Mercredi 8 janvier 2014
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Le Soir Mercredi 8 janvier 2014 Le Soir Mercredi 8 janvier 2014 8 Le Soir se donne dix jours pour démont(r)er huit clichés qui collent à la peau de la génération 25 ans. Une enquête par et pour les jeunes (mais pas que !). cliché n°3 © BELGA. À 25 ANS… Pierre-Olivier Beckers JEAN-FRANÇOIS MUNSTER © D.R. L’OBJET CULTE Est-il nécessaire de s’étendre sur le nom de cette grosse sucrerie bien chimique ? Non, même si certains l’appelaient plus sobrement « boule magique ». Cette friandise, objet incontournable des cours de récré dans les années 90, surprenait plutôt par le challenge qu’elle proposait : la lécher pendant des heures pour découvrir le Graal, soit la bille croquante (ou le chewinggum) qui se trouvait au milieu. Épreuve de longue haleine, car il fallait plusieurs jours pour finir sa boule. Quand la cloche sonnait, on recasait donc son bonbon dans la vieille poche de sa veste (parfois dans son emballage), avant de poursuivre sa quête à la prochaine récré… Quelle aventure ! XAVIER COUNASSE Les écoles doivent-elles s’ouvrir au monde du travail ? On en parle avec Bernard Rentier, recteur de l’ULg, ce mercredi à midi sur le site du Soir. Olivier Luminet, professeur de psychologie clinique à l'UCL, parle des émotions et du poids des nouvelles technologies. A lire sur http://blog.lesoir.be/hashtag25/ Mardi 7/01 Mercredi 8/01 Jeudi 9/01 Vendredi 10/01 Samedi 11/01 Lundi 13/01 Mardi 14/01 Cliché n°1 : Les jeunes sont tous diplomés mais sans travail Cliché n°2 : Pour les jeunes, le sexe n’est plus tabou Cliché n°3 : Les jeunes sont angoissés Cliché n°4 : Les jeunes sont débrouillards Cliché n°5 : Tous les jeunes voyagent tout le temps et partout Cliché n°6 : Les jeunes ne s’engagent plus Cliché n°7 : Tous les jeunes sont connectés au Net Cliché n°8 : Les jeunes n’ont plus de combats Une société plus anxiogène et des parents qui doutent : de quoi inquiéter la jeune génération. L’AVIS DES PARENTS Des troubles alimentaires qui commencent à 25 ans ’anorexie serait particulièrement présente dans la génération des 25 ans ? C’est l’impression que beaucoup d’entre eux ont parce qu’ils connaissent quelqu’un qui en a souffert ou parce qu’ils ont vu des reportages à la télévision… Mais pour le Docteur André Passelecq, psychiatre et directeur thérapeutique du groupe hospitalier La Ramée – Fond’Roy à Bruxelles, qui accueille des jeunes anorexiques, « les vrais troubles alimentaires (comme l’anorexie grave) n’ont pas statistiquement augmenté. Ceux-ci existent depuis le 2ème ou 3ème siècle. Simplement on en parle davantage aujourd’hui. Peut-être que les “petites” anorexies ont augmenté, celles qui concernent les jeunes femmes qui perdent 7 à 8 kilos et L ifficultés à trouver un emploi, un logement, peur de s’engager là où leurs parents ont échoué, à savoir leur vie de couple, dérèglement climatique… Les jeunes de 25 ans ont toutes les raisons d’être inquiets mais le sont-ils ? Le Dr Pitchot, expert psychiatre au CHU de Liège, estime effectivement que les jeunes sont plus angoissés qu’avant, en raison d’un contexte global anxiogène qui suscite de l’incertitude et du pessimisme. Il épingle la tendance des jeunes à ne rien dire lorsqu’ils sont en souffrance. Ceux-ci entament aussi difficilement les démarches pour obtenir de l’aide, même si, « heureusement, ils le font de plus en plus ». Le spécialiste évoque encore un aspect rassurant : « Les jeunes sont plus raisonnables que les générations précédentes. On entend souvent dire qu’ils sont moins motivés ou moins courageux. C’est un jugement de valeur erroné. Au contraire, ils ont une sagesse qu’on n’attend pas particulièrement à cet âgeParmi les là. Ils sont conscients qu’ils Belges francopeuvent aller mal, qu’ils peuvent ressentir du stress au phones déprestravail, donc, ils anticipent et sifs, 9 % ont se protègent. Et ils ont rain’est pas anodine : 9 % de la entre 18 et 25 population son ! » va faire une attaque ans « La majorité des gens qui de panique dans sa vie. La phobie viennent me consulter ont entre 18 et sociale (la peur de parler en public, 30 ans, déclare le Pr Alain Luts, psychiatre d’aller dans les lieux publics…), elle, spécialiste des troubles anxieux aux Cli- touche 11 à 12 % de la population. niques universitaires Saint-Luc. Le plus En 2012, le « Thermomètre des Belges » classique est la crise de panique. La per- sur l’état psychologique de la population – sonne a des vertiges ou elle tombe dans les et dans lequel le Dr Pitchot livrait une anapommes. Elle consulte son médecin trai- lyse – révélait que 5 % des Belges francotant qui ne détecte rien au niveau médical. phones sont dans un état dépressif sévère Les épisodes se reproduisent et la personne ou modérément sévère. Parmi eux, les va voir un pneumologue, un cardiologue… jeunes (de 18 à 25 ans) sont plus nombreux avant d’arriver ici ». La crise de panique que les plus âgés (61 ans et plus) : 9 % © WAVEBREAK MEDIA contre 1 %. Les tentatives de suicide diminuent aussi avec l’âge : 14 % des 18 à 25 ans, 9 % pour les 26 à 35 ans et 7 % pour les 36 à 60 ans… « On ne nous dit pas ce qui rend heureux ! » Pour le Pr Luts, « les jeunes sont face à des parents qui doutent très tôt : ils refusent d’acheter un GSM à leur gamin mais quand celui-ci leur dit que tous ses copains en ont un, ils hésitent. Les parents ne savent plus quelles valeurs adopter et c’est une source d’anxiété pour leurs enfants. Pour être réconforté, il faut quelqu’un de solide en face. Or, les parents eux-mêmes sont inquiets : “Ma mère stresse presque plus que moi parce que je n’ai pas de boulot” pensent certains ». Il poursuit : « La société est extrêmement prescriptive : tout le monde sait qu’il faut manger 5 fruits et légumes par jour, faire du sport, ne pas fumer, ne pas boire. On nous dit tout ce qu’on ne peut pas faire mais pas ce qui rend heureux ! Qu’est-ce que je peux encore2 faire ? Créer ma famille ? On n’a plus de modèle et pas toujours l’argent ! Quand j’ai terminé mes études, tout le monde achetait une maison mais aujourd’hui les exigences des banques sont horribles. Il n’y a plus beaucoup de place pour le plaisir. Si vous en prenez, on vous le reproche et celui qu’on aimerait avoir comme modèle est lui-même dans le doute ». Pour le Dr Pitchot, la situation actuelle des jeunes doit interpeller le monde. « Il faut faire preuve de créativité au niveau politique. C’est une vraie priorité. Il est urgent de redonner espoir à cette génération. » A l’approche des élections, l’appel est lancé. ■ ANN-CHARLOTTE BERSIPONT et VIOLAINE JADOUL les raisons Les 5 principales sources d’inquiétude pour les jeunes Top 5 des sources d’angoisse citées spontanément par les jeunes - Chiffres en % 18 - 35 ans Moyenne globale LE SOIR - 08.01.14 - Source : Le thermomètre des Belges de Solidaris « Comment allons-nous », 2012 29 Moyenne globale 32 52 La santé Le travail Le travail Nous le révélions dans ces colonnes le 6 janvier : du haut de leurs 25 ans, ils sont plus de 20.000 à chercher un emploi, soit un jeune sur sept. A cet égard, les résultats du « Thermomètre des Belges » de 2012 sont éloquents : 43 % des jeunes de 18 à 35 ans mentionnent le travail spontanément comme source d’angoisse ! Le pourcentage grimpe encore à 49 % pour les étudiants. Deux aspects sont à prendre en compte : la peur de ne pas trouver d’emploi et, si l’on décroche un job, le stress occasionné par un boulot effectué dans un contexte économique difficile. « Nous vivons dans un contexte qui favorise le pessimisme des jeunes mais aussi l’inquiétude des parents », analyse le Dr Pitchot, expert psychiatre à l’Université de Liège et commentateur du « Thermomètre des Belges ». Un point positif tout de même : « Je crois que les jeunes sont très conscients du contexte professionnel dans lequel ils évoluent et qu’ils parviennent à anticiper et à être raisonnables. Et si ce n’est pas le cas, je les y encourage, car il ne faut pas attendre d’être malade pour réagir. » A.-C.B. 29 27 21 Le pouvoir d’achat La maison La crise économique « Les 18-25 ans manifestent une grande perte de confiance envers le système économique. Et, encore plus inquiétant, 53 % des jeunes ne pensent pas que les gouvernants politiques vont agir pour améliorer la qualité de vie de la population, contre 47 % en moyenne », détaille le Docteur William Pitchot, en commentant le « Thermomètre ». Trois jeunes sur dix s’inquiètent pour leur pouvoir d’achat, ce qui est davantage que la moyenne tous âges confondus (21 %). Les étudiants sont particulièrement inquiets (34 %). Le DocteurPitchot explicite la problématique : « Je pense qu’il y a un plus grand désir de possession qu’avant avec les nouvelles technologies et les jeunes ont beaucoup d’exigences à cet égard. Mais je ne dirais pas que c’est la préoccupation principale des jeunes. Ce qu’ils veulent, c’est avant tout être heureux. Dans ce cadre, le pouvoir d’achat est un élément important pour se sentir en sécurité et obtenir le minimum, un toit et de la nourriture. Mais ce n’est pas un but en soi ». A.-C.B. Cette source de stress ne provient pas du thermomètre des Belges mais bien d’une enquête réalisée par ILIV, l’Observatoire de la vie à la maison, auprès de 4.000 Belges. Quels sont les enseignements pour la tranche d’âge 20-29 ans ? 15,6 % des jeunes pensent qu’avoir une maison à soi constitue une source de stress. Quand ils en ont une… Ce qui est loin d’être toujours le cas. 75,4 % des sondés déclarent qu’acheter une maison est inenvisageable pour eux à l’heure actuelle. Enfin, 80,5 % des jeunes estiment qu’il est très difficile d’épargner pour un prêt en ayant un loyer mensuel à payer… Katya Van Putten, qui a coordonné l’enquête, analyse : « 44 % des Belges sont convaincus qu’ils sont heureux seulement s’ils ont leur propre maison. Ce pourcentage est même plus grand chez les jeunes (55 %), car ils imitent ce qu’ils observent chez leurs parents. » Elle poursuit : « Les jeunes ont plus de difficultés qu’avant d’acheter une maison, à cause de la crise. De nombreux 20-29 optent pour la colocation, mais ce n’est pas pour le plaisir : il y a des raisons financières derrière. » 10 La solitude, l’isolement 4 13 Violence 20 Les grands problèmes de la société (environnement, économie,...) La vie de couple Les grands problèmes de ce monde L’économie, le réchauffement climatique, l’écart Nord-Sud… Les 18-25 ans semblent un peu moins préoccupés par les problèmes globaux que leurs aînés : ils sont 12 % à s’inquiéter pour cette thématique contre 20 % en moyenne pour tous les âges confondus. Les demandeurs d’emploi se sentent davantage concernés (37 %), tout comme les plus de 51 ans (30 %). Selon le Dr Pitchot, « les jeunes sont plus préoccupés par ce qui les concerne directement. En plus, ils ont toujours grandi dans ce monde incertain, alors que les générations précédentes ont connu une période sans crise. Mais cela ne veut pas dire que les jeunes ne sont pas inquiets pour les grands problèmes de ce monde. Cela génère de l’insécurité, bien évidemment ». Notons encore que 32 % des 18-25 ans se disent inquiétés par leur santé, contre plus de 70 % des plus de 51 ans. A.-C.B. A.-C.B. 12 Le « Thermomètre des Belges » montre que les jeunes craignent la solitude. Etonnamment, là où la moyenne est de 10 % d’inquiétudes, le pourcentage des jeunes grimpe à 27 % ! « Ce qui est interpellant dans cette enquête, c’est que les jeunes manifestent beaucoup d’angoisse concernant un potentiel risque de conflit ou de séparation avec le conjoint. 49 % des 18-25 ans s’en inquiètent lorsqu’on leur pose la question, contre 20 % en moyenne », commente William Pitchot. « La vie de couple est un grand défi, très difficile pour les jeunes d’aujourd’hui, même s’ils ont envie d’y croire, explique le spécialiste. Il y a deux piliers fondamentaux dans la vie, le professionnel et le personnel. On peut supporter qu’un des deux piliers vacille. Si les deux s’effondrent, cela devient très difficile… Or, nous sommes dans un contexte où la vie professionnelle est très instable. Je pense que les jeunes ont plus de difficultés que les autres car ils ont moins de barrières protectrices. » A.-C.B. 8 lier féminine – est soumise à la pression de l’industrie agroalimentaire et de la publicité qui poussent à consommer à toute heure et le plus possible des choses qui ne sont pas spécialement bonnes et en même temps à la pression de la mode et des médias qui imposent la minceur et la perfection physique ». Mais elle précise toutefois que « si nous sommes dans une société qui favorise la survenue de ces troubles, il y a des composantes génétiques qui interviennent chez certains individus plutôt que chez d’autres et dans certains systèmes familiaux plutôt que dans d’autres ». Le Docteur Passelecq estime lui que « la mode ou les mannequins ne créent pas l’anorexie. Ses causes sont plus existentielles, plus puis les reprennent. Ces troubles touchent 10 % de jeunes mais ils s’arrangent bien souvent sans consultation. Par contre, la boulimie nerveuse est un trouble plus récent, depuis cinquante ans environ ». Les troubles alimentaires sévères touchent, eux, 1 à 2 % de la population belge, selon le Docteur Passelecq. Pour Isabelle Maisin, psychiatre spécialisée en troubles alimentaires aux Cliniques universitaires SaintLuc, « l’anorexie existe depuis toujours mais la fréquence de ces troubles alimentaires – anorexie, boulimie et “binge eating disorder” – est en augmentation dans nos sociétés occidentales ». Certains estiment que les diktats de la mode et notamment la maigreur imposée jusqu’il y a peu aux mannequins jouent un rôle non négligeable dans la survenue de ces troubles alimentaires. Pour Isabelle Maisin, « la population – en particu- « Les parents transfèrent leurs angoisses aux jeunes » Jacqueline, 53 ans, est psychologue et mère de trois enfants, de 18, 26 et 29 ans. Dans son entourage, elle entend de nombreux jeunes inquiets pour leur avenir, ne serait-ce que pour obtenir le strict minimum : un toit, un travail, de la nourriture. Ils sont de plus en plus à avoir peur de ne pas s’en sortir. Pour elle, les jeunes subissent la pression de la société mais aussi celle de leurs parents. « Je pense que je suis plus angoissée pour mes enfants que mes propres parents ne l’étaient. Ils sont la prunelle de nos yeux. Vu le contexte maussade, on veut leur épargner les difficultés de la vie, donc on les couve… D’ailleurs, j’ai parfois l’impression qu’on les a trop protégés. A mon époque, lorsqu’on ratait le bus, par exemple, on explorait nos ressources… Aujourd’hui, j’ai le sentiment que les jeunes se retournent plus vers leurs parents qu’auparavant. Ils se retrouvent désarmés face à l’angoisse. » © D.R. A.-C.B. Les troubles alimentaires se déclenchent souvent vers 13-14 ans, au début des études secondaires fondamentales. L’anorexie et la boulimie sont de vraies maladies. Aucune maladie n’est provoquée par la société. Peut-être que les angoisses le sont mais pas l’anorexie et la boulimie ». Les troubles alimentaires se déclenchent généralement vers 13-14 ans, à la fin des primaires ou au début des études secondaires. Judith Dereau, psychiatre à la Clinique La Ramée note qu’avant « les jeunes de 25 ans qui arrivaient ici venaient pour des rechutes. Aujourd’hui, il y a peut-être plus de jeunes qui commencent des problèmes alimentaires à cet âge ». Pour le Docteur Passelecq, cela pourrait s’expliquer par le fait qu’« on retarde le phénomène “Tanguy” : les parents s’habituent à avoir leurs jeunes à la maison, les jeunes se mettent plus tard en couple. Tout le monde trouve son équilibre mais à un moment, ça casse ». ■ V. Ja. L’AVIS DE L’AVATAR Sophie NÉE LE 05/06/1988 À ANVERS Conseillère pour le cabinet de Bruno De Lille (Groen) Célibataire Le lecteur Le fabuleux destin Destiny’s Child cassette d’Amélie Poulain Bootylicious Fisher Price « On nous en demande beaucoup » « On nous fait croire que l’économie doit croître et que la croissance, c’est le bonheur. Mais ce n’est pas le cas ! Simplement une économie plus stable nous rendrait plus heureux. Mais, c’est clair, on nous en demande beaucoup. Aussi, on a tellement accès à l’information. Je me sens parfois angoissée oui, c’est quotidien. Mais je crois qu’il faut rester lucide et filtrer toutes ces informations. En ce qui concerne l’avenir du pays, je crois qu’on doit plus se parler. Rencontrer l’autre, discuter. En Flandre, il y a vraiment cette peur qui vit, et à cause de cela, les gens votent plus aux extrêmes. Ça me fait peur aussi mais je me dis que la solution pour contredire cette peur et cet extrémisme, c’est juste de se rencontrer. C’est dommage que les gens qui habitent à Courtrai n’aillent pas plus souvent en Wallonie. » Les avis des autres avatars seront à découvrir aujourd’hui sur http://blog.lesoir.be/hashtag25/. E.BL. LE TROUBLE TYPIQUE 18 - 25 ans 43 9 Les jeunes sont plus angoissés que leurs aînés D « C’est un âge charnière pour moi, le moment où je suis vraiment devenu un homme. Peut-être est-ce dû au fait que c’est l’âge auquel mon frère est décédé », débute l’ancien CEO de Delhaize. Il poursuit. « Sur le plan humain, 25 ans, c’est l’âge auquel je suis devenu père pour la première fois. Sur le plan professionnel, c’est à 25 ans que j’ai vraiment vécu ma première expérience en tant que manager. Je vivais aux Etats-Unis à l’époque et je dirigeais un grand magasin de 5.000 mètres carrés appartenant à Delhaize, après m’être formé deux ans au métier. » La couille de mammouth Lundi 6/01 La « quarterlife crisis », la crise du quart de siècle Le saviez-vous ? Les 25 ans ont leur « crise » bien à eux ! On connaît assez bien la crise d’adolescence, celle de la quarantaine… Mais celle des « adulescents » est moins célèbre. Le concept nous est importé d’Amérique. En 2001, Alexandra Robbins et Abby Wilner publient l’ouvrage « Quarterlife Crisis, the Unique Challenges of Life in your Twenties » (La crise du quart de vie, les épreuves exceptionnelles de votre vingtaine). Cette époque, c’est celle du passage à l’âge adulte. Après environ deux décades d’études, où chaque étape est clairement marquée, les jeunes doivent opérer un grand nombre de choix – au niveau de la carrière, de l’argent, du logement, des relations affectives… Une série d’inconnues qui ne manquent pas de générer de l’angoisse, du stress et même de la déprime. C’est, finalement, la confrontation avec le monde réel. L’idée commence à se répandre chez nous. La caractéristique de cette crise est qu’elle s’opère généralement de manière discrète et lancinante. Elle se déroule en cinq phases. Premièrement, l’adulescent se sent à l’étroit et a l’impression d’agir comme un mouton. Puis il décide de quitter les rangs… Ce qui mène à une rupture avec tout ce qui représente le confort du passé. Ensuite vient la reconstruction… Et la renaissance, via de nouveaux projets. A.-C.B. Alice « Je ne trouvais pas ma place » Aujourd’hui, Alice parle de peu d’énergie alors je faisais le crise économique mais Alice le TÉMOIGNAGE lice (prénom d’emprunt) l’anorexie au passé même si elle minimum. Après, c’est très dur ressent comme un échec : « Je est une jeune femme de 25 avoue continuer à recourir de de recommencer à manger parce pense que c’est pire encore que ans. Lorsqu’elle était âgée de 17 temps en temps à cet « outil ». que l’estomac s’habitue. Il garde l’anorexie. Ici, je me suis vraians, elle est tombée dans l’ano- « Ça reste une fragilité pour cela en mémoire ». Au total, il ment sentie inexistante, bonne à rexie. Elle devra se faire hospi- moi. Quand ça ne va pas, je re- lui faudra cinq ans pour « réap- rien alors que j’avais fait cinq taliser deux mois. Mais tout trouve cette sensation de soula- prendre à (aimer) manger. Je ans d’études et que jusqu’à prén’est pas réglé alors elle rechute gement immédiat mais aujour- n’en suis pas très fière mais à sent j’avais toujours tout réussi deux fois à l’université pendant d’hui je ne me laisserai pas tom- un moment donné c’était la dans la vie. Là j’ai vraiment le blocus et se fait hospitaliser à ber aussi bas. Par exemple je rechaque fois trois semaines. perds 3 kilos mais ça ne va pas « L’anorexie n’était pas une source d’angoisse, c’était un « L’anorexie n’était pas une plus loin parce que je n’ai pas outil pour pallier mes angoisses » source d’angoisse, c’était un ou- envie de retourner par où je suis til pour pallier mes angoisses, passée. L’anorexie m’a bouffé seule manière de pouvoir vivre connu l’angoisse : ne pas pouvoir se lever le matin, avoir enprécise-t-elle. Je n’étais pas toute mon adolescence. Ça m’a ma vie ». En 2012, Alice termine ses vie que le plafond vous écrase. bien. Angoissée ? Je n’en sais coupé socialement. Parce que la table par exemple, c’est études (un diplôme d’une uni- J’ai l’idée que sans métier, on rien. Je ne trouvais pas ma quelque chose qui ras- versité et d’une haute école). n’est rien. Un métier donne un place ». les jeunes. Or Après un CDD de trois mois, statut, un revenu et il permet de Son anorexie ne s’est Les troubles semble moi je ne mangeais qui ne la valorise pas (tant sur se désolidariser de ses parents. pas déclenchée avec alimentaires pas, je ne buvais le plan humain qu’au niveau De prendre son envol. Si on veut les diktats de la mode : « Je n’étais sévères touchent pas. Donc ça exclut professionnel), elle se lance à la sortir par exemple, il faut de de la vie sociale. Et recherche d’un emploi. Une l’argent. Mais c’est comme cherpas grosse, je n’ai ja1 à 2 % de puis je tournais au quête qui durera cinq mois. Ce- cher une aiguille dans une botte mais été grosse. Pour la population ralenti : j’avais très la peut sembler peu au vu de la de foin. On ne nous prépare pas moi c’était un moyen à ça : on nous dit “faites des de m’exprimer, de dire études pour trouver un travail que j’étais là. J’ai renconmais ce n’est plus vrai”. C’était tré des anorexiques qui vouune période plus courte que laient maigrir à tout prix. Pour l’anorexie mais là j’étais vraimoi, ce que je faisais était utile ment angoissée et je n’en voyais alors que ce qu’elles faisaient pas le bout ». était inutile. Je n’acceptais pas À la fin 2013, Alice trouve un qu’elles fassent souffrir leur stage de six mois au terme descorps juste pour mincir. L’anoquels on lui propose à présent rexie est un soulagement très de l’engager. Une belle preuve immédiat – en faisant du sport de ses compétences. « Trouver à l’excès, en me faisant vomir – un boulot n’a pas tout résolu ça me servait à évacuer ma mais je suis valorisée dans ce souffrance. Le problème était que je fais », sourit-elle. ■ plus profond mais c’était l’outil Alice, 25 ans, raconte son angoisse de ne pas trouver un emploi. que j’avais trouvé ». © RENÉ BRENY VIOLAINE JADOUL A )G 9