Feuille de salle 5
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Feuille de salle 5
Salle 5 : la figure partielle « L’artiste est celui à qui il revient, à partir de nombreuses choses, d’en faire une seule et, à partir de la moindre partie d’une seule chose, de faire un monde. » Rainer Maria Rilke Le décor de l’hôtel Biron Ce grand salon central, pièce d’apparat de l’hôtel, séparait les deux appartements du rez-de-chaussée, côté jardin. Midi, un des quatre dessus-de-porte qui illustre le cycle d’une journée, retrouve sa place d’origine — Matin, Soir et Nuit ne sont pas localisés et font partie de ce cycle de dix-huit peintures commandé vers 1729 au premier peintre du Roi Louis XV : François Lemoyne, qui devait entreprendre peu de temps après la décoration du plafond du salon d’Hercule au château de Versailles. Rodin au rez-dechaussée de l’hôtel Biron, photo Cl. Lémery, 1912 François Lemoyne, Midi ou Vénus et les Grâces qui montrent à l’Amour l’ardeur de ses flèches L’ assemblage de deux mains droites Le Secret, marbre La Cathédrale, pierre Deux exemples de la démarche créatrice particulière de Rodin qui consiste à grouper des formes identiques pour engendrer des rythmes nouveaux. « Ce qui est beau dans le paysage, c’est ce qui est beau en architecture, c’est l’air.» Auguste Rodin Avec Le Secret, Rodin unit deux mains droites identiques autour d’un objet tandis que La Cathédrale évoque la voûte gothique avec ces deux mains droites sur le point de se joindre en un geste de prière. Passionné par l’architecture gothique, Rodin parcourt les régions pour dessiner Les cathédrales de France, titre d’un ouvrage qu’il publie en 1914. Façade de la cathédrale Saint-Etienne à Auxerre, vers 1881 ? L’ antique pour modèle « Pour moi les chefs-d’œuvre antiques se confondent dans mon souvenir avec toutes les félicités de mon adolescence : ou plutôt, l’Antique est ma jeunesse elle-même, qui me remonte au cœur maintenant et me cache que j’ai vieilli.» Auguste Rodin La Prière, bronze Torse de jeune femme, bronze Toute sa vie, Rodin médite la leçon de l’antique. à partir de 1893, il collectionne avec ferveur et éclectisme plus de 6400 sculptures de l’Antiquité jusqu’au début du xixe. Il place les marbres gréco-romains au-dessus des autres réalisations sculptées et souhaite les présenter mêlés à sa propre œuvre. Vénus nue, type « pudique Médicis », époque romaine, Ier-IIe siècle, marbre, collection d’Auguste Rodin Ces sculptures, fragmentées par le temps lui apparaissent plastiquement parfaites et l’incitent à considérer le morceau comme une œuvre à part entière. Rodin simplifie la forme en la réduisant au centre de la figure. Alors que La Prière est encore considérée comme une étude, le Torse de jeune femme est l’œuvre la plus autonome et la plus mûre. Il ne s’agit plus d’une étape mais d’une œuvre achevée. Torse de jeune homme nu, réplique d’après l’œuvre de Polyclète, époque romaine, marbre, collection d’Auguste Rodin Ce grand Torse d’homme n’est autre que celui de L’Homme qui tombe en tentant de franchir la moulure du linteau de La Porte de l’Enfer. Ce mouvement de torse, en forme d’arc, apparaît très tôt dans l’œuvre de Rodin qui, ici, l’a dépouillé de ses membres et agrandi dans une dimension monumentale. Torse d’homme, bronze Vers 1881-1882, Rodin modèle une figure en torsion, à la façon de Michel-Ange, et l’installe à l’extrême droite du tympan de La Porte de l’Enfer. À la fin des années 1880, il lui ajoute des pieds, un bras gauche et un nouveau visage. En 1894, pour l’intégrer au Monument à Victor Hugo, il enlève la face extérieure de la jambe droite, le genou gauche et les bras. Agrandie avec l’ensemble du monument, Rodin l’expose seule et dans cette forme fragmentaire qu’il juge complètement aboutie. Elle fut pourtant mal comprise du public, sans doute en raison de son aspect incomplet. Méditation, plâtre Elle se caractérise par une grande simplicité aussi bien dans le modelé, les formes et l’expression que dans l’extraordinaire puissance de ce corps immobile et la grâce de son repos. Méditation, bronze (jardin) Damnée (Porte de l’Enfer, détail), bronze Monument à Victor Hugo, photo Eugène Druet, 1897 Salle 5 : la figure partielle « L’artiste est celui à qui il revient, à partir de nombreuses choses, d’en faire une seule et, à partir de la moindre partie d’une seule chose, de faire un monde. » Rainer Maria Rilke La peinture : Eugène Carrière (1849-1906) Eugène Carrière, Portrait de Rodin, 1897, huile sur toile Eugène Carrière et Auguste Rodin correspondent régulièrement d’octobre 1888 à juin 1900. Un échange à caractère amical mais aussi professionnel puisque Carrière travaille avec des modèles remarqués chez Rodin. Rodin admire chez le peintre sa science du relief et lui décerne le titre qui, dans sa bouche, est le plus enviable, celui de sculpteur. En 1900, la grande exposition personnelle de Rodin donne l’occasion à Eugène Carrière de rendre un hommage public à son ami. Il réalise la lithographie qui sert d’affiche à l’exposition et de couverture au catalogue avec une illustration représentant Rodin dont les mains puissantes modèlent La Toilette de Vénus. Eugène Carrière, Portrait de Rodin devant une sculpture, vers 1900, huile sur toile Toilette de Vénus, bronze Eugène Carrière, Affiche de l’exposition Rodin au pavillon de l’Alma, 1900 « Dans les expositions, la plupart des tableaux ne sont que de la peinture : les siens semblaient, au milieu des autres, des fenêtres ouvertes sur la vie. » Auguste Rodin Du Saint Jean-Baptiste à L’Homme qui marche Le corps émacié du Saint Jean-Baptiste décrit l’ascète qui prêche dans le désert tandis que L’Homme qui marche, dépouillé de sa tête et de ses bras, ne fait qu’un pas. En 1880, c’est la rencontre avec un modèle qui déclenche la création du Saint JeanBaptiste : un grand nu dégagé de tout accessoire. Saint Jean-Baptiste, bronze Torse de Saint JeanBaptiste, bronze Puis, avant 1887, Rodin découvre, « oublié » dans son atelier, un modelage en terre d’un torse du Saint Jean-Baptiste. La terre a souffert des variations de température : les bras se sont détachés du corps, la tête est absente, les jambes arrachées. Le torse est fissuré, troué mais Rodin en décèle aussitôt les qualités plastiques puisqu’il la donne à fondre en bronze. Dans un second temps, ce sont deux morceaux du Saint Jean-Baptiste qu’il assemble : le torse, dont il incline le buste vers l’avant, et les jambes en rallongeant d’1/5 e celle de gauche pour accentuer le mouvement de la marche. « Le paysan se déshabille, monte sur la table tournante ; il se campe, la tête relevée, le torse droit, portant à la fois sur les deux jambes, ouvertes comme un compas. Le mouvement était si juste, si caractérisé, si vrai que je m’écriai : “Mais, c’est un homme qui marche !” Je résolus immédiatement de faire ce que j’avais vu.» Auguste Rodin L’Homme qui marche, plâtre, ht : 85 cm. « Cet Homme qui marche, qui est comme un mot nouveau pour dire “marcher” dans le vocabulaire de notre sensibilité. » Rainer Maria Rilke En 1900, lors de sa grande exposition rétrospective au pavillon de l‘Alma à Paris, on aperçoit sous le titre d’Etude pour Saint JeanBaptiste, un plâtre composé d’une figure sans tête ni bras et d’une paire de jambe formant le pas de la marche. Cette petite sculpture est juchée sur un moulage en plâtre d’une colonne corinthienne formant socle. Cet Homme qui marche sur colonne est l’aboutissement d’une nouvelle façon de travailler de Rodin dans laquelle la main qui modèle est remplacée par la main qui assemble ce qui a été modelé. En 1905-1906, Rodin fait agrandir la sculpture qui prend alors toute sa valeur expressive dans cette dimension monumentale. Les différentes étapes de la marche sont résumées en un mouvement qui ne présente aucun lien avec une réalité observée : L’Homme qui marche déroule, en effet, deux pas en un. L’Homme qui marche, bronze, ht : 213,5 cm. L’Homme qui marche sur colonne, bronze, ht : 354 cm. Fête en l’honneur de Rodin à Vélizy autour de L’Homme qui marche sur une colonne, photo Jean-François Limet, 30 juin 1903 « Il est probable qu’une photographie instantanée, faite d’après un modèle qui exécuterait le même mouvement, montrerait le pied d’arrière déjà soulevé et se portant vers l’autre. C’est l’artiste qui est véridique et c’est la photographie qui est menteuse : car dans la réalité, le temps ne s’arrête pas. » Auguste Rodin