22% en agroalimentaire, 20% en emballage et conception et 10% en électronique. Le critère de la taille a été étudié en se basant sur le nombre d’employés: 24,8% des entreprises ont un nombre d’employés entre 10 et 50. Cette tranche enregistre le taux le plus élevé. En deuxième rang et pour moins que 10 employés, on enregistre 23,1% des entreprises alors que 18,2% ont un nombre d’employés variant entre 50 et 100. Donc, 66,1% des entreprises de notre échantillon ont un nombre d’employés ne dépassant pas 100 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 152 et sont en conséquence de petite et moyenne taille (PME). Il y a uniquement 16,5% des entreprises qui ont plus que 250 employés et 13,6% ont un nombre d’employés variant entre 100 et 250. 4. ANALYSE DES RESULTATS EMPIRIQUES ET DISCUSSION Nous vérifions les échelles de mesure avant d’évoquer la confirmation potentielle des hypothèses. 4.1. Vérification des échelles de mesure La vérification de la validité et de la fiabilité des échelles de mesure adoptées a été effectuée par l’analyse factorielle suivie par l’analyse de fiabilité. Les deux types d’analyse ont été effectués par le moyen du logiciel SPSS.19. (1) Pour la mesure des pratiques de GRH, l’analyse factorielle montre que le test KMO est satisfaisant en affichant une valeur de 0,757 (>0,5). Les résultats montrent aussi que le test de sphéricité de Bartlett est significatif (Khi-deux= 1684,641; p= 0,000). L’analyse en composantes principales fait ressortir quatre facteurs : (1) la formation (20,084% de l’information saisie), (2) la motivation et la rémunération (20,777%), (3) le recrutement et la rémunération (13,8%) et (4) la participation (12,157% de l’information récupérée). L’échelle est de bonne fiabilité en dégageant un Alpha de Cronbach de l’ordre de 0,832. (2) Pour la mesure de l’apprentissage organisationnel, l’analyse factorielle montre que la matrice des données originales est factorisable. En effet, le test de KMO affiche une valeur de 0,873 (>0,5). De même, le test de sphéricité de Bartlett est significatif (Khi- Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) deux= 2484,471; p= 0,000). L’analyse en composantes principales fait ressortir trois facteurs. Le premier facteur représente la vision partagée. Il dégage une valeur propre de 4,183 et saisit 27,846% de l’information récupérée. Le deuxième facteur relatif à l’engagement dans l’apprentissage dégage une valeur de 1,591 et saisit 27,218% de l’information récupérée. Le troisième facteur qui regroupe à la fois l’ouverture d’esprit et le partage des connaissances a une valeur de 1,245 et saisit 15,118% de l’information récupérée. L’analyse de fiabilité montre une bonne fiabilité pour le premier et le second facteur (soit respectivement α=0,852 et α=0,813) et une fiabilité acceptable pour le troisième (α= 0,639). (3) En vérifiant la mesure de la capacité d’innover, nous avons constaté que le test KMO et le test de sphéricité de Bartlett sont satisfaisants. En effet, l’indice KMO enregistre une valeur de 0,891 (>0,5) et le test de sphéricité est significatif (Khi-deux approximé = 3048,954; p=0,00). La quatrième analyse en composantes principales fait ressortir quatre facteurs ayant des valeurs propres supérieures à 1. L’ensemble des facteurs saisit 60,268 % de l’information initiale. Le premier facteur regroupe à la fois l’information et la communication & le comportement et l’intégration. Le deuxième est relatif aux projets innovateurs. Le troisième facteur exprime les connaissances et compétences & la planification alors que le dernier explique l’ouverture à l’environnement externe. L’analyse de fiabilité montre une bonne consistance interne pour le premier facteur (Alpha de Cronbach= 0,827. La fiabilité des trois autres facteurs est acceptable (soit respectivement α= 0,779 ; α= 0,732 ; α= 0,696). (4) L’analyse factorielle effectuée sur l’échelle de l’avantage compétitif montre que le test KMO et le test de sphéricité de Bartlett sont satisfaisants. En effet, l’indice KMO enre- gistre une valeur de 0,802 et le test de sphéricité est significatif (Khi-deux= 2153,953; p= 0,000). La purification de l’échelle a été basée sur l’élimination de l’item n° 3 de l’avantage-qualité car il montre une faible qualité de représentation (soit 0 ,328 < 0,5). L’analyse en composantes principales montre cinq facteurs ayant des valeurs propres supérieures à 1 et expliquant en total 73,742% de l’information initiale. Ces facteurs sont respectivement la qualité (17,586% de la variance), l’innovation- produit (16,734%), le temps (16,106%), les conditions de livraison (11,744%), le prix (11,572%). L’analyse de fiabilité montre une bonne fiabilité pour les premier, deuxième et cinquième facteurs (α=0,830; α=0,863; α=0,826). La fiabilité des troisièmes et quatrièmes facteurs est acceptable (α=0,755 ; α=0,759). (5) La vérification de la validité et de la fiabilité de l’échelle de la performance montre deux facteurs ayant des valeurs supérieures à 1 et représentant 77,309 % de la variance totale. Le premier facteur (49,760% de la variance) indique la performance financière supérieure avec une bonne fiabilité (α=0,896). Le second facteur (27,549% de la variance) représente la performance commerciale supérieure et il est jugé de très bonne fiabilité (α= 0,916). 4.2. Vérification des hypothèses Comme nous le verrons, toutes nos hypothèses sont confirmées. Comme le présuppose notre modèle conceptuel général, les pratiques de GRH affectent positivement et significativement l’avantage compétitif via les capacités d’apprentissage organisationnel et les capacités d’innover qui, à leur tour, accordent à l’entreprise une performance supérieure. 153 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) 4.2.1. L’impact des pratiques de GRH sur l’apprentissage organisationnel • Pratiques GRH / Apprentissage-Vision partagée (annexe 1) Les pratiques de GRH expliquent d’une façon significative 18% de la vision partagée (F=18,372; p=0,000). Les quatre facteurs des pratiques de GRH agissent de manière positive et significative sur l’engagement dans l’apprentissage. En effet, leurs Bêtas standardisés sont positifs et significatifs. Leurs significations sont assurées par les tests de Student affichant des valeurs supérieures à 1,96 avec des probabilités d’erreur inférieures au seuil de 5%. • Pratiques GRH / Apprentissage-Engagement dans l’apprentissage (annexe 2) L’engagement dans l’apprentissage est expliqué de l’ordre de 21,7% par les pratiques de GRH. Cette relation est positive et significative et elle se manifeste par les quatre facteurs des pratiques de GRH. • Pratiques GRH/ Apprentissage-Ouverture d’esprit et partage des connaissances (annexe 3) Les pratiques de GRH expliquent 5,6% l’apprentissage organisationnel en termes d’ouverture d’esprit et de partage des connaissances. C’est uniquement la formation qui agit négativement sur ce facteur. Nos résultats confirment notre première hypothèse selon laquelle les pratiques de GRH ont un impact positif et significatif sur l’apprentissage organisationnel. 4.2.2. L’impact des pratiques de GRH sur la capacité d’innover Les pratiques de GRH expliquent la capacité d’innover en termes de trois facteurs (annexe 4). Elles expliquent 20,9% des «Informations & communications et Comportement & intégration», 24,6% des «Projets innovateurs» et 8,3% de l’«Ouverture sur l’environnement externe». Ces pratiques n’expliquent pas la Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 154 capacité d’innover en termes des «connaissances & compétences et planification». De par ces résultats, nous confirmons notre deuxième hypothèse stipulant que les pratiques de GRH agissent positivement sur la capacité d’innover. 4.2.3. L’impact des pratiques de GRH sur l’avantage compétitif Les pratiques de GRH expliquent 9,4% de l’avantage-qualité, 4,1% de l’avantage-innovation, 24,1% de l’avantage-temps et 5,6% de l’avantage-prix. Ces relations sont significatives. Les équations de régression sont résumées dans l’annexe 5. Sur la base de ces résultats, nous confirmons notre troisième hypothèse stipulant que les pratiques de GRH ont un impact positif et significatif sur l’avantage compétitif. 4.2.4. L’impact de l’apprentissage organisationnel sur l’avantage compétitif • Apprentissage organisationnel / Avantage-qualité (annexe 6) L’apprentissage organisationnel explique 24,7% de l’avantage-qualité (R2=0,247). Cette relation est significative (F=32,997 ; p=0,000). En ce qui concerne les paramètres de régression, nous constatons que les trois facteurs de l’apprentissage organisationnel agissent de manière positive et significative sur l’avantage- qualité. • Apprentissage organisationnel / Avantage - Innovation produit (annexe 7) L’apprentissage organisationnel explique 5,1% de l’avantage compétitif en termes de l’innovation- produit. Cette relation est significative (F=16,249 ; p=0,000). Nous constatons qu’uniquement la vision partagée a un impact positif et significatif sur l’avantageinnovation produit. La constante et les deux autres facteurs sont non significatifs. • Apprentissage organisationnel / Avantage-temps (annexe 8) L’apprentissage organisationnel explique Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) significativement 10,8% de l’avantage-temps (F=18,248 ; p=0,000). La vision partagée et l’engagement dans l’apprentissage agissent positivement et d’une façon significative sur l’avantage-temps (les Bêtas sont positifs et significatifs). • Apprentissage organisationnel / Avantage-livraison (annexe 9) L’analyse de régression montre que 2,9 % de l’avantage-livraison est expliqué par l’apprentissage organisationnel. Il s’agit d’une relation significative (F=4,486; p=0,012). Le seul facteur ayant un impact positif et significatif sur l’avantage- livraison est la vision partagée. Les autres facteurs ont été écartés pour leur non-signification. • Apprentissage organisationnel / Avantage-prix (annexe 10) Le modèle global de régression montre que 5% de l’avantage- prix est expliqué par l’apprentissage organisationnel. Ce modèle correspond à une relation significative (F= 8,003 ; p= 0,000). La vision partagée et l’engagement dans l’apprentissage ont un impact positif et significatif sur l’avantage compétitif/ prix. Tout ce qui précède nous mène à constater que l’apprentissage organisationnel explique l’avantage compétitif en termes de qualité, innovation- produit, temps, conditions de livraisons et prix. Donc, nous confirmons notre hypothèse stipulant que l’apprentissage organisationnel a un impact positif sur l’avantage compétitif. 4.2.5. L’impact de la capacité d’innover sur l’avantage compétitif • Capacité d’innover/ avantage- qualité: Le modèle global de régression est significatif et explique 14,6% de la variation de l’avantage-qualité. L’analyse de régression montre que deux facteurs de la capacité d’innover agissent positivement sur l’avantage- qualité (l’information & communication et projets innovateurs). Les autres paramètres ont été exclus pour leurs faibles significations. • Capacité d’innover/ avantage- innovation: La capacité d’innover explique 11,8% de l’avantage compétitif basé sur l’innovationproduit (R-deux = 0,118). Le modèle global de régression est significatif (F=19,419 ; p=0,000). L’analyse de régression montre que les deux facteurs «Information & Communication et Comportement & Intégration» et «Ouverture sur l’environnement externe» agissent positivement et d’une façon significative sur l’avantage- innovation. C’est l’ouverture sur l’environnement externe qui a l’impact le plus important sur cet avantage. • Capacité d’innover/ avantage- temps: La capacité d’innover explique 12,5% de l’avantage- temps. Cette relation est bien significative (F=10,272 ; p=0,000). Les facteurs ayant des impacts positifs et significatifs sur l’avantage-temps sont l’«Information & Communication et Comportement & Intégration», les « Projets innovateurs » et « Connaissance & Compétences et Planification ». • Capacité d’innover/ avantage- livraison: Le modèle global de régression explique 8% de la variation de l’avantage- livraison. Ce modèle est significatif. L’«Information& Communication et Comportement& Intégration» agit positivement et significativement sur l’avantage basé sur les conditions de livraison [β= 0,257 ; (t= 4,556; p= 0,000)]. Au contraire, le facteur «projets innovateurs» agit négativement et d’une manière significative sur l’avantage- livraison [β= -0,111 avec (t= -1,969; p= 0,050)]. • Capacité d’innover/ avantage- prix: Le modèle de régression montre que 3,5% de l’avantage compétitif en termes de prix est expliqué par la capacité d’innover (R-deux = 0,035). Les projets innovateurs constituent la seule variable qui agit d’une manière positive et significative sur l’avantage compétitif- prix [β= 0,154 avec (t= 2,674; p= 0,008)]. Au vu des régressions (annexe 11), nous constatons que la capacité d’innover explique l’avantage 155 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) compétitif en termes de qualité, innovationproduit, temps, conditions de livraison et prix. Donc, nous confirmons notre hypothèse stipulant que la capacité d’innover a un impact positif sur l’avantage compétitif. 4.2.6. L’impact médiateur de l’apprentissage et de la capacité d’innover Pour vérifier les effets médiateurs de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover sur la relation entre les pratiques de GRH et l’avantage compétitif, nous suivons la procédure de Baron et Kenny (1986) relative à l’analyse de l’effet médiateur en quatre étapes. La première étape est d’examiner la relation entre la variable indépendante (pratiques de GRH) et la variable dépendante (avantage compétitif). C’était le sujet de notre première hypothèse. La seconde étape est de vérifier les relations entre la variable indépendante (pratiques de GRH) et les variables médiatrices (apprentissage organisationnel et capacité d’innover). Il s’agit de nos deuxième et troisième hypothèses. La troisième étape est de vérifier les relations entre les variables médiatrices et la variable dépendante (avantage compétitif). Ce sont nos quatrième et cinquième hypothèses. La quatrième étape est d’inclure les variables médiatrices dans le modèle et de vérifier si elles affectent les relations directes. Les résultats montrent que l’influence des pratiques de GRH sur l’avantage-qualité et l’avantage-livraison au travers l’apprentissage organisationnel est forte car la médiation est presque totale (annexe 12). En effet, la majorité des paramètres de régression sont non significatifs. Par contre, l’apprentissage organisationnel joue un rôle partiellement médiateur entre les pratiques de GRH et l’avantage compétitif en termes de l’innovation-produit, de temps et de prix. L’apprentissage réduit significativement les coefficients de régression. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 156 Les résultats montrent aussi que la capacité d’innover a un impact médiateur entre les pratiques de GRH et l’avantage compétitif en termes de qualité, innovation-produit, temps, conditions de livraison et prix. Donc, nous confirmons qu’aussi bien l’apprentissage organisationnel et la capacité d’innover ont un impact médiateur sur la relation «pratiques de GRH- Avantage compétitif». 4.2.7. L’impact de l’avantage compétitif sur la performance de l’entreprise • Avantage compétitif / Performance financière supérieure L’avantage compétitif explique 16,2% de la performance financière supérieure. Cette relation est significative (F=13,357 ; p=0,000). Les résultats de régression montrent que la constante et la variable «avantage- prix» sont non significatives (t<1,96 ; p>0,050). Ce sont les «avantage- qualité», «avantagetemps» et «avantage- livraison» qui agissent positivement et significativement sur la performance financière supérieure. L’équation de régression est exposée en annexe 13. • Avantage compétitif / Performance commerciale supérieure L’analyse de régression montre que 14,4 % de la performance commerciale supérieure est expliquée par l’avantage compétitif basé sur la qualité, l’innovation- produit, le temps et le prix (R-deux = 0,144). Ce modèle correspond à une relation significative. L’analyse montre aussi que la constante et le coefficient standardisé « Bêta » de l’avantage- livraison sont non significatifs (t=1,938 ; p=0,054). Au contraire, pour les avantages qualité, innovation, temps et prix, les Bêtas sont positifs et significatifs. L’équation de régression est exposée en annexe 14. Au vu de ces régressions, nous confirmons notre hypothèse stipulant que l’avantage compétitif a un impact positif sur la performance de l’entreprise. Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) 4.3. Discussion des résultats Notre étude a permis de jeter d’abord un regard nouveau sur la relation directe entre les pratiques de GRH, l’avantage compétitif et la performance. Nos résultats trouvent leurs origines dans les études théoriques et pratiques soulignant l’importance stratégique des pratiques de GRH (Hounkou, 2011 ; Chrétien et al., 2005 ; Chen & Huang, 2009 ; Tseng et Lee, 2009). Ensuite, nous avons vérifié aussi bien l’impact de l’apprentissage organisationnel que de la capacité d’innover sur l’avantage compétitif. Ces ressources sont souvent considérées comme source d’un avantage compétitif durable. Enfin, nous avons examiné le rôle médiateur de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover sur la relation « Pratiques de GRH et Avantage compétitif ». Les résultats montrent que cette relation est affectée positivement par ces ressources et que l’impact bénéfique des pratiques de GRH peut être fortifié à travers l’apprentissage organisationnel et la capacité d’innover. Une approche systémique des pratiques de GRH enchâssées dans une démarche de fertilisation de l’apprentissage organisationnel et de stimulation de la créativité et de l’innovation par des actions de veille systématique, d’open source, de knowledge management, d’eLearning, de partage d’information, de décloisonnement des services, d’incitation à la prise d’initiatives, à la prise de risques, à l’implication dans des projets, à l’empowerment, etc. comme le démontrent des études récentes en matière de compétitivité et d’innovation (Aliouat, 2010). 157 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) CONCLUSION De nombreuses recherches sur la performance de l’entreprise penchent vers des explications fondées sur les ressources. Notre étude vise à éclairer les relations, d’une part, entre des ressources comme les pratiques de GRH, l’apprentissage organisationnel et la capacité d’innover et l’avantage compétitif et d’autre part, entre l’avantage compétitif et la performance de l’entreprise. Notre étude a mis en exergue le rôle médiateur de l’apprentissage et de la capacité d’innover entre les pratiques de GRH et l’avantage compétitif. Notre recherche a permis de vérifier la supposition généralement admise dans la littérature selon laquelle il existe une relation significative entre les ressources, l’avantage compétitif et la performance. Son principal apport consiste à montrer l’effet médiateur de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover sur la relation « Pratiques de GRH- Avantage compétitif » en comparant entre cette relation directe et la relation médiatisée. Cette recherche présente un certain nombre de limites cependant. La première limite est relative au caractère sélectif de l’étude qui touche aussi bien les ressources que les liens qui les unissent. Nous avons écarté certains concepts et liens bien que leur introduction permette d’approfondir notre problématique. On donnera l’exemple à la relation «Apprentissage organisationnel- Capacité d’innover» non traitée dans le cadre de cette étude. Il y a même d’autres ressources comme «la gestion de la connaissance » qui peuvent affecter les trois ressources identifiées dans notre modèle. La deuxième limite touche la nonprise en compte des facteurs de contingence comme les facteurs environnementaux ou les forces concurrentielles. Enfin, le contexte de notre étude empirique manque de généra- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 158 lité, car l’échantillon appartient à un même contexte environnemental et culturel. Le test de la perspective des ressources nécessiterait un contexte beaucoup plus généralisé. Ces limites peuvent ouvrir tout autant un certain nombre de voies de recherche. L’introduction de certains concepts dans le modèle ou la supposition d’autres relations pouvant exister entre différentes ressources pourra enrichir les cadres d’analyse. Les facteurs de contingence écartés dans la présente étude peuvent aussi, être introduits dans le modèle afin d’en améliorer la capacité explicative. Enfin, le contexte empirique doit être plus généralisé pour tester l’universalité des propositions émises. Références : Aliouat B. (dir.) (2010), Les Pôles de compétitivité : Performance et Gouvernance des réseaux d’innovation, Lavoisier-Hermes Sciences Publishing, Paris. Arcand, G. 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ANNEXES: Annexe 1 Annexe 2 163 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) Annexe 3 Annexe 4 Annexe 5 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 164 Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) Annexe 6 Annexe 7 Annexe 8 Annexe 9 Annexe 10 Annexe 11 165 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) Annexe 12 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 166 Les pratiques de GRH augmentent-elles la compétitivité et la performance ? Rôle de l’apprentissage organisationnel et de la capacité d’innover (cas des firmes tunisiennes) Annexe 13 Annexe 14 167 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Regard Croisé Itinéraire d’un enseignant chercheur : une question de méthode Zahir YANAT BEM Bordeaux Business School RESUME ABSTRACT L’objet de cette contribution est de satisfaire un besoin de méthodes, celle de l’observation participante et celle des histoires de vie et de montrer l’intérêt de mobiliser les sciences humaines pour saisir la réalité du monde des organisations, la comprendre et agir. Il s’agit d’affirmer une place importante aux méthodes, qui, valorisant l’homme, tout l’homme, permettent de traquer le dit et le non-dit, l’observable et le non observable et de s’interroger sur le sens des écarts entre ce qui est prescrit et la réalité observable. Deux méthodes sont évoquées. Ces méthodes, par leur dimension épistémologique, permettent d’accéder à une reconnaissance exhaustive de l’homme, de tout l’homme, et par leur dimension opérationnelle, permettent d’accéder à une connaissance exhaustive de l’activité d’un individu dans une organisation. En s’interrogeant sur les disciplines mobilisables pour accéder à cette reconnaissance exhaustive de l’homme, nous mettrons en évidence l’interdisciplinarité des connaissances nécessaires à la formation de l’homme. The purpose of this contribution is to meet a need for methods, that of participant observation and life stories, and to show the interest of mobilizing the social studies to understand the real nature of organizations world, understand it and act. It’s about putting a lot of emphasis on methods, which, valuing man, man as a whole, allow to track down said and unsaid, the observable and the unobservable, and to wonder about the sense of the differences between what is prescribed and observable reality. Two methods are discussed. These methods, by their epistemological dimension, provide access to comprehensive recognition of man, the whole man, and by their operational dimension, provide access to a comprehensive knowledge of the activity of an individual in an organization. By wondering about the mobilizable disciplines to access this comprehensive recognition of man, we will highlight the interdisciplinarity of knowledge necessary for man training. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 168 INTRODUCTION La méthodologie appliquée à mes travaux de recherche est celle que je continue d’enseigner à mes doctorants. Elle est le résultat de mon itinéraire professionnel. Mes premiers contacts avec le monde de la gestion remontent à une cinquantaine d’années, lorsque, jeune diplômé de Sciences Politiques de Bordeaux, j’ai intégré la Société nationale de Sidérurgie (SNS) entreprise d’Etat algérienne, chargée de la production et de la commercialisation de produits métallurgiques et sidérurgiques. J’ai découvert les fondements de la gestion en marchant. Les entreprises fonctionnaient alors sous l’emprise du seul droit et des orientations politiques des ministères de la planification, de l’industrie, du commerce et du travail. Ce paradigme dominant s’exprimait sous la forme d’un « verrouillage » de toutes les fonctions de l’entreprise et de « la mise sous tutelle » de la demande sociale. Mes premiers contacts avec le monde de la recherche en gestion ont débuté avec la préparation d’un diplôme d’étude approfondie des organisations (DEA) en 1980. La marginalisation observée à l’endroit de la fonction personnel (on ne disait pas, alors « la gestion des ressources humaines ») avait pour conséquence une réduction de la marge de manœuvre des acteurs chargés de gérer les hommes et les femmes de l’entreprise. Mais s’agit-il d’une conviction ? D’une fatalité ? Etait-ce irréfutable ? Irrémédiable ? C’est ce questionnement qui habitait alors mes préoccupations. La vie passée à la SNS, puis, successivement, au service de la Société Nationale des Peaux et cuirs (Sonipec) et de la Société Nationale de Manutention (Sonama) m’a convaincu de la pesanteur bureaucratique produite par le contexte juridico –poli- tique, contrebalancé et par la capacité de l’acteur à en prendre conscience et à produire une résistance significative d’un pouvoir toujours présent d’affirmation de son « je » et de son « jeu » stratégique singulier. C’est dans ce contexte que prend place ma décision de m’interroger de façon systématique sur ma pratique en poursuivant mes travaux de recherche en sciences de gestion. Je renforçais alors mes contacts avec six éminentes personnalités amies qui ont joué très tôt un rôle fondamental dans mon itinéraire de nouvel enseignant chercheur. Je les nommerais par ordre alphabétique avec la volonté de leur rendre hommage. - Henri Atlan est un biologiste qui soulève des questions philosophiques fondamentales. Ami de longue date, né à Blida, prés de ma résidence algérienne. C’est par ses œuvres et à son contact que je me suis initié à la complexité de l’organisation, à la métaphore de l’organisme vivant pour définir l’entreprise, à l’épistémologie et à l’éthique. C’est par le contact qu’il m’a permis avec Henri Laborit et Edgar Morin que j’ai découvert, en direct, les fondamentaux de la pensée complexe. - Luc Boyer, ami de 35 ans, directeur de recherche à Paris dauphine, président de la revue Management et Avenir, past directeur chez Hay France, m’a fait découvrir l’impact de la méthode des temps élémentaires sur l’efficacité du fonctionnement des entreprises. - Le regretté Jean Guy Mérigot, mon directeur de thèse, qui m’a initié à la recherche en gestion, co-créateur des IAE en France. - Jean Marie Peretti, ami de plus de 40 ans, Professeur à l’IAE de Corte et à l’ESSEC, président de l’Institut International de l’Audit So- 169 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Regard Croisé Itinéraire d’un enseignant chercheur : une question de méthode cial, (IAS) qui a vécu sa première expérience d’enseignant à l’IFC en Algérie, époque où j’étais moi-même, « cadre chargé des techniques de gestion » à la SNS. Jean Marie a qui je dois mon intégration, en devenant notamment, à mon tour, président de l’IAS. - Le regretté Jean Pierre Renault, ami disparu trop tôt ; qui a créé l’un des premiers DESS en gestion des ressources humaines en France, qui m’a intégré dans son équipe d’enseignants vacataires à Bordeaux, et m’a permis de découvrir les joies de ce métier d’enseignant, tout en poursuivant mon activité de gestionnaire en Algérie. - Raymond Vatier, ami de 50 ans, fondateur de l’IAS, connu pour sa passion pour les questions de formation des adultes, qui a créé notamment le CESI, à l’origine un centre de formation pour ingénieurs. C’est Raymond qui m’a initié aux méthodes de l’audit social, contribuant ainsi à mon devenir d’auditeur agréé auprès de l’IAS. L’apport de chacune de ces personnalités citées est singulier, découverte de la pensée complexe, mise en place de la méthode des temps élémentaires dans les ateliers de production, initiation à la recherche en gestion, implication dans la gestion d’une association professionnelle, apprentissage du métier d’enseignant en gestion et initiation aux méthodes de l’audit social. Mais ces apports portent aussi sur un domaine commun, celui de la compréhension des phénomènes sociaux et organisationnels, ce que Karl Popper exprime en ces termes : « Je crois personnellement qu’il y a au moins un problème qui intéresse tous les hommes qui pensent : le problème de comprendre le monde, nous-mêmes et notre connaissance en tant qu’elle fait partie du monde ». Dès l’année 90, mon itinéraire professionnel – Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 170 tant dans le domaine de l’enseignement de la gestion que de la consultation en entreprise – a été marqué par cette approche méthodologique applicable à tout projet de recherche : Comprendre (dimension explicative) les informations recensées (dimension descriptive) pour agir sur la réalité (dimension prescriptive). Il a également été marqué par l’appartenance des personnalités citées au courant humaniste que je cultive moi-même depuis plusieurs années, quand je faisais mes « humanités » par l’étude du grec et du latin. Mon itinéraire me conduit à adopter, plus particulièrement depuis la soutenance de ma thèse en 1987, des méthodes, qui, valorisant l’homme, tout l’homme, permettent de traquer le dit et le non-dit, l’observable et le non observable et de s’interroger sur le sens des écarts entre ce qui est prescrit et la réalité observable. L’objet de ma contribution est de satisfaire un besoin de méthodes, celle de l’observation participante et celle des histoires de vie et de montrer l’intérêt de mobiliser les sciences humaines pour saisir la réalité du monde des organisations, la comprendre et agir. Nous évoquerons dans une première partie de ce travail, deux méthodes qui, par leur dimension épistémologique, permettent d’accéder à une reconnaissance exhaustive de l’homme, de tout l’homme et par leur dimension opérationnelle, permettent d’accéder à une connaissance exhaustive de l’activité d’un individu dans une organisation. Dans une deuxième partie, nous nous interrogerons sur les disciplines mobilisables pour accéder à cette reconnaissance exhaustive de l’homme et mettrons en évidence l’interdisciplinarité des connaissances nécessaires à la formation de l’homme. Regard Croisé Itinéraire d’un enseignant chercheur : une question de méthode 1. Une question de méthodes ● Première méthode : l’ethnométhodologie. C’est l’étude des méthodes que Garfinkel (1984) appelle «raisonnement sociologique pratiqué, ethno suggérant qu’un membre extérieur dispose du savoir de sens commun de la société en tant que servir de quoi que ce soit». Selon le témoignage de Coulon (1990) la méthodologie, dans le terme ethnométhodologie, est considérée comme un thème d’étude mais n’est pas réduite à un appareillage scientifique. Il s’agit bien, au contraire, de rechercher chez les opérationnels, leur logique de «sens commun», ce qu’ils ont en eux-mêmes incarné. Si nous nous plaçons d’un point de vue épistémologique nous suivrons Karl Poppper car nous croyons «qu’il y a au moins un problème qui intéresse tous les hommes qui pensent : le problème de comprendre le monde, nous-mêmes et notre connaissance en tant qu’elle fait partie du monde». Selon cette démarche, pour comprendre «le monde, nous-mêmes et autrui, il faut être attentif au fait social total». Cette attention portée à nous-mêmes et à tout ce qui nous entoure se réalise en l’absence de connaissances à priori (Mucchielli, 1991). L’exemple cité par Harold Garfinkel est édifiant. A la suite d’un travail d’observation sur les délibérations de jurés (1954) il est frappé par la capacité de ces jurés, non spécialistes du droit, à mettre en œuvre une méthode d’évaluation afin de juger de pièces, explications….échangées et présentées dans le cadre du procès. Quatre jurés parviennent à travailler en puisant dans un stock de savoirs, de pratiques évaluatives qui relèvent du sens commun. Frappé par le rôle déterminant de ce sens commun que partagent les membres d’un groupe, Garfinkel dirige son attention vers l’étude des raisonnements pratiques mis en œuvre en permanence par les individus pour vivre dans le monde social. En considérant les faits sociaux non comme des choses mais comme des accomplissements pratiques, Garfinkel rompt avec la tradition positiviste qui fait du métier une réalité objective et du salarié un agent sans histoire ni passion. Dans ce contexte, une connaissance complète du métier signifie non seulement la prise en compte des faits objectifs retenus par les analystes du travail dont c’est la responsabilité mais aussi des pratiques considérées comme non conformes à ce qui a été prescrit. Pour cette raison, l’ethnométhodologie va porter un intérêt évident aux actes de la vie quotidienne qui peuvent paraître les plus banals afin d’y percevoir les procédures et les interactions à l’œuvre pour la construction de ces comportements cachés. L’ethnométhodologie va privilégier deux approches essentielles pour avoir accès à la connaissance experte. - Tout d’abord, elle va privilégier l’étude des pratiques langagières Selon elle, la vie sociale, la vie en entreprise comme la vie dans tout autre type d’organisation, se constitue en grande partie à travers le langage qui possède trois propriétés essentielles : o indexalité : les expressions sont dénuées de sens lorsqu’elles sont déconnectées de leur contexte. o réflexivité : cette propriété traduit le fait que le langage est une pratique qui permet non seulement de décrire mais de construire un sens, un ordre. La description de la situation participe à la situation. o accountability : Il s’agit de reconnaître que, grâce au langage, les actions, celles qui ne nous sont pas extérieures, sont descriptibles, reportables, analysables. - L’observation participante constitue la deuxième approche. Nous empruntons à Bruyn 171 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Regard Croisé Itinéraire d’un enseignant chercheur : une question de méthode (1966) les trois axiomes qui constituent l’essentiel de cette approche. o l’observateur participant partage la vie, les activités et les sentiments des personnes, dans une relation de face à face o l’observateur est un élément «normal» (non forcé, non simulé, non étranger à) dans la culture et dans la vie des personnes observées o le rôle de l’observateur participant est «un reflet» au sein du groupe observé, du processus social de la vie du groupe en question. L’observateur procède par immersion dans la population cible, sans que cette intrusion altère, de façon décisive, le fonctionnement du groupe et les comportements des individus. L’approche consiste donc, comme Malinowski (1922) lui-même le dit : «à participer à ma façon à la vie du village, à attendre avec plaisir les réunions et les festivités importantes, à prendre un intérêt personnel aux palabres et aux petits incidents journaliers ; lorsque je me levais chaque matin la journée s’annonçait pour moi plus ou moins semblable à ce qu’elle allait être pour un indigène». Il n’est pas besoin de remonter si loin dans l’histoire pour témoigner d’autres pratiques d’observation participante. Ainsi, un chercheur de l’Ecole des Hautes Etudes a choisi en1983 un terrain d’étude original : une «tribu» de 40 000 salariés dispersés dans des restaurants collectifs gérés par la SODEXO. L’entreprise, de simple objet d’étude, est devenue peu à peu un partenaire de la recherche. Ecoutons ce témoignage : «Les salariés ne sont pas des machines qui obéissent aux ordres venus d’en haut. On peut toujours leur promettre des primes et des sanctions, si on ne comprend pas leur mode de fonctionnement on ne saura jamais pourquoi les décisions de la direction ne sont pas appliquées…». Un autre chercheur, de HEC Montréal a effectué deux séjours Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 172 d’observation participante dans deux brasseries (canadienne et algérienne). La durée totale des séjours «avoisine les quatre vingt cinq jours, répartis entre juillet 1981 et mars 182. Tout au long de ces journées de participation il s’est livré à des investigations qui lui ont permis de recueillir des informations pertinentes. Son insertion à Montréal s’est faite sur la base d’une embauche comme employé saisonnier avec toute liberté pour choisir le lieu de travail. A Alger, l’embauche étant impossible il a travaillé épisodiquement en tant qu’employé bénévole». Dans les deux cas il a pu enregistrer des données selon le procédé recommandé par JP Spradley(1980) et reposant sur les principes suivants : - Principe d’identification de langage : s’attacher à faire un enregistrement de paroles et langage utilisés réellement et concrètement sur le terrain. - Principe d’enregistrement littéral : il convient de noter fidèlement ce qui a été dit, les notes devant être prises mot à mot. - Principe du concret : toute description de la situation observée doit être faite en termes «vivants». - Principe du rapport condensé : le rapport devra reproduire les faits les plus pertinents, significatifs de la situation observée. - Principe du rapport élargi : Spradley conseille de compléter le rapport condensé par des détails, des commentaires. - Principe du journal quotidien : il s’agit de la tenue d’un journal de bord dans lequel sont reproduits «à l’identique» les moindres détails des faits observés et des actes réalisés, ainsi que la nature des rapports entre le comportement des acteurs observés et le comportement de l’observateur. Au cours de mes interventions diagnostics je me suis moi-même attaché à respecter ces principes «d’implication». En ma qualité de chef de service, de salarié de l’entreprise, il Regard Croisé Itinéraire d’un enseignant chercheur : une question de méthode m’était facile de m’intégrer à la culture ambiante. Rouage de la structure de l’entreprise, j’ai effectué des travaux identiques à ceux des personnes objet de mon observation. Ayant à observer le travail d’un tourneur, j’ai, pendant trois semaines, pointé et opéré sur tour. J’ai ainsi perçu en direct les difficultés de réalisation en conformité avec les prescriptions du bureau d’études. J’ai ressenti également le plaisir d’appropriation du travail bien fait mais aussi, parfois, la crainte d’une réalisation défectueuse. En fin de journée, je notais régulièrement au journal de bord l’ensemble des faits observés et des perceptions et appréciations engrangées. Ces faits, ces perceptions, les paroles des uns et des autres ont permis la rédaction de la partie de mon rapport consacrée aux conditions de travail. Ces pratiques d’accession à la connaissance des activités professionnelles ne sont pas à l’abri des critiques. Les plus sévères viennent des fonctionnalistes qui reprochent le côté «non objectif» de ces pratiques. Les fonctionnalistes remarquent notamment que l’observation pour lire les non-dits enfouis dans la conscience de l’acteur fait appel à ses capacités d’interprétation des signes symboliques. Ce faisant, l’observateur participant utiliserait une démarche «subjective». Une autre critique porte sur la validité des faits observés et recueillis. Mais nous devons bien admettre avec Serge Bouchard (1980) «qu’il n’y a pas d’autre choix que de s’en remettre à la parole de l’ethnographe lorsque celui-ci affirme que ce qu’il rapporte au niveau du discours est effectivement ce que les gens disent, à quelques interprétations prés. Il faut donc le croire (ou pas) jusqu’à ce qu’un autre ethnographe vérifie son matériel ethnographique». Il y a dans l’approche observation participante une autre critique à formuler : c’est le parti «réductionniste» (Aktouf, 1986). Nous nous intéressons à une population particulière, celle qui est «en situation de travail». Nous ne sommes donc pas dans une démarche ethnologique pure, dans laquelle nous aurions pu rendre compte du vécu de l’homme dans toutes ses dimensions, d’un homme total, non réduit à la dimension du travail industriel. Une deuxième méthode, les histoires de vie, permettrait d’accéder à une reconnaissance exhaustive de l’homme, de tout l’homme, pas uniquement dans une situation de travail industriel. - Deuxième méthode : Les histoires de vie. Selon G. Pineau et JL Legrand (1993) l’histoire de vie est conçue comme une approche de recherche et également comme une pratique de formation mais loin de se réduire à une méthode elle vient questionner les différentes sciences humaines dans un sens épistémologique, c’est-à-dire dans leur fondement même. Nous retiendrons la définition proposée par ces auteurs «recherche et construction de sens à partir des faits temporels personnels» aux fins d’éviter les risques d’une lecture exclusivement évènementielles des histoires de vie. Dans cet esprit, il apparaît illusoire de penser gérer les hommes de façon simple dés lors que chaque homme est en lui-même le siège de pulsions et besoins contradictoires ainsi que le sujet de sa destinée. Il en résulte un usage mystificateur de procédés tel que le projet d’entreprise qui n’a d’utilité et de sens selon Fitcher que «s’il s’adresse à des groupes ou à des individus entre lesquels existe déjà une complicité et une communauté d’intérêts». Au total, les histoires de vie, en valorisant le vécu, donnent du sens à l’activité des hommes non seulement dans leurs pratiques, leur interaction, mais aussi dans leur recherche. Dira-t-on pour autant que les sciences de gestion se sont emparées de ce terrain? Force est de reconnaître que cette 173 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Regard Croisé Itinéraire d’un enseignant chercheur : une question de méthode démarche relativement neuve d’histoires de vie (ou ce qui de prés ou de loin peut s’y rattacher comme, par exemple, les récits de vie, les parcours professionnels, personnels, biographies, voire les confessions..) ont été davantage utilisées en anthropologie, en sociologie, en psychologie et en histoire. Ainsi selon le témoignage de J. Poitier, S. ClapierValandon et Raybant (1989) «la bibliographie des ouvrages concernant les histoires de vie atteint plus d’un millier de références. Quelques années plus tôt Betaux (1981) nous invitait à découvrir « le déplacement de l’histoire de vie, d’un champ théorique, celui des sciences sociales, à un champ pratique, celui de l’éducation permanente». L’ensemble des travaux tend à légitimer notre intérêt pour cette méthode de recherche qui se révèle fructueuse non seulement pour connaître des pratiques de la GRH mais aussi pour en saisir la signification. Ainsi prendrons nous à notre compte ces trois résultats retenus par Barthe et Igalens (1995), à savoir que : - lorsqu’on arrive après une assez longue période de vie, l’expression professionnelle devient significative. - Les événements qui ont jalonné ce parcours étant plus nombreux, l’étude des blocages, des ruptures est particulièrement instructive et, parfois, déterminante pour la construction d’un nouveau projet - Les stéréotypes, tels «qu’après cinquante ans on ne peut plus trouver de travail» doivent être dédramatisés. Nous avons ci-dessus rendu compte de la dimension épistémologique de l’ethnométhodologie et des histoires de vie pour adopter le point de vue compréhensif des situations observables. Il convient maintenant d’identifier les apports de ces méthodes au plan opérationnel. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 174 - La dimension opérationnelle de ces méthodes Les apports sont évidents, nous avons déjà pointé plus haut la richesse de ces méthodes qui nous permettent de révéler les faces cachées des comportements et de mettre à jour les non-dits.Elles mettent en évidence les insuffisances des outils classiques d’extraction d’informations tels que la description de poste et le questionnaire pour connaître le profil d’un métier. «moi, si tu m’avais envoyé un questionnaire, je me serai dit «celui là il ne donne pas lui-même assez d’importance à ce qu’il fait (au lieu de venir me parler) alors pourquoi moi j’y répondrai». Cette réponse d’un opérateur met en évidence le besoin de communication et de reconnaissance de la personne en situation de travail. La question qu’il faudra résoudre désormais est la suivante : «Pourquoi et pour quoi ces gens-là font-ils ce qu’ils font comme ils le font?». Pourquoi renvoie à la fonctionnalité des conduites, Pour Quoi renvoie au sens que les sujets mettent dans leur activité. Le renversement de perspective est radical : on passe de la normalisation à la compréhension. Le schéma de connaissance du métier se trouve alors profondément modifié : il y a renoncement aux évidences des choses observées et effort de compréhension et d’interprétation des actes posées dans l’organisation. Dans cette perspective, les écarts de conduite, les écarts de qualité par rapport à la norme auront autant d’importance que la norme elle-même. Le réel est réhabilité, il n’est plus second. Le travail réel n’est plus réductible au travail prescrit. Par conséquent, l’écart n’est plus «jugé» comme une transgression de la norme par l’opérateur qu’il suffirait de changer pour retrouver la norme. L’écart est une conduite qu’il s’agit d’interroger. Il Regard Croisé Itinéraire d’un enseignant chercheur : une question de méthode s’agit d’une conduite signifiante. Pourquoi donc ne pas positiver cette liberté buissonnière des pratiques. Pourquoi ne pas lui donner un sens ? Il apparaît alors que tout travail suppose toujours une dimension d’interprétation, d’adaptation, d’engagement personnel, de conception. Il est affrontement au réel. Ainsi le travail impose de sortir de l’exécution pure et simple. Il ne suffit pas de faire comme on a dit, il ne suffit pas d’appliquer les consignes. Il ne suffit pas de mobiliser l’intelligence théorique. Il faut faire appel à l’intelligence pratique, à l’intelligence de l’action. Déjà, chez les grecs, rapporte Michèle Descolonges (1996) dans son ouvrage «Qu’est ce qu’un métier? «Nous pouvons retenir que «reconnaître une intelligence pratique à côté de l’intelligence raisonnée conduit à montrer le caractère élaboré de la première. Une distinction peut être établie entre : - l’artisan (le métier) qui ne dispose que de sa pratique manuelle - et celui (le technité) qui détient les règles de son art, fondées sur l’expérience… faite non seulement d’observation et d’apprentissage,mais aussi racontée dans les récits qui la fondent». Dans ce contexte, le concept de travail se trouve considérablement enrichi. Le travail va exiger la mise à jour de l’initiative, de l’inventivité, de la créativité des opérateurs. Ainsi, dans les comportements des salariés, la notion de tricherie, inséparable de la situation de travail, pourrait être interprétée comme une démarche d’invention et d’imagination plutôt que comme une démarche d’écart par rapport à un référentiel, écart qu’il faudrait sanctionner. L’observateur qui accepte de se livrer à ce détour de connaissance totale de l’homme au travail, au lieu de se contenter de l’administration d’un questionnaire, va devoir adopter une posture de chercheur en rupture avec celle de contrôleur du paradigme nor- matif. Une expérience vécue d’administration de questionnaires remonte à quelques mois. Il s’agissait de rendre compte du métier de dirigeant dans une association organisatrice et gestionnaire de colonies de vacances. Les informations contenues dans le questionnaire renseigné par le directeur général de l’association semblaient suffisantes pour connaître du processus de gestion en place mais non pertinente pour comprendre le fonctionnement du réel. Dans ce contexte, pour compléter ma connaissance du métier, j’ai très vite adopté l’approche de l’observateur participant. Elle a consisté à vivre la quotidienneté du directeur général. Mon immersion a duré une semaine, avec participation à la réunion du matin, pause café à 10 heures avec les collègues, déjeuner avec les collègues, relations extérieures l’après midi. En fin de journée, dernier parti en même temps que le directeur général, je notais chaque jour sur mon carnet cahier de bord, tous les faits et gestes observés dans la journée. Les faits et gestes observés relevant à l’évidence de la définition du poste comme ceux qui relevaient d’initiatives ou d’actes construits par une nécessité exogène ou par «l’amour du bel ouvrage». Les leçons à tirer de cette méthode d’observation, confortée par mon expérience de gestionnaire, portent sur le danger qui guette le responsable qui voudrait soumettre la gestion quotidienne à des processus formels planifiés. 175 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Regard Croisé Itinéraire d’un enseignant chercheur : une question de méthode Privilégier les processus formels reviendrait à ignorer les qualités humaines d’intuition, de flair, y compris le système D, et à croire que ces qualités là pourraient être remplacées par des procédures-recettes sophistiquées. Mintzberg (1984) apporte dans son ouvrage, «le manager au quotidien», une preuve éclatante selon laquelle le travail ne peut plus être défini à partir des seuls fondamentaux du management traditionnel véhiculés par Henri Fayol (1974) «planifier», «organiser», «diriger», «contrôler». A partir de recherches empiriques, études des agendas et observation détaillée du déroulement des tâches quotidiennes, analyse des dossiers et des études par échantillons, Mintzberg décrit les 10 rôles de base du travail du cadre en mettant en évidence la réalité telle qu’elle est et non telle que la «légende» du management classique foyolo-taylorienne voudrait nous le faire croire avec le slogan de «the best way». Pour ma part, dans mon rôle d’observateur, dans une posture d’auditeur, j’ai très vite compris la nécessité de réhabiliter la riche notion de métier, telle qu’empruntée à la grande tradition de l’artisanat. La notion d’artisanat désignant une activité qui mobilise non seulement le savoir et le savoir faire mais aussi et surtout les valeurs, l’intuition, le flair. L’observateur comprend aussi que ce que l’on appelle trop vite des dysfonctionnements ne signifie pas toujours que l’on soit en présence d’écarts qu’il conviendrait de corriger pour respecter la norme, la règle, le processus retenu et prescrit dans l’étude de poste ou tout autre référentiel de gestion. Il est très enrichissant de considérer que ces écarts, ces dysfonctionnements apparents constituent une réalité qu’il faut interroger pour comprendre le sens mis dans leurs actes par les acteurs. Cette attitude d’observateur dévoile aussi l’erreur de certains psychosociologues du travail qui qualifient de «résistants Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 176 au changement» ces salariés qui «s’accrochent à leurs habitudes» au lieu de «s’adapter à la nouvelle organisation». L’autre piste qui s’offre aux psychosociologues est de détecter, de comprendre et d’admettre l’amour du métier que le salarié ne veut pas voir se fondre dans une activité polyvalente, avec le sentiment de perdre de sa mémoire et de son identité. En définitive, nous pouvons retenir que la connaissance de ce qui est un homme et un homme au travail dans un contexte de management de proximité exigent une mobilisation des sciences humaines, de toutes les sciences humaines qui soient en mesure de nourrir le management des hommes et des organisations, par référence aux deux points suivants : -Premier point. Je définis cette forme de management de proximité comme une activité qui, en utilisant les approches d’observation participante et d’histoires de vie, permet d’enrichir la description objective du métier, par la prise en compte du souci du détail, le goût du beau, le respect des valeurs et du sens, tout ce qui permet «l’épanouissement de l’être» pour reprendre une expression du philosophe George Gusdorf (2002). C’est cette définition que je retiens pour exprimer ma conception de la reconnaissance de l’identité de l’autre au travail, de l’autre qui se définit lui-même, consciemment ou pas, par son métier. Cette conception rejoint celle d’Hugues (1989) qui, en opposition à la tradition fonctionnaliste, a défini le métier non comme un ensemble particulier d’activités mais sur la base du rôle qu’un individu exerce au sein d’un univers professionnel. - Deuxième point. Les tenants de la sociologie quantitative n’ont pas manqué de souligner les imprécisions et les dangers inhérents à la pratique de l’observation directe : subjectivisme et manque de rigueur, absence Regard Croisé Itinéraire d’un enseignant chercheur : une question de méthode d’échantillonnage et de vérification statistique. Les ethnométhodologues et interactionnistes ont répondu à ces critiques en refusant la séparation positiviste entre science et vie quotidienne. La science n’a pas à produire un sens caché car celui-ci s’accomplit devant nos yeux, de façon transparente dans le faire et le dire des acteurs. Ce faire et ce dire constituent autant d’éléments de connaissance construite pour un enrichissement des conduites. 2. Sciences humaines et connaissance des métiers - Considérations générales Force est de rappeler avec Morel (1992) que la formation en sciences humaines pertinente pour l’entreprise est insuffisante. Une insertion plus franche devrait pouvoir compléter la connaissance des gestionnaires sur l’articulation de l’individu et du collectif. En définissant d’une manière plus rigoureuse la fonction, la structure, l’organisation, les sciences humaines en général et les sciences de la vie en particulier, obligent à renoncer à des explications causales mais illusoires, à des dichotomies simplistes, le corps/l’esprit, l’individu/la société, la pensée/l’action, l’intelligence/l’affectivité. Ces disciplines tendent, au contraire, à établir un continuum entre l’organique, le psychologique et le sociologique et permettent de renverser la perspective pour prendre les sciences humaines comme système de référence au lieu de la gestion et pour répondre aux questions suivantes : - quelle espèce sommes-nous ? - qu’est-ce qui fait notre spécificité ? - que partageons nous avec les autres espèces ? - quelles en sont les conséquences ? - si notre néo-cortex nous distingue si nettement des autres êtres vivants, comment fonctionne-t-il ? - quels enseignements pouvons-nous en tirer ? - étant donné l’importance de notre système nerveux central dans nos expériences, quelles sont les conditions de son équilibre avec l’environnement ? - compte tenu de la place primordiale occupée par le langage dans les secteurs de l’activité humaine, que savons-nous de cette faculté ? - qu’arrive-t-il à un individu depuis la fécondation jusqu’à l’âge adulte ? - quelles sont les différentes phases de son développement neuro-moteur, intellectuel, affectif ? comment est-il socialisé ? - quelles sont les interactions existant entre le biologique, le social ? A travers les différentes réponses à chacune de ces questions il serait possible d’examiner dans quelle mesure les pratiques de gestion sont en accord avec les données des sciences de la vie. - Exemples Ainsi, par exemple, compte tenu du rôle primordial joué par l’affectivité et le langage dans la vie professionnelle des hommes, les psychanalystes et les linguistes nous éclairent par leurs disciplines. Le langage étant la fonction biologiquement la plus caractéristiques des êtres humains, il n’y a rien d’étonnant à la rencontrer dans une des nombreuses activités des hommes, l’activité économique : les analystes d’entreprises ont ainsi découvert que les managers consacraient à peu prés 60% de leur temps et de leurs activités à la parole. C’est grâce au langage que nous pouvons vivre en tant qu’êtres humains au sein des différentes cultures. 177 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Regard Croisé Itinéraire d’un enseignant chercheur : une question de méthode Un autre exemple de la prise en compte des sciences de la vie comme système de référence peut-être donné par la psychanalyse. Cette science a fait une percée, certes timide et camouflée, dans l’entreprise sous la forme des différentes thérapies et analyses qui ont emprunté le déguisement soit des affects soit des instances psychiques. Comme toutes les sciences médicales la psychanalyse est une science inductive fondée sur l’observation. Ainsi l’observation rigoureuse permit à Breuer et à Freud d’établir (entre autres conclusions) que les sujets « souffrent de réminiscences douloureuses d’événements traumatiques vécus dans leur première enfance, c’est à dire dans leur propre passé et qu’ils y restent encore plus tard affectivement attachés ». Cette constatation empirique suffit à comprendre pourquoi les gestionnaires d’entreprises doivent intégrer dans leur savoir la science psychanalytique qui accorde à la fois une place primordiale au processus affectif et une si grande importance au rôle du passé et à son élaboration par le sujet. Ainsi équipé de ce savoir les gestionnaires de tout pays peuvent se faire une idée des facteurs moteurs et des implications des comportements humains. Il s’agit de « former des gestionnaires qui ne soient plus encombrés de certitudes… donner des schémas flexibles de compréhension afin de rendre les jeunes plus capables de résoudre un certain nombre de problèmes, (Vulliez, 1978). La prise en charge de cet objectif engage universitaires et praticiens à proposer une formation proche de l’action (Paquet et Gélinier, 1991) et mettre en place un programme qui, privilégiant des dimensions fondamentales telles que les sciences de la vie et l’approche globale (Chanlat, 1981) représenteraient, pour parler comme Gusdorf (1977), « une sorte de contrepoison épistémologique de la spécialisation et serait une pensée qui rassem- Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 178 blerait par opposition à la pensée qui divise et subdivise ». Une formation proche de l’action est une formation qui, selon la terminologie de la thèse dite d’Ottawa, définit le concept fondamental de « type Delta ». La prise en compte de cette dimension renvoie à la valorisation par Minzberg (1984) de l’intuition, de l’implicite, de l’expérimental de l’hémisphère droit, par opposition à la logique, l’explicite, le théorique de l’hémisphère gauche. Elle permet de favoriser ce que nous appelons « l’invariance de la marge de manœuvre », indispensable à tout acteur en situation de décideur. Fondée essentiellement sur l’induction et l’émergence du savoir commun, la connaissance de type delta nous permet, selon les principes de l’ethnométhodologie de coller à la réalité et, selon l’expression de O. Gélinier, « de trouver des solutions pour l’action dans une configuration inédite de circonstances et de buts » (Paquet et Gélinier, 1991) Conclusion En conclusion, donner au sujet humain sa place dans l’entreprise, sans que son identification ne conduise à une négation de son identité c’est lui permettre «d’être» d’une façon intelligente. Cela veut dire, à notre sens, faire en sorte que l’entreprise serve l’individu et non s’en serve mais aussi que l’individu serve l’entreprise mais non s’en serve. L’entreprise doit être pour l’individu non plus un lieu de mépris des différences mais un lieu de gestion mobilisatrice et de communion pour éviter à la fois l’écueil de l’exclusion sociale et de domination sociale. La connaissance des métiers est un moyen privilégié de connaissance de l’homme et de connaissance de l’entreprise. Nous avançons ci-dessous Regard Croisé Itinéraire d’un enseignant chercheur : une question de méthode quelques propositions qui devraient être autant de pistes de recherche : - développer l’adhésion partenariale. Cela veut dire ne pas se contenter de forcer ou de manipuler le travailleur pour obtenir de l’entreprise des résultats performants. Il convient au contraire que l’ensemble des protagonistes de l’entreprise se reconnaissent respectivement et réciproquement comme partenaires, dans une structure constante d’ajustement permanent. - Apprendre à traiter l’ensemble des employés, de quel que rang qu’ils soient, en personnes adultes et dotées de raison, donc de saines capacités de choix et de libre arbitre. - Cesser de croire qu’il faut «motiver les salariés» et inviter les dirigeants d’entreprise à mettre en place des mesures concrètes qui donneraient aux travailleurs des raisons de faire plus, de faire mieux, de s’engager et de s’impliquer. - Transformer et, de façon plus globale, l’ensemble de la vie en entreprise en un contexte de respect, de partage et d’appropriation. En définitive, pour comprendre les règles du jeu présidant aux rapports de travail, sinon la nature même du pouvoir, il conviendrait de méditer ces deux phrases, celle de WI Thomas : «si les hommes définissent une situation comme réelle, elle l’est dans ses conséquences » et celle de Sartre (1976) : «vie d’homme…je veux dire que ça pourrait se démontrer ce qu’est un homme ». Au terme de notre réflexion il nous apparaît utile de retenir ce sui suit : de la rationalité qui cherche à éliminer toute intuition au profit de l’analyse, de la rationalité qui place le cadre au dessus de l’agitation et des contingences de la vie quotidienne de l’organisation, de la rationalité qui fait passer le système avant l’homme». - Au plan épistémologique, le parti pris du paradigme de la complexité complétera le parti pris du paradigme dominant de la monorationalité, au motif qu’il rend compte de façon plus complète de ce qu’est la réalité. Adopter le seul paradigme de la monorationalité conduirait à un repli identitaire favorisant la certitude «une fois pour toutes», à terme, la croyance en la «one best way». Cette perception du monde rétrécit la réalité sociale en même temps qu’elle atrophie les personnes qui construisent, au quotidien, cette réalité sociale. Le paradigme de la complexité permet, au contraire, une «circulation» (Edgar Morin, 1990) entre l’ordre (la monorationalité) et le désordre (la multirationalité). Le dialogue entre les paradigmes accompagnera le dialogue des disciplines qui, ellesmêmes, accompagneront le dialogue des personnes pour une richesse mutualisée des talents et des performances. - au plan opérationnel, et en suivant en cela Mintzberg, «tous en ont assez de la rationalité au sens étroit du terme, 179 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 Regard Croisé Itinéraire d’un enseignant chercheur : une question de méthode Références : Aktouf O., L’observation participante, in Benabou et Abravenal Barthe N. et Igalens J. (1995), Récits de vie et recherche d’emploi, Actes 6ème congrès AGRH. Poitiers. Beteaux D. (1981), Histoires de vie. Tome 1, L’Harmattan, Paris. Bouchard S. (1980), Etre trucker in A. Chanlat et M.Dufour. La rupture entre l’entreprise et les hommes. Montréal / Paris / Québec. Editions d’organisation. Chanlat A. (1981), L’enseignement et le métier d’enseignant en gestion en question, Revue Internationale de Gestion, septembre. 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Vuilliez (1978), l’Express, 1978 Interview à 181 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au défi de la transition vers l’économie de marché Mohamed Akli ACHABOU IPAG Business School Paris RESUME ABSTRACT L’objectif principal de cet article est d’évaluer l’importance des changements institutionnels qui accompagnent la transition de l’Algérie vers l’économie de marché dans la stratégie des entreprises locales. Pour ce faire deux études de cas, combinant trois approches méthodologiques différentes (SWOT, AHP, Delphi), ont été menées dans l’industrie sucrière. L’étude montre que la stratégie est construite prioritairement sur les éléments de l’environnement externe, le rôle des ressources et compétences est secondaire. Ce résultat est attribué en grande partie au rôle déterminant joué par les changements institutionnels. The Algerian transition to the market economy induces several institutional changes. The aim of this research is to measure the importance of these changes in the strategic decision of local companies. In this optical we have conducted tow cases studies in the sugar industry. We used three methodological approaches: SWOT, AHP and Delphi. The results show that the changes in the institutional environment take à central place in the strategy implementation. MOTS CLES : stratégie, changements institutionnels, sucre, Algérie, SWOT-Delphi-AHP Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 182 KEYS WORDS: Strategy, institutional changes, Sugar, Algeria, SWOT- Delphi-AHP. INTRODUCTION Avant la transition vers l’économie de marché, le plan national dans les économies planifiées est développé par le gouvernement central, qui est par la suite décomposé en un ensemble d’ordres pour les entreprises d’État (Peng, 1996). Avec les faibles contraintes budgétaires, la rentabilité n’a jamais constitué un souci dans ces entreprises. Toutefois, à partir des années quatre-vingt , des changements importants vont s’opérer (démantèlement progressif du régime de planification central) avec un impact considérable sur la croissance des entreprises publiques. Ce desserrement institutionnel a aussi favorisé l’apparition d’une nouvelle force dans l’arène compétitive : des firmes privées (Exemple : Cevital en Algérie) plus entreprenantes que les entreprises d’État. Enfin, des mesures importantes ont été adoptées dans le domaine des échanges internationaux, notamment la suppression progressive des taxes à l’importation, la signature d’accords d’association, etc. Dans le cas de l’Algérie, l’importante chute du prix du pétrole et de la valeur du dollar en 1986 a considérablement affecté son pouvoir d’achat international, avec une baisse de plus de 38% de ses recettes d’exportation (Sadi, 2005). Cette importante crise a montré les limites du modèle d’industrialisation adopté au lendemain de l’indépendance, et a poussé les autorités à reconnaître la nécessité d’engager des réformes globales et structurelles de l’économie (Sadi, 2005). Ainsi, une importante réforme économique, annonçant le début d’une phase de transition vers l’économie de marché, a été mise en place en 1988 (Boukella, 1996). Depuis, les filières habituellement protégées, à l’instar de celle du sucre, subissent des changements considérables. Ces évolu- tions suscitent aujourd’hui des interrogations, notamment sur l’importance de leur influence sur le comportement stratégique des entreprises locales. Cela nous emmène à poser la question suivante : Quelles sont les variables déterminantes de la décision stratégique d’une entreprise dans un pays en transition marqué par un contexte institutionnel en mutation ? Dans cet article, nous contribuons à répondre à cette question en examinant, à travers des enquêtes exploratoires et quantitatives, les principaux facteurs intervenant dans la décision stratégique de deux entreprises sucrières. L’article comporte cinq sections. La première définit le cadre d’analyse intégrant la relation entre la stratégie de l’entreprise et l’environnement institutionnel dans lequel elle est insérée. La deuxième section est consacrée à une brève description du secteur étudié et dans la troisième, nous présentons les approches méthodologiques mobilisées (SWOT, Delphi, AHP). Enfin, les résultats de cette étude sont présentés et discutés respectivement dans la quatrième et cinquième section. Nous terminerons par quelques préconisations managériales et une synthèse des résultats et limites de cette recherche. 1. COMPORTEMENT STRATÉGIQUE DES ENTREPRISES ET DYNAMIQUE INSTITUTIONNELLE Dans la littérature en management stratégique, certains travaux (Peng, 1996 ; Carney et Gedajlovic, 2000 ; Hafsi et Hatimi, 2003) ont étudié la relation entre l’environnement 183 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au défi de la transition vers l’économie de marché institutionnel et le comportement stratégique des entreprises. À ce propos, une convergence de points de vues semble se dégager sur le fait que la nature de l’environnement institutionnel (contraignant/favorable, fort/ faible) détermine le comportement stratégique des entreprises. L’environnement institutionnel fait référence à l’ensemble des institutions qui composent le dispositif légal, politique, judiciaire et culturel qui encadre, impulse, stimule et autorise les actions globales ou individuelles. Ces actions s’enracinent dans toute structure organisée du secteur marchand ou non marchand (Kichou et Palloix, 2003). Dans une recherche réalisée par Peng (1996) il a été démontré que la nature de l’environnement institutionnel peut être à l’origine de nouvelles formes organisationnelles et de stratégies. L’étude a touché plusieurs pays en phase de transition (Bulgarie, Chine, République tchèque, Hongrie, Pologne et l’ex URSS) qui présentent des particularités communes : expérience socialiste, forte transition vers l’économie de marché, choix stratégique des entreprises qui semble être l’insertion dans des réseaux. L’auteur a constaté que les firmes occidentales qui réalisaient traditionnellement leur croissance par le recours à des stratégies d’expansion et d’acquisition, se sont tournées vers une nouvelle stratégie : la stratégie de type réseau qui prend différentes formes : alliances stratégiques, joint-ventures, partenariats, etc. Si le choix des firmes d’adopter cette stratégie est généralement attribué aux nombreux avantages qu’elle présente (accès à de nouveaux marchés et technologies, économies d’échelle, complémentarité de qualifications), Peng (1996) pense qu’il reflète plutôt l’incapacité de ces firmes à posséder les ressources nécessaires pour entreprendre une stratégie d’expansion ou d’acquisition. Peng (1996) attribue également le choix de cette stratégie, particulièrement dans le cas des entreprises locales, à la nature de l’environne- ment institutionnel dans les pays en phase de transition. En Effet, les contraintes institutionnelles formelles (droits de propriétés, incertitude économique) et informelles persistantes ont encouragé les firmes à mettre en commun leurs ressources et coordonner leurs activités à l’intérieur de réseaux. Les résultats de l’étude réalisée par Carney et Gedajlovic (2002) sur l’émergence des groupes industriels familiaux dans l’Est et le Sud-est de l’Asie vont dans le même sens que ceux de Peng (1996). Les auteurs ont montré que l’environnement institutionnel local qui ne fournit pas les mesures adéquates pour assurer la protection des droits de propriété et une application équitable des contrats a poussé les groupes familiaux à développer des réseaux fermés qui constituent des refuges. Ces groupes sont donc à la fois un produit et une source de leur environnement institutionnel. Pour Carney et Gedajlovic (2000), les organisations conglomérales qui ont émergé comme formes concurrentielles dominantes en Asie peuvent être vues comme une réponse adaptative par les agents économiques par rapport à un environnement de régulation non codifié. L’auteur tient à remercier Frédéric TEULON et l’ensemble des experts qui ont accepté de contribuer à cette recherche. La crise de l’endettement et la chute des recettes des exportations des matières premières conduit plusieurs pays en voie de développement à revoir leur politique économique et à recourir à des mesures proposées par la Banque Mondiale et le FMI : les programmes de stabilisation (mesure de court terme) et le plan d’ajustement structurel (mesure de long terme). Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 184 L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au défi de la transition vers l’économie de marché Hafsi et Hatimi (2003) mettent en avant l’idée de l’évolution conjointe entre l’environnement institutionnel et les stratégies des entreprises. Dans une étude menée dans le secteur de la télécommunication en Amérique du Nord, les auteurs ont observé que lorsque les institutions sont en période de transformation, il y a une évolution conjointe avec les stratégies des entreprises, les deux s’influencent mutuellement. Ainsi, comme la règlementation influence le comportement des entreprises, elle peut également être influencée par les acteurs auxquels elle est imposée, mais seulement durant la phase de transition. Lorsque cette règlementation est établie, elle devient déterminante de la stratégie des acteurs. Hafsi et Hatimi (2003) soulignent que dans les pays en transition, institutions et stratégies de firmes sont instables et en coévolution permanente. Ils concluent qu’il est difficile aujourd’hui de concevoir la stratégie de l’entreprise sans prendre en compte l’environnement institutionnel dans lequel elle évolue. Les situations dynamiques du cadre institutionnel sont d’une importance majeure pour les choix stratégiques des firmes. Malgré cette forte relation entre l’environnement institutionnel et le comportement stratégique des entreprises, peu de recherches se sont intéressées à ce sujet. Il faut reconnaitre que la littérature en management stratégique a été dominée ces dernières années par une confrontation entre les deux approches explicatives du comportement stratégique de l’entreprise : l’approche structurelle issue du courant traditionnel de l’économie industrielle et l’approche basée sur les ressources et compétences. Cela a laissé peu de place au développement de nouvelles approches. Ce manque peut également être attribué à la nature des changements institutionnels (Hafsi et Hatimi, 2003). Ces derniers se font souvent de manière progressive, par conséquent, il est difficile de cerner leur influence sur la stratégie de l’entreprise. Certains auteurs (Peng, 1996) estiment que la phase de transition vers l’économie de marché, dans laquelle sont entrés plusieurs pays, constitue une bonne opportunité pour combler ce manque. Pour Bourcieu (2004), les changements institutionnels dans les pays en transition s’effectuent de manière accélérée en raison de l’écart important entre les systèmes institutionnels en place et ceux en cours d’élaboration. Les entreprises algériennes constituent un cas d’étude intéressant. Après avoir subi les effets du plan d’ajustement structurel (les entreprises publiques en particulier), elles devaient s’adapter depuis septembre 2005 aux conséquences de l’entrée en vigueur de l’accord d’association signé avec l’UE. Nous procédons dans la section qui va suivre à une présentation du secteur étudié et des deux entreprises qui constitueront le terrain d’application de notre recherche. 2. DESCRIPTION DU SECTEUR ÉTUDIÉ Le marché mondial du sucre comme la plupart des autres marchés de commodités est marqué par une forte instabilité des prix. Face à cette situation, la plupart des pays ont mis en place des politiques de régulation de l’offre et de protection aux frontières. Ainsi, depuis plusieurs années les mesures d’organisation du marché mondial du sucre sont essentiellement des mesures de protection et de définition d’importations préférentielles nationales. Selon Borrell et Pearce (1999), parmi les pays exportateurs de sucre seulement l’Australie, le Brésil et Cuba pratiquent le libre commerce. Les auteurs estiment qu’environ 80% de la production mondiale reçoit des prix qui dépassent le prix mondial. Achabou (2010) note qu’en raison de la généralisation des politiques de protection aux frontières, la filière 185 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au défi de la transition vers l’économie de marché sucre mondiale peut être décrite comme un ensemble de filières nationales non intégrées. En Algérie, suite à l’abandon de la production de betteraves en 1983, l’industrie sucrière locale s’est retrouvée complètement intégrée au marché mondial. Les deux entreprises (ENASucre et Cevital) qui interviennent aujourd’hui dans ce secteur sont ainsi complètement déconnectées de l’agriculture locale. L’entreprise publique ENASucre, spécialisée dans le raffinage du sucre roux importé et le conditionnement de sucre blanc, est confrontée ces dernières années à une crise de compétitivité importante. Cette situation l’a obligée en 2005 à s’associer, dans le cadre d’un contrat de processing , avec l’entreprise Cevital. L’entreprise familiale Cevital a connu pour sa part, depuis sa création en avril 1998, un développement important dans plusieurs secteurs. Son complexe agroalimentaire est composé de quatre activités principales : le raffinage d’huile, la margarinerie, le raffinage de sucre et le négoce de céréales. L’activité de raffinage du sucre, entamée en 2002, représente aujourd’hui le tiers du chiffre d’affaires de cette entreprise. 3. MÉTHODOLOGIE 3.1. Choix des méthodes Pour les besoins d’enquêtes, trois méthodes ont été mobilisées dans cet article : la méthode SWOT, la méthode Delphi et la méthode AHP. L’analyse du comportement stratégique des entreprises nécessite de recourir à une approche multidimensionnelle qui peut inclure les éléments internes et externes à l’entreprise. En ce sens, nous avons opté dans cet article pour la méthode SWOT (Strengths, Weaknesses, Opportunities, Threats). La composante « analyse interne » de cette méthode va nous permettre de déterminer dans quelle mesure les différences observées entre les deux entreprises enquêtées en termes de statut juridique (entreprise privée et entreprise publique), de mode de gestion, et de dotation en ressources et compétences, peuvent influencer leur comportement stratégique et performance. La composante « analyse externe » permettra d’identifier les différents changements intervenus dans l’environnement des deux entreprises et de déterminer leur nature (opportunités ou menaces). La méthode SWOT est facilement compréhensible et peut s’appliquer à différents types d’organisations. Toutefois, son utilisation présente certaines limites. La première est relative au risque de subjectivité dans le classement des variables internes et externes dans les groupes forces, faiblesses, opportunités et menaces. En effet, la pertinence et l’efficacité de cet outil sont tributaires de la capacité des participants à être aussi objectifs que possible vis-à-vis de la réalité qu’ils perçoivent. Pour remédier à cette première limite, nous avons mobilisé la méthode Delphi, une technique permettant d’obtenir une opinion fiable en utilisant un groupe d’experts. La deuxième limite de la méthode SWOT porte sur l’absence de priorisation des variables. Chang et Huang (2006) notent que cette méthode offre seulement une présentation imprécise et superfi- Depuis la réalisation de cette étude l’ENASucre a été privatisée. Consiste à travailler pour le compte d’un tiers qui se charge d’approvisionner l’ENASucre et de vendre sa production. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 186 L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au défi de la transition vers l’économie de marché cielle des facteurs qui influencent la décision stratégique. Pour dépasser cette deuxième limite nous avons opté pour la méthode AHP (Analytical Hierarchy Process). Son association à l’analyse SWOT permet d’évaluer systématiquement l’intensité des facteurs intervenant dans la décision stratégique. Celui-ci, comme le préconise la méthode Delphi, a été proposé aux mêmes experts et dans les mêmes conditions que le premier tour (des entretiens individuels). L’analyse des réponses a permis d’établir un classement définitif des variables dans les quatre groupes SWOT. Notre travail empirique a débuté par des enquêtes exploratoires dans l’objectif de classer un ensemble de variables internes (ressources et compétences de l’entreprise) et externes (principaux changements observés ou prévus dans les filières sucre algérienne et mondiale) dans les quatre groupes SWOT. Un premier questionnaire a été établi et proposé, dans le cadre de la méthode Delphi, à 12 professionnels ayant des connaissances sur la filière sucre et sur les deux entreprises Cevital et ENASucre . La plupart des experts sélectionnés (9/12) exercent une activité dans l’une des deux entreprises (PDG ENASucre, 2 conseillers du PDG de l’ENASucre, directeur général de Cevital, 2 directeurs commerciaux des deux entreprises, directeur approvisionnement de Cevital, analystes des marchés dans l’entreprise Cevital). Le choix de trois autres experts était motivé par la nécessité d’avoir un regard externe à ces deux entreprises. La deuxième phase de notre travail empirique a porté sur la quantification des résultats de la phase exploratoire (SWOT-Delphi) par le recours à la méthode AHP. Afin de mesurer l’importance relative de chaque variable dans la mise en place de la stratégie, un questionnaire composé de combinaisons binaires entre les variables dans les quatre groupes SWOT a été proposé au responsable de la stratégie de chacune des deux entreprises. L’analyse des réponses obtenues à l’aide du logiciel Expert Choice 11 a permis d’établir un premier classement des variables SWOT dans chaque groupe. Afin d’obtenir un classement global, les quatre facteurs les plus importants issus des comparaisons par paires du premier tour ont été utilisés pour élaborer un deuxième questionnaire. Celui-ci a été proposé aux mêmes responsables des deux entreprises qui ont répondu au premier questionnaire. Selon la méthode AHP, le poids obtenu par chacune des quatre variables correspondra au poids du groupe auquel elle appartient. La multiplication de ces poids par ceux obtenus lors du premier tour permet d’établir un classement global. Il a été demandé aux répondants de classer les variables identifiées en fonction de la nature de leur influence sur la performance de l’entreprise (force ou faiblesse, opportunité ou menace). L’analyse des réponses, par le calcul des fréquences, nous a permis d’effectuer un premier classement des variables, mais également d’éliminer celles dont l’impact sur la performance a été jugé neutre. Les variables retenues à l’issue du premier tour ont été utilisées pour élaborer un deuxième questionnaire. Nous précisons que les réponses obtenues des comparaisons par paires peuvent présenter un certain degré d’incohérence. L’avantage de la méthode AHP est qu’elle permet d’évaluer ce risque à travers le ratio d’incohérence (R.I). Lorsqu’il s’agit de comparer moins de 9 éléments, un seuil de tolérance de 10% est fixé pour ce ratio (Mendoza et Macoun, 2000). Nous présentons dans la section qui va suivre les principaux résultats obtenus de nos enquêtes. 3.2. Méthode d’investigation et analyse des données Le deuxième critère de sélection des experts (la connaissance des deux entreprises enquêtées) a fortement réduit notre panel. Nous soulignons qu’un taux de réponse de 100% a été obtenu à l’issue des deux tours. Une échelle de rapport avec des unités allant de 1 (indifférence) à 9 (préférence absolue), tout en y incluant les réciproques (1/X) qui permettent d’évaluer les comparaisons inverses, a été utilisée à cet effet. À ce stade de notre enquête, il nous a été impossible de faire appel à plusieurs responsables, la centralisation de la décision stratégique justifie le choix d’un seul responsable dans chacune des deux entreprises 187 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au défi de la transition vers l’économie de marché 4. PRÉSENTATION DES RÉSULTATS 4.1. Deux arbres hiérarchiques hétérogènes Les enquêtes Delphi réalisées auprès de notre panel d’experts nous ont permis d’obtenir deux classements hétérogènes (voir figures 1 et 2). Ce résultat peut être attribué aux situations de développement différentes dans lesquelles se trouvent aujourd’hui les deux entreprises. Figure 1 : Classement des variables dans les 4 groupes SWOT (cas de Cevital) Entre parenthèses : l’écart type entre les réponses des experts Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 188 L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au défi de la transition vers l’économie de marché Nous constatons dans la figue 1 que les variables « faiblesses » ont fait l’objet d’un faible consensus (écart-type élevé). Ainsi, concernant la variable « disponibilité de l’énergie », il est indéniable que le coût de ce facteur reste très compétitif en Algérie ce qui peut constituer un avantage de taille pour les entreprises locales. Toutefois, la fiabilité du réseau d’approvisionnement (monopole de l’entreprise étatique Sonalgaz) réduit fortement l’importance de cet avantage comparatif. Dans le cas de Cevital, sa dépendance dans ce domaine l’expose à des coupures électriques qui sont accompagnées par des pertes de productivité. En ce qui concerne le « coût des intrants », certains experts ont jugé que même si l’entreprise Cevital dispose aujourd’hui d’un bon réseau de fournisseurs et d’un bon pouvoir de négociation (vu les quantités achetées), elle reste exposée à d’éventuelles augmentations de prix du sucre roux qui peuvent influencer négativement ses coûts de production. Figure 2 : Classement des variables dans les 4 groupes SWOT (cas de l’ENASucre) 189 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au défi de la transition vers l’économie de marché Un faible consensus a été relevé dans le cas des variables « qualification des ouvriers » et « croissance de l’économie ». L’ENASucre est composée d’un personnel de production possédant une grande expérience dans l’activité sucrière. Cette expertise est toutefois limitée à un outil de production très ancien. Concernant la croissance de l’économie, elle a été considérée comme une opportunité de développement pour les entreprises algériennes. Toutefois, certains experts ont jugé que l’ENASucre est incapable d’investir pour bénéficier de cette dynamique économique. 4.2. Priorité aux variables environnementales Notre deuxième phase d’enquêtes (enquêtes AHP) dans le cas de Cevital s’est faite auprès du directeur général de ce groupe qui est aussi le responsable de sa stratégie. Un questionnaire composé de 53 comparaisons par paires (puis 6 au deuxième tour) lui a été proposé lors d’un entretien individualisé. Nous présentons dans le tableau qui va suivre les principaux résultats obtenus à l’issue de chaque tour. Tableau 1 : Classement par groupe et classement global des variables intervenant dans la mise en place de la stratégie de Cevital Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 190 L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au défi de la transition vers l’économie de marché Il ressort du tableau 1 que les variables « (0,666). La forte compétitivité de Cevital, pertaxation des importations de sucre blanc » et met à ses dirigeants de centrer leur réflexion « importations de sucre à 0 taxe » occupent stratégique sur l’évolution de l’environnement une place importante dans la stratégie de externe. Cevital. La mise à l’écart de cette entreprise de la concurrence internationale lui permet de Dans le cas de l’ENASucre, le questionnaire se développer pour atteindre une taille et une AHP (44 comparaisons par paires au premier compétitivité suffisantes pour concurrencer tour et 6 au deuxième tour) a été proposé au d’autres groupes d’envergure internationale. Président Directeur Général (PDG) de cette Le tableau montre également une forte diffé- entreprise. L’analyse des réponses a donné rence (0,332) entre la somme des variables lieu aux résultats synthétisés dans le tableau 2. internes (0,334) et celle des variables externes Tableau 2 : Classement par groupe et classement global des variables intervenant dans la mise en place de la stratégie de l’ENASucre 191 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au défi de la transition vers l’économie de marché Le tableau 2 met en évidence la forte dépendance de l’ENASucre par rapport aux opportunités de son environnement externe (41,5% d’importance pour le groupe « Opportunités »). La mise à l’écart de l’entreprise de la concurrence internationale constitue l’opportunité la plus importante. Pour rompre cette forte dépendance, les responsables de l’ENASucre doivent apporter les solutions nécessaires pour contrer les nombreuses faiblesses observées (29,3% d’importance pour le groupe « faiblesses ») telle que la faiblesse financière, qui semble être l’handicap le plus important. Ce résultat explique la faible dif- férence (0,044) entre la somme des poids des variables internes (0,478) et celle des variables externes (0,522) contrairement au cas de Cevital. 4.3. Poids déterminant des variables institutionnelles Les tableaux 2 et 3 nous ont permis de constater la priorité accordée aux variables externes lors de la mise en place de la stratégie dans les deux entreprises enquêtées, un résultat qui peut être attribué en grande partie aux variables institutionnelles (voir figure 3). Figure 3 : L’importance des variables institutionnelles dans la décision stratégique Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 192 L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au défi de la transition vers l’économie de marché Le cadre institutionnel algérien reste important pour les entreprises, au moins pour la protection aux frontières qu’il leur assure. Il faut rappeler que la mise en place des protections, il y a maintenant plusieurs années, avait pour objectif d’encourager des monopoles étatiques (Semmoud, 1982), comme le cas de l’ENASucre dans son secteur. Aujourd’hui, ces protections assurent le maintien de cette entreprise mais offrent aussi des conditions favorables pour le développement de Cevital. 5. DISCUSSION Comment expliquer le comportement stratégique et la performance d’une entreprise ? Serait-il suffisant de se contenter d’une explication par les ressources et compétences de l’entreprise, ou par les facteurs de son environnement externe? Les travaux contrastant les explications avancées par la perspective industrielle et celles défendues par la perspective de la ressource sur le comportement stratégique des entreprises ont alimenté ces dernières années un débat important dans le domaine du management stratégique. Nous avons choisi dans notre recherche d’associer ces deux approches dans le cadre d’une analyse SWOT. Mintzberg et al. (1999) estiment que la méthode SWOT se porte toujours bien en analyse stratégique; seulement l’analyse interne (SW) a pris le dessus sur l’analyse externe (OT). En effet, comme souligné par Ingham (1997) la qualité et la différenciation, devenues des sources importantes d’avantages concurrentiels, ont donné la priorité à l’analyse des ressources et compétences mais est-ce le cas pour toutes les entreprises ? Dans le cas des entreprises sucrières algériennes, les résultats de cette recherche convergent vers une explication de la stratégie par le marché et de fait, contradictoires avec le nouveau paradigme du management stratégique. L’environnement institutionnel peut en grande partie expliquer ce résultat. En effet, les variables institutionnelles semblent influencer considérablement le comportement stratégique des entreprises enquêtées. Les évolutions institutionnelles peuvent générer à la fois des opportunités et des menaces pour les acteurs économiques. Leurs conséquences sont plus lourdes dans des secteurs habituellement protégés comme celui du sucre. Certains économistes estiment que le protectionnisme constitue un élément déterminant dans le développement de certaines industries, d’autres en revanche font remarquer que les industries occidentales les plus protégées dans la période d’après guère souffraient au début des années quatre-vingt d’un manque de compétitivité (Koenig, 1996). Chabaud et al. (2005) soulignent que dans les contextes institutionnels où l’Etat intervient fortement dans l’activité économique, les entreprises restent enfermées dans des comportements ne permettant pas un développement efficace (faible création de richesse). Elles deviennent faiblement compétitives et se retrouvent dans l’incapacité de faire face à une concurrence internationale. En Algérie, les entreprises publiques notamment l’ENASucre ont bénéficié pendant plusieurs années de facilités financières (subventions et prêts bancaires) ainsi que de mesures qui les ont protégées de la concurrence nationale (l’investisse- 193 Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au défi de la transition vers l’économie de marché ment privé en Algérie n’a été libéralisé qu’à la fin des années quatre-vingt) et internationale. Bouzidi (1999) estime que « la nature publique de la propriété sur la plus grande part des moyens de production, le triple statut de l’État qui, dans l’économie, est à la fois propriétaire, gestionnaire et puissance publique, ont empêché l’entreprise publique de fonctionner comme une firme, c’est-à-dire comme une véritable entreprise économique avec ses contraintes d’efficacité. L’État rappelant constamment son statut de propriétaire empêchait l’émergence d’une culture d’entreprise et notamment l’entrepreneurship ». Dans le cas de Cevital, l’exigence de rentabilité et de satisfaction des actionnaires a poussé ses dirigeants à adopter une stratégie plus entrepreneuriale. Les gros investissements réalisés ces dernières années, la place de leader de l’entreprise sur plusieurs marchés, sa diversification lui permettent d’ambitionner de devenir l’un des plus grands producteurs de sucre dans la région méditerranéenne. En attendant d’atteindre une taille et une compétitivité suffisantes, les mesures institutionnelles dont elle bénéficie avec l’ENASucre (protection aux frontières) sont fortement stratégiques. En définitive, les résultats de cette étude montrent que les entreprises s’intègrent dans un cadre institutionnel qui impose des règles, normes et autres instruments de régulation qui tendent à limiter leur marge de manœuvre et à créer une dépendance vis-à-vis de certaines mesures favorables (ex : protections, subventions). Les choix stratégiques opérés ne sont donc pas guidés exclusivement par le portefeuille de ressources et compétences et les facteurs économiques. Business Management Review Vol.2(2), Juillet-Août-Septembre 2012 194 CONCLUSION Au-delà des divergences observées dans la littérature du management stratégique entre les auteurs qui penchent pour une explication de la performance et du comportement stratégique de l’entreprise à partir de ses ressources et compétences et ceux qui sont plutôt adeptes d’une explication par la structure de l’industrie, cette recherche montre que les mesures institutionnelles caractérisant le secteur d’activité de l’entreprise peuvent jouer un rôle déterminant. Cela explique la priorité accordée aux variables externes dans la mise en place de la stratégie des deux entreprises enquêtées. Néanmoins, ce résultat ne remet pas en cause l’importance de l’analyse interne. La rentabilité de l’activité sucrière dans les deux entreprises enquêtées semble fortement tributaire d’une importante ressource : le sucre roux. Les résultats obtenus dans le cas de l’ENASucre confirment le postulat de la théorie des droits de propriété et du modèle principal-agent selon lequel l’existence dans les économies planifiées d’une propriété publique induit un système d’incitations et de contrôle insuffisant et donc inefficient (Shleifer, 1994). La privatisation est l’un des moyens qui pourrait permettre une amélioration du mode de gouvernance des entreprises publiques. Elle est d’ailleurs au cœur des réformes structurelles préconisées par le consensus de Washington pour les économies en transition. Toutefois, notre étude montre que dans le cas de l’ENASucre, cette éventualité est difficilement envisageable en raison des investissements importants nécessaires pour sa remise à niveau et des dettes cumulées. L’industrie sucrière en Algérie : Les entreprises face au défi de la transition vers l’économie de marché Contrairement au cas de l’entreprise publique, Cevital est aujourd’hui une entreprise performante sur le marché algérien. Nous pouvons toutefois nous interroger sur sa capacité à s’imposer sur une échelle méditerranéenne. Au regard des tendances observées dans cette région (exemple : investissement dans l’activité de raffinage), nous pensons qu’une intégration vers l’amont, par le rachat de sucreries ou par des jointventures dans les pays exportateurs de sucre roux, tels que le Brésil, serait une stratégie sécurisante pour Cevital. Aujourd’hui, les entreprises désirant s’adapter à leur environnement doivent suivre les changements technologiques, institutionnels, etc. Pour cela, elles doivent acquérir des ressources stratégiques leur permettant de maintenir ou d’obtenir un avantage concurrentiel durable (Porter, 1997). Pour terminer, nous soulignons que l’étude de cas comme méthode de recherche présente des avantages notamment celui d’assurer une forte validité interne des résultats (les phénomènes relevés sont des représentations authentiques de la réalité étudiée), en revanche comme toute méthode de recherche elle présente des faiblesses, la plus importante concerne la validité externe. En effet, il est généralement difficile que les résultats obtenus à partir d’études de cas soient reproduits (Gagnon, 2005). Nous pensons donc qu’il serait intéressant dans une voie future d’analyser les interactions entre le comportement stratégique des entreprises et l’environnement institutionnel dans d’autres secteurs en Algérie, et dans d’autres pays notamment ceux de l’UE. RÉFÉRENCES Achabou M.A. (2010), Le comportement stratégique des entreprises sucrières face au mouvement de reconfiguration de cette filière au niveau mondial, Gérer et Comprendre, septembre, No.112, 4-15. Borrel B., Pearce D. 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