Travail social en mutation

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Travail social en mutation
2009
ACTUA L ITÉSOCIA L E | S U I S S E
N o 1 8 _ J A N VI ER – F ÉVRIER 2 0 0 9
Travail social en mutation
Texte: Michel Bonjour, directeur romand des
institutions sociales de l’Armée du Salut
Le travail social et les mutations du
paysage professionnel
Le même constat est fait partout dans le
monde: l’aggravation de la crise sociale,
les contextes économique et politique actuels demandent d’être innovants.
L’évolution du travail social et
une dynamique en pleine mutation
En juin 2008 a eu lieu la 33e Conférence
mondiale du Conseil international d’action sociale à Tours (France), duquel l’Armée du Salut est membre. Le thème de
cette année était: «La dynamique du développement social dans un contexte de
mondialisation: leçons du passé, défis
pour aujourd’hui et pour demain». Une
excellente occasion de découvrir les
­pratiques, questions et défis de tous les
continents, et de se rendre compte à quel
point nous partageons les mêmes pré­
occupations et les mêmes thèmes de réflexions sur tous les continents. 75 pays
représentés, 600 participants, des délégations de nombreuses organisations, associations et ONG, des praticiens, des chercheurs, des experts de haut niveau sur le
plan du développement social et économique et deux constats:
• La solidarité sociale et les systèmes traditionnels d’entraide souffrent aujour­
d’hui et l’aggravation de la crise sociale
force à innover dans le cadre de la globalisation pour trouver des réponses
aux questions liées à l’individualisation, aux inégalités et aux conflits économiques et sociaux.
• En dépit des changements multiples
auxquels nos sociétés doivent faire face,
les besoins et comportements fondamentaux de l’homme restent remarquablement constants: nourriture, habitat,
soins, famille, sécurité et spiritualité.
Les valeurs et idéaux humanitaires de
base se retrouvent avec une constance
remarquable dans le monde entier.
Dans le contexte de l’évolution politique
et économique actuelle, un parallèle intéressant peut être fait avec le travail social
d’aujourd’hui: «Il doit se faire plus flexible, ses interventions doivent s’adapter à
Compte rendu d’une intervention faite dans un atelier à
l’occasion du colloque d’AvenirSocial du 21. 11. 2008
la démarche des usagers tout en s’assurant que ceux-ci mettent en œuvre tout
ce qui est en leur pouvoir pour réussir
leur réintégration dans la société»1.
J’aimerais aussi ajouter: «et viser à la restauration de la dignité de la personne, et
certainement adapter ses programmes à la
personne entière, sur les plans matériel,
physique, psychologique et spirituel».
Tout travailleur social doit se resituer en
permanence face aux changements multiples de notre société. L’action caritative
du XIXe siècle n’est pas la même que celle
du XXIe siècle, les structures ont changé,
la perception de l’être humain comme
celle du rôle de l’Etat sont différentes. Et
pourtant, partout où il y a des êtres humains, les besoins fondamentaux sont les
mêmes, quelle que soit la période ou le
lieu de nos interventions sur la planète!
Le pilotage et le management des
structures sociales
Un autre constat a été relevé lors de cette
conférence, sous forme de défi particulier: pour que les entreprises, organisations, associations et ONG puissent assurer leur mission et se développer, les valeurs et le style de management doivent
être en harmonie avec les objectifs et valeurs de l’organisation et être en phase
avec les prestations et services proposés!
Si une prise de conscience concernant les
mécanismes de gestion d’entreprise au
sein des structures sociales a été menée
depuis de nombreuses années, force est
de constater qu’il est plus que vital de travailler en profondeur sur la culture de
base de nos équipes (culture professionnelle et culture d’entreprise). Et comme
dans n’importe quel domaine d’activité
(le même constat est fait dans les entreprises dites «économiques» et de profit),
il est vital pour l’organisation comme
pour les personnes d’accepter les changements constants.
Retrouvez les comptes rendus du colloque
national d’AvenirSocial du 21 novembre 2008
à Soleure sur le site web www.avenirsocial.ch.
Rappelons cependant une évidence: les
bénéficiaires du travail social doivent rester au centre des préoccupations, bien que
le danger soit grand quotidiennement
d’inverser les priorités, simplement pour
répondre à la nécessité de faire fonctionner la structure avec ses multiples
contraintes administratives et financières.
Il est aussi important de nous poser la
question suivante: «Qui est notre client?».
Et de fait, une autre évidence apparaît que
nous omettons trop souvent: nos clients
sont aussi, par exemple, les dispositifs
d’aide et de soins dans lesquels nos structures sont implantées, donc de fait aussi
l’Etat, les communes et/ou les administrations qui nous subventionnent et avec
lesquelles des contrats de prestations ou
autres conventions sont convenus.
Un outil issu des théories du développement organisationnel:
le modèle planifié/émergent
Parmi les nombreux outils que nous pouvons emprunter à différentes disciplines,
j’aimerais citer à titre d’exemple un modèle emprunté aux théories du développement organisationnel, élaboré notamment par Madelaine Laugeri et Pierre
Grand – du groupe GATE2 – (inspiré de la
théorie organisationnelle de Eric Bern, le
fondateur de l’analyse transactionnelle).
Je ne le développerai pas, mais préfère
simplement en citer les schémas, très parlants en eux-mêmes:
• Les scénarios perdants 1 et 2 (quand
l’une ou l’autre des parties en présence
cherche à écraser l’autre, de manière
objective ou psychologique)
Le scénario perdant no 1 © Bourdais et Laugeri
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Le scénario perdant no 2 N o 1 8 _ J A N VI ER – F ÉVRIER 2 0 0 9
mes sociaux, au sein des dispositifs intégrant de multiples partenaires dans les
champs politiques, économiques, sociaux
et de la santé.
inégalités et aux conflits économiques et
sociaux. Il reste bien sûr encore beaucoup
à faire, et les défis seront encore nombreux. Mais c’est en tant que partenaires
et acteurs à part entière que les intervenants du travail social doivent poursuivre
leur action au sein des dispositifs locaux
et régionaux, dans une constante clarification des missions et tâches de chaque
entité. C’est ainsi que le travail social
pourra relever le défi de l’innovation et
de la créativité indispensables à la coopération et au dialogue avec l’ensemble des
partenaires de notre société. Il pourra être
au service de sa mission spécifique et surtout des personnes qu’il entend aider. |
Perspectives
Plus que jamais, il est nécessaire, pour
l’ensemble des partenaires sociaux, politiques et économiques, de rechercher un
véritable esprit de coopération et d’innovation pour trouver des réponses aux
questions liées à l’individualisation, aux
Notes
1 O. Grand, «Changements de société – quelles conséquences
pour le travail social» (compte rendu du premier Congrès
­international de la Société suisse du travail social), Actualité­
Sociale, no 14, mai–juin 2008, pp. 8–9
2 M. Laugeri et P. Grand, Le modèle planifié/emergent, présentation GATE, Human Systems Engineering, Yverdon, 2007,
www.groupegate.ch
de conversion devrait être baissé, c’est-à-dire
qu’une baisse des rentes serait inéluctable. Pour
ce qui concerne l’AI, on parle systématiquement
d’abus bien que cela reste, malgré quelques cas
gênants, dans des limites étroites. Les prestations
de l’assurance chômage doivent être contrôlées
et, après examen, elles doivent être abaissées,
etc. Il va de soi que les demandes telles que le
développement des prestations sous condition
de ressources en faveur des personnes qui sont
en grande précarité financière ont été et seront
tuées dans l’œuf, et ce avec pour argument
­qu’elles ne sont pas finançables. Les mères qui
élèvent seules leur(s) enfant(s), les familles avec
des revenus trop faibles devront alors continuer à
vivre dans la pauvreté et souvent dans l’exclusion.
Quelle amertume nous laissent ces reproches
tant entendus. Notre Etat social serait dominé
par des abus manifestes pour lesquels des
contrôles rigoureux seraient nécessaires! Ce sont
les mêmes personnes qui ont fait ces reproches
et qui ont par ailleurs vu durant des années (et
aussi bien profité), comment les managers de la
finance ont spéculé sans égard en prenant des
risques inconsidérés, comment ils se sont enrichis
et comment ils ont mené l’économie réelle au
bord du précipice. Et c’est ainsi que nous en
­arrivons à ce que notre pays doive porter ­secours
à une seule banque avec 60 milliards de francs.
Cette somme représente plus du double des
rentes AVS qui sont versées dans notre pays
pour une année. Rien qu’avec les intérêts,
nous aurions pu aider toutes les personnes qui
doivent vivre dans la pauvreté avec des prestations sous conditions de ressources. Cela leur
aurait permis de vivre dans la dignité sans dépendre des services sociaux.
Le choc de cette crise financière est profond et
les dégât très grands. Nous ne savons pas encore jusqu’à quel point l’économie réelle va en
pâtir durablement et combien de place de travail seront perdues en Suisse et à l’étranger.
Par contre, ce que nous savons, c’est qu’à l’ordre du jour des prochaines sessions du Parlement figurent des révisions de lois sur les
­assurances sociales et qu’en mai 2009, nous
devrons voter sur le financement additionnel
de l’AI. Qu’est-ce que les pourfendeurs de
l’Etat social donneront comme arguments? On
peut déjà craindre le pire! En tous les cas, les
défenseurs d’un Etat social solidaire et performant devront se montrer plus agressifs. Le
sauvetage de l’UBS montre que nous avons
bien assez d’argent pour aider les personnes
qui sont dans une situation économique précaire et même pour leur permettre de vivre
dans la dignité sans avoir à mendier.
Disons-le avec Obama: «Yes, we can!», et
agissons en conséquence.
© Bourdais et Laugeri
• Le scénario gagnant: les clés du dialogue
organisationnel (quand chacune des
parties a suffisamment de conscience
de ses compétences et possibilités – et
confiance en celles-ci pour chercher le
dialogue sur un mode équilibré, dans
une relation «gagnant-gagnant»).
En effet, mon expérience m’amène à
constater que ce modèle, finalement assez simple, peut être appliqué autant en
organisation d’entreprise (team-buildings,
gestion de conflits hiérarchiques, développement d’une organisation, etc.), que
dans les projets de société ou program-
Le scénario gagnant – les clés du dialogue
organisationnel © Bourdais et Laugeri
Société
Oui à un Etat social fort,
il y a urgence
Texte: Otto Piller, ancien conseiller aux Etats
Traduction: Olivier Grand
N’ai-je fait qu’un mauvais rêve, ou était-ce la
réalité? A peine quelques jours avant que la
Confédération nous annonce qu’elle allait
mettre 60 milliards de francs sur la table pour
l’UBS, Monsieur Couchepin annonçait avec
grande conviction que nos banques, à la différences de celles de l’étranger, étaient en bonne
santé, raison pour laquelle, on ne devait pas
leur «pomper» de l’argent. Ce que Monsieur
Couchepin a voulu dire par «pomper» n’est
pour moi toujours pas clair. Entendait-il par
«pomper», prêter de l’argent aux banques ou
leur pomper de l’argent? Nous verrons bien
d’ici un an ou deux ce que ces 60 milliards
­seront devenus.
On sent un arrière-goût amer. Depuis bientôt
deux décennies, les politiciens du camp bourgeois et les cercles néo-libéraux prétendent
que notre Etat social n’est plus finançable,
­raison pour laquelle ils exigent des diminutions
de prestations. Pour ce qui concerne l’AVS,
l’âge de la retraite devrait être rehaussé, l’indexation au renchérissement devrait être
abandonnée et dans le deuxième pilier, le taux
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